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Pinard et ténèbres

Rappel du premier message :

Vous avez intérêt à avoir de quoi payer !
T-Ta g-gueule, ggjhj'te tue.

... Ça se calme pas dehors. Hein ? J'ai déjà la cervelle dans le formol, et tout ce boucan produit par l'bombardement de gouttes sur les carreaux et sur le toit arrange rien. Le crâne explosé, ouaip. Toute cette flotte... Ces courants d'air humides et frais... Ces flashs et cette foudre... On est mieux dedans que dehors. Mmmh.

J'te jure, homme-poisson ou pas, j'vais m'le faire...
Calmos. On ferme bientôt de toute façon.

Poiscaille puant, pourri, empeste la picole et les idées noires. Affalé sur ma table, bouteille de vin à la main, la tête dans mon assiette. J'lèche les restes. Des pâtes en sauce. Mon repas avait super bien commencé. C'était un régal. J'suis pas très très bon gastronome. J'y connais rien, j'serais capable de bouffer dans les poubelles et d'boire dans les chiottes par flemme de cuisiner. Mais ça, ouais, avis d'expert : c'était SUPER BON. Et ce vin, un grand cru... J'crois. J'sais pas trop quand j'ai commencé à dérailler. Quand j'ai co-commencé à rentrer dans un espèce... d'état second. Pas l'habitude de l'ivresse. J'bois pas beaucoup. Mais c'est cool. En fait. J'me sens plus léger, maintenant. Mais mon coeur pèse toujours aussi lourd, p'tain. J'tourne péniblement la gueule dans mon assiette, pour j'ter un coup d'oeil à l'étiquette de la bouteille. Ouais, c'du grand cru ça. Truc de connaisseur. J'bois pas de façon très conventionnelle. Au goulot, ça fait pas très... goûteur de bon vin. Y a un mot pour ça. 'tain, il va me revenir. C'est... 'tain. Tark, t'aurais su toi. T'aurais su comment on appelle un... mec dont l'métier... c'est de se bourrer la gueule et de dire c'qui est bon, c'qui est pas bon.

Revieeens. Tark. T'vas mourir là-bas. Chez les révos. La marine, l'gouvernement, ils vont te chasser, et finir par te tuer. Les méchants vont te tuer. T'sais pas à quel point j'me fais du souci pour... toi. Tout le temps, que j'me demande si là, pendant que j'laisse ma salive emplir mon assiette vide, t'as pas d'jà été mouché par un p'tain d'humain, tout fier d'avoir abattu ce qu'il considère comme un... monstre. Nous, les erreurs d'la nature. Hommes-requins qui marchent sur deux pattes, qu'ont à la fois les poumons et les branchies. Considérés comme des bêtes. De sales bêtes, et pas des animaux mignons. Mais t'es l'meilleur animal du monde, Tark. J'peux rien faire sans toi. Ton ambition, ta détermination, ta patience, ton altruisme... Ça m'inspirait à donf'. Puis tu m'protégeais, tu m'apprenais à devenir plus fort. J'peux rien faire sans toi... 'me retrouve complètement à la merci des... du... des gens, là. Ils m'ont volé mon âme... Y a la marine qui fait rien qu'me poursuivre. Me harceler. M'taper sur les doigts. M'remettre à ma place. Toujours là pour me rappeller qu'j'suis qu'un homme-poiscaille sans pouvoir dans l'univers. La marine, foutue catin. J'suis une p'tite crotte qui avait des rêves. Mais qui découvre qu'ils sont tous irréalisables. Et là, tout son décor de théâtre en carton-pâte s'effondre. DANS LE CUL ! J'L'AI DANS L'CUL. MERDE. Fais chier. FAIS CHIER, TARK.

Il s'excite sur la table maintenant...
T-Ta g-gueule, ggjhj'te tue.

Tu... Tu te souviens d'nos rêves, Tark ? Deve... D'venir de grands acteurs du monde... Con-construire notre propre justice, suivre notre code d'honneur à nous, bâtir un mon-monde meilleur qui nous est propre... Injecter du nous-même dans un univers gigantesque qui nous dépasse complète-tement... Liberté, justice... égalité... droiture... protection... Protéger les innocents... La v-vérité, t'veux que j'te dise ? C'est qu'il y a pas d'innocents, nope. Tous des enflures, tous des tordus. Montres leur UN signe de faiblesse, expose ta vulnérabilité une micro-seconde et tu t'fais TAMPONNER PAR TOUT CES SALES TYPES. Qui veulent se rassurer. Qui veulent se sentir puissants. Qui veulent se débarasser d'leurs propres fantômes en se nourrissant d'ceux des autres. Des parasites, des prédateurs. Z'ont peur des hommes-poissons. 'disent que c'tous des sauvages. 'disent que y a rien à faire pour eux. 'disent de moi que j'ai rien à faire dans la marine, souvent, qu'j'ferais mieux d'retourner d'où j'viens. D'retourner avec mes potos prédateurs marins dans l'océan, ou mieux, me foutre des chaînes aux pieds et une muselière et d'venir l'esclave d'un bon-bon vieux noble grassouillet...

J'vous hais, putain. J'vous hais tous. Je hais mon... ventre tout barbouillé. J'ai des gaz. C'ui là, j'te l'adresse, Univers. Prout. Haha.

Tsss...
T-Ta g-gueule, ggjhj'te tue.

Me r'garde pas comme ça. Cuistot-serveur-larbin d'mes deux. On mate pas avec autant de médisance un type qui souffre. Merde. Viens plutôt m'tapoter le dos, m'chuchotter quelques mots gentils, p'tete m'causer de tes expériences personnelles, et offres moi une autre bouteille... Celle-ci l'est presque vide.

J'ai fais quoi... Ces dernières années... ? A part foncer dans un mur que j'ai pas été foutu d'apercevoir tandis qu'il se profilait devant moi dès l'instant où j'ai sorti la tête de la mer... J'ai pas... J'ai pas sauvé grand chose... Chacune de mes minces victoires m'a demandé des sacrifices horribles. J'm'enfonce dans l'cafard et la parano chaque seconde que j'passe tout seul à resasser mes souvenirs... M'lâche pas Tark... Frangin, steuplaît... J'perds pied...

C'est... un mois ? J'crois... Déjà...Ça fait un mois que j'suis seul au monde. Qu'il existe plus personne pour m'tendre une main secourable sans arrières-pensées...

Bouhouhou...
...T'as vu ça ? Il chiale.
T-Ta g-gueule, ggjhj'te tue.

Ouais... Arrêtes de chialer. C'pas sexy. Redresses-toi... Mieux que ça. Ouah. J'suis presque assis, maintenant. L'dos un peu vouté. Mais j'trempe plus mon museau dans les restes de sauces. Mmmh.

Du vin !
Je ne crois pas, non.
L'client est... L'client... est... roi.
Montrez moi seulement que vous avez de quoi payer tout ce que vous v'nez de vous enfiler...
Ah, t'veux des thunes ?

Lui balance mes berrys. J'sais pas combien y en a au to-total. Sobre, ça m'aurait d'jà fais chier de compter.

Gardes la monnaie. Et ra-ramènes moi n'autre bouteille...
On fermes dans DIX MINUTES. Compris ?
Dé-déjà Minuit ?
Vous risquez de sérieux problèmes avec les autorités...
AHAHAHA ! L'con. Je SUIS l'autorité, mec. R'garde mon... badge. Pour une fois... C'moi qu'a l'pouvoir. C'est moi qui décide... Pour une fois... bouhouhou...
Hum.
Je... j'te fous en taule puis chht'te tue si tu m'ramènes pas... une bouteille. La dernière. Promis.
Bon... Ramenez lui la pire vignasse, il s'en contentera...
Il a de quoi payer, alors ?
C'est tout juste...
Hmm. Merci.

C'est d'la pitié ? L'a les sourcils qui s'relâchent un peu. Subitement. Moins froncés. Plus... tristounets. Vrai que j'suis pathétique, là, tout seul, au milieu d'la salle principale d'un grand et beau resto. J'fais tâche, comme d'hab'. J'suis un intrus. Jamais j'trouverai ma place. Est-ce que c'est vraiment mieux... chez les révos, hein ? 'sont des humains, eux aussi, avant d'être d'gentils utopistes... Eux aussi ont leurs préjugés, leurs tares, leurs soifs de pouvoir, de fric, de reconnaissance. Mmh. Monde pourri. Pas d'ilot d'espoir qui s'profile à l'horizon, pour l'instant. J'me laisse emporter par la tempête. J'commence à somnoler.

BADAM. Coup d'tonnerre. J'sursaute, j'me redresse comme un piquet. Tout raide, y a mes yeux d'merlan fris qui restent braqués sur l'entrée d'la grande salle. Mec encapuchonné genre super louche qui vient de débarquer. Il se prend pour qui, lui ? Y s'est vu ? A-A mettre en scène son... entrée, comme ça. C'est moi qui devrait péter le style, ici. Personne d'autre. Moi qui d'vait parvenir à graver en lettres d'or mon nom dans l'Histoire et dans l'Eternité, m'frayer un chemin dans les hautes-sphères à coup d'actions chocs et d'répliques fantasmagoriques. Mais l'avenir m'a jamais souri... Il m'a toujours feinté. Fait miroité de nombreux chemins, très longs, tortueux, dangereux, mais beaux et fascinants. Finalement, c'que j'vois, c'est qu'une pauvre impasse froide, pluvieuse, terreuse. Et mon honneur, traîné quelque part dans toute cette boue.

J'laisse tomber mon lourd crâne migraineux sur mon bras bien faiblard. J'quitte pas l'original des yeux. L'a pas l'air net, lui non plus.


Dernière édition par Craig Kamina le Mar 6 Mai 2014 - 0:58, édité 1 fois
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Ah, j'ai... Je vois.

Pas moyen. La cale réchauffé par nos ardeurs s'retrouve balayée un instant d'une bourrasque glaciale. A mes côtés, Raf, tueur professionnel. Et purificateur, par le feu. Nettoyer le vice par le vice.

C'est sans parvenir à camoufler mon malaise qu'je m'réfugie dans un peu de silence en faisant semblant d'adopter une position plus confortable, laissant l'tonnerre là-dehors exprimer les doutes qui pleuvent en moi. A la manière du vieux bois qui nous couve, j'grince quelques mots pour reprendre le contrôle de l'ambiance.

Souvent, notre passé nous laisse pas le choix. Si j'ai cru être maître de mon destin, un jour, c'est fini à présent.
On fait c'qu'on peut, avec ce qu'on nous donne...


Ma confiance oscille et danse avec mes mauvais présentiments. Il a démoli sa muraille de secrets, et s'est exposé pour c'qu'il est, lui, ses actes, sa hargne. L'a assassiné une partie d'son mystère, et derrière la brume qui s'dissipe j'entrevois c'que Tark pourrait devenir si la vie l'amenait vers les solutions radicales.

Radicales. Ou nécessaires, selon comment on voit les choses...
Moi, j'vois pas les choses. En ce moment, elles me défilent trop vite sous l'pif.
En m'agitant, j'laisse mon manteau de marine me glisser des épaules, et lentement se tasser sur l'parquet.
Bizarre. Mon dos m'démangeait. Sûrement un coup d'sang d'mon subconscient qui s'révolte face à mon pelage de mouette...

Plus que jamais, je sais qu'je suis poursuivi par la somme de mes choix. Et si j'avais décidé d'écarter mes rêves pour mirer le futur que m'tendait le port de mon nom, m'aurait suffi d'enfiler de la soie et de prendre une bonne douche pour attraper mon rôle sur la scène politique du royaume. Mais malgré elle, la famille Kamina m'a envoyé à la face le versant le plus monstrueux de la politique. Ils deviennent méfiants, ils deviennent calculateurs et leur ambition affronte celles des autres, leurs masques leur collent au visage à tel point qu'ils oublient la sincérité d'leurs propres sentiments et comment les exprimer, et ils finissent par être autant détestés qu'ils ne se haïssent eux-mêmes.

P'tete bien qu'ils étaient ça, papa et maman. P'tete bien qu'un jour, un assassin les collera face à leurs vrais reflets. Et moi, un fils de riche, alevin à papa, né avec une cuillère en argent dans la bouche mais un coeur en or dans la poitrine, j'commence à avoir l'impression d'cumuler les tares. J'sais pas comment Raf le prendrait, s'il connaissait mes origines.

Cette dent qu'il a contre les hautes castes, elle a l'air salement acérée. Et ensanglantée, ça va d'soi...

Mon... Mon premier sacrifice, ça a été de quitter mon île où j'étais bien, avec mon frangin. Là-bas, on vivait sans discrimination, sans haine, sans préjugés. Et surtout, la promesse d'un avenir doré tout tracé. On a laissé ça derrière nous, on s'est enrôlés dans la marine le jour où elle est descendue sur notre île s'trouver des bras palmés, et on est montés à la surface, des étoiles plein les yeux... On voulait rendre le monde meilleur. Naïfs.

Tout plaquer, ça a été un sacré pari. Un pari d'aveugles. Aujourd'hui, j'écarquille les yeux devant toutes ces horreurs. Ces crimes, ces injustices. Cette haine et cette déchéance. Ce malheur. Ce sang. Ça m'dépasse de trop loin. Sûrement une overdose de terreur et de dégoût.
J'ai d'la révolte en moi. Ça s'voit pas, p'tet, mais je bous. Tout le temps. Ça m'consume, peu à peu. J'sais pas comment éteindre ça. Ou comment l'extérioriser sans sombrer dans... la violence.

Sombrer dans ce que j'abhorre. Alors c'est ça, ce sacrifice ? Violer et brûler ma nature pour sauvegarder celles des autres ? C'est ce que tu fais, toi ?

Au fond du verre, tout à l'heure, j'ai pas cessé d'voir à chaque nouveau plongeon l'reflet de ma régression. C'qui importe le plus, tu disais ? Moi ou les innocents ? J'dirais Tark. L'a été ma seule bouée un bon bout de temps. Il m'permettait d'respirer l'air du courage, de la fierté. Il m'permettait d'agir, en sachant que jusque dans mes chutes, il serait toujours là pour m'amortir. Je me sentais important. Je me sentais utile. Et quand j'en doutais, et quand je m'essoufflais, il me ranimait l'ardeur.

J'sais même plus où sont les innocents. C'monde-là pousse tout le monde vers le vice.

On tue, par folie, par idéal, par nécessité, par dogme ou par habitude, on finit par faire tant descendre la valeur de la vie qu'elle en devient plus qu'un simple outil qui servent aux puissants, aux vrais architectes du monde, à consolider leur existence.

T'as aucun charognard au-dessus de toi, Raf ? Qui rogne du territoire sur tes conquêtes, qui se sert de ta sueur et du sang que tu verses ? T'es sûr que chacun de tes actes travaille pour l'avenir de ton symbole, qu'aucun n'puisse être détourné ? Que la mort de tes victimes a toujours le sens précis qu'tu voulais lui donner ? Ça m'semblerait trop beau...


Un assassin... J'essaye d'être choqué, j'y arrive pas. J'secoue un peu ma sensibilité, mais la v'là complètement amorphe. Sûrement elle aussi laminée par le concert conjoint de la fatigue, du pinard et de la lassitude. Et par les pensées ?

Voilà. C'que j'suis. Seul, coulant dans l'alcool. Pas capable d'assumer ses choix, j'me sens encore moins apte à juger ceux des autres. Les gens changent, là encore, trop vite pour moi. J'm'adapte pas vite et raser mes bases, ça m'oblige à réapprendre à marcher. Le frangin a choisi la révo'. Moi, j'ai choisi la marine. J'ai choisi d'apprendre la médecine. Le frangin est resté guerrier. Qui est le mieux placé pour protéger et guider les troupeaux ?

Je... Je voudrais que tu saches que même si j'le pouvais, je tenterais pas de t'arrêter... Depuis un mois, mon frangin doit être devenu un d'tes camarades.

Plus tard dans la nuit, lorsque j'aurai dilapidé mes dernières réserves et que j'serai affalé à ronfler, le museau rougi par l'éthanol, écrasé contre un oreiller d'moisissures, en train de cauchemarder -ou à rêver, qui sait ?- de la suite de mon parcours...

Rien ne m'assure que Raf en profitera pas pour supprimer les traces et les doutes du poiscaille qui l'a accompagné toute une nuit. Le supprimer en une simple et nonchalante balade de lame le long de la gorge du squale endormi. Comme on tourne une page, avant de se laisser happer par la suivante.

Raf me voit p'tet comme un péril, j'm'en rends d'plus en plus compte. Et j'appréhende. La mort me paraissait amicale en début d'soirée, mais maintenant elle me semble trop sévère. J'ai retrouvé un fond d'espoir dans cette tempête, j'voudrais pas qu'tu me le voles, Raf. On pourrait être potes, sincérement. Comment tu m'vois ? La confiance d'un assassin a un prix exorbitant, hein ?
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Le crédo. Un code moral qui l’empêchait de divaguer au gré de ses péripéties. Lorsqu’on restait dans l’ombre, lorsqu’on suivait le code à la lettre, cela n’était pas un souci. Mais que faire face à une âme preuse prête à donner ce qu’il veut au diable en pensant traiter avec le saint seigneur ? Ou saigneur, comment on voit les choses. Les questions de Craig auraient pu en faire chanceler plus d’un, mais pour l’assassin, si il avait dû douter de la force de ses actes, cela n’était pas près d’arriver. L’avantage, en quelque sorte, d’être son propre leader, de créer une organisation sur des bases que seul lui-même connaissait. Il n’y avait personne pour flouer son combat, sinon lui. Mais avouer à un Marine, fut-il bien intentionné, qu’il était Il Assassino, le leader disparu de la Confrérie, c’était hors de question. Imprudent, alcoolisé, certes. Mais pas fou.

« Ma nature … c’est ça le sacrifice. J’ai choisi une vie où jamais il n’y aura de repos sinon dans la mort. Il y a toujours un moyen de servir la Cause, certains plus profonds que d’autres. Il existe des gens qui le font en servant dans la lumière, en marchant parmi les leurs au lieu de trois pas derrière. C’est de ces gens là que le monde aura besoin une fois que nous aurons terminé … » répondit-il, après quelques secondes de silence.

Quelqu’un comme Freeman qui prônait le partage, l’égalité et, quelque part, la liberté. Un homme qui ne voulait pas de sang, pas de violence. C’était une vision du monde que l’assassin ne partageait pas. Il était nécessaire d’en passer par une phase d’épuration afin qu’il ne reste plus rien du chiendent de l’humanité. L’homme était gouverné par la peur de la sanction. Mettez une récompense, ils se battront pour l’avoir. Mettez une sentence, ils feront tout pour l’éviter. C’était une vision sombre de l’humanité mais c’était la vision qu’il en avait actuellement. Le pacifisme n’était qu’une utopie. Oh, il aurait aimé y croire, mais de son propre avis, il y aurait toujours besoin de la Confrérie pour maintenir ses pairs dans le droit chemin.

« Des charognards … bien sûr qu’il y en a. Des gars qui profitent des places libres laissées dans le sillon de la Cause. Mais qu’est-ce que je peux y faire ? Le but, c’est de leur faire assez peur pour qu’ils n’y reviennent pas … mais je n’y crois pas. Le véritable succès serait de placer des hommes au cœur méritant à leur place. Que le monde soit gouverné par des sages et des purs. Mais qui l’est encore de nos jours ? » continua-t-il, tordant légèrement sa perception des choses pour s’accorder avec l’homme requin.

Ses envolées lyriques ne résonnaient pas exactement comme il le désirait. C’était un dialogue entre un révolutionnaire fanatique et un marine en proie au doute. Il connaissait déjà la conclusion de ce débat. Non, il ne tuerait pas Craig. Même si ce dernier comptait le trahir, ce serait mettre aux orties les principes de l’assassin. Qu’ils dressent un portrait robot ne l’inquiétait même pas. Ce serait celui d’un mort. Il ne connaissait ni son nom, ni son réel grade. Alors tout compte fait, son compagnon d’infortune n’était pas si dangereux … Et puis il lui faisait presque confiance. Presque. L’alcool, la situation, cet espèce de pressentiment. Il soupira, scrutant une fois de plus les ténèbres.

« Revêtir la peau de la mouette ne change rien. J’ai cru un temps que changer les choses de l’intérieur marcherait, mais ton camp est trop engoncé dans ses privilèges et en a oublié la méritocratie au profit d’une oligarchie sénile. Être révolutionnaire, c’est déjà un sacrifice de base et c’est peut-être ce que ton frère a compris. Mais ne te leurre pas. Nous avons aussi nos tares … raison pour laquelle je m’octroie ce privilège de traquer aussi les miens. Tous sont égaux devant la justice … Il suffit simplement de définir le seuil de l’innocence … et ça serait quoi pour toi, hein ? » demanda-t-il, cherchant à éprouver les limites du requin.

Et qu’est ce qui faisait un innocent aux yeux de Rafaelo ? Question difficile … Quelqu’un de bon ? Pas forcément. D’ailleurs qu’était-ce que le bien, sinon une simple notion de point de vue. A partir du moment où l’on était juge et exécutant, le débat devenait insoluble. Peut-être que c’était une notion d’égoïsme. Quelqu’un qui pensait à lui avant tout avait toutes les chances de devenir l’un de ces coupables. Mais, dans le même temps, était-il devenu assassin pour lui, pour éliminer ces choses qu’il abhorrait, ou pour les autres ? Il n’y avait pas de bonne réponse, seulement de bonnes intentions. Et encore …
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Les innocents. Personne.

J'ai répondu au tac-au-tac, sans réfléchir, comme si la question amenait la seule évidence au milieu de la foule de doutes à se manifester.

N'est pas innocent qui veut. Enterrer la hache de guerre alors que la brandir est si facile dans les temps troubles, c'est... à ça qu'on reconnaît les innocents. Et les naïfs. Ceux qui morfleront.

Les petites âmes à éloigner de la folie des plus grosses. J'ai été un innocent, pendant vingt ans. Couvé par le frangin. Ma coquille a été fracassée brutalement et j'ai bien été forcé d'en sortir, et c'est à moi maintenant de veiller à ce que les caïds ne souillent pas de leurs sales pattes ceux qui ont la chance de vivre leurs fantasmes. Le monde est une cour de récréation. Les persécuteurs en couche-culotte deviennent pirates le sabre entre les dents, car on choisit pas ce que l'on devient. Et c'est dans l'innocence bafouée que mûrissent les pires atrocités. J'en sais quelque chose...

Dommage, il est plus facile de construire un gosse solide que de réparer un adulte brisé. Mais il n'est pas encore trop tard pour moi.

La flamme qui venait de se raviver sous la tempête mute en un véritable brasier que la pire averse de mauvais sentiments n'saura jamais éteindre. Je ne suis pas seul. Ça ne tient qu'à moi d'attraper la main qu'me tendent les rares âmes charitables qui s'arrêtent devant ma condition. Et de leur rendre la pareille lorsqu'ils m'ont hissé hors du gouffre dans lequel j'ai trébuché.

Dur de résister à la tentation. Dur de décider de tracer son propre chemin dans une jungle de convictions dépourvues de balises. Suivre bêtement Tark et Raf ? Hors de question. Il me reste un soupçon d'estime et de dignité qui crépite à la simple idée de m'accaparer, de voler les désirs et les passions des grands gens. J'ai choisi la route vertueuse, la plus tordue, la plus vicieuse, celle qui s'enfonce dans les bois obscurs et fallacieux. Et je porte trop d'égoïsme dans ma p'tite tête, ça m'empêche de m'lancer à fond dans la construction d'ce monde que j'rêvais, tout petit. Trop d'occasions de regretter, de maudire, de pester, de haïr, autant de temps gâché à moissonner des déchets alors que je pourrai cultiver les juteux fruits de l'espoir et des idéaux.

Mon heure viendra. Mon heure de briller. De rayonner depuis l'ombre. Je me fourvoie pas, j'serai pas acteur principal. Jamais. Et je m'en cogne. Être celui qui façonne les décors de la pièce, c'est tellement plus grisant et fécond.
Même une faible lueur brille de mille feux dans l'obscurité. Je me le suis déjà dis, ça. Se croire enchaîné à vie aux coups durs, c'est se résoudre à les laisser perpétuer leurs sévices. Dans l'esprit révolutionnaire, il y a ce désir de briser ses propres chaînes en plus de celles des autres. Et de se construire un nouvel espoir là où le précédent a été rasé.

J'me sais vulnérable, plus que jamais, au blabla d'un gourou qui a du en convertir de bien plus sourds que moi. Je recherche l'héroïsme éperdu de ces grandes causes qui dépassent de loin l'individu et sa petite coquille égoïste. C'est d'une cruauté romantique, d'un pathétisme touchant. Pas de repos sinon dans la mort ? Toute l'histoire de ma vie ! J'me retrouve en ses confessions. La Révolution atteint plus aisément les coeurs de ceux qui sont eux-mêmes révolutions. La paix n'a jamais été une option. Pas tant qu'les injustices froisseront mon coeur, pas tant que mes propres palmes me révolteront, pas tant qu'je n'abandonnerai pas. Mes convictions. Mes convictions. Me suffisait d'me pencher pour les retrouver, finalement.

Tout va pas si mal finalement. On existe, et on est pas les seuls à croire que le monde mérite d'être sauvé.

Une bouffée d'espoir, ouais, dans le lourd air vicié de la mélancolie. Merci Raf.
J'ai la cervelle qui m'coule encore par les oreilles, mais j'sens que même dans son naufrage dans l'alcool, j'avais l'esprit assez alerte pour retrouver pied. Il me suffisait peut-être que d'une rencontre pour me guider, une parlote qui fasse tremplin pour m'offrir un meilleur panorama.

J'redresse mon dos recroquevillé par la mélancolie, j'laisse un sourire franc prouver que j'suis plus fort qu'un poiscaille à l'agonie frétillant sur la terre ferme. Un sourire qui prouve que je m'en remettrai.
Je ne suis pas seul à m'accrocher aux rêves emportés par les vents.
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On existe. Oui. C’était un fait. Mais était-ce suffisant ? La réponse était évidente. Bien sûr que non. Le problème de la Confrérie c’était qu’elle s’attardait bien plus sur les symptômes que sur les nids infectieux. Les nids étaient … inaccessibles. Protégés derrière leurs barrières dorées et leurs injustices. Protégés par la Marine, le Gouvernement. Il voulait bien croire que certains puissent être innocents dans les rangs de ses adversaires, mais à partir d’un certain rang, on ne pouvait progresser sans se salir les mains. Lorsqu’on voulait être sûr de son coup, après tout, on plantait des navets. On ne faisait pas de la politique. On en revenait toujours à la même question, celle de l’être. Celle de l’individu. Pourquoi sacrifier sa vie si on n’en avait qu’une seule ? Pourquoi chercher à protéger des personnes qui seraient les premières à vous jeter la pierre, manipulées par les mécènes mêmes qui les torturent ? Parce que c’est juste. Ce n’était pas une réponse acceptable. La justice n’avait rien à voir là-dedans. La bonté d’âme non plus. C’était encore une fois l’égoïsme. La volonté de ne pas avoir à voir d’autres personnes subir ce que lui avait vécu. La vengeance …

« Enterrer la hache de guerre … Comme tu l’as dit, personne n’est innocent, personne ne l’enterrera. Certains penseraient que la peur est le seul levier mais … l’espoir, c’est peut-être une chance. L’espoir que quiconque pense s’élever au-dessus des lois de la raison soit amené à chuter. L’espoir de voir les criminels de tout rang payer leur infamie. Les grands pontes du Gouvernement sont corrompus jusqu’à la moelle. Ils ont tous dû serrer des mains, faire des accords crapuleux pour en arriver à leurs positions, leurs petits sièges. Ils se cachent derrière des ‘promesses’ qu’ils ont faites, des amis qu’ils doivent honorer. Mais la vérité est que ce n’est qu’une raison pour défendre leur égoïsme. » poursuivit l’assassin, agrippant une palanque pour se remettre debout.

Il sonda la cale, écouta le ressac de la marée contre le bois de la coque. Sa nausée s’en était allée. Vomir, c’était repartir. Il inspira profondément, soupira. La vengeance …

« L’égoïsme est un fardeau, même pour moi. C’est ce qui m’a motivé à prendre part au combat, à prendre les armes. Mais aujourd’hui ? Et bien mon désir égoïste va de pair avec ce que je pense être le besoin du plus grand nombre. Et toi, Craig ? T’as l’air de vouloir changer les choses, toi aussi. Je ne dirais pas que tu te trompes de camp, loin de là. Mais si un jour on se retrouve sur le même champ de bataille ? Si on te demande de tuer un couple parce qu’ils ont appris un secret trop lourd pour eux sur ton supérieur ? Tu le feras ? Si on te demande de fermer les yeux contre une promotion, l’accepteras-tu pour pouvoir monter en grade et changer les choses ? Mais dans ce cas, Craig … ne seras-tu pas devenu comme eux ? » poursuivit l’assassin, avant de se racler la gorge.

« C’est l’avantage d’avoir une cause, d’avoir des idéaux. Ceux qui ne les respectent pas n’ont pas à les suivre. Mais toi, toi tu n’as pas peur de devoir suivre ton propre crédo. Tu t’entoures de frères qui partagent ta vision, tu avances dans le courant que toi-même tu t’es fixé. Tu ne t’embarrasses pas de hiérarchie, pas d’apparences. Tu es là pour aider et tu le fais. Voilà ce que ça veut dire être révolutionnaire. Je n’ai pas de foyer, je n’ai pas de famille, je n’ai pas d’or. J’ai la Révolution. Dans mon cœur, dans mon âme. Et toi Craig, qu’as-tu ? Qu’as-tu qui vaille la peine d’être défendu ? » fit Rafaelo, se retournant vers lui et le sondant de ses yeux océan.

Un léger sourire trônait sur les lèvres de l’assassin. Ce discours le remontait également, lui rappelait où se trouvaient ses bases, où son âme se logeait. Il savait qu’il ne pourrait jamais se détourner de cette voix, que jamais il ne pourrait fermer les yeux devant les agissements des Dragons Célestes, de la Marine et du Gouvernement. Il était le couteau du peuple, il n’avait pour désir que celui d’être le plus juste possible. Ses espions étaient ses yeux, ses oreilles. Il écoutait leur voix et infligeait sa sentence. À la fois Juge et Bourreau. Non, le Juge, c’était le Peuple.
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Ce que je défends ?

Il parle de c'qui m'appartient, ou de c'que j'aimerais offrir au monde ? Peu importe. J'ai tellement de rêves innocents à protéger, confinés, tremblants, derrière toutes ces cruelles vérités qui tambourinent à la porte de ma conscience, criant au massacre d'espoirs blessés...

J'avais un foyer, j'avais une famille, j'avais de l'or. Avant. J'suis né avec une cuillère en argent dans la bouche mais des rêves plein la tête, et j'espérais, la malice qui m'permettrait d'les réaliser.

Plutôt... de cristal. Précieux, mais si fragile. Hideusement fissuré dans chaque ventricule, il n'est plus aussi limpide qu'autrefois. J'ai mis à l'épreuve ces convictions, mes convictions, celles de mon frère. Les bons sentiments ne nettoient pas les ghettos de leur merde, on dirait que seul le feu rageur sait purifier. Tendre la palme aux nécessiteux ? Louable, noble, mais dangereux. Il leur arrive souvent de mordre, ou de te tirer par le bras pour te faire chuter avec eux en leur enfer. T'as pas la gueule du bon samaritain, pas le nez d'celui qui s'frayera un passage jusqu'aux idéaux qu'il poursuit. C'que t'obtiens, tu l'as payé, au prix fort, très souvent. T'as tronqué un copeau d'ton âme et l'a refilé aux mendiants.

J'me défends, moi. J'défends ma bienveillance. Fermer les yeux pour une promotion ? C'est contre cette mentalité-là que j'me bats. J'ai pas foi en la justice, qu'elle soit marine ou révo'. La justice est gourmande, perpétuellement insatisfaite. Elle servira toujours la main qui a écrit ses lois, comme une allégeance à sa créatrice. C'que j'aimerais bien changer...
... hm. Ce sont les coeurs.

Et un coeur... Ça se façonne dans la paix. Non ?

Mes mots pâteux s'embourbent dans un marasme somnolent. 'sont mielleux, dégoulinants d'sentiments... d'bons sentiments. J'pensais qu'ils m'avaient fuis. Mais ils sont toujours là. Cool... J'suppose. Ils font partie de moi. Ébranler l'monde par la violence, ça n'le laisserait pas à feu et à sang, un champ de ruines aride et infertile ?
Mais s'emparer de la paix comme d'une arme...

J'dois t'paraître naïf. J'me suis jamais encore vraiment cogné contre la corruption. J'suis qu'un p'tit lieutenant, qu'intéresse personne sinon les quelques gusses qu'il parvient régulièrement à sauver. T'as plus d'influence que moi, une blinde plus de vécu. Tu m'parles de formes immenses dont j'perçois même pas les contours, je...

J'me sens p'tit à côté de toi. Mais j'suis content d'partager ta... passion... même si la mienne... j'la sens s'éteindre.

A cause de...


Ah. Ah. Ha. La fatigue copule avec le pinard. Le gosse bâtard nommé vertige braille en mon crâne migraineux.

... de... du pinard... J'boirai plus. J'boirai plus jamais... Promis...
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« Tu t’y cogneras bien assez vite, à la corruption. Et assez fort, aussi. C’est inévitable … les jeunes marines ont toujours le même discours. Mais t’as pas à te sentir petit, ou quoi que ce soit. Ces formes, je les ai pas découvertes tout seul. J’ai été élevé, formé. Fondu dans un moule d’puis tout gosse. Mon frère et … Enfin, mes frères révolutionnaires. » lâcha-t-il, laissant la douleur fulgurante de l’absence de Cesare lui matraquer de nouveau la poitrine.

Il se racla la gorge, aspirant l’air chargé de la cale. Il sentait les céphalées se faire une place dans son crâne. Les nausées s’en étaient allées mais pas pour le mieux. Il posa deux doigts contre ses tempes et entreprit de masser pour faire circuler le sang. Rien à faire, c’était une migraine due à la déshydratation. Boire la tasse d’eau salée n’avait pas aidé. Il lui faudrait soit se recharger en alcool, soit passer à l’eau pour sauver les meubles.

« Non, non. Ça peut pas s’éteindre. Ça peut que se tuer. Perdre son éthique, sa capacité à raisonner. Faut pas perdre ça. Ce cœur, là. Faut que tu le gardes comme ton trésor, que tu le fasses grandir jusqu’à en exploser. Faut rester naïf jusqu’au bout … croire qu’on peut changer les choses pour le mieux. Faut que des gens croient que c’est possible, qu’un monde meilleur existe. Sinon, à quoi bon ? Comment se lever si on a pas d’avenir …

… y’a pas de petits, y’a pas de grands. Y’a que des nous. »
grommela-t-il, raccourcissant ses phrases au fur et à mesure que la douleur s’installait, la garce.

L’assassin se releva péniblement, le dos frottant contre le bois.

« Bon … je crois qu’il va falloir que je te laisse. C’était une soirée sympathique, ça f’sait longtemps. Je t’épargne le ‘t’as rien vu, rien entendu sinon bla bla…’. Faut absolument que je trouve un étau pour l’enfoncer dans mon crâne. ‘fin tu saisis l’idée. » fit Rafaelo.

Il se massa de nouveau les tempes, avançant vers la porte. Il se faufilerait sans mal parmi les gardes dont le tour de garde devait arriver à sa fin. Trouver un petit coin pour rester. Même si Craig lui était sympathique, ce n’était pas une raison pour poursuivre l’aventure. Il y voyait suffisamment clair pour regretter beaucoup de ses paroles. La fraternisation entre les deux camps était rare, et c’était pour une raison bien précise. Mieux valait ne pas commencer à éprouver des sentiments contradictoires à l’encontre de ses ennemis. Un assassin ne devait pas ressentir. Les émotions n’avaient rien à faire dans son jugement. Enfin, tout le blabla habituel. Le crédo qui servait à ne pas se donner mauvaise conscience. En général, du moins.

Il posa la main sur la clenche, puis marqua un temps d’arrêt.

« Si jamais tes doutes persistent, si jamais tu penses que ton combat n’est pas le bon et que tu cherches des réponses, souviens-toi de cette soirée. Je ne peux rien te promettre, mais je peux te garantir que tu trouveras bien plus dans la révolution. Souviens-toi que l’information à laquelle tu as accès est contrôlée et aseptisée : fais-toi ton propre avis, et retrouve-moi. Que ce soit pour me confronter ou pour tes questions. Pour l’heure, je dois tirer ma révérence, tant que j’marche encore droit. » fit-il, avant de tirer dans le mauvais sens.

L’assassin pesta puis ouvrit la porte. Il regarda à droite, à gauche puis il sortit, refermant derrière lui. Craig put entendre ses pas lourds pendant quelques secondes puis plus rien. Suffisamment alerte pour trouver une voie de sortie : c’était tout ce qui comptait …
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Marcher droit ? Hinhin, difficile dans ce monde qui part de traviole. J'le regarde s'en aller sans trop broncher, seulement en hochant cette lourde caboche péniblement, façon poupée glauque. Mes paupières semblent attachées à des enclumes : s'affaissent lourdement sur mes mirettes vitreuses, et mon esprit me quitte malgré l'ouragan qui tape sourdement sur l'extérieur de la coque. J'm'en veux énormément d'avoir trop bu, d'avoir osé touché à ce poison alors que j'm'étais toujours refusé de sombrer dans cette faiblesse dans mes jeunes années...

J'ferais mieux d'arriver à me traîner jusqu'à dehors, pas être retrouvé là. Dans la cale d'un navire marine. Honte. Débauche. Tristesse tout ça. J'suis même pas en uniforme. Je...

Pourquoi il répond pas ? Mon corps. Chacun de ses muscles est devenu gélatine de vinasse infecte. Mes propres bras ne veulent plus rien entendre des injonctions de mon esprit désemparé. J'suis devenu étranger à mon propre corps. Mon corps. Mon corps ignoble d'engeance sous-marine qui a pris un embranchement contre-nature sur la route de l'évolution. Les hommes-poissons ne connaissent pas le repos.

Mes nerfs court-circuités grésillent. Pulsent d'intenses décharges sous mon cuir qui empêchent un évanouissement salvateur de venir me libérer de cette ultime torture. Les derniers mots de Raf' qui résonnent à travers cette bouillie qui pourrit sous mon crâne. Tu voulais dire quoi par "te confronter". Tu crois que demain j'aurai retourné ma veste ? Tu crois que je regretterai de pas t'avoir bouffé ici et là pour satisfaire le reste de mon chenil et aboyer fièrement en recevant une médaille ? Tu crois quoi ?

Je crois en rien.

J'erre sur un océan noir à la recherche d'un phare qui saura éloigner cette pesante nuit...

***

C'est quoi ça ?
CAPITAINE ! ON A UN POISSON ENDORMI DANS LA CALE !
Un poisson ? Bah jetez le !
C'est que... C'est un gros poisson...
Un requin non ?
Hmmf... J'arrive.
Tu crois qu'il est mort ?
Non, il dort. Et il fouette...
La mer et la vinasse. Et la mort.
On a péché un clodo !
Gll... G...
Et il sait parler en plus !
Bon, montrez moi votre prise...
Mais. C'est le lieutenant Kamina !

Vous le connaissez ?
Il a été sous mes ordres pas plus tard que le mois dernier ! Mais comment vous êtes-vous échoué ici ?
Raf... Raf...
Vous puez l'alcool ! Indigne ivrogne ! J'avais tout fait pour lui inculquer un embryon de sens de l'honneur et je le retrouve ici, clandestin nauséabond !
Raf...
Comment ?
C'est votre prénom, ça, capitaine ?
Il aboie ?
Fermez-là !
R-Revo...Hmmmm...
Beh ! Il bave ?!
C'est la révolution qui vous a mis dans cet état, Kamina ?
S'est évanoui. Ou rendormi ?
La révolution enlève des marines pour les faire picoler ?
Où est-ce qu'il s'est fait kidnapper à votre avis ?
C'est loin ?
Vous allez avoir beaucoup de choses à me confesser à votre réveil, jeune traître...
Vous le condamnez pas un peu vite, là ?
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