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Les trois Alphas

Spoiler:

Ω T'en as chié dans ton calbut, mon poussin.

Ouais, c'est vrai, ça on peut pas te l'enlever. J't'ai vu te faire suriner un paquet d'fois par des margoulins que t'avais crus moins forts. T'faire cogner sévère, comme une vieille rosse en rade dans un fossé. J'compte pas les nuits où j't'ai vu baigner dans ton jus, mec. Où j'ai attendu à m'demander si ma dette allait s'solder sur un coup dans les bourses de trop, ou sur une balle bien alignée sur ton palpitant. On est tous les mêmes, dans le fond, frangin. On prend cher, on feule, on encaisse, on s'relève par bravade et on sait qu'un jour, ça s'ra pour s'ramasser la der des ders. Celle qui nous expédiera tout droit jusqu'en enfer sans passer par la case purgatoire, parce que, mon pote, parce qu'on vaut cent mieux que ça. Que de traîner nos pattes dans la masse des bons et des mauvais.

T'as morflé dans ta chair et t'as craché le sang de ton mou.

Des fois, j'te jure que je m'suis demandé si tu le faisais pas un peu exprès de te foutre dans des merdiers pas possibles. J'ai cru qu'on était du même sang d'Alpha, aussi. Qu'on était deux à construire un peu notre propre mort, à chercher notre propre charogne histoire d'en laisser la jouissance à personne. Mais non, t'as jamais fait ça comme ça, toi. T'as pris des branlées pour manger ton steack, pour protéger des branlots ou des marmots, des fois pour défendre c'que t'avais gambergé entre tes deux oreilles, et qu'tu prenais pour la justice ou la vérité. C'est peut-être des machins de branque, tout ça, mais pour l'reste, j'dois dire que plus d'une fois, j'ai été fier d'avoir une dette envers un guerrier tel que toi. Frère dans la guerre.

T'as tout dépassé, tu t'es jamais laissé bouffer par ton corps, même pas quand il se f'sait broyer vif.

Sa race, ouais, y'en a qui se s'raient couchés des dizaines de fois à ta place, qu'auraient supplié qu'ça s'arrête, que l'destin et son armada d'pantins arrête de t'tomber d'ssus comme la misère sur le pauvre monde. Mais t'es toujours resté debout, prêt à mordre ou à crier ton nom pour être bien sûr de toujours t'en rappeler. La fièvre qui brûle, la chiasse qui vide, les coups qui fracassent, les 'teilles pétées et les surins qui t'écorchent un bonhomme à chaud. T'as porté les souffrances de trois vies en pas la moitié d'une, Sören.

Et t'as pas changé.

Parce qu'être un Alpha, c'est pouvoir tout dominer.
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φ Tu as souffert jusqu'au plus profond de ton cœur, Sören.

Des déchirements, tu en as vécu tellement que nombre d'hommes se seraient jeté à la mer avec une pierre attachée au cou pour ne plus jamais souffrir. Oui, ils se seraient laissé entraîner et dépasser par toute cette misère, cette peur d'endurer encore et encore sans même avoir le temps de souffler, de reconstruire du plein sur du vide.
Mais le suicide, pour un homme tel que toi, ça n'a jamais été une option. Pas même une pensée. Est-ce que j'ai tort, compagnon ?

Pourtant, la nuit, tu en rêves encore.

Des chats massacrés sur l'île du Loupiac devant tes grands yeux d'enfant, des paysans tués injustement sur Patland, de la catastrophe de Goa, du contact des cadavres entre tes bras sanglants quand tu t'en allais enterrer ceux que tu n'avais pas pu sauver du boucher d'Eskim. De ta rage au cœur en pleine bataille, du feu dans ta bouche quand l'issue d'un combat dépend encore de toi et de ta verve, de ton espoir de t'en sortir alors qu'au fond, tout est vain et que chacun retourne à son état premier. Nourrisson, jeune plein de projets et d'étoiles dans les yeux, adulte posé ou perdu, vieillard malade ou encore vaillant ; chat, homme ou esclave ; pour tous, il y a une même fosse commune et une seule grande horloge.

Tu as été triste, et plusieurs fois je t'ai vu ployer sous le fardeau du monde.

A te demander à quoi tout cela rimait ; à caresser mon pelage fauve pour te consoler de ce que la vie était rude et froide ; à t'efforcer de trouver de petites bribes de bonheur dans les petites choses, sans pour autant renoncer aux grandes. Une bière en terrasse, et le sentiment de ne pas avoir gâché son existence en cédant au poids de la douleur et de la honte. A ne devenir plus rien d'autre que le jouet de la colère, du ressentiment, de la haine. Le jouet des enfants de la souffrance, compagnon.

Tu as toujours su rester probe. Fidèle à toi même et droit dans tes intentions. Et pourtant, ta vie n'a jamais été de celles qui permettent d'oublier ses envies d'aller faire sauter un port, une banque ou bien sa propre cervelle. Et tu n'as jamais rien voulu abandonner de tes projets, même s'ils étaient fous et ne te conduisaient que de désillusions en désillusions.

Parce qu'être un Alpha, c'est pouvoir tout surmonter.
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Vrai qu'la vie a été pute 'vec moi, et qu'plus d'une fois, j'ai voulu rengainer l'pétard.

Mais si certains rêvent d'une vie tranquille et sans histoire, j'avais rêvé d'la grande aventure. Et y'en a bien pour s'dire qu'il vaut mieux tout accepter et s'prosterner devant n'importe quoi pour mériter une femme, un job fixe, des mômes aux têtes blondes et un bon chien fidèle.
A chacun sa peine, ça m'a jamais tell'ment fait bander. J'avais besoin du crachin glacé sur ma peau l'hiver, de l'odeur de la mer à m'en saturer l'ventre, puis de toute la violence et la haine de la vie contre moi, si fallait passer par là pour la mériter un peu, rien qu'un tout p'tit peu. La liberté.

J'veux être le seul maître à bord. C'tait ça, mon plan. Puis, il a jamais changé.

J'ai mordu dans l'existence comme dans une tartine de merde. J'ai toujours voulu bien faire, mais comme j'avais fait une croix sur l'seul moyen d'vivre en f'sant semblant, beh j'ai tout ramassé c'dont les autres voulaient pas trop. L'isolement, l'angoisse, la faim, la peur, la haine, la souffrance, les regrets, les deux cents araignées dont parlent les chanteurs de rue dans leurs textes sur c'qu'il y a d'plus dur à supporter sur terre et sur mer. Ouais, non. Vraiment pas, pourtant. Pas d'femme, et pas d'enfants. Juste moi, et en face de moi, le monde. On s'regarde dans l'blanc des yeux, et on rigole ensemble quand on s'montre pas les crocs.

J'sais pas trop si ça rime à que'qu'chose, non, mes chats. Mais c'que j'sais...

C'est que j'suis toujours en vie, toujours debout et qu'j'ai encore la force de sourire. Que là, tout au fond d'mon cœur, y'a un truc qu'a jamais arrêté de battre même quand j'croyais qu'j'allais mourir sous les coups, ou m'foutre au mouillage prolongé après en avoir trop donné. Mais non, non. Souffrir, c'est pas juste souffrir. C'est savoir qu'on est fragiles, que c'est dur de penser et de s'souvenir d'qui on est avec une balle logée dans l'épaule. Qu'on va tous y passer un jour, qu'on soit Toji Arashibourei ou Paul Personne. A chaque fois que j'me prends un coup, j'me rappelle. Et j'me rappelle aussi qu'j'ai un devoir par-rapport à cette mort qui m'suit et qu'attend que j'fasse le faux pas.

J'veux lui faire comprendre à quel point j'l'emmerde. A quel point elle pourra jamais m'voler c'que j'ai fait d'moi, malgré toutes ses tentatives pour m'écraser, me ramener au point zéro. Faire de moi un cadavre qui marche, un bonhomme qui s'plaint juste parce qu'il sait être rien d'autre que ce qu'il a l'habitude de se ramasser dans la gueule. J'suis pas une douleur ; j'suis pas un macchab' ; j'suis pas un souvenir destiné à être bouffé par le temps et l'oubli.

J'suis Sören Hurlevent. Y'en a jamais eu qu'un seul comme moi, et même si j'laisse personne derrière moi, ma vie aura eu la gueule que j'voulais lui donner. Et l'monde m'aura jamais fait aller dans son sens à lui.

Être une brèche et une p'tite lumière alors que tout fout l'camp et qu'ça fait mal dans le corps et dans la tête. Rigoler face au bourreau, lui choper sa hache pour finir son boulot sans coup férir, s'il le faut.

Parce que v'là c'que c'est vraiment qu'd'être un Alpha : pouvoir tout endurer.
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