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"Là où les pièces manquantes manqueront à jamais"

Hé.

Vous avez une sorte de désespoir hystérique dans votre rire.
 
Ça doit être ça. Un désespoir hystérique. Mais je comprends pas d’où il vient. Je comprends pas d’où il me vient. Je comprends pas ce qu’il veut dire. Parce qu’importe où je regarde, qu’importe où se posent mes yeux, j’ai l’impression que rien n’a changé. Que rien ne peut changer. Dans ce monde presque parfait que je me suis créée, tout est à sa place.
 
Oui,... Voilà.
 
Tout est à sa bonne place. Absolument tout. Comme toujours. Le fauteuil près de la cheminée, et elle, sur le tapis, à jouer avec ses peluches. Ton cigare dans le cendrier et elle, ses petits rires d’enfants lorsqu’elle me court dans les jambes. Ton air fatigué et ses caprices. Tes journées éreintantes et les miennes avec elle. Tu crois que c’est ça le bonheur ? ça a l’air d’y ressembler. Je crois que c’est elle qui fait tout ça, car même toi, quand tu la regardes, tu as l’air mieux. Moins éreinté. Moins pris. C’est ton rayon de soleil, ta petite boule de bonheur.
 
C’est la mienne aussi. Sans elle, je ne serais personne.
 
Et maintenant qu’elle est là, tout prend un sens. Je pourrais serrer entre mes mains sa peluche pendant des heures. Sans m’en lasser. La regarder dormir paisiblement jusqu’à l’aube. Je pourrais m’épuiser à lui courir après si ça pouvait lui permettre de rire encore.
 
Son sourire, je le vois toujours. Il est inscrit, durablement. Ses petites pommettes, ses joues rougies et dodues, ses cheveux mi-longs et tout frisés qui s’emmêlent d’eux-mêmes. J’ai l’impression qu’on peut rien y faire, à ça. Elle tient de moi, pas vrai… Elle tient de moi. Comme ce petit caractère qu’elle a déjà.  Comme ces airs d’enfant qui se veut déjà grand, en pensant que la vie d’adulte, c’est un truc bien. Elle ne sait pas encore que les adultes haïssent leurs vies. Et c’est leurs enfants qui leurs permettent de rester debout. Elle a un don, tu sais ? Tout ce qu’elle touche, elle lui donne du sens. Chaque histoire qu’elle se raconte sur la table du salon semble plus vraie que la vie même.
Elle l’est. Elle. Plus vraie que la vie. Plus vraie que tout. Elle est la vérité de ce monde, une beauté sans égale. Une de ses merveilles. Un trésor sans égal.
 
Comment c’est possible de faire un être comme elle ? Comment j’ai pu réussir à faire ça, dis ?
 
Elle est là. Elle est toujours là.
 
Alors... Je ne comprends pas d’où vient le désespoir de mon rire.
 
Lorsque je ferme les yeux, tout est à sa place. Elle sur son tapis, en train de jouer sur la table du salon. Ton cigare mal éteint se consume toujours dans le cendrier à côté. Je te dispute, pour te dire de faire attention, elle pourrait se bruler. Je suis toujours derrière ma cuisine et je prépare ton repas. Tu râles sans même me regarder. Et tu joues avec elle, comme chaque soir, une cigarette coincée entre tes dents. Tu as l’air bien, avec elle. Tu as l’air mieux. La fatigue te quitte, assez longtemps pour que tu te perdes dans son jeu.
Lorsque je ferme les yeux, je sens l’odeur des légumes que je prépare, je sens la lame de mon couteau qui passe entre mes doigts, qui s’enfonce dans la chair de ce que je tiens. Je sens le soleil qui tombe mais qui tiens. Je sens toutes ces choses-là. Elles s’ancrent en moi, elles s’ancrent comme pour laisser une marque indélébile. 
Lorsque je ferme les yeux, ces choses-là se font moins précises. Il ne me reste qu’un sentiment global. Qu’une odeur. Qu’un souvenir. Il ne me reste pas grand-chose.
 
Lorsque j’ouvre les yeux,…


Dernière édition par Michaela Hope le Mer 26 Juin 2013 - 0:44, édité 2 fois
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Le vide.
Le noir.
Le rien.

Pas une trace d’elle. Seulement une rancœur qui nait de tous ces souvenirs oubliés. Plus de traces d’elle. 
Seulement la fumée que tu laisses derrière toi, qui s’estompe lorsque je veux la remonter. Plus de piste. Seulement cette profonde solitude que je sors de dieu sait où. Je ne connaissais pas. Je ne savais pas ce que c’était que d’être seule. Ce cocon dans lequel j’ai grandi, puis que j’ai créé, était mon seul repère dans ce monde de merde. Il n’y avait rien que ça, et pas de violence. Qu’un petit bonheur dans une bulle que tu as crevé. Tu m’apprends à vivre sans elle. Et je te hais. Du plus profond de moi, du plus profond dont je suis capable, je te hais…

Je te hais. Je te hais ! JE TE HAIS !

C’est ce que tu voulais ? C’est ce que tu voulais !

Me réduire à rien, me réduire à ce que je suis maintenant ! Cette boule de colère, cette boule de haine envers la chair de ma chair ! Je rêve qu’à tes souffrances ! J’ai envie de te rendre ce que tu m’as donné, j’ai envie que tu comprennes comme ça me crève ! Comme j’en crève ! Te faire étouffer ton putain de sourire, te faire ravaler cette fierté sur ton putain de visage !

Crevard ! Chien ! Bâtard !

Toi et tes grands airs, toi et tes bonnes manières ! Tes qualités de merde, tes défauts à la pelle ! Ta connerie omniprésente ! Qu’est-ce qu’il t’a pris ? Pourquoi tu m’as fait ça ? Pourquoi tu me l’as enlevé ?! Qu’est-ce que je t’ai fait ?!!

RENDS LA MOI !

Rends moi mon sang, rends moi ma vie ! Rends moi ma chair, rends moi ma fille ! T’avais pas le droit de me faire ça ! T’avais pas le droit de me la prendre !

T’avais pas le droit de me plonger dans la merde de ce monde ! T’avais pas le droit de me faire ça ! T’avais pas le droit de m’arracher ce que j’avais de meilleur, t’avais pas le droit ! J’étais bien ! J’étais bien avec elle, j’étais quelqu’un ! Et sans elle, plus rien n’a de sens ! Et sans elle, je ne suis plus rien !

RENDS LA MOI !

S’il faut que je te trouve, s’il faut que je te tue, s’il faut que j’en crève, je le ferais ! Parce que crois-moi, je n’arrêterai jamais ! JAMAIS, TU M’ENTENDS ?! Jamais je n’arrêterais de te chercher, jamais je n’arrêterais de LA chercher ! Et tu devras me tuer, car sinon, je te tuerais avant.

Sans hésitation.
Sans remords.

Comme ce que tu m’as fait. Rends la moi ! Rends la moi…

Rends la moi…

Pitié…
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Prends ce que tu veux, sans jamais rien donner, jamais.

Tu sais, je donnerais n’importe quoi, là. Vraiment n’importe quoi pour cinq minutes de plus avec elle. J’veux dire, cinq minutes, c’est rien. Vraiment rien. En cinq minutes, on a rien à dire. Rien de bien grand. On refait pas le monde en cinq minutes. Alors, je sais pas. Je me disais, cinq minutes, c’est pas trop, c’est pas assez non plus, mais c’est pas une mauvaise idée.

C’est que cinq minutes.

Qu’est-ce qu’on se dit en cinq minutes ? Qu’est-ce qu’on peut dire ? On effleure à peine l’essentiel. Et l’essentiel, c’est un morceau qu’aurait besoin d’au-moins… Je sais pas… Une heure de chaque vie sur terre. Ça ferait un truc incalculable. Et tu sais que j’en ai besoin. Terriblement. Que sans elle, j’ai un peu tout qui part en live, je sais plus où je suis, je sais pas où j’habite, je sais pas qui je suis. Je sais pas ce que je peux faire, ou pas, et tout ça. J’en ai besoin. Elle en a besoin aussi.

En cinq minutes, je pourrais peut-être lui apprendre à se faire des tresses. Elle aimait ça, quand j’étais avec elle. Elle les trouvait belle. Alors je me disais que, comme je suis sa mère, elle serait contente d’apprendre ça… avec moi. Toutes les deux. Comme avant. Comme sur le tapis du salon où elle jouait avec ses peluches. D’ailleurs… Elle a peut-être besoin de sa peluche, non ? Je l’ai toujours ! Je l’ai gardé ! Elle l’aimait beaucoup, elle n’arrivait pas à dormir sans… Alors… Je pourrais la lui rendre, oui…

S’il te plait ?
S’il te plait…

Je veux juste comprendre ce que j’ai fait de mal… Je veux juste la voir une dernière fois… Et après, je ne sais pas. Après, je te laisserais tranquille, je ne chercherais plus à la voir. Promis ? Non. Je ne peux pas promettre ça. J’ai besoin de l’aimer, tu comprends ? J’ai besoin de continuer à l’aimer… Je veux être dans sa vie, je veux qu’elle soit dans la mienne… Et… Je t’ai dit qu’elle faisait de moi une bonne personne ?

Oui, je te l’ai dit…

Elle est la seule chose qui me rend bien. Elle est la seule personne sur terre que j’aimerais comme ça…

Si elle n’est pas là, qu’est-ce que je vais devenir ? Qu’est-ce que…

Qu’est-ce que je peux faire, sans elle ?

J’en ai besoin…

J’ai terriblement besoin d’elle…
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L’espoir se perd.

Peut-être qu’il s’oublie. Comme les souvenirs. Avec le temps, ces souvenirs ne deviennent que du rien. Avec le temps, ils oublient d’exister. Ils ne sont que de vagues impressions dans un esprit et se réveillent parfois, au détour d’une image, d’une photo, d’une odeur. Vague. Très vague.

Comme moi. Comme moi sans elle. Comme moi, prostrée pendant des jours, à rien vouloir, à rien pouvoir.

Combien de temps dans ce calvaire ? Combien de temps avant que je crève ?

Je pourrais en finir. Ça irait plus vite. J’arrêterais de souffrir. J’arrêterais d’avoir mal. J’arrêterais de me demander ce que je t’ai fait. Pourquoi à moi ? Pourquoi elle ? Pourquoi j’ai mal ? Pourquoi je souffre ? Pourquoi  elle est pas là ? Pourquoi elle peut pas voir ça ? Qu’est-ce que j’ai fait, hein ? Qu’est-ce que j’ai fait… J’arrêterais de me demander où est la partie de moi que tu m’as volé…

J’arrêterais de haïr le monde, j’arrêterais de haïr les hommes. J’arrêterais de pleurer à chaque souvenir oublié. A ceux dont je me rappelle pas. A ceux qui reviendront pas. A ceux jamais créés. A ceux qui m’ont quittés. J’arrêterais de lever mon verre à elle. A elle, toujours elle. J’arrêterais de me noyer dans la bouteille. J’arrêterais de me dire que si je fais pas de connerie, elle m’attendra en rentrant chez moi. Qu’elle sera sur la prochaine île. Qu’elle me reconnaîtra…

Oublie ça, Hope.

Oublie ça, ces histoires, parce qu’elle ne te connait pas. Elle ne se souviendra de rien. Tu n’es qu’une ombre qu’on a rangé dans un placard. Tu ne mérites même pas de chasser le monstre sous son lit.

Tu n’es qu’une infâme merde, et on a bien fait de t’écarter d’elle.
C’est peut-être toi, le monstre sous le lit. C’est toi, l’angoisse de ses nuits.

Faut que t’arrêtes, Hope.

Faut que t’acceptes qu’elle est partie, qu’elle a bien fait. Faut que tu te dises qu’il a eu raison. T’aurais été une mauvaise mère, une mauvaise personne. Tu es profondément mauvaise. Tellement méchante. Tu ne fais rien assez bien. Tu n’as jamais rien fait de bien. Ta vie n’est que le reflet de ce que tu es, échec sur échec, tu es un échec, tu incarnes l’échec…

Accepte juste ce qu’il t’arrive. Tu ne mérites pas mieux. Reprends un verre, ça te passera. Reprends en un autre et noie toi dedans. Peut-être encore un autre, histoire d’être sûr que ça t’achève.

Accepte.

Voilà. Comme ça. Accepte, et peut-être que ça ira mieux après. Peut-être que tu pourras crever tranquille. Sur ton coin de trottoir. Peut-être que t’arrêteras de lutter. C’est ça le plus dur. Lutter. Garder espoir.

Perds. Tombe. Oublie.

Accepte juste.
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Accepter ?

Jamais.
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