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Lion's King



—Mais enfin, grand chambellan, vous avez perdu l'esprit ?!
—Allons, juge suprême, ne soyez pas désagréable. Je vous répète que c'est le seul moyen de contenter la faction belliciste et ainsi nous épargner la guerre.
—Cela est tout bonnement scandaleux ! Jamais un royaume ne s'est livré à ce genre de...
—De toute façon, notre roi a déjà pris sa décision. Aussi, au lieu de nous redonner la signification de modernité, peut-être pourriez-vous profiter de l'occasion pour vous taire. Je crois que cela serait plus sage de votre pa...  
—Comment osez-vous ?! s'écria le juge suprême le regard furibond, les narines fumantes.
—Vous devriez déjà vous estimer heureux que notre roi ait nommé au poste de grand chambellan un être tel que vous. Mais je suppose que privé d'eau, vos branchies vous empêchent de réfléchir correctement. conclut-il, un rictus satisfait imprimé sur ses lèvres.
—CELA SUFFIT ! brailla le chambellan avec assez de conviction pour que règne le silence. Il fit le tour de la table d'un regard dur, rappelant à tous où il se situait à présent dans l'échelon social. Puis, imperturbable, il ajouta.
—POU-MONS ! J'AI DES POUMONS !


Le grand chambellan Cypres n'était pas un homme comme on a coutume de voir. En partie dû à son physique qui partageait d'intrigantes similarités avec la race des hommes-poissons, à commencer par le fait qu'il ressemblait, grossièrement dit, à un mérou qui surmonterait le corps d'un humain comme on l'imagine : deux bras, deux jambes et un ou deux poumons. Certes cela ne faisait pas complétement oublier la tête de merlan du bonhomme et pourtant, que ce soit dans ses yeux globuleux ou la manière d'agiter ses nageoires dorsale et pectorales, il y avait quelque chose de profondément humain chez lui. Difficile de dire précisément ce qui prodiguait cette sensation lorsqu'on voyait son opercule s'ouvrir et se fermer à chacun de ses mots, ou même quand on le repérait de loin, la nuit, ses photophores phosphorescent tachetant les ténèbres d'éclats platinés. Seulement les membres du conseil royal avaient appris à composer avec ce facétieux faciès dans les parages, et les évènements récents n'offraient pas la possibilité de renouer avec l'étonnement mâtiné de dégout que l'on éprouvait d'ordinaire à la rencontre du spécimen. Aussi les quelques blagues quotidiennes passèrent à la trappe ce jour-là, et lorsque le chambellan énonça l'ordre du jour ; ça arrêta très nettement de se gondoler dans l'assistance.


Chacun de ceux qui occupaient les sièges de conseiller au roi étaient des vieux de la veille, catégorie "ceux à qui on ne l'a fait plus" et certains arboraient même un ancien et puissant blason aux armoiries de sa famille qui disait, à peu de choses près, "prière de ne pas faire chier". Il n'y avait que deux moyens d'asseoir ses miches dans un de ces fauteuils rembourrés. Le premier était de naître correctement. Bonne étoile, bon papa, bonnes cuisses, et il suffirait d'attendre le trépas -ou même la sénilité- de feu papa pour prendre un tel avancement. L'autre manière, apparu en même temps que le sacrement du roi en place, consistait à adopter une tête excentrique pour taper dans l’œil du souverain joueur. Si la naissance de Cypres comportait quelques passages obscurs ainsi qu'un banc de mérous, il était de notoriété publique que sa majesté s'était bidonnée trois jours entiers après l'avoir rencontré. Soixante-douze heures que notre grand chambellan nommèrent sobrement plus tard "comment j'ai mis un coup de pieds aux couilles du destin".


Il va donc sans dire que Cypres se démarquait de ses camarades par deux points. Son insignifiance marquée d'abord, puisque étant le seul d'extraction bouseuse, il n'avait ni influence ni pécule et lorsqu'il tapait du poing sur la table c'était non seulement avec le sien mais aussi en espérant qu'on ne vienne pas lui demander de rembourser le marbre. Il se démarquait donc de par le potentiel de rage qu'on lui vouait au sein d'une équipe où les rivalités étaient une tradition et la tentative d’assassinat un moyen de rendre hommage, mais restait également le seul conseiller à mettre dans sa liste d'action à faire la survie de son roi avant le garnissage de ses caisses -qu'il ne possédait même pas de toute façon. Autant dire qu'il ne faisait pas carton plein chez les autres sénateurs et avait beaucoup de mal à s'imposer entre quolibets, pressions et assassins. La seule raison qui empêcha le sénat d'imploser et le royaume de se déchirer à sa promotion fut qu'un poing tapa sur une table.


Et lorsque Free A. Niji tape sur une table, en général, on ferme sa gueule.




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Le chaland avait répondu présent. Et il l'avait fait avec sa femme, ses gosses et les cousins. Même grande maman avait essuyé sa bave et chaussé ses plus belles espadrilles pour l'occasion. Le roi apparaissait rarement en public aussi cela incitait la foule à réfléchir à deux fois avant de cracher devant la mise souveraine. Puis, même si on se le disait pas forcément, Free avait la côte auprès du croquant. Il avait du charisme, n'inspirait pas le relent gastrique et avait le sourire facile. Mais c'était autre chose qui faisait battre le cœur de la ménagère et, à défaut d'amour, n'exacerbait pas la haine du mari. Un rien indescriptible, indétectable qui se répandait dans l'entourage de Free Premier comme une trainée de poudre, les happait les uns après les autres, embrumait leurs sens, émoussait leurs sensations et lovait une petite boule de bien-être au fond de leur estomac. Il s'agissait du genre d'homme qu'on suivait naturellement et devant qui il était plaisant de s'agenouiller. Beaucoup s'étaient battus pour lui. Certains avaient donné leur vie. Et il n'avait que vingt ans.


Lorsqu'il apparut sur le balcon du palais, la foule s'enflamma instantanément. Des milliers de personnes laissèrent crier leur joie, brandissant le poing le plus haut possible dans l'espoir insensé qu'il le remarque, postillonnant sur son voisin sans rien en avoir à foutre ; il était de bon ton de crier plus fort que le type d'à coté. L'euphorie était telle qu'il aurait suffit de distribuer un casque à chacun pour passer d'une bande de villageois heureux à une troupe de vikings émoustillés.


Il avait le même sourire qu'à l'accoutumé. Celui qu'a un gosse lorsqu'il réalise un exploit devant sa mère. Celui du mourant qui ne regrette rien. Celui que devrait avoir tout roi digne de ce nom. Les crocs blancs du souverain renvoyaient les rayons de soleil de cette chaude journée et les chanceux des premiers rangs devaient plisser les yeux pour espérer distinguer plus de sa personne. Pas très grand, ni très fort, il avait la silhouette élancé du gars de province et son long manteau cramoisi orné d'une fourrure blanche empêchait toute tentative d'exploration physionomique à distance. Pourtant, le jeune adoptait des mouvements félins, vifs, nerveux et sans fioritures. Il contrôlait chaque parcelle de son être pour ne pas arquer un sourcil si cela ne lui était nécessaire. Seul sa tignasse restait indomptable. Elle se mouvait à un autre niveau, ballotant joyeusement dans les airs avec une liberté qu'on avait d'habitude du mal à associer à une chevelure. Mais ces mèches blondes faisaient fi du vent comme de leur point d'attache pour s'ébattre dans le sens qu'il leur seyait et sans se soucier de coller à la réalité. Le jeune Niji pouvait fasciner les foules toute une journée sans qu'il n'ait besoin de parler. Alors quand il se mit à le faire, ce fut en essayant de dominer le tonitruant vacarme de la foule.


—Habitants de Reckon. Je suis né et j'ai grandi parmi vous. Nous avons partagé le même air, la même île et les mêmes sautes d'humeur de la faune locale. Maudits raton-laveurs. Alors pourquoi suis-je roi ? Pourquoi êtes-vous sujets ? Qu'est-ce qui fait que je mérite de me tenir là plus que n'importe lequel d'entre vous si ce n'est grâce aux anciennes actions de mon vieux papa ?


Il marqua une pause et les péquenots décrièrent d'un coup quand ils comprirent que Free attendait réellement une réponse. Les démonstrations d'affection s’arrêtèrent net tandis que les rides de réflexion se creusaient sur le visage des plus près. Un homme noyé dans la foule eut l'esprit plus vif ou la langue plus téméraire que les autres et gueula sa réponse "la couronne". Malheureusement il eut un surplus d'entrain et se mordit finalement la langue. Son voisin se jeta alors sur l'occasion et cria sa réponse sous le regard choqué de l'homme à la coordination buccale foireuse.


—Hum ? Une couronne ?  


Free se fendit d'un sourire. Il balaya la foule du regard pendant quelques secondes, puis saisit rapidement sa couronne et la lança sans un regard. Si les conseillers firent la gueule, les villageois oublièrent de réagir devant l’excentricité de la scène. Elle atterrit finalement dans les mains d'un badaud qui l'attrapa comme on attrape un œuf. En espérant ne pas la briser. Le citadin resta interdit de longues secondes et quand finalement son cerveau assimila ce qui venait de se passer, il brandit la couronne fièrement et s'époumona autant que ce fut pulmonairement possible. Les autres suivirent.

—Dans une semaine se tiendront les élections qui décideront qui sera votre nouveau roi ! Les candidats ne pourront pas voter mais chaque homme, chaque femme est libre de se présenter. Il n'appartient qu'à vous de choisir qui vous gouvernera.

Un dernier sourire.

—On se revoit dans une semaine.





_________   6 jours plus tards    _____________



—Sire !
—Oh ? C'est vous grand chambellan ?
—La situation est grave, comme nous le pensions...
—Et comment avez-vous trouvé ces algues alors ?
—Succulentes, mais nous avons des soucis plus urgents. C'est à propos des élections.  
—Ne faites pas attention au jokari, je vous écoute.  
—Eh bien il semblerait que tout le monde se soit présenté dans le royaume.
—Hum. Ça, c'est problématique...
—Toutefois...

Free arqua un sourcil.

—Il semblerait qu'il y ait actuellement deux étrangers sur l'île. Un certain Bob Ronchon et un autre du nom Ping Nam Tong.