Je crois pas que c'était une si bonne chose, finalement, tu sais, Adrienne... Je me suis raccrochée à ton image avec toute la force de ma foi nouvellement reçue, alors que j'avais pas même compris ce que ça impliquait. Toi, tu as amené la paix dans ton sillage, autant que tu as pu. Mais moi, je n'ai su que semer un peu plus de destruction sur un terroir déjà peu fertile. Tu dirais que j'ai juste péché. Mais moi, je dis que j'ai échoué. Et même pire. Que j'ai trahi ma propre cause par ignorance. Ouais. Voilà.
Des trucs, j'en ai lu. J'ai tout fait pour la contre-balancer, cette putain d'ignorance. Les philosophes, les romanciers, les mystiques, tous les bouquins où y'avait le mot « Dieu » dedans, je prenais. Je lisais. Je me suis dit que Robb venu m'apprendre à lire, c'était une bénédiction, c'était ce que Tu voulais. J'avais complètement oublié à quel point l'absurde, c'était la vie. Ou la vie, tissée dans l'absurde. Un peu comme le Grey T. Le monde peut être vu comme une vaste décharge à ciel ouvert, avec son lot d'insectes rampants qui cherchent à y trouver quelque chose de bon. Et son lot de grouillants, aussi, qui étouffent juste un peu plus la merde sous la merde.
Mais qu'est-ce que tu veux. Quand t'as que ta gueule, et ta conviction, tu finis par te renfermer sur toi. C'est pas les rares séjours dans les couvents qui allaient me remplir de calme et de sérénité, surtout vu l'allure qu'ils avaient. Des maisons de dingues. J'étais sans doute celle qui avait le moins de sang sur les mains, parmi toutes les sœurs. Adrienne, t'étais la seule personne sensée dans cet ordre de fous furieux. Ou alors, c'est moi qui déraille vraiment, vraiment, vraiment.
-Ma'moiselle ? J'vous sers quoi ?
-Scotch, avec de la glace.
J'évite de boire, d'habitude. L'alcool, je sais que ça me rend violente. Mais juste un seul verre, juste pour m'éclaircir un peu la vue... Je le ferais durer et j'en reprendrais pas. De toutes façons, l'ordre me laisse pas assez d'argent pour me payer des cuites à répétition. Heureusement, manquerait plus que ça.
Une petite île tranquille pour matelots retraités. Voilà ce qu'est Valhala. Quand le patron revient me donner mon scotch, il sourit, sifflote, balance négligemment son torchon pour chasser une mouche. On voit à son sourire que jamais personne n'a trucidé personne, entre ses murs à lui. Il vit sa bonne petite vie en bourgeois, heureux. Il se soucie que peu du jeune forban paranoïaque, vil par principe et destructeur qui viendrait bien, tôt ou tard, provoquer un génocide dans son établissement. Ça, je l'avais lu quelque part. C'était comme une loi physique. Les petites tavernes sans histoires finissaient toujours par connaître un drame mettant en jeu des vies, de l'argent et de l'honneur mal gagné.
Mmh.
Bon. Ça me dit pas ce que je vais faire. L'ordre, ça a été mon seul guide depuis Julius, et depuis le jour où l'œil du monde a décidé que je devais un peu plus me fier à lui. Sauf qu'au quotidien, même si c'est bien d'avoir des principes, c'est pas possible de se passer des autres. Tout le problème, en deux mots : que faire ? Que faire, pour agir en juste ?
La Juste Violence, c'était pas une bonne solution. J'ai souvent été violente, mais jamais vraiment par justice. Un coup, c'était un con qui avait trouvé le moyen de chier sur mes principes. Ça, j'aime pas. Une autre fois, on m'avait volé toutes mes affaires. J'ai cassé des gueules pour tout récupérer, et le soir même, mon livre de chevet est venu m'en faire le reproche.
Ouais, mes bouquins à moi, ils m'engueulent. Sur le coup, j'ai envoyé celui-là contre le premier mur venu. Parce qu'il avait raison. J'avais sacrifié mon calme pour aller récupérer trois fringues et une poignée de berrys. Et une fois lancée, j'avais joué les ouragans. Les trognes, je les ai pas juste défoncées. Je les ai hachées au cutter. Et j'ai poussé le vice jusqu'à trancher les mains qui avaient volé. J'avais lu ça dans un autre livre. Sur le coup, j'avais trouvé ça con, mais à croire que ça m'avait un peu inspirée.
-Et vous venez d'loin comme ça, m'amoiselle ? Voyagez toute seule ?
-Oh non, ça fait longtemps que je suis sur South Blue.
-Vraiment ? Pardonnez, mais je serais bien curieuse de savoir c'que vous faites de beau, pour venir par ici. C'est qu'les navettes sont rares.
-J'ai un petit voilier au port. Si c'est ça qui vous inquiète, je ne suis pas une criminelle.
-Ah, ça, jamais je me serais permis !
-Dans ce cas, pas de problème.
Je suis cassante, et je le sais. Désolée, mais j'ai besoin de passer un peu de temps avec moi-même. En plus, t'as des clients. Même un vieux, le genre croulant qui vient d'entrer. Une goutte entre deux crises de goutte, des fois que ça puisse contrecarrer le mauvais sort. La bonne goutte contre la mauvaise, qui gagnera le match ?
Ah, mais non. Lui aussi, il a décidé de porter son intérêt sur autre chose que le comptoir, on dirait. Bordel, ça empeste le graveleux et la vieillesse lubrique, d'un coup.
Je le regarde, le voilà qui bave. J'ai bien envie de la lui faire ravaler, mais...
Ouais, et en plus, j'ai déjà donné. Donc...
Bon, donc faut pas s'énerver. Courage Serena, c'est juste un gentil papy un peu perdu qui a des emmerdes avec la ménopause de sa gonzesse. On souffle, et on fait l'effort.
-Oui, bonjour ?
Des trucs, j'en ai lu. J'ai tout fait pour la contre-balancer, cette putain d'ignorance. Les philosophes, les romanciers, les mystiques, tous les bouquins où y'avait le mot « Dieu » dedans, je prenais. Je lisais. Je me suis dit que Robb venu m'apprendre à lire, c'était une bénédiction, c'était ce que Tu voulais. J'avais complètement oublié à quel point l'absurde, c'était la vie. Ou la vie, tissée dans l'absurde. Un peu comme le Grey T. Le monde peut être vu comme une vaste décharge à ciel ouvert, avec son lot d'insectes rampants qui cherchent à y trouver quelque chose de bon. Et son lot de grouillants, aussi, qui étouffent juste un peu plus la merde sous la merde.
Mais qu'est-ce que tu veux. Quand t'as que ta gueule, et ta conviction, tu finis par te renfermer sur toi. C'est pas les rares séjours dans les couvents qui allaient me remplir de calme et de sérénité, surtout vu l'allure qu'ils avaient. Des maisons de dingues. J'étais sans doute celle qui avait le moins de sang sur les mains, parmi toutes les sœurs. Adrienne, t'étais la seule personne sensée dans cet ordre de fous furieux. Ou alors, c'est moi qui déraille vraiment, vraiment, vraiment.
-Ma'moiselle ? J'vous sers quoi ?
-Scotch, avec de la glace.
J'évite de boire, d'habitude. L'alcool, je sais que ça me rend violente. Mais juste un seul verre, juste pour m'éclaircir un peu la vue... Je le ferais durer et j'en reprendrais pas. De toutes façons, l'ordre me laisse pas assez d'argent pour me payer des cuites à répétition. Heureusement, manquerait plus que ça.
Une petite île tranquille pour matelots retraités. Voilà ce qu'est Valhala. Quand le patron revient me donner mon scotch, il sourit, sifflote, balance négligemment son torchon pour chasser une mouche. On voit à son sourire que jamais personne n'a trucidé personne, entre ses murs à lui. Il vit sa bonne petite vie en bourgeois, heureux. Il se soucie que peu du jeune forban paranoïaque, vil par principe et destructeur qui viendrait bien, tôt ou tard, provoquer un génocide dans son établissement. Ça, je l'avais lu quelque part. C'était comme une loi physique. Les petites tavernes sans histoires finissaient toujours par connaître un drame mettant en jeu des vies, de l'argent et de l'honneur mal gagné.
Mmh.
Bon. Ça me dit pas ce que je vais faire. L'ordre, ça a été mon seul guide depuis Julius, et depuis le jour où l'œil du monde a décidé que je devais un peu plus me fier à lui. Sauf qu'au quotidien, même si c'est bien d'avoir des principes, c'est pas possible de se passer des autres. Tout le problème, en deux mots : que faire ? Que faire, pour agir en juste ?
La Juste Violence, c'était pas une bonne solution. J'ai souvent été violente, mais jamais vraiment par justice. Un coup, c'était un con qui avait trouvé le moyen de chier sur mes principes. Ça, j'aime pas. Une autre fois, on m'avait volé toutes mes affaires. J'ai cassé des gueules pour tout récupérer, et le soir même, mon livre de chevet est venu m'en faire le reproche.
« On a versé ton huile, on t'a dérobé ton vin ? Dis sur tout cela, c'est à ce prix qu'on vend la tranquillité, c'est à ce prix qu'on vend la liberté. On a rien pour rien. »
Ouais, mes bouquins à moi, ils m'engueulent. Sur le coup, j'ai envoyé celui-là contre le premier mur venu. Parce qu'il avait raison. J'avais sacrifié mon calme pour aller récupérer trois fringues et une poignée de berrys. Et une fois lancée, j'avais joué les ouragans. Les trognes, je les ai pas juste défoncées. Je les ai hachées au cutter. Et j'ai poussé le vice jusqu'à trancher les mains qui avaient volé. J'avais lu ça dans un autre livre. Sur le coup, j'avais trouvé ça con, mais à croire que ça m'avait un peu inspirée.
-Et vous venez d'loin comme ça, m'amoiselle ? Voyagez toute seule ?
-Oh non, ça fait longtemps que je suis sur South Blue.
-Vraiment ? Pardonnez, mais je serais bien curieuse de savoir c'que vous faites de beau, pour venir par ici. C'est qu'les navettes sont rares.
-J'ai un petit voilier au port. Si c'est ça qui vous inquiète, je ne suis pas une criminelle.
-Ah, ça, jamais je me serais permis !
-Dans ce cas, pas de problème.
Je suis cassante, et je le sais. Désolée, mais j'ai besoin de passer un peu de temps avec moi-même. En plus, t'as des clients. Même un vieux, le genre croulant qui vient d'entrer. Une goutte entre deux crises de goutte, des fois que ça puisse contrecarrer le mauvais sort. La bonne goutte contre la mauvaise, qui gagnera le match ?
Ah, mais non. Lui aussi, il a décidé de porter son intérêt sur autre chose que le comptoir, on dirait. Bordel, ça empeste le graveleux et la vieillesse lubrique, d'un coup.
Je le regarde, le voilà qui bave. J'ai bien envie de la lui faire ravaler, mais...
« Si quelqu'un livrait ton corps à la discrétion du premier venu, tu en serais sans doute très fâché. »
Ouais, et en plus, j'ai déjà donné. Donc...
« ... et lorsque toi-même, tu abandonnes ton âme au premier venu, afin que s'il te dit des injures, elle en soit émue ou troublée, tu n'en rougis pas ? »
Bon, donc faut pas s'énerver. Courage Serena, c'est juste un gentil papy un peu perdu qui a des emmerdes avec la ménopause de sa gonzesse. On souffle, et on fait l'effort.
-Oui, bonjour ?