Ce fut le plus court de mes voyages. J'avais jamais rencontré de si bonnes conditions de météo jusqu'à maintenant. On aurait dit que pour une fois, les éléments étaient de mon côté, comme s'ils avaient voulu que j'arrive sain, sauf, et le plus rapidement possible jusqu'à cette île. Mais ça ne me dit rien qui vaille. Hé. Je suis réaliste. La devise chez le destin, c'est un prêté pour un rendu. J'me sens con à penser comme ça vis-à-vis de la météo, mais sérieusement, je m'attendais au pire sur cette île. Parce que la mer avait été calme, mais vraiment calme. Pas une vague plus haute que l'autre ou une écume déplacée. Le vent avait été plus que favorable et ma toile précaire qui me servait de voile avait passée la semaine plus tendue que le ventre d'une catin enceinte de douze hommes différents. Mon compagnon de Cormoran avait trouvé une drôle d'astuce pour attraper plus de poissons. Une astuce consistant à mettre au bout de l'hameçon un autre morceau de poisson. Et la guivre ainsi pêchée nous avait fait la semaine. Et même mon feu avait tenu tout ce temps grâce à un tonneau qui flottait pas loin de nous et qui m'a servi de combustible. Non, je sais que cette chance ne durera pas. Je crois pas en la chance.
Je passe mes doigts sur la poche de ma chemise où reposent les armes de mon crime, mes dés pipés. J'enfile une veste pour me protéger du vent frais qui se lève et écrase ma cigarette dans le feu qu'il faudra que j'éteigne. Mais pas tout de suite. Il chauffe encore. Au loin, j'peux voir l'arbre gigantesque de la Connaissance qui croit alors que j'm'approche inexorablement de cette île. Comme si c'était un phare. Comme si j'étais un moustique. Je souris, flatte l'encolure du Cormoran d'un geste mécanique et me rallonge en maudissant d'avance ma destinée et ce qu'elle a prévu pour moi. Histoire de rester en bons termes. Hé.
...
J'ai réussi à revendre mon reste de barque à un navire marchand. Un à qui il manquait une chaloupe mystérieusement disparue le mâtin même. Héhé. Double gains pour moi. Même si la bouchée de pain pour laquelle j'ai vendu mon tas de planches n'a permis que de nourrir ce con de Cormoran qui bouffe comme douze lui.
J'suis là depuis le matin. J'suis là et j'sais bigrement pas quoi y foutre, sur cette île de scientos. Cette île de libraires. Alors j'me dirige vers cette place qu'il faut visiter au moins une fois dans sa vie. Je sors de la poche de ma chemise mes lunettes qui me feront passer pour un anonyme. Enfin, un anonyme de deux mètres trente accompagné d'un Cormoran bleu. Parfait moyen de passer inaperçu. Je traverse l'une des nombreuses places en nettoyant les verres de mes binocles et me laisse finalement tomber sur un banc qui passait par là. Face à cette merveille de la nature. Pour un gros'arbre, c'est un gros'arbre. Tous les navires qu'on pourrait construire avec ce bois. Et ces villageois qui en ont fait une bibliothèque ! Ça tournait pas rond dans leurs caboches à l'époque. Ils auraient dû le laisser cramer y'a cent ans, ça aurait fait moins d'ombre à la ville. Et peut-être une autre réputation qu'actuellement.
Île de révos un jour, île de révos pour toujours.
Où que je regarde, pas la trace d'un marine. Et dans les ruelles sombres, les recruteurs pour la révo ont remplacé les dealeurs. C'est par là que je devrais commencer, qu'ess't'en penses Cormoran ? Rien, j'm'en doutais. Non non, continues donc de boire à cette fontaine, te préoccupes pas pour moi. J'sens que je vais aller m'en jeter un derrière la cravate avant. Avant quoi ?
Je ressers la veste autour de mon cou et me lève vers l'autre côté de la place où une terrasse est bénie d'un rayon de soleil. Des mômes passent en courant. L'un trébuche à deux pas de moi. Il a pas mal. Sûr qu'il a pas mal, j'viens de vérifier. Il sourit quand je le relève, fais semblant d'être désolé quand je lui dis de ne plus courir comme un fou et rigole en voyant le Cormoran pas loin. Puis il repart. Hé. Je m'allume une clope et il repart galoper comme une antilope avec son collègue visiblement bluffé par ma taille. J'm'en retourne vers la terrasse, j'y commande un godet et finis par frissonner. Au loin, le Cormoran a pris part aux jeux des deux gamins. Je souffle ma fumée avec dédain. Putain de place tranquille. J'sens que je vais pas m'y plaire ici. J'trouve des infos sur la révo et je taille ma route vers le plus loin possible. Le Cormoran s'enfuit en piaillant devant deux espèce de lions qui traversent la place et je me marre. La serveuse revient avec ma note et un petit bout de papier. Vu ses joues roses, j'pense que c'est son numéro d'escargophone. J'la mire de bas en haut. Un joli brin de fille certes, mais je vois son visage et je déchire le papelard avec délectation. Elle repart le visage bas. Désolé gamine, t'as pas le regard qu'y faudrait.
Et puis au coin de la bassine gigantesque qui leur sert de fontaine, un type un peu bizarre est assis là depuis un moment. Et vu comme il regarde les gamins à chaque tour de piste, Cormoran ou pas, il vend pas de la drogue. J'l'ai déjà dit, y'a pas de dealer ici. Alors j'me prépare à finir ma boisson cul-sec et à me lever. Hé. Au diable les livres. Ça me ferait plaisir d'avoir une discussion avec un natif révo, tiens.
Je passe mes doigts sur la poche de ma chemise où reposent les armes de mon crime, mes dés pipés. J'enfile une veste pour me protéger du vent frais qui se lève et écrase ma cigarette dans le feu qu'il faudra que j'éteigne. Mais pas tout de suite. Il chauffe encore. Au loin, j'peux voir l'arbre gigantesque de la Connaissance qui croit alors que j'm'approche inexorablement de cette île. Comme si c'était un phare. Comme si j'étais un moustique. Je souris, flatte l'encolure du Cormoran d'un geste mécanique et me rallonge en maudissant d'avance ma destinée et ce qu'elle a prévu pour moi. Histoire de rester en bons termes. Hé.
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J'ai réussi à revendre mon reste de barque à un navire marchand. Un à qui il manquait une chaloupe mystérieusement disparue le mâtin même. Héhé. Double gains pour moi. Même si la bouchée de pain pour laquelle j'ai vendu mon tas de planches n'a permis que de nourrir ce con de Cormoran qui bouffe comme douze lui.
J'suis là depuis le matin. J'suis là et j'sais bigrement pas quoi y foutre, sur cette île de scientos. Cette île de libraires. Alors j'me dirige vers cette place qu'il faut visiter au moins une fois dans sa vie. Je sors de la poche de ma chemise mes lunettes qui me feront passer pour un anonyme. Enfin, un anonyme de deux mètres trente accompagné d'un Cormoran bleu. Parfait moyen de passer inaperçu. Je traverse l'une des nombreuses places en nettoyant les verres de mes binocles et me laisse finalement tomber sur un banc qui passait par là. Face à cette merveille de la nature. Pour un gros'arbre, c'est un gros'arbre. Tous les navires qu'on pourrait construire avec ce bois. Et ces villageois qui en ont fait une bibliothèque ! Ça tournait pas rond dans leurs caboches à l'époque. Ils auraient dû le laisser cramer y'a cent ans, ça aurait fait moins d'ombre à la ville. Et peut-être une autre réputation qu'actuellement.
Île de révos un jour, île de révos pour toujours.
Où que je regarde, pas la trace d'un marine. Et dans les ruelles sombres, les recruteurs pour la révo ont remplacé les dealeurs. C'est par là que je devrais commencer, qu'ess't'en penses Cormoran ? Rien, j'm'en doutais. Non non, continues donc de boire à cette fontaine, te préoccupes pas pour moi. J'sens que je vais aller m'en jeter un derrière la cravate avant. Avant quoi ?
Je ressers la veste autour de mon cou et me lève vers l'autre côté de la place où une terrasse est bénie d'un rayon de soleil. Des mômes passent en courant. L'un trébuche à deux pas de moi. Il a pas mal. Sûr qu'il a pas mal, j'viens de vérifier. Il sourit quand je le relève, fais semblant d'être désolé quand je lui dis de ne plus courir comme un fou et rigole en voyant le Cormoran pas loin. Puis il repart. Hé. Je m'allume une clope et il repart galoper comme une antilope avec son collègue visiblement bluffé par ma taille. J'm'en retourne vers la terrasse, j'y commande un godet et finis par frissonner. Au loin, le Cormoran a pris part aux jeux des deux gamins. Je souffle ma fumée avec dédain. Putain de place tranquille. J'sens que je vais pas m'y plaire ici. J'trouve des infos sur la révo et je taille ma route vers le plus loin possible. Le Cormoran s'enfuit en piaillant devant deux espèce de lions qui traversent la place et je me marre. La serveuse revient avec ma note et un petit bout de papier. Vu ses joues roses, j'pense que c'est son numéro d'escargophone. J'la mire de bas en haut. Un joli brin de fille certes, mais je vois son visage et je déchire le papelard avec délectation. Elle repart le visage bas. Désolé gamine, t'as pas le regard qu'y faudrait.
Et puis au coin de la bassine gigantesque qui leur sert de fontaine, un type un peu bizarre est assis là depuis un moment. Et vu comme il regarde les gamins à chaque tour de piste, Cormoran ou pas, il vend pas de la drogue. J'l'ai déjà dit, y'a pas de dealer ici. Alors j'me prépare à finir ma boisson cul-sec et à me lever. Hé. Au diable les livres. Ça me ferait plaisir d'avoir une discussion avec un natif révo, tiens.