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Voyage au fond du gouffre

J'ai le cœur qui cogne comme une brute. A m'en faire mal. Je peux pas croire que je l'ai fait, que j'ai vraiment... fouillé le corps de ce type au couteau. Un couteau que j'avais mis du temps à m'offrir, ma petite fierté de travailleuse nouvellement convertie. Avec de jolis motifs floraux sur le manche, et une belle lame en damas. Solide. Elle me durerait des années, je me disais. Les coups de meule marqueraient le fil, elle vieillirait avec moi.

C'est tellement bête. Je peux pas m'empêcher d'y penser alors que j'ai tué un homme. Ça te fait quoi, tu te sens comment ? Vide, atrocement vide. Je sais pas ce qui m'a pris. Mais j'ai comme une lumière qui s'est allumé dans mon crâne, qui l'éclaire d'un feu qui blesse. Mon cerveau a l'air de se déchirer par le milieu, tout juste si je suis capable de rester en place dans ma cachette, tant j'ai envie d'éclater. Moi, ou quelque chose. Quoique ça, c'est déjà fait.

Ça tourne, ça virevolte, ça s'embrouille. Le sourire narquois du dockers sournois par une soirée à chier où j'allais m'emmerder de toutes façons, à moins que je me décide à, mais non, j'avais juré que non, pas la prostitution et puis d'ailleurs, à quoi bon ? Je mériterais d'être broyée de la main d'Adrienne, ou de n'importe quelle justice à la con. Mais y'a pas de justice, y'a que ce sang que j'ai sous les ongles, cette odeur de fer qui m'a déjà fait vomir les topinambours de midi. Dégueulasse ! La rue, moi, la mort. J'en ai marre... Quand est-ce qu'on arrive ?

J'ai buté un mec qui blaguait. Qu'avait une femme et des enfants, un but à sa vie, une dignité. Juste parce qu'il blaguait, que c'était le jour où j'avais vraiment pas envie. Mal à la tête, mauvaise période, énervée contre moi même à cause d'un cauchemar à la con.

C'était quoi, déjà ? Ouais... Une histoire de musiciens sur une place publique. Je voulais savoir la fin. C'était glauque, je savais que ça allait mal finir. Mais je voulais savoir. Et j'ai vu. J'ai traîné au lit jusqu'à onze heures passées pour voir l'un des multiples engrenages pourris de ma cervelle fabriquer des morts. Comme ça, gratuitement. Les bardes se poignardaient entre eux. Je passais derrière pour ramasser les instruments. J'étais triste, et j'étais contente. J'avais plein de cadeaux. Mais le sapin, sur la place, il était rouge. Comme le soleil qui m'avait éblouie à-travers mes volets mal fermés.

Je me suis précipitée sur le quai, comme la fureur. A la bourre. Le gars rigole avec ses copains. Ma gueule, te faire rire ? Viens, j'ai pas peur. Trop lent. Hop, hop, et shhlaaaa !

Et maintenant je suis là. Je sais qu'on me cherche. Me rendre ? Pas me rendre ? J'ai peur. Pourtant, ça devrait m'être égal. Drôle d'avoir plus peur de la taule que de la mort. Peut-être parce qu'on vendait ça comme le destin, dans le Grey T. ? La taule, je veux dire... J'ai voulu y échapper. Les dents du monstre claquent. Ça me rattrape. Saloperie de molosse. Chien de garde sans pitié. Remarque, pas de pitié à avoir pour ceux qui n'en ont pas. Je devrais même pas regretter. Pourtant, je tremble. Froid alors qu'il fait chaud. Combien de temps avant de faire un malaise ? Avant, ou après l'accrochage avec les mouettes ?

D'ailleurs, je ferais quoi, une fois sortie de ma cachette en carton, derrière la grosse poubelle ? Je me bats ? Haut-le-cœur. Non, je me bats pas. Je suis pas une criminelle. J'ai tué, pourtant, mais je peux pas me résoudre à me coller cette étiquette sur le front. J'ai déconné, c'est vrai. Peut-être qu'ils comprendront ?

Non... je vois le procès d'ici. Ma défense ? J'étais de mauvais poil... et y'avait trop de soleil. Pas très convainquant, en somme.

De toutes façons, un type vient de se pointer. Cheveux longs, argentés. Cicatrices. Plutôt grand, la cinquantaine. Un charisme qui sent l'officier désireux d'épargner ses hommes. J'suis dans la merde. Plus le temps de réfléchir. Je le regarde. Dans les yeux. Et je m'entends dire, sur une toute petite voix que je me connaissais pas :


-Je l'ai pas vraiment fait exprès...


Dernière édition par Serena Porteflamme le Jeu 14 Mar 2013 - 15:50, édité 1 fois
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Elle a les yeux d’une coupable, les yeux d’une meurtrière. Un prédateur reconnaît toujours un autre prédateur. Il y a ceux qui tuent et il y a les autres. La différence est telle qu’il n’y a aucun retour possible. Cette jeune rousse a la tenue d’une serveuse d’un troquet du coin. Elle tremble comme une feuille, elle parle bas. Elle sait que je sais. Je la regarde avec des yeux froids et incisifs. Je sonde son fond.

Victime devenue bourreau ou comédienne de talent ?

Est-ce qu’il nous arrive de savoir ce genre de chose ? Jamais. La vérité n’est qu’une monnaie de singe quand on valse avec les criminels. On a tôt fait de recevoir un coup de dague dans le dos avec ce genre d’individus.

Pourtant, c’est qu’une gosse. Qu’une gosse.

Elle a l’air effrayée par moi. Je sais que je le suis. Les cicatrices, la taille, l’épée qui dépasse de mon épaule. Pendant une longue période de ma vie, ça m’a permis de survivre. Quand l’autre en face choisit une autre victime plus innocente, j’évite les mauvais coups. En l’occurrence, j’imprime à mon regard toute la violence dont je suis capable pour qu’elle sache à qui elle a affaire. Si elle ne me craint pas, elle pourrait penser que je l’aide. En réalité, je suspends mon jugement jusqu’à ce que j’aie une certitude : faut-il l’égorger ou lui apprendre à se défendre plus proprement ?

Au bout d’un certain moment, je décroche ma mâchoire pour lui dire :

« Suis-moi petite, ils vont bientôt te tomber sur le râble. Et essuie-toi les ongles que ça fasse propre. Pense aussi à te couvrir les cheveux, le rouge est voyant pour une fugitive. Tiens, mets aussi une cape pour cacher ta tenue. »

Je lui jette un torchon imbibé de l’eau d’une flaque à proximité et de quoi se vêtir. C’est pas le grand luxe, mais c’est mieux que rien. Elle s’exécute et marche derrière moi. Pour l’instant, la sortir des docks est trop risqué. Ils ont sûrement posté des barricades dans les sorties. Et puis, comme je ne suis pas fixé sur ce que je vais faire d’elle, il me faut le temps de me décider.

Dans les docks, j’ai un ami. Enfin, ami, non. Une connaissance, disons, qui peut me céder une planque. Ce n’est qu’à quelques rues d’ici. J’emprunte la rue à ma droite. Dehors, le peuple est en effervescence tout le monde regarde tout le monde, mais personne ne laisse traîner son regard sur moi. Du moins, les civils ne le font pas. J’arrive presque à sonner sur la porte de mon contact quand un agent de la marine m’interpelle :

« - Eh vous ! Vous n’êtes pas du coin, c’est ça ?
- Pas souvent.
- Qu’est-ce que vous êtes venu faire ici ?
- C’est pas tes oignons.
- Je vous conseille de coopérer sinon, je vais devoir vous interroger au poste. »

D’abord pris d’une envie de lui éclater la tronche contre le mur, je me dis que ce serait con de me faire choper avec une fugitive avec moi. La bagarre, j’aurais pu gérer moyennant une bourse placée dans les bonnes mains. Par contre, aider un criminel, ça pourrait me valoir le retrait de ma licence. Je montre donc celle-ci à ce bonhomme jeune et bien fait au demeurant. Cet officier n’a pu cacher son dédain en apprenant mon métier.

« Chasseur de prime, hein ? Tenez-vous à carreau parce que moi, je vous ai à l’œil ! »

Et de repartir avec sa jolie troupe de branleurs vers d’autres cieux. Quant à moi, je ne moufte pas et je toque à la porte en cachant l’œil-de-bœuf de ma main. Un vieux type tout sec que je reconnais comme étant le bel enfoiré qui m’a fait un sale coup sort sa sale gueule de fouine de l’entrebâillement de la porte.

« J’en veux pas d’la merde que tu vends, casse-toi. »

Son regard croise le mien. Le temps qu’il réalise qui je suis, j’ouvre le passage avant qu’il ne le referme sur moi et pousse la jeune fille dans le dos pour qu’elle me rejoigne.

« - Oh, Julius, je ne savais pas que c’était toi. Tu sais, je n’étais pas du tout au courant pour cette épée.
- Je ne suis pas venu pour ça, même si ça me démange de te marronner la face. J’ai besoin d’une chambre, si tu vois ce que je veux dire.
- On sera quittes ?
- Pour cette fois, oui. S’il m’arrive encore une saloperie avec ton matériel je te découpe en morceau à vif et je te crame jusqu’aux os. Maintenant, tu va t’faire mettre. »

Le vieux claudique vers le salon et nous laisse admirer la maison vétuste et croulante. Composée de ce seul étage, elle compte un salon aux meubles antiques et ravagés par le temps, une cuisine qui dégage une forte odeur de friture et une chambre avec un lit à moitié brisé et une armoire fracassée. On s’assoit ; moi sur une chaise et elle sur le lit. Je la regarde à nouveau, pesant le silence et profitant de ce moment de calme avant que vienne l’heure d’agir.

« Essaye de me convaincre de ne pas te livrer à la marine, petite. »
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Cette peur dans mes yeux, est-ce que tu la sens cette peur, enfoiré ? J'ai les tripes en vrac, les mains qui tremblent. Tu peux faire ce que tu veux de moi, je résisterais pas. Pourquoi m'avoir cachée, si c'était pour m'humilier ?
Une merde, je sais que j'en suis une. Une raclure de benne comme il y en a des tonnes. Tu vois ce frisson, sur ma nuque ? J'ai vécu les pires conneries dans des bas-fonds insoupçonnables. Mais jusqu'à aujourd'hui, j'étais droite. Aux yeux du monde, au moins. Personne ne m'aurait jamais regardée comme toi, tu me regardes maintenant. Tu m'as sauvée ? T'aurais pas du te donner cette peine. J'ai tué un homme. Je mérite même pas les égards de la prison.

Alors, pourquoi tu veux que je t'explique ? Et expliquer quoi ? D'abord, je veux pas parler. Tu peux essayer de m'impressionner, avec ton regard noir, ta grande épée. Le pirate dont j'étais la catin attitrée en avait une plus grosse, et des yeux dont transpirait son caractère malsain. Tu te crois digne, grand chevalier, bon, fier ? Parce que tu as tiré une gamine hors de la merde où elle s'était fourrée elle-même ?

J'ai buté un homme, mec. Redescend sur terre.

Malgré tout ça, c'est pas des insultes que tu entends. Je saurais pas dire ce que c'est. Je ris ? Ou je sanglote, peut-être ? Je sens mes pensées qui se détachent de tous mes os qui tremblent. La tempête est rude. J'en ai trop lourd à évacuer, impossible de relativiser. J'ai encore cette petite voix qui fait face, te regarde, revient vers moi, te regarde encore. Mais bientôt, je sens que les derniers barrages cèderont.

J'ai planté mon couteau dans le cœur d'un innocent. Et je peux même pas justifier ça. Est-ce que j'ai déjà perdu ? Le Grey T... mon vrai père, celui qui fait toujours valoir ses droits sur mes actes, ma conscience. Jusqu'où est-ce que tu vas me poursuivre, ventre à merde ? Pourquoi est-ce que je peux pas être libre, pourquoi ce coup de couteau est-il parti ? C'est pas moi qui l'ait donné. J'étais en colère, c'est sûr. Mais c'est toi qui a frappé.


-Grey T... Grey T...

Ce qui sort malgré moi, c'est pas la justification attendue. C'est une colère encore plus crue que celle qui m'a fait passer à l'acte. De l'amertume à l'état brut, le seul nom de famille que j'ai jamais pu revendiquer. C'est dur. Je tiens plus debout. Ma cape est tombée. Tu le vois, ce visage ? J'aimerais pas être à ta place. Ça doit être terrifiant. Ironique que j'arrive encore à penser à ça ? Pas tant. C'est le corps qui est là. L'ultime mécanisme de protection : faire preuve de cynisme, se détourner de son sort. Sur le coup, ça fait monter ma colère et mes larmes d'un nouveau cran. J'y tiens plus de me sentir comme ça. Je me mords la main, jusqu'au sang. Cette vue seule parvient à calmer un peu mon angoisse. Je respire un peu mieux. Le goût dans ma bouche, un mélange de fer et de culpabilité. Infect, et presque rassurant à la fois. J'arrive un peu mieux à nommer les choses.

Je relève les yeux vers toi. Tu n'as pas bougé. Ainsi, toi aussi, tu en as vues d'autres ? A ce point ? Bravo, tu gagnes un point dans mon estime. Dommage que ça ne vaille pas grand chose, l'estime d'une tueuse anonyme et incapable de s'assumer comme telle.

S'assumer ? Je sais pas faire. Et je peux pas assumer ce que j'ai toujours voulu rejeter en bloc. Aujourd'hui, j'ai tué. Est-ce que ça sert encore de lutter ? Franchement, je sais pas. Je sais plus. Tu as peut-être une réponse, toi ? Moi, j'ai épuisé mon quota.
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Alors comme ça, elle vient de Goa. Ou plutôt de sa déchetterie, le Gray T. La plus grande fabrique de violeur, tueurs et assassins d’East Blue. Ils me font bien marrer les gens qui s’indignent quand ils entendent ce nom. Comme s’ils valaient mieux que ceux qui y vivent. Un jour là-bas et je suis sûr que le plus aristo d’entre eux serait prêt à vendre sa mère pour un bout de pain.

Avec un physique comme le sien, elle a dû passer à la casserole pas mal de fois pour bouffer. Je connais les bestiaux de l’endroit. Y en a pas un qui n’ait pas viré zinzin. La faim les pousse à s’entretuer et ceux qui survivent se sentent tous puissants. Ils s’organisent, forment des tribus, exploitent les plus faibles, s’arrogent des territoires. C’est déjà un miracle qu’elle ait atteint cet âge et qu’elle en soit sortie.

Pourtant, dans sa tête, elle n’est jamais partie.

Ça se voit, cette petite est brisée. Elle ressemble à ces gosses ravagés du camp. Ceux qui finissent par perdre les pédales et buter tout le monde. Je connais le mal qui la ronge, ce n’est ni la culpabilité, ni la peur, ni quoi que ce soit d’autre.

C’est l’absence d’espoir. Elle s’agite comme un albatros sans ailes. Des mouvements stériles qui laissent transparaître un état d’esprit chaotique. Je le vois en elle comme je l’ai vu chez ceux qui se tranchent les veines, l’envie d’en finir avec tout.

Elle ne se défend pas ; elle fait comme tous les suicidaires, elle est passive. Je la regarde s’emporter puis se dégonfler sans réagir. Je suis impassible tel un miroir cherchant à refléter le fond de son âme. Il est déjà trop tard pour la guérir de ses maux, pour la faire revenir à l’état d’innocence. Celui qui précède le premier meurtre.

Je crois que je n’en ai jamais connu un. Ou du moins, je ne m’en souviens pas. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours tué. C’est un acte aussi naturel que de brosser les dents ou m’habiller. On ne m’a appris qu’à faire ça, mais ça, c’était avant le vieux. C’était avant qu’il vienne me changer la vie.

Putain, quand j’y pense, la dette que j’ai envers lui ne peut se mesurer pourtant, j’ai du mal à me souvenir de son visage. J’ai lutté toute ma vie pour garder son image dans mon esprit, mais ça remonte à si loin maintenant. Moi aussi je suis devenu vieux, moi aussi je regarde cette gosse perdue avec le même désarroi.

Je crois qu’elle a dépassé le stade des mots. Ce qu’il lui faut, c’est un frisson. Un moment intense pour dégeler son cœur. Qu’il batte bien fort et qu’elle décide une bonne fois pour toutes si elle veut se laisser mourir ou choisir de vivre.


Alors je lui explique que c’est ça que de tuer, on ne devient pas un héros ; la gloire, les médailles, tout ça n’est qu’un ramassis d’conneries. Quelqu’invention de branleur du gouvernement. Nous sommes les déchets de ce monde, mais c’est une tâche qu’on a le devoir de prendre sur nos épaules pour qu’il y ait moins de gens comme nous. Un criminel qui tue pour manger n’est pas pire qu’un marine qui assassine pour gagner du galon. Chacun a ses raisons, chacun peut justifier son geste. Enfin je rajoute après une courte pause :

« Tu n’as que deux choix, petite : soit tu optes pour la simplicité, je te décapite ici proprement, sans douleur, soit tu acceptes le fardeau que tu portes. Rien ne sera plus jamais pareil, aucun retour en arrière ne sera possible. Jusqu’à ton dernier souffle, tu vivras avec un poids chaque jour plus grand que celui-ci. Tu aurais peut-être de l’honneur voire la consécration, mais tu seras toujours le monstre que tu es, que nous sommes tous les deux. Ta seule consolation sera qu’un jour, une fille dans ton genre n’aura pas à tomber dans la même vie que toi. »

Après une seconde pause, je lui redis ses options :

« Tu prends la solution de facilité ou tu t’engages à faire ce qui est juste, dorénavant ? »
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J'ai voulu une réponse, j'en ai eu une. Mais sous une forme que jamais, jamais je n'avais connu. Une baffe. Tu as la voix glacée. Pourquoi est-ce que j'arrête de trembler, alors que j'ai l'impression de geler sur place ? Et puis, où est passée la marine, dans tes intentions ? Tu as vraiment compris, alors... A quel point on ne revient pas en arrière. Nouveau point pour toi dans mon estime. Tu es mieux qu'un frère. Tu es un père. Cette souillure que je porte en moi, de toi, elle transpire. Pourquoi tu as l'air si digne, alors ? Comment est-ce que tu peux chialer la justice comme tu le fais, en me mettant un choix devant les yeux ?

Mourir. Vrai que j'y ai pas tant pensé que ça. Le vrai désespoir, le vrai de vrai, c'est celui qui n'est même pas encore assez triste pour espérer le vide. Tu travailles, tu manges, tu baises, le tout sans passion, sans même connaître le sens de ce mot. Tout te tombe dessus, et t'acceptes tout. Jusqu'à ce que la courroie de distribution lâche, et que tu plantes ton premier homme.

Je veux que ce soit le dernier. Mais je sens que ça sera peut-être pas possible. Sauf si je meurs maintenant. Mon regard sonde le tien. J'essaie d'y voir autre chose que mon propre reflet. Mais non. Tu ne seras rien d'autre que l'outil de mon propre choix. Mon faucheur, mon guide sur les sentiers sinistres, dans tous les cas, la même main. Me tuer, est-ce que ça te laissera au moins un souvenir ? Je sais que non.

Mourir ? Je rassemble les miettes de mon jugement éparpillé, mais j'y arrive pas. J'aimerais te dire que oui, j'aimerais que ça s'arrête. Plus jamais connaître la honte, la solitude, la dérive perpétuelle. Le sang sur mes mains moites, le sang qui serpente en filets vermeils comme de longues rides prématurées. Je suis assez vieille pour mourir. Tu as l'air de cracher sur cette issue. Pourtant, tu sais, c'est la plus raisonnable. Le cheval boite, mord, rue ? On le cale à l'équarrissage et tout le monde est bien content de profiter de sa viande.

Alors, je vais le dire. « Oui, vas-y. Je te fais confiance, et même si ça fait mal, je garderais le silence. Pour pas que tu ais d'ennuis ».

J'ai déjà ma dernière phrase toute prête. J'essaie de la dire. Mais là, il se passe quelque chose en moi. Je saurais pas l'exprimer, c'est comme un monstre enchaîné qui hurle ses tripes depuis les miennes. C'est physique, et d'un coup, d'un seul, ça remonte jusqu'aux yeux. Je pleure tout ce que je peux, et pas de rage, en écoutant une voix intérieure qui ne s'était jamais exprimée. « Non ! Non ! Non ! ». C'est tout. Et pourtant, c'est énorme, cadencé comme une marche militaire, obsédante, irrésistible. Belle, et triste. Émouvante ? Je viens d'apprendre le sens d'un mot. Et mes larmes, je surprends d'en être presque un peu fière. Parce que pour une fois, ce n'est ni de la colère, ni de la fatigue, ni de la lassitude.

J'ai manifesté pour la première fois un vrai désir de vivre. Et déjà, je comprends quelle sera ma dette envers toi. A quelle point elle sera indélébile. Comme celle d'enfants envers leur père. Le mien n'en était pas un. C'était un géniteur au même titre que les taureaux utilisés pour les saillies. Et j'ai enfin un rival à présenter au Grey T., pour ce qui est de la paternité authentique.

Toi. Je m'appuie là-dessus, de toutes mes forces, et je fais mon choix.


-Alors, oui. Je veux encore tenter le coup.

Ça se pose comme la suite d'un raisonnement. Pourtant, je sens que mes mots ont peine à sortir, que ma gorge nouée peine à les laisser entendre. Alors je répète, en prenant soin de bien me faire comprendre. Jusqu'à ce que ça s'allume, un peu, dans le regard d'en face. C'est bref, fugitif, mais c'est comme l'allumette dans la flaque d'essence. Ça a suffit à m'embraser, à faire pousser une petite gerbe d'espoir, là, quelque part entre ma bouche et mon cœur.

-Je veux essayer pour de vrai.

Je dis encore ça, et les choses m'apparaissent un ton plus clair. Mais les angoisses pratiques me reviennent : je risque la prison, peut-être la mort. Même si je sais déjà que je ne veux ni de l'une, ni de l'autre. La première ruinerait ce que je viens de vivre. La seconde serait insupportable. J'aimerais payer pour ce que j'ai fait. Mais toi, tu viens de m'apprendre une chose terrible : jamais je le ne pourrais, quoi que je fasse. Alors autant faire pousser quelque chose de meilleur, sur ce sol déjà souillé. Tu peux le faire, toi ? Alors je veux marcher dans tes pas. Je veux que tu me guides.

Sur les sentiers sinistres et glauques qui mènent à la justice.

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Laisse sortir le pus de ton âme corrompue. Tu ne t’en sentiras que mieux. Accroche-toi à la vie, comme un animal, mais profites-en pour ne plus avoir de nouveaux regrets.

Quand je regarde mon parcours, je ne vois que des défaites, des déceptions. J’ai œuvré à ma perte sans jamais apprendre de mes erreurs. Me croyant invincible, au-dessus de tout.

Parce que je me suis su fort, je n’ai jamais douté de mon droit sur la vie des autres. Et j’ai fauché sans scrupule tant et tant d’existences que mes mains en sont salies jusqu’au tombeau. C’est ça le piège du meurtre : l’impression de toute-puissance. Toutes les règles bâties par la société pour se prémunir des gens comme nous tombent. La morale, le devoir et l’entraide n’ont plus cours chez celui qui a traversé cette ligne subtile et pourtant sans retour de l’assassinat.

Elle le mesure difficilement, cette jeune fille. Mais elle le sent instinctivement, comme une bête éveillée au premier sang versé. Cette victime hante déjà sa pensée. Elle la harcèle, elle réclame le prix de la chair refroidie, et le montant se monte à sa vie.

Jusqu’à quand va-t-elle résister à l’appel du crime ? Ça va dépendre. Demain ou dans un an la peur sera partie, la culpabilité aura une voix si menue qu’elle oubliera l’avoir jamais entendue. Elle ne se souviendra que du frisson de la transgression. L’enivrement de dispenser la mort autour d’elle telle une déesse d’un temps révolu. Elle deviendra une louve, elle deviendra une cannibale qui ne verra plus d’obstacle à sa route. Foulant aux pieds tous les principes pour tracer sa route, grimpant aux sommets sur une pile de cadavres devenus anonymes et futiles par leur nombre.

Comme moi.

Non, cette jeune fille ne sera pas la nouvelle victime de ce monde incurable. Elle ne comptera pas parmi les gens de mon espèce, ceux qui n’ont plus leur place parmi les autres, ceux destinés à empoisonner tout élan de bonté. Je vais graver sa décision dans son cœur au burin. Je vais inscrire sa résolution si profondément qu’elle ne sera plus jamais la même. Transfigurée, modelée par ma main pour n’être que l’instrument de la justice.

Elle va connaître la douleur, la faim, la fatigue, la peur et la trahison. Et soumise à tout cela, elle en émergera plus forte ou se brisera. Elle a un crime à expier et jamais elle ne comprendra sa position si elle ne prend toute mesure de la tâche qui lui incombe désormais.

Durcis ton cœur, Julius. Ce n’est qu’une gosse, mais c’est une bombe à retardement. Si jamais il lui arrive de prendre conscience qu’un meurtre n’a que rarement de conséquence, elle finira par oublier les remords, comme toi tu n’en connais plus, puisque tu ne pleures que la perte de tes êtres chers et non pas celles de ces inconnus que tu n’honores même pas de ta mémoire.

Je me lève, et j’ouvre la porte de la chambre. J’appelle Vassili d’une voix tonnante et il arrive à ma rencontre à son rythme de marche ; lent et saccadé. Je lui donne ses instructions et il me ramène ce dont j’ai besoin avant de nous laisser à nouveau. Alors, je me dirige vers l’armoire dont j’écarte le battant. Le fond est couvert d’un contreplaqué que je fais glisser. Je fais passer la petite la trappe qui s’ouvre à nous. Elle est encore remuée par les évènements. Les prochaines heures seront cruciales.

En bas, j’allume pour découvrir la cave de Vassili, un dépôt d’armes pour les amateurs de secret. Pas toujours de la qualité, mais ça a l’avantage de ne pas passer par les circuits officiels et ça, c’est un avantage quand on se veut un minimum discret. La salle est entourée de présentoirs à armes en vieux bois : épées, lances, hallebardes, couteaux de lancers. Il y en a pour tous les goûts. Le sol dallé de pierre et le plafond à peine assez haut pour que je me tienne debout donnent l’impression d’emprisonner ceux qui s’y trouvent. L’air poussiéreux contribue à l’ambiance pesante de l’endroit sans doute destiné à n’accueillir des visiteurs que le temps de faire un choix rapide.

Je regarde la jeune fille avec une certaine sévérité. Il ne s’agit pas de la rassurer, mais de l’éprouver. Déterminer si elle est de taille à endosser le rôle de justicier. Enfin, je m’adresse à elle d’un ton égal :

« Petite, je te présente la cloche. »

Ce disant, j’accroche celle-ci derrière moi en continuant mon discours.

« Et je te présente le sablier. Il va nous tenir une journée entière. »

Je pose celui-ci sur une petite table qui fait le coin en enchaînant.

« Dans ta vie de justicière, tu n’auras ni gloire ni récompense. Aucun mérite. On ne félicite pas les gens qui prennent la vie des autres. Et même si tu en obtiens, tu n’en seras jamais dupe. Par contre, ce qui sera réel est : la douleur, la faim, la fatigue, la méfiance et le découragement. Rien ne sera jamais facile, toute victoire te sera amère et lèvera inlassablement son impôt. La seule qualité qui est exigée de toi sera l’abnégation ; la capacité de renoncer à soi pour les autres. Si tu ne la possèdes pas, tu ne seras jamais qu’un chien enragé lâché dans une foule d’innocents. »

Je lui jette une épée courte en dégainant la mienne. Puis, je retourne le sablier afin que le décompte commence.

« Sonne la cloche trois fois et je terminerai ton supplice. Trois coups pour renaître. Es-tu prête à traduire en actions tes paroles ? Es-tu capable d’assumer le poids de tes actes ? »

Et je me suis lancé à son assaut pendant que les grains de sable chutent à un rythme impitoyablement régulier.


Dernière édition par Julius Ledger le Sam 16 Mar 2013 - 23:17, édité 1 fois
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Je recommençais à peine à respirer lorsque tu m'as mis ce plafond bas au-dessus de la tête. Entre mes deux tempes, le battement de la migraine n'a pas cessé. Il s'était même accentué, au fur et à mesure que tes mots tombaient, comme des coups de bâton. Tu n'es pas venu à moi pour m'aider à me sentir mieux. Tu veux que je sois coupable, plus coupable que je ne l'aurais jamais été si tu m'avais tuée, ou livrée.

Tu veux que je comprenne à quel point je suis mauvaise. Combien le fait de vouloir corriger le tir est illusoire et vain. Pourquoi ? Pourquoi est-ce que tu veux tout ça ?

J'aimerais tellement que tu m'expliques. Mais maintenant, je te crains comme jamais ça ne m'était arrivé, en dehors de ce que j'éprouvais envers le Grey T. : une crainte mêlée de haine. Mais là, ça fait d'autant plus mal que ce que je ressens, c'est une crainte mêlée d'amour.

Alors, tu imagines ce qui peut se passer en moi, quand tu me jettes une arme ? Quand tu parles d'abréger mon supplice ? C'est comme si tu voulais déjà que je me relève pour m'en reprendre une, alors que je peine encore à relever la tête. Vivre en condensé ce qui m'attend, en obéissant à cette voix formidable qui me hurle de poursuivre la route, de ne pas prendre la sortie, de ne pas essayer de payer la dette insolvable.

Je ramasse l'épée, mais j'ai l'impression que le contact avec la poignée me brûle. Est-ce que cette lame a déjà été utilisée pour tuer ? Je frissonne en songeant que la chose est possible.
Toi, tu es déjà sur moi. Je ne fais même pas semblant de vouloir parer le coup que tu me portes. Je recule, touchée, je me fais violence pour rester debout.

Je suis désolée, mais je ne peux pas. Je ne veux pas me battre. Et surtout pas contre toi.

Nouveau coup, cette fois-ci, je saigne un peu. J'encaisse sans broncher. Je regarde le sablier. Une journée ? A ce rythme là, si je ne me défend pas, je serais morte avant le dernier grain de sable. La cloche... Trois fois, et quoi ? Trois fois « oui » à la vie, même si ça fait mal, même si c'est dur ?

Est-ce que tu veux que je sois forte à n'importe quel prix ? Que je résiste à tout ce que tu m'inspires, pour m'oublier, moi, mes sentiments égoïstes, au profit du seul objectif imposé du moment ? Est-ce que tu sais que tu risques de faire de moi une machine, en procédant comme ça ? Je n'ai pas le droit de douter de toi. Tu es le premier à avoir tiré autant de choses de moi. Tu m'as révélé des forces dont je pensais être privée pour cause de mauvaise naissance.

Pourtant, je doute. Les coups encaissés n'y changeront rien.

En plus, je ne sais pas vraiment me battre. Là est l'ironie : tu peux tuer plus fort que toi, si tu prends par surprise. Heureusement, quelque part. Si les assassins étaient les meilleurs combattants...

Alors, en cherchant ton regard, je me glisse sous ton poing, dans ton dos. Et je jette mon épée contre la cloche, qui tinte froidement. Dong, une fois. « Oui ! »

Ta riposte me projette au sol, je mords la poussière au sens propre. Une pression diffuse me chauffe tout le poignet jusqu'à l'épaule. Cassé ? Je gémis malgré moi. Mais la douleur est toute autre. Je n'aime pas te voir me frapper, je déteste te voir t'imposer ça. Parce que je viens de comprendre. Ce que tu fais là, c'est contre toi. Tu m'as appelée « petite ». Au fond, tu n'as pas envie de me faire ça.

Tu le fais parce que c'est la gueule que doit avoir la justice, aujourd'hui. Et que faute de vouloir encore être toi-même, tu veux en être un ange, un messager, un acteur. C'est vraiment ce que tu veux faire de moi ? Ou en prévision, ce que tu veux me montrer ?

J'ai peur. Envie de pleurer, un peu, aussi.

Je me suis relevée en roulant au sol. La poussière tombe de mes cheveux sales, je suis désarmée. Au moins, j'aurais beau céder à la colère, à la rage, à n'importe quoi, je ne pourrais pas te faire du mal. Et je peux toujours sonner la cloche.

J'essaye de m'approcher, en te poussant sans aller jusqu'à frapper. Mais tu es impitoyable, tes coups pleuvent dru. Je ne tarde pas à me retrouver de nouveau au sol, lovée dans un mélange de crasse, de sueur et de sang. Mais là encore, je refuse de perdre espoir, de me laisser aller à la haine que tu veux m'inspirer. Je retire une de mes dockside, que j'utilisais pour travailler sur les navires. Et je la balance sur la cloche. Dong, « oui ! »

Après cela, tu ne me laisses plus aucun répit. Je suis même contrainte de récupérer une hallebarde au râtelier, pour pouvoir encore repousser les coups d'épée. Tu n'utilises pas le plat de la lame. Tu sais que tu peux vraiment me tuer, alors même que je veux vivre. Que je veux marcher vers le bien. Que j'ai besoin de toi.

Mes bras fatiguent. Peur de ne pas y arriver. J'ai de plus en plus de mal à te contrer. Tes coups sont si puissants qu'il me faut frapper ta lame pour m'épargner. Je sais que je risque de te blesser, je ne peux pas me résoudre à prendre ce risque. Si tu venais à mourir par ma faute, j'irais me jeter à la mer, une pierre accrochée au cou.

A moins que je ne trouve la force de te suivre malgré tout ? Même en trainant derrière moi un charnier dont je ne cesserais jamais de pleurer les membres, tués de mes mains ? L'angoisse me remonte à la gorge, brusquement, je tétanise. J'ai mal maîtrisé ma dernière riposte, et la lame de la hallebarde est allée te déchirer la cuisse, jusqu'à l'aine. Tu vas jusqu'à poser un genou au sol. J'ai envie de crier, de balancer mon arme, de me jeter sur toi. Te demander pardon, aller chercher de l'aide. Mais le regard glacial que tu me lances me donne le reflet de mon visage.

Ce que je dois faire : sonner la cloche pour gagner mon droit d'essayer de vivre. Ce que je veux faire : écouter mon instinct. Le même que celui qui m'a fait tuer ce matin. J'ai perdu la notion du temps. Le sable s'est écoulé au trois-quarts. La faim m'empêche de réfléchir, sans parler de mon état général. Je sais ce que je dois faire. Je le sais, putain. Alors pourquoi est-ce que je bouge pas ?

Tu profites de mon indécision pour me faucher les jambes d'une balayette. Tant pis, il faut que je le fasse. Je plonge ma main dans ta blessure, quand elle me passe à portée. Je m'agrippe à ton côté meurtri pour me relever, une fois de plus. Et je te frappe sous les côtes, d'un coup de genou qui me fait plus de mal à moi qu'à toi. Quand tu t'effondres, le souffle coupé, j'ai déjà sonné la cloche une troisième fois. « Oui ! »

Oui. J'accepte cette réalité maudite et glacée dans laquelle tu m'as plongée. Je suis une meurtrière, jamais je n'aurais droit au pardon. Mes sentiments passeront toujours au second plan, derrière mon devoir.

Ça ne m'empêche pas d'aller te saisir aux épaules pour t'aider à te relever, malgré mes propres blessures. Porter assistance au père, malgré la possible trahison, c'est un devoir. Qui passe devant n'importe quelle douleur. J'ai compris, et pourtant, je n'en tire aucune joie.

Peut-être que j'aurais préféré rester dans l'ombre. Maintenant, il est trop tard.

J'ai fait mon premier pas sur le sentier des justes.
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Brave petite.
Aucune technique, mais beaucoup de hargne.
Elle se bat avec toute la jeunesse que j’ai laissée derrière moi.
Il est déjà loin le temps où j’étais capable de me remettre en question, de changer de vie. Si elle garde cet état d’esprit, peut-être fera-t-elle de grandes choses, qui sait ?

Pour ma part, j’ai dérouillé plus que prévu et pour cause, elle a du talent la gamine. Elle m’aurait presque forcé à y aller à fond. Mais alors, j’aurais eu meilleur compte de la tuer quand elle l’a demandé. N’empêche que je n’y suis pas non plus allé de main morte. Autrement, elle n’y aura pas cru. En guise de conclusion, je lui dis :

« Celui qui vit par l’épée périra par l’épée. »

Elle en fera ce qu’elle en voudra. C’est comme ça, on prend les armes et on met notre vie en danger. Pas de retraite, pas de pardon, pas d’expiation. Il ne reste plus que la fuite en avant.

Dire qu’il m’a fallu presque cinquante ans pour en arriver au même point qu’elle.
Dire qu’on vit dans un monde où on ne peut empêcher ce genre d’évènements de se produire.

Il y a des jours où je me dis qu’il n’y a rien à garder. Et c’est peut-être pour cette raison que je n’ai plus ma place avec ces jeunes pleins d’espoirs et de résolutions. Ils sont prêts à changer la face du monde à la seule force de leur volonté. Qu’ils réussissent n’est pas garanti, mais ils y mettront tout ce qu’ils ont dans le bide, sans compromis aucun.

Tandis que moi, je dérive depuis tant de temps que je ne sais plus rien de ce que je dois faire. Je suis un vieux type en fin de course qui n’attend plus rien. J’ai trop vu d’horreurs pour avoir de la joie. Quant à évoquer celles que j’ai perpétrées.

Parce qu’il faut bien soigner la morveuse, j’ai convoqué le vieux Vassili. Toujours prêt à rendre service du moment qu’il met tout ça par écrit sur une facture. Oui un repas, oui un toubib. Mais, fais ce qu’il faut et lâche-moi, j’ai des courses à faire.

Deux heures plus tard, je reviens, la petite est couchée et le vieux m’attend avec du thé dans son salon. Je m’assois, je regarde ses divans tout droit sortis d'une décharge ; anciennement rouges, ils ont récupéré une couleur brun vinasse. Le son que la radio laisse échapper est si aigu que je me demande si elle est pas pétée, jusqu’à ce que l’animateur radio annonce que c’est la dernière chanson à la mode. Je soupire bruyamment avant de m’apercevoir que le vieux débris aussi. C’est l’occasion pour lui de me poser la question qui lui brûle les lèvres encore plus que son odieux breuvage. Pendant ce temps, je ferme son clapet à l’escargot qui nous vrille les tympans sous prétexte de nous faire profiter des artistes du moment.

« - Je croyais que tu étais parti pour te la tirer. Qu’est-ce qu’elle t’a fait pour que tu la castagnes comme ça ?
- À moi, rien. C’est à elle-même qu’elle a fait du tort. Elle avait juste besoin d’être punie. Je l’ai fait pour qu’elle ne le fasse pas elle. En plus, il a bien fallu qu’elle prenne la mesure de l’engagement qu’elle vient de prendre. Parler de sacrifices est à la portée du premier trou de balle venu. En faire est une autre paire de manches. J’envie quand même sa jeunesse ; être capable de trouver tant de force au fond du gouffre.
- J’ai rien compris.
- C’est parce que t’es qu’un con, voilà pourquoi. Tu vends des coupes-bide et tu ne te demandes jamais ce que les gens en font.
- Je ne fais que les vendre, oui. C’est pas moi qui…
- Pas à moi, quand même. Bien sûr que c’est toi, crétin. C’est pas parce que tu n’éborgnes personne que t’es innocent. Tu participes, tu cautionnes, tu en vis même.
- Toi aussi, je te signale. Viens pas m’enfumer avec tes conneries.
- J’ai jamais dit que j’avais raison.
- Alors, quoi ?
- Rien, y a rien à faire. J’en sais rien. Je ne trouverai probablement jamais la réponse. C’est peut-être pour ça que j’ai envie de lui passer le relais.
- Je trouve tout de même que t’as exagéré avec la môme.
- Si les parents savaient foutre des raclées comme ça, t’aurais moins de clients et le monde n’en serait que meilleur.
- Tu auras moins de proies, on revient au point de départ. Du coup, tu crèveras dans le caniveau sans le sou. Et tu feras moins le malin Monsieur Moraliste De Mon Cul Velu Et De Mon Service Trois-Pièces.
- Franchement, un monde qui n’a besoin ni de soldats ni de marchands d’armes, ça ne vaudrait pas le coup ?
- …
- Heureusement que t’es gaulé comme une crevette, toi. Si t’avais un minimum de force –laisse-moi ouvrir cette bouteille, tu vois bien que tu n’y arrives pas- t’aurais fini par devenir un bon gros connard. Alors que là, t’es un tout petit connard.
- C’est pas parce que tu me vois affaibli que tu peux me juger, avant, j’étais…
- Un aventurier jusqu’à ce que tu prennes une flèche dans le genou ? Ça va, ça va, j’en n'ai rien à branler, en fait.
- On peut pas causer avec toi.
- Tu veux causer ? Bien, causons. Tu peux me dire ce que cette dague foutait chez la fille ?
- …
- Laisse tomber. Je perds mon temps avec toi. »

Je me lève. C’est con de perdre son temps à tailler le bout de gras avec ce type. Je sais ce que ce gars a en sa caboche déglinguée : le profit. Tout ce qu’il va faire est me bourrer le mou jusqu’à ce qu’il me fasse assez chier pour que je lui foute la paix. C’est bien son genre de casser les couilles jusqu’à l’abandon de l’interlocuteur. Je reviens vers la chambre et je la trouve endormie.

La réveiller pour lui offrir son cadeau ou attendre demain ?

J’attendrai demain. Pour l’instant, je me contente de la border et je me trouve un coin de canap’ pour pioncer.

Avant que le sommeil m’emporte, une pensée insolite me traverse l’esprit : cette journée nous a rendus si proches et pourtant, je ne connais pas ton nom, ni toi le mien.

Bonne nuit, petite.


Dernière édition par Julius Ledger le Jeu 14 Mar 2013 - 21:49, édité 1 fois
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Je ne me rappelle pas bien ce qui s'est passé après ton départ. C'était bizarre. La tête avait cessé de me lancer, mais elle tournait avec la chambre dans laquelle on m'avait ramenée. Je me souviens vaguement de l'expression catastrophée d'un homme venu constater les dégâts. Des bouchées de viande qu'on me faisait avaler. J'avais l'impression d'être un nourrisson, alors même que je n'avais jamais eu que moi-même pour me démerder. Pas de honte ? Non, pas de honte. Pour ça, j'avais trop de choses qui s'entrecroisaient entre mes deux hémisphères. Trop d'images qui repassaient. Est-ce que j'ai fini par m'endormir, ou est-ce que je me suis évanouie après le dernier coup de cloche ? Non, je crois que j'étais juste à deux doigts du malaise. Ce matin, en regardant mes bandages, je comprends pourquoi. J'avais pas encore réalisé à quel point tu avais été dur avec moi.

Avec ce souvenir, j'ai un fond de culpabilité qui remonte, mêlé de fierté parce que pour la première fois, j'ai réussi à dépasser mes propres sentiments. Je me redresse, je te cherche des yeux. Peur de constater ce que moi, je t'ai fait. Lorsque je te trouve enfin, je suis surprise de voir que tu dors encore, sur le vieux divan faisant face au lit.

Je tente de me redresser, mais tous mes muscles me font mal. A un point où les articulations se crispent à chaque sollicitation.
Je force un peu, j'arrive à m'asseoir en grimaçant. C'est comme si j'avais pris trente ans d'âge, je me mets d'un coup à comprendre les vieux et les bossus. Je peux me tenir que courbée. Mon poignet droit est immobilisé par une atèle, j'ai des plaies et des contusions un peu partout. Mon visage lui-même est douloureux, je sais que je dois avoir un sacré coquart. J'ai la bouche pâteuse, un goût de sang stagnant sous la langue.

Pourtant, mon regard est doux, quand je le fixe sur toi. Jamais personne ne m'avait mis dans un état pareil, pourtant. Je devrais te haïr, avoir peur de toi. Je n'éprouve rien de tel.
Et qu'on ne vienne pas me parler du complexe de la victime qui aime son bourreau, ou de je ne sais quelle saloperie de dégénéré. Je connais, j'avais un connard qui parlait que de ça, à la taverne où j'ai bossé deux jours. Y'a rien de malsain, là. Rien de tordu, de mal tourné. S'il s'était pas occupé de me foutre ma branlée, j'aurais fait pire. La nuit porte conseil. Hier, j'aurais pu m'arracher un œil, me manger les doigts jusqu'à ne plus avoir qu'un moignon en guise de poing. Et j'aurais tellement enragé que ça aurait fini par se retourner contre quelqu'un d'autre. Encore. La spirale de la haine et du meurtre. Je crois que j'ai déjà un peu pigé.

L'autre fois, sur les docks, un matelot disait qu'on ne connaissait vraiment quelqu'un qu'après l'avoir vu dormir. J'avais trouvé ça con. Je me plantais. Tes traits sont détendus, à l'exception de la griffe du lion qui dessine une rigole entre tes deux sourcils. La ride du guerrier, disait le marin. De celui qui ne relâche jamais sa vigilance, même dans le plus profond sommeil. Tu as aussi de drôles de petits plis au bord des yeux. Ça forme comme les ailes d'un papillon, jusque sur tes tempes. Il y a des petites vieilles qui ont ça, ce sont souvent celles qui ont eu des éclats de rire avec leurs petits enfants. Tu dois en avoir, des enfants. Une femme aussi, sans doute ? Alors qu'est-ce que tu fais là, pourquoi est-ce que tu as donné autant pour une pauvre fille – meurtrière de surcroit, pas que je risque de l'oublier – ?

Tu as ouvert les yeux. Je sens que tu es un peu interdit de me voir déjà levée. Pas que je sois gênée, mais je ne sais pas quoi dire. Bonjour ? On peut toujours commencer par ça. D'après que ça fait bien.


-Salut.

Un peu impersonnel ? C'est pas volontaire. En fait, je viens de me rendre compte que ton nom, je le connais même pas. En même temps, pas que j'y apporte une importance folle, mais ça aussi, ça fait bien. Quand tu connais le nom, c'est presque un peu comme si t'étais proche de la personne, tout ça.

Conneries. Des noms, j'en ai connus. Et les têtes qui allaient avec, elles m'importaient à peu près autant que celles des avis de recherche avec leurs rangées de zéros. Rien à carrer.

Je me demande pourquoi ça me fait chier que tu saches pas mon nom, du coup. « Serena », c'est juste l'antithèse de ce que je suis. Et puis j'aime bien « petite ». On m'a pas souvent appelée comme ça, sinon par dérision, pour se payer ma gueule.

Je m'avance un peu, pour poser les pieds sur le parquet noircit et mal raboté. Tu t'es assis, toujours aussi grave. Avec peut-être une petite étincelle dans l'œil, de l'air de celui qui se prépare à faire une bonne blague. Ou une surprise ? J'ai l'imagination qui déraille, je crois.

En attendant, j'ai droit à mon « bonjour, petite ». C'est con, je sais, mais ça me fait sourire. Dommage que j'ai la lèvre un peu tuméfiée, ça doit gâcher l'effet. Parce que c'est sincère. Quand j'y repense, tu aurais pu salement profiter de moi, hier. N'importe qui l'aurait fait, et je sais même pas si je me serais défendue. Au lieu de ça, tu t'es posé dans le rôle de père.

C'est juste énorme. Alors qu'importe mon nom, j'ai qu'un truc qui vient.


-Du fond du cœur, merci.

Je demande pas si je peux faire quelque chose en retour. C'est débile, ça se rembourse pas un truc pareil. Et j'ai pas envie d'être quitte avec toi, en plus. Tu peux rester aussi impassible que tu veux, t'es déjà grillé. Je sais que ce que tu as au fond des tripes, ça se mesure pas. Tu es la première personne auprès de qui j'ai vraiment envie d'apprendre, de passer du temps, de demeurer.

Pour un peu, j'oublierais presque que je suis recherchée. Par contre, j'en oublie pas la cause. C'est moins dur qu'hier, j'arrive à observer l'horreur à distance. Mais c'est comme un membre amputé ou une brûlure au visage. Impossible à oublier ou à ignorer. C'est là, ça couve. Le fantôme du dockers garde un œil accusateur sur moi. Et je suis obligée de me le traîner. C'est mon fardeau.
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Il va falloir partir. Prendre ses affaires et se casser. Je me demande si je vais lâcher une calamité ou une bienfaitrice dans la nature. Est-ce que j’ai le droit de prendre une décision pareille ? Pardonner à un meurtrier ? Sans doute que non, le pardon n’existe pas en de tels cas, les secondes chances, si. Du moins pour une môme qui n’a encore jamais rien vécu.

Elle a toute une vie devant elle pour faire du bien autour d’elle. Elle guérira peut-être un peu, par contre jamais totalement. C’est ça que de grandir finalement, apprendre à porter le fardeau de ses erreurs. Avoir pleine conscience qu’on ne peut changer son passé, mais qu’on a pleine latitude sur son futur.

Sera-t-elle heureuse dans sa vie de justicière ? J’en sais rien. J’ai peur d’y penser et de m’apercevoir que j’ai planté en elle une mauvaise graine. En agissant tel que j’ai agi, j’ai pris la responsabilité du reste de son existence. C’est comme un lien de parenté qui s’est tissé. Un lien intime et puissant forgé en un jour entre deux inconnus. Pourtant, jamais le souvenir de cette rencontre ne s’effacera de ma mémoire.

Sa gratitude me touche sincèrement. Et bien que j’aie encore un peu mal partout à cause de la baston d’hier soir, je me sens en pleine forme. Comme à la veille d’une belle et heureuse aventure. Je me sens sans doute un peu rajeuni à son contact tant son sourire est communicatif. Je lui souris à mon tour sans y penser.

« - Alors, les amoureux, je vous dérange, j’espère ?
- Ta gueule Vassili avant que je te la refasse. Petite, va l’aider à préparer le petit déjeuner, j’ai quelques détails à régler avant notre départ. Je ne serai pas long. »

Et je sors une nouvelle fois. En d’autres temps, j’aurais dit qu’il fait froid à se geler les noix, mais je trouve le vent vivifiant. Cela dit, il ne faut pas que je perde de vue ce que je dois faire : me renseigner sur les recherches et trouver un bateau pour partir.

Comme je l'ai pensé, les barricades n’ont pas fait long feu. La marine d’ici est certes sévère, mais dans le cas présent, la gosse a dézingué un criminel. Le barouf d’hier a été plus pour la forme que pour autre chose. Ça ne change absolument rien pour elle. Peut-être serait-elle surprise que les gens se foutent de son geste comme de leurs premières chaussettes. La vie continue et tandis que son monde a été totalement bouleversé, celui des autres n’a absolument pas bougé d’un poil. Ce n’est qu’un anonyme parmi les autres. Les gens qui finissent au bout d’une lame sans que personne ne s’y intéresse il y en a de pleines charrettes. On parle déjà d’un casse dans une boutique un peu plus loin en ville.

Pour le navire, ça n’est pas bien compliqué dans un bled comme celui-ci. Tu jettes un caillou dans la flotte, t’en as dix qui en sortent. J’en choisis un au hasard en esquivant ceux qui font les grosses îles de l’océan. Un endroit peinard où je pourrai la déposer pour qu’elle prenne son envol. Un adieu nécessaire aussi bien pour elle que pour moi. Si je m’attardais, ça deviendrait malsain. Elle poserait des questions, elle voudrait savoir des choses et je n’ai aucune autre réponse à lui fournir. Tout ce que j’ai compris dans la vie, je le lui ai livré la veille. Et quand il ne reste plus rien à ajouter, il faut savoir se retirer.

En poussant la porte de nouveau, je sens une bonne et forte odeur de bacon grillé. J’en salive d’avance et quand je m’installe à table, je remarque que la chaise grince. Tout part en sucette dans cette piaule, en fait.

Est-ce que je ne suis pas moi aussi un instrument tordu par les épreuves et le poids des années ?

J’essaye de ne pas y penser et me remplis joyeusement la panse. Par cette belle matinée, je déborde d’énergie et je suis heureux de voir la jeune fille s’affairer autour de moi. J’en reviens presque à l’époque où je dinais à table avec ma gosse et ma femme.

Décidément, un homme n’est que peu de choses sans attaches. La liberté qu’on désire tant ne vaut rien par rapport à un foyer. Et c’est depuis que je n’en ai plus que je ressens toute la véracité de ce fait.

Enfin arrive l’heure du départ. Je commençais sérieusement à devenir nerveux à force de balancer entre mélancolie et bonheur. Une vraie girouette à la sensibilité exacerbée. Un truc que j'ai cru perdu depuis des lustres.

Personne ne fait vraiment attention à personne ici. Il y a un tel débit de voyageurs qu’avec nos capes noires, on se fond facilement dans une foule pareillement habillée. Le bateau que j’ai choisi est une petite construction à un mât, mais au moins, j’ai obtenu une cabine sans y laisser la peau des rouleaux. On s’y installe toujours sans moufter. Une cloche signe le départ. On se mire sans trouver un début, presque gênés. Il faut dire qu'on n'est pas du genre loquace.

Au bout d'un moment, je décide de lui donner son cadeau.

« Je te présente Main D’Ange. C’est une épée courte assez large et pourtant légère. Elle est idéale pour parer les coups malgré ta visible inexpérience dans le domaine. Garde-la à tes côtés et elle te protégera. »


Dernière édition par Julius Ledger le Sam 21 Mai 2016 - 19:04, édité 1 fois
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Je regarde l'épée, un peu interdite. C'est vrai, ça fait drôle de se voir offrir une lame quand on a abandonné la précédente entre les côtes d'un mort. La pointe est ronde, peu affutée. Je comprends le message, celle-là, elle plantera personne. Pourtant, c'est bête, mais j'ai encore besoin de me rassurer. En acceptant ce cadeau, j'ai comme l'impression d'achever de sceller mon avenir. Vers un mieux ? J'espère, et je te fais confiance. Même si ce qui perce dans mes mots, c'est ce qui ressemble à du doute.

- ... tu es bien sûr que c'est une bonne idée ?
- Il faut bien que tu puisses te défendre. Ce serait du suicide que de te laisser désarmée. Et j'ai cru comprendre que tu voulais vraiment faire quelque chose de ta vie.
- Est-ce que ça implique vraiment de toujours se battre ?
- C'est clairement une nécessité. Peu de criminels se rendent sans se défendre un minimum. Et de ceux-là, il faudra te méfier encore plus que les autres.
- Ouais, je vois. Je crois que je pensais encore vaguement à ce qu'on appelle une vie normale. Vieux réflexe, il s'en ira bien avec le reste.

Non, c'est pas vrai, je n'y pensais plus, au fond. Mais je n'avais pas encore pris la pleine mesure de ce que ça voulait dire, niveau carrière. Plus de travail sur les docks. De toutes façons, j'ai compris que ma propre violence, il me faudrait bien quelque chose pour la canaliser proprement. Cette seconde chance que tu m'as donnée, je veux en profiter, en boire les qualités jusqu'au fond. Tu as l'air soudainement attendri, comme si je venais de lâcher quelque chose qui faisait sens, en toi.

- Tu sais, ce n'est pas parce que tu as décidé de rendre la justice que tu es condamnée au malheur. Il faut que tu trouves un équilibre entre ton devoir et le reste. Sinon, tu risques de finir blasée et incapable de mener ton combat comme il se doit.
- Eh. Le malheur, je savais pas ce que c'était vraiment jusqu'à hier matin. Alors pour l'inverse, je crois que je vais attendre encore un peu. Le temps de recoller les morceaux et de bien comprendre ce qui a changé. Je vais avoir besoin d'un peu de temps, je crois.
- Tu as le temps, tout le temps. Mais quand même, essaye un peu d'apprendre à te défendre en attendant.
- Ça marche, je ferais de mon mieux. Merci... mh... je crois qu'on a fini par faire passer les présentations en dernier.
- Julius. Ledger.
- Serena. Le pourquoi du comment j'ai jamais aimé les calembours.
- Et ton nom ?
- C'est ça la blague. Mes parents supportaient pas les valeurs familiales. Alors pas question que j'hérite de quelque chose qui aurait pu me raccrocher à eux un tant soit peu. Cons d'idéalistes.

La chose a l'air de ne te surprendre qu'à moitié, et en même temps, que répondre à ça ? Heureusement, tu es sauvé par le gong.

- Petite, j'entends d'ici la cloche sonner pour signaler notre arrivée. Il est temps de nous faire nos adieux.

Un silence qui passe. Je pèse mes mots, j'ai pas envie de partir. Vraiment pas. Même si cette conversation ne décolle pas, je m'en fous. C'est ça, se sentir protégée ?
Pourtant, je sais que j'ai pas le choix, que je dois faire cavalier seul. Toujours la même chose : sentiments d'un côté, devoir de l'autre.


- Allez, file. Et prends soin de toi, que je ne me fasse pas du mouron. Ça ne se fait pas de donner du souci à son paternel.
-Bon. Fais attention à toi, hein ? Maintenant que je connais ton nom, je risquerais de le savoir, s'il t'arrive quelque chose.

On se sourit un peu gauchement. Nos mots se sont entrechoqués, même réflexe, en même temps. Le bateau se tient un peu à l'écart d'un banc de sable. Je dois descendre dans l'eau avant de gagner la terre ferme. Une toute petite île, avec peut-être une colonie et quelques planteurs. L'endroit rêvé pour une criminelle en fuite. Ou pour jeter les bases d'une nouvelle vie. J'ai le cœur optimiste, maintenant, quand je vois cette forêt qui borde la plage, ces fumées qui font penser aux récits des marins en quête d'un foyer après un long voyage.
J'accroche l'épée derrière mon dos de ma seule main valide, en te remerciant encore une fois à voix basse. J'ai un peu de mal à faire passer ce que je ressens en vrai. C'est la première fois qu'on m'offre autre chose que des sous-vêtements. Mon premier cadeau désintéressé, en somme.
J'ai pas vraiment d'autres affaires, à part quelques vêtements que tu m'as donnés, de la nourriture pour la journée, et ce que je porte sur moi. Je devrais me débrouiller sur place pour le reste. Ce que je possédais, tout est resté dans la petite cabane que j'habitais sur les docks de Bliss. Ça me manquera pas. Pour moi, c'est déjà loin.

Je m'approche du bastingage, je vais pour sauter à l'eau. Mais une pensée retient mon geste. Un peu du même genre que celles qui m'ont fait renoncer à la mort, et frapper la cloche trois fois. J'arrive pas à me dire que je vais vraiment te laisser sur ces pauvres paroles, ces présentations tardives et gênées, cette espèce de bénédiction qui voudrait dire l'attachement, mais qui ne fait que révéler la couleur un peu sèche de nos émotions.

On s'est raconté déjà pas mal de choses par des gestes. Alors autant finir comme ça. Je me retourne une dernière fois, juste pour te serrer dans mes bras. Pas trop fort, on est tous les deux amochés. Tu me repousses pas, toi aussi, ça te va comme adieu. Cette fois-ci, tout est dit pour de bon, en dix fois moins de temps que ce qu'a duré notre conversation. Rien à ajouter.

Je passe le bastingage, je trempe dans l'eau jusqu'à la plage. Et j'essaye de pas trop me retourner, tandis que le bateau s'en va avec toi.

Regardez-ça, une vraie fontaine. Je pensais déjà avoir vidé mon sac hier, à croire que pleurer, ça dessèche pas. Ou en tout les cas, pas le corps. Mon âme, ce truc que je commence à croire que j'en ai une, elle a plus un pouce d'eau à faire valoir.

Je vais pouvoir commencer à en tirer quelque chose sans qu'elle me glisse trop entre les doigts.

Merci, Julius. Merci pour tout.
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