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Arnaques, flingues et bute Annick [1624]

Il est petit. Il a pas l’air costaud. Y doit avoir une sacrée cambrure pour être voûté comme ça. Il ou Y, c’est le p’tit gars qu’j’aperçois enfin dans la brume. Et qui tape sur son bout d’gras métallique avec ardeur. À tous les coups l’a senti mon arrivée vu qu’y s’étonne même pas d’l’apparition d’un semi-ours en plein milieu d’la cambrousse.
Fin cambrousse, c’pas vraiment le mot. Plutôt lande. Ouais lande dévastée, morne plaine, un truc plat où y’a pas grand chose et où y fait frisquette. On est pas mal monté en même temps.


« Tu as réussi à monter jusqu’ici ? Vous n’êtes pas les premiers venus à ce que je vois nihihi. »


Nihihi ? J’sais pas si le monsieur a eu un cancer de la gorge mais son rire vaseux me nihihirrite les tympans. Y l’a un long nez pointu, en mode menteur de contes pour gosse et une sorte de bleu d’travail qu’a été étrangement blanc au départ avant de virer au gris ébènasse caractéristique de ceux qui osent mettre les mains dans la merde. Son teint jaunâtre (à lui, pas ses frusques) m’inspire pas confiance, doit manger du riz au petit-déj.


« Tu forges des armes Pépé ? »


J’l’appelle Pépé mais j’serai bien incapable d’jauger son ancienneté dans ce bas monde. Dans le doute...


« Oh, je suis désappointée. Avec -ée vous comprenez ? prendre une Lady de mon rang pour un pauvre grabataire, c’est une insulte nihihi. »


Woaw. C’est une gonzesse ? Bordel j’étais persuadé qu’le noir sur ses lèvres c’était la dernière pelle qu’il avait roulé à son sabre. Dans le fond ça change queue dalle mais j’me rends compte qu’certaines personnes ont un potentiel séduction inné. Et puis y’a les autres. Bon j’ai pas l’temps de bavarder, faut que j’en vienne au fait. Y’a un p’tit vent gelé qui s’lève et j’suis pas d’humeur à trainasser.


« Okay la miss...

- Annick. J’adore ce prénom nihihi. »



J’suis à deux gâchettes de commettre un meurtre. Plutôt sale, sans sentiment, un vrai meurtre quoi.


« Ok Annick, t’as l’air de t’y connaître en métal, tu fais autre chose que les sabres ? J’ai deux p’tits copains qui auraient besoin d’un lifting. »


Et j’pointe du doigt Simon&Garfunkel qui font coucou d’leurs mains imaginaires. Son visage garde toujours l’même rictus Sardonien, ouais ouais ça se dit, et ses épaules s’soulèvent en même temps que son rire continue. Zemmour, c’est toi ?


« En effet ils me paraissent bien encrassés. Je peux les voir ? »


Je lui tends gentiment mes armes chargées avant de m’asseoir un peu plus loin sur un rocher, le temps de crier « pool » et qu’elle me plombe gentiment. Z’y avez cru ? Haha, faut pas pousser. On y touche pas comme ça à mes joujoux. Voilà c’que je lui réponds à la muse semi-flétrie. Et là v’là qui fait preuve d’un semblant de logique imparable. Et que comment que je veux qu’elle les bidouille si elle tâte pas la marchandise avant. Foutue bonne femme, vrai qu’elles servent souvent à rien ces mijaurées. Non. Pardon Marisa, je parlais pas de toi, me fais pas la tête j’y survivrai pas.

Alors j’lui refile Simon, petit homme régulier mais fébrile, dépressif comme tous les Simon qu’on peut connaître, même s’ils tapent dans une balle jaune chaque matin.


« Qu’est-ce que c’est que ce mécanisme ? Tu as mis quelque chose dedans ? Intéressant intéressant. »


Bon heureusement que je l’ai déchargé le brave. Mais ouais y’a des os dedans. Et son pseudo discours sur l’effet placebo de c’procédé me fait ni chaud ni froid. Avec moi ça marche, alors je veux juste la même chose. Mais en mieux. Avec du matos neuf. J’ai remarqué que les balles de Marisa vont plus vite que celles de son ancien poto. Faut amplifier ça, faut qu’elle se spécialise. Ça a toujours été la bûcheronne du groupe ma bien aimée. Voilà c’qu’y faut.


« Voilà c’qu’y faut. »


S’ensuit plusieurs minutes où ses petits doigts crochus triturent ma Durandal, malaxent l’espace solide de ma pensée, cassent la routine d’ma petite existenz. Elle veut aussi toucher ma Risa. C’te simple pensée m’fait monter la gerbe, imaginer des ongles crasseux sur ma bohémienne devrait être qu’un cauchemar d’homme imbibé. Mais je savais qu’j’allais devoir m’y résoudre.

J’respire un grand coup et j’offre la seule bonne partie de mon âme à une hérétique en puissance. Un jour peut être on me pardonnera.
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Je me sens nu. Sans rien, sans l’habituel reflet serein d’ma confiance illusoire qui me berce et m’accompagne vers le royaume des anges. Les adieux vont sans doute être brefs, mais ce sont les tous premiers consentis par ma plus très noble personne. Comme la première fois où une gentille maman laisse son bambin à l’école. Les pleurs et les cris je gère, j’suis un type solide, la morve coule presque pas d’ailleurs. Mais à l’intérieur, y’a le vide qu’a laissé sa place à une pointe douloureuse, invisible, impalpable, immatérielle. J’ressens de l’angoisse. Comme dirait un professionnel d’l’immobilier, ça fait un bail.


« Oh oui de belles pièces nihihi, je vais pouvoir m’amuser avec celles là. Par contre, tes petits os à moelle tous décrépis vont pas me faciliter la tâche ! »


Je les veux à la même place, je transige pas là dessus. De toute façon, je les réarrangerai à ma sauce après. J’veux juste le meilleur matériel pour les meilleurs invités. Quoi de plus normal après tout ?
Ses doigts de harpie commencent à désosser les différentes parties de mon humanité. Puis s’arrêtent sec.


« Je vais pas faire ça gratuitement mon chaton, il va falloir qu’on s’arrange nihihi. »



J’prends une grande respiration, j’sens le caca m’arriver droit sur le visage sans pouvoir faire le p’tit mouvement de tête indispensable pour pas se faire appeler à raison « Grosse merde » pendant des plombes.


« J’ai besoin d’une poudre spéciale. On l’appelle la fluorite. Couleur argentée, on la trouve près de la grotte de Paparlà un peu plus au nord. Elle va être utile pour tes armes et puis tu m’en prendras un stock conséquent pour moi aussi nihihi ! »


Bien sûr que j’ai refusé. Avant de me rappeler que j’avais pas le choix, que le contact laiteux d’mes horcruxes se referait pas sans mon aide. Mais y aller avec toute cette purédpois, c’est pas le must que je lui ai argumenté très très brièvement.


« Ne t’inquiètes pas, je vais te prêter une candélanterne. Elle t’éclairera dans les endroits les plus sombres, où toutes les autres lumières seront éteintes. Et elle sent bien bon en plus nihihi ! »


J’ai l’impression subite de me retrouver dans une mauvaise parodie de scénario culte. Mais bon Galadrioche a causé, j’ai pas le temps de philosopher, j’veux reprendre ma route tranquillement, avec le sentiment stupide mais goûtu du travail suffisamment bien accompli.
Alors je rechigne pas, et une drôle de torche éteinte à la main, je pars vers la destination ténébreuse qui pue le vieux piège de série b à pleines narines.


« S’y se passe quoi que ce soit, je saurai rendre ton visage encore plus émacié qu’il ne l’est actuellement. »



Une réplique qui en dit même pas long. Je repars dans la brume, orphelin oublié près d’un trottoir, saltimbanque mélancolique sur une plage de futurs regrets éternels.
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La route est sinueuse, la visibilité est presque nulle. Attention à pas allumer trop vite la torche qu’elle m’a dit à peu près, y’a une date limite. Et j’veux pas qu’elle s’éteigne en plein milieu d’une caverne infestée de chauve-souris ou de Mr.Moustache transgéniques. La mode Frankenweenie, très peu pour ma belle gueule. Alors je marche sans regarder en arrière, droit dans la direction que l’autre naine tuberculeuse m’a indiquée.

En chemin j’ai le temps de m’emmerder. Suffisamment pour avoir quelques idées sympathiques qui germent au fond d’ma caboche. Première d’entre elles, écrire un p’tit recueil sur le nouvel équipage. Un truc pas trop prise de tête, qui me ressemble pas forcément mais qui me tente bien. C’est important d’mettre des mots sur les choses, je m’échine à le rabâcher depuis qu’j’suis môme.
Deuxième chose, scruter si le pas bon vieux Z me file encore au derche. J’ai pas entendu parler de lui depuis un sacré moment et j’arrive pas à me convaincre qu’il a abandonné sa traque. Alors dès que j’sens une présence non loin de moi, invisible pour mes prunelles grisonnantes mais assez angoissante pour me faire bander les muscles tel un Apollon du dimanche matin, j’pose des questions inutiles à une lande muette.


« Quelqu’un ? J’ai pas le temps de jouer aujourd’hui. »



Bop, continuons.
Et j’y arrive à cette grotte. Une bouche sombre semblable à un passage annexe pour un purgatoire mérité. Pas de chichis, j’allume ma candélentille et je m’offre tout entier à ce monstre naturel. Odeur agréable en effet, elle me rappelle que j’suis toujours en vie, que l’usure de mon existence peut être rassérénée par de simples embruns mystiques.
Je vois très vite de quoi elle voulait parler. Une sorte de plaque argentée, semblable à du lichen qui grimpe un peu où elle peut. L’espace autour de moi est conséquent, le silence est d’or en ces lieux. Rien ne vient troubler ma cueillette de fortune, mis à part le souffle rauque d’un local quelques mètres sur ma droite.


« Hein ? »



J’avise l’espèce de scientifique drapé de blanc qui me bondit dessus sans attendre. Y porte un masque bizarre, comme s’il avait du mal à respirer. Ma lumière était posée à côté heureusement, je roule au sol pour éviter l’aiguille grosse comme ça qui menace de transpercer mon épiderme. Un piège ? Un fou isolé ? Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?
J’arrive à prendre le dessus et j’envoie valser le médicament qu’on m’avait préparé. Pourtant, mes sens semblent s’altérer, j’commence à me sentir lent dans mes déplacements.
Trois copains du premier loustic surgissent. Y me suivaient depuis l’extérieur, sûr. Je me suis fait rouler.
Mon indignation envers une vieille peau s’mue en une colère sourde. J’sais pas c’qu’elle a trafiqué avec mes petites armes favorites mais ça va décorner les bœufs dans les chaumières à mon retour. Si j’reviens. J’ai de plus en de mal à réfléchir, j’évite les injections par pur instinct. Tous ceux qui m’entourent portent des masques sur la bouche aussi, j’aimerais bien comprendre.

J’en assomme un et je tords le bras d’un deuxième parce que j’suis quand même un type balèze. Mais leurs différents coups commencent à faire mouche, y se mettent à bouger à la speedy gonzàlaise, je vois plus grand chose.
Et là je me rends compte de la super arnaque du loto. C’est moi qui m’déplace plus correctement, cette senteur qui quitte pas mes narines est une saloperie d’gaz aux propriétés cradoches. Voilà pourquoi y le respirent pas. je me précipite sur le type inconscient pour lui prendre sa vraie oxygène. Bouge ton cul gros D, t’as pas le droit de te relâcher.

Je sens soudain une douleur vive dans mon dos. La première piqûre vient d’atteindre son but, j’ai le regard hagard de ceux qui se savent condamnés.
J’me retourne vivement pour barouder mon honneur. Deux éclairs de style et tous mes compagnons blousés s’retrouvent blasés par l’existence, gisant au sol. J’ai gagné, j’ai gagné...


« Sal... »



Je m’effondre lourdement, talonné par mon ombre sur les parois rocailleuses. La lumière s’éteint, le silence revient. J’deviens le papier peint d’un appartement tout juste rénové, passager fugace d’un navire ténébreux.
Le songes sont parfois affreusement doux, et malgré les chimères qui emplissent ma tête j’ai aucune réelle envie d’arriver à l’heure du réveil.
Un corps de plus pour la science, une volonté de plus à briser lentement.
Bienvenue en enfer.
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