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[Narwhal Rocks] Master Exploder

Si l'île de South Blue la plus proche de Reverse Mountain se nomme Narwhal Rocks, ce n'est certainement pas parce qu'il y pousse des palmiers capables de faire tournoyer leurs feuilles pour s'envoler et se replanter ailleurs ; ce n'est pas non plus à cause du vaste fouillis de tours reliées par des passerelles qui semble avoir poussé en son centre comme un amas de champignons ; pour sûr, cela ne vient pas du réseau de caves et de souterrains qui la parcourt comme une gigantesque galerie de taupes ; et on ne peut décemment attribuer la cause de cette appellation au champ de geysers, comparable à un champ de mines, qui occupe un bon tiers de sa superficie. Non, si cette île se nomme Narwhal Rocks, c'est tout simplement parce qu'elle est très rocheuse et en forme de narval, vue du ciel. Mais si l'on devait la rebaptiser au vu des événements qui vont être relatés, nul doute qu'elle serait désormais connue sous le nom de Grôbordel Badaboum ; ou toute autre appellation synonyme d'un intense taux de brutalité au mètre carré et d'une propension non négligeable à exploser au moindre caprice du destin (le destin étant ici à peu près aussi capricieux qu'une star internationale de douze ans et demi). Car cette île cache depuis des années un lourd secret, une machination sordide qui va bientôt lui exploser violemment à la gueule. Au sens propre du terme.



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- MASTER EXPLODER -

Un méchant vraiment méchant, un complot machiavélique, une menace à grande échelle.
Deux héros badass qui vont tout faire péter.
Rockfor Egry et Brih Demau.

MYSTERY, EXPLOSIONS & CHEESE NAMES. SUCH AN EPIC QUEST.
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Si Brih Demau avait su dans quel bordel incommensurable l'entraînerait sa rencontre avec ces deux hommes en costard et lunettes noires dans une taverne (où il faisait au demeurant assez sombre pour ne pas s'encombrer de verres teintés, mais les gaillards n'en avaient cure : quitte à confondre leur verre de rhum avec le cendrier au prix d'une sévère inflammation de la gorge, ils cultivaient farouchement l'anonymat) ; s'il avait su à quel point sa journée serait éprouvante à cause de ces deux énergumènes ; s'il avait su qu'il serait embarqué dans des péripéties plus cauchemardesques les unes que les autres ; s'il avait su tout cela au moment même où débute ce récit, Brih Demau aurait probablement donné tout ce qu'il avait de plus cher au monde pour croiser ces hommes sur sa route. Mais, ne le sachant pas, c'est avec sa nonchalance habituelle - comparable à celle d'un écureuil hyperactif sous ecstasy - qu'il fit son entrée dans le débit de boissons. Muni de sa chope de cidre, il s'installa à une table au milieu de l'établissement, attendant comme à son habitude le moment propice pour grimper dessus et hurler son désir d'être lancé par la personne la plus puissante de l'assistance. Mais cette fois-ci, il fut devancé : l'un des deux hommes en costume se jucha sur sa propre table, tandis que l'autre - pour faire bonne figure sûrement - empilait trois tabourets et escaladait la structure à l'équilibre précaire, se plaçant ainsi légèrement plus haut que son confrère. S'en suivit une brève lutte de pouvoir entre les deux camarades, chacun essayant de faire culminer le sommet de son crâne à une altitude supérieure à l'autre ; lutte qui se solda par la victoire de l'un d'eux qui réussit à se mettre debout sur un amoncellement constitué de la table, cinq tabourets, deux bouteilles de rhum et son compagnon à quatre pattes. Le reste des occupants de la taverne suivait cet affrontement avec un intérêt pour son résultat quelque peu mitigé par le fait que, de toute façon, les deux hommes étaient absolument impossibles à distinguer l'un de l'autre. C'est d'ailleurs d'une voix parfaitement identique qu'ils prirent tous les deux la parole au même moment :

- Notre patron nous envoie nous informer de la présence d'ingénieurs qualifiés pour un travail aussi important que bien payé ! Y a-t-il dans cette populace un spécimen qui désire nous suivre à Narwhal Rocks pour y croiser sa bonne fortune ?
- Y a moyen d'être lancé par quelqu'un de vraiment balaise là-bas ?
- Euh... C'est une information qui me reste obscure...
- Crois-tu que nous devrions nous en quérir auprès du patron ?
- Il se situe à une distance que je me lasse déjà de parcourir.
- Et cet individu nain ne liera pas sa destinée à notre route sans réponse affirmative.

- Mais si nous ne donnons pas suite à sa requête dès lors qu'il tutoiera nos rivages, il refusera de s'acquitter de sa tâche !
- Nombreux ils ont été avant lui ; néanmoins le travail finit toujours par être exécuté.

- Saurais-tu où ce paradoxe tient-il sa racine ?
- Je subodore une capacité de persuasion faramineuse chez le patron.

- Je me fie à ton jugement. En revanche, puis-je réduire mon altitude ? Mon équilibre me semble défaillant.
- Je ne m'y oppose guère, d'autant plus que ce tabouret creuse dans mes reins des ornières qui ne me semblent que peu propices à éviter les rhumatismes.


Sur cet échange, dont le taux de compréhension dans le pub fut à peu près aussi élevé que son taux de sobriété - c'est à dire carrément négligeable - les deux hommes descendirent de leur table et se dirigèrent vers Brih. Ce dernier s'étant mis debout, les gaillards entreprirent de chercher la meilleure position pour se trouver à sa hauteur ; finalement, l'un d'eux se mit à plat ventre alors que le deuxième se juchait à quatre pattes sur son dos. Ils s'adressèrent ainsi d'une même voix à un Brih qui ne semblait pas plus interloqué que ça - conséquence d'une période de sa vie passée sur une île où la tradition était de porter une brioche sur la tête le jour de son anniversaire, ce qui avec le concours d'une multitude d'autres coutumes sortie du même tonneau, l'avait relativement imperméabilisé à toute forme d'étonnement.

- L'appât d'une rémunération sensible, couplé à celui d'un lancer de votre personne auquel vous semblez aspirer, vous mènerait-il vers une acceptation de l'offre contrebalançant la rémunération susnommée ?
- Ça veut dire que j'vais me faire lancer ?
- C'est avec une vigueur peu commune que j'acquiesce.
- Banco alors. A condition que vous fermiez vos mouilles pendant le voyage, vous m'filez mal au crâne.
- Si notre mutisme vous sied, il sera de mise. Voudriez-vous toutefois avoir l'obligeance de faire acte de présence dans ce réceptacle à tubercules ?


Le réceptacle à tubercules en question étant un sac à patates, Brih s'interrogea quelque peu sur les conditions du voyage à venir ; mais après tout peu importait, il y avait un beau lancer à la clé. C'est donc sans faire de difficultés qu'il entra dans le dit sac, se laissant ballotter sur l'épaule d'un des bonhommes pendant la marche jusqu'à leur bateau, puis par le roulis des vagues lorsqu'il fut fourgué dans la cale du navire. Au milieu du voyage environ, il commença à se demander s'il ne se faisait pas légèrement enfler. Aux trois quarts, il demanda à voix haute "Vous seriez pas un peu en train de m'enfler ?" sans obtenir de réponse plus significative qu'un coup de botte dans les côtes. Et lorsqu'on le jeta, tête la première et privé de ses armes, dans le sol boueux d'une cellule gagnée par la moisissure, avec pour seule compagnie trois rats, une colonie de cafards et un unijambiste édenté qui semblait en conversation animée avec une écuelle de soupe, Brih acquit une certitude.

Il s'était carrément fait enfler.

    "Une question existentielle s'impose. Je te laisse sortir ou pas?"

    Apparemment, ça avait l'air d'être un effet de style particulièrement commun dans cet endroit. Certes, le coup d'œil que me lançait Maurice Granjan me signifia rapidement que c'était une réplique qu'il préférait garder pour lui, mais je n'en avais cure. Ce nain m'avait l'air vachement rigolo. Puis j'aime bien les nains. Ca fait pas trop chier, c'est bonne pâte et... Et ça m'suffisait en fait. L'unique point commun que je pouvais avoir avec celui-ci était qu'il s'était retrouvé lui aussi retrouvé dans la même cellule aux côtés de Michewl Bôjan, écologiste au même titre que mes deux autres camarades, mais qui n'avait hélas pas la chance d'avoir pu nous suivre jusqu'ici. M'est avis que si je libérais la demi-portion, l'autre resterait une nouvelle fois dans sa cellule. Que voulez-vous, avec une jambe en moins, on assume difficilement le rythme qu'imposent trois fuyards.

    "Et là, le vieux répond "Mais j'me souviens plus où j'habite !". ECOLOHOHOHOHO, ELLE EST ENORME NON ?"

    J'ignorais l'ahuri dont j'avais oublié le début de l'histoire pour coller mon regard dans ceux du nain. J'avais comme le sentiment que même si je ne le sortais pas de là, il se débrouillerait bien aisément pour se libérer de la geôle. Mais plutôt que le bonhomme, c'était bien l'ambiance générale qui pesait sur cette île qui m'intriguait. Une île sur laquelle je suis censé régner n'a aucune raison d'être peuplée de mecs armés bien décidé à rayer de la carte mes nouveaux copains, ni à foutre le plus de monde possible en taule sous prétexte qu'il leur serviront plus tard. Une île sur laquelle je suis censé régner n'est pas censé opposer une femme marine à des mecs aussi bien habillés que moi. Une île sur laquelle j'suis censé régner, je suis le seul à avoir le droit de causer des problèmes dessus. Une île sur laquelle j'suis censé régner, j'dois tout savoir à son propos et surtout sur ce fameux patron "ARGlararglouerhb". Une île sur laquelle j'suis censé régner, JE REGNE DESSUS, MERDE. Alors croyez-moi que le beau bordel que j'ai déjà pu constater ici, va pas falloir qu'il dure. D'autant que les mecs de tout à l'heure venaient apparemment de nous retrouver puisqu'ils débarquèrent en trombe dans le long couloir souterrain des geôles. Mes deux acolytes se mirent en position défensive alors que je pointai le nain du doigt, tout en constatant le sourire amusé de Michewl.

    "Hey mec. Si t'es capable de sortir de là tout seul, alors j'te demanderais d'me suivre. Tous les mecs s'étant fait enfermés dans l'coin ont visiblement été entubés. Il est temps que ça change. Toi et moi, on va reconquérir cette île mec, et l'premier qui nous fait chier, BAM dans sa gueule. Ca te va?"

    Mais peut-être désirez-vous quelques explications. Permettez que je revienne un peu en arrière.


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    "Le jeune lui demande "Mais pourquoi pleures-tu comme ça alors ?", héhé."
    "Tain, mais il met vachement longtemps à la faire sa blague ton pote, là."
    "Lui en veut pas, il est lent d'esprit. Du coup, il lui faut une bonne dizaine de minutes entre chaque partie de la blague."
    "Dites les garçons, vous finirez par m'écouter ou pas? J'vous dis que ce qui se passe sur cette île risque de..."
    "Hm, ne sont-ce pas là les quidams qui d'aventures fuirent nos douces et douillettes geôles dans lesquelles nous les y avions transporté?"
    "Si, ce sont. Il semblerait, mon ami, que nous soyons fort conviés de les y replacer. Parbleu que nous serions punis si par hasard n'y retourneraient-ils pas. Mais qui est donc cette gente qui parmi eux prend place?"
    "Ne serait-ce-t-il pas là une envoyée de la marine, venue mettre nos plans en péril?"
    "Si fait. Par conséquent, messieurs-dames, il vous serait fort aise de nous suivre. Nous ne voudrions pas porter atteinte à votre intégrité physique, n'est-ce pas?"

    "Non ! Ce sont les... Alors les fameux terroristes sont bien sur cette île ! Vite mes amis, il faut immédi..."
    "Hey mais ?! Rocks, pourquoi t'as balancé la fille sur ces mecs?"
    "Bah, ça avait l'air d'être la seule qui parvenait à comprendre les conneries qu'ils débitaient. En attendant, cours. Faudrait pas qu'ils nous attrapent."
    "C'est pas une raison !"
    "Bah... Euh... Mais si, écoute-là !"
    "TRAITRES ! SCELERATS ! C'EST CA FUYEZ TANT QU'EST ENCORE TEMPS !"
    "M'voyez?"
    "Et dire qu'elle te trouvait galant. Tenez les mecs, filons par-là."
    "Mais on en vient non?"
    "Raison de plus. Ils viendront pas nous chercher dans les geôles."


    Non, toujours pas? Faites un effort. C'pas si compliqué à comprendre. Mais soit, revenons ENCORE en arrière, puisque vous y tenez.


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    Je marchais droit, comme à mon habitude, Maurice à ma gauche et Grégoire à ma droite. Ce dernier semblait visiblement réfléchir à la suite de sa blague, ce qui me laissait perplexe : allait-il vraiment la finir un jour? M'enfin, peu importait. Je jetais un coup d'œil rapide à la fille sur mes épaules. Jolie dame à première vue, mais dans un uniforme que j'appréciais moins vu qu'il signifiait son appartenance à la Marine. Mais bon. Habillé comme je suis et vu que cette île portait mon nom, je me devais d'agir en tant qu'homme. D'autant que, lorsqu'on me dit que je suis gentleman, je me débrouille pour ne jamais prouver le contraire à la concernée. Jamais. Pour cette jeune femme, j'en fais la promesse, je serais à jamais un gentleman. Enfin bref. Elle semblait encore somnoler un peu, ce qui est compréhensible, rappelons qu’elle n’était pas dans un superbe état quand on l'avait trouvé. Nous arrivions cependant à la grande porte de cet étrange bâtiment que Maurice m'affirmait être la porte de sortie. Comme à son habitude, celui-ci s'avança devant les gardes et me présenta comme "Maître de ces lieux, L'Homme dont l'île porte le nom.", ce qui dans l'absolu est vrai. Sa réaction me laissa crédule.

    "Vous... êtes monsieur Narwhal? Enfin ! Monsieur, sauvez-nous de cet infâme ! Sauvez-nous d'ARGlararglouerhb."
    "ARGlararglouerhb?"
    "Tais-toi à jamais traître ! Nous respectons le patron !"
    "Le vieux lui dit : "Écoute, j’ai une femme de 30 ans à la maison, elle a de super beaux seins, un petit cul à faire rêver, elle me fait des trucs de fou, tous les jours et dans
    toutes les pièces de la maison.", huhu"

    "J'crois que ce n’est pas le moment Greg."
    "Okay mec. Alors saches que l'île n'appartient à personne du nom de Narwhal, vu que moi c'est Rock. OKAY ? Et plus que tout, j'supporte pas qu'un me bute de subordonnés potentiels sous l'nez. Donc tu vas en manger pour ton grade."
    "Rocks? Vous êtes Rocks? Hahahahaha, DONC MAITRE NARWHAL N'EST PAS ICI ! ATTRAPEZ CES USURPATEURS !"
    "Hein?"
    "Attends, tu n'es pas Narwhal? TU TE FOUS DE MOI?"
    "C'est plus l'moment Lord Granjan, j'crois que ses renforts arrivent."


    Il cracha un juron quelconque puis fila droit vers l'arrière, suivi de près par Grégoire. Je redressai la fille sur mes épaules et coursai les deux compères à mon tour. Je n’ai pas bien compris le problème qu'on semblait me reprocher dans cette conversation mais peu importe. Le garde qui a buté son collègue parce qu'il voulait que je l'aide mangerait cher quand je le recroiserais. Pour l'instant, il nous fallait fuir et vite. Et EVIDEMMENT, c'est à ce moment-là que la marine me tapota sur l'épaule. J'vous jure les femmes.

    "Hey, galant homme... Il faut arrêter le... Sur cette île..."
    "Ecoute jolie dame. Je ne suis déjà pas bien sportif, alors si tu pouvais m'éviter de me fatiguer plus en m'obligeant à me concentrer, ça m'arrangerait. Quand t'auras décidée d'être claire dans tes propos et de ne plus être la bonasse clichée que le héros doit sauver, dans c'cas je t'écouterais. Pour l'instant, tu restes tranquille dans mes bras et tu te tais... s'il te plaît, je ne voudrais pas être un goujat."


    Et elle s'est tue. Je me demandais quand même bien comment un mec comme moi avait pu parvenir à choper une jolie fille marine dans ses bras, plutôt que d'être accompagnée de son acolyte teigne habituelle qu'était Rhyne. La vie est parfois farceuse. Mais croyez-le ou non, il y a une explication à cela. Pour cela, regardons un peu en arrière, voulez-vous. (Jamais deux sans trois n'est-ce pas.)


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    "Bon, tu la racontes cette blague?"
    "Dans un parc, un vieux est assis sur un banc et pleure. Un jeune passe et lui demande ce qui se passe."
    "... et la suite?"
    "Hm... Laisse-moi réfléchir."
    "Kay. En attendant, j'vais sauver la demoiselle que j'vois là-bas au loin."
    "J'te suis."


    Demoiselle qui effectivement, semblait avoir fort à faire avec un groupe d'andouilles à gros bras désireux de faire leur petite affaire. D'un pas décidé, je m'approchais deux, ma veste blanche flottant au rythme des courants d'air qui traversaient le couloir. C'était apparemment mon île, je ne laisserais personne y semer le bordel. Enfin... Pas le bordel chiant quoi. Celui avec les femmes, j'suis ok. D'où l'intérêt de secourir la jolie jeune fille. Maurice me précéda et m'annonça devant eux comme le maître incontesté du coin. La simple évocation de ma personne sembla les terrifier et ils fuirent aussi vite qu'ils le pouvaient. Avec un sourire satisfait, je m'avançais et tendait ma main à la jeunette à terre qui, à mon grand dam, portait l'uniforme des justes. Fort heureusement, je doutai qu'elle me prenne pour un hors-la-loi, vu ma tronche. C'était l'un des avantages de cette tenue. Rares sont ceux qui me considéraient comme un type dangereux. N'empêche qu'elle saisit le bras que je lui tendais. Elle ne parvint cependant pas à se lever. Pris d'un élan de bonté, je me baissais à son niveau et la laissait entourer mon cou de ses bras avant de la soulever. Elle poussa un rire fatigué et amusé avant d'enfin prendre la parole.

    "Vous êtes bien galant... J'ai bien de la chance d'être sauvé par un gentleman... Mais avant de poursuivre cette conversation, je dois être sure que vous êtes dignes de confiance... D'où venez-vous?"
    "Pouaaah, c'est une longue histoire. Pour faire simple, j'étais accompagnée de mon sujet, Rhyne, une sympathique peste quand elle décida de faire du shopping dans une île proche d'ici. N'ayant aucune envie de l'accompagner pendant une activité aussi moisie que celle-ci, je m'éloignais de mon côté, jusqu'à tomber sur deux étranges individus... dont je ne comprenais ni les paroles, ni le comportement. Par défaut, dans ce genre de situation, et par fierté, il faut savoir dire oui. Et j'crois qu'au final, c'est ce qu'ils désiraient vu qu'ils m'invitèrent à grimper dans une fieffée embarcation qui nous emmena jusque sur cette île. De là, j'ai moins compris ce qui se passait. Tout simplement parce qu'on m'a bandé les yeux pour me guider jusque dans cette cellule... piteuse. Puis finalement, j'en suis sorti et me voilà. Je ne m'en fais pas pour Rhyne. Elle sait que je reviens toujours."
    "Elle s'est endormie, tu sais?"
    "C'pas bien important. Quand on me pose une question j'y réponds. Qu'elle apprécie ou non m'est égal. Dans l'absolu, vu qu'elle ne l'a pas entendue, ma réponse lui conviendra parfaitement."


    Nous prîmes ma direction de la sortie. La simple évocation du "retour du maître de l'île" semblait faire trembler la plupart des individus que nous croisâmes. Nous étions presque arrivés à la sortie quand on tomba sur un énième groupe, plus curieux que les autres.

    "Mais... Maître, c'est donc vous que les deux ont enfermé?"
    "Bah, faut croire."
    "Mais comment vous êtes sorti?"
    "Une courte anecdote que je n'ai nullement envie de vous raconter. Peut-on passer?"
    "Bien sûr."


    Mais j'vous vois venir bande de curieux. Vous voulez savoir vous. Et bien soit. Mais ne vous plaignez pas si je dois revenir un peu plus tôt dans mon histoire.


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    "Hey? Hey l'unijambiste, tu m'reçois? Tu parles un peu ou pas?"
    "Laisse tomber mon vieux, il ne te dira rien à toi."

    "Euh... Ouais. Vous m'faites sortir ou bien? J'suis votre roi, j'vous signale. Enfin, en principe."
    "Hahaha, il n'y a qu'un maître à Narwhal Rocks et il n'est pas là. On ne sait pas où il est. L'île porte son nom."
    "Narwhal Rock tu dis? Hey, mais c'mon nom ça ! Haha, la classe, je savais bien que le monde m'offrirait un endroit ! Une île qui porte mon nom les mecs, si avec ça vous avez pas la preuve que j'suis au-dessus de vous !"
    "Mais mais... Mais... Beuh... Ok, tu m'as convaincu. J'vous présente le mec qui est à votre côté maître, il s'agit de Michewl Bôjan... C'est un peu notre ancien chef. Un écologiste parmi tous et c'est lui qu'on est venu chercher mais... visiblement, il n'a pas envie de parler en c'moment, s'il en est encore capable. Lui, c'est Grégoire Petijan. Un pote à moi. Et moi, j'suis Maurice Granjan. A votre service."
    "Et pourquoi vous êtes là?"
    "Je ne sais pas si je peux vraiment vous en parler. Vous êtes notre maître mais, vous êtes très loin d'être un écologiste, si j'en crois les rumeurs. Cependant... Vous rencontrer est une belle surprise... Vous sortir de là pourrait m'être incroyablement bénéfique. Qu'est-ce que t'en penses Greg?"
    "Bah j'suis pour. D'autant que j'ai une blague à lui raconter."
    "Juste une chose, maître... Sur cette île, soit vous nous aidez, soit vous êtes du côté du reste du peuple. Soit vous restez dans cette prison, soit vous allez de l'avant. Pour arriver dans ces geôles, vous avez normalement répondu "oui" à toutes leurs demandes."
    "Ah?"
    "Alors que choisissez-vous? Respecter votre parole et vous lier à ces idiots ou plutôt joindre notre cause pour que tout le monde ait un futur? Une question existentielle s'impose. Je vous laisse sortir ou pas?"
    "Et bien soit. J'vous suis, mes gens. Vous m'direz ce que je dois faire en détail plus tard pour vous aider, tiens. Construisons donc ce fameux futur."


    C'est bien connu. Il ne sert à rien de regarder en arrière.



    Dernière édition par Rockfor Egry le Dim 15 Fév 2015 - 0:05, édité 2 fois
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    - On a déjà dû vous le dire souvent, mais vous êtes particulièrement jolie. Oh, ne soyez pas modeste, j'insiste ! Si seulement j'avais encore ma jambe, je vous inviterais volontiers à danser... Oui, c'est un souvenir terrible, une bataille à seul contre cent... J'ai survécu, mais à quel prix ? Oh, vous me flattez, vraiment, je n'ai fait que mon devoir vous savez. Je ne pouvais pas les laisser faire du mal à cette jeune fille. Un héros ? Hihi, n'exagérez pas... vraiment ? Vous m'admirez à ce point ? Eh bien je ne sais que dire, c'est assez embarrassant... Je... Je n'avais jamais rencontré quelqu'un comme vous auparavant... Quelqu'un qui soit aussi...
    - Tu parles toujours à ton bol de soupe ?
    - OH TOI TA GUEULE.


    Brih Demau n'était pas la personne la plus patiente qui soit ; probablement avait-il troqué sa capacité à rester dans une cellule sans rien faire contre celle de les briser menu en un temps record à toute personne partageant son espace vital. Mais heureusement - pour lui, pas pour son compagnon d'infortune - ces deux états de fait s'annulaient mutuellement : le simple fait d'interrompre l'unijambiste dans son flirt potager au moment où celui-ci atteignait son point culminant suffisait à lui faire passer le temps. Cela faisait bien une heure, au bas mot, qu'il attendait le moment le plus sensible pour rappeler au vieux séducteur que l'objet de ses désirs était une bouillie de légumes mise à chauffer dans une marmite (et largement refroidie depuis, se figeant dans l'écuelle sous forme de pâte détrempée). La première fois, l'homme l'avait regardé d'un air vaguement surpris, avant de reprendre sa conversation comme si de rien n'était. Au bout de la dix-septième fois, il avait commencé à ressentir une lassitude bien compréhensible. Quant à la trente-deuxième, elle lui avait fait apparaître la présence du nain blond comme franchement insupportable - et venant d'un homme qui avait eu pour seule compagnie ces derniers mois une tribu de cafards, quelques rats et un bon paquet de moisissures, cela en disait long sur la sympathie que Brih était capable d'irradier dans son entourage.

    Alors que le vieil unijambiste commençait sérieusement à envisager l'éventualité d'éclater violemment la gueule du nain contre le mur, un événement peu habituel surgit, sous la forme d'un homme habillé en costard blanc suivi de deux autres types un peu moins bien habillés - du moins pouvait-on le supposer, la couche de crasse qui maculait leurs vêtements handicapant quelque peu une estimation du niveau de style des habits en question. Brih, plutôt accoutumé aux manifestations du Destin aussi diverses qu'extravagantes (un jour qu'il manquait de s'étrangler en avalant sa cuiller, un homme possédant le Fruit du Démon de la rouille l'avait saisi à la gorge pour le menacer, réduisant la cuiller en poudre et lui sauvant la vie tout à fait involontairement par la même occasion), ne s'étonna guère de cette subite apparition et se contenta de se coller contre la grille pour mieux voir qui arrivait. Après avoir constaté sans grande surprise que les trois nouveaux venus étaient des entrejambes, il leva les yeux pour les examiner plus en détail, et se trouva confronté à deux barbus crasseux et un dandy imberbe aux vêtements immaculés. Selon les critères de virilité de Brih - qui avait été élevé dans un clan de guerriers chez qui rouler sous la table relevait plus du sport national que de la véritable dégradation morale - le plus propre des trois avait l'air d'une sacrée tapette. Aussi s'adressa-t-il aux deux compères qui lui collaient aux basques :

    - C'est pour le mettre dans la cellule lui aussi ? J'vous préviens, on éteint plus la lumière à partir de maintenant ! ET JE LUI TOURNE PAS LE DOS NON PLUS !
    - Une question existentielle s'impose. Je te laisse sortir ou pas?
    - Hein ?
    - OH OUI FAITES-LE SORTIR !
    - Et là, le vieux répond "Mais j'me souviens plus où j'habite !". ECOLOHOHOHOHO, ELLE EST ENORME NON ?
    - Grégoire, c'est toi ? Et toi aussi Maurice ? Vous êtes venus me sauver ?
    - Non.
    - De toute façon je serais resté ici. J'ai fait la connaissance d'une charmante demoiselle, attendez que je vous présente...
    - Hey mec. Si t'es capable de sortir de là tout seul, alors j'te demanderais d'me suivre. Tous les mecs s'étant fait enfermés dans l'coin ont visiblement été entubés. Il est temps que ça change. Toi et moi, on va reconquérir cette île mec, et l'premier qui nous fait chier, BAM dans sa gueule. Ca te va ?
    - OUAIS C'EST ÇA, ESSAIE PAS DE M'EMBARQUER DANS TES PLANS CUL GLAUQUES ESPÈCE DE TAFIOLE PELÉE DES BALOCHES ET HUILÉE DU DERCHE !
    - Bah... Et alors ? Y a des huiles naturelles qui sont tout à fait...
    - FAITES-LE SORTIR D'ICI TOUT DE SUITE ! Regardez, ce sont de simples gonds à demi-cylindre ! Avec le levier approprié et l'application d'une force adéquate, la porte se...
    - ET TOI TA GUEULE ! C'EST QUOI CES MÉTHODES A LA CON ? T'AS ÉTÉ RACCOURCI DES NOIX EN PLUS DE LA GAMBETTE ? ICI ON EST PAS CHEZ LES TANTOUZES, J'VAIS TE MONTRER COMMENT ON OUVRE LES PORTES QUAND ON EST UN VRAI INGÉNIEUR !


    Sur cette invective - dont l'unijambiste se serait certainement formalisé si elle n'avait pas signifié pour lui l'ouverture prochaine de la porte et, partant, le départ définitif de cet insupportable nain qui l'empêchait de conclure avec son bol de soupe - Brih fit craquer les jointures de sa main gauche, dans un bruit de métal qui n'annonçait rien de bon. Respect de l'homme qui travaille ou instinct de conversation, les deux barbus reculèrent de quelques pas ; pas le costumé, qui remonta ainsi légèrement dans l'estime du nain (passant alors de "homosexuel affiché" à "homosexuel refoulé"). L'ingénieur jeta un rapide coup d’œil à la serrure avant de lâcher, plus par constat que par réelle excuse :

    - Ça va faire un peu de bruit.

    S'il est fort courant, a fortiori dans les vaudevilles et autres comédies où l'indiscrétion est de mise, qu'un œil se glisse par le trou d'une serrure, c'est en revanche une denrée fort rare qu'une serrure naturellement munie d'yeux. Ainsi, celle qui se dressait entre Brih Demau et la liberté ne vit rien venir, lorsque celui-ci se mit en devoir de mettre fin à ce douloureux rapport entre eux, paradoxalement en lui imposant une intimité franchement appuyée avec ses phalanges. Le poing sonna contre le métal avec suffisamment de puissance pour faire vibrer les barreaux de la cellule, mais la serrure resta sourde à ce doux son musical - fût-elle douée d'audition, le choc lui aurait de toute manière ébranlé les tympans avec suffisamment de conviction pour qu'elle puisse se persuader qu'il ne s'était strictement rien passé. La parole, en revanche, était un don qu'elle possédait à merveille ; si seul un ingénieur était capable d'entendre le "Va te faire foutre, je m'ouvrirai pas" sous-jacent dans le grincement métallique qu'elle produisit en se pliant à l'extrême sans céder, Brih fit mieux que l'entendre : il y répondit. Et le vrombissement infernal de trois lames de tronçonneuse jaillies de ses jointures n'était définitivement pas un argument auquel une serrure, si têtue soit-elle, pouvait rester sourde. Humiliée d'avoir perdu ce face-à-face, la serrure tomba à terre, inutile et défoncée ; ce qu'il advint d'elle par la suite, l'histoire ne le dit pas. Espérons toutefois qu'elle trouvera une clé à son goût - et de préférence plutôt tolérante envers le handicap physique.

    Toutefois, la liberté n'était pas tout à fait gagnée pour autant : Brih était dépossédé de son marteau, et comptait bien remettre la main dessus au plus vite, pendant que l'autre main se chargerait de balancer des beignes à foison dans la moindre tronche qui ne lui reviendrait pas. Et, comme si le Destin tenait absolument à lui faire plaisir - peut-être pour se faire pardonner de l'avoir embarqué dans un tel merdier - deux belles mouilles d'abrutis se pointèrent au détour du couloir, attirées par le ramdam qu'avait suscité Brih lors de son évasion. Plus précisément, il s'agissait d'une belle mouille d'abruti, dupliquée en deux fois. Et c'est en essayant chacun de grimper sur l'autre pour être plus haut que lui, qu'ils couraient en direction des fugitifs, l'un d'eux se fendant même d'un :

    - Je subodore qu'une extraction du logement qui vous a été alloué, nécessiterait l'aval préalable du patron. Je suis donc à l'immense regret de vous informer que vous êtes en situation de BLOUARGH !

    Bien sûr, une onomatopée aussi rustre que "BLOUARGH" n'avait pas sa place dans le vocabulaire délicat et raffiné des deux sbires en costume ; mais Brih avait une certaine faculté à encastrer plus ou moins brutalement des choses là où elles n'avaient que très vaguement leur place. A la serrure subissant les assauts de lames de tronçonneuse, venait s'ajouter un nouveau témoin de cette capacité, à savoir l'abdomen de l'un des hommes qui venait de recevoir la visite fortuite - et à son sens, franchement dispensable - d'un poing qui s'y invita avec suffisamment de familiarité pour tutoyer en un éclair ses organes internes. Heureusement, l'énergie cinétique fit le nécessaire pour mettre un terme à cette promiscuité malsaine, envoyant le bonhomme valdinguer dans un mur où à moins d'une cruauté absolument monstrueuse, personne n'aurait l'idée de lui faire parvenir du rab de gnons. Subitement, le courage de son compagnon sembla s'évanouir avec une rapidité caractéristique des petits caïds qui se rendent compte qu'ils sont en sous-nombre écrasant ; il tourna donc les talons et repartit en arrière, faisant une halte en passant près de son camarade tombé au combat pour s'accorder un petit sourire de satisfaction à l'idée d'avoir gagné le jeu de l'altitude. Sans réfléchir - ce qui était après tout sa manière coutumière de faire les choses - Brih se lança à sa poursuite, de toute la force de ses petites jambes. D'un bref coup d’œil en arrière au son de la cavalcade qui le suivait, il s'aperçut que l'homme en costume blanc et aux paroles bizarres s'était également mis à lui courir après, les deux barbus crasseux lui collant toujours aux basques.

    Il accéléra. Après tout, être poursuivi par un homo, ça n'a rien de bien rassurant.


      Il y a plusieurs types de course-poursuite. Celles qui ont un intérêt honnête et les autres. Par exemple, poursuivre une jeune fille qui rigole au gré du vent dans un champ de fleur tout en riant également aux éclats est une bonne idée, l'intérêt honnête étant l'amour que la dame peut offrir de bonne grâce. A l'inverse, traquer une jolie demoiselle nerveuse qui ne cesse de se retourner dans une ruelle sombre et puante en instaurant la distance exacte de vingt mètres entre vous, camouflé sous un manteau déchiré et marron et riant de manière fourbe, et la jeune femme n'est PAS un intérêt honnête vu que là, le but est de faire l'amour à dame, qui plus est contre son gré, à moins d'un sérieux problème masochiste. Qu'on se le dise. Je sais très bien que ça va déplaire à certains, et notamment à certains rôdeurs de Cormelles le Royal, mais il est toujours bon d'expliquer les choses. Revenons désormais à nos moutons pour clarifier la situation : la course poursuite que j'avais engagée derrière le nain n'avait en rien un but honnête. Du moins, elle était de celles que l'on commence avant d'en avoir compris l'intérêt. Aussi, je me foutais royalement de savoir si c'était une bonne idée ou non de courir derrière ce rejeton loupé qui venait d'étaler là l'un des deux bonhommes en costume de tout à l'heure. Mais, au lieu de vous expliquer en long en large et en travers ce qui se passait dans ma tête au moment où j'allongeais le pas pour rejoindre celui, plus court, de l'homme dont je voulais faire mon nouvel acolyte, je vous conseillerai simplement de vous habiller en rouge et de vous armer d'un bon verre de sangria pour vous préparer à cette fameuse course-poursuite qu'une fois n'est pas coutume, je serai seul à vous conter.

      Si s'élancer à la poursuite d'un nain ne constituait rien de bien compliqué, ne pas rire de la dégaine de celui que l'on course est chose bien moins aisée. En effet, élancez-vous à la suite d'un homme dont les jambes entières vous arrivent aux genoux, qui a tendance à salement remuer du fion et dont la barbe fouette régulièrement l'endroit où se devinent la lourde paire de loches que ses braies parviennent difficilement à dissimuler, puis tentez de ne pas rire. Difficile, n'est-ce pas? Si je n'avais en effet aucun mal à courir plus rapidement que l'abruti qui venait de s'évader et donc à rogner la distance qui nous séparaient alors que déjà, notre ennemi commun qui menait la file que lui, le nain, les deux écolos et moi-même composions, pénétrait déjà dans le long couloir d'escaliers qui séparent les geôles du reste du domaine, le fou rire qui m'attaquait la gorge parvenait à m'empêcher de rejoindre en seulement deux longues enjambées l'ancien prisonnier. Et je n'parle même pas de Grégoire et Maurice qui eux, peinaient à se mouvoir plus vite qu'un pépé chez l'boulanger. Aussi, lorsque je commençai à gravir les marches de l’escalier, le nain possédait encore quelques trois mètres d'avance sur moi et le bonhomme en costume le double sur mon (futur) nouvel (fin, j'crois) ami (si tant est que l'on peut qualifier cette relation d'amicale). Aussi, je décidais d'accélérer un peu cette histoire qui jusque-là n'esbaudit personne.

      "HE HO, LE NAIN MOCHE ET LE CON INTELLIGENT LA-BAS, VOUS POUVEZ ATTENDRE EN HAUT DES ESCALIERS ? FAUT QU'ON S'ORGANISE UN PEU, C'EST COMPLETEMENT LE BORDEL CETTE BATAILLE !"
      "Que de dieu que vous apportez là un point de vue aussi raisonnable que réfléchi jeune homme ! M'est avis qu'effectivement, nous ferions mieux de nous arrêter si tôt que la pente du sol sera moins forte, soit à la sortie de ce long corridor ascensionnel qui nous sépare de la BLOUARGH !"
      "HAHA, T'ES BIEN NIQUÉ CONNARD !"
      "PUTAIN, MAIS T'AURAIS PAS PU ATTENDRE QU'IL FINISSE CETTE FOIS, CON DE NAIN !?"


      Vous l'aurez compris, si le mec en costume semblait plutôt doué de parole, il était bien moins gâté sur le reste de ses capacités de réflexion. Or le nain, qui définitivement n'était pas quelqu'un de bien philanthrope, en avait évidemment profité pour (à nouveau) gentiment déposer délicatement la jolie face édentée du beau parleur contre deux pierres jusqu'alors reliées entre elles par du plâtre. Malgré la disparition forcée de ce dernier, j'aime à penser que la structure générale du bâtiment n'en souffrirait pas vu comment la tête du bonhomme s'était bien adaptée aux formes du mur dans lequel il terminerait désormais sa trop courte vie. Néanmoins, cela m'emmerdait pas mal. Alors que les deux écolos finirent de monter me rejoindre et que j'atteignais le nain qui se frottait les formes rabougries qui lui servent de main, j'me sentais même relativement con. La raison est simple : les deux garçons sont ceux que nous avions fui seulement quelques minutes plus tôt, et vu l'état dans lequel en quelques courtes secondes le demi homme les avait mis, je doutai sérieusement de l'utilité de leur avoir balancé la jolie fille. Et je réalisais peu à peu qu'ils étaient probablement les mieux placés pour ENFIN m'informer de ce qui se passe dans le coin. Aussi, la témérité du barbu me faisait plutôt chier. Et pour lui faire savoir, je n'ai pas trouvé mieux que le saisir par le col, et dans un effet de levier, mon poids vers ma jambe qui se situait le plus bas dans l'escalier, le faire passer au-dessus ma tête pour le projeter loin, au bas des marches que nous venions de franchir. A mon grand étonnement, il n'était pas particulièrement lourd et l'effet rotatif de mon geste doublé à la pente forte de l'endroit me permit de l'envoyer relativement loin quand sur un terrain plat, il y avait peu de chances que je l'envoie plus loin que sa propre taille. Quedchi que les lois d'la physique sont utiles, tantôt.

      Si je me sentais presque fautif de l'avoir envoyé si loin, je n'émis pas le moindre doute sur sa capacité à s'en relever au quart de tour pour repartir à l'assaut des marches. Aussi, sans vraiment chercher à l'attendre, je m'élançais moi aussi vers le haut de ces escaliers qui m'avaient déjà vu passer deux fois par le passé. Et comme on dit "Jamais deux sans trois", je comptais bien que ce soit la dernière. Suivi de mes deux acolytes écologistes et du bruit des pas (et des cris hystériques) du nain qui repartait à l'assaut des marches lui aussi, je grimpais le peu de distance qu'il me restait avant d'atteindre enfin la sortie. Qu'on se le dise, après avoir été débarrassé des deux emmerdeurs qui parlaient trop, je pensais qu'enfin on pourrait être tranquille. Croyez bien que j'ai poussé un long soupir quand, au sol, j'aperçu les nombreux gardes que nous avions croisé, Maurice, Greg et moi alors que nous cherchions la sortie un peu plus tôt. Eux qui étaient parti à notre recherche un peu plus tôt, bien décidés à mettre la main sur le fugitif que je suis et sur les deux bonhommes qui marchaient avec moi, étaient pour une grande majorité assommés là, par terre, sans qu'aucune explication plausible ne se déclare. Du moins, pas sur le coup. Car l'explication ne tarda pas à se faire connaître. Et elle commença par enlever son cigare de sa bouche.

      [Narwhal Rocks] Master Exploder Mgs4screencigar

      "Je suppose que vous aussi vous êtes des indésirables sur MON île? Dites-moi... Qui servez-vous, cette fois? Leur patron? La Marine? Quelqu'un d'autre ou... Moi?"
      "Vous? Bah vous êtes qui vous?"


      Tels furent les derniers mots de l'écologiste Grégoire Petijan. Du moins, pas avant un bout de temps, car quand le cigare encore chaud atteint son œil et qu'il tomba, visage en main, pour se tordre de douleur, le vieil homme qui se tenait là n'hésita pas à lui écraser le visage contre le sol, ce qui eut le mérite de laisser le blagueur hors d'état de nuire. Reculant d'un pas, par précaution, je lançai un regard inquisiteur vers mon autre compagnon qui, bouche bée, tentait d'articuler quelque chose, visiblement sans succès.

      "Oooh. Je vois qu'il y en a qui me connait au moins. C'EST PAS TROP TOT. ENFIN UN GOUGNAFIER QUI RECONNAIT RICHARD NARWHAL, MAITRE DE CETTE ILE. ENFIN UN, MES COCOS, IL ETAIT TEMPS. JE M'INSURGE, QUI SONT CES CROQUE-LARDONS QUI SQUATTENT CHEZ MOI SANS ME CONNAITRE HEIN, HEIN ?"
      "Hey, mais c'est l'co-proprio ! Salut mec !"
      "Ah vous êtes Narwhal. J'croyais que vous étiez le violoniste de mon groupe de musique préféré. Tant pis."
      "Hm. Vous ne me connaissez pas en fait. Bande de coquefredouilles, vous avez osé me tromper ! Malheur à vous car il vous arrivera à vous aussi ce qu'aux autres j'ai déjà fait ! PREPAREZ-VOUS A GLAAORGH"
      "Tiens, il a fait un bruit bizarre celui-là."
      "C'est qu’il ne doit pas tout à fait être KO. M'enfin, pour une fois que le nain tombe à pic, j'crois qu'il est temps d'en profiter. On s'casse. L'est temps de faire de cette île mienne, et uniquement mienne."


      Vous vous en douterez, la déboulée du nain des escaliers qui, fonçant dans l'tas sans regarder où il allait, était plus que providentielle étant donnée qu'elle avait sifflé le vieil homme à l'aide d'un coup de boule (casqué) dans le bide. Aussi, vu la rouste que le fameux Narwhal venait d'infliger à notre ancien compagnon de fortune dont Maurice ne semblait pas se soucier plus que trois clous dans une barque, je préférais ne pas prendre le risque de voir ma propre face abîmée. Surtout sans comprendre qui est qui dans cette triste affaire. Alors je m'élançais dans une direction que je ne connaissais pas jusqu'alors, que Maurice me suivait de près et que j'espérais voir le nain dans notre foulée, et force était de constater que nous n'étions plus les poursuivants, mais les poursuivis.

      Même si dans l'absolu, m'est avis que de cette île, j'étais bien le seul à poursuivre un but précis.


      Dernière édition par Rockfor Egry le Dim 15 Fév 2015 - 0:20, édité 2 fois
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      Clap. Clop. Clap. Clop. Clap. Clop.

      Il avait déjà entendu ce bruit, longtemps auparavant. Les gouttes de pluie qui s'écrasaient par centaines, par milliers sur le parapluie de fortune qui l'abritait, lui et ses deux fils. Depuis combien de temps, déjà ? Peut-être bien vingt ans. Le petit Benzack n'était alors pas plus grand qu'un nain de jardin, et pas beaucoup plus causant. Il faut dire que ça en imposait, ce déluge qui s'abattait sans discontinuer sur cette île sans nom, sur ces rochers perdus crachant des geysers, comme un taureau qui fait puissamment souffler ses naseaux avant de vous encorner. Ils n'en menaient pas large, les gamins, et lui non plus. Après deux semaines de dérive sur un simple bout de bois carbonisé, dernier vestige de leur fier cargo de commerce, la vue d'une terre aussi inhospitalière avait achevé son moral avec l'assurance d'une lame de guillotine. Sa mère l'avait pourtant prévenu : ''A force de jouer avec les explosifs, il va t'arriver des emmerdes.'' Et il avait répondu, comme à chaque fois qu'il levait l'ancre : ''Je ne joue pas maman, c'est du travail.'' Un travail qui était en voie de faire sa fortune, et qui l'avait brutalement laissé paumé en pleine mer, la jambe gauche à moitié arrachée et un goût de cendres dans la bouche ; tout ça pour un briquet laissé allumé un peu trop longtemps à un endroit un peu trop sensible. Et voilà où il s'était retrouvé, un bout de bois laborieusement ficelé au genou pour remplacer le tibia manquant, titubant sur cette grève rocheuse, avec ces deux gamins qui se serraient contre lui, deux apprentis artificiers sans famille qu'il aimait appeler ses fils. Trois pauvres êtres perdus loin de chez eux, l'île qui mugissait toujours, et le son de la pluie sur ce bout de toile qui les abritait à peine.

      Clap. Clop. Clap. Clop. Clap. Clop.

      Nombreux étaient ceux qui se seraient découragés. Mais Richard Narwhal n'avait, pour ainsi dire, rien à foutre des considérations dont s'encombraient la plupart des gens. Là où tout un chacun aurait vu le champ de geysers comme une menace, l'artificier y vit une source d'énergie, qui lui permettrait de faire repartir sa carrière avec toujours plus de panache. Ils n'étaient que trois, mais ils n'avaient plus rien à perdre, et ils connaissaient leur métier. Là où tout un chacun se serait tenu éloigné de toute forme d'explosif jusqu'à la fin de ses jours, Richard Narwhal replongea dedans la tête la première, plus déterminé que jamais. Cette île, inconnue des hommes ou fuie par eux, n'avait pas de nom ? Qu'à cela ne tienne ; elle prendrait celui que tous répéteraient bientôt par-delà les océans. C'est ainsi, par ce jour où la pluie parait ses rochers de teintes sombres, que naquit Narwhal Rocks.

      Clap. Clop. Clap. Clop. Clap. Clop.

      Richard ouvrit les yeux. Ce n'était pas la pluie qui faisait retentir ces claquements, pas comme ce jour qui avait marqué la fondation de la manufacture de bombes Master Exploder. Pendant un instant, il se demanda si le nain qui l'avait percuté avec assez de puissance pour l'envoyer au tapis était de retour ; mais ce pas régulier ne sonnait en rien comme celui d'un humain. Il lui fallut entendre un bref hennissement pour se rendre compte qu'il écoutait depuis plusieurs secondes le claquement des sabots d'un cheval contre la pierre qui pavait le couloir. Shibuzura avait toujours adoré les chevaux, et c'était bien sa voix grinçante comme un gond mal huilé qui résonnait à présent aux oreilles de Richard.

      - Tsss, tu es vraiment exaspérant, Richard... Combien de fois je t'ai dit de ne plus revenir sur cette île ?
      - C'est mon île, gamin. J'en fais ce que je veux. Et j'ai décidé qu'on était assez riches pour arrêter la production. Tu sais ce que me disait ma mère ?
      - ''A force de jouer avec les explosifs, il va t'arriver des emmerdes.'' Ça fait des années que tu me le répètes en boucle, je commence à retenir.


      Le ton du cavalier semblait légèrement moqueur, mais c'était peut-être simplement sa voix irritante qui faisait cet effet. Avec ce masque inexpressif qui recouvrait en permanence son visage brûlé et mis en charpie par l'explosion, vingt ans auparavant, il était toujours difficile de décrypter les émotions de Shibuzura. Richard s'alluma un nouveau cigare, assis par terre, nullement décontenancé par la différence de hauteur entre lui et le type perché sur son cheval. Un autre que lui se serait senti en position d'infériorité, mais le propriétaire de Narwhal Rocks n'était pas du genre à attacher son amour-propre à une mesure aussi triviale que celle de l'altitude.

      - Tout à fait. Moi je ne jouais pas, je travaillais. Mais toi ? On me rapporte que les ventes diminuent de plus en plus, et pourtant la production semble avoir augmenté à chaque fois que je mets les pieds ici.
      - Alors peut-être que si tu arrêtes d'y mettre les pieds, la production n'augmentera plus, va savoir. Ça me semble assez logique.
      - J'ai passé l'âge d'être pris pour un con, Shibuzura.
      - Et moi celui de t'obéir comme un petit chien.
      - J'aurais plutôt dit comme un fils. Je vous considère vraiment comme mes gosses, tous les deux. D'ailleurs, où est-ce que t'as fourré Benzack ?
      - Il est en sécurité. C'est à moi de le protéger maintenant.
      - Le protéger de quoi ?
      - De lui-même.


      Richard émit un petit rire en exhalant un épais nuage de fumée.

      - Le protéger de lui-même ? M'est avis que c'est pas lui qui en a le plus besoin, Shibuzura.
      - Pense ce que tu veux, mais pense ailleurs. L'atmosphère d'ici n'a pas besoin de tes cigares à la con.
      - S'il te gêne tant que ça, viens me l'enlever, gamin.


      La tension monta subitement d'un cran, suffisamment pour que le cheval renâcle, comme pour dire ''Bon attendez les mecs, on va se calmer maintenant, ça suffit les conneries.'' Mais ce jour-là, la voie diplomatique dut pâtir du mutisme naturel des équidés : personne ne se manifestant pour calmer le jeu, Shibuzura se laissa aller sur la pente de la violence, dans un chuintement métallique qui rappelait fort celui d'une lame de sabre sortant de son fourreau. Puis l'air siffla sur l'acier, l'arme décrivit une courbe harmonieuse, le cigare fut tranché net. Richard n'avait pas bougé, le sourire toujours accroché aux lèvres. Sans se démonter, il ressortit son briquet et alluma à nouveau l'extrémité tronquée de son barreau de chaise, avant de lever les yeux sur son fils adoptif. Ce n'était pas simplement une basse provocation ; le vieil homme marquait son territoire, et il le faisait avec assez de conviction pour se dispenser de pisser sur les murs à cet effet. Shibuzura ne s'y trompa pas : lorsque l'artificier se leva, montrant ainsi que sur ses deux pieds (celui de chair et celui de métal), il atteignait la même hauteur que le gars assis sur son cheval, le masqué ne tenta pas de lui chercher noise davantage. D'un geste savamment étudié, il fit faire une volte à son canasson qui repartit ainsi dans le couloir, tandis que le cavalier faisait lui-même demi-tour sur sa selle afin de ne pas quitter son père adoptif des yeux.

      Clap. Clop. Clap. Clop. Clap. Clop.

      [Narwhal Rocks] Master Exploder Ocelot10

      Richard regarda Shibuzura s'éloigner au pas de son cheval, le regard fixé sur son masque sans expression. L'autre l'observait avec la même intensité. Impossible de savoir ce qui se tramait derrière cette paroi de métal ; et pourtant, le vieil homme sentait que tout cela allait bientôt éclater au grand jour. Peut-être même au sens propre du terme, étant donné la quantité considérable d'explosifs amassés sur l'île en quelques années de surproduction couplée à la chute des ventes. Et il n'était pas sûr d'avoir apprécié cette allusion à Benzack ; pourquoi devait-il se protéger de lui-même ? Où Shibuzura avait-il bien pu le fourrer ? Même une fois la silhouette du cavalier happée au loin par les ombres du couloir, ces questions continuaient à tourner, rebondir, s'entrechoquer dans l'esprit du père adoptif des deux garçons. Tout cela ne lui plaisait pas du tout. Et lorsque quelque chose ne plaisait pas du tout à Richard Narwhal, il avait coutume d'en faire un tas de cendres.

      Un peu comme celles de son cigare, qui tombaient au sol telles une fine neige grise au rythme de ses pas.

      ♠ ♠ ♠ ♠ ♠ ♠ ♠

      Dans la manufacture, les ouvriers, les ingénieurs, les contremaîtres et d'une manière plus générale, toute sorte de personne œuvrant contre rémunération sous les ordres de Shibuzura, s'activaient comme des fourmis. Le patron avait ordonné une hausse de la cadence, afin de boucler ses objectifs de production dans la journée. Si les employés y réussissaient sans se tuer à la tâche, ce serait un jour historique dans l'histoire de la manufacture Master Exploder : l'aboutissement final de plusieurs années de travail acharné, de sueur, de fournaise et de fumée. L'accomplissement du projet grandiose du patron, qu'il était seul et unique à connaître dans son intégralité, mais dont les détails entrevus par chacun des multiples subalternes suffisaient à faire frémir, d'excitation ou de peur – suivant les tempéraments. Certains semblaient plus au courant que d'autres, mais c'était toujours la même chose : on murmurait, on jasait, on s'épanchait, et puis on disparaissait et on était remplacé par quelqu'un de plus discret ; du moins, quelqu'un de plus discret que ce que l'on était avant disparition, puisque les employés châtiés n'étaient jamais très bavards après coup – d'ailleurs, ils n'étaient jamais grand-chose, à part un bon gueuleton pour la faune sous-marine locale.

      Les turbines s'activaient, les machines hurlaient, les hommes s'agitaient : toute la fabrique était prête à accélérer le rythme pour répondre aux ultimes exigences du patron. Personne ne savait réellement pourquoi, après plusieurs années d'attente, il ne pouvait subitement plus souffrir un seul jour de délai ; certains murmuraient que cela avait à voir avec les réapparitions de plus en plus fréquentes et prolongées de Monsieur Narwhal, propriétaire originel de l'île. Les contremaîtres étant bien trop occupés à maintenir la cadence pour s'occuper des besoins nutritionnels des poissons du coin, les jaseurs n'étaient pas trop inquiétés du moment qu'ils contribuaient efficacement au coup de collier général. C'est ainsi que la rumeur se répandit, entre deux coups de marteaux, entre deux jets de vapeur, entre deux chariots de dynamite : Monsieur Narwhal était de retour, fermement décidé à empêcher le patron de mettre ses projets à exécution. Deux camps se formèrent alors progressivement parmi les travailleurs, insidieusement, sous le regard sans soupçon de la hiérarchie qui ne voyait là qu'une brave fourmilière travailleuse et dévouée. Le premier camp, entièrement acquis à la cause du patron (que la plupart n'avaient jamais aperçu, ou alors très vaguement, silhouette sombre perchée sur son cheval), se pliait en quatre pour accomplir ses objectifs de production, et couper l'herbe sous le pied à ce Narwhal qui venait avec impudence foutre le bordel dans de nombreuses années de labeur et d'effort. L'autre camp considérait que Monsier Narwhal avait bien tous les droits ici, puisque l'île était après tout sa propriété ; d'autre part, le travail à la chaîne payé une misère ne les enthousiasmait guère, a fortiori lorsque toute tentative de revendication syndicale se soldait immanquablement par un pique-nique sous-marin – Shibuzura et ses sbires, s'ils manquaient quelque peu d'imagination, n'avaient en revanche rien à envier à personne en capacité de dissuasion.

      Les deux camps se formèrent donc en douce, bâtis sur des rumeurs et des on-dit ; et avant même que le moindre conflit réel ne se soit déclenché entre Richard Narwhal et son fils adoptif, chacun d'entre eux avait sans le savoir une vraie petite armée prête à prendre les armes pour défendre sa cause. Il ne leur manquait plus qu'un incident, un grain de sable dans l'engrenage, une étincelle qui mettrait le feu aux poudres.

      Est-ce qu'un nain en armure, un dandy chapeauté et un écologiste clodo pouvaient mettre le feu aux poudres ? La question ne s'était jamais posée auparavant. Et pourtant, il faudrait bien que les employés de la manufacture Master Exploder commencent à se la poser.

      Car les individus susnommés venaient de débarquer comme des abrutis au beau milieu de la fabrique d'explosifs.

      ♠ ♠ ♠ ♠ ♠ ♠ ♠

      Des chaînes. La pénombre. L'humidité.

      - Je veux... Je veux...

      Des mots fatigués, usés.

      - Je veux être...

      Allez, dis-le encore. Une fois de plus.

      - JE VEUX ÊTRE UN PIRATE !
      - Ta gueule, Benzack.





      Dernière édition par Brih Demau le Mar 24 Sep 2013 - 15:17, édité 1 fois
        Qu'on se le dise, j'avais soit un sacré sens de l'orientation, soit pas mal de chance pour que j'en arrive à dominer le monde juste en forçant le pas. Vu le nombre incalculable de chemins que l'écologiste, le nain et moi avions empruntés, rares sont ceux qui auraient pu parier qu'on en arriverait à ce balcon. Ni à cette jolie fille bâillonnée entre deux caisses de bois mal fermées. Elle, je la connaissait bien hélas. Par conséquent, et tout logiquement, c'est donc vers le bord du balcon que je m'approchais afin de découvrir le paysage. Enfin, tout dépend de la façon de voir une salle très, voire trop spacieuse, remplie d'ouvriers puants, transpirants, transportant de lourds matériaux destinés à fabriquer ce que transportaient d'autres dans de grandes caisses de bois, de machines diverses et d'une étrange odeur de soufre. Je sentais, là, quelques dizaines de mètres sous mes pieds, grouiller le peuple et l'industrie. De ma haute position, je me sentais là comme le chef incontesté de cette grande manufacture. Le roi. Sauf qu'ici, et les évènements me l'avaient déjà prouvé plusieurs fois, ce n'était pas moi. Ce n'était pas non ce con de nain qui nous avait finalement suivi, ni Maurice Granjan, dernier écologiste en bon état du coin, pas plus que les deux mecs en costards que la demi-portion s'était amusé à éclater. Ce n'était très probablement pas cette demoiselle habillée en blanc qui se débattait là dans l'espoir qu'on la libère, et certainement aucun quidam parmi les quelques centaines de bonhommes qui, plus bas, travaillaient comme des forçats. Et si je me fie à ce que j'en pense, il n'était pas même Richard Narwhal, l'homme qui tout à l'heure avait débarrassé la plupart des sbires du vrai patron de son île dont on l'avait vraisemblablement dépossédé. Alors qui? Sur un soupir résigné, je m'approchai finalement de la jeune marine qui, entre les deux caisses, se secouait autant qu'elle le pouvait, et déliai son ligotage avant de retirer enfin le scotch qui lui cachait la bouche. Puis je me bouchai les oreilles.

        "Toi, tu es un beau salaud."

        Je la regardais d'un air niais quelques secondes avant de constater qu'elle n'avait pas grand chose d'autre à dire. Aussi, je m'enlevais les mains des oreilles, époussetais ma veste et lui tendis la main pour l'aider à se relever. La galanterie, ça peut servir pour la crédibilité. Et cette fille était la seule personne qui ne m'était pas hostile à peut-être pouvoir me renseigner sur ce qui se tramait ici. Aussi, je n'avais rien à perdre à paraître là comme un parfait gentleman.

        "T'as un nom jeune femme? J'ai décidé d'enfin t'écouter. T'avais l'air d'y tenir. Puis j'te dois bien ça, je suppose."
        "Ah mais, c'est la jeune fille que t'as balancé sur les gardes tout à l'heure?"
        "Je suis Marine Mouette. Et toi, t'es un beau salaud. J'insiste sur salaud."
        "Et t'es une jolie pute. J'insiste sur jolie vu qu'hélas, j'ai pas eu l'occasion de constater le reste. Tu m'dis ce que tu voulais nous raconter tout à l'heure ou je te ligote à nouveau J'ai pas spécialement envie de t'écouter longtemps dire ce que j'sais déjà."


        La jeune fille poussa un soupir las avant de saisir ma main, surement par nécessité. Elle lorgna l'écologiste d'un oeil mauvais et ne daigna même pas déposer le moindre regard sur mon copain nain. L'ayant d'ailleurs perdu de vue, j'me demandais bien ce qu'il était en train de faire lui. Je regardai à ma droite et le retrouvai à nouveau dans mon champ de vision, en train de fouiller les deux caisses à côté desquelles Marine avait été amenée. Haussant les épaules devant cette activité fortement dénuée d'intérêt, je revenais sur la demoiselle qui s'échauffait la voix pour parler. Elle s'approcha du bord du balcon et m'invita à la suivre. Maurice fut plus rapide que moi et s'appuya, dos contre le rebord, à un court mètre du nain, prêt à écouter le discours de la minaude. Je posais sur lui un oeil suspect avant que la demoiselle me fasse signe de m'arrêter, tandis qu'elle désignait en contrebas l'ensemble de la manufacture.

        "Ceci est l'œuvre d'un certain Shibuzura. La Marine l'a catalogué en tant qu'individu dangereux après qu'il ait testé nombre d'explosifs dans quelques patelins de South Blue. Il s'est fait capturer, il y a un bon bout de temps maintenant, alors qu'il posait une nouvelle bombe sur Suna Land. On l'a amené au QG, et il a été interrogé en long et en large sur ses agissements. Son seul et unique but a toujours été de dépasser les talents de son maître en guise d'artifice. Après avoir purgé une courte peine, vu qu'il n'avait amoché personne, nous le laissions repartir calmement et personne ne l'avait revu jusqu'alors. South Blue écope depuis quelques mois déjà une disparition en chaîne des ingénieurs vous saviez, et évidemment, c'est sur moi qu'est tombée la mission de découvrir le pot aux roses. Certains témoins m'ayant parlé de Narwhal Rocks, je m'y suis rendu assez rapidement. Mais à peine ai-je débarqué ici que certains... faits m'ont rapidement laissé perplexe. A commencer par le nom même de cette île, car je vous le donne en mille, Shibuzura était le disciple d'un certain Richard Narwhal. Et si j'apprenais que ce dernier avait disparu de la circulation un bout de temps, je découvrais aussi qu'il était le fameux maître de notre principal intéressé. Que Shibuzura avait désormais la main mise sur Narwhal Rocks. Et que j'suis tombé là-dessus. La plus grande usine de fabrication d'explosifs de South Blue, si ce n'est pas du monde, sans aucun problème. Il y a là, dans cette salle, assez de poudre pour détruire une ville entière, mais j'ai été capturée avant de pouvoir savoir s’il y avait plus de dangers encore, et si vous voulez mon avis, quelque part sur cette île doit se cacher un sacré stock de poudre et de dynamite. Cet homme est dangereux, c'est un fait, et nous devons prévenir la marine au plus vite si nous ne..."
        "Holà, attends. J't'arrête tout de suite."


        Je m'avançai calmement vers le balcon pour m'y affaisser sympathiquement. Jambes croisées derrière moi, coude sur le rebord en pierre et poings serrés entre eux, mon regard lorgnait le bas peuple qui se démenait à la tâche beaucoup plus bas. Ainsi, le vieux que le nain avait défoncé tout à l'heure était l'ancien propriétaire de l'île et ce fameux Shibu-truc le nouveau. Tous deux fanatiques des explosions, à ce qu'on pourrait penser. Je lançais un regard vers le nain, qui n'avait probablement rien suivi et qui étudiait d'un regard niais un bâton qu'il venait de trouver dans l'une des caisses. A côté de lui, l'écologiste avait arrêté d'écouter le discours de Marine Mouette pour tenter de convaincre la demi-portion d'éviter de jouer avec ces trucs. Je levais les yeux vers le fond de la salle, pensif. Quelle que soit la raison qui poussait le "boss" à créer des explosifs en masse, il était fort probable qu'elle ne soit pas nette. Mais qu'on se le dise, elle ne m'importait peu.


        "Un mec s'amuse avec des bombes, ici-même, sans aucune raison apparente et toi tu veux appeler la marine à l'aide? J'te comprends pas. Tu ne manquerais pas un peu de logique dis-moi?"
        "Bah tiens ! Et que faut-il faire alors, hein ?! A moins que tu sois de son côté ou de celle de Narwhal? Vas-y propose !"


        Je lâchai un long soupir avant de me redresser et de réajuster mon chapeau. Puis calmement, je me retournai vers elle et lui tapotai la tête.

        "Faut lui péter la gueule, et puis c'est tout."


        Je n’eus même pas besoin de me retourner pour sentir contre mes épaules le regard mêlant grande surprise et rage que Marine Mouette posait sur moi. Je voyais en biais le visage de Maurice qui venait d'arrêter la demi-portion pour lui aussi me dévisager. Seul le nain continuait ses œuvres en manipulant tout à côté de nous ses quelques bâtons. Lui aussi avait entendu, j'en étais certain. Et s'il ne réagissait pas, c'était, et j'en suis sûr, uniquement parce qu'au moins sur ce point, il était exactement du même avis que moi. A cette idée, je laissais apparaître un sourire amusé et excité. La demoiselle rompit le silence rapidement, suivie par Maurice et tous deux s'alarmaient devant tout le sérieux que je lâchais dans mes propos, mais pour tout vous dire, je n'écoutais que peu ce qu'ils racontaient à ce moment précis. Dans ma tête, seules se bousculaient les pensées "Nain cool + Explosions + Boîte de thon + Taper du con" et ça suffisait à égayer ma journée. Je ne pensais plus qu'à tout ce qui pourrait se dérouler dans les minutes qui suivraient. Et soudain, je me rappelai du premier but que je m'étais fixé plutôt, en posant le pied sur cette île. Narwhal Rocks serait mienne. Alors, plus que jamais, je la désirais. Et quiconque s'opposerait à moi aura manqué l'occasion d'se taire.

        "LACHE CA, TRIPLE BUSE, CA VA TE PETER A LA GUEULE !"
        "VA CHIER CONNARD ! J'LE LANCE SI JE VEUX."
        "BON BAH GARDE-LE ALORS, CON DE NAIN !"
        "VA CHIER QUE J'LE GARDE ! REGARDE, J'LE BALANCE, V'LA CE QU'J'EN FAIS D'TON BATON !"


        Si, dans la seconde, l'esprit de contradiction de ce nain me donnait l'envie d'applaudir, dans celle qui suivit, le maudire aurait été plus approprié. Car à peine le bâton que venait de lancer la demi-portion toucha le sol à l'autre extrémité du balcon qu'une bonne moitié de ce dernier explosa dans un BAM retentissant, emportant avec lui une sacrée partie de mur ainsi qu'un bon tiers de la porte par laquelle nous avions débarqué un peu plus tôt. La poussière que l'explosion avait soulevée m'agressa rapidement les yeux et il me fallut bien une courte vingtaine de seconde pour saisir ce qui s'était passé et dresser un topo de la nouvelle situation. Marine gisait là, toute à côté de moi, légèrement blessée et consciente et plus en colère encore que deux minutes auparavant. Au bord du gouffre qui s'ouvrait désormais devant nous, Maurice secouait le nain et semblait lui hurler dessus. Les deux caisses, étonnement intacte se tenaient toujours derrière eux. Quant à moi, si l'on excepte la poussière sur ma tenue, rien ne semblait en mauvais état sinon mon ouïe qui sur le coup, venait de se prendre une sacrée loche. J'attrapai le nain par le col et le flanquai au sol, alors que plus bas, je commençai à constater l'effervescence qu'avait créée l'écrasement du balcon sur la fabrique. Des cris de stupeur et d'étonnement s'élevaient en dessous de nous, les quidams ne pouvant comprendre ce qui semblait ne relever que du simple accident. Maurice attrapa la caisse dans les mains et me hurla à la figure.

        "CON DE NAIN ! CON, CON, CON ! C'EST DE LA DYNAMITE BORDEL ! DE LA DY-NA-MITE, QU'EST-CE QUE TU COMPRENDS PAS LA DEDANS ?!"
        "Ta gueule Maurice. Au lieu de te préoccuper de ce qu'il vient de faire, pense plutôt à ce qui va suivre. Les gens en bas ne tarderont pas à rapporter à leur maître l'évènement et crois-moi qu'on va vite se retrouver dans le pétrin maintenant."
        "On devrait le balancer en bas avec le reste de la dynamite, c'est tout ce qu'il mérite !"
        "C'est clair qu'au moins, ça aurait plus de gueule de dire "Ils ont fait péter la manufacture !" plutôt qu'un "Ils ont pétés le balcon !" et qui plus est... Mais dis-moi, Maurice, t'es v'nu pourquoi ici toi?"
        "L'industrie, c'est le mal, il faut la détruire. L'Homme nait poussière et doit retourner poussière, c'est un cycle infini. Mais les machines empêchent ce cycle de se dérouler de bonne manière et à la fin, plus rien ne naît, seule demeure la poussière. C'est pour ça que je suis là. Pour pouvoir retourner à la poussière en paix. Mais je ne vois pas l'rap..."
        "Détruire les machines et devenir poussière. J'te donne l'occasion de faire les deux. Profite !"


        Et avec un sourire sympathique, je poussais mon ancien compagnon et la boîte qu'il tenait en arrière. Il trébucha sur le bord détruit du balcon. Et entama la dernière chute de sa vie. J'entrevis le regard horrifié de la fille derrière moi et alors que beaucoup plus bas, un premier bâton touchait le sol, provoquant là la plus belle réaction en chaîne que cette île daigna connaître, j'aidais le nain à se relever avant de plonger mes yeux dans le regard interrogatif de Marine.

        "C't'une question de logique, tu comprends. Fallait lui faire comprendre à ce Shibu-truc que j'allais pas lui péter la gueule avec un bout d'balcon. Je devais faire un choix entre les deux cons qui nous ont faire prendre."
        "Mais... pourquoi lui? Et pourquoi si peu de scrupules?"
        "Le monde n'a besoin que de moi et je suis le seul à choisir qui a le droit de m'accompagner. Je préférais le nain. C'est tout."

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        Paulus et Célestin étaient, sans conteste, les meilleurs amis du monde. Ils s'étaient rencontrés dix ans auparavant, dans une forêt où Paulus s'était égaré ; connaissant parfaitement les lieux, Célestin l'avait alors aidé à retrouver le chemin de son cher foyer, épargnant au jeune garçon une terrifiante nuit passée dans ces bois qui abritaient assez d'espèces dangereuses pour décourager les bûcherons les plus hardis d'y porter un petit coup de hache – et pourtant Dieu sait qu'un bûcheron hardi, ça ne fait pas dans la dentelle. A compter de ce jour, Paulus et Célestin se trouvèrent liés d'une amitié indéfectible, passant des moments privilégiés ensemble, jouant à des jeux de toute sorte, tels que les échecs, le poker, la belote – essentiellement proposés par Paulus – ou la course à pied, le bras de fer, les combats dans la boue – qui étaient davantage du goût de Célestin. Ce dernier avait en effet un intérêt relativement limité pour les jeux de l'esprit, préférant largement se livrer à un combat sans merci avec son adversaire à grands jets de pièces d'échecs plutôt que de suivre les véritables règles, ce qu'il finissait généralement par faire au bout de vingt minutes de jeu. Son ami ne s'en formalisait pas, bien conscient que son éducation avait dû être très difficile, alors que lui venait des plus hautes strates de la société, où être avocat ou médecin était considéré comme le minimum syndical pour ne pas se trouver déshérité sans états d'âme. Ses parents ne voyaient d'ailleurs qu'avec un enthousiasme très modéré l'amitié de leur fils avec un être aussi rustre que Célestin ; les quelques rares tentatives du jeune garçon pour inviter son ami à la maison s'étaient immanquablement soldées par des crises d'apoplexie paternelles et une forte embauche de domestiques le lendemain pour réparer les dégâts causés par l'insouciance de leur hôte. Les années passèrent, les deux amis grandirent, toujours aussi liés malgré la désapprobation parentale. Paulus commença ses études d'ingénieur, fermement épaulé par Célestin, qui n'y comprenait absolument rien mais tenait à lui filer un coup de main lorsqu'il s'agissait de transporter des matériaux lourds, ou toute autre tâche que sa forte constitution lui permettait de mener à bien, là où l'apprenti artificier avait totalement négligé la culture de son corps dans la plus pure tradition de l'intellectuel gringalet. Son esprit en revanche était capable de véritables prodiges : il commença sa carrière avec l'invention d'un automate qui faisait votre footing à votre place tout en vous massant les jambes, création qui avait fait fureur chez les riches bourgeois ne sachant plus quoi faire de leur argent. De nombreux autres produits suivirent, le vélo amphibie, le réveil qui vous grille des tartines avant de sonner, le casque muni d'une hélice pour fuir par la voie des airs en cas d'urgence, sans oublier sa pièce maîtresse : une dent en or qui pouvait se changer en stylo par un habile système télescopique, invention dont chaque homme d'affaires digne de ce nom avait dû se munir pour ne pas passer pour un clodo. Paulus avait une carrière brillante toute tracée devant lui, et la fortune qu'il était en train d'amasser lui servit à entreprendre la construction d'un magnifique pavillon, où il pourrait habiter avec son ami Célestin. Une vie de rêve s'annonçait.

        Jusqu'à l'arrivée de ces deux hommes en costume qui se ressemblaient comme deux gouttes de mauvaises intentions.

        A partir de ce jour, la vie des deux amis avaient basculé. Tous les deux embarqués vers une île inconnue du nom de Narwhal Rocks, ils avaient chacun été impitoyablement exploités pour leurs qualités respectives : Paulus pour ses talents d'ingénieur, et Célestin pour sa robustesse qui lui permettait de charrier le matériel lourd. Ne travaillant pas sur les mêmes lieux, et logés dans des baraquements différents, ils se perdirent de vue, chacun ne sachant même pas si l'autre était encore en vie tant les conditions de travail étaient dures. C'est ainsi que Paulus et Célestin, les meilleurs amis du monde, s'abîmèrent dans un sinistre quotidien de labeur abrutissant.

        Mais cela n'allait-il pas changer ?

        ♠ ♠ ♠ ♠ ♠ ♠ ♠

        Brih observait les explosions en chaîne, véritablement fasciné par ces énormes fleurs rouges qui s'épanouissaient en contrebas, humant leur parfum de soufre et de fumée. Il n'avait jamais été très porté sur les fleurs, puisqu'il avait grandi dans une contrée où le cadeau traditionnel à une femme n'était pas un simple bouquet, mais bel et bien une peau de bête à la fourrure la plus épaisse possible – ce qui dans de nombreux cas, s'avérait infiniment plus utile qu'un pauvre paquet de végétaux à l'odeur vaguement enthousiasmante. Néanmoins, la floraison à laquelle il assistait à présent, si elle différait résolument d'une floraison ordinaire (ne serait-ce que par sa taille, son caractère hautement létal et les cris horrifiés qu'elle suscitait), constituait un spectacle admirable, même pour quelqu'un qui ne savait pas différencier un géranium d'une jacinthe, ni orthographier aucun des deux. C'est pour cette raison qu'il n'écouta pas un seul mot de ce que disaient pendant ce temps ses nouveaux compagnons, Rockfor Egry et Marine Mouette. Il s'était vaguement intéressé au discours de la jeune femme, mais tout occupé qu'il était à examiner les caisses de dynamite, il n'en avait capté que la moitié, ce qui donnait quelque chose du genre :

        "Ceci est l'œuvre d'un certain [...] tant qu'individu [...] dans quelques patelins de South Blue. Il s'est fait [...] posait une nouvelle bombe sur […] rogé en long et en large [...] Son seul et unique but a toujours été de [...] purgé une courte peine, vu qu'il n'avait amoché personne, [...] personne ne l'avait revu [...] depuis quelques mois déjà [...] et évidemment, c'est sur moi qu'est tombée la mission de […] parlé de Narwhal Rocks, je m'y suis rendu [...] perplexe. A commencer par le [...] disciple d'un certain Richard [...] disparu de la circulation un bout de temps, je découvrais aussi qu'il était le fameux maître [...] Rocks. Et que j'suis tombé là-dessus. La [...] fabrication d'explosifs de South Blue, [...] dans cette salle, assez de [...] pouvoir […] sur cette île doit se cacher un sacré […] ereux, c'est un fait, et nous devons prévenir la marine [...]"

        Brih ne chercha pas à savoir qui était ce Tankin Dividu, pourquoi il avait posé une nouvelle bombe sur un certain Roger (qu'elle avait décri comme long et large), qui avait donné à Marine Mouette l'étrange mission de parler de Narwhal Rocks, qui était le fameux maître Rocks, pourquoi y avait-il assez de pouvoir dans cette salle, et en quoi cela regardait la Marine si sur l'île se cachait un homme sacrément heureux. Rien de tout cela ne sonnait comme une perspective de se faire lancer dans les règles de l'art, donc cela ne l'intéressait pas. Rockfor s'était admirablement débrouillé tout à l'heure, il fallait bien le reconnaître, et c'est uniquement pour cette raison que Brih était encore à ses basques au lieu de se carapater pour aller chercher son marteau et quitter cette île à grand renfort de taquets dans les mâchoires. Désireux de tromper son ennui, il empoigna un bâton de dynamite et l'examina sous toutes les coutures avec les conséquences que l'on sait, et qui l'amenèrent quelques secondes plus tard à admirer la floraison explosive décrite plus haut, grâce au concours de Maurice Granjan – écologiste de fonction et poussière de nature d'après ses dires, qui ne tardèrent pas à se confirmer au terme de sa chute de quelques mètres avec une caisse de dynamite à bras-le-corps. Décidément, il ne faisait pas bon être écolo à Narwhal Rocks.

        Une fois les explosions en chaîne terminées, et les yeux des survivants fermement vissés avec une haine franchement perceptible sur les trois silhouettes qui se tenaient sur les ruines du balcon, Brih jugea que le taux de dangerosité de la fabrique venait de passer au-dessus de sa valeur distractive, et en conclut qu'il était peut-être temps de tirer sa révérence pour préserver son corps, déjà assez réduit pour qu'il se dispense de le tronquer au cours d'une curée d'ingénieurs en furie. Sans demander de comptes à personne, il tourna donc les talons et repartit dans une course effrénée en sens inverse, peu soucieux de savoir si Rockfor et Marine partageaient son point de vue sur les avantages non négligeables de rester en vie. N'ayant pas pris la peine de prendre des points de repère lors du trajet à l'aller, il ne tarda pas à se perdre dans le dédale de couloirs qui assuraient la liaison entre les différents sites de production. Ralentissant, il essaya de se guider au bruit, en collant son oreille contre le sol dans le plus pur style des indigènes de tout poil.


        Au bout d'un moment, il finit par entendre un léger ronronnement de chat repu. Qui devint un bourdonnement de moucheron en colère. Puis un solo de percussions effréné. Puis un moteur de tracteur campagnard. Brih releva la tête, et identifia avec une certitude absolue...

        - Groînk groînk groînk GROÎÎÎNK !

        Le galop d'un énorme sanglier lancé à pleine vitesse pour transporter un chariot rempli d'explosifs. Un sanglier muni de lunettes de protection semblable à celles des ingénieurs, et d'un bandeau sur le front qui clamait fièrement son identité : ''CÉLESTIN''. Brih ne chercha pas à savoir si le sanglier était animé d'intentions vindicatives à son égard ; même si ce dernier avait voulu lui faire un câlin, le résultat final aurait été sensiblement identique, à savoir de très gros problèmes de santé dans un avenir très proche. Le nain repartit donc ventre à terre, espérant vainement semer cet impressionnant cousin du cochon, qui fort de ses jambes deux fois plus nombreuses, quatre fois plus longues et huit fois plus musclées, finirait fatalement par le rattraper.

        - GROOÎÎÎNK ! Groînk groînk !
        - Couché ! Couché ! Euh, au panier ! Ouste ! PUTAIN, CASSE-TOI, CASSE-TOI BORDEL !
        - GRROOÎÎÎNK !!


        Paniqué en constatant qu'il était impossible de faire entendre raison à un sanglier géant lancé en pleine course, même lorsque celui-ci semblait assez civilisé pour s'appeler Célestin, Brih essaya d'accélérer, ce qui était évidemment peine perdue puisqu'il carburait déjà à son régime maximal, la perspective de finir piétiné par un sanglier furieux lui inspirant des prouesses d'athlétisme qui n'étaient malheureusement toujours pas suffisantes. Le grondement de la cavalcade se rapprochait en effet de plus en plus, jusqu'à devenir tellement proche que le pirate ferma les yeux, persuadé que sa vie se finirait ici et maintenant.

        Mais curieusement, le bruit continua à avancer. Sans cesser de courir, l'ingénieur ouvrit prudemment un œil, et un énorme gigot poilu envahit son champ de vision, allant et venant sur un rythme endiablé ; ouvrant l'autre œil, il constata que le jumeau du gigot s'agitait également d'avant en arrière de l'autre côté, dans un mouvement de balancier inverse à celui du premier. Il lui fallut quelques secondes pour comprendre qu'il se trouvait à présent sous le ventre du sanglier, et qu'il observait ses deux pattes antérieures durant sa course, sa petite taille couplée aux proportions hors normes de la bête lui permettant une telle situation sans trop de difficultés. Néanmoins, il n'était pas tiré d'affaire pour autant : le fond du chariot rempli de dynamites que l'animal tirait derrière lui était trop près du sol pour que le miracle se renouvelle. Même à plat ventre, le volume de son armure ne lui laisserait aucune chance. Au fond, il n'avait fait que retarder l'échéance. A moins que...

        ♠ ♠ ♠ ♠ ♠ ♠ ♠

        Michetard le rat aimait bien laper les flaques d'alcool qui résultaient des beuveries des gardes qui maintenaient l'ordre dans la fabrique Master Exploder. Il en revenait souvent passablement éméché, ce que lui reprochait toujours sa compagne Gingebulla, une charmante femelle à laquelle il tenait comme à la prunelle de ses yeux. Plusieurs fois, il lui avait promis qu'il arrêterait ses petites escapades nocturnes, mais le démon éthylique venait toujours le tirer par la queue. Ce soir-là, il avait encore un peu trop forcé sur la flaque, et cherchait en vain une excuse potable à sortir à Gingebulla. Alors qu'il cogitait, un grondement qui allait crescendo se fit retentir dans le couloir où il se trouvait. Se réfugiant rapidement dans un trou au ras du sol, il ne put résister à l'envie de regarder ce qui se tramait par-là. Le spectacle qui s'offrit alors à ses yeux lui coupa le souffle. Jamais, au grand jamais, même après avoir bu toute une flaque, il n'aurait imaginé voir un nain en armure courir sous le ventre d'un sanglier géant, ralentir volontairement pour se trouver juste sous l'espace qui s'ouvrait entre le postérieur de la bête et le chariot qu'elle transportait, puis prendre une impulsion au timing parfaitement calculé pour sauter à travers cet espace et retomber sur le chariot au terme d'un salto arrière proprement époustouflant. Cela ne pouvait être réel. C'était bien trop fou pour ça.

        Cette fois, il arrêtait vraiment de boire.

        ♠ ♠ ♠ ♠ ♠ ♠ ♠

        Brih n'était pas mécontent de sa performance technique, qui associait au soulagement d'avoir sauvé sa peau, l'intime conviction d'avoir réalisé à l'instant même quelque chose de carrément classe. Parfaitement satisfait de lui, il s'autorisa un grand rire victorieux, tant le fait d'aller à pleine vitesse dans un chariot rempli d'explosifs et tracté par un sanglier colossal lui donnait une impression formidable de sa propre puissance. Mais en vérité, bien mal lui en prit. La soudaineté de ce rire fit broncher l'animal une fraction de seconde, amplement suffisante à cette vitesse pour provoquer une embardée qui projeta le nain sur le bord du chariot. Le choc de son armure contre la paroi métallique firent jaillir quelques étincelles qui allumèrent de loin en loin les mèches de tous les bâtons de dynamite du chariot, ce qui à l'inverse éteignit immédiatement l'hilarité du pirate. Il essaya de sauter, mais l'embardée lui avait coincé le pied dans une traverse du chariot, et il n'avait sûrement pas le temps d'essayer de l'y déloger. Éteindre toutes les mèches une par une était également peine perdue. Il ne lui restait plus qu'une option, qu'il choisit immédiatement sans réfléchir une seule seconde aux conséquences : jeter la dynamite hors du chariot, le plus vite possible. Il s'y employa en quatrième vitesse, saisissant les charges explosives par pleines poignées avant des les balancer par-dessus son épaule sans se soucier de leur lieu d'atterrissage. Les explosions s'enchaînèrent dans son dos, ce qui eut pour triple conséquence de faire beaucoup de bruit, de provoquer l'effondrement des couloirs, mais surtout d'affoler Célestin le sanglier.

        - HUUUUÎÎÎK HUÎK HUÎK HUUUUUUUÎÎÎÎK !!

        Brih n'était pas sûr d'apprécier ce changement d'onomatopée. La suite des événements lui prouva qu'il avait raison. L'animal pris de panique doubla sa vitesse, là où le pirate aurait pu jurer que c'était tout à fait impossible à moins d'utiliser un système de propulsion à réacteurs. Larguant toujours force dynamites dans son sillage, le curieux attelage partit donc à une cadence infernale, dans un bruit suffisant pour que toute l'île s'aperçoive de la cavalcade. Les couloirs partaient en poussière dans son sillage, les uns après les autres ; étant situés sous la surface de la terre, leur disparition provoquait des éboulements qui grondaient avec force comme un fauve furieux. Le nain commençait à se demander si cette chevauchée fantastique s'arrêterait un jour ; et par un caprice des esprits farceurs du timing, c'est précisément à ce moment-là que la course cessa.

        Mais s'il est bien nécessaire de dire qu'elle cessa, ce n'est pas en réalité parce que l'attelage arrêta d'avancer, mais parce que les pattes du sanglier ne touchaient plus le sol. A force de courir en proie à la panique et sans regarder devant lui, Célestin était arrivé au point de départ de son aurige malgré lui, à savoir le balcon à moitié détruit sur lequel il s'était tenu avec ses deux compagnons d'infortune. La vitesse acquise étant bien trop importante pour freiner, les lois de l'univers ne s'embarrassèrent pas de considérations morales, et décidèrent résolument de ne pas prendre en compte l'improbabilité de voir un jour s'envoler un sanglier de plusieurs tonnes tractant un chariot presque aussi lourd. C'est donc en continuant à agiter ses pattes dans le vide que Célestin partit dans les airs au-dessus de la fabrique d'explosifs, dont les employés levaient la tête bouche bée devant ce spectacle incroyable. La violente embardée qui avait précédé l'envol ayant libéré le pied de Brih avant de le projeter en l'air, celui-ci se retrouva par une sorte de hasard à califourchon sur l'échine du sanglier volant, tandis que les dynamites restantes toujours allumées prenaient également la voie des airs en se dispersant tout autour.

        - HUUUUUUUUUÎÎÎÎÎÎK !!!

        C'est ainsi que ce jour, un nain en armure chevaucha un sanglier géant qui courait dans les airs, devant un feu d'artifice écarlate à la dynamite. Cette vision épique entre toutes resterait à jamais gravée dans la mémoire de tous ceux qui étaient présents. Et au nom de Brih Demau, le monde entier associerait celui du Sanglier.

          Quand le monde explose, croyez bien que la vie ne défile pas devant soi. Quand le monde explose, ne vous faites pas d'illusions à propos de vos dernières pensées : elles n'iront pas vers vos proches ni vers qui que ce soit. Quand le monde explose, on ne prie pas pour ne pas mourir. Quand le monde explose, on observe simplement et on admire. On ne peut plus détourner les yeux. Car bien souvent, c'est le dernier spectacle d'une vie. Ainsi, lorsque Brih Demau débarqua sur le balcon à la vitesse de l'éclair et qu'il enfourcha Célestin pour une ruade aérienne sans précédent dans l'histoire du monde, bon nombre des gens présents dans la salle baissèrent les bras et levèrent les yeux. Raoul McPovaliss, ingénieur depuis 45 ans posa le regard une seule fois sur les deux énergumènes en l'air et ferma les yeux, laissant couler une larme sur sa joue. Didier Bonbamonbatocassé, recruté par erreur, qui servait depuis 11 ans désormais à faire rouler les carrioles pleines d’explosifs, fixait une à une les explosions dans les cieux. Richard Narwhal, lui, balança simplement aussi fort que possible son cigare en direction du nain. Et après quelques courtes secondes de courses seulement, le cigare heurta la tempe de la demi-portion et l'équilibre en l'air de l'étrange duo se brisa. Et leur chute s'accéléra. Raoul fut le premier à s'éteindre en se recevant l'un des bâtons de dynamites n'ayant pas explosé l'air. Suivit Didier dont les yeux s'arrachèrent suite à une explosion à quelques mètres de lui. Richard Narwhal, lui, eut beau recevoir de plein fouet le souffle des explosions, ne trembla pas d'un pouce. Et lorsque Célestin et Brih Demau terminèrent leur course au sol et qu'un bon cinquième des troupes d'ingénieurs étaient tombé sous les coups de la ruade infernale, il ne recula pas. Et au contraire, il saisit le nain par le pied et daigna lui jeter un regard des plus noirs.

          "Dis-donc le mioche. Tu ne pouvais pas te contenter de me foutre en rogne tout à l'heure et t'enfuir hein? Ton compatriote a eu la décence de le faire, lui. Maintenant que tu as ravagé mon territoire, crois-pas que tu peux encore te barrer."

          Sur quoi Richard Narwhal jeta de nouveau Brih au sol. Le casque de ce dernier heurta la pierre avant de se détacher du crâne de son propriétaire, laissant ce dernier bien vulnérable. Le grand homme huma une bouffée de fumée du nouveau cigare qu'il venait d'allumer. Et leva le pied dans le seul et unique but que Brih Demau ne puisse plus jamais poser le sien.

          ________________________

          "BAH ! UNE CREVETTE !"
          "EXACTEMENT ! DU COUP, OUBLIE PAS D'ENLEVER LA QUEUE !"
          "CA NE VEUT RIEN DIRE, PIRATE CRETIN !"
          "BON, DANS CE CAS, UNE AUTRE DEVINETTE ! QU'EST-CE QUI EST JAUNE !"
          "BAH ! UNE BANANE !"
          "EXACTEMENT ! DU COUP, OUBLIE PAS D'ENLEVER LA PEAU !"
          "MAIS QU'EST-CE QUE TU VEUX QUE JE FASSE DE TES METAPHORES POURRIES ?"
          "LA BANANE, LA CREVETTE, LA BOUTEILLE DE CHAMPAGNE ET LA CUVETTE DE CHIOTTES, C'EST MOI !"
          "ET MOI JE SUIS LA PEAU, LA QUEUE, LE BOUCHON ET LA CHASSE D'EAU, C'EST CA ?"
          "EXACTEMENT !"
          "TU VEUX QUE JE TE LACHE EN FAIT ?"

          "EXACTEMENT !"

          Comprenez bien. Tenir du bout des bras le très court morceau de balcon qui me raccrochait à la vie tout en ayant une Marine Mouette nettement plus lourde qu'à première vue accrochée aux jambes, bah ce n'est pas de tout repos. Si malgré le bruit des explosions, nous parvenions quand même à nous comprendre, je ne souhaitais pas particulièrement la comprendre longtemps puisque ça impliquerait non pas la chute -unique- de la jolie marine, mais bel et bien celle de nos deux corps accrochés, puisqu'il était bien évident que je n'allais pas tenir trois heures suspendu comme un pécore à une pierre qui s'effrite. Aussi, comme le veut la logique, la femme doit se sacrifier pour la survie de l'homme. C'est évident. Cela dit, et malgré mes nombreuses invectives pour qu'elle me libère enfin de son emprise (les métaphores n'étant que le troisième moyen détourné de le lui demander), la pauvre brune ne se décidait clairement pas à se bouger. Aussi, dussé-je m'y résigner : je chuterais là, en tant qu'homme et en tant que roi.

          "PAS LA MOINDRE ENVIE CONNARD !"
          "Bon, bah tant pis alors."
          "QU'EST-CE QUE TU DIS ? HEIN ? NON NON LACHE PAS NON NE.... AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA..."


          ________________________

          Ce fut finalement un ingénieur quelconque qui permit à Shibuzura de se relever. L'explosion avait beau avoir tué son cheval sur le coup, l'homme qui se tenait dessus n'en demeurait pas moins intact. Il était arrivé sur les lieux quelques minutes plus tôt, à la suite de la première grande explosion sur le balcon. Richard, lui, était arrivé à la seconde vague d'explosion, lorsque cet étrange énergumène avait percuté le sol accompagné d'une boite entière remplie d'explosifs. L'actuel propriétaire de Narwhal Rocks et l'ancien ne surent jamais vraiment ce qu'il s'était passé mais une chose était sure. Ce petit grain de sable dans l'organisation sans faille de l'île venait de mettre le feu aux poudres de toutes les rancœurs entre partisans de l'un et l'autre des dirigeants de l'île. Ce qui avait à la fois procuré du soulagement et de la colère à Shibuzura. Plusieurs groupes se bataillaient déjà alors que lui-même n'était pas arrivé. Il savait pertinemment que cette guerre entre lui et Richard finirait par arriver, mais il n'osait pas imaginer qu'elle débuterait de cette façon. Qu'elle soit enfin là le rassurait, car il savait que c'était aujourd'hui le dernier jour où son plan pouvait tomber à l'eau, et qu'il appartenait à lui seul de se débrouiller pour que ça n'arrive pas. Mais le fait d'avoir perdu une si grande quantité d'explosifs en si peu de temps ne lui donnait guère le sourire au visage. Je vous laisse aisément deviner sa réaction lorsque l'un des bâtons de dynamite éjectés du chariot fou mené par Brih Demau atterrit là, juste au pied de sa plus fidèle monture. Pour lui aussi le monde explosa, mais il n'eut pas vraiment l'envie de prendre le temps de contempler la chose. Au pas de course, il fusa vers le lieu où il savait que son père adoptif se tenait. Et il s'arrêta face à lui, au moment précis où ce dernier s'apprêtait à écraser la tête du nain coupable de la ruade infernale.

          "RICHARD ! Laisse ce nain, nous nous en occuperons plus tard. Pour l'instant, c'est juste entre nous deux. Les intrus qui nous ont dérangés ne sont que la mèche du bâton de dynamite que toi et moi avons construit depuis tant d'année. Finissons-en, maintenant. Ou disparais à jamais.

          Un moment de tension se fit joliment sentir lorsque le regard du vieil homme croisa celui de son ancien apprenti. Se remettant peu à peu de la cavalcade du sanglier et de son cavalier, les nombreux ingénieurs eux, profitèrent de ce court moment pour se ranger dans un camp ou un autre. Une guerre se tenait là, prête à éclater au moindre mouvement de l'un de ses deux principaux protagonistes. Mais ce n'est ni l'un ni l'autre qui fit bouger les choses. Ce n'était pas non plus l'un des nombreux ouvriers de la salle. Ni même Brih Demau. Non, celui qui fit bouger la situation s'appelait Rockfor Egry. Et derrière lui se tenait là un individu que personne ne s'attendait à voir mais que tout le monde dans la salle connaissait et aimait.

          "C'est qui ce con là-bas?"

          Bon. PRESQUE tous.

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          "Alors comme ça, madame a le fruit de la toile et ne prévient pas? BAH BRAVO LA JEUNESSE ! J'aurais pu lâcher y a 20 minutes en fait !"
          "Maaaaaaaieuuuuh, c'est le stress, j'me rappelais plus que j'savais faire le parachuuuute !"
          "Ouais bah, si Madame avait un tantinet de sympathie pour sa propre poire et, tantôt, son compagnon d'infortune, elle aurait été gentille de s'en rappeler AVANT que ce dernier ne se ruine les bras à tenter de sauver la situation."
          "Nianiania."

          Si je pouvais trouver un point commun avec Marine Mouette, il est fort probable que ce soit la puérilité qui nous caractérisait tous deux. Si je devais lui être reconnaissant de quelque chose, ce sera du simple fait qu'elle était détentrice du fameux fruit qui nous avait permis de nous poser tout en douceur au sol de la manufacture. Si j'étais bien curieux de savoir ce que la jeune femme pouvait bien faire d'autre avec un fruit de ce genre, je détournais les yeux pour constater la situation. C'était la cohue. Brih se tenait là, au centre, entouré du vieux mec menaçant de tout à l'heure et d'un type que je ne connaissais pas mais qui ne semblait pas particulièrement accueillant. Les ingénieurs quant à eux se surveillaient les uns les autres à coups de regards agressifs. J'étais là, las. Sur un soupir blasé, mon cerveau se mit à travailler aussi bien qu'il le pouvait (c'est à dire, pas très fort) pour chercher une douce solution au dur problème qui se posait à moi. Il fallait sortir de ce cambouis que Brih et moi avions provoqué à la suite de nos conneries respectives. Au final, je n'eus pas vraiment beaucoup de temps pour réfléchir à la situation. Car une main blessée venait d'attraper ma cheville. Et cette fois, ce n'était pas les mains de Marine Mouette qui me suppliaient de la garder en vie. Mais bien celles de Benzack Odenkirk.

          ________________________


          Il y eut une première explosion. Puis ce fut une salve. Puis l'explosion fut d'un coup nettement plus importante. Au point de détourner le regard de l'ensemble des bonhommes dans la pièce. Elle n'était pas diffuse comme lors de la chevauchée infernale de tout à l'heure, non. Elle se concentrait en un seul et unique point. Le souffle de l'explosion fit reculer d'un pas l'ensemble des protagonistes de l'affaire. A l'exception de trois hommes en plein milieu. Et de trois autres à l'extrémité droite de la salle. Et la foule ouvrit un chemin à ceux qui venaient de déclencher la plus grande explosion de la journée. Et tous virent là, droit comme un I, et fier de son œuvre un certain Rockfor Egry. Qui souriait gentiment. Puis tous les regards se posèrent sur le bonhomme qui titubait derrière. Benzack Odenkirk. On eut pu se demander comment il avait atterrit là alors que quelques minutes plus tôt encore il se tenait enfermé dans les geôles secrètes de Narwhal Rocks. La solution était simple. L'un des trop nombreux explosifs de la journée avaient détruit le mur sur lequel le jeune homme s'appuyait dans sa cellule. Et il avait débarqué là, à genoux, blessé aux jambes, au dos et au visage. Mais rien n'avait atteint sa détermination. Et c'est pour cette raison qu'il avait demandé son aide à l'homme en blanc.

          Benzack se dressa sur ses jambes aidé de Marine Mouette et attrapa l'épaule offerte par Rockfor qui l'attendait. Et ce dernier avança, emmenant avec lui l'homme qui attirait toute l'attention. La foule ne pouvait pas s'empêcher de garder l'œil sur Benzack mais celui-ci n'en avait cure. Il voyait plus loin que la foule, plus loin que les deux hommes qui l'attendaient au milieu de la pièce. Plus loin que tous les gens dans la salle, il en était intimement persuadé. Son pas était lourd, son visage marqué. Son souffle affaibli. Mais il gardait l'allure. Il gardait l'allure et voulait la garder toute sa vie car il le savait. Là, à ce moment précis, il montrait à tous qu'il n'était pas qu'un beau parleur. Benzack criait au monde qu'il ne fallait pas l'oublier, qu'il n'était pas un simple débris dans une cellule. Il tomba sur les genoux au milieu du chemin, mais Rockfor ne l'attendit pas. Marine Mouette lançait un regard inquiet vers le bonhomme au sol, mais cette fois-ci s'interdit totalement à l'aider. Benzack cracha un filet de sang et leva les yeux vers l'homme en blanc qui l'avait porté jusque-là. Pour ne voir que son dos. Et n'entendre que sa voix.

          "Alors Benzack. T'es arrivé devant eux bonhomme, comme tu m'avais demandé de t'y guider. T'as plus qu'à leur dire exactement ce que tu m'as dit maintenant. Lève-toi et marche, mec. C'ton tour. C'toi la star cette fois."

          Et c'est ce qu'il fit. Benzack posa ses deux mains au sol et malgré toute sa souffrance se dressa sur ses pattes blessées. Et lentement, très lentement, il marcha vers le centre de la manufacture. Il manqua de tomber une fois. Puis une seconde. Mais il se refusait à tout jamais à tomber encore tant qu'il n'aurait pas réalisé ce pourquoi il était venu jusque-là. Il se stoppa là, aux côtés de l'homme en blanc, à deux courts mètres des deux hommes les plus importants de sa vie. Et il leva les yeux.

          "Shibuzura... Et Richard. Je... Je veux..."
          "Ferme-là, maintenant où je me sentirais obligé de te démolir la gueule frangin. M'oblige pas à ça. M'y oblige pas."
          "JE VEUX... !"

          Richard Narwhal écrasa son cigare sous le pied, attentif. Shibuzura regardait son frère devant lui avec un regard mêlant peur et menace. Ni l'un ni l'autre n'apprécierait ce qu'il dirait là. Le premier parce qu'il ne voulait surtout pas avoir un fils adoptif comme ça. Le second pour bien d'autres raisons. Mais l'un et l'autre s'accorderaient au moins sur ce point. Si Benzack terminait sa phrase, il chuterait une nouvelle fois.

          "JE VEUX ETRE UN PIRATE !"

          Rockfor baissa son chapeau au-dessus de ses yeux, ne dissimulant pas là son sourire excité. Brih se releva rapidement et vint se dresser de toute sa hauteur aux côtés du futur pirate. Marine Mouette vint se placer à l'arrière, apeurée. Puis le nain et le dandy se regardèrent tous deux. Et se craquèrent les doigts.



          Dernière édition par Rockfor Egry le Dim 15 Fév 2015 - 0:19, édité 3 fois
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          Le cri de Benzack Odenkirk avait laissé le silence régner dans la manufacture. Les ouvriers, dressés en deux camps antagonistes, outils en guise d'armes à la main, ne bougeaient plus d'un pouce malgré leur envie furieuse de faire valoir les intérêts de leurs chefs de file respectifs. Lesquels ne lâchaient pas un mot non plus, stupéfaits chacun pour une raison différente. Richard Narwhal avait perdu son assurance en voyant le visage émacié et les membres décharnés de son fils adoptif, retenu captif pendant plusieurs années pour le seul crime d'avoir un rêve en tête. Shibuzura, quant à lui, n'en revenait pas devant le spectacle de celui qu'il avait mis en sécurité, pour son propre bien, et qui osait se rebeller contre lui en continuant à proférer ses absurdités sur une vie de brigandage et de violence. Des années qu'il lui rebattait les oreilles de ses rêves de pavillon noir, de voiles qui cinglent vers l'horizon, d'embruns qui caressent le visage de ceux qui n'ont qu'un sou en poche et un sourire aux lèvres. Shibuzura connaissait ces discours par cœur, et il les avait toujours trouvés ineptes et naïfs. La dernière fois qu'ils étaient monté sur un bateau, une explosion avait détruit leurs vies, et seule la chance leur avait permis d'échouer sur un bout de plage rocailleuse ; et maintenant qu'ils avaient enfin réussi à se construire un nouvel avenir à la force du poignet, voilà que Benzack voulait tout abandonner à nouveau, pour aller risquer sa peau sur l'un de ces maudits bateaux ? Et pire que tout, affronter Grand Line ? Son grand frère adoptif avait entendu parler de ce terrible océan qui réduisait en miettes tous ceux qui n'y étaient pas préparés, broyait les vies et les espoirs de tous ces soi-disant pirates qui imaginaient que semer la destruction n'était rien d'autre qu'une grande aventure...

          Shibuzura savait, lui, à quoi ressemblait réellement la violence. La peau brûlée de son visage le lui criait tous les jours, le déchirant de douleur même plusieurs années après le drame, malgré tous les soins médicaux qu'il avait pu tenter. Jamais il ne laisserait son petit frère s'exposer à pareille souffrance. Benzack se figurait que la piraterie, c'était la liberté. Erreur. La piraterie, c'était le feu, le sang et les larmes. Autant de murs, autant de barreaux entre un homme et la vie qu'il devrait mener.  Et le monde en était infesté. Grand Line était déjà condamnée à un avenir de terreur, et même les mers des Blues commençaient à subir le règne des forbans. Le seul moyen d'être en paix dans ce monde de tarés était de s'assurer que personne n'ait intérêt à vous chercher noise. Aucun pirate sensé n'aurait l'idée de s'attaquer à Master Exploder et son propriétaire masqué ; à la fois parce que tout le monde se fournissait chez eux, et parce que Shibuzura possédait un stock d'explosifs suffisamment conséquent pour que s'attirer ses foudres revienne peu ou prou à se suicider au Buster Call. Depuis des années, il s'évertuait à enseigner cette simple règle de bon sens à son petit frère : être celui qui détient les armes, pas celui qui en dépend. Totalement en vain. Benzack était d'une obstination sans limite ; à plusieurs reprises, le patron l'avait rattrapé in extremis alors qu'il dirigeait un rafiot de misère vers Reverse Moutain, qui se trouvait à quelques milles nautiques à peine de l'île de Narwhal Rocks. Shibuzura n'avait eu d'autre choix que de l'enfermer dans les tréfonds de la fabrique, afin de le protéger de sa propre folie des grandeurs.

          Mais il savait qu'il ne pouvait le retenir éternellement. Et de toute manière, il ne voulait pas enfermer son frère adoptif tout au long de sa vie. Il lui fallait donc une idée, un plan qui empêcherait Benzack de mener son rêve de piraterie à bien.

          La solution s'était imposée comme une évidence.

          ♠ ♠ ♠ ♠ ♠ ♠ ♠

          Un rire rompit le silence. A travers le masque de Shibuzura, il fusa dans l'air comme une multitude de tessons jaillissant d'une bouteille qui se fracasse contre le sol. Un rire bref, tranchant, suraigu, un rire qui crissait et traçait des rayures dans l'air. Puis sa voix grinçante, charnière d'une porte qui donne sur on ne sait quoi – et on ne veut pas le savoir – se fraya un chemin dans les zébrures laissées par sa courte hilarité.

          - Un pirate ! Un pirate ! Mon Dieu, Benzack, tu en es toujours là ? Tu n'as pas encore compris à quel point c'est inutile de brandir tes idéaux fanés au son de tes chaînes qui grincent ? Je ne sais pas comment tu as réussi à quitter ta geôle, mais si c'était pour venir me jeter tes inepties au visage une fois de plus, je vais encore être obligé de t'y enfermer à nouveau. Ça ne sert à rien, petit frère. Moi vivant, aucun mât ne portera ton pavillon noir sur les flots de Grand Line.
          - Tu ne peux pas m'en empêcher. Tu ne peux pas me cadenasser là-dedans toute ma vie.
          - Oh non, bien sûr que non. Et je ne le veux pas non plus. T'emprisonner, ce n'est vraiment pas mon truc.
          - Comme quoi les apparences sont trompeuses...
          grogna Richard avec une ironie mordante. Shibuzura ne releva pas.
          - Alors, qu'est-ce que tu vas faire ? Tu sais que je n'abandonnerai jamais cette idée.
          - Tu sais ce que ça veut dire, ''supprimer les intermédiaires'' ?


          Le patron de la fabrique marqua une pause, laissant à sa dernière réplique le temps de se faire une place dans l'esprit de son auditoire. Quelque chose commença à se dessiner dans celui de Richard. Un dessin qui combinait le rêve de Benzack d'aller sur Grand Line, la haine corrosive que Shibuzura vouait à cet océan et tout ce qui s'y approchait, l'accumulation pendant plusieurs années d'une colossale quantité d'explosifs. Et cette dernière expression, ''supprimer les intermédiaires''. Le vieil artificier commençait à entrevoir peu à peu les tenants et les aboutissants d'un plan qui ne pouvait naître que dans un esprit à la limite de la démence, et redoutablement pragmatique.

          Brih commençait à arriver à des conclusions tout aussi exactes, mais à un niveau bien moins profond d'analyse. A savoir : ce type allait bientôt tout faire péter.

          - Tu verras, Benzack. Demain, le soleil se lèvera sur un monde débarrassé de toutes ces infamies. Demain, l'océan de Grand Line ne sera plus que la chimère qu'il aurait toujours dû être. Demain, la porte sera close.

          Richard grimaça. Il avait vu juste.

          ♠ ♠ ♠ ♠ ♠ ♠ ♠

          Le bateau passait le long de Red Line, à la limite de la mer de South Blue. Une grosse livraison, pour un entrepreneur un peu taré qui voulait creuser un tunnel dans la paroi même du continent afin de permettre un passage moins périlleux que Reverse Mountain – avec péage à la clé, s'entend. Un projet complètement fou, mais peu importait. L'homme d'affaires était bon payeur, et les marchands sont structurellement faits pour s'entendre avec les bons payeurs. Richard ne dérogeait pas à la règle, et c'est avec bonne humeur qu'il avait entrepris sa livraison, consentant même à prendre ses deux jeunes apprentis à bord. Deux sacrés gamins, qui auraient pu être ses fils si les liens du sang n'étaient pas aussi stupidement arbitraires. Pendant que le petit Benzack essayait désespérément d'étirer ses trois pommes de hauteur pour voir par-dessus le bastingage, Shibuzura suppliait son mentor de le laisser essayer de fumer un de ses cigares. Sacré gamins...

          - Richard ! Richard ! s'affola subitement Benzack.

          Alerté par le son de sa voix, Richard laissa tomber le cigare qu'il était en train d'allumer et se précipita vers le bastingage. Il avait toujours été extrêmement protecteur envers Benzack, petit bonhomme dans une grande fabrique d'armes pour les grands. Son cri d'alarme l'inquiétait ; aussi fut-il grandement soulagé de constater que le gamin n'avait rien, et qu'il pointait frénétiquement son doigt vers une énorme montagne rouge traversée d'un puissant courant ascendant.

          - T'as vu la grosse montagne, Richard ? Elle est géniale ! J'en veux une comme ça moi aussi !
          - C'est Reverse Mountain, petit. Dommage pour toi, y en a qu'une comme ça dans le monde entier.
          répondit Richard en souriant.
          - Oh, c'est nul... Eh, Richard, Richard ! T'as vu ? Y a de l'eau dessus ! On peut y aller avec le bateau ? S'te plaît s'te plaît s'te plaît !
          - Non Benzack, c'est trop dangereux. Il faudrait un excellent navigateur pour y aller. Et ce qu'il y a de l'autre côté, ce n'est pas bon pour nous.
          - Y a quoi de l'autre côté ?
          s'interrogea Benzack, tendant naïvement le cou vers le haut pour essayer de voir cet autre côté.
          - Y a des pirates ! s'exclama Shibuzura en bondissant vers son petit frère. Plein de pirates sanguinaires avec des épées qui coupent et tout et tout ! Même que des fois y en a qui meurent, et ils se font manger par plein de petits poissons, ou alors par d'autres pirates quand ils ont trop faim !
          - Même pas vrai !
          - Hein Richard que c'est vrai ?
          - Il y a des pirates, oui. Je ne sais pas s'ils sont tous sanguinaires, mais ils font marcher les affaires. Tant que je reçois ma paye, je ne veux pas savoir ce qu'ils trafiquent avec les explosifs que je leur livre. Ce qui se passe de l'autre côté de cette porte, ça ne me regarde pas.
          - Une porte ? C'est pas une montagne ?
          - C'est une porte vers Grand Line. Une porte ouverte sur la piraterie.
          - Moi plus tard, je veux être un...


          L'explosion lui arracha son dernier mot, et toute sa vie. Ne jamais laisser un cigare allumé traîner dans une cargaison d'explosifs.

          ♠ ♠ ♠ ♠ ♠ ♠ ♠

          Richard s'alluma un cigare. Celui-là, il ne le laisserait pas traîner. L'extrémité rougeoya, laissant échapper un petit volute de fumée grise.

          - Je vois ce que tu es en train de faire, Shibuzura. Et laisse-moi te dire que c'est complètement cinglé.
          - Je me doutais que tu le prendrais comme ça. Mais je dois avouer que ça m'étonne tout de même un peu de ta part. Je croyais que tu ne te souciais guère de l'usage que font les gens de tes explosifs...
          - Les gens achètent des explosifs pour exploiter des mines d'or ou attaquer des places fortes. Personne ne fabrique de la dynamite pendant dix ans pour faire sauter Reverse Mountain.


          Un profond silence suivit cette dernière phrase. Jusqu'à présent, personne d'autre que Shibuzura n'était au courant de la finalité de son plan. Tous avaient travaillé pour lui des années durant, certains de leur plein gré, d'autres sous les coups de fouet, la plupart combinant les deux. Mais aucun n'avait su vers quoi la fabrique Master Exploder se dirigeait réellement. Et voilà que le voile se levait.

          C'était prodigieux de simplicité. Grand Line était un océan dangereux ? Il suffisait de fermer l'unique porte qui y menait. Certes, Shibuzura aurait pu organiser un blocus, il aurait pu le tenir très longtemps, mais il n'aurait pas pu être éternel. Il rêvait d'une solution plus définitive au mal qui gangrenait les mers paisibles de North Blue et d'ailleurs. Il rêvait de détruire ces rêves, ces rêves de piraterie qui hantaient l'esprit du pauvre Benzack, qui faisaient de lui un papillon de nuit susceptible à tout moment de s'embraser et d'en finir à jamais. Éteindre cette flamme qui le fascinait, la rendre inaccessible à lui et à tous les autres, voilà quel était le grand projet de Shibuzura. Il voulait rendre à Benzack sa vie paisible, sa vie d'avant, lorsqu'il n'était pas tourmenté par ces voiles gorgées de sang et ces mers portant le vacarme des batailles.

          Pour cela, il n'y avait qu'un seul moyen. Fermer la porte. La condamner à jamais.
          Un bateau colossal s'avance. Explosion. Une grande montagne rouge, embrasée par le feu, s'abîme dans la mer. Le sommet se dresse toujours, si haut, mais inaccessible. La porte ne s'ouvrira plus.
          Ses nuits en étaient peuplées depuis des années. Et lorsqu'il se réveillait, hurlant, le visage en proie aux flammes qui l'avaient détruit ce matin où tout avait basculé, il se disait que tout était pour le mieux. Il se donnait corps et âme pour que son petit frère ne connaisse jamais ces flammes-là. De l'autre côté de cette porte, il y avait la souffrance.
          Shibuzura y avait goûté. Il ne souhaitait pas à Benzack de vivre comme lui, déchiré, derrière un masque. Non, il n'avait pas le droit. Pas le droit d'aller se faire détruire derrière cette horrible montagne de sang.
          Richard Narwhal avait passé sa vie à vendre la guerre. Shibuzura, lui, achèterait la paix. Une paix au prix de plusieurs tonnes d'explosifs et de nombreuses années de travail, mais qui serait éternelle. Tous ceux qui nourrissaient le rêve dément de devenir pirate devraient bientôt le remercier de faire voler ce rêve en éclats. Peut-être même qu'on lui décernerait une médaille.

          - Je suppose que tu t'attends à recevoir une médaille... lâcha Richard sur un ton désabusé, fort à propos.
          - Et pourquoi pas ? Tu n'imagines pas le nombre de gens à qui je rends service. Détruire Reverse Mountain, c'est porter un coup formidable à la piraterie.
          - Tu es conscient que je ne te laisserai pas faire ?
          - Oh, tu ne peux plus y faire grand-chose, Richard. Les préparatifs sont terminés. Je t'avoue que tu m'as un peu pressé, je n'avais pas prévu que tu reviennes aussi tôt. Normalement, l'engin que je m'apprête à lancer n'était censé être qu'un simple prototype, mais rassure-toi, il est largement assez performant pour fermer à tout jamais le passage vers Grand Line.
          - TU NE PEUX PAS FAIRE ÇA !


          Benzack, qui s'était tenu jusque là silencieux, comprenant peu à peu l'ampleur du plan de son frère, n'y tenait plus. Il se jeta sur Shibuzura, qui tomba à la renverse, surpris. Mais l'assaut fut de courte durée ; le jeune homme était faible et affamé, il avait déjà brûlé toute son énergie en faisant le trajet à pied depuis sa geôle. Se battre était devenu trop difficile. Il s'écroula à terre, pantelant.


          Le samuraï se releva, portant son frère dans ses bras. Lui murmurant quelque chose que personne n'entendit, il le chargea sur la selle de son cheval et fit signe à un ouvrier de l'emmener plus loin. Puis il se retourna en direction de Richard, un combiné d'escargophone à la main. Le vieil artificier amorça un pas vers lui, mais de solides ouvriers à la solde de l'homme masqué avaient prévu le coup et dressèrent devant lui une muraille de muscles et de barres d'acier. Richard aurait pu les envoyer au tapis sans trop de mal, mais d'autres seraient venus prendre la relève. Une attaque frontale était inutile, il s'en rendait bien compte. Il recula, guettant l'occasion d'intervenir efficacement, pendant que Shibuzura faisait grincer sa voix avec triomphe.

          - Tout cela n'a que trop duré. Vois ce qu'il est devenu, à se laisser consumer par ses rêveries absurdes. Je vais mettre un terme à cette histoire. Il faut fermer cette porte une bonne fois pour toutes. Il approcha le combiné de la fente grimaçante qui servait de bouche à son masque. Paulus, lance le TNT Locker.

          Un silence suivit son ordre. Un silence qui s'éternisa. Il n'était pas nécessaire de voir son visage pour deviner qu'il était particulièrement contrarié.

          - Paulus, le TNT Locker, nom d'un cheval !
          - Avec tout le respect que je vous dois, monsieur Shibuzura, je ne crois pas.
          répondit une voix fluette depuis le combiné.
          - … Tu ne crois pas.
          - Non, en effet. Voilà plusieurs années que vous me retenez ici contre mon gré, et maintenant que les choses commencent à aller mal pour vous, je peux me permettre le luxe d'un brin de révolte. Ne vous entourez jamais de gens qui vous détestent, monsieur Shibuzura. Vous m'avez séparé de mon meilleur ami, et pour cela vous ne méritez rien d'autre que mon mépris et ma haine. Regardez. Un vent d'espoir a soufflé parmi vos subordonnés, et les voilà face à vous, les armes à la main. Ceux qui sont encore de votre côté sont ceux qui vous craignent ; mais soyez sûr qu'ils vous détestent tout autant que moi. Aucun d'entre eux n'a de comptes à vous rendre, et moi non plus. J'ai retrouvé mon ami. Il a réussi à me rejoindre, dans le chaos qui règne ici depuis quelques heures. Ce chaos, ces retrouvailles, c'est votre perte, monsieur Shibuzura. Ceux que vous tyrannisez depuis des années ont eux aussi retrouvé quelque chose aujourd'hui, cette chose qui leur permet de se dresser face à vous au lieu de s'aplatir. La liberté est de retour sur Narwhal Rocks. Je ne sais pas grâce à qui, ni pourquoi aujourd'hui plutôt qu'hier ou demain, mais le fait est là et vous ne pouvez rien y changer. Vous n'avez plus d'autre pouvoir ici que celui d'un engin de destruction rempli de dynamite, mais il ne vous sert à rien si personne ne le met en route. Et je refuse de le faire.
          - Petit abruti ! Je n'ai pas besoin de tes avis, de tes considérations ou de tes illusions de liberté ! Tu vas lancer le TNT Locker sur Reverse Mountain avant que je ne me charge personnellement de t'écorcher vif ! C'est un ordre !
          - Monsieur Shibuzura... Voilà ce que j'en fais, de vos ordres.

          Un court silence suivit.
          - Gnnnn... Gnnn... Argh, je n'y arrive pas... Célestin, tu peux écraser ce combiné pour moi s'il te plaît ?
          - Groînk.

          *Crrrk*

          Shibuzura ne bougea pas pendant un long moment. Richard faisait de son mieux pour ne pas se laisser gagner par le rire, mais il était impuissant à masquer l'expression d'hilarité qui dessinait un large sourire sur son visage ridé. Exaspéré, le samuraï brisa à son tour le combiné qu'il tenait dans sa main, avant de faire volte-face, visiblement décidé à aller régler ce problème lui-même.

          Richard cessa immédiatement de sourire. C'était l'ouverture qu'il attendait. Il brandit le bâton de dynamite qu'il avait saisi quelques minutes plus tôt, l'alluma à la flamme de son cigare et le lança au milieu des troupes fidèles à Shibuzura. Pris par la soudaineté du geste, les hommes ne réagirent pas à temps. L'explosion les projeta de tous côtés, créant une énorme brèche dans leurs rangs. Sans attendre, Richard s'y précipita, immédiatement suivi par Marine Mouette, décidée à coller ce sinistre individu sous les verrous. Après un bref regard en arrière, Shibuzura se mit à courir, laissant à ses hommes le soin d'assurer ses arrières. Pour sa part, il allait s'occuper de lancer le TNT Locker, et pourquoi pas, exécuter froidement Paulus au passage. Richard tenta de le suivre, mais sa route fut bientôt barrée par les protecteurs de son fils adoptif. Tout en distribuant des mandales à tout va, il regardait le patron de la fabrique s'éloigner de plus en plus. Il ne pouvait pas le laisser faire ça... Brandissant le poing en l'air, il hurla de toute sa puissance :

          - NARWHAL ROCKS, AVEC MOI !

          Ce fut d'abord un mécanicien maigrelet qui se jeta dans la cohue à sa suite. Puis un robuste cariste, balançant ses poings de tous les côtés. Une équipe d'ouvriers se précipita, fracassant les os des adversaires sous les coups de clés à molette. La ferveur se répandait peu à peu parmi les travailleurs fidèles à Richard Narwhal, qui se lançaient les uns après les autres dans la bataille. Ce fut bientôt une masse considérable qui appuyait le vieil artificier dans sa lutte. Mais les partisans de Shibuzura tenaient bon. Dans les deux camps, les jets de dynamite ne tardèrent pas à fuser, couvrant sporadiquement le vacarme du métal contre le métal et les cris des deux cohortes en fureur.

          Rockfor et Brih s'étaient joints à la mêlée, soit par la force des choses, soit par désir de se défouler un peu, et probablement un peu des deux. L'un s'était muni d'un casque de chantier, mais ne pouvant se résoudre à le substituer à son chapeau, il le tenait dans ses mains et s'en servait pour asséner à ses adversaires de terribles coups de boule mécaniques. L'autre, féru de combat au marteau, avait récupéré une lourde masse qu'il maîtrisait à merveille, moissonnant les rangs adverses, principalement au niveau des rotules. Quant à la dynamite, l'un et l'autre ne se privaient pas d'en balancer quelques grappes lorsque l'occasion leur en était offerte, avec suffisamment de générosité pour être rapidement craints des gaillards d'en face.

          La bataille faisait rage, entre ceux qui criaient le nom de liberté et ceux qui avaient peur de ce mot. Le sang coulait, la fumée s'élevait, les corps tombaient. Ce lieu avait toujours été un sanctuaire de la puissance ; on l'étudiait, on la rationalisait, on la mettait dans des boîtes, on l'expédiait au loin munie d'une facture. Mais à présent, elle éclatait, incontrôlable. À présent, plus personne ne pouvait l'acheter, la monnayer, la négocier. La puissance vibrait dans le sol et dans l'air, déchirant tout ce qui pouvait être déchiré. Des années de violence contenue se libéraient à présent, dans une lutte acharnée et meurtrière. Le sang, le feu, les larmes. Tout ce que Shibuzura avait voulu éviter à son frère, il venait de le faire exploser au beau milieu de sa fabrique. Et la marée grondante de ceux qui l'avaient détesté dès le premier jour s'élevait à présent, se fracassait encore et encore, emportant avec elle les barrières que ses troupes tentaient de lui opposer.

          Mais tout cela ne suffisait pas. Si les forces de Richard gagnaient progressivement du terrain, Shibuzura était en revanche arrivé à l'autre bout de la salle, et dans une poignée de secondes il aurait disparu dans le dédale souterrain de Narwhal Rocks. L'artificier lança un bâton de dynamite en désespoir de cause, que le samuraï trancha au vol de son sabre, sur ses gardes cette fois-ci. C'était foutu, il allait...

          - EH TOI, T'AS UNE BELLE DÉTENTE DE L'AVANT-BRAS ! ÇA TE DIRAIT DE ME LANCER ?

          Brih Demau n'avait probablement jamais eu de meilleure idée de sa vie. Lorsque les plaques de son armure s'écrasèrent contre le crâne de Shibuzura, Richard Narwhal se dit que le Destin avait de bien curieux émissaires.

          Et lorsque Rockfor Egry bondit sur un bâton de dynamite pour que l'explosion le projette dans les airs jusqu'à rejoindre Brih, Richard Narwhal se dit que le Destin avait fait un pari franchement hasardeux.



          Dernière édition par Brih Demau le Jeu 24 Oct 2013 - 11:35, édité 1 fois

            Certains s'entraînent des dizaines d'années pour danser un ballet. Un seul et unique ballet pour une vie. Pour y tenir l'un des rôles principaux, entendons-nous. La figuration ne présente que peu d'intérêt dans un art si grandiose que celui-ci. Danser au gré des rythmes, aux yeux de tous. S'accorder physiquement à ce que le monde entend. Etre reconnu. Ce n'est pas qu'une danse. C'est une histoire. Une aventure épique à laquelle tout le monde rêve de participer, même le plus insignifiant. Etre le héros de spectacles tels que ceux-ci, c'est montrer à tout le monde que leur personne s'avère inférieure à celle qui s'épanouit sur le tempo mené par l'univers qui l'entoure. Qui vaut mieux qu'une étoile? Seul Rockfor Egry s'estimait ainsi. Et, coup de chance, dans le ballet des dynamites que lui et le con de nain avaient déclenché, il tenait actuellement le premier rôle.

            ________________________

            "GROOÎÎÎNK !"
            "Tu crois?"
            "Groînk."
            "Dans ce cas, presse le pas, Célestin ! Nous ne pouvons permettre à ce tyran de briser le rêve de Benzack comme il a brisé le nôtre !"

            Paulus flatta l'encolure de son meilleur ami. C'était la première fois qu'il le chevauchait. Il s'y était pourtant toujours refusé, prétextant ne pas considérer Célestin comme une bête esclave mais comme un être à part entière. Même au vu du chaos régnant sur Narwhal Rocks, l'ingénieur éprouvait bien trop de scrupules à faire passer son ami pour un animal dominé pour seulement envisager de le monter. Mais le sanglier voyait les choses différemment. Paulus ayant plus tôt refusé d'appuyer sur le bouton de lancement du TNT Locker, Célestin considérait à raison que Shibuzura se ruerait directement vers son arme ultime afin de l'allumer directement. Aussi avait-il, d'un coup de museau, jeté Paulus sur son arrière-train et était parti à l'assaut du couloir afin de rejoindre le hall où se déroulaient les combats. Et lorsqu'ils y arrivèrent, ils furent surpris de la violence de ceux-ci. Mais plus encore, du dandy blanc qui virevoltait dans les airs tels un danseur étoile et du nain qui filait droit vers la porte opposée à la leur.

            "Groîîînk. Grooooîînk ?!"
            "Nan, je les vois comme toi. On ne peut cacher une certaine grâce chez l'type en blanc d'ailleurs. Même si j'ai du mal à comprendre comment il est physiquement possible de danser en se propulsant via de la dynamite sans s'arracher les jambes."
            "Grooîîîînk !"
            "COMMENT ÇA, LE NAIN T'A DÉJÀ CHEVAUCHE ?"
            "GROOÎÎÎNK !"
            "... ooooh non, tu n'y penses même pas."

            Alors Paulus s'accrocha aussi bien qu'il put à son meilleur ami. Car Célestin, parti dans une ruade monumentale, il sauta droit sur une boîte d'explosif en flamme et s'envola au même titre que son premier cavalier de la journée et son ami blanc. A la différence près que, quand ils passèrent au dessus de lui, Richard Narwhal s'accrocha bien hardiment aux pattes du sanglier.

            ________________________

            "ATTRAPE-MOI TOI !"
            "Oh, Marine, qu'est-ce que tu fais là?"
            "Etant aussi légère qu'une toile, en témoigne mon fruit, le souffle d'une de tes explosions A LA CON m'a emporté."
            "Ah je vois. Mais pourquoi tu veux que j't'attrape?"
            "BEH, parce que t'es le seul qui semble réussir à diriger tes explosions ! Étant donné que j'ai aucune envie que ça m'arrive sur la tronche, je préférerai être quelque part où j'peux être en sécurité, et force est de constater que dans les airs, il n'y a qu'à côté de toi."
            "Cela dit, j'vois pas l'intérêt pour moi."
            "T'éviter de t'écraser par terre, pour commencer?"
            "Ah bien vu ! Bon bah viens là, alors."
            "..."
            "..."
            "Tu comptes avancer à coup de dynamite combien de temps comme ça?"
            "Jusqu'à rattraper le nain."
            "C'est pas lui juste en dessous?"
            "Ah si, tiens. Attention, fais gaffe au dessus."
            "HEY ! ME BALANCE PAS DES BÂTONS A LA TRONCHE !"
            "C'est pour nous propulser vers le bas !"
            "MAIS T'ES..."
            "WAÏE !"
            "Et hop."
            "MAIS QU'EST-CE QUE TU FOUS LÀ, TOI ?"
            "Baaah, je cherchais un moyen d'aller plus vite !"
            "C'EST PAS EN ME SURFANT DESSUS QU'ON FILERA DROIT !"
            "J'ai bien peur qu'il ait raison."
            "Vous êtes chiants à râler tout le temps !"
            "J'VAIS ETRE OBLIGÉ DE DEMANDER AU VIEUX DE ME RELANCER EN PLUS !
            "Pas que ça te pose problème !"
            "OUAIS MAIS... Hey attends, y a un truc qui vient d'me choper !"
            "CELESTIN ! JE L'AI !"
            "GROOOOOOOOÎÎÎÎÎÎÎÎÎK !"
            "MAIS QU'EST-CE QU'IL FOUT LÀ CE COCHON ?"
            "Groînk !"
            "IL DIT QUE C'EST UN SANGLIER !"
            "BAH TE REVOILÀ TOI !"
            "Eh, vous avez pas mal aux bras, en dessous du nain?"
            "Étrangement non. J'suis peut-être devenu super fort depuis que j'suis rentré dans la salle !"
            "JE VOUS DIS QUE C'EST UN COCHON !"
            "J'pense plutôt que c'est elle qui tient la plupart de notre poids avec le con blanc."
            "GROÎÎNK !"
            "Il dit que vous l'agacez, c'est un sanglier !"
            "Ouais, j'suis une femme toile ! J'suis un parachute !"*
            "BAH SI, IL A UNE QUEUE EN TIRE-BOUCHON !"
            "Groînk?"
            "Il dit qu'il voit pas l'rapport."
            "C'EST PAS UN TIRE- BOUCHON ! C'EST MOI !"
            "EST-CE QUE QUELQU'UN PEUT ME RELANCER ?"
            "QU'EST-CE QUE TU FOUS LA BENZACK ?"
            "Ça risque d'être compliqué, nain !"
            "ET VOUS, QU'EST-CE QUE VOUS FOUTEZ LA ? VOUS ETES OU D'ABORD ?"
            "Groînk !"
            "Il dit qu'il y a un problème !"
            "NORMAL, VOUS VENEZ D'INVERSER VOS CODES COULEURS"
            "LE VIEUX, J'SAIS PAS OU T'ES, MAIS RELANCE MOI !"
            "BAH JE ME SUIS ACCROCHE, RICHARD !"
            "HEY, LE NAIN, C'EST TROP TARD, ON ARRIVE !"
            "GROOÎÎÎÎK !"
            "LÂCHE ! T'AS RIEN A FAIRE LÀ !"
            "Il dit que ce serait bien d'amortir la chute, sinon ça va piquer, d'autant qu'il y a un type accroché à ses pieds, et que c'est pas parce que les règles de la physique semblent pas marcher top aujourd'hui qu'il faut négliger l'atterrissage !"
            "SI JE LÂCHE, JE VAIS ME FAIRE MAL !"
            "IL A VRAIMENT DIT TOUT ÇA ?"
            "Psst. Vous voulez un chat?"
            "J'VAIS PAS AMORTIR POUR TOUT LE MONDE !"
            "C'est quoi ce vendeur de chat?"
            "MOI JE DIS QU'IL BLUFFE !"
            "Il serait pas d'usage de gueuler un coup, par hasard ?"
            "Oh vous inquiétez pas pour lui, le vieux, c'est une connaissance qu'a tendance à toujours traîner là où il n'a rien à y faire."
            "Trop tard pour ça, je crois !"
            "GROOOÎÎ..."
            "..."
            "..."
            "..."
            "..."
            "..."
            "..."
            "Alors là, je veux bien que vous m'expliquiez."


            ________________________

            Shibuzura n'en revenait pas vraiment. Le reste de l'assistance non plus. Le silence pesant et général dans la totalité de la salle prouvait bien l'absurdité de l'édifice humain qui s'était dressé presque naturellement dans les airs. Pire encore, le fait qu'il tienne encore debout malgré un atterrissage des plus compliqués. Le géant de chair ne tenait que sur les mains tendues de Richard Narwhal. En effet, sur les paumes du vieil homme reposait Célestin qui commençait à se demander s'il avait vraiment eu une bonne idée en bondissant sur cette boîte d'explosifs. Accroché à sa queue, Benzack tremblait comme une feuille. Blessé et chétif comme il était, le simple fait de l'avoir vu s'accrocher durant l'ensemble du vol tenait de l'exploit. Sur le dos du sanglier se portait l'ami Paulus, tenant lui même à bout de bras ce bon vieux Brih, toujours en position allongée. Debout sur son ami, Rockfor semblait avoir été le plus à même de garder son équilibre au moment d'atterrir alors qu'il possédait la position la plus précaire. C'est ce qui avait probablement sauvé le reste des bonhommes de la chute d'ailleurs, même si Marine Mouette, toujours sous sa forme de parachute avait retenu le gros du poids et donc soulagé Paulus pour maintenir les deux dadets en équilibre au dessus de lui. La situation resta telle quelle pendant une bonne minute, le temps que l'air s'échappe progressivement de la toile humaine qu'était la marine. Alors, l'édifice chut. Juste devant Shibuzura. Juste devant la porte qu'il cherchait à atteindre. Le masqué avança de quelques pas, tandis que Richard, Brih et Rockfor commençaient déjà à se relever, puis se stoppa et inspira.



            "Alors là, je veux bien que vous m'expliquiez."
            "Il n'y a rien à expliquer. On a rien préparé. On s'est juste tous rassemblé inconsciemment parce qu'on a un but commun."

            Marine Mouette reprit sa forme humaine pour se lever à son tour et s'avança vers le chef de la fabrique. Elle inspira un grand coup et s'arrêta à un pas du masqué. Elle pointa le sol avec autorité avant de faucher Shibuzura, surpris, qui tomba à genoux.

            "Alors non, on n'a rien à t'expliquer sinon que tu n'as absolument AUCUN droit de décider d'un autre avenir que le tien !"

            Elle leva la main et décocha la baffe de sa vie à l'homme qui se tenait face à elle, laissant tomber le masque de ce dernier, dévoilant son visage calciné et difforme que lui avait créé l'explosion du bateau, bien des années plus tôt. Shibuzura resta une dizaine de secondes les yeux dans le vide. Benzack se releva à son tour. Il vérifia rapidement les états de Paulus et Célestin, tout deux inconscients, puis, se tenant la côte, boita jusqu'à son grand frère.

            "Je ne veux pas décider de ton destin à ta place, Benzack."
            "Non, Shibuzura. Tu veux m'empêcher de l'accomplir. C'est noble de ta part, mais je ne veux pas de ça."
            "Alors il te faudra me passer sur le corps, petit frère. Parce que l'avenir que j'ai choisi nuit au tien."

            Alors Shibuzura saisit le manche de son arme et l'envoya droit dans la figure de son petit frère qui s'écrasa deux bons mètres plus loin, aux pieds des héros encore conscients du jour. Il empêcha Mouette d'agir en lui décochant un coup relativement similaire. La jeune femme, le visage soudain ensanglanté par la torgnole qu'elle venait de recevoir alla s'écraser, inconsciente, droit sur l'estomac de Célestin, toujours au sol, qui grogna de douleur. Il alla ramasser son masque et cacha à nouveau ses blessures pour redevenir l'homme d'acier qu'il était devenu depuis l'accident. Il se tourna, pour chercher les fidèles qui lui restait du regard. Et il sourit. Ses fidèles étaient moins nombreux, mais bien plus proches de la porte que Shibuzura cherchait à atteindre depuis quelques minutes. Il leva son sabre droit au dessus de lui et hurla alors qu'il le pointait vers son objectif.

            "ATTAQUEZ, TRAVERSEZ ET DECLENCHEZ MOI CETTE BOMBE ! POUR NOTRE CAUSE ! POUR LA FIN DE LA PIRATERIE ! POUR BENZACK !"
            Alors il se rua droit vers la porte derrière laquelle se cachait le TNT Locker. Et derrière lui suivirent tous ses fidèles à l'assaut d'une porte qui n'était plus protégée que par un vieillard, un dandy et un nain.

            "Je ne veux pas..."
            Richard Narwhal écrasa son poing droit sur un des arrivants qui se retrouva propulsé sur quelques autres, mais il ne put arrêter la dizaine d'homme menée par Shibuzura qui passa en parallèle.

            "Que vous vous battiez pour moi..."
            Rockfor Egry envoya droit son pied sur le visage d'un des hommes que Richard avait laissé passer et se propulsa directement sur deux autres qu'il faucha cruellement avant d'envoyer un tesson de bouteille dans le dos de Shibuzura, qui ne dut sa vie qu'au sacrifice d'un autre de ses collègues.

            "Que vous m'aimez bien ou non, que vous soyez un ami, que soyez un frère..."
            Brih Demau se tint droit face aux 6 hommes qui arrivaient sur lui. Il bondit droit vers le premier d'entre eux et enfonça sa tête dans l'estomac du bonhomme qui s'effondra net. Puis il tournoya sur lui-même, tenant fermement son marteau d'occasion, pour briser les genoux de trois des hommes qui se tenaient là. Puis il se mit à courir aussi vite que lui permettaient ses courtes jambes pour rattraper le masqué et son dernier acolyte, mais ne put accrocher les jambes que de ce dernier.

            "Je ne vous laisserai pas..."
            Les trois combattants, face à une nouvelle vague d'ennemis, partagèrent un regard paniqué en voyant Shibuzura au pied de la porte, impuissants.

            "M'EMPECHER D'ETRE UN PIRATE !"

            Une onde invisible traversa l'assemblée. Et le temps s'arrêta.

            Pris d'une faiblesse soudaine, Shibuzura tomba à genoux.
            Richard écarquilla les yeux.
            Rockfor et Brih se les cachèrent.
            Un homme tomba, inconscient. Suivi par tous les autres.
            Et quand Benzack, écrasé par sa propre puissance, s'évanouit à son tour, il ne restait plus debout que trois personnes.

            • https://www.onepiece-requiem.net/t4587-marcheur-blanc-orgueilleux
            • https://www.onepiece-requiem.net/t4401-rockfor-egry-un-bonhomme-qu-il-est-moisi

            - D'une certaine manière, ça simplifie les choses.

            Richard Narwhal avait raison. Le chaos qui régnait quelques secondes à peine auparavant s'était brusquement éteint, laissant la place à un silence immobile qui débroussaillait franchement les perspectives d'avenir proche pour les quatre protagonistes encore conscients. Des perspectives qui n'avaient rien de stimulant aux yeux de l'un d'entre eux. Si jusqu'à présent, les forces des deux camps s'équilibraient, voire conféraient un avantage de poids à sa cause si l'on y incluait la colossale puissance de feu du TNT Locker (et Shibuzura avait la ferme intention de l'y inclure), ses chances de l'emporter venaient de chuter drastiquement suite à l'inexplicable syncope de tout le personnel de l'usine. Le patron de Master Exploder s'était débrouillé pour se retrouver seul, à genoux, face à trois hommes impatients de lui infliger la raclée de sa vie. Et s'il s'avisait de crier à l'aide, eux seuls l'entendraient.
            Quant à savoir s'ils l'écouteraient, c'était une autre histoire.

            - Pourquoi vous faites ça ? Pourquoi prendre la peine de vous opposer à moi ?
            - Pourquoi ? Tu déconnes ? Pourquoi je...
            - Je parle aux autres guignols.
            - Ça m'étonnerait qu'ils vous entendent, ils sont tous dans les vapes
            répondit Rockfor d'un air docte.

            Shibuzura ricana brièvement, dans un son comparable à celui que ferait une vieille porte claquant sur la queue d'un chat malade.

            - Vous ne comprenez vraiment rien à rien... C'est précisément pour cette raison que vous n'avez rien à faire ici. Vous êtes des étrangers. Rien de tout ça ne vous concerne, alors pourquoi vous entêtez-vous à vous mêler de nos affaires ?

            Rockfor soupira en réajustant son chapeau sur sa tête. Époussetant ses vêtements qui, par une sorte de miracle du dieu de la lessive, étaient restés immaculés malgré toutes les explosions qui avaient secoué la journée, il s'avança vers le samuraï toujours à genoux. Lequel, la colonne vertébrale comme électrisée par un mauvais pressentiment, trouva la force de se lever d'un bond malgré ses jambes encore légèrement flageolantes. Mais l'homme en blanc était déjà sur lui. La main mal assurée, Shibuzura essaya d'empoigner la garde de son sabre, pendant que le bras du pirate se levait inexorablement à hauteur de son visage... Il referma ses doigts sur l'acier enrubanné, les muscles crispés, parfaitement conscient qu'il n'aurait pas le temps de dégainer avant que le dandy avale brusquement les derniers centimètres qui le séparaient de son objectif et...

            Lui tapote gentiment le dessus du casque comme à un enfant turbulent.

            - T'es pas bien futé toi hein ? Si tu te mets en tête de fermer la porte entre moi et tous les royaumes qui me restent à conquérir, évidemment que ça va pas me plaire. J'ai autant de raisons de te meuler la gueule que l'ami Richard ici présent. A ceci près que t'as pas séquestré mon fils, je te l'accorde. M'enfin si ça peut te rassurer, je compte pas te laisser vivre assez longtemps pour voir naître mon fils de toute manière. Là-dessus, Rockfor se tourna, cherchant quelqu'un du regard parmi les corps inertes étendus aux alentours. Et puis faut bien dire que t'as foutu la jeune Marine dans de belles emmerdes. Pas qu'elle compte spécialement pour moi, mais j'la trouve sympathique, et j'apprécie moyennement qu'on m'abîme mes gens sympathiques.

            Il se retourna brusquement face à Shibuzura, une bouteille d'alcool à la main avec laquelle il frappa violemment. Le verre explosa en milliers de morceaux, libérant l'alcool qui se répandit au sol, mais réussit néanmoins à dévier la lame du sabre qui aurait dû le tuer.

            - Mec, t'es tellement prévisible, ça en ferait presque une nouvelle raison de te botter le cul, tiens.
            - J'en ai besoin que d'une pour débiter le tien en tranches, blanc-bec. T'es vraiment sapé comme un bouffon.
            - Et c'est toi qui dis ça ?
            - Je voudrais pas interrompre la parade nuptiale les gars, mais ce genre de trucs faut que ça aille vite
            intervint une voix à hauteur de ceinture.
            - HHUUUUWWYYYAAAAAAAAAAAAAA !!

            Brih avait décidé de prendre les choses en main. Peut-être un peu trop littéralement au goût de Shibuzura.

            ♠ ♠ ♠ ♠ ♠ ♠ ♠

            - Confrère, ton ouïe aiguisée s'est-elle laissée surprendre par les mêmes modulations vocales que la mienne ?
            - Si fait, mon cher. Mon attention ainsi alertée a cru discerner deux H, quatre U, deux W, trois Y, quatorze A ainsi qu'un double signe exclamatif paraphant le tout.
            - La pensée t'effleure-t-elle qu'un péril requérant notre secours guetterait le patron ?
            - Si cette conjecture est avérée, un tel péril serait de nature à nous pétrifier d'effroi. Je suggère que nous prenions les dispositions mécaniques qui raffermiront notre cœur pusillanime.
            - Ma conclusion doit-elle en être que tes projets sont similaires aux miens ?
            - N'ayant que peu de compétences télépathiques, je ne saurais répondre à cette interrogation.


            ♠ ♠ ♠ ♠ ♠ ♠ ♠

            Shibuzura avait comme une désagréable impression de déjà vu. Une nouvelle fois il se trouvait à genoux, face à trois hommes qui ne semblaient pas décidés à avoir la moindre compassion pour lui. Au contraire, ils affichaient leur plus grand sourire goguenard, qui s'élargissait au fur et à mesure que les mains du samuraï se crispaient sur son entrejambe. Que n'aurait-il pas donné pour voir disparaître ces sourires de leur...

            BOUM, BOUM, BOUM, BOUM.

            Comme si le destin l'avait entendu, les sourires s'évanouirent. Pour une raison obscure, une écoute appliquée se traduit chez l'être humain par quelques signes faciaux qui ne trompent pas : les yeux plissés, la bouche légèrement ouverte, la tête inclinée. Ce serait trop demander au visage, alors qu'il multiplie ces signes extérieurs d'attention, de maintenir un effort musculaire aussi complexe que celui du sourire. Une règle morphologique qui, curieusement, s'annule totalement dès lors qu'un appareil photo est à proximité, laissant libre cours aux faciès les plus inattendus et bien souvent les plus embarrassants.

            BOUBOUM, BOUM, BOUMOUM, BOUMBOUM, BOUM.

            Au fur et à mesure que le bruit se rapprochait, on y percevait une légère irrégularité, comme si un batteur avait un infarctus. Son origine devenait également plus facile à identifier : il venait du long couloir à l'opposé de la salle de fabrication des explosifs dans laquelle ils se trouvaient, dans le dos de Brih, Rockfor et Richard. Tandis que le vieil artificier gardait un œil sur Shibuzura, les deux pirates pris par la curiosité se retournèrent, fixant le trou noir à l'autre bout de la salle.

            BOUDOUBOUM BOUMBOUM BOUM BOUMBOUDOUM BOUDOUM BOUM.

            Le fracas s'était accéléré, et évoquait désormais la cavalcade d'un cheval ivre qui aurait de sérieuses difficultés à synchroniser ses membres. Au bout de quelques secondes, il devint clair que l'on avait affaire à deux bruits distincts.

            Ou plutôt, à un seul bruit dupliqué en deux fois.

            - Et merde... lâcha Brih.
            Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ?
            - VOS ACTES DE MALTRAITANCE ENVERS LA PERSONNE DE M. SHIBUZURA VOUS COÛTERONT UN PRIX DONT IL VOUS SERA DOULOUREUX DE VOUS ACQUITTER !
            lui répondit le karma d'une double voix.

            ♠ ♠ ♠ ♠ ♠ ♠ ♠

            Achille Semelle était ouvrier dans la fabrique Master Exploder depuis huit ans. Et ce n'était pas la première fois qu'il se réveillait à même le sol dur et froid, cloué au sol par un terrible mal de crâne. Ordinairement, ça impliquait au préalable un test d'explosion un peu trop concluant, une beuverie la veille avec les collègues, ou un passage à tabac par les contremaîtres qui jugeaient que son boulot serait sûrement plus efficace s'il avait l'impression de s'être fait broyer la tête dans un casse-noix géant. Mais ce jour-là, c'était différent. Ce jour-là, c'était comme si son cerveau avait lui-même décidé de passer en mode légume, à la manière d'un compteur électrique qui fait sauter les plombs pour préserver l'ensemble du système. Il n'arrivait plus à se rappeler ce qui avait pu provoquer l'évanouissement. En forçant un peu sur sa mémoire, néanmoins, il parvint à se souvenir de quelque chose qui avait comme qui dirait traversé son esprit en chamboulant tout ce qui se trouvait à l'intérieur, une sorte de vague d'énergie qu'il n'avait pas pu supporter et qui l'avait complètement court-circuité. Cela devait avoir un rapport avec ce cri de Benzack, ça lui revenait à présent, un cri d'une puissance qu'il aurait été aussi pertinent de mesurer en décibels qu'en mètres ou en litres. C'était quelque chose d'autre, quelque chose qu'il ne parvenait pas à s'expliquer.

            Il ouvrit les yeux. Une énorme chaussure de ville lui renvoya son regard comme seules savent le faire les énormes chaussures de ville : avec beaucoup de cirage. Après une légère mise au point oculaire, il parvint à en dénombrer trois autres, identiques et sagement alignées.

            Achille Semelle était ouvrier dans la fabrique Master Exploder depuis huit ans. Il en avait vu, des trucs bizarres. Et il savait pertinemment que la meilleure façon de rester en vie, dans ces lieux, était de couper court à toute forme de curiosité. De ne jamais s'aventurer à regarder plus loin que ce qu'on vous laissait voir, et surtout, surtout de toujours baisser les yeux.

            Il leva les yeux.

            Au-dessus des chaussures, il y avait deux smokings qui auraient pu accueillir un éléphanteau chacun et continuer à envoyer des invitations.
            A l'intérieur des smokings, il y avait deux robots géants.
            Et à l'intérieur des robots géants, il y avait deux hommes strictement identiques munis de lunettes de soleil, chacun installé dans une cabine de commandes au niveau du torse de l'engin.
            Mais le plus choquant, ce n'était pas ça.
            Le plus choquant, c'était sûrement que les deux hommes, lunettes exclues, étaient totalement à poil.

            ''Bon allez, ça suffit comme ça les conneries'' déclara le cerveau d'Achille – et il coupa à nouveau le courant.

            ♠ ♠ ♠ ♠ ♠ ♠

            Brih Demau n'était pas un adepte du facepalm, ce geste bien connu qui consiste à plaquer la paume de sa main sur son front en signe de désabusement, de profonde fatigue morale ou de véritable détresse intérieure. Ceci pour la bonne raison qu'il était plus accoutumé à provoquer ces trois états d'esprit chez son entourage qu'à les subir. Toutefois, s'il avait été dans ses habitudes de facepalmer à tout va, nul doute que dans une telle situation, il s'y serait pris à deux mains, et plusieurs fois.

            Shibuzura, en revanche, ne se priva pas d'un maskpalm.

            - Les gars... Je vous ai déjà dit que les costumes se mettent à l'intérieur du robot, pas à l'extérieur... Comment voulez-vous qu'on représente une menace crédible si vous vous obstinez à passer pour de gros manches chaque fois que vous apparaissez ?
            - Nous sommes confus, patron !
            répondirent en chœur les deux sous-fifres. Veuillez pardonner cette incartade à vos sollicitations ! Nous espérons vivement que cette mésaventure n'entraînera pas de conséquences réductives sur notre rémunération !
            - On verra ça plus tard. Pour l'instant, écrasez-moi ces minables.


            Avant que les deux sbires n'aient eu le temps de répondre par une phrase inutilement longue et ampoulée, Brih s'avança face à eux. Un homme de taille moyenne serait arrivé au genou des robots ; le pirate nain, quant à lui, leur arrivait à peine à la cheville. Ce qui ne l'empêchait pas, curieusement, de les toiser fièrement. Il laissa tomber son marteau à terre et commença à faire craquer ses articulations.

            - Occupez-vous du patron si ça vous chante jeta-t-il par-dessus son épaule à Rockfor et Richard. Moi je me charge d'expliquer à ces deux couillons qu'on n'abat pas un ingénieur avec une machine.
            - T'es sûr ?

            lui demanda Rockfor, flegmatique.
            - Ouaip. J'ai un compte à régler avec eux, de toute façon. J'aime pas trop qu'on me foute en cage. Ceux qui essayent, ils gardent rarement leurs dents assez longtemps pour s'en mordre les doigts.

            ♠ Quelques semaines plus tard ♠

            - Hodor ! Mon cher, mon fidèle, mon dévoué Hodor ! Une malicieuse feuille de salade s'est glissée entre mes dents, je n'arrive pas à la déloger ! Venez à mon aide, à mon secours, à ma rescousse !
            - Bien sûr monsieur Icuilotite ! Voyons voir... Il suffit de tirer un peu comme ça et...

            *Crac*
            - AAAARGH ! Vous m'avez arraché une dent ! Regardez donc ça, mon merveilleux sourire est à présent dissymétrique, déséquilibré, dénaturé !
            - Je suis vraiment désolé, monsieur Icuilotite. Je pense qu'il va falloir égaliser maintenant, ça me semble être la seule solution...
            - Kwézézézé, comme toujours vous avez un remède à tout mon astucieux, mon rusé, mon brillant Hodor ! … Qu'allez-vous faire avec ce marteau, très cher NON NON STOP ATT...


            ♠ ♠ ♠ ♠ ♠ ♠ ♠

            Trois lames de tronçonneuses rugirent, et un animal furieux tout en poils et en métal bondit. Quelque part au-dessus du sol, il croisa le pied d'un des deux robots, qui semblait avoir la ferme intention de l'envoyer voir ailleurs s'il y était. Il s'avéra que Brih n'y était pas : en l'occurrence, il était plutôt accroché à la jambe métallique, comme une version barbue et franchement moche d'un enfant qui apprend tout juste à marcher.
            Bien sûr, la comparaison restait perfectible. Les enfants en bas âge vous plantent rarement une tronçonneuse dans le mollet.

            Le bref craquement d'un tissu hors de prix que l'on déchire laissa rapidement la place à l'atroce crissement du métal en pleine souffrance. Les deux sbires, pourtant accoutumés aux rires du patron – qui pouvait évoquer, selon ses humeurs, une fourchette grattant l'os d'un crâne ou une armée d'ongles griffant furieusement tous les tuyaux d'un orgue d'église – ne purent s'empêcher de se crisper au son déchirant qui leur transperçait les oreilles. Brih, capable de se supporter lui-même à longueur de journée, était donc potentiellement à même d'endurer tout ce qui pouvait se faire de plus inventif en matière de torture auditive ; il profita de la distraction de ses adversaires pour se livrer à un démantèlement sauvage du genou mécanique qui lui faisait face. Les vis, les boulons, les ressorts lui apparaissaient aussi clairement que les doigts de sa main – qui étaient, dans une certaine mesure, eux aussi constitués de vis, de boulons et de ressorts. Sa paluche gauche garnie de métal se fraya aisément un chemin dans les systèmes mécaniques qu'il venait de démonter manu militari, et en ressortit emplie de tout un fatras indispensable au bon fonctionnement d'une articulation robotique. Triomphant, il...
            … reçut de plein fouet une semelle taille 92.

            Les vols planés étaient d'ordinaire une grande passion chez Brih, même s'il appréciait en règle générale qu'on le prévienne avant – et surtout qu'on se dispense de lui tamponner la face avec une chaussure qui n'avait de différence concrète avec une barque que la présence de lacets. Néanmoins, malgré tout ce que la discipline de l'atterrissage comporte d'aléatoire, il avait développé au fil du temps un certain nombre de réflexes destinés à limiter la casse, ou plutôt à la transférer sur son entourage proche. Aussi, lorsqu'un mur vint à sa rencontre avec une vitesse fort inhabituelle pour un tas de briques censément immobile, son système nerveux se dit probablement que puisque choc il y aurait, le meilleur moyen de ne pas le subir était de le donner. Évidemment, il ne jugea pas opportun d'en informer son cerveau, qui aurait certainement eu son mot à dire sur une idée aussi débile, et prit directement les commandes de ses jambes pour les envoyer se planter dans le mur.
            Le problème, c'est que les systèmes nerveux sont rarement familiers avec la notion de sens figuré.

            Brih n'en menait pas large. Planté à l'horizontale dans le mur comme un clou, il avait toutes les peines du monde à dégager ses bottes enfoncées dans une solide épaisseur de briques. A en juger par les bruits de pas menaçants qui faisaient trembler le sol, l'un des deux sbires (l'autre immobilisé en raison du genou démantelé de sa machine) était désireux d'enfoncer le clou. Et quelque chose disait à Brih qu'une fois encore, le sens figuré ne serait pas au rendez-vous.

            - La première erreur que vous commîtes, monsieur Demau, fut de vous émanciper de la tutelle que vous offraient complaisamment les barreaux de votre espace résidentiel.

            L'ingénieur entendait les pas de l'homme de main se rapprocher. Ses pieds ne semblaient toujours pas décidés à se détacher de la roche. En désespoir de cause, il tenta de tronçonner la brique mais n'obtint pour seul résultat qu'un âcre nuage de poussière rouge. Cela le cachait peut-être aux yeux de son adversaire, mais puisque ce dernier savait exactement où il se trouvait, ça n'avait pas grand intérêt.

            - Non content de commettre une première erreur, vous vous livrâtes impudemment à une deuxième, qui fut de ne pas avoir immédiatement entrepris une fuite salvatrice de ces lieux périlleux.

            De plus en plus inquiet au sujet de ses chances de survie à court terme, Brih fourragea dans sa barbe, réflexe incontournable de tout homme qui cherche une idée, même chez ceux qui ne peuvent guère se targuer que d'une pilosité imaginaire. Comme si une idée ne pouvait se cacher que dans une barbe.
            Ce qui, curieusement, était le cas.

            - Oh ben merde lâcha Brih.

            Le robot costumé fit encore quelques pas, puis arriva à son niveau et s'immobilisa. Il dressa le poing à l'horizontale, prêt à l'écraser sur le petit nuage rouge au milieu duquel il devinait l'ombre du nain. Même ses rouages frissonnaient de la joie contenue de celui qui va mettre une grosse trempe à quelqu'un qui l'a bien mérité. Car à bien des égards, Brih Demau avait mérité de se faire dérouiller.
            Mais contrairement à ce que veut la croyance populaire, on n'a pas toujours ce qu'on mérite.

            - Et pour conclure, votre troisième erreur...

            Par exemple, le sbire de Shibuzura ne méritait certainement pas ce qui allait lui tomber dessus quelques secondes plus tard.

            - … a été de penser que vous pourriez m'occuper plus de deux minutes.
            - Permettez-moi de vous demander pard...


            L'homme de main était quelqu'un de très poli. Il ne se serait jamais permis de couper la parole d'un de ses interlocuteurs.
            La dynamite, en revanche, était relativement imperméable à ce genre de scrupules.
            Brih aussi.
            La paroi du cockpit depuis lequel le sous-fifre dirigeait son robot était elle-même imperméable à beaucoup de choses.
            Mais visiblement pas à un nain casqué lancé à pleine vitesse par la puissance d'un mur qui explose.

            ♠ ♠ ♠ ♠ ♠ ♠ ♠

            Brih mit un moment à se ressaisir. Même en sachant que son idée était complètement dingue et à caractère hautement létal, il ne s'était pas attendu à un choc aussi violent. Le bon côté, c'est que l'homme de main ne s'y était pas franchement attendu non plus. Et à en juger par les dents qui parsemaient le tableau de bord, le résultat avait été concluant.

            Brih essaya de se lever, sans y parvenir. Ce qui n'avait rien de surprenant ; n'eût été sa solide constitution de nain élevé dans un clan de guerriers géants, il y serait probablement resté. Il se contenta donc de se traîner tant bien que mal à la force des bras, dégageant l'homme de main inerte – visiblement pour un moment – qui était en travers du chemin. Après quelques efforts supplémentaires, il parvint à se hisser sur le fauteuil qui se tenait juste devant le tableau de bord. L'ingénieur étudia ce qu'il avait sous les yeux avec l’œil de l'expert. A priori, le contrôle de la machine n'avait rien de bien compliqué. Venèle D. Néécervy, son maître en matière de mécanique, lui avait appris un jour à se servir d'un panneau de commandes similaire. Il s'agissait de celui du Festival Karnaval, sorte de tape-taupes qui se jouait avec des maillets de plusieurs tonnes, où les taupes avaient été remplacées par diverses bestioles plus festives, dont les moins dangereuses étaient d'authentiques Banana-crocos d'Alabasta. Le but du jeu était de maintenir en vie le plus longtemps possible l'un des deux concurrents qui étaient largués au milieu de l'arène, l'autre étant soutenu par une équipe adverse muni du même système de maillets à guidage mécanique. Le principe du jeu était tordu, mais ne correspondait toujours pas à l'idée que l'on se faisait d'une activité ludique sur Flab Island ; aussi l'avis du public était-il régulièrement sollicité pour savoir si l'on allait inonder l'arène, menotter les pieds des compétiteurs ou leur balancer des enclumes sur la gueule – le public se débrouillant la plupart du temps pour que l'on fasse les trois à la fois. Au contact d'un jeu qui demandait une telle virtuosité, Brih était passé maître dans l'art de mouvoir des masses métalliques considérables par une simple pression sur le bouton adéquat. Savoir définir quel était ce bouton adéquat en toutes circonstances était devenu une seconde nature chez lui.

            Après quelques dizaines de secondes de tâtonnements, il parvint ainsi à suffisamment maîtriser l'engin pour se retourner en direction du deuxième sbire de Shibuzura, qui avait passé toute la scène à tenter de relever son robot sur une seule jambe. Il semblait y être enfin arrivé, et c'est dans un sautillement hésitant à l'équilibre remis en cause par le moindre courant d'air qu'il s'évertuait à avancer vers Brih pour venger son camarade.

            Le nain, au bout de deux ou trois tentatives, réussit à avancer à son tour à sa rencontre. Toujours à cloche-pied, le sous-fifre tenta de faire accélérer son robot, poing levé, puis trébucha... réussit à se rattraper de justesse... trébucha encore... pencha dangereusement sur le côté...

            Deux bras mécaniques le rattrapèrent de justesse au moment où il allait s'écraser au sol. Avec un sourire tellement éclatant que l'homme de main aurait juré voir des fêlures se dessiner sur son cockpit, Brih remit son adversaire d'aplomb et recula le poing droit. L'homme ne comprit que trop tard son intention.

            Elle était pourtant simple : écraser le poing métallique sur le cockpit d'en face avec toute la violence dont était capable un robot de six mètres de haut.
            Ce qui se chiffrait environ à beaucoup de violence.

            ♠ ♠ ♠ ♠ ♠ ♠ ♠

            Brih regarda autour de lui, satisfait. Les deux sbires étaient hors d'état de nuire, il avait récupéré un robot géant bien pratique et il n'aurait probablement besoin que d'un mois de soins intensifs pour retrouver la santé. Il s'en serait volontiers vanté auprès de quelqu'un, mais il s'était aperçu que le trio Rockfor, Richard et Shibuzura n'était plus dans la pièce ; ils avaient dû s'éclipser pour une raison ou pour une autre alors qu'il était trop occupé à se battre contre les deux robots pour faire attention à leurs faits et gestes. Quant aux employés de l'usine allongés un peu partout, si la plupart d'entre eux semblaient avoir repris leurs esprits, ils étaient encore dans le brouillard et probablement pas disposé à écouter, ni même à comprendre le récit d'un combat épique entre un nain et deux géants d'acier. Certains étaient toutefois parvenus à se remettre sur pied, certainement les plus résistants, dont Marine Mouette qui faisait le tour des employés pour voir si tout allait bien – même si selon Brih, une vue d'ensemble sur deux cents pékins allongés à même le sol dans des positions improbables, sans la moindre trace d'alcool aux alentours, suffisait à conclure que tout n'allait pas bien.

            Et il suffisait d'un rien pour que ça empire encore.

            *Ksshhh*
            - Oh ben merde, j'suppose en conséquence que tout ça va nous péter à la gueule ?
            - Disons que ça a plus ou moins été prévu pour ça, oui.
            - Y a pas moyen que t'arranges ça ? Parce que j'ai pas spécialement envie de finir en boulettes qui tachent façon bolognaise moi, vois-tu.
            - Je sais p... Hé, t'aurais pas activé le micro qui transmet les messages aux hauts-parleurs de l'usine, des fois ?
            - Ah c'est bien possible, je me disais aussi que j'étais assis sur un truc bizarre... Tout le monde nous a entendus là du coup ?
            - Ça aussi, ça a un peu été prévu pour ça.
            - Oh.
            - On peut dire ça. Du coup, tu pourrais peut-être en profiter pour leur dire d'évacuer l'île, non ?
            - Ah oui tiens, c'est une bonne id...
            *Ksshhh*


            Un silence de mort s'ensuivit dans la fabrique. Puis, dans une explosion de décibels, tout le monde se mit en même temps à crier, à courir, à ramper pour les moins chanceux. Rompue aux procédures d'évacuation, Marine Mouette ne tarda pas à s'imposer en s'époumonant dans cette marée humaine contradictoire, dressant une digue vigilante qui leur assurerait à tous d'aller dans la bonne direction.

            A part l'un d'entre eux, évidemment.

            - Hé, il faut que j'aille voir ce qu'il se passe ! Quelqu'un sait où j'peux les trouver ?
            - Ils sont sûrement dans la salle des machines

            intervint Paulus.
            Avec Célestin, on peut vous y emmener si vous voulez.
            - Groînk.
            - Alors ça c'est sympa. Passez devant les gars, je vous suis !


            Et tandis que deux cents personnes se ruaient vers la lumière, un jeune prodige, un sanglier et un nain en armure géante plongeaient dans les ténèbres...


              Richard Narwhal avait vécu. Et pas qu'un peu. Ainsi, il avait pu témoigner de ses yeux l'évolution d'une société pas toujours portée sur les vraies priorités. En effet, le vieil homme s'était rendu compte au fil des ans que les gouvernements préféraient appuyer leur pouvoir plutôt que s'en servir. Que les bonnes gens s'amusaient à se faire jalouser plutôt qu'à aider leur prochain. Que les quidams préféraient faire bonne figure plutôt que contenter leur ventre. Et ça le rendait triste. De voir la futilité de ce peuple qui était le sien. Aussi, tout au long de sa vie, il avait porté une attention toute particulière à ce que ceux qu'il côtoyait, et plus singulièrement ses fils adoptifs, ne soient pas de ce genre là.

              S'il avait réussi son coup avec nombre de ses amis, force était de constater que l'affaire s'avérait plus difficile avec ses gamins. Benzack faisait partie de ce petit bout de peuple qui désirait s'affirmer en prenant la société à contre-pied, tandis que Shibuzura, lui, s'était enfermé dans un mode de vie bien plus éclectique. Sa fâcheuse tendance à produire des explosifs et son envie plutôt originale de vouloir faire sauter Reverse Mountain n'étaient que la partie immergée de l'iceberg qu'était son cerveau, au grand désarroi d'un Richard qui ne cessait jamais de découvrir de nouvelles tendances étranges chez l'aîné de ses fils. La dernière en date étant probablement la pire. Car en effet, le vieux bonhomme n'avait jamais soupçonné chez son enfant adoptif un goût de la vitesse si prononcé. Et par prononcé, entendez "à coup d'explosifs". Parce qu'effectivement, le fameux TNT-Locker n'était finalement qu'un bateau rempli de beaucoup d'entre eux, destiné à être propulsé à vitesse record sur le mont de tous les périls. A coup de dynamites.

              "Hé, sans rire. Ça a l'air vachement dangereux comme truc !"

              Et au grand désespoir de Richard, lui, son fils aîné et un roi blanc sorti de nulle part se tenaient dessus. L'un pour le mettre en route. Les autres pour rester en vie.

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              Shibuzura regardait son masque fêlé par le coup de la marine avec âpreté tandis que son père adoptif observait le nain foncer droit vers les deux derniers alliés du samouraï. Benzack avait seulement 10 ans quand il l'avait confectionné. Il lui avait sauvé la face. Littéralement : le plus jeune des deux frères aurait été tout autant défiguré que le grand s'il ne l'avait pas porté le jour de l'explosion. Ce visage de substitution avait été son ange gardien et pourtant, le petit homme n'hésita pas plus de quelques secondes pour l'offrir à l'être qu'il aimait le plus quand celui-ci découvrit horrifié les dégâts que le feu avait occasionné sur sa figure. Honteux et terrifié par ce qui se cachait sous cet artifice, Shibuzura ne l'avait plus jamais enlevé.  Le masque était le symbole de sa détermination, de sa puissance et de son mystère tout autant que celui de sa lâcheté. De sa peur de ne pas assumer. De sa crainte morbide à se regarder en face. Le samouraï avait passé les quinze dernières années de sa vie à fuir la réalité qui était la sienne et à tenter de ne pas y imbriquer son petit frère. Pourtant ce dernier venait de prouver en quelques minutes qu'il avait non seulement été impliqué dans les frasques du samouraï, au travers de son isolement forcé et des tentatives d'endoctrinement du masqué pour lui sortir l'idée d'être pirate de la tête, mais que sa séquestration avait également renforcé ses convictions. Confronté pour la première fois à la vérité qu'il avait toujours tenté de fuir, Shibuzura se retrouvait soudain à devoir porter le lourd poids de ses actes sur les épaules. Et l'épine dans le pied du monde qu'il était comprit alors comment il pouvait soulager ce dernier de la masse qu'il représentait.  

              "Richard..."
              "... hm?"
              "Je suis désolé d'être un mauvais fils."
              "Disons qu'au moins, je n'aurais jamais à te reprocher de ne pas aller au bout de tes idées."
              "Tu comptes me laisser avancer?"
              "Je compte te laisser prendre de l'avance. Une fois que l'idiot en blanc aura fini de réveiller sa copine, je te courserai avec la même envie que lui de t'empêcher de faire une bêtise."
              "Pourquoi?"
              "Peut-être parce que j'ai envie de te voir avancer."
              "Je ne vois pas bien où se situe la nuance."
              "Tu la situeras bien assez tôt. Commence déjà par ne plus perdre de temps."




              Le samouraï jeta un œil au dos de son père adoptif, ce symbole d'un horizon infranchissable qu'il avait au fond, toujours désiré toucher du doigt. Il constata au loin l'engagement que mettaient ses plus fidèles sbires et amis à combattre le court sur patte, eux, deux vieux pécores ramassés à la petite cuillère de longues années auparavant au hasard de ses premiers voyages. Il lorgna du côté du roi blanc qui tapotait avec une douceur qu'il ne lui soupçonnait pas la joue de la frêle Marine, dont la détermination n'avait d'opposée que son gabarit. Alors âprement, l'homme considéra son masque une dernière fois pour prendre la plus longue inspiration de sa vie avant de le déposer à ses pieds. Et l'écraser.

              "Ce monde est cruel, hein?"

              Shibuzura se retourna et n'eut que le temps d'entendre le vieil homme ricaner tout bas alors qu'il commençait à courir. Ce long tunnel qu'il avait lui-même taillé de ses mains, aidé seulement par sa volonté, quinze ans plus tôt, alors que son projet fou n'avait même pas encore atteint le stade embryonnaire. Il en connaissait chaque recoin, chaque morceau, chaque défaut. Le couloir humide et sombre représentait son commencement autant que sa finalité. Et le calciné n'avait jamais eu d'autres ambitions dans sa vie d'adulte que de le parcourir une nouvelle fois en entier. Lui, son propre chemin des bêtes.

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              "Les enfants, vous avez déjà entendu parler du chemin des bêtes?"
              "C'est un truc pour les idiots, Richard?"
              "C'est quooooiiiii?"
              "Rien de tout ça, petit Shib. On dit qu'il existe un endroit tellement hostile, tellement inhospitalier que seuls les animaux savent y passer, se servant du poids de leur corps et de leur instinct trop fort pour eux pour y écraser les ronces, quitte à s'y blesser, voire à y mourir. On appelle ça le chemin des bêtes. C'est une voie qui n'est ni confortable, ni tranquille."
              "Et doooonc?"
              "Je ne vois pas bien où tu veux en venir..."
              "Comprenez bien, les jeunes. Vous deux, moi... C'est pareil pour nous. On est né dans ces ronces. On doit se forger notre chemin nous-mêmes. Et c'est difficile, c'est dur, oui. Mais plus la route est ardue, plus la traversée est broussailleuse, plus le chemin parcouru est remarquable."
              "Enlève ta main de ma tête, Richard ! Je suis pas un gosse !"
              "L'âge va pas en ta faveur, le vieux, tu racontes n'importe quoi !"
              "Arrêtez d'être mauvaises langues, sales gosses ! Je veux juste dire qu'un jour, quand vous comprendrez mes bêtises, vous pourrez regarder derrière vous et être fier d'avoir parcouru un formidable chemin des bêtes. A votre façon et, simplement...  vivez de votre mieux."


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              L'ancien masqué trottait à un rythme nettement moins soutenu qu'il ne le souhaitait, toujours sonné par l'étrange écho de la voix de son petit frère, se remémorant non sans une certaine pureté les mots d'un Richard oublié, débonnaire et heureux. Fier du chemin parcouru, il l'était. De la personne qu'il était devenu, tout autant. Mais des moyens qu'il avait employé, des choses qu'il avait dû abandonner et, par dessus tout, de la raison qui avait motivé sa vie entière... Shibuzura, dont les yeux ne voyaient plus que la noirceur de son tunnel et dont les oreilles ne guettaient plus que le bruit des pas de ses quelques poursuivants, avait également l'esprit embrumé par une idée qui le terrifiait et dont il ne savait se défaire : marchait-il sur les ronces ou avait-il contourné la forêt ?

              Tandis qu'enfouis en lui, les questions se bousculaient à la manière de femmes pour un trente-huit en solde, les parois de son tunnel se rapprochaient de plus en plus de notre samouraï. Ce tunnel long comme l'usine, caché dans ses fondements et interdit à la circulation n'avait jamais eu qu'un seul objectif, qu'une seule embouchure. Et Shibuzura avait pris un malin plaisir à le creuser comme un entonnoir, destiné à marquer son propre isolement, à faire de lui le seul homme capable d'accomplir son haut fait, son destin. Toucher du bout des doigts les murs humides et cannelés de son sombre objectif donnait à son propriétaire une force qui parvint à posséder son corps, lui que l'esprit avait abandonné. Et c'est en faisant face à cette toute petite porte, sans prétention, de bois mouillé et à l'odeur pas bien accueillante que le samouraï reprit ses esprits. Car sa conscience venait de lui faire part d'un fait des plus importants : qu'il ait contourné ou non les âpretés de sa vie, derrière cette porte l'attendait dans tous les cas le plus grand et déterminant morceau de son chemin des bêtes.

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              "Dis-voir, il serait pas gratiné un peu, ton fils?"
              "Je suis pas certain de pouvoir te donner tort."
              "C'est pas un peu foireux comme machin?"


              Le vieillard ne donna aucune réponse. Perdu dans l'immensité de la grotte sur laquelle donnait le couloir que lui et le roi blanc venaient de traverser. Il avait jusqu'alors supposé que le tunnel menait à une pièce secrète destiné à lancer d'urgence le TNT-Locker, quoiqu'il fut, ou même la zone où Shibuzura dirigeait ses opérations. Mais Richard n'avait sûrement pas imaginé une crique souterraine, immense, directement liée à la mer. Il n'avait même aucune idée de son existence alors que l'île était sienne. Le lieu avait un charme fou, aux yeux du vétéran. Mais ce qui en avait nettement moins, et qui capturait de manière nettement plus sensible l'attention du bonhomme était sans aucune doute le bateau branlant qui siégeait au beau milieu de la place. L'édifice était fumant, de toute part, gros comme on en avait rarement vu et d'une composition bien étrange : l'ensemble semblait être un étrange assemblage entre du bois brut et du métal épais, renforcé, lourd. La quille était presque entièrement fait de ce dernier alors que la coque était pourtant des plus classiques. La totalité de l'arrière du bateau semblait être protégé pour résister à des forces improbables, alors que la proue était dessinée de manière à être le plus aérodynamique possible. Assurément, l'objet n'avait aucune possibilité de voguer de manière classique si les choses restaient en l'état. Mais Richard compris rapidement le principe du vaisseau quand il aperçu en lieu et place de la figure de proue une sorte de gigantesque sacoche solide, entièrement remplie de la dynamite tant appréciée de la famille. L'embarcation portait un nom et n'avait qu'un seul voyage à accomplir pour son existence. Là, se tenait le TNT-Locker, objet de destruction, que Reverse Mountain désirait plus que tout ne pas connaître.

              Secondé rapidement par Rockfor qui ne semblait pas s'inquiéter plus que ça, armé d'un énième cigare, le briscard s'enfila droit par la passerelle reliant la porte de la grotte à la cale, seule entrée visible du gigantesque rêve de son propre fils. Richard Narwhal croyait avoir tout vu, tout imaginé et tout anticiper avant de poser le pied sur les roches qui portaient son propre nom en début de journée. Sa désillusion fut cruelle quand à peine débarqué à l'intérieur du bateau il comprit l'ambition de son adopté. Les murs extérieurs cachaient savamment les parois intérieures, entièrement composée des explosifs qu'il avait appris à son fils à créer. Entièrement recouverte de bâtons prêts à partir en fumée, les parois de la simple cale ressemblait à s'y méprendre à la plus grosse machine de mort que le monde eut créé. Devant lui, des caisses et des caisses à ne plus les compter parsemaient le sol, ne laissant qu'un seul chemin pour avancer, de toute évidence dirigé vers le pont du navire. Richard n'avait pas la moindre idée de ce qui se cachait dans la partie inférieure du vaisseau, ni de comment son fils comptait mouvoir l'embarcation, mais ce dernier avait de toute évidence vu les choses en grand. Sûrement conscient qu'il ne ferait jamais sauter Reverse Mountain dans son entièreté, le jeune homme avait en tout cas produit largement assez de matière pour en faire sauter un assez gros morceau pour y empêcher tout trafic.

              "Tu te doutes bien, Richard, que je te conseille de ne rien toucher au risque de faire sauter ce bateau, et l'île qui pour l'instant le cache. Je te saurais gré d'éviter donc de poser tes sales pattes dans le coin."
              "Tu es fou à lier. Fou à lier."
              "Moi j'dis, j'ai pas bien confiance quand même."
              "Il y a dans cette cale de la dynamite produite par des hommes qui existaient alors que tes grand-parents n'envisageaient même pas ton géniteur, cher père. Un mouvement brusque à l'intérieur, et tout saute. Aussi, vous allez m'écouter bien gentiment."
              "Où tu t'es procuré... Non, ce n'est pas la question. A quel point es-tu crétin, fils? Jusqu'où ta folie t'a t'elle amené? Je... pense avoir peur de réaliser à quel point j'avais vu juste en devinant tes ambitions. Tu ne veux pas simplement empêcher Benzack de devenir pirate... tu veux aller jusqu'à briser son rêve dans son entièreté. Et tous les rêves d'un monde qui ne t'en a pas demandé tant."
              "Sans déconner, j'suis pas sûr d'être à l'aise, là, les mecs !"
              "Et tu n'as encore rien vu. Ce bateau est fabriqué pour être propulsé à une vitesse encore jamais atteinte par la technologie que nous connaissons. Vois-tu, sous cette cale, cachée dans la proue, se tient un mécanisme de mon cru, fonctionnant sur un principe très simple. A une distance régulière, à des intervalles de temps précis, sont destinés à être lâches des caisses calculées au gramme près de dynamites dont l'unique but est d'exploser afin de propulser par leur souffle cette embarcation."
              "Ce serait pas complètement con?"
              "Bien sur, tu t'en doutes, il n'y a aucun risque que l'intérieur n'explose avant d'entrer en collision avec cette maudite montagne. J'ai passé quinze ans de ma vie à construire ce bateau, à stabiliser ce qui devait être stabilisé, à calculer la trajectoire, à poser moi-même bâton par bâton ce qui compose ce géant édifice."
              "Ah bah oui, c'est ça, c'est complètement con. D'un bout à l'autre."
              "Je ne doutes pas que tu es consciencieux, Shibuzura. Mais tu ne crois pas qu'il est temps de grandir un peu? Réfléchis un peu, avant d'allumer cette envie improbable que tu crois être ton besoin le plus vital. Ne crois-tu pas..."
              "C'est déjà allumé, Richard. Les mèches se faufilent droit en direction de leur sort. Oh que oui. Dans quinze minutes, le TNT-Locker va filer droit vers son destin. Et moi avec."
              "Hé, sans rire. Ça a l'air vachement dangereux comme truc."
              "... je..."
              "Je sauverai Benzack, Richard. Même si je dois mourir pour ça. C'est ce que j'ai décidé. C'est ce qui va arriver."
              "Entre nous, machin. Y a ni destin, ni besoin, ni futur dans ce que tu racontes. Y a rien qui n'a assez d'importance dans tes envies et tes idées folles. Y a aucune vérité dans tes convictions. Mec, sérieux? Tu te mentirais à ce point depuis 15 ans? Tout ce à quoi t'as consacré ta vie... c'est qu'un gros vide? Ouvre les yeux. Tout ce que tu es, c'est pas un héros, c'est pas un sauveur, c'est même pas un grand frère. C'est rien. C'est rien du tout. Tout ce que tu es, c'est suicidaire. Y en a qui aiment, hein. Mais j'suis à peu près convaincu que dans ton cas, t'es juste à côté de la plaque."
              "HA ! HAHA ! Et qui crois-tu au juste que tu es pour me déclamer mes soi-disant quatre vérités, hein? HEIN ? C'est fini ! C'est terminé ! Peut-être que je briserai tes rêves aussi, j'en ai rien, RIEN puisque c'est si important pour ta pauvre poire, à CIRER de tes déclarations grandiloquentes et moralisatrices ! Si tu veux confronter tes convictions aux miennes, monte un peu pour voir ! Monte un peu parier sur mon côté suicidaire plutôt que sur mes convictions, HA ! Tu verras bien ce que ça coûte de se frotter à un compte à rebours et à la personne qui l'a lancé."


              Richard avisa un rapide coup d’œil du côté du roi blanc alors que le samouraï bouillait de colère au fond de la cale. Le roi blanc arborait un sourire mesquin alors qu'il venait de provoquer l'individu aux idées les plus dangereuses que le père mal-aimé avait croisé depuis un sacré moment. S'il savait que son fils se noyait dans des illusions de grandeur, notamment au niveau de sa technologie terriblement plus bancale que révolutionnaire - d'autant que le vieillard avait pu voir de ses propres yeux des perles de génie -, il ne doutait absolument pas de la sincérité de ses ambitions, ce que l'immaculé avait eut la bonne idée de violemment critiquer. Surpris, interloqué, il ne réagi donc nullement quand le brûlé, pour prouver ses dires, se retourna violemment pour grimper les escaliers menant sur le pont, ni quand Rockfor avança tranquillement, sifflotant presque, pour aller défier le premier. Il ne s'arrêta qu'à côté de la dernière caisse de l'allée avant d'ouvrir celle-ci, pour se retourner vers Richard.

              "Hé, grand-père, à quel point c'est instables ces machins là?"
              "Euh je... Si euh... Disons que si Shibuzura dit vrai et que ces bâtonnets sont plus vieux que mes parents... alors ils ont sûrement près de 150 ans, peut-être plus... Au vu de leur état... Je... Mais qu'est-ce que tu veux en foutre au juste?"
              "J'en suis pas encore bien certain. Dis-moi juste comment ça marche."
              "Pour faire simple... ces bâtons de dynamites sont assez vieux et en mauvais état pour avoir laissé couler la nitroglycérine à l'extérieur de l'argile. C'est la matière explosive, et c'est elle qui est particulièrement sensible. Grosso modo, un simple mouvement à peine vif, un coup de vent trop appuyé... ou n'importe quelle action un peu trop indélicate peut faire exploser cette fichue bestiole."
              "Ça va pas péter si le bateau démarre?"
              "Enfermée et serrée comme ils sont, je pense que ce bon Shib a calculé l'inertie de son bateau et de ses caisses afin de ne laisser éclater la force destructrice de tout ça qu'au bout du chemin."
              "Et si le bateau démarre pas?"
              "Bah, vu comme cette andouille de fils y a mis du sien, quand bien même sa technologie ne ferait pas avancer ce bateau, à priori le reste du plan finirait par se dérouler sans accroc."
              "Oh ben merde, j'suppose en conséquence que tout ça va nous péter à la gueule ?"
              "Disons que ça a plus ou moins été prévu pour ça, oui."
              "Y a pas moyen que t'arranges ça ? Parce que j'ai pas spécialement envie de finir en boulettes qui tachent façon bolognaise moi, vois-tu."
              "Je sais p... Hé, t'aurais pas activé le micro qui transmet les messages aux hauts-parleurs de l'usine, des fois ?"
              "Ah c'est bien possible, je me disais aussi que j'étais assis sur un truc bizarre... Tout le monde nous a entendus là du coup ?"
              "Ça aussi, ça a un peu été prévu pour ça."
              "Oh."
              "On peut dire ça. Du coup, tu pourrais peut-être en profiter pour leur dire d'évacuer l'île, non ?"
              "Ah oui tiens, c'est une bonne id..."


              ________________________

              Le TNT-Locker n'avait finalement pas mérité ça. Il ne demandait rien de particulier lui, simplement d'être un bateau comme tout le monde. Mais la vie n'en avait pas décidé ainsi, du moins pas son propriétaire. L'embarcation se sentait remplie comme jamais, et les trois gonzes qui se trimbalaient dessus en ce moment même ne l'aidaient en rien tant le bateau avait du mal à digérer son funeste destin. Persuadé d'avoir pourtant quelques mois, voire années à vivre devant lui, il fut cruellement surpris de constater que son Shibuzura de maître avait allumé quelques courtes minutes plus tôt les mèches destinées à propulser l'édifice vers son objectif sans retour. Aussi, la carlingue se lamentait pendant le long discours qui opposait le père et son fils, tout autant que lors du suivant où le bonhomme blanc, inconnu lui, prenait une part plus importante dans la conversation. Le TNT-Locker ne reprit finalement ses esprits que lorsqu'il sentit son très ancien maître discrètement fouiller, avec néanmoins une délicatesse impressionnante, son intérieur dans l'objectif de trouver et arrêter le mécanisme de mèches et d'autres brac qu'avait activé le premier arrivant. L'espoir revint alors, mais le sentiment fut rapidement dominé par la curiosité qui le prit soudain au moment de constater l'apparition du bonhomme blanc sur le pont où l'attendait le samouraï. Celui qu'il avait compris s'appeler Rockfor se mouvait avec une lenteur qu'il trouvait étrange, mais vint se positionner droit face à Shibuzura, dix courtes minutes seulement avant que les mèches ne fassent leur œuvre. Passionné, et certain que sa propre vie se jouait probablement là, le TNT-Locker se tut pour observer l'action.

              "Hé, Shib, ton bateau là, ce serait pas un sentimental?"
              "Ouais bah écoute, t'avais qu'à le faire toi-même ! Il pense ce qu'il veut mon bateau !"
              "Bof."
              "Bien. Prêt à affronter mes convictions, idiot blanc?"
              "Ouais ouais, du lard."
              "Effronté ! Je n'aurais même pas besoin d'utiliser autre chose que mon bras droit !"
              "Bah? C'est pas celui avec lequel tu tiens l'épée?"
              "... ouais, si, mais c'est moins théâtral."
              "Bon bah dans ce cas... Je te battrai sans même bouger de là où je me tiens ! HA !"

              Si Shibuzura n'avait pas réellement besoin d'une aide si précieuse que de celle que lui offrait le roi blanc, le bonhomme se voyait bien peu scrupuleux à l'idée de l'accepter. Ainsi, et d'une manière parfaitement lâche, le samouraï dégaina son sabre pour venir droit vers son adversaire, dans l'idée d'asséner un coup d'estoc des plus meurtriers. Fort de ses réflexes, la cible su toutefois présenter directement face au sabre un goulot de bouteille parfaitement brisé, son arme de prédilection, bloquant le coup sans trembler. D'un geste serein et vif, Rockfor envoya sa bouteille vers la droite, emportant là le sabre bloqué à l'intérieur avec lui. Surpris, le brûlé se vit donc attirer sur le flan de son adversaire qui, fort de sa riposte, lui envoya toujours sans bouger l'autre partie de la bouteille, acérée, à la figure. Afin de d'esquiver celle-ci, Shibuzura vint claquer sa main gauche dans le projectile, rompant déjà séant sa promesse envers son adversaire du jour qui ne manqua pas d'éclairer son visage d'un sourire narquois.

              "Le blanc ! Je trouve rien, il faut sortir de ce putain de bateau !"
              "Nan, débrouille-toi pour te... Ah?"
              "Prétentieux."




              Rockfor siffla, crispé par la douleur lancinante qui s'emparait soudain de son flan. Le samouraï n'avait pas fait dans le détail en taillant les premiers centimètres de la hanche du roi blanc pendant que celui-ci se préoccupait de son allié de circonstance. Richard constatait avec un air relativement hagard les conséquences de son arrivée surprise sur la zone de combat. Sérieusement entamé par le coup qu'il venait de subir, l'immaculé se retenait pour ne pas tomber à genoux, serrant les dents comme il ne l'avait pas fait depuis sa tendre enfance. Son application à rester debout forçait plus ou moins l'étonnement de son adversaire qui, non sans enthousiasme se mit à rire aux éclats.

              "Cha che pachera pas comme cha ! Tu gagneras pas chi fachilement !"
              "Tu as beau rester digne, tu es tout à fait ridicule ! Comme ton discours ! Comme ton envie de me battre !"
              "CHÉ PAS COOL ! CHE FAICHAIS PAS ATTENCHION !"

              Shibuzura ricana une nouvelle fois alors qu'il contournait son ennemi pour entailler sévèrement l'arrière de son genou droit. Surpris, le roi blanc manqua de tomber en avant mais reprit un équilibre précaire juste à temps pour garder suffisamment de dignité pour seulement s'affaler sur ses genoux en douceur. Lançant un regard noir au samouraï, il ne manqua pas de pousser un gémissement douloureux lorsque ce dernier planta, pédant et cruel, sa lame doucement à l'intérieur de la main qui tenait quelques secondes plus tôt la bouteille qui avait failli le frapper. Lancé par cette nouvelle blessure, harassé par les douleurs aigües que le samouraï prenait un malin plaisir à lui infliger, Rockfor se refusait cependant à se tenir la hanche, à quitter son opposant des yeux ou à montrer quelque autre signe de faiblesse que ce soit. Ainsi contrarié par l'attitude stoïque de son antagoniste qu'il avait pourtant vaincu, le brûlé vint se placer droit en face de l'immaculé et plaça sa lame juste au bas de sa gorge.

              "Moins d'une minute de combat et tu disais vouloir me vaincre? Laisse moi rire ! Où sont passées les belles paroles hein? Tu fais le fier mais tu n'y ressembles pas pour un sou. Tu n'es même pas un adversaire agréable à tuer. Alors faisons les choses vite : as-tu une dernière volonté, contestataire inconscient?"
              "Tu vas trop loin Shibuzura. Tu n'as pas besoin de ça."
              "TAIS-TOI, RICHARD ! Je gagne ce combat ! Laisse moi décider de son sort, et celui de mon frère tranquillement."
              "Mon chapeau. Toi, tu n'es pas capable de me vaincre, mais si t'y tiens vraiment, sache que je ne suis vaincu que lorsque je perds mon chapeau."
              "La prétention et l'intimidation n'a jamais sauvé personne de son destin. Ta vie et ton honneur ne tiennent plus qu'à un chapeau blanc que tu ne peux même pas tenir sous peine de l'ensanglanter. Et tu prétends encore résister? Tu prétends encore pouvoir te battre? Tu oses prétendre pouvoir gagner? Ou est passé la superbe de ce roi étrange et un peu bête qui s'est opposé à moi toute la journée hein? Subis ta peine."
              "MOI JE DIS QU'IL BLUFFE !"

              Shibuzura avait déjà entamé le mouvement circulaire de sa lame ayant pour but d'enlever le haut de forme du roi blanc quand le nain avait débarqué en trombe sur le pont du bateau, non sans superbe, déclamant au passage une vaste connerie aux yeux de son hurleur qui alluma un énorme doute dans l'esprit du samouraï. Ses yeux paniqués n'eurent que le temps de se reposer sur le chapeau de l'aigri qui souriait crânement et ne purent que confirmer sa crainte : celui-ci n'avait rien à voir avec l'autre, qu'il avait porté toute la journée. Rien, mis à part sa couleur blanche. Mais obnubilé par son désir et son besoin d'avoir raison le samouraï ne l'avait pas vu. Et lorsque le plat de lame, pris par son élan, heurta la nouvelle coiffure du roi blanc, ce dernier se projeta au sol à l'opposé de l'endroit où le couvre-chef s'envolait. Alors Shibuzura ne put constater qu'avec horreur qu'à l'intérieur de l'habit qu'il venait de retirer se tenait un objet bien capricieux. Et hurla.

              "Vois, vois un peu comment vivent les gens."

              Et Shibuzura s'évanouit, ôté d'un poids. Celui d'un bras.

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              Richard finissait le bandage de son fils tandis que le roi blanc finissait de lui-même soigner à la va-vite ses propres plaies, nettement plus préoccupé par le compte à rebours régnant sur le bateau que par son état actuel.

              "COMBIEN DE TEMPS PUTAIN ?"
              "JE T'AI DIS Y A DIX SECONDES QU'IL RESTAIT ENTRE 200 ET 300 SECONDES, T'AS PLUS QU'A COMPTER BORDEL !"
              "JE SAIS PAS COMPTER !"
              "C'EST PAS MOI QU'EN AI QUELQUE CHOSE A FOUTRE !"
              "RÉPARE CA, JE VEUX PAS PÉTER !"
              "T'AVAIS QU'A PAS BOUFFER DES FLAGEOLETS ! LAISSE MOI BOSSER TRANQUILLE"
              "JE VOIS PAS LE RAPPORT !"
              "Hé... hé, le roi !"


              Rockfor tourna la tête, intrigué, par le réveil rapide de son adversaire. Puis lui envoya une mandale. Parce qu'il fait bon vivre. Mais genre, vraiment.

              "TU LA SENS PASSER CELLE-LA, CRÉTIN ?"
              "Mais !"
              "Tu vois à quoi ça te mène d'être suicidaire? Tu voulais vraiment savoir? Regarde ton bras ! Cherche le !"
              "Et tu vas pas me dire que planquer de la dynamite instable dans un putain de chapeau, ça ne l'est pas peut-être?"
              "Évidemment que ça ne l'est pas. C'est un risque mesuré, y a une différence fondamentale. Je ne meurs pas à la fin, moi."
              "Mais ! Y a une quantité invraisemblables de possibilités pour mourir avec ton prétendu risque !"
              "Peut-être, mais ce n'est pas mon but."
              "Je vois pas où tu veux en venir. T'es un crétin chanceux, c'est tout ce que t'es."
              "Et toi, hein, t'es bien chanceux pour encore avoir la possibilité d'ouvrir tes yeux d'imbécile."
              "Hein?"
              "Tu penses que Benzack préfère avoir un frère mort ou un frère avec un bras en moins?"
              "Benzack ne veut pas de frère ! Il veut simplement risquer sa vie et..."
              "Précisément. Risquer sa vie, ce n'est pas vouloir mourir. Me fais pas me répéter."
              "Je..."
              "Y a pas de "Je" hésitant qui tienne. Benzack a choisi. Si tu tiens vraiment à le savoir en sécurité, suis-le et vois comme il marche au lieu de le clouer dans une vie aussi pourrie qu'a été la tienne. Ferme ta gueule et regarde le monde. Il est bien plus rigolo à regarder les yeux grands ouverts. Même quand on est tout moche et brûlé."
              "..."
              "Hé, l'andouille? Va peut-être falloir dégager les gens de ce bateau. M'étonnerait que j'réussisse à l'empêcher de partir dans les quelques prochaines dizaines de secondes."
              "Vous avez entendu le gnome? Débarrassez moi c'plancher."
              "Mais et..."
              "Ça ira. Laisse-les faire à leur sauce. Ils en ont choisi les ingrédients."


              Le roi blanc esquissa un sourire amusé tandis que Richard Narwhal emportait son fils interloqué par dessus le bras en direction de la crique.

              "Et pourquoi t'es pas parti toi?"
              "Je suppose que si y a besoin d'empêcher ce rafiot d'atteindre son objectif, je serai le bonhomme en charge de le faire dévier de son itinéraire. Mais surtout, j'crois que j'suis un peu con."
              "Ouais hein? Mais bon, j'peux difficile t'critiquer sur ce point."
              "Hm?"
              "T'es pas l'seul."


              ________________________

              *KSRRR*

              "... aaaaallo allo? Y a d'la merde dans les tuyaux?"
              "Rockfor?"
              "Ah, v'là la casse-pied ! Ca va vous?"
              "On voit le bout de l'évacuation, disons. Vous en êtes où?"
              "On est parti, comme qui dirait. Ce con de bateau a pas eu l'air de vouloir écouter cet incapable de nain. "
              "VA TE FAIRE FOUTRE"
              "Mais... ?"
              "Oh, on est bien, nickel."
              "QU'EST-CE QUE T'EN SAIS BRANLOS, TU SAIS MEME PAS DIFFERENCIER UN PUTAIN DE MECANISME D'UN SANDWICH AU THON !"
              "Débrouille-toi pour partir avec tout le monde assez rapidement. Y a moyen qu'on revienne faire un tour ici, mais pas tout à fait à vitesse de croisière."
              "Je veux bien, mais on a perdu Benzack !"
              "IL A BOUFFÉ MON PUTAIN DE SANDWICH AU THON !"
              "Perdu? Comment ça perdu?"
              "Et Paulus, et Célestin !"
              "Ah. Oh bah, t'inquiète. T'as vérifié qu'il y avait bien toutes les barques?"
              "Hm? Pourquoi ça?"
              "Tu comprendras. En attendant, cassez-vous de là."
              "Et tu... vous... on vous retrouve comment?"
              "On est des pirates ma grande. Tu t'inquiètes pas pour nous, tu ne retrouves pas, c'est le deal."
              "Mais..."
              "J'AI BESOIN DE TOI, GRAND CON !"
              "Ouais, fais gaffe à toi aussi, Mouette."


              *KSRRRRR*

              ________________________

              [Quelques semaines plus tard]

              "Alors Richard? On a réglé ses problèmes de famille?"
              "Oui, monsieur."
              "Bien. On peut repasser aux choses sérieuses?"
              "Bien sûr, monsieur."
              "Alors commençons."
              "Très bien... monsieur Lawcoe."
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              • https://www.onepiece-requiem.net/t4401-rockfor-egry-un-bonhomme-qu-il-est-moisi