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[FB -7] Les Belles Histoires de Papy Judge ! Tout commence toujours en mer. [En cours]

- Il y avait la mer, les enfants. Celle de l'Ouest. Sauvage. À ce moment, elle dormait, un peu assoupie. Dessus, on trouvait des tas de machins et de trucs. Des bateaux, surtout. Des îles, parfois. Et un tas de bois informe sur lequel reposait un tas de chair tout aussi informe, une fois. C'était moi.
C'était l'époque où j'étais pirate, juste après ma désertion. J'avais quelques anciens copains aux fesses et je restais jamais longtemps au même endroit. Du coup, j'avais réuni une brochette de maroufles, des hommes qui tueraient père et mère plusieurs fois de suite s'ils pouvaient en tirer un peu de monnaie sonnante et trébuchante. On était une quinzaine sur ce bateau. On avait écumé l'coin depuis quelques semaines déjà et les Officiels se rapprochaient, j'le sentais dans mes os déjà trop vieux. Donc, c'qu'on avait prévu, c'était un dernier coup, fumant. Un indic' nous avait assuré qu'on pouvait se faire un petit bateau bourré de pierreries, le genre qui s'refourgue discret et qui vaut cher mais qui pèse pas lourd dans les poches, si vous m'comprenez.
Bref, on repère nos clients et on met toutes voiles vers eux. En deux temps trois mouvements, on les a rattrapé. On aborde en hurlant un peu, pour la forme. Et là, qu'est-ce qu'on trouve ? Une douzaine de mouettes armés jusqu'aux dents. Pas le temps de crier Gharr qu'un de mes hommes avait tiré. Le reste, ce n'est qu'un concert de coups de feu, de cris, de balles qui entrent dans du bois ou de la chair. J'en abats un. Je roule à terre. Une balle siffle à mon oreille et va se figer à quelques pas de là dans le plancher. Le Bill se fait dézinguer. J'me planque derrière le corps, j'fais rempart, comme qui dirait. J'en descends un, puis un autre et un troisième. Les autres dégomment ceux qui restent.
La poussière se dissipe, les enfants. Je compte nos morts. Cinq. Et deux autres qui sont bien mal en point. Ils nous attendaient pas si nombreux, j'pense. On avait recruté quelques types il y a pas longtemps, leur fichier n'était pas à jour. Une erreur fatale pour les gamins d'en face. Petite prière. Quelques petites rasades de whisky. Une pour eux, une pour le Père et une pour moi.
Le moment d'émotion passé, on fouille les cadavres. C'est jamais très agréable mais c'est inévitable si on veut arrondir les fins de mois et qu'on veut avoir plus d'informations sur celui qui nous a vendu. Et là, une lettre. Un qui sait lire y regarde un bout. Ça disait en gros qu'on serait un tel nombre, tel jour et à tel endroit. Et ça mentionnait un nom, les p'tits gars, ouais. Le mien ! Ces salopards de la Marine avaient décidé de foutre la bisbille entre nous.
Vous savez ce que c'est, l'adrénaline, tout ça. Les gars réfléchissent pas, me laissent pas le temps d'en placer une et m'en foutent dans la gueule. J'm'écroule. J'les entends, à moitié dans les vapes, qu'ils décident de mon sort. Ils palabrent et puis, ils décident de m'laisser et que j'aille me faire pendre ailleurs. Bien, que j'pense, ils ont meilleur fond que j'croyais. Avec moi, ça aurait été pendaison direct. Ils en envoient traficoter un truc et puis embarquent la marchandise. Encore allongé au sol, j'évite d'attirer leur attention. Sait-on jamais qu'ils changent d'avis. Ils partent. J'attends d'être sûr qu'ils aient décarré et j'me relève. J'jette un œil autour. Nickel. J'ai gagné un rafiot dans l'affaire. J'fais l'tour du proprio. C'est pas brillant, mais dans la mesure où j'étais à deux doigts d'y passer dix minutes auparavant, j'vais pas faire le bégueule. J'vais à la barre, je teste la machine ...
Ils m'avaient saboté le gouvernail, ces salopards ! Bordel de Dieu ! Ils me l'avaient saboté. J'me retrouvais donc avec une bonne quinzaine de macchabées à bord sans pouvoir me diriger. Autant dire que ça puait déjà et que ça allait pas s'arranger.
Quatre jours que j'ai passé sur ce bateau pourri. Le premier jour, j'ai envoyé à la flotte les corps, histoire de m'occuper. Le deuxième jour, j'ai commencé à tailler un bonhomme dans le bois d'une planche. Au bout du quatrième jour, j'avais une fresque monumentale qui couvrait entièrement le bateau. Et j'avais plus rien à foutre. Et je crevais de faim. J'avais bien essayé de griller ma botte, mais j'avais oublié que je les portais depuis mes débuts, quasiment. Rien qu'à l'odeur en les enlevant, j'ai su que ça allait me tuer, dans le meilleur des cas.
Et c'est là que j'entends une mouette ou un cormoran ou un oiseau dans l'coin. Ça voulait dire ou bien que je croisais la route d'un autre bateau ou bien qu'une île se profilait à l'horizon. Bingo, c'était une île !
C'que j'fais ? Bah comme d'habitude dans ce cas-là : j'attends d'être le plus près possible de l'île puis je plonge et je gagne le bout d'terre à la nage. Une fois arrivé, je reprends mon souffle, histoire de pas claquer si près du but. J'cherche du regard un truc à bouffer et j'tombe sur un buisson bourré de baies ! Des framboises ou un truc du genre. Les enfants, je m'en suis fait péter le bide ! Un festin de framboises, je vous dis que ça.
Ce qui a été fameux, c'est la nuit qui a suivi. Si vous avez déjà passé la nuit sur une plage de sable fin à péter et à vous tordre de douleur à cause du ventre, vous pouvez pas comprendre. J'ai dû faire une dizaine de trous différents pour éviter d'exploser. Le lendemain, c'était plus une plage mais un champ de mines. Heureusement, j'étais déjà un peu plus fringant et j'me suis remis en route.
À une dizaine de kilomètres de la plage, j'ai trouvé enfin ce que je cherchais. Un village ! Et dedans, il y avait le saint des saints : un saloon ! Et j'peux vous dire que y avait plus de whisky dans ma gourde depuis un moment déjà !


The Judge s'arrête, prend son verre et en avale le contenu cul sec.
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