Tanuki, il y a deux ans.
La neige avait commencé à tomber dans l'après-midi. En fin de soirée, c'était un bien joli manteau neigeux qui s'était déposé sur le paysage de l'ile. Les plus hautes montagnes gagnaient en majesté colorée ainsi de blanc et les forêts semblaient beaucoup plus magiques, comme si l'on s'attendait à voir apparaître quelque créature de mythologie au détour d'un tronc d'arbre. Le village s'était, lui aussi, fait recouvert de la délicieuse neige pour le plus grand plaisir des enfants. On s'amusait gaiment alors que les mères de famille houspillaient leur progéniture contre les dangers des rhumes. Plus loin, les marines censés patrouiller grommelaient contre leurs conditions de travail qui n'allaient pas s'améliorer au cours des prochaines semaines. L'effet des premières neiges avait toujours quelque chose de magique. Le genre a annoncé la fin d'une époque bénie pour une autre magique.
À contre-courant des hommes rentrant chez eux, une petite silhouette s'éloignait de la ville d'un pas difficile. Malgré la neige, Pludbus n'hésitait pas à avancer. Il aurait préféré s'assoir au côté d'un bon feu en buvant une bonne bière plutôt que de marcher dans de pareilles conditions. Sauf que ce jour n'était pas ordinaire. C'était un bien maigre sacrifice que de faire cet effort. Emmitouflé dans une longue cape de fourrure, le vieil homme ne souffrait pas trop du froid ; le vent n'était pas encore fort même si l'on avait annoncé une tempête dans la nuit. Il n'aurait pas beaucoup de temps pour faire ce qu'il avait à faire. Revenir le lendemain était impossible ; les fortes chutes de neige auront rendu le chemin impraticable pour plusieurs jours. Son navire ne l'attendrait pas, il avait déjà eu assez de mal à venir ici en temps et en heure. La perspective de devoir rester ici pour un bon paquet de jours ne lui était pas agréable.
Après une heure d'une laborieuse marche, Pludbus termina enfin le trajet entre la ville de Tanuki et l'ancien cimetière de l'ile. Aussi grand que deux ponts de trois mats, le lieu avait deux fois l'âge de Pludbus. Presque à l'abandon, il paraissait sorti d'une autre époque. Une époque bien lointaine en vérité. Les hautes grilles de fers rongés par la rouille donnaient un aspect lugubre à ce lieu de repos éternel. La grille d'entrée était entrouverte. Pendant sur ses gonds, personne ne pensait à la faire réparer. En même temps, qui irait voler quelque chose ? L'endroit n'avait plus accueilli de pensionnaire depuis vingt ans. Un nouveau cimetière avait été créé non loin de la ville. L'éloignement de l'ancien avait été pour beaucoup dans son abandon. On ne pouvait reprocher cette légère fainéantise surtout lorsque plus beaucoup de monde n'avait de vrai proche à rendre visite.
Pludbus en avait à revoir. D'une main tremblotante de froid, il poussa la grille d'entrée et y passa son corps grelottant. Connaissant par cœur le chemin à suivre, il laissa vagabonder son regard sur les pierres tombales comme il l'avait fait les fois précédentes. Il reconnut quelques grands noms qui avaient marqué son enfance. Toutefois, la plupart des épitaphes étaient devenues illisibles. Pires que cela, certaines sépultures étaient à moitié détruite, la pierre ayant éclaté sous l'effet du froid des précédents hivers. Un arbre avait même été arraché à la terre et s'était effondré au sol, détruisant une rangée de tombes. Des cercueils à moitié ouverts étaient clairement visibles sous les gravats. Les ravages du temps avaient fait en sorte de réduire toute possibilité de tomber nez à nez avec un cadavre pourrissant.
Enfin, il parvint devant celle qu'il était venu chercher. Majestueuse et imposante, la sépulture prenait la place de trois emplacements normaux. Le marbre, autrefois grandiose, n'était plus que l'ombre de lui même. Malgré l'abandon des lieux, elle était toujours intacte. S'approchant sur le côté, Pludbus entreprit d'enlever la neige qui recouvrait l'épitaphe. Malgré le froid glacial qui s'insinua dans ses doigts, il n'abandonna pas sa tache et serra les dents. Une fois que les écritures furent visibles, il revint faire face au monument. Son regard s'arrêta sur les lettres manuscrites chargées de souvenirs. Le regard triste et perdu, Pludbus semblait bien loin de l'image qu'il avait en public. Il ressemblait réellement à un vieillard usé et triste, attendant son heure pour ne plus ressasser les souvenirs douloureux.
Dans un silence total, Pludbus murmura ces quelques mots d'une voix hachée ; une larme coula sur sa joue.
Coucou, Papa. Coucou, Maman.
Une photo sous verre ornait au centre de l'épitaphe. Elle montrait un couple autrefois vivant uni par l'amour et une fratrie d'enfants devenus marine. Les visages souriants de ses parents, Pludbus ne les avait pas vus depuis vingt-cinq ans. Encore aujourd'hui, ils lui manquaient. Le souvenir de fête de famille passée ensemble lui revenait, accentuant sa mélancolie. De tous ses frères, c'était lui le dernier. Il se pensait seul au monde. Plus de parents pour être fier de lui, plus de frères pour l'écouter ; il semblait bien fragile et pitoyable. L'homme qui avait atteint les plus hautes sphères de la marine pleurait en pensant à ses parents disparus. Il avait refusé catégoriquement que des marines le suivent dans son excursion. Il n'aimait pas qu'on le voie ainsi. Cela relevait du domaine privé. De plus, il était persuadé que les marines ne pourraient comprendre ce qu'il ressentait en cet instant. Il n'était pas que l'ex-Amiral en chef, il était aussi un homme qui n'aurait jamais pu être ainsi sans le soutien inébranlable de sa famille. Ce qu'il avait fait, c'était grâce à eux. Sans eux, il n'aurait jamais eu rien fait.
Sous la neige tombant sans discontinuité, Pludbus aurait pu rester des heures ainsi. La morsure du froid, la nuit plongeant l'ile dans l'obscurité, la tempête s'annonçant au loin ; rien n'aurait pu le faire bouger. Plongé dans un océan de souvenir qu'il ne partagerait jamais avec personne, Pludbus était bien là où il était. Il ne se rendit pas compte qu'il n'était plus seul dans le cimetière. La grille avait un peu grincé à son passage sans que cela ait eu un effet sur le vieil homme. Plutôt grande et élégante, la silhouette s'avança sans détour en direction de Pludbus. Enveloppé dans un long manteau d'une fourrure d'un blanc laiteux, on pouvait discerner de longs cheveux blonds sous un chapeau de dame. La femme vint se placer à côté de Pludbus plongé dans ses pensées. D'une voix douce digne d'une mère, elle le sortit de sa rêverie.
Papy Pludbus. Je me doutais bien que je vous trouverais ici.
Sursautant, l'interpellé leva la tête vers le visage de la femme. Un sourire paisible sur un visage maternel, Ermine était toujours aussi resplendissante. Sa petite nièce avait ce don pour paraître aussi chaleureuse qu'un soleil malgré la tempête. À quarante ans, elle en paraissait trente. La voir redonna un peu de chaleur dans le coeur glacé de Pludbus. Il n'avait plus de frères, ni de parents, mais il avait encore de la famille. Cette famille ne l'oubliait pas.
Un sourire triste sur le visage, le vieil homme gratifia sa petite nièce d'un bisou sur les deux joues alors qu'elle s'était accroupie pour lui faciliter la tâche. Pludbus prit un air renfrogné pour marquer sa désapprobation et Ermine éclata de son rire cristallin. Quelques minutes passèrent alors où Pludbus se remit à fixer la tombe de ses parents. Sa voisine resta silencieuse, comprenant parfaitement la dignité de l'instant. Puis, il sortit quelques fleurs de son sac qu'elle tenait à la main et les déposa sur la neige immaculée qui recouvrait la tombe. Pludbus fit de même ; il avait emporté quelques fleurs de la ville et avait subi les regards surpris des marines. Il n'en avait rien à faire, finalement. C'était sa vie, pas la leur.
Alors qu'il en avait fini de se recueillir et qu'il s'apprêtait à repartir, Ermine posa sa main sur son épaule. Son ton était toujours aussi doux.
Vous n'allez tout de même pas partir si vite ? Tout le monde est à la maison. Les enfants seront tellement heureux de vous revoir.
Pludbus faillit refuser. Puis, il donna une réponse positive de la tête à sa petite nièce qui sourit à son tour. Elle lui prit la main dans la sienne et entreprit de le guider vers le reste de sa famille. Un peu plus loin, Pludbus savait que le coeur de nombreux Céldéborde battait d'une joie de vivre sans borne.
La neige avait commencé à tomber dans l'après-midi. En fin de soirée, c'était un bien joli manteau neigeux qui s'était déposé sur le paysage de l'ile. Les plus hautes montagnes gagnaient en majesté colorée ainsi de blanc et les forêts semblaient beaucoup plus magiques, comme si l'on s'attendait à voir apparaître quelque créature de mythologie au détour d'un tronc d'arbre. Le village s'était, lui aussi, fait recouvert de la délicieuse neige pour le plus grand plaisir des enfants. On s'amusait gaiment alors que les mères de famille houspillaient leur progéniture contre les dangers des rhumes. Plus loin, les marines censés patrouiller grommelaient contre leurs conditions de travail qui n'allaient pas s'améliorer au cours des prochaines semaines. L'effet des premières neiges avait toujours quelque chose de magique. Le genre a annoncé la fin d'une époque bénie pour une autre magique.
À contre-courant des hommes rentrant chez eux, une petite silhouette s'éloignait de la ville d'un pas difficile. Malgré la neige, Pludbus n'hésitait pas à avancer. Il aurait préféré s'assoir au côté d'un bon feu en buvant une bonne bière plutôt que de marcher dans de pareilles conditions. Sauf que ce jour n'était pas ordinaire. C'était un bien maigre sacrifice que de faire cet effort. Emmitouflé dans une longue cape de fourrure, le vieil homme ne souffrait pas trop du froid ; le vent n'était pas encore fort même si l'on avait annoncé une tempête dans la nuit. Il n'aurait pas beaucoup de temps pour faire ce qu'il avait à faire. Revenir le lendemain était impossible ; les fortes chutes de neige auront rendu le chemin impraticable pour plusieurs jours. Son navire ne l'attendrait pas, il avait déjà eu assez de mal à venir ici en temps et en heure. La perspective de devoir rester ici pour un bon paquet de jours ne lui était pas agréable.
Après une heure d'une laborieuse marche, Pludbus termina enfin le trajet entre la ville de Tanuki et l'ancien cimetière de l'ile. Aussi grand que deux ponts de trois mats, le lieu avait deux fois l'âge de Pludbus. Presque à l'abandon, il paraissait sorti d'une autre époque. Une époque bien lointaine en vérité. Les hautes grilles de fers rongés par la rouille donnaient un aspect lugubre à ce lieu de repos éternel. La grille d'entrée était entrouverte. Pendant sur ses gonds, personne ne pensait à la faire réparer. En même temps, qui irait voler quelque chose ? L'endroit n'avait plus accueilli de pensionnaire depuis vingt ans. Un nouveau cimetière avait été créé non loin de la ville. L'éloignement de l'ancien avait été pour beaucoup dans son abandon. On ne pouvait reprocher cette légère fainéantise surtout lorsque plus beaucoup de monde n'avait de vrai proche à rendre visite.
Pludbus en avait à revoir. D'une main tremblotante de froid, il poussa la grille d'entrée et y passa son corps grelottant. Connaissant par cœur le chemin à suivre, il laissa vagabonder son regard sur les pierres tombales comme il l'avait fait les fois précédentes. Il reconnut quelques grands noms qui avaient marqué son enfance. Toutefois, la plupart des épitaphes étaient devenues illisibles. Pires que cela, certaines sépultures étaient à moitié détruite, la pierre ayant éclaté sous l'effet du froid des précédents hivers. Un arbre avait même été arraché à la terre et s'était effondré au sol, détruisant une rangée de tombes. Des cercueils à moitié ouverts étaient clairement visibles sous les gravats. Les ravages du temps avaient fait en sorte de réduire toute possibilité de tomber nez à nez avec un cadavre pourrissant.
Enfin, il parvint devant celle qu'il était venu chercher. Majestueuse et imposante, la sépulture prenait la place de trois emplacements normaux. Le marbre, autrefois grandiose, n'était plus que l'ombre de lui même. Malgré l'abandon des lieux, elle était toujours intacte. S'approchant sur le côté, Pludbus entreprit d'enlever la neige qui recouvrait l'épitaphe. Malgré le froid glacial qui s'insinua dans ses doigts, il n'abandonna pas sa tache et serra les dents. Une fois que les écritures furent visibles, il revint faire face au monument. Son regard s'arrêta sur les lettres manuscrites chargées de souvenirs. Le regard triste et perdu, Pludbus semblait bien loin de l'image qu'il avait en public. Il ressemblait réellement à un vieillard usé et triste, attendant son heure pour ne plus ressasser les souvenirs douloureux.
Dans un silence total, Pludbus murmura ces quelques mots d'une voix hachée ; une larme coula sur sa joue.
Coucou, Papa. Coucou, Maman.
Une photo sous verre ornait au centre de l'épitaphe. Elle montrait un couple autrefois vivant uni par l'amour et une fratrie d'enfants devenus marine. Les visages souriants de ses parents, Pludbus ne les avait pas vus depuis vingt-cinq ans. Encore aujourd'hui, ils lui manquaient. Le souvenir de fête de famille passée ensemble lui revenait, accentuant sa mélancolie. De tous ses frères, c'était lui le dernier. Il se pensait seul au monde. Plus de parents pour être fier de lui, plus de frères pour l'écouter ; il semblait bien fragile et pitoyable. L'homme qui avait atteint les plus hautes sphères de la marine pleurait en pensant à ses parents disparus. Il avait refusé catégoriquement que des marines le suivent dans son excursion. Il n'aimait pas qu'on le voie ainsi. Cela relevait du domaine privé. De plus, il était persuadé que les marines ne pourraient comprendre ce qu'il ressentait en cet instant. Il n'était pas que l'ex-Amiral en chef, il était aussi un homme qui n'aurait jamais pu être ainsi sans le soutien inébranlable de sa famille. Ce qu'il avait fait, c'était grâce à eux. Sans eux, il n'aurait jamais eu rien fait.
Sous la neige tombant sans discontinuité, Pludbus aurait pu rester des heures ainsi. La morsure du froid, la nuit plongeant l'ile dans l'obscurité, la tempête s'annonçant au loin ; rien n'aurait pu le faire bouger. Plongé dans un océan de souvenir qu'il ne partagerait jamais avec personne, Pludbus était bien là où il était. Il ne se rendit pas compte qu'il n'était plus seul dans le cimetière. La grille avait un peu grincé à son passage sans que cela ait eu un effet sur le vieil homme. Plutôt grande et élégante, la silhouette s'avança sans détour en direction de Pludbus. Enveloppé dans un long manteau d'une fourrure d'un blanc laiteux, on pouvait discerner de longs cheveux blonds sous un chapeau de dame. La femme vint se placer à côté de Pludbus plongé dans ses pensées. D'une voix douce digne d'une mère, elle le sortit de sa rêverie.
Papy Pludbus. Je me doutais bien que je vous trouverais ici.
Sursautant, l'interpellé leva la tête vers le visage de la femme. Un sourire paisible sur un visage maternel, Ermine était toujours aussi resplendissante. Sa petite nièce avait ce don pour paraître aussi chaleureuse qu'un soleil malgré la tempête. À quarante ans, elle en paraissait trente. La voir redonna un peu de chaleur dans le coeur glacé de Pludbus. Il n'avait plus de frères, ni de parents, mais il avait encore de la famille. Cette famille ne l'oubliait pas.
Un sourire triste sur le visage, le vieil homme gratifia sa petite nièce d'un bisou sur les deux joues alors qu'elle s'était accroupie pour lui faciliter la tâche. Pludbus prit un air renfrogné pour marquer sa désapprobation et Ermine éclata de son rire cristallin. Quelques minutes passèrent alors où Pludbus se remit à fixer la tombe de ses parents. Sa voisine resta silencieuse, comprenant parfaitement la dignité de l'instant. Puis, il sortit quelques fleurs de son sac qu'elle tenait à la main et les déposa sur la neige immaculée qui recouvrait la tombe. Pludbus fit de même ; il avait emporté quelques fleurs de la ville et avait subi les regards surpris des marines. Il n'en avait rien à faire, finalement. C'était sa vie, pas la leur.
Alors qu'il en avait fini de se recueillir et qu'il s'apprêtait à repartir, Ermine posa sa main sur son épaule. Son ton était toujours aussi doux.
Vous n'allez tout de même pas partir si vite ? Tout le monde est à la maison. Les enfants seront tellement heureux de vous revoir.
Pludbus faillit refuser. Puis, il donna une réponse positive de la tête à sa petite nièce qui sourit à son tour. Elle lui prit la main dans la sienne et entreprit de le guider vers le reste de sa famille. Un peu plus loin, Pludbus savait que le coeur de nombreux Céldéborde battait d'une joie de vivre sans borne.