- Il n'y avait plus personne. Lorsque le Sergent se releva, il ne trouva que quelques cadavres, beaucoup de sang et un effroyable mal de crâne. Bah, si ce n'était que ça, ça passera. Il se releva et tâtant sa plaie. Si quelques citations comiques lui virent en tête, il n'eut pas la talent pour faire rire les corps inanimés. Il ne pouvait pas être le seul vivant? Non. Le messager se redressa d'un bond, caché la tête dans le sable. Et dire qu'à cause de lui, le Commandant avait perdu. Ou presque. Du moins, il était étendu parmi les autres, aussi immobile et sanglant qu'un mort et les pirates étaient tous partis. S'il s'inquiéta du marine qui avait tenu jusqu'au bout, celui qui était plus couvert du sang des autres que du sien, il porta surtout secours au Commandant comme le messager fuit chercher des secours, sûrement occupés ailleurs. Il semblerait que la tempête soit passée. Ne restait plus qu'à savoir quel était le fin mot de cette histoire.
-Cours couard que tu crois croître sans connaître crânes et carnages.
- Très fier de sa phrase malgré les crânes et le carnage, comme il disait, il prit soin d'écarter les quelques survivants du champ de bataille souillé. Et ce ne fut pas son mal de crâne qui l'empêcha de panser comme il pouvait les blessés. Surtout le Commandant qui, malgré un poumon percé et quelques côtes brisées continuait de respirer. Difficilement, dans un sifflement inquiétant, mais il vivait encore. Mais pas longtemps encore si l'autre messager ne se bougeait pas un peu les miches.
*****
- Claudiquant comme une vieille aux articulations douloureuse, une apparition surgit au travers d'une nappe de fumée. Le jeune marine qui gardait et surveillait les arrivées de nouveaux blessés, nombre interminable et qui restait encore s'aggraver à chaque minutes. Et les Gun's avaient beau avoir quitté le QG depuis une bonne heure, Il semblait que de nouveaux décès survenaient à chaque minute. La silhouette, traversant un nuage noir, balayé par le vent marin, que des flammes crachaient un peu à l'écart du chemin. Ce fut tout d'abord une forme indistincte, lente, comme un fantôme dans la brume. Mais elle se rapprochait inexorablement. Et très vite, ce furent deux braises vertes qui s'illuminèrent. Un instant de crainte, mais une forme familière se dressa derrière elle. Enfin à ses côtés. Et la réputation de cette faux n'est plus à faire. Ainsi, lorsque la silhouette s'effondra à plusieurs pieds du bâtiment médical, le vigile sortit avec un brancard pour aller la repêcher. Il n'avait juste pas prévu que la faux pèse plus lourd que la frêle silhouette à bout de souffle. Ils durent s'y prendre à trois pour porter le brancard et la faux de la demoiselle à nouveau évanouie.
*****
- La chaleur bienfaitrice, la sensation de bandages propres sur son ventre, le dos confortablement installé, la tête au calme. Et pourtant, elle se força à ouvrir les yeux. Elle n'était pas tranquille. Pas véritablement hantée par ses échecs, mais ces derniers étaient si récents que son esprit travaillait encore à rattraper Saru. Dès qu'elle fermait les yeux pour tenter de s'endormir, elle se revoyait victorieuse contre le cuistot dans la cale du navire et ces images étaient immédiatement remplacées par celles de sa propre faux qui lui perçait les entrailles. Timuthée? Une erreur de parcours. Elle était déjà faible. Une manière comme une autre de dédramatiser. Or, contre le Singe de l'équipage, elle l'avait pourtant affronté au mieux de sa forme. Il lui était supérieur, voilà tout. Mais se l'avouer n'en réduisait pas pour autant la couche d'amertume sur sa langue. Aussi, au bout du troisième réveil en sursaut, causant diverses douleurs dans tout le corps, elle abandonna cette idée et rumina sa défaite, éveillée. Elle ne devait pas bouger, elle le savait. A chaque mouvement, sa jambe la lançait. Autant la plonger directement dans de l'acide. Ce serait plus rapide et plus direct. Et puis venait en bonne position son hémorragie qui lui faisait tourner la tête presque continuellement. Elle avait presque l'impression que son cerveau n'était plus irrigué. Peut-être l'une des raisons de ses délires dès lors qu'elle se bornait à essayer de dormir. Alors elle fit la dernière chose qu'il lui était possible de faire sans conséquences: jeter un regard à la ronde.
Regroupée avec de nombreux autres officiers blessés, en plus ou moins mauvais état, la quasi-totalité des lits aux draps souillés étaient occupés. Des grands, des petits, hommes, femmes, rachitiques ou baraqués, tous se reposaient dans un silence sépulcral, ou du moins, tous cherchaient à se reposer. A oublier cet épisode quelque peu désastreux. Des mines défaites, certains fières et satisfaites, d'autres décomposées ou inexpressives. On pouvait trouver de tout, entreposés pêle-mêle dans une salle exiguë aux murs blancs crème aux couleurs de la marine. Les lits y étaient stockés comme dans un débarras, avec pour seul souci de laisser libre un simple accès de l'un à l'autre. Mais ces accès étaient presque continuellement encombrés, ruinant le maigre effort des quelques médecins débordés. Et cette vision qu'elle eut de la marine, fraternelle, solidaire, soudée, arracha un sourire ému à Rachel. Elle, seule, sans même sa faux pour lui tenir compagnie. Elle soupira en repensant au Colonel Kimura.
-S'il vous plait. Demanda-t-elle d'une voix faible à une infirmière les bras chargés de compresses et de bandages en tout genre, la mine hagard et les cernes violacées. Aurions-nous des nouvelles du Commandant Livingstone?
- Un regard suppliant fit taire le Lieutenant Rachel, comprenant qu'elle ne connaissait ni le nom ni même ne prendrait le temps de vérifier pour elle. Évidemment, ce n'était pas comme si elle avait un bon millier de blessés sur les bras. Un nœud à l'estomac, le Lieutenant Blacrow la regarda s'éloigner. Elle inspira profondément, malgré l'écho douloureux dans son ventre et se calma en expirant calmement. Tant pis. Elle promena son regard à la ronde. Les possibilités. Soit il traquait encore les quelques pirates sur l'île, victorieux, lui. Ou alors il gisait sur un quelconque pavé fissuré -voire en dessous. Sinon, il se trouvait ici. La morgue, se serait plus tard. Elle détailla chaque visage qui passa, chaque personne qui se mouvait.
*****
- Le Sergent ne voulut en aucun cas lâcher le Commandant qui avait tout de même mis en fuite près d'une garnison entière de pirate. À lui seul ou presque. Il s'inquiéterait pour le Lieutenant Blacrow plus tard, lorsqu'il aurait de ses nouvelles. En ce moment, à défaut de faire des blagues trop amères même à sa propre oreille, il claudiquait sur l'épaule d'un sanglier gigantesque auquel il donnait des ordres pour suivre le brancard plus rapide qu'eux. Il ne fallut pas longtemps pour rallier les bâtiments de l'infirmerie et le Commandant Livingstone y disparut par une brèche visiblement pas naturelle pour ne plus en ressortir. Et ce fut également là que le sanglier de bonne taille bifurqua brusquement pour rallier quant à lui les étables où il devait nicher. Pauvre de lui, il n'y avait plus de dresseur pour le nourrir. Et pauvre Druma qui fut éjecté du dos du porc.
Il fut impossible pour lui de dire si le Commandant avait, quant à lui, repris connaissance...