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Enquête dans un nid de condors

« Cigare ? »

La proposition est faite du bout des lèvres. Sobre, protocolaire, minimaliste, elle ne dénote d’aucune étiquette autre que celle des us d’officiers de la marine dans l’exercice de leurs fonctions. Ses feuilles de tabac enroulées et repliées sur elles-mêmes sont à la marine ce qu’une bouteille de rhum vaut pour des forbans. Leur qualité suffit bien souvent à déterminer les intentions de leurs porteurs, la base d’une entente cordiale ou la promesse de contentieux imminents. La cape du cigare offert n’a pourtant rien des Arashibourei de contrebande de la réserve personnelle du colonel Juids dont le sergent d’Élite a identifié les notes de fragrances si particulières dans l’ether de son bureau.

« Volontiers »

Le regard d’airain du colonel croise la mire de plomb de son vis-à-vis pour se jauger mutuellement quelques instants dans ce duel d’ego sempiternel de virilité mal placée que finit par écourter le sergent d’Élite en prenant son assise au devant de l’officier supérieur. La gabardine de son imperméable goutte au sol des affres du mauvais temps dont il a fait les frais sur le pont de la corvette qui l’a porté jusqu’à l’embarcadère de l’Île aux Esclaves. Les doigts fuselés du sergent coulissent avec habileté à la surface du cigare avant d’en atteindre la bague, d’en allumer le pied et de tirer quelques bouffées.

« Sergent, mes priorités demeurent la sauvegarde des intérêts du gouvernement et la supervision de la réhabilitation des installations détériorés par l’Iron Fleet. Toutefois, conformément à l’ordre de mission communiqué par le quartier général, j’ai mis à disposition de vos hommes le sergent Jenkins et le caporal Floyd pour pourvoir aux besoins de votre enquête. Vous comprendrez aisément que je ne peux mobiliser tout l’effectif pour cette ...pantalonnade. »

Le ton est cassant et sec, saturé de l’intransigeance que l’on devine aisément de l’officier supérieur qui n’apprécie outre mesure que l’Élite vienne fouiner dans les petits papiers du pré carré dont il a hérité il y à deux mois à peine. Il y a cette once de défiance et d’autorité dans sa voix, de celle de l’ascendance hiérarchique du colonel qui sait qu’au jeu des équivalences entre régulière et élite, il pourrait balayer cet importun telle la mouche à merde qu’on lui a collé délibérément entre les pattes. L’hostilité naturelle et évidente du gradé est légitime, l’historique de la soixante neuvième et de ses bévues retentissantes pourraient éclabousser ses états de service et réduire à néant ses velléités de promotion sur Grand Line. Le passif laborieux de la garnison pourrait faire tache d’huile si complicité venait à se préciser et Torrk Juids fraîchement débarqué sur le grenier de West Blue n’est pas disposé à payer les pots cassés de son prédécesseur à la notoriété laxiste.

« C’est ce que les conclusions seront à même de déterminer Colonel. La marine d’Élite vous remercie de votre appui pour cette enquête. En préambule, nous allons passer en revue tous les rapports des soldats mobilisés à la Nouvelle Réa sur les soixante-douze dernières heures qui ont précédé l’incident de la salle d’enchères pour nous assurer de leur conformité. »

« Gratte papier et procédurier avec ça. Les archives sont à votre discrétion Sergent. Je ne vous retiens pas. »

« Méthodique et chirurgical plutôt. Le diable est dans les détails Colonel, je présume de ne pas vous l'apprendre. »

Un fossé béant sépare deux hommes aux destinées aux antipodes. Torrk Juids, second de promotion à l’école des officiers de l’académie militaire, un pan entier d’existence passé dans l’entregent des salons d’apparat de Logue Town à brosser avec zèle qui de droit pour obtenir ses premières affectations. L’adversité du terrain qui lui succède à laquelle s’accompagne les tribulations d’une vie en garnison et de la responsabilité d’hommes sous son commandement, les premières déconvenues avec les autorités locales de sa juridiction et surtout l’attrait du pouvoir qui en découle. La préciosité de la marine régulière et de ses larges prérogatives lui apparaissent d'emblée comme une évidence, les privilèges et le prestige de la fonction bien sûr mais surtout cette trajectoire rectiligne vers le firmament de l’Amirauté et les fastes de la postérité d’ici quelques années. Du long de sa carrière, Torrk Juids a su appréhender avec brio un à un les aspérités des maillons de la très longue chaîne du commandement militaire jusqu’à se hisser au poste convoité de colonel d’une garnison de 1 500 âmes.

Le parcours de son vis-à-vis ne soutient pas l’ébauche d’une comparaison avec l’éclat de celui de l’officier supérieur. Pour avoir étudié avec minutie son dossier militaire, le colonel sait mieux quiconque cette vérité. Pas de prouesse notable ou d’exploit émérite à même de rejaillir sur une entrée en matière par la porte de service dans la marine d’Élite. La morale et le système de valeurs de Torkk Juids le rend hermétique à toute forme de réhabilitation et il ne goûte que très peu aux justiciables qui s’improvisent redresseurs de torts la tête sur le billot avec la mort en ligne de mire. Pourtant, le dossier du sergent semble bien vide des antécédents troubles qu’il devine aisément à la lecture des quelques feuillets qui le composent. Ce qui n’était au préalable qu’une présomption désagréable devient réalité à la rencontre de l’Élite : il ne ploiera pas devant l’ascendant hiérarchique et restera imperméable aux tentatives d’ingérence.

Les volutes de fumée se dispersent dans l’éther en libérant les effluves trop chargées d’un mauvais tabac dans l’enceinte du bureau du colonel. Le regard de Grinko se perd dans le prétentieux portrait de trois quarts de Torkk Juids et de sa mise parfaite accroché au mur avant de balayer le décorum terne qui le complète. Quelques marines fades qui tutoient l'insipide du portrait venant d'être évoqué, un set de sabres d'apparat au mur disposé sur un écrin en bois, un panorama grand angle de Logue Town avec le célèbre échafaud en arrière plan. Une décoration impersonnelle, morne, monotone et désespérément lacunaire à l'effigie de tant d'autres soldats occupant les mêmes fonctions. A l’extrémité nord de la pièce, un éventrement donne sur une large vue d’ensemble des docks et sur les travaux de reconstruction menés d’arrache-pied par les esclaves mobilisés par la dame de Pierre avec en toile de fond, là bas sur les collines qui surplombent l’océan, les exploitations agricoles tenues par les contremaîtres de Saint-Urea. Que les lamentations plaintives et les sanglots silencieux des oppressés là-haut semblent loin, très loin des oreilles du colonel et de son perchoir.

« Au cas échéant, nous nous réserverons le droit de procéder à des auditions complémentaires selon les besoins de l’enquête, Colonel.»

« Bien sûr, l’enquête, bien sûr. Tout pour satisfaire l’État Major. Sergent, faites-moi donc l’amabilité de vous joindre à moi ce soir au dîner organisé dans la résidence de Calvin Souther. Vous savez ce que c’est. Les nouvelles précédent souvent la venue des hommes sur les Blues et celle de l'irruption d'un Sergent d’Elite suscite toujours l’intérêt, dont celle de ce Monsieur qui est l’un des rares ici bas à avoir réussi à s’adjoindre la confiance de Stanhope.»

« L’Esclavagiste ? Je le connais de réputation. »

« Ca vous permettra de prendre le pouls de la situation trois mois après les évènements tragiques qui ont précipité votre venue. Calvin Souther vous donnera de quoi vous faire les dents pendant un moment. »

La mise à sac de la Nouvelle Réa orchestré par l’Iron Fleet et épaulé par le concours de forces extérieures s’était soldé par l’évasion de plus d’un millier d’esclaves du grenier de West Blue. Une débâcle sans précédent pour la soixante neuvième division de marines amputé du feu colonel Jess Späre ayant trouvé la mort dans la poursuite des assaillants. L’ire consécutive de Stanhope déclencha une multitude de réactions en chaîne au plus haut niveau diplomatique de la Blue avant qu’une enquête ne soit expressément diligenté par la marine d’Elite de West Blue pour démentir les soupçons de complaisance du contingent local ou au cas échéant de mettre aux fers les traîtres à l’origine de cette faillite collective.

« Comptez sur ma présence Colonel »


Dernière édition par Tetsuya le Dim 16 Juil 2023 - 15:17, édité 1 fois
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Le manoir du châtelain érigé sur un promontoire rocheux à flanc de colline profite d’une vue imprenable sur la baie en contrebas. L’édifice immense et monumental, bâti en pierre de taille, trône au plus près des champs au cœur d’un vaste domaine arboré où officie plusieurs centaines d’esclaves à la main verte dont les existences ne tiennent de manière littérale qu’aux fruits de leur labeur. Œuvrer au sein de la propriété Souther relève d’un privilège dont le caractère singulier est savamment entretenu par les contremaîtres de Saint-Urea qui en accréditent les rares élus pour leurs années de bons et loyaux services. Si pourvoir aux desiderata et lubies triviales du patriarche de la famille est loin d’être la panacée, ce sort reste préférable à celui de travailler quinze heures par jour sous le cagnard dans les plantations pour y subir les invectives et les lacérations des coups de fouet des chiens de Stanhope et en définitive y laisser la peau. L’apanage des pouvoirs laissés entre les mains des contremaîtres par les grandes familles les conduit naturellement à des abus de toutes sortes en se sachant protégés par le blanc-seing de Saint-U. En vérité, ils ont bien trop besoin d’eux pour risquer de se les mettre à dos. Huit cents contremaîtres, huit cents esclavagistes chevronnés grassement rémunérés par la Dame de Pierre pour réussir le tour de force de tenir d’une main de fer 15 000 autres âmes et assurer l’approvisionnement prolifique des denrées de la Cité-Etat. La véritable manne du pouvoir de Stanhope réside dans l’abondance de ces cultures, c’est la clef de voûte du maintien de son règne sur son fief. Le contraste de cette zone de non-droit avec son adolescence passée à Las Camp sous l’ère Mogaba frappe le sergent d’Élite d’un air de déjà vu lorsque sa botte foule au crépuscule la terre fertile du périmètre placé sous la juridiction des contremaîtres.

A la Nouvelle Réa, la section d’Élite commence l’inspection des caissons de plomb répertoriant l’ensemble des rapports de mission mis à leur disposition par la soixante neuvième division. Une nuit longue et fastidieuse à éplucher les feuillets, à en extraire les informations pour faire des recoupements et des vérifications, se profile pour le corps d’Élite. C’est un travail ingrat et rébarbatif bien que décisif pour dénicher l’ébauche d’une piste quelconque. Privilège de gradé, le sergent d’Élite échappe à la sentence mais sera aux prises toute la soirée avec l’esclavagiste le plus en vue du royaume, pas certain qu’il y gagne véritablement au change. Il se sait être l’attraction principale de la petite sauterie privée de Calvin Souther et des quelques hôtes de marque triés sur le volet qu’il a convié pour l’occasion. Le tempérament de citoyen du monde mégalo de Souther n’augure pas des meilleurs auspices en sa compagnie. Beaucoup de rumeurs sordides alimentent le mythe du riche propriétaire terrien sans état d’âme et des mauvais traitements réservés aux innombrables serfs à son service et toutes ont en commun sa relation privilégié avec la Dame de Pierre. On ne devient pas le chef de file d’une des principales dynasties négrières de West Blue avec le sang pour seule ressource. Calvin Souther est la face visible de l’iceberg des centaines de contremaîtres qui travaillent sous sa férule, c’est la figure de proue de tous les galions aux cales remplies à ras bord qui appareillent en direction de Saint-Urea.            

Le tableau se déporte dans le dédale des corridors étroits des cuisines où s’affairent avec empressement les petites mains obligeantes qui préparent la réception du seigneur des lieux. La cage sinistre de l’ascenseur social de Souther a consenti à les élever d’un étage, l’esclave s’efface au profit du domestique et d’un uniforme seyant pour marquer l’accession à ce nouveau rang. Un pantalon garance en drap de laine et une veste croisé d’un bleu sombre pour plastron, Souther est un excentrique qui aime jouer aux petits soldats d’étain avec ses laquais. De ce nouveau statut, l’esclave obtient certaines commodités mais le revers de la médaille le place en première ligne devant le danger, devant le Maître et la satisfaction de ses volontés aberrantes. Pourtant, il sait que dehors tant d’autres comme lui se bousculent au portillon pour lui ravir cette place de choix. La masse amorphe d’invisibles anonymes qui compose le cortège silencieux des serviteurs se met en branle. Les lustres et leurs prismes de cristal sont nettoyés méticuleusement, les tableaux des illustres ancêtres qui composent la galerie de portraits du vestibule sont époussetés, l’argenterie astiqué avec milles égards dans des mouchoirs de soie avant qu’enfin la table monumentale ne soit dressé sous l’œil inquisiteur des gouvernantes. La collection de verres à pied en cristal à motifs losanges et feuilles de palme engravé des initiales de l’arrière arrière arrière grand-père Vivien Souther est positionnée avec d’infinies précautions sur la table vernissée.

Un filet âcre de sueur glisse entre les omoplates de Germain, appesanties par l’habit qui les accable. Ils sont neuf comme lui ce soir à endosser la responsabilité du service des invités du Maître et Germain comme chacun de ses comparses sait qu’il pourrait s’agir de son dernier. Il chasse les idées sinistres qui l’assaillent en envisageant le sort qui lui sera réservé s’il manque à ses obligations, si le bouton de son uniforme trop souvent rapiécé depuis ses quatre années de service n’est pas assez droit, si l’éclat de ses bottes fraîchement cirés du matin n’est pas assez étincelant, si son sourire de composition n’est pas trop affable au goût de ses éminences. Son cœur manque un battement en songeant au charnier à proximité du manoir où gisent dans leur dernière demeure tous ceux avant lui qui ont remplit fidèlement ce rôle avant que la lassitude du maître ne les y expédie pour un voyage sans retour. La réalité l’arrache à cette vision d’horreur lorsqu’un notable lui livre une œillade appuyé pour qu’il vienne lui délivrer l’une des coupes de champagne sur son plateau. Il a frôle l’erreur capitale mais a réussi pour cette fois à passer au travers du crible des gouvernantes trop occupés à scruter le moindre faux pas de ses confrères.  

Dans le hall, tous les regards sont rivés sur le tandem de marines en provenance de la Nouvelle Réa. Germain a d’ores et déjà croisé le premier à quelques reprises pendant son service, c’est un nouveau venu mais il semble déjà coutumier des soirées mondaines du maître. Le second en revanche détonne parmi le gotha des personnalités en smoking avec son imperméable militaire et la tige à cancer logé au coin de sa bouche. Dans une alcôve, l’orchestre distille dans l’atmosphère un air entraînant de jazz aux sonorités folk qui sert de toile de fond aux conversations nourries et décorrélées de la musique en train de se jouer. Le maître de cérémonie finit enfin par apparaître en haut du double escalier en marbre blanc qui surplombe la salle de réception, un sourire zébrant ses traits et claquant des mains comme s'il eut voulu parfaire la mise en scène de son irruption. L’assistance lui rend la réciprocité du geste et l’applaudit en retour lorsque l’intéressé descend avec nonchalance une à une les marches de l’escalier magistral.

« Messieurs ! Je vous en prie, prenez donc place ! Monsieur Grinko, j'ai hâte de faire votre connaissance »
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Le reflet de l’esclavagiste dans son service de porcelaine ajoute à son contentement. Dans le microcosme de son manoir, Calvin parade avec ses atours comme la figure tutélaire qu’il se plaît à incarner. Appréciateur, sa pupille se délecte des corbeilles débordantes de fruits ronds et mûrs cueillis du matin avant de s’attarder sur le ravissement des mets exotiques importés à grand frais des coins les plus reculés de la Blue. Le sémillant esclavagiste pioche à la volée un amuse-gueule élaboré à partir d’une espèce d’esturgeon en voie d’extinction de Poiscaille. Goûteux mais un zeste de sel en trop suffit à sonner le glas du serveur infortuné ou peut être même celle de la batterie de cuisiniers coupables de l’offense. La sentence tombe et déjà le fil de la lame du bourreau s’effile dans l’ombre pour rendre justice au verdict.

Un relent d’amertume en bouche, le maître cueille sur un plateau une coupe du fluide pétillant paré de reflets dorés pour en chasser l’inconfort. S’il est tétanisé par la peur, l’esclave fait sommelier demeure quelques instants aux côtés de son potentiel tortionnaire avant de reprendre le service lorsqu’il a la conviction d’apercevoir l’aube se lever. Une cuvée 1608, un vingt-ans d’âge avec suffisament de longueur pour faire illusion auprès de l'initié mais loin d'être au niveau des meilleurs grands crûs que l’esclavagiste conserve dans sa cave personnelle pour ses entrevues avec la dame de Pierre. De toute évidence, il convient de ne pas donner de la confiture à des cochons.

« Alors Sergent, vous n’êtes pas trop dépaysé ? Avouez que ça change du littoral.»

« Vous avez beaucoup de personnel et très appliqué de surcroît, je reconnais. »

« Et gratuit par dessus le marché ! Nul doute que vous avez dû apprécier leurs uniformes aussi. C’est ma soixante neuvième division personnelle en quelque sorte, vous ne trouvez pas Colonel ? »

« Me mêlez pas à ça... »

Les facéties de Souther relèvent de l’impératif désagréable avec lequel le colonel doit s’efforcer de composer en bonne intelligence. Entre deux eaux, la position inconfortable de Torrk Juids l’oblige à ménager les intérêts parfois contradictoires du gouvernement avec ceux des auxiliaires de la dame de Pierre.  L’esclavagiste abuse de cet ascendant pour mieux le titiller et tutoyer son autorité somme toute relative sur l’Île aux esclaves. S’il n’incarne pas l’instance dirigeante du grenier de West Blue,  Calvin Souther fait figure de personnalité de premier plan avec qui il doit se mettre au diapason.  

« Ce n’est pas tous les jours qu’on reçoit la visite d’un Sergent d’Élite dans les parages. Votre concours aurait d’ailleurs été le bienvenu il y a trois mois. Ça nous aurait épargné quelques contrariétés. Je crois savoir que vous entretenez de bonnes relations avec la famille Growpsou d’ailleurs colonel n’est-ce pas ? »

L’assassinat d’Archibald Growpsou, l’une des têtes d’affiche de la traite des esclaves, avait fait couler beaucoup d’encre et participé à allumer la mèche de l’incident diplomatique. Si l’évasion de plusieurs milliers d’âmes desservait les affaires des pontes locaux, le décès de l’héritier Growpsou faisait naturellement le jeu des autres familles. L’éviction du cadet fragilisait la position de la famille toute entière et contribuait indirectement à l’assise du pouvoir des familles rivales. A l’instar de ses ancêtres avant lui, Calvin Souther se figurait présider officieusement à la destinée du grenier de West Blue. Le patriarche n’aurait jamais laissé la marine marcher sur ses plates-bandes sans être consciencieusement informé du moindre de leurs agissements sur son territoire. Fort de son influence, Souther avait suffisamment le bras long pour se dégager l’ascendant nécessaire à l’anticipation des mouvements de la garnison locale.  Si la piste n’était à ce stade pas privilégiée, l’implication des autres familles dans la libération massive des opprimés pour maquiller une vendetta personnelle contre le descendant Growpsou n’était pas à exclure.

« Loin de moi l’idée de vous lancer la pierre d’ailleurs. La marine a sans doute tout intérêt à montrer patte blanche et réparer les pots cassés après la débâcle.»

« C’est dans notre intérêt à tous d’entretenir des relations pérennes pour que la situation revienne à la normale.»

« Tout à fait, Tout à fait. Je présume d’ailleurs Sergent que vous avez d’ores et déjà quelques pistes à explorer ? Pensez-vous vraiment que l’Iron Fleet ait pu bénéficier de complicités ?»

Grinko toise son vis-à-vis pour mieux jauger la conformité du portrait qu’on lui en a tiré. Le constat est sans appel. Calvin Souther est vraisemblablement fidèle en tous points au profil fantasque de la personnalité en trompe-l’œil qu’il se plaît à interpréter. Souther s’amuse des conventions et tourne en ridicule les étiquettes simplistes qu’on lui assigne. Le Sergent d’élite note la pointe de malice dans le discours de l’esclavagiste et du vaste échiquier que compose d’un côté le cheptel d’aliénés à sa botte et de l’autre les forces en présence de la marine.

« Nous n’excluons aucune possibilité. Les rapports font état de la présence de cuirassés à quelques milles de la côte. La question n’est pas de savoir si l’Armure et son équipage ont tiré parti d’une assistance quelconque – puisqu’elle est avérée - mais plutôt de déterminer si celle-ci s’appuie sur de la collusion en interne ou sur une alliance avec des forces étrangères. »

« Du moment que vous levez le voile sur cette affaire. Certains esclavagistes ont questionné l’intégrité de votre prédécesseur Colonel, prétextant qu’il aurait lui même fomenté l’opération dans une tentative désespérée de coup d’éclat avant d’être trahi à son tour par ses alliés. Que vous en semble ?»

« Tout bonnement ridicule. L’effectif de la soixante neuvième division n’a pas bougé depuis ces tristes évènements. Si tant est que la garnison ait pu abriter des traîtres, nous les aurions débusqué depuis. Peut être vaut t'il mieux regarder du côté de vos contremaîtres. »

«Et vous qu’en pensez vous ? » renchérit Grinko pour couper l’herbe sous le pied à la rhétorique de l’esclavagiste.  L’oeil de Grinko sonde celui de l’esclavagiste comme s’il eut voulu vainement capter la moindre information susceptible de l’aiguiller sur une ébauche à exploiter. La tentative du Sergent d’Élite échoue sur le masque d’impassibilité de l’esclavagiste, il devra se contenter de ses présomptions.

« Jess Späre était un laxiste notoire qui n’a jamais été à la hauteur de ses responsabilités à la Nouvelle Réa. Son infirmité faisant, il privilégiait l’entente entre les esclaves et les contremaîtres pour éviter l’escalade des tensions et conserver l’autorité sur les hommes du rang. Il ne faisait pas l’unanimité mais je ne le crois pas capable de monter de toutes pièces une opération de cette envergure. Il était bien trop coulant pour mettre la vie de ses hommes en première ligne. Il était faible mai »

« Intègre en tout cas. Un bon nombre d’esclaves ont été repêché dans la baie grâce à son commandement ce jour là. » l’interrompit sèchement Torkk Juids.

« Honnête, je dirais. Mais ne nous attardons par sur les incompétents ce soir. Profitez plutôt ! »

Calvin Souther est un esthète prodigue qui ne rechigne jamais à la dépense pour marquer les esprits de ses convives. Un défilé de plats tous plus extraordinaires les uns que les autres s'enchaînent avec dextérité entre les mains habiles de Germain et des huit autres serviteurs. Le patriarche a réuni la fine fleur des contremaîtres de ses exploitations pour la grande messe de ce soir. Les plus impitoyables, les plus intraitables, les plus zélés et coriaces des esclavagistes remisent le temps d’une soirée leurs fouets, chaînes et châtiments corporels d’usage pour devenir des gentlemen respectables sous tous rapports. Ils sont près d’une vingtaine attablée ce soir à profiter naïvement des réjouissances proposées par le maître des lieux. Le Sergent d’Élite avise chacun d’entre eux avec un rictus amer face à la succession de risettes qui s’impriment tour à tour sur les lèvres de chacun d’entre eux. L’impunité en filigrane est difficilement soutenable pour l’Élite qui dresse le parallèle entre les négriers et les sbires de Mogaba commettant leurs plus odieux forfaits. La plupart de ces contremaîtres disposent de propriétés luxueuses où ils abusent de leurs privilèges sur une main d’œuvre docile et prompte à exaucer le moindre de leur souhait. Dans les poches raglan de son imperméable, les phalanges de Tetsuya Grinko blanchissent en prévision d’avoir à supporter des heures durant les penchants exubérants de Souther et de sa clique d’esclavagistes décomplexés.
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