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La grosse pelle de ma vie

_ Non Merci ! ... Pas intéressé ! ... Va te faire foutre !

Grossomodo, c'est ce que j'ai dû aboyer, de plus en plus fort, aux différents marchands ambulants de cette ville que j'ai croisés, tel le petit rebelle colérique qui ne veut pas être dérangé.

Cela faisait un moment que je déambulais dans les rues de la ville. Et comme ces derniers jours, on dirait qu'il y avait une sorte de fête organisée... voilà que le moindre vendeur casse-bonbons, qui voulait se faire du fric, n'avait eu qu'à sauter sur cette occasion : accoster tous les gens qui promènent dans les parages, en leur proposant ses foutues marchandises !
Et manque de bol, dans le tas, Bobby Lapointe passait par là également. Donc il a fallu que je sois sélectionné aussi, tôt ou tard. Moralité, longer les murs et se cacher sous une capuche, ça ne m'aiderait pas forcément à chaque fois.

Le premier enfoiré d'entre eux semblait pourtant être le plus sympa, je dois bien le reconnaître. Lui, il avait cherché à me refourguer ses fleurs : des roses. Et je vous le donne en mille ? En achetant cette végétation parfumée, cela devait ensuite servir de cadeau pour ma copine. Mimi tout plein, hein ? Sauf que je n'ai pas de copine. Alors j'ai tout simplement refusé son offre, et il m'a libéré sans s'offusquer.
Le deuxième saligaud ? Idem ! Si ce n'est que lui, sa came, c'était une sorte de ticket resto. En bref, t'achetais son bout de papier, et t'avais droit ainsi de pouvoir aller bouffer tel menu spécial pour amoureux, et pour pas cher, dans un des nombreux établissements du patelin. Mais devine ? A condition d'y aller avec ta copine, puf puf puf !

Mais alors le pire du pire, c'était bien sûr le troisième enquiquineur de service auquel j'ai eu affaire ! Non seulement il m'a longtemps tourné autour, afin de me couper dans mon élan, chaque fois que je souhaitais l'esquiver. Mais en cherchant à me tenir la grappe, ça lui a surtout permis de me réciter tout un tas d'activités à exécuter et à partager avec ma chérie ! A condition d'en avoir une, là encore ? Hmmm... pas spécialement. Disons qu'on pouvait t'en dégoter une, si tu y mettais le prix... mais ça, chut !
Ah oui, oups... au fait, il vendait quoi, lui, vous vous demandez ? Des préservatifs ! Rien que ça ! Alors super... après la sérieuse leçon de morale, comme quoi il faut toujours penser à se protéger pendant un rapport, le mec a direct enchaîné avec du gros déballage de techniques et de positions, mouarf ! On aurait presque pu croire à un coach de combat, au début. Mais non merci ! Pour ce genre d'expérience, j'apprendrais si besoin sur le tas face à l'ennemi, de toute façon.

Sur ce, une fois que j'ai réussi à m'éloigner suffisamment de tous ces crevards vraiment gavants, je peux enfin respirer normalement. Je tourne au coin d'une nouvelle rue, et scanne rapidos la zone : aucun nouvel énergumène chiant à l'horizon à signaler, prêt à me sauter dessus ? Youpi ! Puis, sans penser à regarder le nom de l'enseigne, j'entre dans le premier magasin qui m'offre sa poignée de porte à tourner. Et hop ! Disparu de la circulation.
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A l'intérieur de la boutique, c'est le vide et le calme plat... à part peut-être lorsque la porte grince, au moment de la refermer. Je me grouille alors de jeter un oeil vers le vendeur derrière sa caisse, à l'autre bout de la pièce, mais il ne bronche pas. Faut croire qu'il est trop concentré sur ce qu'il a l'air de lire, qui sait ? Ou juste sourd. J'en avais aussi profité pour lever la main, histoire de me lancer dans du joyeux coucou... mais vu que le bonhomme préfère apparemment rester plongé dans sa lecture, j'abandonne mon geste de politesse.
Je m'engage ensuite dans le premier rayon, et je commence mon exploration des articles. Sans conviction, à vrai dire, hein... puisqu'à la base, c'était surtout pour m'éclipser des trublions de la rue. De plus, à force d'avancer et de survoler le matos exposé, je dois bien me rendre à l'évidence qu'ici aussi, on a décidé de tourner autour de cette fameuse fête.

Des joujous par-ci, des tableaux par-là, des conneries de fringues, des objets de la vie de tous les jours, et même des petits chocolats, etc... Le tout, pour la plupart, en forme de coeur... et réservés principalement pour les meufs. Sinon, il n'y a qu'à lire "je t'aime", quand c'est écrit noir sur blanc.
Bref, je devine bien vite que j'ai pénétré dans une sorte de magasin de souvenirs, quoi. Génial ! Mais qu'est-ce que j'achète, moi, maintenant ? Du moins, histoire de ne pas repartir les mains vides, au moment de passer à côté du vendeur, dès que mes quelques minutes de glandouille se seront écoulées.

Oh, et puis phoque ! Il n'y aura qu'à invoquer l'excuse du pauvre touriste un peu perdu, si besoin. Je termine donc mon petit parcours dans ce labyrinthe, et je m'arrête tout de même devant le comptoir. Un, parce que je m'attends quand même à ce que le mec réagisse un minimum à ma présence. Et deux, parce que je fais style de piocher dans le stock de brochures gratuites, sur une étagère non loin.

_ Passez une bonne journée, monsieur ! je lance gaiement. Et bonne fête de euh...

Ouf, c'est écrit sur la pub que j'ai chopée.

_ ... Saint Valentin ! je reprends le plus vite possible.

De l'autre côté, le mec accoudé se bouge enfin, yes ! Il se redresse pour mieux s'apercevoir de mon extrême petite taille, large sourire exagéré à l'appui. Du coup, en ayant dû quitter légèrement son activité, j'ai comme l'impression de lui en avoir trop demandé. A moins que c'est encore à cause de ma sale voix dérangeante ?

_ Te fous pas de ma gueule, grogne-t-il gravement, tout à coup.

Je reste coincé sur "pause", un court instant. Hein !? Ah bah là, je tombe des nues ! D'accord, je n'ai pas de fric à claquer (désolé, dude !), mais de là à ce que ça me retombe dessus de la sorte... Ouch !
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Résultat, une fois que je suis remis de mes émotions, j'hésite. Est-ce que ça vaut le coup de continuer la conversation ? Ou vaut-il mieux que je me casse, tout simplement ? Je voulais juste être gentil, moi. A moins que lui aussi se range dans la même catégorie que la mienne : celle des célibataires malchanceux ? Et du coup, il a pris ça comme une insulte, oups.

_ Bon allez, pour me faire pardonner, je vais te prendre quelques sucettes... j'annonce en guise de lot de consolation.

Je lui dois bien ça, non ?

Sur ce, après lui avoir désigné du nez le truc en question à bouffer, accroché sur un mur derrière lui, je cherche après mon portefeuille rangé dans je ne-ne-sais-plus quelle poche de vêtement. Mais quand je l'ai retrouvé, et que je suis prêt à me séparer de quelques berrys, j'ai encore droit à une nouvelle scène étrange !
Le vendeur a dû profiter de ma légère inattention pour se trouver un flingue tout proche, qu'il n'a plus qu'à me braquer dessus. On peut même entendre le bruit du déclic de l'arme, au moment où j'écarquille grand les yeux dans les profondeurs de ma capuche.

_ Euh... à quoi tu joues, mec ? je laisse échapper dans la foulée, le tout en déglutissant de surprise.

_ T'as déjà oublié ce que j'ai dit, spice de transgenre !? me gueule-t-il dessus.

Encore un peu, et je vous parie qu'il souhaiterait aussi me mordre, si du mobilier ne nous séparait pas. J'en ai de la chance !

Quoi qu'il en soit, je comprends un peu mieux le topo, à présent. Du moins, je crois deviner où il veut en venir. Et d'ailleurs, il ne tarde pas à m'expliquer le règlement de sa maison : soi-disant que moi et mes potes bizarres... bref, les personnes aux lèvres pulpeuses, les personnes qui ont une voix d'efféminé ne sont pas autorisées à venir traîner dans cet endroit !
J'en profite alors pour lui sortir ma version, car il y a forcément un malentendu, haha ! En ce qui me concerne, je suis bel et bien un homme-poisson (et pas l'autre truc qu'il s'imagine !)... avec des grosses lèvres, certes, tout ce qu'il y a de plus moche, j'avoue. Et que pour la voix de coquine, je n'y peux rien non plus, ça me poursuit depuis l'enfance. Je pourrais aussi lui fournir la preuve, mais pas envie de baisser mon pantalon !

_ C'est bon ? je conclus notre petite dispute, en soupirant. Je vais pas mourir aujourd'hui ?

Il reste encore un moment sceptique, alors je fais glisser ma capuche dans mon dos. Là, tant pis s'il fait un arrêt cardiaque, lorsqu'il voit mon horrible trogne. En tout cas, en sursautant, ça ne l'incite pas ensuite à presser la détente. Heureusement ! Puis il se résoud à abdiquer et range enfin son pistolet, sacrément embarrassé.

_ Bah merde alors ! peste-t-il, mâchoire décrochée, comme le pirate qui apprendrait que le One Piece n'existe finalement pas, après tout ce temps à naviguer en mer. Alors, t'es pas un de ces... enfoirés d'Okama ?

Je pousse un petit ricanement, avant de recacher mon visage abominable. Manquerait plus qu'il meurt d'un cauchemar cette nuit, à cause de moi, haha !
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Voilà. Tout est bien qui finit bien, on va dire. J'aurais ensuite pu quitter ce lieu, avant qu'une énième tuile me tombe sur le coin de la gueule, par exemple. Mais en apprenant que son précédent excès d'humeur semble visiblement lié à cette fameuse population un peu trop louche, ça me donne d'abord envie d'en connaître un peu plus le sujet.
Bon d'accord, et j'attends aussi après ma petite commande...

De ce fait, le commerçant ne tarde pas à me raconter l'anecdote. Et donc dans les grandes lignes : depuis quelques années, on raconte qu'un groupe de ces foutus clowns s'était formé discrètement, petit à petit, dans les environs. Leur secte foireuse a malheureusement fini par prendre une certaine ampleur, et du même coup, a surtout commencé à embêter sérieusement les autres habitants dits "normaux".

_ Aaah ! j'arrive à glisser au milieu de son explication.

Le tout en suçotant une des sucettes que j'ai bien sûr profité d'entamer. Oui, parce que pendant son récit, le narrateur les a déposées devant moi.
Par contre, comme il ne m'annonce pas de somme à lui régler, je me suis dit qu'il devait me faire ça gratuit... notamment après ce que j'ai vécu auparavant. Un petit dédommagement, quoi. Bref, ne comptez pas sur moi pour le lui rappeler plus tard !

_ Alors maintenant, continue-t-il son blabla... chaque fois que la ville organise un événement, une fête, et compagnie... ils ne se privent pas de participer à leur manière, pfff ! Là, pour la Saint Valentin, ils prennent un malin plaisir à venir "chasser" dans les rues !

_ Chasser ? je répète, assez intrigué par ce terme.

Bah oui ! Moi aussi, je chasse... mais plutôt des primes, pour la comparaison.

_ Oui ! Ces crétins se mettent en quête de vouloir trouver leur soi-disant prince charmant ! En les embrassant de force !

Je siffle, pour l'occasion. Wouah ! En effet, ces types ont l'air un brin dérangés du bocal, on dirait bien... même si pour eux, j'imagine qu'ils n'y voient que de l'amour, puf puf puf !

Le vendeur termine son histoire en énumérant plusieurs autres exemples dans le même style, auxquels il a eu affaire avec eux, par le passé. Ca permet de rajouter de la consistance à son dégoût pour cette drôle de "race". Et puisque ces foufous continuent de récidiver encore et encore, le proprio de la boutique est monté d'un cran avec de l'étape supérieure, au fil du temps : celle de les menacer à coups de poings... voire même de les dégommer, pourquoi pas !
Quant à moi, j'ai depuis fini ma pause goûter. Et à force de me dandiner pendant toutes ces belles paroles intéressantes, j'ai même réussi à m'approcher d'une corbeille près de la porte d'entrée. Il n'y a plus qu'à jeter dedans la petite tige en plastique.

_ Hmm hmm, j'acquiesce une ultime fois, avec fougue. Merci pour toutes ces infos !

Je lève vigoureusement le pouce, je lui dis que ça pourra sans doute me servir à l'avenir, pendant mon séjour sur l'île, et que je ferai évidemment attention à mon cul, tout ça, tout ça...

Et ayé ! C'est l'heure de me tirer d'ici pour de bon, cette fois-ci. Je retente un signe de la main, qui s'avère enfin communicatif, youpi ! A la revoyure, poto !
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Je ne sais pas combien de temps j'ai traîné dans cette boutique, mais dès que j'entame mes premiers pas à l'air libre, ça fait du bien. Je respire mieux, même que ! J'en profite aussi pour faire un petit tour d'horizon. La rue parait tranquille. Il n'y a pas de zouaves bizarroïdes dans les parages, à première vue. Et tant mieux !
Alors je continue de me promener jusqu'à ce que l'idée d'aller boire un coup germe dans mon cerveau. Peut-être que dans tel ou tel bar ornant les pavés, je pourrai même en découvrir un peu plus sur ces sauvageons d'Okama qui rôdent ces temps-ci. Un ivrogne ou deux pourront éclaircir tout ça, avec du bol.

_ S'il y a du vilain garnement à choper, je ne refuse pas, de toute façon ! je murmure à moi-même.

Je sais, je parle parfois tout seul. Mais c'est pour me donner du courage, en quelque sorte.

_ Petit ou gros bisou ! piaille soudain une voix chaude, dans mon dos.

Je sursaute légèrement sur le coup, même si je devine à quoi je vais devoir m'attendre. D'ailleurs, je n'attends pas plus longuement et j'exécute un demi-tour à grande vitesse.

_ Oh punaise ! je lui réponds d'une voix assez élevée.

A ce moment-là, on y va chacun de notre grimace de surprise et d'ahurissement.

Moi, parce que, pour la première fois, me retrouver si proche de ce genre d'individu over-maquillé de la mort qui tue, qui fait tout pour ressembler à une nana ! Même dans sa tenue vestimentaire, quoi ! Je dois bien admettre que j'ai dû sous-estimer quelque peu les mots du vendeur de tout à l'heure. En clair, la réalité a sérieusement de quoi choquer plus que prévu, la jeune poiscaille que je suis !
Et l'autre gars, parce qu'avoir la chance (?) de pouvoir tomber nez à nez avec une sorte d'extra-terrestre tout vert et tout pourri, qui mesure à peine un mètre cinquante, mais avec des grosses lèvres très développées... je suppose que c'est la première fois pour lui aussi.

Bref, nous restons connement scotchés pendant quelques secondes encore. Et le pire, c'est probablement moi qui n'ai toujours pas pensé à refermer ma bouche bée, depuis le début de cet échange visuel. Résultat, quand l'autre bonhomme sort de son rêve éveillé, l'occasion est trop parfaite pour me plonger dessus.
Chiottes alors ! Moi qui me voyais pourtant déjà lui dire un truc du genre "désolé mon petit pervers ! Mais ton joli Valentin, c'est pas moi, dommage !".

_ Humpf ! Hmmm ! Han ! Pfeuh ! Grrr ! je ne sais qu'articuler, en guise de plaintes à foison.

J'essaie évidemment de me débattre aussi, dans la foulée. Mais ce qui me sert de partenaire a trouvé la technique pour écraser mon gabarit de nabot maigrichon, on dirait... le temps du long et big smack qu'il m'a dégainé.

Ouch, sa mère ! Alors c'est comme ça que les amoureux font, dès qu'ils veulent se rouler une pelle ?! Comment tu veux encore oser dire "je t'aime !" après un truc pareil !? Enfin non, jamais ! Je ne raconterai pas ce que la langue bien mouillée de l'autre zigoto a fait avec la mienne !
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