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Première leçon

   Kant se réveillait péniblement. Il dormit longtemps et eut un long rêve agréable dont les douces bribes flottaient encore à la lisière de sa mémoire. Il resta encore un moment allongé à observer le plafond, qui paraissait s’affaisser. La charpente vieillit semblait déformée par l’humidité qui régnait dans la pièce. Alors qu’il s’interrogeait sur ce sentiment de désolation qu’il éprouvait pour une simple poutre, une voix enfantine vînt le sortir de ses rêvasseries.

« Bonjour ! » S’écria une jeune fille coiffée d’un bandana blanc, qui patientait au chevet de son invité. Elle semblait enjouée de le voir ouvrir les yeux et tenait dans ses mains chétives un pot en terre cuite contenant du lait chaud.

En posant ses yeux sur elle, la mémoire de Kant lui revînt. Après un long voyage en mers au cours duquel il fut employé à servir un équipage en tant que larbin, il était parvenu à l’île de Saint-Uréa, sur South Blue. Le navire accosta en début de soirée et à peine eut-il été remercié pour ses services que Kant demanda qu’on lui indique la taverne la plus proche. Son porte-monnaie, quant à lui, lui indiqua l’un des seuls établissements dans lequel il pouvait raisonnablement se permettre de poser les fesses, compte tenu de ses médiocres moyens pécuniaires. La nuit s’avança rapidement. Longtemps après l’annonce du « dernier verre », l’aubergiste invita ses derniers clients à sortir de son établissement, à l’exception de ceux désireux de s’offrir une chambre. Kant, n’ayant nulle part où aller, tentât de soudoyer le patron pour dormir à l’œil et échoua lamentablement, -notamment- à cause de son état d’ébriété manifeste. Comme à son habitude, il s’effondra en pleurs, protestant qu’il n’y avait, de toute façon, « personne de jamais sympa avec lui ». C’est alors qu’il fut abordée par une dame élégante à la longue chevelure rousse et aux traits chaleureux. Elsa, de son nom, invita le jeune homme à sécher ses larmes et à l’accompagner chez elle où un lit, douillet et moelleux, l’attendait pour passer la nuit. Elsa vivait seule avec sa fille depuis des années dans une modeste bâtisse aux cloisons fissurées, telles qu’il en existait de nombreuses dans la frange de Saint-Uréa.

« Bonjour ! Répondit enfin Kant, balayant d’un coup la honte suscitée par le souvenir de son état de la veille. J’ai très bien dormi ! Tu es la fille d’Elsa, je présume, je n’ai pas eu le plaisir de te rencontrer hier soir, tu dormais ! »

La jeune fille demeura silencieuse un moment, puis tendit le petit pot de lait à Kant d’un air timide. « C’est pour toi ! Môman n’est pas ici, elle travaille. C’est elle qui a dit que j’avais le droit de te réveiller. Je m’appelle Pine ! »

Kant avala son lait d’une traite et remercia sa jeune hôte. Pine, qui venait de célébrer ses douze ans, était une enfant aussi douce que sa mère. Elles habitaient ensemble depuis toujours dans la frange de Saint-Uréa et subsistaient, tant bien que mal, comme les autres habitants de cette partie de l’île. Mais en dépit de leurs rustres conditions d’existence, Elsa avait dressé un repas copieux sur la table du salon pour sustenter sa fille et son invité. Kant et Pine mangèrent ensemble et discutèrent de la ville basse et ses alentours, de la cité intérieure et de la Haute ville. Bien qu’extrêmement timide et polie, la jeune enfant manifestait son étonnement quant à la crédulité de son convive, qui ne connaissait absolument rien de l’endroit dans lequel il venait de larguer les amarres.

   Alors que l’après-midi s’écoulait tranquillement, Kant sortit de son sac des pinceaux et quelques pots de peinture entamés. Il prit aussi une toile enroulée sur laquelle il avait commencé à peindre et sur laquelle était représenté de manière caricaturale une créature abominable, mais arborant des traits pittoresques, comme si elle sortait tout droit d’un conte. Il s’agissait en fait d’une représentation des terribles scorpions géants que Kant eut le malheur de croiser sur l’île de Zaun, quelques temps auparavant. Pine s’amusa de cette étrange œuvre d’art et laissa s’échapper une critique cinglante sur sa qualité, avec toute l’honnêteté et la franchise qui caractérisent les enfants de son âge. Ils passèrent la journée à peindre et discuter de choses et d’autres dans une ambiance paisible jusqu’à la tombée du jour.

   Lorsqu’elle entra chez elle, Elsa eut un léger rictus agacé en constatant qu’un mur entier de son salon avait été recouvert de peinture. Passant outre, elle félicita même les deux artistes en embrassant sa fille. Elle s’adressa alors à Kant : « Bonjour, pas trop mal à la tête à ce que je vois ? Tu n’étais pourtant pas très frais hier au soir ! J’espère que la nuit t’a été agréable, de même que le repas de ce midi ; tu semblais si abattu que j’ai tout fait te redonner un peu le moral. »

A ces mots, le jeune homme s’inclina profondément et la remercia. Ils discutèrent un temps tous les trois, notamment de la fresque encore fraîche qui décorait le mur, puis passèrent à table. Ils mangèrent à nouveau copieusement et quand ils eurent terminé, Pine souhaita la bonne nuit et monta dans sa chambre pour se mettre au lit. « Je monte l’embrasser, lança Elsa, puis nous sortirons. Je vais t’amener à l’auberge où nous nous sommes rencontrés hier. Il faut quand même que nous fassions plus ample connaissance, surtout si je dois t’héberger un temps ! ». Kant inclina la tête à nouveau. Il se sentit extrêmement reconnaissant, d’autant plus que l’idée d’une rasade à l’œil le réjouissait au plus haut point.

   L’auberge du Mulet pimpant n’était pas à proprement parler un lieu accueillant, car ses murs, ses tenanciers et ses clients donnaient tous à voir un spectacle désolant. C’est comme si la misère elle-même habitait l’établissement. Cependant, il demeurait une certaine convivialité entretenue par les rires gras et le goût de l’alcool. Elsa et Kant ne s’étaient pas assis au comptoir comme il l’avait fait la veille, mais à table. C’était en effet plus propice à une discussion qui se voulait prolixe et personnelle. Avant de passer à table, Kant eut vent des nouvelles du monde, ce qui n’était pas pour lui déplaire. Depuis qu’il avait quitté Rokade, il n’était parvenu qu’à saisir que de très brèves nouvelles. Il fut entretenu de longs récits concernant l’installation des nouveaux empereurs, la mort supposée de l’empereur Teach et la libération de ses Royaumes, de la Rêverie à venir…

   Tandis qu’ils terminaient la troisième bouteille de vin, Elsa demanda d’un ton franc et sec : « Bon, et toi alors ? Explique-moi un peu d’où tu viens ! ». Enchaînant ce qu’il croyait être de bons mots et d’élégantes figures de styles, Kant se mit à narrer ses aventures depuis qu’il avait quitté l’île de Tanuki, plus d’une décennie auparavant. À mesure qu’il développait son récit, son ton éloquent et téméraire s’étiolait pour laisser place à un certain apitoiement, l’alcool aidant, il en vînt même aux larmes en mentionnant le nom de Kaétra, son amie d’enfance, qui lui manquait terriblement. Ils discutèrent ainsi jusqu’à l’annonce du « dernier verre », puis rentrèrent. Sur le chemin, Kant chantait :

♬♫♪ Buvez, chantez, vils forbans, la nuit tombe !
♪ Kaétra un jouuuur,
♪ A tout venduuuu, sa beauté de colombe,
♪ Tout son amouuuur,
♪ Pour l'anneau d'or d'un Roi de North' Blue,
♪ Pour un bijou …- ♬♫♪

   Lorsqu’il ouvrit de nouveaux les yeux, Kant sentit que sa bouche était en proie à une sécheresse amère et pourtant si familière. Il crut d’abord avoir dormi longtemps, mais s’aperçut bien vite que la nuit n’avait commencée que depuis quelques heures. Il se souvînt difficilement avoir été raccompagné ivre mort par Elsa et couché aussitôt. Bien décidé à s’hydrater, il descendit de son lit discrètement afin de ne pas réveiller ses hôtes qui dormaient dans les pièces à côté. Tandis qu’il s’approchait de l’escalier menant au grand salon de l’étage du dessous, une discussion lui parvînt. Il reconnut la voix d’Elsa et de sa fille.

« Non, rien. J’ai pourtant passé toute l’après-midi ici avec lui et aucune de ses questions ne m’a semblée indiscrète. J’ai pourtant bien joué la gamine naïve, comme tu m’as demandé … En tout cas, s’il cache son jeu, il le cache bien. » Kant reconnut la voix de Pine. Il l’entendait parler sur ce ton pour la première fois, un ton bien éloigné de l’innocence qui, à première vue, la caractérisait.

« Et son sac, alors ? » répondit Elsa.

« Rien, j’y ai jeté un coup d’œil discret dans l’après-midi, puis je l’ai fouillé entièrement lorsque vous étiez au bar. Mais je n’ai rien trouvé d’intéressant, ni mandat, ni document suspect, pas d’arme à feu et aucun moyen de communication. Et toi alors, qu’est-ce que ça a donné ? ».

Kant tendit l’oreille un peu plus pour entendre la réponse d’Elsa. « Rien non plus, je crois qu’il est sincère, peut-être même un peu trop pour son propre bien. Je l’ai vu s’écrouler en larmes et ivre mort, deux fois, en deux jours. Au beau milieu de parfaits inconnus ! C’est dommage tout de même, je pensais vraiment en tenir un, cette fois. J’imaginai déjà comment lui faire bouffer les pissenlits par la racine… ».

Décontenancé par ce qu’il venait d’entendre, Kant retourna dans sa chambre en vitesse et ouvrit son sac. Se saisissant d’une petite fiole contenant de la poudre vert émeraude, il se dirigea à pas de loup vers l’escalier. D’un bond, il sauta par-dessus les marches et atterrit dans le salon face aux deux femmes, qui se levèrent en reversant leurs chaises, surprises.

« Aha ! Les masques tombent ! Désolé pour vous mesdames, mais c’est pas aujourd’hui que je vais bouffer du pissenlit ! Kanpo Kenpō : Nemuriiiiiiii »

Kant ôta le bouchon en liège de sa fiole tandis qu’il hurlait, tel un héros, le nom de sa technique. D’un geste maladroit il projeta en l’air la poudre contenue dans sa fiole en direction d’Elsa et Pine. Seulement, dû à son état d’ivresse et sa malhabileté, il s’aspergea lui-même de poudre, balbutia quelques mots inaudibles et s’effondra au sol, sombrant dans un profond sommeil.


Dernière édition par Kant le Lun 6 Fév 2023 - 0:12, édité 2 fois
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    Kant se réveillait difficilement. Il dormit longtemps et eut un rêve désagréable dont les abominables frasques rôdaient encore dans ses pensées telles des ombres. Mais très rapidement, les souvenirs de la veille lui revinrent et il se sentit en danger. Il jeta un vif regard autour de lui et s’aperçut qu’il était de nouveau dans la chambre des invités. Avait-il simplement rêvé ?  D’un bond il s’élança vers son sac, -qui ne semblait pas avoir changé de place-, s’empara de ses ciseaux à bois et se tînt prêt à défendre sa vie. Des voix provenaient du premier étage, les voix d’Elsa et Pine. Kant s’approcha discrètement de l’escalier et fut surpris par Pine, qui se tenaient en bas. Elle le dévisageait, blasée.

« Tu comptes faire quoi avec ça ? Réparer des pieds d’chaises ? Descends, on passe à table … »

   Le jeune homme descendit sans lâcher ses ciseaux, mais se détendit légèrement. Elsa était assise à table et sur son visage se lisait une quiétude qui sublimait ses traits délicats. Kant se rendit alors compte qu’elle ne les avait jamais quittés et malgré l’épisode troublant de la nuit passée, Elsa avait toujours été cette chaleureuse jeune mère qui l’avait recueilli. « Viens donc t’asseoir et manger ! Lança-t-elle d’une voix douce. Je crois que nous te devons quelques explications. » Subjugué par la beauté qu’il percevait soudain chez son hôte aux cheveux roux, Kant s’exécuta. Autant dire que s’il s’agissait là d’un piège, il sautait dedans à pieds joints.

« Écoute … Nous n’avons pas voulu te mentir, mais nous devons rester sur nos gardes. Comme je te l’ai expliqué hier, ici, dans la frange, pullulent des crapules en tout genre, à propos desquelles je ne vais pas trop m’étendre... Mais il s’avère que mes activités… » Elle s’arrêtât, jeta un œil sur la mine déconfite de Pine, et reprit : « Il s’avère que -nos- activités peuvent être considérées comme illicites. Et afin de nous protéger, nous sommes obligées d’avoir un coup d’avance sur nos ennemis, c’est pourquoi j’ai cru, de prime abord, que tu pouvais être… » « Un espion ! » S’exclama Pine en ôtant les mots de la bouche de sa mère. « Oui, un agent affilié à ceux qui nous pourchassent. C’est pour cette raison que nous avons pris nos précautions te concernant, mais rassures toi, nous te croyons, Kant… de Tanuki. » En insistant sur son origine, Elsa pensait alors amadouer le jeune homme qui la veille s’était longuement épanché à propos de son île natale. Mais elle s’aperçut alors que son interlocuteur la dévisageait à présent avec un regard hébété, comme s’il était sous le charme. Pour briser le silence qui devenait pesant, elle demanda : « Tu comprends pourquoi nous avons dû agir ainsi ? »

Comme réveillé par la question qui lui était adressée, Kant revînt à lui. Il répondit alors prestement : « Oui, oui je vois bien. Mais pourquoi, enfin, qu’est ce qui t’as fait penser que je pouvais être un ‘espion’ ? ».

« Eh bien, ce quartier de la frange a beau être l’un des plus pauvres qui soit, c’est le nôtre, et j’y connais tout le monde. Les gens qui vivent ici sont marqués par la privation, ils ne portent que des vêtements raccommodés et usés par le travail, ce qui n’est pas ton cas. Tu es propre, tu portes des bijoux et ton style vestimentaire semble faussement négligé… En débarquant ici de nulle part et accoutré de la sorte, il m’a semblé que tu pouvais être l’un de ceux envoyés pour nous épier. »

Kant ne répondit pas. En vérité, son cerveau s’était éparpillé dans de chimériques fantasmes dès l’instant où il entendit « tu es propre ». Perdu dès cet instant, il s’envolait alors dans un rêve, où en compagnie d’Elsa, ils redessinaient la carte du ciel au milieu des étoiles. Agacée par le regard fasciné que Kant adressait à sa mère, Pine ramena le galantin à la raison en lui assénant un coup de pied au tibia. De retour sur la terre ferme, il fit mine de comprendre tout ce qui lui avait été dit et pardonna toute la méprise qu’il y eut alors, sans demander de plus amples explications. Ils mangèrent tous les trois et rigolèrent beaucoup, se rappelant les évènements burlesques qui s’étaient déroulés pendant la nuit.

   Le soir venu, Elsa et Kant retournèrent dans le même bistrot, à la même table. Mais cette fois, le jeune homme eut la présence d’esprit de se rendre compte qu’Elsa ne buvait, en réalité, que très légèrement. La veille, il avait vidé les trois bouteilles seul. Ce constat fait, il décida de s’astreindre à plus de modération.

« Tu sais, je t'apprécie et je crois que Pine aussi. Mais ce n’est pas avec la chiée que je gagne que je vais pouvoir nous entretenir tous les trois. As-tu une idée de travail tu pourrais accomplir, pour gagner un peu d’argent ? » demanda Elsa.

Kant prit une généreuse lampée et répondit, vaniteux : « J’ai une idée de travail, et une idée pour gagner de l’argent. C’est loin d’être la même chose … » Pensant faire un bon mot, il se fendit d’un petit clin d’œil, exhibant sa confiance.

« Ah non ! » s’exclama Elsa, l’air sévère. « Je refuse que tu ne nous mettes dans quelconque pétrin, Kant, nous ne sommes pas à Zaun ou je ne sais où, ici ! C’est très sérieux, nous ne devons pas nous faire remarquer. Donc, le travail. Que sais-tu dont faire ? »

Kant n’osa rétorquer. Il mit humblement en avant ses compétences de sculpteur, mais souligna, confus, qu’il n’inspirait guère la confiance aux maîtres de chantiers et qu’il se ferait surement débouté à la moindre démarche.

« Ne t’inquiète pas pour ça, je t’ai bien dit que je connaissais tout le monde, ici, dans la frange. Dès demain, je vais essayer de te trouver une place ici ou là, en attendant je veux que tu te calmes sur le goulot » répondit Elsa qui s’était adoucie.

*
   Au bout d’une semaine, Elsa sut finalement dénicher une place au jeune sculpteur dans une ébénisterie du quartier des meubles, aux abords de la Place de l’Obélisque. Cet endroit était l’un des lieux les plus attractifs de Saint-Uréa. De ses grands axes savamment aménagés s’échappaient différentes ruelles débouchant sur de nombreux quartiers marchands. C’est dans l’un de ces quartiers que Kant s’efforçait de travailler, malgré le mince volonté qui l’animait alors. Le plus souvent, il s’arrogeait le droit de flâner sur la Place, au milieu des badauds. Il comprit assez rapidement que la frange et Saint-Uréa tout entière était une île où l’autorité occupait une place prépondérante voire, oppressante. Outre les colonnades et statues des grands pontes du Royaume symbolisant l’assise du pouvoir en place, Kant aperçut à plusieurs reprise de curieux et effrayants personnages arborant des masques métalliques en forme de chien. Ils patrouillaient de manière régulière à cet endroit de la frange où la population se faisait dense et semblaient inspirer aux passants certaines inquiétudes. S’évanouissant comme une ombre dans la foule comme lorsqu’il les remarquait, le jeune sculpteur ne s’en soucia pas davantage.

   Une nouvelle semaine s’écoula au cours de laquelle Kant fut assigné à la restauration de meubles en tout genre à l’ébénisterie d’Oruburo Daitomé. Bien qu’extrêmement sympathique et conciliant, son nouvel employeur ne lui apportait pas l’épanouissement qui lui était nécessaire, ce malgré les différents travaux qu’il lui confiait. En parallèle de ces derniers, Kant se servait en cachette dans la réserve de bois à disposition pour fabriquer des arcs, des manches de fléau et autres armes nécessitant un fin travail de sculpteur. En fin de journée, il emportait chacune de ses créations sous le manteau pour les revendre à prix comptant à l’armurerie du quartier marchand. Les commerçants étant très solidaires, Kant prit soin d’élaborer un mensonge alambiqué à son acheteur, stipulant qu’il avait évidemment la permission de Daitomé pour revendre sa matière première ainsi travaillée. Malgré cette activité clandestine, son honnête besogne et son amitié avec Pine et d’Elsa, cela ne suffisait pas à lui faire oublier le sentiment d’ennui mortel qui s’était durablement installé en lui. Un soir, alors qu’il rentrait d’une journée de labeur, Kant s’attabla l’air abattu.

« Tu m’as l’air bien épuisé, fieffé squatteur. On t’a fait travailler dur aujourd’hui ? » Lança Pine, d’un ton ironique.

« Tu sais que j’te préférais quand t’étais gentille et mignonne ? » Répondit Kant, désabusé. Il se plaignit alors, sur un ton exagérément victimaire, de ses rustres conditions de travail et de la maigre paye qu’il ramenait au foyer. Considérant l’absence d’Elsa avec une certaine malice, le jeune homme adopta un autre ton, perfide et vaniteux, puis s’exclama :

« L’argent ça se gagne, mais ça se trouve surtout ! Grâce à ton aide, je te promets que nous pourrions ramener deux fois plus que cette paye maigrelette ! Il va juste falloir faire preuve d’un peu d’ingéniosité et de discrétion… qu’est-ce que t’en dis ?! »


Dernière édition par Kant le Mar 7 Fév 2023 - 18:54, édité 3 fois
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   Cela faisait désormais une vingtaine de jours que Kant avait débarqué sur l’île de Saint-Uréa. Il y avait fait ses marques, développé ses petites habitudes et avait même envisagé d’y poser définitivement ses valises. L’ébénisterie dans laquelle Elsa lui avait trouvé un emploi n’était pas le seul commerce à la recherche de sculpteurs confirmés, il avait donc confiance en sa capacité à faire son trou au sein de l’île. Aux sons de cloches sonnant midi, Kant rangea précipitamment ses ciseaux et se dirigea vers la sortie de l’atelier.

« Tu m’as l’air bien pressé, ton travail est déjà terminé, tire-au-flanc ? » Lui lança Daitomé, son patron, gérant de l’ébénisterie et de la plus prestigieuse boutique proposant des meubles à la vente.

« J’ai terminé, vous pourrez le constater vous-même ! Les pieds en balustre sont faits, pareil pour l’ornement d’escalier. Je file ! … Au fait, je serai pas là cette après-midi ! À demain !! » À ces mots, Kant tourna les talons et s’échappa à toute vitesse à travers la foule, sous les cris rageurs de son supérieur.

   Avant de rentrer chez Elsa et Pine, Kant déambula quelques temps dans les différents quartiers marchands aux abords de la Place de l’Obélisque. Dans le quartier des tailleurs, il prêta attention aux différentes sortes d’habits proposés à la vente. De la plus rustre guenille à la plus éclatante des étoffes, les étals abondamment remplis offraient un large choix de tailles, de couleurs et de prix. Les vues du jeune homme s’arrêtèrent sur un ensemble élégant, composé d’une tunique dorée et de son chapeau melon ébène orné d’un ruban. Après d’âpres négociations avec un commerçant peu accommodant, il acquit l’ensemble ainsi qu’un nœud de foulard aristocrate pour la remarquable somme de cinquante mille Berries, ce qui représentait presque tout ce qu'il avait accumulé grâce à son activité clandestine. Satisfait par ses emplettes, Kant s’en retourna vers la demeure d’Elsa.

    Pine observait avec scepticisme celui qu’elle nommait affectueusement le ‘fieffé squatteur’ déballant ses affaires au beau milieu du salon. « Je ne sais pas si tu es au courant, mais tu es logé à l’œil ici. Si Môman t’a trouvé du travail, c’est surtout pour que tu participes aux frais alimentaires, pas pour que tu t’achètes des fringues de… de bourgeois ?! Et tu comptes bientôt m’expliquer ce que tu comptes faire avec tes croûtes, là ? » demanda-t-elle alors. « Ne t’inquiète pas, tout ça fait partie du plan ! Puis les vêtements, ça revend, répondit-il, agacé. Et ces ‘croûtes’, comme tu dis, valent plus que tu ne le penses. Le bémol, c’est que je n’en ai que quatre d’achevées … mais bon, aujourd’hui on va se débrouiller avec ça. »

Au cœur de l’après-midi, Kant se décida enfin à dévoiler son plan d’action à sa jeune complice. Il s’agissait en réalité d’une arnaque somme toute assez basique, reposant sur la cupidité de la victime. Ses quatre tableaux sous le bras, il se rendit en compagnie de Pine jusqu’à la Place de l’Obélisque et s’arrêtèrent dans une ruelle perpendiculaire à une rue commerçante.

« Bon, voilà le plan ! J’ai repéré deux ou trois auberges plutôt ‘haut de gamme’ dans le coin, mais on va commencer par celle-ci. Prends ces tableaux, dit Kant en tendant ses œuvres grossières à Pine. Elle revêtait un tablier tâché de peinture et tout un attirail d’accessoires lui donnant les traits d’une artiste en herbe. Il faut -absolument- que tu cèdes à l’aubergiste l’un des tableaux, à n’importe quel prix ! Propose-lui le plus abouti, pour être convaincante, mais n’oublie pas, annonce-lui ton prix de vente : vingt-cinq mille Berries ! »

À ces mots, la jeune fille déjà très peu convaincue par toute cette histoire, s’esclaffa : « vingt-cinq mille ? Mais t’es dingue ! Tu penses vraiment que quelqu’un paierait une telle somme pour une de tes peintures ? » Irrité et visiblement pressé, de peur qu’ils ne se fassent remarquer, Kant répondit : « Peu importe, je te dis ! Vends-le-lui, même pour une misère, mais surtout : annonce ton prix ! Ah, et n’oublie pas, précise-lui qu’elle pourra te retrouver sous l’arche de bois en face du Mulet Pimpant. Tu crois que tu peux y arriver ? »

Vexée qu’on ose douter de ses capacités, Pine s’en alla d’un pas ferme et décidé en direction de l’auberge. Elle n’était certes qu’une enfant, mais l’éducation conférée par Elsa avait fait d’elle une personne responsable, consciente des enjeux complexes qui traversaient la société de Saint-Uréa. La devanture de l’établissement était finement ornée de moulures et de bouquets suspendus et se distinguait des modestes gargotes qui accueillaient la population ordinaire de la frange. Pine, levant le regard sur le linteau de la haute porte d’entrée, sentit son cœur se serrer. Elle expira longuement et, ragaillardie, gravit les marches de l’entrée.

   Plus d’une heure s’écoula sans que Pine ne ressorte. Kant attendait à l’angle de la rue, zieutant l’entrée de l’auberge, impatient. Bien qu’il concédât volontiers que la transaction puisse être rude à conclure, il estimait à raison qu’elle ne devait pas nécessiter tant de temps. Il en était à se demander s’il n’avait pas loupé la sortie de sa complice, car plus d’une fois son attention fut attirée par des cohortes de religieux et de croyants qui déambulaient bruyamment. Ces gens d’Église, très nombreux à Saint-Uréa, distribuaient l’aumône aux plus démunis et s’attiraient de ce fait la sympathie des habitants de la frange. Soudain, la frêle silhouette de Pine sortant de l’auberge vînt tirer Kant de ses pensées liturgiques.

« Alors, alors ?! » S’enquit Kant, agité. La première partie du plan s’était déroulée comme convenu et si elle n’avait pas ramené l’ombre d’un Berri, Pine avait réussi à échanger une toile contre un bon repas chaud, ce qui expliquait son retard. Satisfait, Kant l’empressa de se rendre aux abords du Mulet Pimpant, d’y installer son chevalet de fortune et d’attendre patiemment. « Surtout, quand elle viendra, sois in-fle-xi-ble sur le prix ! Tu verras c’que valent mes croûtes ». Sur ces mots, ils se séparèrent.

   Le soir pointait le bout de son nez. Au coin d’une ruelle à l’abri des regards, Kant se mit sur son trente-et-un, revêtant sa longue tunique dorée, son chapeau assortit et son nœud long aristocratique. Endimanché comme jamais, il avait pris soin de bien se nettoyer la figure et d’ajuster ses parures, ne conservant que les bijoux qui paraissaient authentiques à l’œil nu. Confiant, il s’élança en direction de l’auberge luxueuse, bien décidé à user de toute sa roublardise. « L’allure, l’allure, l’allure » se répétait-il en montant les marches de l’établissement. Dans le vestibule faisant office de hall d’entrée trônaient de somptueux fauteuils de velours inoccupés et, disposées çà et là, de nombreuses lampes à huile, luisant d’une lumière plus superficielle qu’esthétique. Soudain, Kant fut interpellé par la propriétaire de la maison : « Puis-je vous aider Monsieur ..? »

« Mais certainement, très chère. Voyez-vous, la nécessité m’a contraint à me rendre dans la frange pour y réaliser d’importantes transactions. Seulement, il se fait tard et je ne peux regagner mes pénates avant la nuit. J’ai donc consenti à l’idée saugrenue de trouver ici logis ». répondit Kant, employant la tonalité la plus mondaine possible. Le regard de la tenancière semblait suspect, mais elle acquiesça avec un sourire. Kant aperçut son tableau délaissé sur un coin de meuble derrière elle. Bien que vexé qu’elle n’ait pas daigné l’accrocher au mur, il ne fit rien transparaître et s’exclama : « Mais ! Que vois-je, quelle merveille ! Serait-ce là votre création ? ». Surprise, la tenancière ne comprit pas tout de suite de quoi il parlait. Elle regarda par-dessus son épaule à droite, puis à gauche, avant de s’arrêter sur le tableau.

« Ah ça, non, non, c’est … Elle ne put terminer sa phrase que Kant s’exclama, émerveillé : « C’est exquis ! Je vous l’achète, à bon prix ! Je suis un grand sélectionneur et fin critique d’art, ma demeure dans la Cité intérieure en témoigne, elle regorge d’œuvre de cette qualité ! Cinquante mille Berries, cette somme serait-elle à même de vous convenir ? »

Abasourdie, la tenancière se contenta d’écarquiller les yeux, en les posant tour à tour sur Kant puis son tableau dans un va-et-vient incessant. Kant surenchérit : « En possédez-vous d’autres ? Quel ravissement ce serait que de posséder une collection ! Je rehausserais mon offre si tel était le cas, cela s’entend. Peut-être, connaitriez-vous l’artiste en personne, ce qui me permettrait de traiter directement avec lui ? »

« Non ! Non, enfin, je veux dire, je ne le connais pas… répondit l’aubergiste, visiblement décontenancée. Cependant, j’en possède à mon domicile, deux ou … trois autres ! Et je serais ravi de vous les céder, mon bon Monsieur. Veuillez prendre une chambre et vous y installer, je vous ramènerai votre ‘collection’ dans la soirée ». Exalté par la réussite de sa ruse mais ne laissant une fois de plus rien transparaître, Kant rétorqua : « Eh bien voyez-vous très chère, il me ravirai d’observer ces précieuses œuvres au plus tôt ! Et si je vous attendais ici, dans ce merveilleux vestibule, le temps que vous alliez les chercher chez vous ? »

L’aubergiste acquiesça et invita Kant à s’installer confortablement sur les canapés de velours. Elle fit appel à un de ses cuisiniers pour tenir la réception et s’en alla avec précipitation. Le fessier bien posé dans un fauteuil hors de prix, le roublard ne pouvait s’empêcher de ricaner. Après quelques minutes, il quitta l’établissement en toute quiétude.

    Au crépuscule, Kant poussa la porte de chez Elsa et Pine et tomba sur cette dernière qui semblait stupéfaite. D’un bond, elle sauta dans ses bras : « Mais comment t’as fait ça ? La grosse dame de l’auberge est revenue, toute affolée, devant l’Mulet Pimpant ! Elle m’a tout pris ! tout ! Regarde tous ces sous ! » jasait-elle alors en exhibant une liasse de Berries. Ils rirent tous les deux un long moment, singeant la tenancière de l’auberge qu’ils avaient dupé, jetant quelques billets par-ci par là comme s’ils venaient de décrocher le gros lot. Après ce moment de liesse, Kant précisa à sa complice que s’ils venaient de réussir un coup, bien d’autres étaient nécessaires s’ils voulaient réellement s’enrichir. Un peu plus tard, Elsa rentra de ses activités diurnes et trouva sa fille et son invité en train de peindre hâtivement sur nombre de toiles. Ils dînèrent alors tous les trois dans une ambiance familière et chaleureuse. Rien de ce qui était advenu l’après-midi ne fut révélé.  

*


   La semaine suivante, Kant négligea de plus en plus son emploi à l’ébénisterie, au grand regret de Daitomé. Après deux nouvelles tentatives d’escroqueries qui se soldèrent par un échec, la troisième porta ses fruits, réjouissant Kant et Pine au plus haut point. Le sentiment de toute puissance que leur conférèrent ce nouveau succès les conduisit à une certaine négligence et ils furent aperçus, sautillants de joie, près de la Place de l’Obélisque. Ce jour-là, ils attirèrent l’attention d’un homme qui les dévisageait, encapuchonné dans son habit de religieux. Il s’agissait d’un homme adulé et très respecté dans la frange, un dénommé « Siegfried ».


Dernière édition par Kant le Mar 7 Fév 2023 - 18:59, édité 2 fois
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♬♫♪ Malgré la lumière du jour, je broie du noir,
♪ Même bourréééé comme un coing, je nourris l'espoir…
♪ Que sur mon chemiiiiin, de nouveau, elle apparaisse !
♪ Kaétraaaaa ma dulcinée, la vile traîtresse !
♪ Oh Cupidon ! Fiche-moi la paix, je t'en prie,
♪ Noyer mon chagrin dans le rouge est hors de prix ! ♬♫♪

   Seuls les oiseaux de nuit pouvaient se targuer d’avoir entendu ces quelques vers, abominablement chantés par leur auteur, passablement éméché. Hurlant dans les rues à deux heures du matin après un énième accrochage avec le patron du Mulet Pimpant, Kant tentait de retrouver son chemin. Affublé de ses nouveaux vêtements de luxe, il avait de nouveau attiré sur lui l’attention de tous les clients de l’établissement et ne s’en souciait guère. Il ne se soucia pas non plus des deux mendiants qui le suivirent de l’auberge jusqu’à la maison d’Elsa.
*

  Le lendemain, une vive altercation opposa Kant et Elsa. Cette dernière avait reçu des plaintes de la part d’Oruburo Daitomé, chez qui elle avait trouvé un emploi à Kant. Ce dernier ne se présentait que très rarement à l’ébénisterie et semblait prendre son poste plus qu’à la légère. De plus, Elsa tînt une longue diatribe sur son nouveau style vestimentaire, qui la révulsait. En plus d’exhiber sa supposée richesse aux yeux de la population modeste de la frange, Kant attirait l’attention sur lui. Peu enclin à se faire rabrouer de la sorte, le jeune homme se défendit avec mauvaise foi. Lorsqu’il fut à court d’argument, il claqua la porte de la maison et s’en alla, vexé.

  Plus tard, tandis qu’il arpentait les rues de la frange sans réel objectif, Kant ruminait. Elsa et Pine l’avaient accueillit sans rien demander en retour, excepté une maigre participation aux frais alimentaires. Cette pensée lui fit prendre conscience qu’il ne leur avait rien laissé ou presque, et ses poches remplies de liasses de Berries pesèrent d’autant plus lourd, dès lors que le poids de la culpabilité s’y ajoutait. Rattrapé par la raison, il ne put s’empêcher d’éprouver une certaine culpabilité. Il prit alors la sage décision de se rendre chez elles à la tombée de la nuit pour leur présenter ses excuses.

  Fier d’être sobre alors que le Soleil s’était couché plus d’une heure auparavant, Kant se présenta devant la demeure d’Elsa, dont la porte était curieusement entrouverte. Il prit tout de même la précaution d’y frapper, mais tandis que ses « toc toc toc » résonnèrent, il crut entendre des bruits suspects, comme des bruits de pas se précipitant. Il prit alors la liberté de la pousser et découvrit avec effroi que le salon semblait avoir été saccagé, les meubles renversés trônaient au milieu de morceaux de verre et autres bouteilles brisées. Kant comprit que la situation était critique et un vif sentiment d’inquiétude pour ses deux amies lui glaça l’échine. Silencieusement, il pénétra dans la maison et tendit l’oreille en direction de l’étage, mais les bruits s’étaient tût. Se saisissant de tabourets dans chaque main, il monta discrètement les escaliers jusqu’en haut et jeta un rapide coup d’œil dans le corridor, désert. Le long de ce dernier, il n’y avait que deux pièces : devant lui, la chambre où il résidait et à quelques pas, celle d’Elsa. Kant ouvrit alors la porte de sa chambre et y jeta un premier tabouret. À cet instant, un homme à l’allure rachitique se jeta sur le tabouret un poignard à la main et s’empêtrât, avant de chuter au sol en s’agrippant au mobilier. D’un coup sec et déterminé, Kant abattit violemment le second tabouret sur le crâne de l’intrus qui sombra dans l’inconscience. Au même instant, un cri retentit dans la pièce. Kant se pencha sous le lit et y aperçut Pine, terrorisée. Sans un mot, il sortit ses deux ciseaux à bois de leur étuis et se tînt prêt. Dans l’entrebâillure de la porte, un second homme tout aussi malingre apparut. Kant pointa ses ciseaux vers lui et hurla, menaçant : « Avances, et je t’égorge ! » L’homme recula d’un pas puis dévala les escaliers à toute vitesse, s’en allant sans se soucier de son complice. À la fois bouillant et secoué, Kant s’abaissa sous le lit et sortit Pine de sa cachette, elle pleurait :

« Kant ! Ils ont pris Môman ! Ils sont venus, beaucoup ! Ils étaient beaucoup ! Un chien de pierre, et … » ses sanglots l’empêchèrent de terminer sa phrase.

Acculé par l’urgence de la situation, Kant ramassa son sac et prit Pine par la main, ils enjambèrent l’homme inanimé au sol et jetèrent un œil dans la chambre d’Elsa avant de quitter définitivement les lieux. Ils y récupèrent un journal ouvert sur le bureau au milieu de nombreux feuillets éparpillés.

  Blottis l’un contre l’autre à l’abri sous une taule abandonnée dans une ruelle étroite, Kant et Pine se résolurent à passer la nuit dehors. Inconsolable, la jeune fille expliqua comment des hommes armés avaient pénétré chez elles et combattu sa mère jusqu’à ce qu’elle s’effondre, à bout de force, avant d’être emmenée. Les assaillants quittèrent la maison sans se douter que Pine était cachée sous le lit. Ensuite, deux hommes, visiblement des mendiants, s’étaient introduit à leur tour dans le domicile pour y mener des recherches. Entendant cela, Kant considéra l’importance du journal qu’il détenait. Ils passèrent alors la nuit dehors, une nuit sans encombre et sans sommeil.

  Dès que les premiers rayons du Soleil caressèrent les toits de la frange, Kant et Pine se pressèrent à l’ébénisterie du quartier des meubles, seul endroit où ils pouvaient espérer trouver refuge. Rongé par la culpabilité, Kant demanda très humblement à son patron de bien vouloir les recevoir. Oruburo Daitomé était un homme d’un certain âge, aux traits sévères et qui arborait une armure de cuire en guise de vêtements. Malgré son allure peu commode, il n’en demeurait pas moins honnête et charitable. Sans dire un mot, il conduisit les deux égarés à travers la boutique jusqu’à l’atelier au fond de l’ébénisterie. Il installa une couche sommaire dans un coin, sur laquelle Pine s’endormit presque immédiatement malgré le bruit et l’agitation provoqués par les ouvriers au travail. Honteux, Kant expliqua à Daitomé les évènements de la veille, dont il se sentait responsable.

« Triple abruti de tire-au-flanc… répondit son patron. Bien sûr qu’avec tes magouilles, tu as certainement attiré l’attention. Mais ne t’accables pas trop non plus, Elsa connaissait les risques qu’elle encourait... »

Il poursuivit en révélant à Kant la vraie nature des activités d’Elsa. Lorsqu’elle perdit son mari huit ans plus tôt lors de la « Guerre des murailles », évènement au cours duquel eut lieu une répression sanglante, Elsa se rapprocha des faibles forces révolutionnaires encore implantées à Saint-Uréa. Agissant plus par vengeance que par conviction politique, elle menait depuis des années des activités consistants à amasser des informations sur le « Culte de la Miséricorde ». Officiellement créé par les maîtres de l’île pour assurer l’aumône auprès des plus pauvres, cette organisation était en fait destinée à combattre la révolution par tous les moyens. Bien qu’ami d’Elsa et de son défunt mari, Daitomé n’était quant à lui pas un révolutionnaire, mais un honnête artisan et commerçant. Il ne put en dire plus, et conclut :

« Je vais veiller sur Pine, car je crains le pire concernant sa mère… mais toi, je ne peux pas assurer ta protection. Aussi, je pense que ta présence ici représente un danger pour nous tous, il faut que tu t’en ailles. » Kant acquiesça. Avant de partir, il laissa à Daitomé une large part de l’argent qu’il avait acquis malhonnêtement, en guise de dédommagement.

  Avec le peu qu’il lui restait, Kant prit une chambre dans une auberge miteuse. Il s’éloigna volontairement du quartier du Mulet Pimpant, près de la demeure d’Elsa, où il s’était fait remarqué de nombreuses fois. Assis sur une paillasse grossière, il ouvrit le journal qu’il avait trouvé la veille, celui-ci s’intitulait « Journal d’une indignée ». Le feuilletant avec attention, il découvrit alors plusieurs passages concernant les activités quotidiennes d’Elsa, des informations concernant sa propre arrivée sur l’île et les soupçons qu’il avait suscité chez elle. Les dernières pages comportaient les informations suivantes :  Plus de nouvelles des renforts censés débarquer de l’extérieur. La situation ici est toujours aussi tendue. La chasse aux nôtres est toujours de plus en plus impétueuse et les espions de Siegfried se multiplient. Il poursuivit : De plus en plus de mendiants rodent dans notre quartier. Je sais qu’ils travaillent pour Siegfried. Ils ne semblent pas dangereux, mais je sais aussi que cette enflure possède de nombreux hommes de mains. Enfin, Kant arriva à la dernière page du journal. L’écriture semblait plus incertaine, à la limite du gribouillage. Les dernières lignes disaient : J’ai peur. Je crois que mon travail au port ne suffit plus à camoufler mes activités … Si la situation continue d’évoluer dans ce sens, je partirai avec ma fille.

  Le lendemain, Kant se réveilla résolu. La piètre qualité de sa couche ne l’avait pas empêché de dormir et de reprendre des forces. Il resta encore un moment allongé à observer le plafond suintant d’une eau grise. Puis, d’un bond il se leva, ôta ses bijoux et les rangea dans son sac avec ses bottes et son chapeau. Il prit le linge souillé et grisâtre qui lui servait de couverture, le noua autour de son cou et s’en fit une cape rudimentaire. Elle dissimulait efficacement l’étuis à sa ceinture, dans lequel étaient rangés ses ciseaux à bois ainsi que son arc et son carquois, accrochés dans son dos. En descendant les marches de l’étage, il fit don de l’intégralité de son argent à l’aubergiste en échange de quoi ce dernier s’engageait à conserver ses biens et ce jusqu’à son retour.

  D’un pas vif malgré ses pieds nus, Kant se dirigea alors vers l’Église principale de la frange. Accoutré tel un mendiant, il se fondait parmi la population, habituée à voir circuler çà et là de nombreux va-nu-pieds. Devant les portes de l’édifice s’était massée une épaisse foule de pauvres gens, quémandant aux religieux le pain du jour. Dissimulé parmi eux, Kant put observer sur leur visage aux traits fatigués une réelle ferveur. Soudain, les portes de l’Église s’ouvrirent et les yeux des mendiants s’écarquillèrent jusqu’à verser des larmes de joie. Un homme encapuchonné sortit, tendant les bras vers la foule comme pour apporter sa bénédiction. D’une large carrure, il portait une soutane qui se distinguait cependant des autres habits religieux par sa couleur noirâtre et par les multiples ceintures de cuir qui la nouaient. Son teint blafard contrastait avec sa peau sombre. Tout d’un coup, la foule amassée se mit à scander son nom : « Siegfried ! Siegfried ! Siegfried ! », et tous l’adulèrent, baissant la tête en signe de révérence. Ce fut la première fois que Kant vu son ennemi de ses propres yeux.  
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