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Tuer n'est pas jouer

-Monsieur, nous sommes arrivés à destination. Las Camp.

-Bien. Remerciez votre Commandant pour son amabilité et dites-lui qu'il sera inutile de prolonger cette escale pour ma seule personne. Cette enquête risque de me tenir occupé pour une certaine durée, et je ne voudrais pas vous retarder plus que je ne l'ai déjà fait.

Le matelot hocha la tête pour signifier qu'il avait bien compris, effectua le salut militaire, puis disparut au pas de course pour aller reporter les paroles de l'agent du gouvernement à ses supérieurs hiérarchiques.

Rei rangea lui soigneusement ses dossiers et effets personnels dans sa serviette, traversa le pont puis descendit du bâtiment de la Marine sans un mot. D'ordinaire, il aurait pris la peine d'aller présenter ses remerciements en personne à celui qui avait consenti à dévier de son itinéraire pour le déposer ici, mais le temps ne jouait aujourd'hui pas en sa faveur. En outre, depuis l'incident du QG de North Blue et l'échec personnel auquel il avait été confronté là-bas, le jeune homme, de son propre aveu, ne trouvait plus le même goût à côtoyer ses semblables et à s'entretenir avec eux. L'insuccès lui pesait, lui qui n'y était pas habitué. Une étrange frustration le bridait et le rendait taciturne. Cela ne lui ressemblait pas. Aussi, que rêver de mieux pour se remettre en selle que de repartir à l'assaut pour dompter la réussite qui le fuyait ?

C'est dans cet état d'esprit, à la recherche d'un prompt rétablissement et d'un regain de sérénité, que Rei posa pied à terre. Et déjà, se sentir sur le terrain lui insufflait une énergie nouvelle. Pour se réhabiliter dans sa fierté, cette mission serait le parfait remède.

Mais il y aurait fort à faire, en apparence. Un spectacle de désolation s'offrait à lui. Si l'endroit était réputé pour être un nid à vipères mafieuses, il constituait surtout un lieu de misère abyssale. Et s'il s'avérait qu'un marine avait effectivement agi en désaccord avec les valeurs qu'il se devait de défendre ici, cela reviendrait à ôter tout espoir dans ce monde aux malheureux qui enduraient quotidiennement leur infortune. Ignoble. Outrageant.

Moindre mal, le Colonel qui l'avait averti de la situation de crise ici semblait être un homme bon. Il s'était porté garant de la convalescence des corps et des âmes. Ce qui signifiait d'un autre côté que Rei endossait lui le rôle du redresseur de torts. Cette idée lui plaisait.

Déjà, investi de sa mission, il comptait recueillir les premières informations de son enquête auprès des éventuels témoins des diverses exactions qu'était suspecté d'avoir commis l'officier Showl, quand une voix l'interpella, non loin dans son dos. Un marine. Un autre. Curieux, il ne l'avait jamais remarqué à bord du navire.

-Monsieur.

-Je vous écoute, matelot.

-Monsieur, un autre officier de la marine est chargé des investigations de ce dossier.

Un collaborateur sur le coup ? Rei aurait aspiré à une enquête en solitaire, mais décliner l'offre ne serait assurément pas correct. Aussi ne tiqua t-il pas. Au plus se permit-il une question.

-Pourquoi ne pas m' avoir fait part de sa présence à bord dans ce cas ?

-Parce qu'il n'est pas du même équipage, Monsieur. Il s'agit d'un Officier des Ghost Dogs.

Les Ghost Dogs. Si l'individu était à la hauteur de la réputation qui entourrait cet équipage, une association pourrait être efficiente.

-Bien. Quand doit-il arrivé à Las Camp ?

-Il y est déjà, Monsieur. Le Commandant Trovahechnik se trouve au bout du quai, derrière vous.

L'agent pivota sur lui-même, plissa les yeux. Une trentaine de mètres devant lui, un petit homme, dont l'apparence laissa une impression mitigé à Rei. Mais se fier à des préjugés ne faisait pas parti de ses habitudes. Il était là pour une raison bien précise, l'Officier également. Et c'était la seule pensée qu'il gardait à l'esprit. Une demi-minute plus tard, il se présenta donc à son associé sur cette affaire. Mais au moment de se présenter, un étrange doute s'empara de lui. Quel était déjà le nom de l'officier ? Bouche entrouverte, regard perdu au loin, il tenta en vain de remettre le doigt sur son nom exotique. En vain.

Conscient qu'un silence ne serait pas de bon effet, l'agent passa outre.

-Commandant, j'ai entendu dire que nous sommes tous deux chargés d'une même affaire. L'affaire Showl, précisément. Si l'idée de coopérer vous séduit, nous pouvons unir nos forces pour remplir avec succès nos obligations. Je me présente, Yakutsuki Rei, chef d'action du CP5.
    Spoiler:

    L'ordre était arrivé milieu de matinée, par mouette. Cacheté, clos à la cire, prioritaire et classé discret. Adressé au nom du Commandant Trovahechnik. Celui-ci le réceptionna alors qu'il finissait de remplir les formulaires de ravitaillement du Passeur. Une activité laborieuse, qui méritait toute son attention et son talent. Mais qui allait devoir attendre. Car, l'Ordre de Mission était bien trop soigné que pour avoir trait à une quelconque basse tache de sous-fifre. C'est donc très précautionneusement que le petit homme l'ouvrit. Et le lut.

    Le petit cœur noir du Commandant commença à battre à un rythme plus soutenu, alors que ses yeux parcouraient le document. C'était bien une mission de première importance, et il s'en allait la remplir avec tout le soin qu'on lui connaissait. Il fini néanmoins rapidement de remplir les formalités pour le Passeur. Il n'aimait pas laissé du travail inachevé. Encore quatorze feuillets.

    Trois minutes et zéro deux secondes plus tard, le Commandant quittait la petite pièce du QG de l'île sur laquelle ils mouillaient, eux les Ghost Dog, depuis quelques jours, sur West Blue. Glissant sur ses petites roulettes plantaires, tel un palet sur un lac gelé, il traversa le couloir, vers la sortie, suivi par de nombreuses paires d'yeux. Une atmosphère étrange accompagnait Trovahchnik dans ses déplacement, maintenant qu'il avait dépassé les limites de l'entendement des masses.

    Le soir même, il embarquait sur le premier bateau en partance pour Las Camp. Les vents furent bons, les étoiles n'avaient plus briller comme cette nuit depuis des lustres, et le soleil qui les remplaça brilla d'un éclat merveilleux. Le petit homme passa quant à lui l'intégralité de son voyage dans sa cabine, pour étudier son dossier.

    Ils débarquèrent peu avant la midi. Le Commandant prit congé en quelques mots du capitaine du bateau. L'homme lui déplaisait beaucoup. Il était sale, et il suait. A terre, le semi-homme n'eut aucun mal à trouver le contact de la marine au port. Celui-ci l'informa de l'arrivée prochaine du gouvernemental qui allait l'accompagner dans son enquête. Même si, à vrai dire, c'était plutôt lui qui allait "épauler" le gouvernemental. La marine voulait en effet éviter tout parti pris, dans une affaire qui impliquait un membre d'élite de la Marine, mais aussi un noble de ce monde. Les conflits d'intérêt pouvaient être nombreux, et c'était du devoir de Trovahechnik qu'aucune faveur ne soient faites, que ce soit pour grossir ou diminuer la responsabilité du jeune officier. Lou prit une grande inspiration.

    L'homme, investi comme toujours, l'était encore plus aujourd'hui. De telles missions revêtaient à ses yeux une importance plus que capitale. Et il se savait être la personne la plus qualifiée lorsqu'il s'agissait de collaborer avec les autorités, de dénoncer les agissements de ces confrères et de condamner les attitudes indignes des codes de la Marine, sur le plan moral comme administratif.

    Alors que Trovahechnik s'auto-galvanisait, un homme s'approcha, depuis l'embarcadère. Il était grand et glabre. Son visage n'affichait point d'expressions faciales. Le Commandant apprécia d'emblée cette attitude réservée. D'autant plus qu'il s'était renseigné sur le CP dès qu'il avait ouïe son nom. Yakutsuki Rei, un homme très doué, d'une grande intelligence disait-on. Trovahecnik n'avait par contre rien pu trouver sur ses états de service. Cypher Pol oblige. L'homme arriva à sa hauteur, et se présenta.

    Commandant, j'ai entendu dire que nous sommes tous deux chargés d'une même affaire. L'affaire Showl, précisément. Si l'idée de coopérer vous séduit, nous pouvons unir nos forces pour remplir avec succès nos obligations. Je me présente, Yakutsuki Rei, chef d'action du CP5.



    Salutation Monsieur. Commandant Trovahechnik, de la Marine. Vous êtes le premier CP que je rencontre. Enfin, j'imagine. Les vôtres ne se dévoilent pas toujours j'imagine.

    Le visage de Trovahechnik afficha une grimace étrange. Peut-être une sorte de sourire. Difficile à dire avec certitude.

    Nous agirons en effet de concert quant à cette triste affaire. Mais soyons précis. Je collabore avec vous car on m'en a donné l'ordre, et que cela convient à mes attributions. Ainsi donc, rien ne me séduit dans l'idée de coopérer avec vous. Ni dans aucune idée qui soit d'ailleurs. Ne le prenez pas pour vous, le concepte de séduction m'est étranger pour dire vrai.

    Le cyborg mi-homme, mi-matériel de bureau opéra une rotation sur lui-même, à 180°, pour avancer en glissant. Zzzzzz faisaient les roulettes. Il sortit l'ordre de mission qu'il avait reçu la vieille du classeur intégré à son estomac, qu'il donna au CP5 Yakutsuki.

    Il me semble Monsieur que notre priorité devrait être de mettre nos informations en commun. Peut-être pouvons nous le faire en nous rendant sur les lieux de l'enquête, qu'en pensez-vous.
      Le jeune agent se félicita d'avoir su garder son flegme, sa gaffe était passée inaperçue. Trovahechnik était le nom du marine. Et singulier était le personnage. Rei le nota d'emblée. Nul besoin de passer de longues heures avec l'individu pour saisir dans les grandes lignes sa philosophie. Travail, rigueur, exactitude, mais aussi froideur sentimentale. Son apparence ne faisait que renforcer l'impression laissée par ses propos. Et si l'Officier signifia clairement ne pas travailler de concert avec son presque collègue de gaieté de cœur, celui-ci ne douta pas un seul instant de son application et de son investissement dans l'enquête. En somme, il se révélait presque être le binôme idéal pour Rei, eu égard à son humeur du moment.

      Je n'en prends point ombrage, certainement.

      Rei se retint d'ajouter un rassurez-vous, cette notion étant sans doute également très éloignée du mi-homme mi-cyborg bureaucrate.

      Mais je partage volontiers mes quelques données avec vous. Le Commandant Showl est suspecté d'avoir tué deux soldats du corps de la Marine. Les circonstances n'ont toutefois pas encore été déterminées.

      Tout en parlant, l'agent invita son interlocuteur à le suivre tandis qu'il quittait la zone des quais pour se diriger vers les habitations.

      Même si la véracité de mes informations ne semble pas souffrir l'ombre d'un doute, il serait avisé de les vérifier par nous-même. En interrogeant des témoins ici, ou en s'adressant par la suite à quelques-uns des hommes sous les ordres du Commandant Showl.

      Jusqu'ici, il n'avait pas cherché à croiser le regard de l'Officier qui l'accompagnait. Mais, comme pour donner plus de force à ses propos, il posa sur lui un regard appuyé à la fois témoignant de son intransigeance sur la question et cherchant surtout à éprouver sa volonté et sa probité, en assenant :

      J'ai conscience que mes propos peuvent être difficile à accepter. Admettre qu'un frère d'arme déshonore l'uniforme en agissant de la sorte n'est évidemment pas chose aisée, mais les exactions de ce type sont malheureusement monnaie courantes. Il y a de fortes chances que nous soyons bel et bien confrontés à l'une d'entre elle avec ce dossier. Si nous aboutissons à cette conclusion, notre devoir sera alors de châtier le coupable en conséquence.

      C'était peut-être de telles remarques que l'ambiance délétère entre Marine et Gouvernement se nourrissait, mais il était impératif de clarifier la situation. Pour Rei, ceux qui bafouaient les règles ne méritaient aucune clémence. L'espace de quelques secondes, le silence régna. Déjà, le duo laissait derrière lui les quais. Et puis, le jeune homme reprit, sur un ton redevenu courtois.

      Et vous, Commandant, quels renseignements pouvez-vous me fournir ?
        Alors qu'ils évoluaient, leurs pas les menèrent hors des planches du port, sur les rues terreuses de Las Camp. C'est avec un mécontentement certain que Trovahechnik dut réintégrer ses roulettes dans ses plantes de pieds, pour marcher comme tout être normal. La boue séchée qui composait les allées de la pauvre ville l'empêchait en effet de glisser, jambes droites. Infectes rues non réglementaires.

        L'agent Yakutsuki révéla ses informations, que Lou s'empressa de noter dans son petit carnet, à l'aide d'un crayon tout droit sorti de son épaule. Deux soldats de la marine étaient morts, expliqua le gouvernemental. Des mains de Showl disait-on. Le commandant cybureautique avait été mis au courant de cela lui aussi. Avec moins de précision. Il aurait cru que le CP était là concernant les meurtres et tortures présumées de civils. Étrange que le gouvernement s'occupe de la mort de marines. Personnellement. Mais Dark Showl n'était pas n'importe qui. Pour en revenir à cet agent du CP5, Trovahechnik était presque content. De l'homme semblait émaner une certaine honnêteté, accompagnée d'une rigueur. Peut-être serait-il réellement impartial dans son enquête.

        Je crains, Agent, que ce ne soit que la partie la moins vile mais la plus visible de l'iceberg. Le Sous-Lieutenant d'élite Showl est en plus accusé, par ordre d'importance, de non-assistance et coups et blessures ayant entrainés la mort sur ses hommes, de tortures sur des suspects et du meurtre de deux civils. Les deux civils en question seraient deux personnes âgées.

        Le commandant avait dit ça de la façon la plus neutre possible, mais, même pour l'être froid et maintenant moins humain que jamais qu'il était, il était impossible de ne pas laisser sa voix se trahir d'un dégout certain. Trahir son devoir et son rang étaient des crimes ultimes aux yeux du commandant.

        Il semble que les tortures aient été appliquées sur des chefs mafieux. Enfin, chefs mafieux... Le mot est un peu fort. Il suffit de regarder autours de nous pour voir que cette ville abrite plus de gangs et de menu-fretins que de vrais mafias. Les mafias, il faut leur laisser ça, soigne au moins leur business. Mais donc, nous risquons d'avoir du mal à découvrir le vrai de cette histoire, à moins que Showl les ait tellement terrorisé pour que même les criminels soient prêts à le donner aux autorités.

        Vrai que c'était épineux. Interroger les civils de las Camp n'allait déjà pas être une partie de plaisir. Alors les gangs locaux... Enfin, si les choses devaient s'envenimer, Trovahechnik n'aurait au moins plus à courir. Il était désormais apte à se défendre. Tout comme l'agent Yakutsuki. Un homme de grand potentiel avait-il entendu de ses sources. Et elles étaient rarement mauvaises.

        Ce qui nous mène à notre marche à suivre. Nous pourrions commencer par interroger la population concernée. Ce serait évidemment payant mais les gangs locaux ne manqueront pas de nous remarquer, et de s'organiser en conséquence. Ou nous pouvons aller directement vers ces derniers. A défaut de résultat, nous aurons l'iniative. N'oublions pas qu'ici, la ville est un ennemi...

        Difficile de discerner ce que Trovahchnik entendait par-là. Inutile aussi. Depuis son opération, le cybureautique avait dépasser le simple entendement humain. Il n'était maintenant plus que dévotion à sa tâche, sans plus être gêné par les bassesses imposées par la chair.
          Le Commandant Trovahechnik partagea sans se faire prier les renseignements dont il jouissait. Simplement, sans emphase mais avec exhaustivité, en apportant son point de vue personnel en plus. Point de vue pertinent, pour ne rien gâcher. Une méthode constructive à laquelle adhérait son homologue. À fonctionner ainsi, leur efficacité n'en serait qu'accrue.

          Les deux hommes étaient sur la même longueur d'onde, avaient pu compléter leurs données grâce à cette mise en commun d'informations et pouvaient se lancer dans le vif du sujet sans plus tarder. L'officier avait émis une suggestion quant à la démarche à adopter pour la suite, aussi Rei relança t-il dessus, après s'être accordé un temps de réflexion pour évaluer quelle alternative serait la plus judicieuse selon lui.

          Effectivement, nos mouvements seront épiés dès que nous entrerons en ville, s'ils ne le sont pas déjà. Nous perdrons l'avantage de l'initiative si nous ne nous tournons pas vers les malfrats qui font la loi ici. Cependant, comme vous l'avez vous-même précisé, ces escrocs, aussi redoutés soient-ils dans la région, sont d'un tout autre calibre que nous et n'opposeront pas une féroce résistance si nous nous donnons les moyens de leur faire entendre raison. D'autant plus que le but de notre venue ici dépasse de loin leurs manigances sans envergure.

          Il ne s'agissait pas de faire un compromis, dans l'esprit de l'agent. Pour lui, la "menace" mafieuse était négligeable, quand bien même ils auraient une longueur d'avance sur eux. Ils étaient la souris, eux le chat.

          De même, les témoignages des civils sont les plus précieux, et nous orienter vers eux en premier nous assurerait que personne n'a exercé de pression sur eux pour les forcer à passer certains détails sous silence. Détails qui pourraient alors aussi bien concerner notre enquête que ces truands de bas étage.

          Ainsi, ils feraient d'une pierre deux coups. Après tout, si l'opportunité se présentait de démanteler un réseau criminel sur cette île par la même occasion, à quoi bon s'en priver. Rei se savait suffisamment solide pour mener de front sa mission principale et ce deuxième combat accessoire, et nul doute que l'anatomie particulière du Commandant Trovahechnik recelait également son lot de surprises pour qui se trouverait en travers de son chemin. Le duo était en position de force, autant en profiter.

          Sans plus tarder, l'agent gouvernemental avisa une première chaumière et toqua à la porte. La tête inquiète de la propriétaire pointa timidement derrière une fenêtre, pour identifier les visiteurs inattendus. Ils étaient rarement les bienvenues dans la région, mais la vue des uniformes sembla la rassurer un peu. Une demi-minute plus tard, la porte s'entrouvrit dans un léger grincement. L'enquête pouvait commencer.
            L'intérieur de la chaumière était miteux. Le sol recélait des trésors de crasses, et la salle de séjour était bruyant au possible. La faute en incombait aux quatre marmots morveux qui jouaient dans le fond, sur une carpette sale. Le femme qui venaient d'inviter les deux officiers à entrer était entre deux ages. Elle avait le regard fatigué, résigné. Elle proposa aux deux hommes de s'assoir. Lou refusa. Il préférait être debout. Officiellement. En réalité, il n'avait aucune envie de salir son nouveau fessier sur un canapé qui devait grouiller d'une faune sautillante et prometteuses de démangeaisons.

            C'est donc debout que le petit homme éructa.

            Bonjour madame...


            Mademoiselle. Mademoiselle Pontout.


            Mademoiselle. Je me présente: Commandant Trovahechnik de la Marine. Avec moi l'agent...

            Le bureaucrate eut un temps d'hésitation. Devait-il présenter un agent du Cypher Pol sous son vrai nom? Etait-ce d'ailleurs son vrai nom? Pour éviter toute bourde, Trocahechnik improvisa donc un patronyme de son cru.

            Cépécinque. L'agent Cépécinque. Nous sommes ici pour enquêter sur les agissements d'un membre de la marine qui a récemment opéré sur Las Camp. Nous aimerions recueillir votre témoignage. L'avez-vous vu, avez vous des informations. Sachez que tout ce que vous pourriez divulguer sera reten... sera classé confidentiel et que votre témoignage sera anonyme.

            Lou observa alors consciencieusement la femme. Le regard fixe, la respiration retenue, et sa loupe oculaire qui focalisait sur le front de la malheureuse. Il pouvait voir la sueur perler à même ses pores. Preuve de culpabilité pensa Lou. Mais qui sait? La femme était peut-être juste effrayée par ce petit homme étrange et son oeil bizarre. Pour peut-être avait-elle vu quelque chose? Peut-être avait-elle peur de ces deux hommes de l'autorité qui venaient d'entrer? Après tout, si elle avait vu quelque chose qui concernait Showl, elle avait des raisons de se méfier, surtout de marines.

            Face à son mutisme, Trovahchnik reprit la parole.

            Mademoiselle. Comprenez bien que nous sommes ici pour que justice soit faite. Nous ne cherchons pas à étouffer et à oppresser qui que ce soit. Ce que...

            Le cybureaucrate s’arrêta net. Il venait de comprendre, en voyant le mouvement de main de la dame. Une main tendu, ouverte, qui appelait... le POT DE VIN. Lou du réfréner sa colère! Comment osait-elle? Comment se permettait-elle, face à des officiers en plus, des garants de la loi, des règles! Alors qu'il allait éructer à nouveau, mais plus fort, il fut arrêté...
              L'endroit, de l'intérieur, était peut-être encore plus miséreux que la façade ne le laissait supposer. Et sa propriétaire elle aussi semblait usée, en dépit de son âge pourtant pas si avancé. Si elle invita les agents à s'assoir tous deux, seul Rei répondit favorablement à la proposition. Il regretta que son collègue n'en fasse pas autant, mais concéda sans peine que ses réticences étaient justifiées étant donné l'insalubrité des chaises. Cependant, la politesse élémentaire du jeune homme était telle qu'il n'aurait pu refuser.

              Le soin que prit le Commandant Trovahechnik a conserver secrète l'identité de son collègue amusa Rei, même s'il n'en laissa rien paraitre. Au lieu de ça, il renvoyait un regard qui se voulait rassurant à leur hôte, que la situation semblait mettre bien mal à l'aise. À moins que ce ne soit les manières et les propos trop formels du marine ? Ou son apparence. Voire même le tout à la fois.

              La situation faillit cependant devenir ingérable alors qu'à pein la situation énoncée, le bureaucrate vit se tendre vers lui une main quémandeuse. L'indignation qui se peint sur sa figure ne laissait pas le moindre doute quant à sa future réaction, aussi Rei estima t-il plus judicieux de prendre le relai pour essayer de contenter chacun.

              Mademoiselle Pontout...

              Rei s'était levé. À côté tant de Lou que de la civile, il en imposait par sa stature. La malheureuse crût voir s'abattre sur elle la gifle punitive pour sa conduite, mais il n'en fut rien. Au lieu de cela, le jeune homme attrapa la main de son interlocutrice, et déposa en son creux quelques liasses de Berrys. Le méchant flic et le bon flic. Mais peut-être aurait-il aussi agit ainsi s'il s'était retrouvé seul. Comme pour justifier le geste auprès de Trovahechnik qui risquait de s'étouffer devant pareille pratique, le jeune agent ajouta :

              Acceptez cette maigre rétribution en guise de dédommagement de votre Gouvernement pour les torts subis jusqu'ici. Comprenez cependant bien que nous œuvrons dans l'intérêt de la population, aussi votre témoignage est-il capital dans notre enquête. Il est de votre devoir de nous aider.

              La dernière phrase était surtout la pour la procédure, et rappeler à la citadine qu'il serait désormais fort malvenu de passer sous silence quelque détail que ce soit. Devant le don généreux, quelque 5 000 Berrys environ, de l'agent Cépécinque qui devenait son héros d'un jour, sa langue se délia comme par enchantement.

              Je vais essayer de vous aider...

              Rei se retourna vers Trovahechnik, satisfait, lança un regard au marine pour essayer de lui communiquer un peu de cette bienveillance dont il savait faire preuve auprès des nécessiteux qui la sollicitaient, puis s'assit, écoutant attentivement Mademoiselle Pontout se lancer dans son témoignage.

              Un groupe de marine est bien venu sur cette île récemment, commença t-elle...

              Spoiler:
                Et ainsi elle commence à s'épandre. A nous racontez comment la vie ici est difficile, comment notre présence la soulage. Puis elle sanglote... Se reprenant, elle explique d'une voie faussement douloureuse qu'elle n'a entendu que des rumeurs. Qu'elle sait que des hommes sont venus. Peut-être des marins, ils cachaient leur identité. Et ils ont fait parler d'eux. Mais jamais elle ne les a vus. D'autres par contre si. Le fils du ferrailleur les a même vu tuer quelqu'un. Puis là, elle hésite...

                De terribles rumeurs. Surement trop exagérées que pour vous intéresser.

                Rei, très sobrement, lui glisse une nouvelle "compensation" dans la paume. Je me force à ne rien dire. Et l'agent signifie à la dame d'un regard appuyé que ce sera l'ultime bakchich. La malhonnête et vénale pauvre reprend son "témoignage". Elle précise les rumeurs. Il est question d'une voisine, qui a entendu des cris. Des cris horribles. La dite voisine soutiendrais que c'étaient ceux de gens que l'on torturait.

                Comment sait-elle à quoi ressemble des cris de torture?

                M'enquiers-je.

                Hé bien, c'est que, commandant, ici... c'est Las Camp.

                L'agent Yakutsuki lui intime de continuer, ce qu'elle fait, enchainant sur les remous qui ont suivi. Suivi quoi? Elle ne précise pas. Les mafias locales furent apparemment fort secouées. Actives. Sans pour autant qu'on puisse savoir vers quoi à mener ce regain de mouvement. Mais une chose est sûre nous dit-elle, un chef de gang a dû être toucher d'une façon ou d'une autre. Sinon ils ne se seraient pas parlé entre rivaux.

                Elle s'arrête. La source est tarie. Yakutsuki et moi prenons congé et sortons de la hutte. Une fois dans les rues crasseuses, j'aborde mon collègue.

                Malgré sa simplicité ce premier entretien fut une mine d'or, n'est-ce-pas? Vous avez peut-être bien fait de ... d'empêcher mon emportement. Soit. J'avais dans l'idée d'aller enquêter à l'infirmerie. Ou de quérir l'agent de liaison de la marine, ici, sur Las Camp. C'est lui qui se charge de recueillir les plaintes diverses et variées. C'est souvent fort instructif. Qu'en pensez-vous.
                  Au terme du récit de la propriétaire, le duo avait obtenu de précieuses informations que l'investissement de Rei légitimaient largement après coup. Lou réprima plutôt bien son mécontentement devant ce procédé qu'il abhorrait et les deux collègues sur cette affaire se firent attentifs jusqu'à ce que la source se tarisse.

                  Une dernière fois, Rei sonda le regard de Mademoiselle Pontout pour s'assurer qu'elle ne passait pas sous silence une ultime juteuse information; mais le jeune homme ne releva aucun prodrome trahissant d'une quelconque gêne ou culpabilité dans les traits ou les yeux de son interlocutrice au moment de la remercier pour le temps qu'elle leur avait accordé. Aussi se contenta t-il en dernier lieu de souhaiter bonne chance à la citadine avant de rejoindre le Commandant Trovahechnik que l'entretien avait lui aussi exaucé.

                  Cependant, quand bien même il s'autorisa à quelques témoignages de sa satisfaction dans ses propos, sa conscience professionnelle interdisait au bureaucrate de crier victoire trop tôt. Déjà, il se projetait vers la prochaine étape de leur enquête. Maintenant qu'ils tenaient une piste, il convenait de la suivre, de récolter de nouveaux indices pour découvrir le fin mot de l'histoire. Aussi proposa t-il une nouvelle fois deux alternatives au chef de terrain du Cipher Pol 5. L'infirmerie ou la base. Autrement dit, recueillir de nouvelles données auprès de civils rescapés du drame, ou de frères d'armes. Le choix apparut évident à Rei.

                  Sans doute ferions nous mieux de consulter le bureau en contact avec le QG en premier lieu. Les informations y sont assurément plus fiables qu'en ville, et pourraient se révéler capitales. Cela devrait en outre nous permettre d'y voir plus clair
                  dans cette affaire. Si nous progressons à bon rythme, les données que nous obtenons ne permettent actuellement pas d'aboutir à une explication claire.

                  Trovahechnik opina du chef, signifiant son approbation. Le duo ne perdit donc pas plus de temps; marchant, Rei remettait mentalement chaque élément en sa connaissance à sa place pour émettre diverses hypothèses qui ne demandaient qu'à être vérifiés, ne se montrant de fait guère bavard pendant le trajet. Remontant les allées crasseuses, les deux hommes eurent l'occasion de sentir peser sur eux les yeux épiant de quelques curieux embusqués derrière de fragiles volets rabattus. Mais la démarche à adopter avait été déterminée et il en aurait fallu bien plus pour détourner un procédurier et un analyste, tant méticuleux l'un que l'autre, de leur ligne de conduite. Aussi arrivèrent-ils sans heurt ni tarder à la porte de l'agent de liaison.

                  Elle était ouverte, mais Rei toqua deux fois tout de même par politesse. Un homme en fin de trentaine leva alors le nez de la paperasse qu'il inspectait jusqu'alors, pour accueillir les deux visiteurs en se présentant dans un salut militaire formel, qui laissait supposer une rigueur tout à fait louable. Le jeune homme apprécia.

                  Messieurs. Caporal Barnes. En quoi puis-je vous être utile ?
                    Le Caporal Andrew Barnes a les traits ridés, la mine fatiguée. L'homme est pourtant encore jeune, du haut de ces 33 ans. Je me souviens de son dossier: irréprochable. Un élément discipliné et compétent. Un homme de principe. Mais les principes sur Las Camp ont la vie dure. Ce qui vaut au Caporal ce visage sombre. Supposition que cela. Mais bonne supposition, sans aucun doute.

                    Repos Caporal. Prenez place.

                    Barnes. S'assied derrière le monceau de paperasse qui jonche son bureau, et nous invite à faire de même. L'hygiène de son poste de liaison est réglementaire, c'est donc avec plaisir que je prend place sur une chaise, tout comme Yakutsuki. Entre le caporal et moi, des dossiers, nombreux. A tel point que je n'arrive pas à le voir. Mais l'homme à la décence d'écarter deux piles particulièrement hautes, et nous nous faisons enfin face.

                    J'imagine qu'on ne vous a pas prévenu de notre arrivée?


                    Pas officiellement Commandant. Mais j'ai sur la ville plusieurs hommes de confiance qui font office d'yeux et d'oreilles. Eux m'ont averti de votre venue. J'avoue que je suis... rassuré de vous voir ici Commandant.

                    Rassuré? Quelles étaient vos craintes?

                    La mine grave, le Caporal inspire un grand coup.

                    Las Camp n'est pas tranquille. Ces dossiers l'attestent de façon plus que probante.


                    Barnes balaye l'air de la main, sur toute la largeur de son bureau, nous prenant à témoins.

                    Des plaintes, pour la plupart, diverses et variées. Mais je dois dire que dernièrement, il y a eu un regain de problèmes dont je me serais bien passé. Avec tout le respect du à votre... vos ...

                    Il jette un regard à Yakutsuki. Gné hé. En bon marine il doit supputer l'ascendance de l'agent.

                    ... vos grades, j'avais peur que vous ne soyez ici pour quelques opérations "délicates". C'est la dernière chose dont la ville aurait besoin. Las Camp est un tas de boue, mais un tas de boue au bord de l'explosion. Il fait la ménager.

                    Le ton de voix du Caporal en dit long. Grave, réservé, l'homme se doute très certainement de la nature de la tâche qui nous incombe. Mais il ne sait pas s'il peut nous faire confiance. Peut importe, c'est un marine discipliné, il suivra les ordres. Quand à sa confiance, peu me chaud de lui en faire la quelconque promesse. Seuls les actes compteront.

                    Ce qui nous ramène à votre première question: en quoi pouvez vous nous aider? Simplement dès lors. Premièrement, nous aurions besoin d'un rapport complet concernant les derniers évènements auxquels vous faisiez allusion. Deuxièmement, nous aimerions un listing complet de toutes les plaintes, aussi insignifiantes puissent-elles être, qui pourraient se rapporter aux dits évènements. Tapages, agressions, disparitions, etc. Tous ce qui pourraient avoir un lien nous intéresse. Troisièmement, nous devons nous procurer les archives de la morgue pour cette période. Quatrième et dernière chose, nous aimerions votre rapport personnel sur les faits qui ont ébroués Las Camp. Ce rapport sera confidentiel, mon collègue s'en assurera.

                    Regardant Rei, je lui adresse un plissement de lèvre entendu, pour revenir au caporal, qui est plus pâle qu'avant.

                    N'omettez donc aucun détail, aucune supposition qui puisse être valable. J'aimerais que vous vous consacriez ENTIÈREMENT et EXCLUSIVEMENT à cette tâche. Je m'arrangerai pour qu'on vous envoie dès demain deux hommes qui s'occuperont de faire tourner les affaires courantes. J'ai connaissance de votre dossier, vous êtes un élément de qualité. Envoyez moi le dossier une fois terminé. Vous avez deux semaines.

                    Barnes est véritablement devenu translucide. Je vois de petites veines qui palpitent sous la peau de son front. L'homme se rend compte de l'étendue de sa mission, étendue qu'il redoute. C'est hélas humain, mais aussi, c'est la preuve d'une véritable conscience professionnel. Yakutsuki, quand à lui, est resté stoïque. Précieuse qualité.

                    Je... Je tenterai de remplir cette mission de mon mieux, Commandant.

                    Hésitant sur le début de sa phrase, il la scande sur le milieu, pour la clamer sur la fin. Fougueux administratif. Définitivement un soldat de qualité. Cela me donne envie de l'aider. J'ouvre mon manteau, puis mon casier ventral, pour en sortir un exemplaire de formulaire G.5.200.f., que je pose sur le bureau. Puis, je tire un crayon de mon épaule droite, que je taile, et commence à remplir le papier. Cela me prend 2,1 secondes. Gné hé. Enfin, du bon de mon index, je tamponne dans la case approprié, puis en bas. Un dernier tampon. et je donne le papier au Caporal Barnes.

                    Voici un G.5.200.f. Caporal. Faites en un double et envoyez le par mouette express au QG principal de West. Cela vous assurera l'arrivée de vos deux aides, plus trois hommes de terrain qui ne seront pas de trop. Je m'assurerai que la demande soit suivie. Foi de Trovahechnik.
                      Les deux enquêteurs avaient trouvé en la personne du Caporal Barnes un élément volontaire et consciencieux; motif de satisfaction tout particulier, l'affaire présente n'aurait su se satisfaire d'un marine désordonné ou pire, cossard. Le Commandant Trovahechnik mena la discussion rigoureusement, sans détour, pour dispenser les tâches dont il chargeait son subalterne tout en lui fournissant les moyens de remplir convenablement la nouvelle mission qui lui incombait sans délaisser l'ancienne pour autant.

                      Pour s'assurer de la confidentialité du contenu du rapport qu'écrirait Barnes, mais aussi de la rapidité de transmission des informations, Rei fournit au marine une de ses estampilles personnelles, dont il userait dans cette affaire comme bon lui semblerait, avant de la faire retourner au leader du CP5. De la sorte, aucun contretemps superflu ne viendrait freiner les investigations. Le jeune homme jugea bon de conclure son intervention sur une note d'encouragement, d'un représentant de la Justice à un autre. Tant pour rassurer le marine qui voyait un dossier épineux lui être délégué sans préavis que pour lui insuffler une énergie nouvelle.

                      Je suis persuadé que vous êtes l'homme de la situation. Vous avez toute notre confiance dans cette affaire, Caporal Barnes.

                      Après quoi il se retourna vers le bureaucrate robotisé.

                      Vous aviez parlé de visiter les quartiers fleurant la truanderie, repère des mafieux de l'île, Commandant. Je vous laisse ce privilège, si l'on peut s'exprimer ainsi. Je recueillerai pendant ce temps d'autres témoignages de civils; cette Mademoiselle Pontout a soulevé autant de mystères qu'elle n'en a dissipés par son témoignage, il convient de pousser l'examen un peu plus loin.

                      Un bref signe de tête plus tard, l'agent gouvernemental abandonnait les deux marines à leurs tâches respectives, remontant vers les quartiers mal-famés en quête d'éléments nouveaux.

                      Seul, Rei rencontra curieusement plus de difficultés à engager la conversation avec les civils. La présence d'un marine à ses côtés rendait le procédé plus rassurant, semblait-il; quand bien même la mine de son acolyte n'avait rien de très engageante. À l'inverse, le gouvernement et tout ce qu'il représentait inspirait une sourde crainte que la politesse et la courtoisie du jeune homme n'apaisait pas totalement. N'étant pas de ceux qui acceptent l'échec, il insista cependant jusqu'à obtenir gain de cause, bien qu'il lui en couta quelques liasses de Berrys supplémentaires. Une fois la conversation engagée, il lui fut facile de l'orienter à sa mesure pour glaner de nouvelles données qu'il notait méticuleusement, avec le nom de celles et ceux les lui ayant transmises.

                      Les témoignages recoupés convergeaient vers une description commune de la scène de meurtre évoquée par leur première informatrice un peu plus tôt. Une grand-mère du quartier se serait jetée aux pieds de visiteurs, au nombre de cinq ou six, pour demander l'aumône. Celui qui commandait le contingent, homme de corpulence moyenne et de haute stature, l'aurait alors assassinée froidement, au beau milieu de la rue, la transperçant de son katana sous les regards interdits des citadins. Un premier crime grave qui ne resterait pas impuni, Rei en assura ses interlocuteurs successifs.

                      Quand il rencontra la voisine qu'avait également mentionnée Mademoiselle Pontout, Rei obtint un indice supplémentaire. D'une maison abandonnée des quartiers pauvres, des bruits à vous réveiller un mort se seraient élevés, une longue heure durant. Torture. Les victimes étaient des petites frappes de la mafia locale, dont les cadavres mutilés avaient été laissés sur place par ceux qui les avaient découvert, par crainte de mal faire. Pourquoi les étrangers en avaient-ils après eux ? Personne n'aurait pu le déterminer.

                      Du moins, personne qui ne soit encore en vie pour en parler aujourd'hui, avait précisé la quadragénaire sur le perron de sa porte, tandis que Rei quittait sa demeure, après l'avoir remercié pour avoir partagé ses précieuses informations.

                      L'enquête progressait, et si elle plongeait dans le macabre, le leader du CP5 sentait avec plaisir les pièces du puzzle s'assembler, lentement mais sûrement. Sa détermination ne s'en trouvait que décuplée.

                      Le jeune agent s'orienta vers la bâtisse où étaient censés s'être déroulés les actes de torture. Elle faisait elle-même peine à voir. Une chaumière dont un pan de mur entier menaçait de s'écrouler, où les briques surannées se mourraient à petit feu. En empruntant les vestiges de la porte d'entrée, l'odeur du charnier en décomposition heurta l'odorat de Rei; le bourdonnement des mouches lui indiqua où se trouvaient les cadavres, au sous-sol, aussi ne mit t-il guère de temps à les trouver. Leurs bourreaux n'avaient pas pris la peine d'effacer les traces derrière eux, ni même de maquiller leurs méfaits. La cave avait été agencé spécialement pour servir de salle de torture, et le résultat était éloquent : membres coupés, corps mutilés, les signes de barbarie ne manquaient pas. L'agent répertoria toutes les marques de torture apparentes, et recensa les techniques employées. Il identifia les restes de trois cadavres humains, et en déduisit le nombre minimum de victimes. Ajoutés au meurtre de la malheureuse, cela portait le total à quatre meurtres au moins.

                      Conscient d'avoir mis la main sur un indice capital, l'agent décida de retourner à la base pour ordonner que l'on saisit les restes des corps en tant que pièce à conviction et que l'on fasse surveiller la maison pour que personne ne vienne dégrader la scène de crime. Arrivé au QG, après avoir informé un bataillon de marines de ses consignes, Rei rédigea un rapport pour le Commandant Trovahechnick, comprenant les témoignages des civils et ses macabres découvertes. Alliées à celles que ferait son collègue, elles représenteraient une avancée considérable dans l'enquête. Du moins, c'était à espérer.
                        L'agent Yakutsuki et moi-même nous séparons. Pour deux objectifs bien distincts. Il est de mon devoir de clôturer cette enquête par l'un des points les plus épineux qui soit. Un point qui me dérange fortement. Un point qui a trait à certains mafieux du coin. Que l'agitateur, dont je suis de plus en plus persuadé qu'il était de nos services, aurait aussi torturé, molesté ou que sais-je. Gné. Interroger des criminels pour salir un membre de la marine, aussi douteuses soient ses méthodes, voilà qui ne me plait guère.

                        Mais soit. J'ai une mission. Je me dois de l'effectuer. D'après mes renseignements, c'est au cœur de Las Camp que réside la plupart des mafias. C'est donc là que je me rend. Inutile de préciser la teneur des regards qui soutiennent mon avancé. La marine n'est pas appréciée en ces lieux. Encore moins depuis le passage du tortionnaire.

                        Il ne faut pas longtemps pour que je me fasse alpaguer. Trois brutes patibulaires, aux yeux torves de stupidités. Les trois primates se gargarisent, me parlant de taxes et autres stupidités.

                        Messieurs je ne suis pas stupides. Vous essayez en ce moment même de me racketter. C'est un acte puni par la loi. Je vous demanderai donc de bien vouloir vous laisser arrêter. Vous en profiterez pour me donner les informations que je recherche.

                        Ils rient. Grassement. J'ajoute.

                        Je suis le Commandant Trovahechnik, de la Marine. J'ai les moyens de vous envoyer croupir tous les trois à Impel Down.

                        Est-ce mon nom ou mon grade qui leur inspire tout à coup ce doute, qui leur sera ô combien salvateur. Je ne sais pas. Toujours est-il que les affreux ont l'air d'avoir perdu leurs envies de rires. Sortant de mon épaule mon fusil à crayon, je les verrouille.

                        Vous n'êtes pas sans savoir qu'il y a eu des problèmes, de gros problèmes, avec d'étranges étrangers, dans les semaines passées...

                        Ils acquiescent bêtement de la tête, tels d'honorables chiens.

                        Un gang de mafieux a été attaqué. Je dois les interroger et régler cette affaire. Où puis-je les trouver?

                        Le plus grand, aussi le plus costaud, commence à balbutier un charabia incompréhensible. Alors que je commence à m'impatienter, il finit par me montrer une bâtisse. "Derrière celle-là" me dit-il, "vous trouverez leur nouveau Q.G.".

                        Je le remercie, lui et sa bande. Ils me tournent le dos, prêts à détaller. Trop tard, mes deux bras télescopiques sont étirés, et je leur passe les menottes, les accrochant les uns aux autres.

                        Vous êtes en état d'arrestation pour tentative de racket messieurs. J'enverrai quelqu'un vous prendre une fois fini.

                        Gné hé hé.

                        Reprenant mon chemin, je me dirige vers la maison sus-indiquée. A l'entrée sont stationnés deux vigiles, du même genre que les trois idiots croisés précédemment. J'avance d'un pas décidé, la stature haute. Et je vois la peur dans leur yeux. Oui, la peur!

                        J'aimerais parler à votre chef.

                        Dis-je, d'un ton calme.

                        Y a pas d'chef ici Mr. l'marine.


                        Hmmm. Et bien j'enverrai l'un de mes subordonnés plus tard dès lors. Je crois que vous le connaissez déjà. Même s'il a fait sa dernière visite ici en civil...

                        Les deux gardes deviennent blanc. Livides. Comme des linges. J'ai fait mouche.

                        Veillez nous suivre m'sieur.

                        La maison dans laquelle on me conduit n'a rien de faste. Elle est d'ailleurs très sale. Tout les brigands ça. Ils dépensent leur argent en drogues, alcool et prostitués, mais pas un berry pour des produits de nettoyage. Arhhh.

                        Nous entrons dans ce qui semble être la pièce principale. Au centre, derrière un bureau poussiéreux, trône un jeune homme mal rasé. Ses yeux sont mauvais. Sa mine est affreuse. Le gredin dans son son abjection. Ses deux employés m'invitent à m'asseoir, offre que je refuse. Bien évidemment.

                        Je serai direct, car votre présence m'horripile. Parlez moi des évènements sanglants qui vous ont touché, vous et Las Camp, vous savez quand.

                        Il me regarde, interloqué. Lui aussi perd ses couleurs. Quoi qu'il ai pu se passer, ils en gardent un mauvais souvenirs... Tant mieux.

                        Pourquoi voulez vous savoir cela?


                        Je pose les questions ici, gredin. Soit vous y répondez, soit je vous embarque.


                        C'est qu'il mordrait, le nain!

                        Brave-t-il à ses sous-fifres. Une dernière tentative pour un chef faible qui veut sauver les apparences. Mais ça ne servira à rien. Comme je lui ai dit, j'ai les moyens de ce que j'avance. Je le lui prouve en posant mes deux mains sur la table, pour ensuite étendre mes bras téléscopique. Se faisant, je m'élève un bon mètre au-dessus de lui. Et en guise de menace, mon lance crayon sort de mon épaule, pointant le vil.

                        Qui est petit maintenant?

                        Gné hé hé. Il a parlé. Bien entendu. Il m'a raconté une histoire intéressante. Comme quoi un petit contingent encapuchonné les avaient attaqués. Sans raison apparente. Le chef de la bande, celui qui me parle étant le second, a alors été enlevé et interrogé. Mais l'interrogatoire n'avait aucun autre but que le torturer sévèrement. L'homme est toujours entre la vie et la mort, et les meilleurs "médecins" de Las Camp sont à son chevet. L'histoire est crédible. L'homme ne ment pas. Il a peur. Très peur. Je prend congé, j'ai ce que je voulais savoir. J'en ai fini avec ce trou.

                        Sur le chemin, je repasse par le poste de marine. J'en profite pour signaler plusieurs choses au caporal Barnes. La position des trois racketteurs d'abords, mais aussi quelques dernières petites tâches à envisager. A savoir ajouter un dossier médical du chef mafieux dans le dossier que je lui ai commandé, doublé d'une confession s'il est en état de parler. Ce faisant, je décroche le Den-den mushi, et appelle le Quartier Général de la marine.

                        Ici le Commandant Trovahechnik. Ma mission est remplie, je rentre. Le dossier sera prêt sous peu, je vous le ferai parvenir par voix sécurisée. Over.

                        Je quitte Barnes, lui assurant que je tiendrai ma promesse. Ce que je fais, une fois dans ma cabine, sur le bateau qui me ramène auprès de mon équipage.