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Quand sonne la treizième heure

On a enfin gagné. Teach est mort, ses forces sont vaincues et une nouvelle aube se lève sur Treize. Dans les prochains jours, les membres de l'alliance pirate-révolutionnaire verront certainement leur prime monter, mais on en est encore loin. Ce n'est pas non plus le moment de célébrer : on doit encore soigner les blessés et compter les morts. Moi, ça va, je ne suis pas si amochée que ça : je peux encore bouger, malgré la douleur. Alors je m'éclipse discrètement profitant que les personnes valides et disponibles préparent une fête de la victoire.

J'arpente ce lieu de perdition, allant de la Boucherie au Temple de Sarnath, de la Galerie au Trou, à la recherche d'informations sur mon ancien capitaine, Mantle Shoma. Malheureusement pour moi, les recherches sont fastidieuses : du fait qu'on ait massacré tout le monde ici, je n'ai personne à interroger. J'avance donc à tâtons, à la recherche d'une quelconque trace écrite, mais c'est peine perdue! Autant chercher une aiguille dans une botte de foin. Ces documents, pour peu qu'ils aient existé un jour, sont soit détruits, soit ensevelis sous des tas de gravats. Je pourrais passer une vie entière à trier les débris que je ne suis pas certaine de trouver quoi que ce soit.

Soudain, un éclair de génie me frappe! Les moines fous doivent bien avoir quelques archives! Je retourne donc au sanctuaire de l'horreur, tout ça pour réaliser que oui, ils ont bien une bibliothèque, mais qu'elle est surtout remplie de textes impies et les seuls ouvrages écrits par les fidèles de Sarnath sont des compte rendus de leurs expériences inhumaines. Franchement, j'en suis presque à regretter d'avoir appris à lire après avoir posé mes yeux sur leurs récits. Malheureusement, je fais chou-blanc, pas une information sur l'Etoile du Sud. Je suis sur le point d'abandonner quand une autre idée me traverse l'esprit.

Et si le Malvoulant tenait un journal de bord?

Et si ce monstre en avait un, ce serait forcement dans son Havre qu'il le dissimulerait! Me raccrochant à ce fol espoir, je me hâte d'aller là-bas. Et très vite, grâce à mon écho sonar wave, je trouve un coffre-fort en granit marin caché dans un mur. Utilisant mon ouïe surdéveloppée, je ne mets pas longtemps avant d'en ouvrir la porte. Je me dis que, dans une autre vie, j'aurais pu être une super voleuse, mine de rien! Mais la vue d'un carnet en cuir sombre relié à la main remet mes idées en place. J'ai enfin trouvé ce que je cherchais!

Serrant mon butin contre ma poitrine, je cherche et trouve un endroit pour lire seule. L'écriture de Teach est étonnement fine et gracieuse. Je réalise en lisant les premières lignes qu'il s'agit presqu'autant d'un journal intime que d'un carnet de bord. Et surtout que feu le Malvoulant notait tout avec rigueur. Malheureusement, sa vie ne m'intéresse pas, ni ce qu'il pensait de ses rivaux, non, ce que je veux, c'est savoir ce qu'il est arrivé à mon ancien capitaine. Alors je saute directement à l'année 1627 et je finis par trouver. Mantle Shoma a été vaincu par l'Empereur et jeté dans le Cul de Basse Fosse. Mon cœur se serre au point que quelques larmes fuient de mes yeux, tombant sur les pages du journal et diluant l'encre en flaques céruléennes. Je referme brusquement l'ouvrage, je connais enfin la fi de l'histoire de mon ancien capitaine. Enfin, au fond de moi, je le savais depuis longtemps, mais, je caressais l'espoir insensé qu'il en soit autrement.

Je sais maintenant ce qu'il me reste à faire. Pas mon deuil, il est fait depuis longtemps déjà. Mais je peux encore offrir des funérailles à un être cher. Je retourne sur la Lépreuse, et je récupère une sacoche avec un peu de matériel puis, je m'isole à l'écart de toute forme de vie. A l'aide de débris de bois et de torchis, j'allume un feu. Puis je sors de ma besace une chicha et une bouteille de rhum vieux. Je débouche le flacon avec un "pop" guilleret qui détonne franchement avec l'ambiance que je souhaite installer. Puis je prépare le fumoir. C'est Shoma qui m'a initié. Je me souviens encore de ses gestes, et, méthodiquement, je les reproduis. Je remplis le réservoir à eau aux deux tiers, je dispose du tabac finement découpé dans le foyer, je recouvre ce dernier avec la cuve de chauffe et je monte l'appareil en vissant la cheminée sur le bac d'eau et en installant le tuyau d'aspiration. Je place donc ensuite religieusement le foyer et je me prépare à allumer le charbon en le tenant avec une pince et le le place au dessus de la flamme d'un briquet. J'attends patiemment et lorsque c'est prêt, je dépose la braise dans le système de chauffe puis je règle ce dernier pour obtenir une chaleur douce. Enfin, je m'assois en tailleur, je place le petit tuyau au coin de mes lèvres et j'aspire ma première bouffée.

Une sorte de frisson parcours mon corps, fumer n'est toujours pas naturel pour moi, alors, je se bois une généreuse lampée de gnôle pour me donner du courage. Oh, c'est marrant, ça! Alcool et tabac vont bien ensemble! Je me laisse aller à esquisser un léger sourire : Shoma aurait sans doute adoré la personne que je suis devenue. Mais avant ça, j'ai une autre chose à faire. Je sors le journal de Teach et, l'une après l'autre, je déchire les pages et les jette au feu. Lentement, religieusement, méthodiquement, j'effeuille la vie de ma némésis et je la brûle. Le monde saura que Red a tué le Malvoulant, mais il ignorera que c'est moi qui l'ai achevé. Alors oui, je n'aurais pas porté le coup fatal, mais c'est bien moi qui a détruit sa mémoire et son histoire. Son passé, sa psyché, qui il a aimé et détesté, les trésors qu'il a manqué, ses regrets… tout ça n'est plus que cendres dans le vent. J'aspire un peu de fumée que j'exhale lentement pour la savourer.

Voilà, capitaine, Teach est mort, je t'ai vengé. J'espère que là où tu es, ça te met un peu de baume au cœur.

Le feu m'éclaire de la lumière chaude et vacillante tandis que je tire encore une fois une généreuse bouffée de tabac. Je suis triste, je pensais avoir fait mon deuil, idiote que je suis, j'en suis encore loin! Je m'enfile encore une sacrée rasade de rhum convaincue que ça va m'aider à surmonter le chagrin. Oui, comme si plonger au fond de l'au pouvait m'aider à m'élever. Je me sens coupable d'éprouver cette peine. Après tout, j'ai moi même dispensé mon lot de malheurs sur ce monde. Rien qu'aujourd'hui, combien de personne ai-je tuées? Combien de veuves pleurent leur mari par ma faute? Combien d'enfants sont devenus orphelins à cause de mes méfaits? Ai-je seulement le droit de m'apitoyer sur mon sort après ce que j'ai fait? On a éliminé Teach et sa clique, la belle affaire? J'ai surtout l'impression qu'on a tous acceptés de devenir des monstres pour tuer d'autres monstres pire encore et qu'on essaie de se rendre ça plus supportable en se disant que c'est un mal nécessaire, que les méchants, ce n'est pas nous. Sauf que ça ne fait pas de nous des Saints non plus! On n'est même pas des monstres d'utilité publique. Un jour, d'autres viendront pour nos têtes, et ce sera encore tuer ou être tué. Et ce n'est pas comme ça que je veux vivre! Je ne veux pas finir comme Shoma!

Oh, capitaine, je suis tellement désolée… si tu savais… depuis que tu m’as quittée, j’ai peur de tout oublier, d’oublier qu’on s’est aimé d'un amour tendre et vrai. De l'affection l'un pour l'autre, oui, ça on en avait. Maintenant, moi, je suis un peu brisée et toi tu es un peu décédé, j'ai beau me consoler en me disant que le temps va tout réparer, j'ai quand même peur de t'oublier. Pourtant, ton odeur, de ma mémoire, s’efface petit à petit. Et je me rends compte que ta voix aussi. Je crains qu'au fur et à mesure que le temps passe ton nom ne soit plus qu'une information. J'ai l'impression que mon cerveau me force à tourner la page, et que c'est moi qui me raccroche à ta mémoire comme à une relique du passé. Je me fais du mal et je le sais. Je chéris cette douleur, car elle me permet de ne pas t'oublier totalement. Je dois bien avouer que je ne sais plus quoi penser. Est-tu une bouée qui m'empêche de couler? Ou bien un boulet que je traine à mon pied? Et si ces questions m'effraient, c'est que la réponse, je la connais. Mais le prix à payer, suis-je prête à le débourser? Je sais que je devrais me libérer de ce passé et continuer d'avancer. Même si je ne sais toujours pas où aller, c'est toujours mieux que de rester plantée là, non? De toutes façons, toi, tu ne reviendras pas. Teach t'as tué, et je n'ai rien pu faire contre ça. J'espère que tu ne m'en veux pas si je continue sans toi, hein? Mantle Shoma.

Soudain, je me surprend à me demander si j'ai le droit d'être triste pour toi. Si mon chagrin est légitime. Après tout, t'étais loin d'être une enfant de cœur. Et moi aussi j'ai du du sang sur les mains. Pourtant, on n'est pas des monstres, hein? Cette douleur, ce chagrin, ce n'est finalement ni une bouée, ni un boulet, c'est juste mon humanité qui s'exprime. Mais pour combien de temps encore? J'ai peur de t'oublier, et ceci faisant de m'oublier moi. Ou plutôt d'oublier ce qui fait que je suis moi. Je vois Red, je vois l'être détaché qu'il est devenu. Je ne veux pas être comme lui. Et pourtant je l'aime, paradoxal, non? A moins qu'encore une fois je me mente à moi-même. Est-ce que j'aime Rossignol? Et, est ce que, lui, il m'aime? Qu'est-ce que j'aime chez lui? Sa noirceur? Ou le fait qu'au fond des ténèbres dont il s'entoure pour se protéger, il y a un homme avide de lumière. Et que malgré toute sa puissance, il a une part de vulnérabilité et qu'il m'a permis de la voir. Je me sens comme une V.I.P, mais, au final, n'est-ce pas ce statut privilégié que j'aime? Ou pire qu'en me sentant investie de la mission de le sauver, ce soit moi que j'aime à travers lui? Seulement, est-ce à moi de le faire? Le veut-il seulement? Ou alors, est-ce que j'aime l'idée de pouvoir sauver Red de sa noirceur? Cela signifierait alors que tout n'est pas perdu pour moi. Peut-être que tout ça n'est que de ma tête est que la réalité est tout autre. Je ne sais pas ce qui est le plus pathétique, que je parle des mes soucis existentiels à un mort, ou que j'attende une sorte de réponse miraculeuse.

Bon, ça suffit! Je me relève, le feu n'est plus qu'une braise rougeoyante qui palpite comme un cœur à l'agonie. La chicha n'a plus de tabac, mais il me reste un bon tiers de la fiole de rhum. Je lève les yeux au ciel et je soupire profondément, comme pour chasser mes doutes. Je devrais rejoindre les autres pour fêter la mort du Malvoulant, mais je ne suis pas vraiment d'humeur à présent. Soudain, un souffle de vent se prend dans mes ailes et me fait basculer en avant. Pour éviter la gamelle, je n'ai d'autre choix que faire un pas, et d'avancer. En réalisant cela, je me fige un instant, tous les sens en éveil, scannant les environs. Pourtant, ça fait un bout de temps que je suis là, et je n'ai pas senti le moindre zéphyr. Serait-ce… non, c'est impossible, ça doit être mon imagination.

Allons rejoindre les autres.
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