Matricule 10325
Ah… Tequila wolf… Pour n’importe quel profane entendant ce nom pour la première fois, il n’était pas déplacé de s’imaginer des plages de sable blanc, un cocktail à base d’alcool d’agave, et peut-être une accueillante tribu bardée de peaux de canidés. Ça serait le pied non ? Malheureusement pour les plus initiés, Tequila wolf n’était pas vraiment un endroit de villégiature, bien au contraire… A moins que vous ne soyez adepte de la punition, des pyjamas rayés et d’un froid si mordant que seuls les loups arctiques si sentent confortables, alors oui Tequila wolf pouvait être un endroit pour vous… Aux yeux de Timothée en revanche, le service de cet endroit laissait très franchement à désirer et il n'allait pas leur laisser une bonne note sur le Den-Den-advisor.
Ce matin-là, le jeune bagnard assis sur un banc du réfectoire remplissait son estomac d’un repas un peu plus copieux que d’habitude : en plus du simple verre d’eau et du bout de pain sec qui était sensé leur tenir au ventre jusqu’à la pause du midi, le petit garçon pouvait profiter d’une assiette de soupe chaude, une fine tranche de jerky aussi dure à mâcher qu’un morceau de caoutchouc et une pomme, une belle pomme verte, lustrée jolie… Cela faisait déjà plusieurs semaines que le petit bagnard n’avait pas revu un fruit frais et sa bouche salivait déjà d’envie à l’idée de dévorer cette friandise fruitée. Bon bien sûr, si ce repas leur était servi à tous, ce n’était pas anodin : ils allaient descendre à la mine aujourd’hui et comme il ne remonteraient pas avant le soir, le garçon allait devoir tenir toute la journée sur cette maigre pitance qui paraissait pourtant être un véritable festin à ses yeux.
Alors que le garçon se dirigeait à sa table, les chaînes qu’il portait aux pieds et râclaient sur le sol sale de la cafétaria se tendirent et il fut immobilisé, incapable d’avancer. Profitant de l’absence temporaire d’un garde, deux grands adolescents âgés de facilement cinq ans de plus que lui firent barrage, un sourire narquois sur le visage.
- Hé minus ! Tu vas où comme ça ?
- Ouais, tu vas où comme ça ? T’as oublié le péage ?
Tout en ricanant, l’adolescent s’empara de la pomme sur son plateau que le petit se faisait pourtant une joie de manger. Le visage de Timothée se décomposa en voyant partir son dessert sur le plateau des deux tyrans qui s’éloignaient maintenant tandis que le gardien revenait faire sa ronde, faisant mine de n’avoir rien vu. Tant d’injustice et d’impuissance laissèrent le petit garçon pantois avant qu’il n’aille finalement s’asseoir, le visage déchiré entre la colère et la tristesse. Yeux humides, il commença à mâcher sur son morceau de Jerky tout en maudissant intérieurement cette vie si injuste qui l’avait amené à terminer ici pour quelques piécettes…
Timothée avança un peu dans son repas quand soudainement, un gardien lui tapota sur l’épaule. Identifiant immédiatement le grade de l’homme, le petit garçon se leva et se mit au garde-à-vous tandis que les autres garçons et filles assis à sa table se faisaient le plus discret possible… C’est jamais bon quand un gardien vient vous voir personnellement… Et pourtant, il ne semblait pas avoir la moindre idée de à qui il avait affaire puisque le gardien écarta la bretelle gauche de Timothée de la pointe de son crayon pour lire le matricule écrit sur sa poitrine.
- Ok… Matricule 10325, t’as assez mange, suis-moi.
En vérité, Timothée était loin d’avoir fini et se demandait intérieurement qu’est-ce qu’il pouvait bien avoir fait pour mériter de se faire gâcher son repas comme ça aujourd’hui. Il vissa son calot sur sa tête avant que le gardien ne le menotte et commence à le mener d’une chaîne reliée à ses poignets. Il se stoppa un instant à une table des adultes et là, une femme poisson d’une silhouette telle que Timothée n’en avait jamais vu de sa vie fut elle aussi interpellée par le gardien qui la restreignit et la guida. Pendant tout ce temps, Timothée resta silencieux, osant seulement un regard discret pour détailla sa nouvelle compagnonne d’infortune. Ils sortirent alors du réfectoire dans le froid toujours aussi glacial et se rendirent dans un bungalow, heureusement chauffé, que Timothée reconaissa comme une salle d’équipement. Le gardien laissa les deux bagnards en plan dans l’entrée et balança simplement un :
- On a un travail spécial pour vous. Attendez-moi là…
Le silence s’installa, Timothée releva enfin sa tête pour regarder la madame poisson et, essuyant un peu de morve qui avait coulé de son nez pendant le trajt dans le froid, il se permit de briser la règle du silence du pénitencier (les occasions de parler étaient tellement rares, il fallait en profiter !)
- Ils nous veulent quoi vous croyez ?