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La régate du Piton Blanc

L'île du Piton Blanc:
Dans les épisodes précédents:

« Deux-cents-quarante-huit ! Deux-cents-quarante-neuf ! Deux-cents-cinquante !! »

Rachel abandonna aussitôt sa corde à sauter pour se précipiter sur le sac de frappe et commencer à le bourrer de coups, alliant au mieux vitesse, puissance et précision. Ou précipitation, puissance et encore-et-toujours-plus-de-puissance!, selon un point de vue plus objectif. Le pauvre sac n'avait même pas le temps de revenir à sa position initiale que les frappes titanesques de la nouvelle sergent-cheffe l'envoyaient derechef voler encore plus en arrière. Bien trop souvent soumis à un tel traitement éprouvant ces derniers temps, le sac finit par rendre l'âme tandis que le poing de l'imposante albinos le traversait de part en part.
La jeune femme ne perdit pas de temps à se montrer dépitée devant ce nouveau développement de la situation et se rua sans perdre de temps sur le banc de musculation, commençant fébrilement à soulever des haltères avec beaucoup trop de poids dessus pour être raisonnable.

Un toussotement ostentatoire tira Rachel de son entraînement frénétique. Elle releva la tête de son banc d'exercice pour apercevoir le commandant Song et le colonel Hendricks debout près de la porte du gymnase. Le premier était relativement jeune, tiré à quatre épingles dans son uniforme fringant, le port altier, le regard vif, impeccablement rasé et la chevelure coiffée comme un as de pique. Le second était un vieillard proche de la retraite, le visage mangé d'une longue barbe grisonnante, arborant des lunettes aux verres épais et une calvitie complète. Les deux officiers supérieurs de la garnison du Piton Blanc étaient aussi dissemblables que parfaitement complémentaires.

La jeune femme raccrocha prestement son haltère, se releva et salua ses supérieurs comme il se le devait, avant de s'approcher à leur rencontre, attrapant une serviette au passage pour s'éponger un minimum. Avec l'entraînement drastique qu'elle s'imposait, elle était en nage.

« Mon colonel, mon commandant, que puis-je pour vous ? S'enquit Rachel, étonnée de leur présence.
_ Bonjour, sergente, l'accueillit Song. Heu... Vous pourriez nous expliquer ce que vous êtes en train de faire, là ? On vous cherchait à l'infirmerie, nous.
_ Ben je m'entraîne. Ça se voit, non ?
_ Vous vous entraînez ? Releva l'officier.
_ Oui, mon commandant, expliqua Rachel. Après l'accrochage avec M. Fletcher, l'agent du Cipher Pol, lors de la dernière mission, j'ai bien compris que je ne faisais pas le poids. Hors de question que ça se reproduise ! La prochaine fois, je compte bien l'écraser !
_ Je vois. On est pas du tout rancunière, hein... D'accord, mais... vous êtes censée être encore en convalescence, lui rappela Song. Pour vous reposer. Laisser votre corps récupérer, tout ça...
_ Mais nan, c'est bon, je vais déjà beaucoup mieux ! Assura la jeune femme.
_ C'était une injonction du médecin de la base.
_ J'ai pas mal.
_ Vous êtes encore couverte de bandages.
_ Je pète la forme.
_ Non mais qu'est-ce que vous comprenez pas dans la notion de convalescence ?
_ J'ai pas le temps, je dois devenir plus forte, là, tout de suite !
_ Tête de mule. Dites-lui, mon colonel ! Appela à l'aide le commandant.
_ Ho ho ho ho ! S'esclaffa Hendricks de sa grosse voix grave.
_ Ah ben merci, ça m'aide beaucoup, ça...
_ Ah, la fougue et la vitalité de la jeunesse, soupira le colonel dans un sourire. C'est bien d'en vouloir, sergent, mais promettez-moi juste de ne pas en faire trop et de rester attentive à vos limites.
_ Heu... Hum... Bien sûr, mon colonel, assura Rachel. On va dire que c'était pas rétroactif, hein... Mais vous ne veniez pas me voir juste pour surveiller ma santé, changea de sujet la jeune femme. Que se passe-t-il ?
_ Si vous saviez tout ce que je surveille... Hum, hé bien, cela ne fait pas très longtemps que vous êtes parmi nous, se remémora Hendricks. Avez-vous déjà entendu parler de la régate du Piton Blanc ?
_ Bien sûr, mon colonel. Tous les six mois, la garnison organise une course de bateau entre deux officiers, le tenant du titre et le challenger. C'est d'ailleurs le commandant Song qui détient le titre, invaincu depuis cinq ans. Et la prochaine édition, c'est genre la semaine prochaine. Pourquoi cette question ? S'inquiéta subitement Rachel. Ah non, ne me dites pas que...
_ Fort malheureusement, l'officier Mickaelis qui devait tenir le rôle du challenger est malencontreusement tombé malade et ne pourra pas participer à cette édition, révéla le colonel. Et puisque vous venez d'être promue au rang de Sergent-Chef, j'ai immédiatement pensé à vous !
_ Raaah, je le savais ! Ne pourrait-on pas juste décaler la course de quelques jours, mon Colonel ? Tenta la jeune femme sans trop y croire.
_ Non, non, impossible, assura le colonel. Les médecins ne savent pas combien de temps va prendre sa guérison.
_ Dites-donc, elle paraît vachement opportune, cette maladie, là !
_ Du tout. Vous vous faites idées, sergent.
_ Admettons... Mais pourquoi moi, mon colonel ? Voulut savoir Rachel.
_ Car vous êtes la seule autre officier à ne pas avoir encore affronté le commandant Song sur cette régate, révéla Hendricks. Ça n'en sera donc que plus intéressant pour le public !
_ Le public est aussi friand des revanches, vous savez ? Suggéra la jeune femme.
_ Non, non : avec ce qu'a mis le commandant à chacun de ses adversaires, une revanche ne laisserait guère de place au suspens, avoua le colonel.
_ Mais je n'y connais rien à la navigation, moi, se défendit Rachel. Y'aura aucun suspens non plus !
_ Aaah, mais maintenant, vous êtes sergent-chef, lui rappela Hendricks, nul doute que vous trouverez bien des gens compétents parmi vos hommes pour vous apprendre tout ce que vous aurez besoin de savoir.
_ ... Z'êtes vraiment sûûûûûr que j'avais pas le droit de la refuser, cette promotion de sergent-chef ?
_ Ho ho ho ho ! Puisque je vous l'ai dit, faites-moi confiance.
_ Un syndicat. Je veux un syndicat. Très bien, mon colonel, tenta de faire bonne figure la jeune femme. Je vais participer à cette régate... Non, mais je viens de penser à un plan du tonnerre, ça sera vite plié, en fait.
_ Fantastique, je n'en attendais pas moins de vous ! S'enthousiasma le colonel.
_ J'ai pas vraiment eu l'impression d'avoir le choix, hein...
_ Je laisse le soin au commandant Song de vous expliquer les détails de l'épreuve, affirma Hendricks. Sur ce, je vous souhaite bon courage, sergent ! »

Le colonel s'en alla d'un pas guilleret sous le regard désabusé de la sergent-cheffe. Le commandant Song se racla la gorge pour attirer son attention.

« Alors je vous l'annonce tout de suite : interdiction formelle d'aborder le navire de l'adversaire, signala Song.
_ Comment vous avez su, mon commandant ? S'étonna l'ancienne des commandos d'assaut de la Marine d'XXXX.
_ Oh, un genre d'intuition, on va dire... »

*
*     *

Quelques temps plus tard, Rachel déboulait dans l'une des salles d'exercice de la Base, où elle ne tarda pas à trouver ce qu'elle cherchait : un gros casque à cornes subtilement camouflé sous une casquette de marine – subtilement, selon son propriétaire, tout du moins. Bien évidemment, c'était plutôt la personne sous ces couvre-chefs que Rachel cherchait, plus que le casque lui-même. Jürgen Krieger, l'un de ses deux sergents. Un Nordique pur souche, un va-t'en-guerre patenté ainsi qu'un règlement de la Marine sur patte. Il était présentement en train d'encadrer un entraînement au combat aux sabres avec les recrues.

« Sergent Krieger !? L’interpella Rachel. On a une nouvelle mission ! Réunion d'urgence ! Où est Marlow ? Encore sur la côte à tester son yaourtophone ?
_ Pas de soucis, mon sergent, affirma Jürgen. Quant au sergent Marlow, il est à la réfection du réfectoire.
_ Heu... Pour de vrai ou c'était juste pour le calembour ?
_ Pour de vrai. Une sombre histoire de portes et de desserts, j'ai pas tout compris...
_ Très bien, allons le chercher. »

Jürgen confia la suite de l'entraînement des recrues à l'un de ses caporaux – c'est l'avantage des pyramides hiérarchiques : tant qu'on n'est pas en bas, on peut toujours refiler le boulot à un subalterne – et Rachel et lui filèrent d'un bon pas en direction du réfectoire de la Base. Comme de juste, Edwin s'y trouvait avec une partie de ses hommes, affairés près de la porte menant à la cuisine. Le sergent-bricoleur les accueillit avec un grand sourire.

« Hé, mon sergent, vous tombez à pic ! Annonça joyeusement Edwin. On allait justement tester le mécanisme ! »

La réflexion fit sourire Rachel. Le sergent Marlow n'était pas simplement un bricoleur éminemment astucieux. Non, c'était aussi et surtout un passionné qui n'aimait rien tant que partager son enthousiasme avec les gens autour de lui. Quel que soit le moment où la jeune femme aurait pu débarquer, elle serait quand même tomber à pic : en début de bricolage, il aurait été ravi de lui détailler par le menu le problème en cours, les verrous à lever et les solutions qu'il envisageait. En cours de bricolage, il se serait réjoui que l'imposante albinos puisse lui prêter main-forte. Et en fin de bricolage, comme à l'instant, Edwin était enchanté à l'idée de lui présenter les fruits de ses travaux. Un passionné, un vrai, bien loin du jeune homme timide et un peu gauche qu'il était en temps normal.

« Alors, qu'est-ce que vous nous avez concocté de beau, cette fois-ci ? S'enquit gentiment Rachel.
_ C'est une demande de la part des cuisiniers, en fait, expliqua Edwin.
_ Des cuisiniers ? M'enfin ? Qu'est-ce que... ?
_ Vous savez, l'autre jour, j'ai promis mes desserts à Laurent s'il acceptait de jouer les pilotes pour mon test de dispositif acoustique, lui rappela le sergent.
_ C'était plutôt retors, d'ailleurs, j'aurais pas cru ça de vous.
_ Sauf qu'on est resté en mission à Blanchemuraille le soir-même pendant que Laurent était ici, reprit Edwin. Du coup, il a essayé de négocier auprès des cuistots pour le rab' de dessert, mais ils n'étaient pas trop d'accord.
_ Tu m'étonnes, ça devait puer l'embrouille, présenté comme ça...
_ Du coup, il leur a tout expliqué depuis le début. Ça ne les a pas du tout convaincus, révéla le jeune homme, mais ça les a intéressés : à notre retour, ils m'ont demandé si je ne pouvais pas leur bricoler un truc. En échange, ils donneront son rab' de dessert à Laurent et je garderai quand même les miens.
_ S'ils savaient que vous auriez même accepté pour rien... Et donc ? Quel est le projet du jour ? Sourit Rachel.
_ Non mais ils ont eu une bonne idée : je vais pouvoir les reproposer à quelqu'un si je manque de volontaires ! Vous allez voir ! Vous pourriez mettre votre pied ici, s'il-vous-plaît ? »

L'imposante albinos ne se fit pas prier et avança jusqu'au point désigné par Edwin. Il y eût un clic discret et la porte de la cuisine s'ouvrit d'un seul mouvement fluide. Ce n'est qu'alors que la jeune femme remarqua un discret système de poulies, de poids et de cordes à l'angle du mur.

« Une porte automatique ? S'émerveilla la sergent-cheffe. On arrête pas le progrès...
_ Hé oui ! S'enthousiasma Edwin. Évidemment, le système a un jumeau de l'autre côté, pour que ça marche dans les deux sens. J'ai aussi minuté la fermeture pour que les chariots de cuisine passent sans se presser. J'aurai bien aimé intégrer le dispositif de contrepoids dans la cloison, pour l'esthétisme, mais les cuisiniers n'étaient pas chauds pour que j'abatte et remonte le mur. Soi-disant que ç'aurait fait trop de poussières dans les cuisines.
_ Tu m'étonnes...
_ Non mais c'est bon, je vais modifier leur ventilation, comme ça, après, je pourrai m'occuper du mur, voilà tout.
_ Du coup, si vous avez fini, désolée de vous presser mais réunion d'urgence : on a une nouvelle mission ! »

Edwin acquiesça et chargea l'un de ses lieutenants d'assurer le nettoyage du chantier avant de rejoindre Jürgen et Rachel dans un coin du réfectoire.

« Alors, que se passe-t-il, mon sergent ? Demanda le Nordique.
_ La régate du Piton Blanc, ça vous parle ? S'enquit la jeune femme.
_ C'est une course de navires organisée par la Base, non ? Répondit Edwin.
_ Même qu'elle a lieu la semaine prochaine, renchérit Jürgen.
_ Exact, acquiesça Rachel. Mais suite à un changement de programme de dernières minutes... C'est nous qui serons les challengers de cette édition.
_ Ouais, trop bien ! S'enthousiasma le Nordique. On dit que le commandant Song est imbattable, j'ai trop hâte de l'affronter !
_ Sauf qu'il m'a précisé qu'on pourrait ni l'aborder ni le canonner...
_ Heu... Mais dites, mon sergent, intervint le caporal Marlow. Une semaine, c'est pas un peu court pour se préparer ?
_ Si, approuva Rachel. Et c'est là que j'ai besoin de votre aide : moi, la navigation, je n'y connais rien. Qu'en est-il pour vous ?
_ Ben, j'ai quelques connaissances sur la théorie global, reconnu Edwin, mais pour la mise en pratique...
_ J'ai été triple champion du Sac de Thorkell, signala Jürgen.
_ C'est bien que je pensais, fit Rachel. Il va falloir voir dans la troupe si... Hé attendez, champion de quoi ?
_ Le Sac de Thorkell, répéta le Nordique tout sourire. C'est une compétition traditionnelle de mon île natale.
_ Heu... D'accord, mais ça consiste en quoi ? Hésita la jeune femme. Y'a un rapport avec notre choucroute ?
_ Ben je vous explique : dans l'antiquité, sur mon île, l'activité principale, c'était d'aller piller les voisins pour ramener richesses et nourritures au bercail. Et le rite de passage à l'âge adulte, c'était de participer à ces razzias. Bon, forcément, au bout d'un moment, c'était plus trop possible de piller les voisins, rapport aux liens diplomatiques, tout ça, et ç'a foutu la merde pour les rites de passage. Alors, les anciens ont eu l'idée de transformer les razzias en une grande course au trésor auxquels participent seulement les plus jeunes : on part en drakkar depuis notre île jusqu'à la cible, on remonte la piste du trésor et on le ramène à la maison.
_ Mais pourquoi "le Sac de Thorkell" ? Releva Rachel.
_ Ben fallait un nom qu'en jette, expliqua Jürgen, et Thorkell, c'était notre plus grand héros national. Presque trois mètres, hein... Et c'était un champion des razzias à son époque. On raconte qu'une fois, il a tellement mis à sac une île qu'elle en a même coulé. C'est mon modèle ! Mon rêve, c'est de faire tout pareil avec une île pirate !
_ Et tout d'un coup, beaucoup de choses s'expliquent...
_ Bref, du coup, j'ai participé une première fois à treize ans en tant que membre d'un équipage. Puis les trois années suivantes en tant que capitaine de mon propre drakkar ! Pavoisa le Nordique.
_ Mais alors, vous êtes un navigateur chevronné ? N'en revenait la jeune femme.
_ Pour sûr : mes parents m'ont offert ma première barque à voile à l'âge de trois ans, rétorqua Jürgen.
_ Sergent Krieger, c'est décidé, vous êtes mon nouveau héros ! S'exclama Rachel avec un grand sourire enthousiaste. Avec ça, on a toute nos chances ! Il n'y a plus qu'à vous dégotter un équipage et on sera bon.
_ Heu... On pourrait peut-être aussi jeter un coup d'œil au parcours ? Suggéra Edwin.
_ Excellente idée, sergent Marlow. Allons voir ça de suite ! »

Une dizaine de minutes plus tard et le trio de la Marine quittait la base et longeait la côte en direction de Blanchemuraille. Le début du parcours était simple : les deux navires quittaient la Base, contournaient le Rocher de la Murène un peu à l'est pour se mettre en position, et devaient repasser devant la Base par la ligne fictive qui prolongeait l'embarcadère et symbolisait la ligne de départ. De là, les navires filaient plein pot vers l'Ouest en direction du port de Blanchemuraille.
Les trois Marines contemplèrent les lieux tout en avançant sous le vent cinglant.

« Alors, sergent Krieger ? S'enquit Rachel. Un avis ?
_ On aura quoi, comme navire ? Voulut savoir le Nordique.
_ Une caravelle, de classe Vogue-Merry. On a l'autorisation de s'entraîner dessus trois heures par jour tout au long de la semaine. De quatorze heures à dix-sept heures.
_ Une caravelle, hein... Ok, c'est pas trop mauvais, comme choix, ça, approuva Jürgen.
_ Pourquoi ? Voulut savoir la sergent-cheffe.
_ Parce que le vent souffle d'ouest en est, expliqua le Nordique. Ça veut dire qu'au début de la course, on sera vent de face. Avec un drakkar, ç'aurait été la misère à gérer, ça...
_ C'est le cas maintenant mais ça n'est peut-être pas comme ça tout le temps le cas, objecta la jeune femme.
_ Je pense que si, intervint Edwin. Regardez les arbres sur le Rocher : ils sont tous significativement courbés. C'est le signe qu'il s'agit du vent dominant.
_ Mais attendez, s'alarma Rachel. Le bateau avance parce que le vent gonfle les voiles. Avec le vent de face, on va pas reculer ?
_ Nan, il faudra tirer des bords mais ça ira, assura Jürgen.
_ Ah oui, "tirer des bords". Je vois, je vois...
_ En gros, on va louvoyer, lui traduisit Edwin. Je comprends mieux l'intérêt du parcours : on va commencer par une grosse phase technique avec ce vent de face, par contre, au retour, on aura le vent de dos, donc on sera au maximum de la vitesse. C'est bien pensé pour le public, en fait...
_ Comment ça, une grosse phase technique ? Releva la jeune femme.
_ Parce qu'on va avancer en zigzag, expliqua Jürgen.
_ ...
_ ...
_ Ok, zigzag, et donc ? Insista Rachel. Oukilé, le problème ?
_ Pour faire simple, ça signifie qu'il va falloir trouver un compromis entre deux extrêmes, détailla Edwin. La ligne droite est le chemin le plus court qu'on veut suivre, mais c'est impossible à cause du vent. On est obligé d'avancer en biais, mais si on ne s'écarte pas assez de la ligne droite, on aura pas assez de portance et donc pas assez de vitesse. Inversement, si on s'écarte trop, on va s'éloigner de notre trajectoire idéale et donc perdre du temps en dépit du gain de vitesse qu'on obtiendra.
_ Par ailleurs, avec la caravelle, le changement de direction constant va impliquer de gérer finement les gréements, renchérit Jürgen. La grosse voile carré centrale n'est pas du tout adaptée pour ce genre de manœuvre, donc il faudra l'orienter et la réorienter manuellement à chaque changement de direction. Heureusement, la voile latine à l'arrière nous permettra de garder de l'allure pendant ces changements.
_ Voile latine ?
_ Celle en triangle, mon sergent.
_ Bon, donc si je comprends bien, résuma Rachel, c'est un passage compliqué qui demande un haut niveau technique non seulement pour le barreur mais aussi pour tout l'équipage. Donc faut vraiment qu'on bosse cet aspect... Sergent Krieger, vous pensez qu'on aura assez d'une semaine pour entraîner les hommes là-dessus ?
_ Dur à dire, grommela l'intéressé. Ça va dépendre de leur niveau de base, si y'en a qui sont déjà familier de la navigation ou pas du tout... Ch'ais pas. On verra ça demain quand on pourra essayer la caravelle.
_ Et pour le retour, avec le vent de dos, des choses dont il faut se méfier ? S'enquit la jeune femme.
_ Pas vraiment, répondit Jürgen en haussant les épaules. Il faudra juste tirer le meilleur parti du vent arrière ; ça reposera essentiellement sur la capacité du barreur à lire le vent et sentir les vagues. Mais à ce jeu-là, j'peux pas perdre ! »

Le trio de choc poursuivit sa route, jusqu'à atteindre Blanchemuraille. La Porte de l'Est portait encore les séquelles de l'affrontement contre M. Fletcher, dont la silhouette se devinait vaguement dans l'intérieur droit fracassé de l'arche. Le passage par le port fut rapide : d'après le parcours, les concurrents devaient passés au large de la jetée avant de remonter vers Nord-Ouest jusqu'au Phare d'Albâtre. La topographie de l'île, conjuguée à la longueur de la jetée, créait ainsi un angle droit de quatre-vingt-dix degrés, mais Jürgen assura que cela ne leur poserait aucun problème particulier.

Les Marines continuèrent, traversant la ville pour ressortir par la Porte de l'Ouest et continuer sur un petit sentier en bordure de mer. Il leur fallut une petite trotte pour atteindre le Phare d'Albâtre, une grande tour aussi blanche que l'enceinte de Blanchemuraille, érigée seule sur un piton rocheux émergeant à quelques mètres au-dessus des flots. Le Phare se dressait fièrement à plus d'une dizaine de mètres de hauteur. D'après le parcours, les navires étaient censés passé d'un côté, entre le Phare et l'île, exécuter une grande boucle autour pour faire demi-tour et repasser près du Phare, côté grand large.

« Sergent Krieger, un avis ? S'enquit Rachel.
_ Ça sera un passage délicat, fit remarquer Jürgen. En soi, la manœuvre n'est pas bien compliquée, il faut juste virer à trois-cents-soixante degrés. Mais si on s'y prend mal, on va se faire larguer par le commandant.
_ Pourquoi ?
_ À cause de l'inertie du navire, explicita le Nordique. Si on ne réduit pas la vitesse, on va se déporter et effectuer une boucle beaucoup trop grande lorsqu'on va virer. Mais si on ralentit trop, on pourra certes virer plus serré mais au rythme d'une tortue.
_ Encore un compromis entre la trajectoire et la vitesse, grommela sombrement Rachel.
_ Oui, mais cette fois-ci, c'est beaucoup plus simple que sur la première partie, intervint Edwin. On sera globalement à vitesse, position et trajectoire constante en arrivant ici. Il faudra faire quelques tests pour voir ce que ça donne réellement, mais une fois les paramètres acquis, je peux calculer le meilleur angle d'attaque pour qu'on colle à la trajectoire la plus parfaite possible.
_ Excellent, je compte sur vous, Sergent Marlow ! »

Les trois Marines reprirent le chemin du retour, continuant à deviser autour des différentes problématiques maritimes de cette course. Au vu de ses compétences personnelles en la matière, Rachel avait d'ores et déjà décidé de déléguer toute l'opération à Jürgen. Ce n'était peut-être pas un comportement digne d'un véritable officier de la Marine mais la jeune femme n'avait aucune fierté en la matière. Mieux valait un bon capitaine pour gérer le navire, c'était quand même ça le principal.

Le retour prit plus de temps que l'allée, Rachel se remettant à boiter en cours de route. Elle avait beaucoup trop sollicité son genou blessé pendant ses entraînements excessifs et après la sacrée balade qu'ils venaient de faire, la douleur se rappela à son bon souvenir. Alors que la jeune femme était résolue à serrer les dents et poursuivre jusqu'à la Base vaille que vaille, fidèle à son tempérament tenace, Edwin proposa avec tact qu'ils profitent d'être proche de Blanchemuraille pour dîner sur place, arguant que ça les changerait un peu de la tambouille de la cantine.
Les trois Marines se retrouvèrent donc finalement attablés dans une petite gargote du coin. En dépit de la nourriture, tout juste correcte, l'établissement était bondé, tirant visiblement son épingle du jeu par son atmosphère conviviale et chaleureuse.

« Bon, et comment va-t-on procéder pour l'équipage ? Était en train de demander Rachel en se massant machinalement le genou. La plupart des matelots de nos unités sont des deuxièmes classes à peine enrôlées, sans aucune expérience. Y'en a peut-être un ou deux qui s'y connaissent, mais c'est pas la peine de compter sur un équipage complet expérimenté.
_ En une semaine, avec à peine trois heures d'entraînement par jour, ça va être dur de mettre des novices à niveau, objecta Jürgen en sauçant minutieusement son assiette avec un bout de pain – la sauce était tout à fait délicieuse, selon lui.
_ Est-ce que c'est envisageable de les spécialiser ? S'interrogea Edwin, concentré à faire une cocotte avec sa serviette en papier. On a pas besoin qu'ils soient bons partout, ni même qu'ils soient complètement formés à toutes les situations. Tout ce qu'il nous faut, c'est qu'ils sachent gérer ce qu'ils vont rencontrer durant la course. Je fais ça avec mon unité, quand j'ai besoin d'aide sur un bricolage précis...
_ Ça serait probablement plus simple, oui, admit le Nordique. Mais le problème, c'est le temps disponible : on a accès à la caravelle que trois heures par jour et seulement une semaine pour les former. C'est vraiment pas l'idéal. En plus, dans l'absolu, j'aimerai bien avoir deux équipages : un groupe de titulaire et un groupe de remplacement.
_ Effectivement, approuva Rachel, ce serait catastrophique qu'une blessure ou une maladie nous ampute d'un membre d'équipage juste avant le jour J. Genre, la fameuse maladie de l'officier Mickaelis... Mais préparer deux équipes diminuerait d'autant le temps disponible pour les former. Ça ne nous laisse pas trente-six solutions, tout ça.
_ C'est-à-dire, mon sergent ? S'étonna Edwin, qui ne voyait pas de solutions du tout.
_ On va devoir voler une caravelle ! Affirma vigoureusement Jürgen.
_ Je préférerai qu'on évite de voler notre propre institution, fit remarquer la sergent-cheffe.
_ Enfer ! Bon, alors on oublie de ramener la caravelle demain et on la garde toute la semaine !
_ Non mais on va aussi éviter l'insubordination, tant qu'à faire... On va devoir mettre à profit les heures sans caravelle pour s'entraîner malgré tout, annonça la jeune femme. Donc, il faut qu'on trouve des exercices théoriques pour pouvoir faire travailler l'équipage sur la terre ferme !
_ Facile à dire, mais comment faire ? S'inquiéta le sergent Marlow.
_ J'en sais encore trop rien, avoua Rachel dans un sourire. Mais demain, on constatera de visu quels sont les manœuvres nécessaires pour faire naviguer la caravelle et on avisera à partir de là. Je ne vais pas inventer des trucs sans savoir, j'y connais rien, je vous rappelle...
_ Vous pensez que ça ira, mon sergent ? Se demanda Edwin. Est-ce qu'on a vraiment une chance en se préparant comme ça ? Je veux dire... Le commandant Song a la réputation d'être excellent, dix participations, dix victoires et, pour ce que j'ai entendu dire, c'était sans appel : un KO franc et massif, pour ainsi dire. Et nous, on va se pointer avec un équipage de novices, préparé à l'arrache en un temps record. On fera jamais le poids...
_ Il ne faut pas partir perdant, caporal Marlow, le morigéna gentiment la jeune femme. Et puis, comme on dit, l'important, c'est de parti...
_ Hé, mais c'est Rachel ! » S'exclama une voix par-dessus le brouhaha de la gargote.

Les trois Marines tournèrent la tête pour voir approcher un trentenaire, au visage sérieux rehaussé par une paire de lunettes carrées, bruns, un pichet de bière à la main et des stigmates de l'alcool joyeux au visage. Damien Uterziegler, l'un des épiciers de Blanchemuraille et témoin dans l'affaire du vampire, en compagnie d'une demi-douzaine de ses amis.

« Hé, bonjour monsieur Uterziegler, l'accueillit poliment Rachel avec un sourire chaleureux. Comment allez-vous ?
_ Oh, c'est bon, tu peux m'appeler Damien, assura l'épicier. Ça va nickel. Et encore merci pour la réparation de la grille, elle marche du tonnerre !
_ Ravie de l'entendre.
_ Ben alors, Damien, intervint l'un des larrons derrière. C'est ta nouvelle copine ? Tu nous présentes pas ?
_ Rooh, mais non, t'es con, Bébert, répondit l'épicier. C'est l'officier Rachel Syracuse, c'est elle qu'a coffré le vampire qui terrorisait le quartier !
_ Boooh, les vampires, ça existe pas, rétorqua le dénommé Bébert.
_ Ouais, ben n'empêche qu'elle l'a coffré, le type, il est plus revenu nous embêter, hein... Affirma Damien.
_ Ok, d'accord, c'est une as, ta copine. À ta santé, m'dame ! Proclama le larron avant de boire cul-sec et d'aller se chercher une nouvelle chopine.
_ Mais qu'est-ce que tu fais là, Rachel ? Repris Damien. C'est pas courant de voir des Marines ici...
_ Heu... C'est parce qu'on planifie notre stratégie secrète pour la régate du Piton Blanc, alors on voulait éviter les oreilles indiscrètes à la Base, improvisa la sergent-cheffe peu désireuse de s'étendre sur sa blessure au genou.
_ Vous êtes dans l'équipage de Mickaelis ? S'étonna l'épicier.
_ Non, non, nous le remplaçons, expliqua Rachel. En raison d'un contre-temps, l'officier Mickaelis sera indisponible pour la course, alors on nous a demandé de le remplacer au pied levé.
_ 'ttendez, 'ttendez... La course, ça va être toi contre Song ? Essaya de comprendre Damien, un peu lent à cause de l'alcool.
_ Hé bien, oui, acquiesça la jeune femme. Ça n'a pas encore été officialisé ?
_ Hé les gars ! Interpella l'épicier à la cantonade. Pour la régate, c'est Rachel qu'affronte Song !!
_ Beh kessachange ? Voulut savoir Bébert tout juste revenu du bar. L'commandant Song, il gagne toujours, d'toute façon...
_ Nan mais là, c'est Rachel ! Ça se voit que tu l'as pas vu en action !
_ Beh toi non plus, en vrai...
_ Elle a vaincu un vampire. Un-vam-pire ! Martela Damien. Crois-moi, si y'en a une ici qui peut battre Song, c'est bien elle !
_ Mais genre, tu vas parier sur sa victoire, peut-être ? Voulut savoir Bébert.
_ Mais carrément ! Affirma l'épicier. Moi j'y crois, j'ai totalement confiance !
_ Wéééé ! À la victoire de la Rachel ! Santé !! Acclama Bébert avant de s'enfiler sa chope cul-sec.
_ Bon, ben si vous stratégisez, on va pas vous déranger plus longtemps, alors, signala Damien. Courage pour la régate ! Moi, ch'uis de tout cœur avec vous ! »

Rachel regarda l'épicier s'éloigner avec ses compagnons de beuverie, commençant à discuter de la course entre eux. Pas seulement eux, s'aperçut soudainement la jeune femme. Tout d'un coup, toute la gargote bruissait des commentaires des uns et des autres sur la course, les pronostics et les chances de voir enfin un terme à la domination du commandant Song sur l'épreuve...

« Les gars ? Changement de plan, annonça avec un grand sourire déterminé la sergent-cheffe à ses subordonnées.
_ Heu... C'est-à-dire ? S'inquiéta Edwin.
_ On va gagner. On doit gagner !
_ J'avais peur que vous nous sortiez un truc comme ça...
_ Ouais, pas moyen qu'on se fasse battre par le commandant Song ! Approuva énergiquement Jürgen.
_ Mais dans nos conditions... Essaya de rappeler le bricoleur.
_ On oublie les exercices théoriques, y'a mieux à faire, affirma Rachel. Et j'aurais besoin de votre aide, sergent Marlow ! J'ai une idée du tonnerre !
_ Ça me rassure pas spécialement quand vous dites ça, en fait... »

Dès le lendemain, le peloton de Rachel connut une activité intense qui perdura tout le long de la semaine. En leur qualité de sergent, Jürgen et Edwin commandaient chacun à deux caporaux, eux-mêmes chacun à la tête d'une unité de cinq matelots. Au terme de la première journée, les unités furent remaniées, les matelots retenus par Jürgen pour former l'équipage titulaire et l'équipage de remplacement basculant sous son commandant et Edwin prenant la tête du reste. Pendant que le Nordique prenait en charge la formation des Marines, Rachel demanda à Edwin de reconstruire dans la zone d'exercice de la Base une réplique fidèle des gréements de la caravelle : mâts, voilures, cordages, la totale. Il lui fallut l'aide de la sergent-cheffe pour planter le mat, mais en y travaillant d'arrache-pied tout la nuit, le matériel de simulation fut prêt en moins de vingt-quatre heures.

Dès le second jour, Jürgen put donc commencer un entraînement intensif complet pour ses deux équipages. Rachel s'y soumit aussi, bien qu'il apparût très vite qu'elle faisait un véritable blocage quant à la chose maritime : tout ce que lui expliquait le Nordique semblait rentrer par une oreille pour ressortir immédiatement par l'autre. La jeune femme s'entêta malgré tout. Tout d'abord, parce qu'en tant que cheffe hiérarchique, elle ne se voyait pas demander à ses hommes de s'astreindre à un entraînement éprouvant sans le suivre elle-même. Ensuite, parce que chaque fois qu'elle se faisait engueuler comme un poisson pas frais par Jürgen à cause de ses erreurs, ça faisait bien marrer le reste de l'équipage, ce qui à tout le moins, permettait d'alléger la pression de l'entraînement. Et puis, parce que son irrémédiable incompétence permettait à ses hommes de prendre conscience, par comparaison, de l'étendu du chemin parcouru : eux-mêmes étaient partis d'aussi loin et se débrouillaient de mieux en mieux. Cela accentuait leur sentiment de progression et augmentait leur confiance en eux. Une condition nécessaire, d'après la jeune femme, pour que ces novices puissent en remontrer aux vétérans du Commandant Song le jour J.

Pendant que les deux équipes de Jürgen s’entraînaient à tour de rôle autant qu'il leur était possible, Edwin et ses hommes ne furent pas en reste. Le jeune homme transforma momentanément ses unités en équipes d'investigation. Tout comme Rachel, le commandant Song était autorisé à s'entraîner trois heures par jour sur l'autre caravelle de la Base. Ces entraînements furent minutieusement observés, annotés et analysés par les hommes d'Edwin. Dans le même temps, ils décortiquèrent chaque pouce de circuit de la course, relevant la puissance des courants, la force des rafales des vents, la hauteur des vagues. Tous ceux qui avaient affronté le commandant Song lors des régates précédentes furent dûment interviewés pour obtenir un maximum d'informations de première main. Edwin fit même mener des recherches dans les archives des journaux locaux pour vérifier le temps qu'il faisait les éditions précédentes ainsi que les jours précédents afin d'extrapoler méthodiquement les conditions qui les attendraient. Le jeune sergent était déterminé à ce que rien ne soit laisser au hasard si cela lui était possible.

Tout le monde se donnait à fond.

*
*     *

« Sergent Syracuse ? »

Rachel se retourna en entendant la grosse voix du Colonel Hendricks derrière elle.

« Désolé de vous déranger, mais si vous aviez trente secondes à m'accorder... Demanda l'officier
_ Bien entendu, mon colonel, assura l'intéressée en souriant, ça ne me dérange pas du tout. »

La jeune femme fit signe aux matelots et à Jürgen de continuer vers le réfectoire sans elle tandis que le colonel s'approchait pour discuter. Elle ne saurait jamais que la rencontre ne devait rien au hasard : le Colonel avait fait le pied de grue au coin du couloir pendant presque trois quart d'heure dans le seul but de pouvoir la héler au passage. Hendricks s'était en effet aperçu que Rachel se montrait plus accessibles lors de ce genre de discussion informelle tandis que dans un cadre plus officiel, comme lorsqu'il la convoquait à son bureau, elle avait tendance à rester davantage sur la réserve, quasiment sur la défensive.
C'était le bémol des gens trop disciplinés, songea-t-il.

« Alors, que puis-je pour vous, mon colonel ? S'enquit la jeune femme.
_ Hé bien, la régate aura lieu demain, j'aurai aimé savoir si vous étiez prête, confia le colonel. Le public s'attend à un grand spectacle, vous savez ?
_ Le public ? S'étonna la jeune femme. Quel public ?
_ Traditionnellement, on dresse des tribunes près du ponton pour que toute la Base puisse suivre le départ et l'arrivée de la course, expliqua Hendricks. D'ordinaire, on les ouvre aussi pour la population de Blanchemuraille. Et cette année, on a été contacté par le président du club du troisième âge, un certain monsieur Herbet Grunberg, qui a réservé des places pour tout son club. J'avoue, ça m'a surpris, ce n'est généralement pas notre cœur de cible...
_ Oh, je vois, se mit à sourire Rachel. C'est le mari de Nathalia Grunberg, l'un des témoins dans l'affaire du vampire. J'ignorais que j'avais un fan club... Rassurez-vous, je n'ai pas l'intention de les décevoir !
_ La course ne s'annonce pas sous les meilleurs auspices, insista Hendricks. J'ai ouï-dire que deux de vos matelots étaient tombés malade à leur tour ?
_ Effectivement, mon colonel. La même chose que ce pauvre Mickaelis, semble-t-il... Rassurez-moi, vous n'avez rien à voir avec ça, j'espère ?
_ Ho ho ho ho ! Du tout, voyons. Quelle idée...
_ Heureusement, nous avions envisagé le pire, révéla la jeune femme. Nous avons aussi formé des remplaçants, donc nous ne serons pas trop affectés par ces indisponibilités.
_ Je me réjouis de l'entendre, affirma le colonel. Et, tout à fait entre nous, à combien estimez-vous vos chances ? Voulut savoir Hendricks.
_ On a une chance, déclara Rachel avec conviction.
_ Sur combien ? Insista le colonel.
_ Peu importe, balaya la jeune femme en souriant. On a une chance et c'est là-dessus qu'on va se concentrer. Inutile de perdre du temps avec les autres.
_ Hé bien, quelle confiance ! Fit remarquer Hendricks.
_ Bien obligé, mon colonel, avoua Rachel. Le commandant Song est très fort, alors ce n'est pas en doutant de nous qu'on pourra le battre.
_ Ho ho ho ho ! Bien vu, bien vu, sergent, approuva le colonel. Très bien, me voilà rassuré. Mais vos hommes vous attendent, je ne vais donc pas vous retenir plus longtemps. Je vous souhaite bonne chance pour demain, sergent Syracuse.
_ Merci, mon colonel. Nous ne vous décevrons pas ! »

La sergent-cheffe salua son supérieur et repartit à grand-pas rejoindre son escadron. Hendricks la regarda filer sans mot dire, mais ne put empêcher un sourire de venir jouer sur ses lèvres. Il s'était demandé s'il n'avait pas mis la barre trop haut en propulsant la jeune femme dans cette régate avec moins d'une semaine de préparation et en lui jouant un vilain tour en la privant de deux de ses matelots inscrits pour l'épreuve. Mais Rachel semblait avoir mené cette préparation avec brio et anticipé toutes les embûches imaginables. Le colonel était encore stupéfait qu'elle ait été jusqu'à recréer les voilures d'une caravelle sur le terrain d'entraînement. Bien qu'après réflexion, ce ne soit pas tout à fait étonnant : cette solution lui ressemblait bien, en fait.
Oui, la jeune femme semblait avoir fait tout ce qui lui était possible pour optimiser au maximum le court laps de temps qu'elle avait eu pour se préparer à l'épreuve. Bien, bien, bien.
Finalement, songea le colonel Hendricks, il n'y aurait pas besoin de demander au commandant Song d'y aller mollo..


Dernière édition par Rachel le Dim 26 Sep 2021 - 17:10, édité 1 fois
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Après une semaine d'activité frénétique arriva le jour du départ de la Régate. Rachel était déterminée. Pas seulement parce que les supporters de Blanchemuraille comptaient sur elle, non : surtout parce que tout son escadron avait bossé dur pour optimiser leurs chances de victoires ! Certes, seuls six d'entre eux seraient à bord de la caravelle. Mais chaque membre avait tout donné pour s'assurer de la réussite des autres, dans un effort collectif hors du commun. Si physiquement, il n'y aurait que six matelots à bord, le navire allait embarquer les espoirs et les rêves de tout l'escadron.
Hors de question de perdre !

Il faisait beau et chaud, au-dessus du Piton Blanc. Un temps idéal pour la navigation. À la Base, les tribunes montées par les matelots, près des pontons, étaient combles. Bien plus de civils que d'habitude étaient venus assister au départ de la course. Dont un gros contingent de personnes âgées, ce qui avait forcé les membres de la Marine, fort bien élevés, à leur laisser la place et à s'asseoir directement sur l'herbe. L'ambiance était survoltée, les paris allaient bon train et le club du troisième âge avait même déployé une imposante banderole "Vas-y Rachel !". Pour la première fois depuis plusieurs éditions, beaucoup de gens estimaient qu'il y avait une réelle incertitude quant aux résultats de la course. Le commandant Song pourrait peut-être bien mordre la poussière, aujourd'hui.

Les deux caravelles avaient appareillé quelques minutes plus tôt. Le commandant Song à bord de son navire fétiche, "la Grimée", et Rachel à bord de l'autre, "la Pygmée". Outre cinq matelots et leur caporal, menés bien évidemment par le Sergent Krieger, l'équipage incluait aussi Rachel et Edwin. La jeune femme était là en sa qualité de cheffe, même si elle savait pertinemment qu'avec ses compétences, son rôle se bornerait à encourager bruyamment son petit monde en faisant de son mieux pour n'être dans les pattes de personne. Quant à Edwin, Rachel avait aussi décidé de l’embarquer, parce que ç'aurait été dommage de se priver de son génie du bricolage s'il devait y avoir de la casse.

Les deux embarcations filèrent comme prévu vers l'Est, contournant le Rocher de la Murène, avant de se rabattre en direction de la Base. Pour Rachel, l'opération qui suivit tenait quasiment de la magie – oh, elle avait bien compris que non, mais le reste des explications lui était tout de même totalement inintelligible – car les deux barreurs s'arrangèrent pour passer la ligne fictive du départ en même temps et à la même vitesse. Ou non-vitesse, vu comment les deux bâtiments se traînaient, mais peu importe. Ça lui paraissait complètement fou comme exploit. Et elle était ravie de ne pas en être en charge.

Un coup de canon retentit depuis la Base. Le signal du départ !
Aussitôt, Jürgen se mit à mugir divers ordres de sa grosse voix de stentor, tandis que les matelots s'activaient avec vitesse et précision, fruit de leur entraînement intensif. La Pygmée se mit à louvoyer pour avancer contre le vent. À chaque changement de direction, les matelots devaient réorienter la grosse voile carrée du navire pour la remettre de biais par rapport à la direction prise. C'était un travail éprouvant et minutieux, mais les hommes semblaient s'en sortir très bien. Ce que ne se priva de leur signaler la jeune femme, entre deux consignes du sergent, pour les encourager.
De son côté, Edwin, armé de la longue-vue de bord, ne lâchait pas la Grimée des yeux. Et à la moue qu'il faisait, ce qu'il voyait ne lui plaisait pas. Et pour cause, s'aperçut Rachel : le commandant Song était en train de prendre de l'avance !

« Sergent Krieger, on est en train de se faire distancer ! Lui signala la jeune femme.
_ Je vois bien, grommela Jürgen sans cesser de se concentrer sur la navigation. Sa trajectoire est plus optimum que la nôtre ! Bon sang, je sais pas comment il fait...
_ Ses angles sont plus aigus d'au moins cinq degrés par rapport à nous ! Annonça Edwin.
_ Mais... Comment vous déterminez ça, sergent Marlow ?
_ M'enfin, ça se voit quand même !
_ Et après, c'est moi que vous suspectez de ne pas être humaine...
_ Bien reçu, je m'en occupe, rugit joyeusement Jürgen en donnant un nouveau coup de barre.
_ Wow, j'ignorais que Krieger avait à ce point le compas dans l'œil... Glissa une Rachel impressionnée à son bricoleur préféré.
_ Absolument pas, lui expliqua Edwin, mais il connaît parfaitement le rapport entre l'angle du gouvernail et les tours de barre.
_ La magie ! »

Suivant les consignes d'Edwin, la Pygmée parvint à limiter la casse. Mais alors qu'ils approchaient de Blanchemuraille, il devenait évident que la Grimée continuait à prendre de l'avance. L'expérience tout simplement. Oh, les matelots de Rachel n'avaient pas à rougir de leur prestation et faisaient littéralement tout ce qui leur était possible pour gérer les gréements au mieux. Mais comme l'avait immédiatement identifié Edwin lors de leur repérage, naviguer contre le vent représentait une belle épreuve technique. Et même si l'escadron avait fait tout son possible pour construire un véritable simulateur de caravelle sur le terrain d'entraînement, il n'en demeurait pas moins que ce n'était qu'un entraînement théorique : la pratique s'avérait un tout petit peu plus ardue. Et cette petite différence, face aux vétérans du commandant Song, suffisait à creuser l'écart.

La Grimée fut donc la première à contourner la jetée de Blanchemuraille pour filer en direction du Phare d'Albâtre. Plus de vent de face, plus besoin de louvoyer, la ligne droite était de mise. Lorsque la Pygmée franchit à son tour la jetée, Rachel réalisa que le commandant Song leur avait bien mis cent mètres – ou quelle que soit la mesure de distance ésotérique qu'on était censé employer sur les flots – dans les dents. Ça n'augurait rien de bon pour la suite, songea sombrement la jeune femme.

*
*     *

Sur le port de Blanchemuraille, une foule importante s'était réuni pour assister au passage des caravelles. Parmi eux se trouvait Damien Uterziegler, l'épicier, et son ami Bertrand – le fameux Bébert de la gargote. Devant s'occuper de son magasin en journée, Damien n'avait pas pu se rendre jusqu'à la Base pour profiter du meilleur moment, celui de l'arrivée, raison pour laquelle il s'était rabattu sur le port, à deux pas de sa boutique.

« Bon, ben c'est pas cette fois-ci que le commandant Song va perdre, bougonna Bertrand en regrettant d'avoir parié contre lui.
_ Rooh, ça va, elle est pas si à la bourre que ça, la Rachel, relativisa Damien.
_ Ben quand même un peu, si, le contredit son ami. Il lui a mis une belle avance et la suite du parcours est facile pour lui.
_ Mais non, c'est pas si pire. Elle est toujours dans la course, je te dis.
_ C'est peut-être pas la pire mais c'est pas la meilleur non plus, insista Bertrand. Y'a deux ans, Nelson s'en était sorti avec genre vingt mètres de retard, ben il a jamais réussi à les récupérer, je te ferais dire. Et personne n'a fait mieux depuis, hein...
_ T'oublie un truc, affirma Damien. Elle a capturé le vampire en deux jours.
_ Heu... J'te suis pas, là...
_ Le premier soir, elle a réussi à le capturer, expliqua l'épicier. C'est Oliver Cavendish qui m'a dit qu'il l'a vu quand elle le ramenait à la Caserne.
_ Oliver ? Le petit gros, là ?
_ Ouais, celui-là même. Sauf que le vampire a réussi à s'enfuir durant la nuit. Ben le lendemain, elle l'a coffré, et là, c'était pour de bon !
_ D'accord, mais le rapport avec la régate, du coup ? S'enquit Bertrand, toujours dubitatif.
_ Le rapport, c'est simple : Ok, elle est peut-être un peu lente au démarrage, mais elle est pas du genre à lâcher le morceau, affirma Damien. C'est que le premier quart de la course. J'ai confiance, elle va se refaire, tu vas voir.
_ Ce que je vois surtout, c'est que l'amour rend aveugle, hein...
_ Des fois, t'es vraiment lourd, Bébert... »

Les deux larrons attrapèrent leurs jumelles pour suivre des yeux les navires qui s'éloignaient. Visiblement, les craintes de Bertrand semblaient se concrétiser : bien que la Pygmée ne perde pas plus de terrain depuis qu'elle avait quitté le vent de face, elle ne parvenait pas non plus à en regagner.

« Moi je crois que les jeux sont faits, grommela sombrement Bébert.
_ Mais non, aie confiance, je te dis, lui répondit Damien. Ch'uis sûr que Rachel va trouver une solution géniale. »

*
*     *

« Tout le monde, soufflez sur la voile, vite ! Décréta Rachel en joignant le geste à la parole. Pffffff ! Pffffff !
_ Heu... Mon sergent ? S'enquit Edwin. Qu'est-ce que vous faites ?
_ C'est le vent dans les voiles qui propulse le navire, non ? Alors si on souffle, ça fera plus de vent, CQFD, conclut la jeune femme. Allez, soufflez ! Pffffff ! Pffffff !
_ Non mais ça ne marche pas du tout comme ça, crut bon de signaler le bricoleur. C'est n'importe quoi et vous le savez !
_ Écoutez, sergent Marlow : tout le monde a travaillé très dur en vue de cette régate pour qu'on ait une chance de l'emporter, lui rappela Rachel. Alors il n'est pas question de perdre sans avoir fait tout notre possible ! Soufflez ! Pffffff ! Pffffff !
_ ... rétorqua Edwin en la gratifiant d'un regard éloquent.
_ Pffffff ! Pffffff ! Continua à s'époumona la sergent-cheffe sur la voile.
_ Non mais c'est complètement ridicule, hein...
_ Pffffff ! Pffffff !
_ ...
_ Pffffff ! Pffffff !
_ Pffffff ! Pffffff ! »

Bien qu'ils y mirent du cœur à l'ouvrage, force fut à Rachel de constater que ça n'améliorait guère leur situation. Jürgen avait beau être un excellent skipper, le commandant Song n'était pas en reste. La Pygmée n'arrivait pas à rattraper son retard. À ce rythme, la défaite était inévitable.
Réfléchir ! Qu'était-il possible de faire dans ces conditions ? S'il était impossible de rattraper l'adversaire en naviguant... Alors il fallait le dépasser pendant les manœuvres !

« Sergent Marlow ? J'ai un plan ! Annonça soudainement Rachel avec un grand sourire.
_ Heu... Je crains le pire, en fait...
_ Hé, ne soyez pas désagréable avant de l'avoir entendu ! Supposons qu'on utilise le Phare d'Albâtre comme pivot, est-ce qu'on ne pourrait pas virer selon un angle serré mais sans perte de vitesse ? Voulut savoir la jeune femme.
_ C'est-à-dire ? Demanda Edwin en fronçant les sourcils. Accrocher le Phare au lasso et profiter de l'effet centrifuge ?
_ Ouais, c'est l'idée ! Approuva joyeusement Rachel.
_ C'est un peu inattendu, commenta le bricoleur en réfléchissant, mais... hé bien, en théorie oui, ça marcherait, mon sergent, mais dans la pratique, nous n'avons pas de corde assez solide : elle se romprait sûrement pendant la manœuvre.
_ Pourquoi s'embêter avec une corde alors qu'on a beaucoup plus costaud à disposition ! Rétorqua la jeune femme en souriant.
_ Hein ? Comment ça ? »

Rachel fila d'un pas vif jusqu'à la proue et se pencha vers le cabestan dont elle entreprit de dérouler la chaîne de l'ancre.

« Vous voulez utilisez l'ancre ? Comprit Edwin. 'faut arrêter de vouloir systématiquement les détourner de leur usage standard, mon sergent.
_ L'ancre constitue un semblant de grappin tout à fait potable et la chaîne a été justement conçue pour ne pas se briser quand des forces violentes tentent de faire bouger le navire de son mouillage, expliqua la jeune femme.
_ Mais pourquoi dérouler la chaîne ? S'étonna le caporal Marlow.
_ Parce qu'on veut pouvoir lâcher rapidement notre grappin une fois dans la bonne direction, pointa gentiment Rachel. Sinon on va se retrouver à tourner tout autour du Phare comme des benêts.
_ Mais attendez, s'alarma Edwin, si l'ancre n'est plus reliée au cabestan, elle ne sera plus solidement associée au navire et le point d'attache va céder pendant la manœuvre !
_ Meuhnon, c'est moi qui la tiendrais, affirma Rachel dans un sourire. Et je vous assure que je suis bien plus solide qu'un bête cabestan, hein...
_ Ha ben oui, dit comme ça... C'est pas le genre de réflexion qui vient naturellement à des humains normaux, non plus...
_ Je suis tout à fait normale, Marlow. »

La jeune femme termina de dévider la chaîne. Environ soixante mètres, au jugée d'après l'envergure de ses bras. Bien plus que nécessaire : elle n'allait pas tenter d'accrocher le Phare à une telle distance.

« Sergent Krieger !? Appela Rachel. On va s'accrocher au Phare pour tourner plus vite ! Ne ralentissez surtout pas et faites-nous passer à genre vingt-vingt-cinq mètres de lui.
_ Compris, mon sergent ! Affirma le Nordique avec enthousiasme, visiblement pas plus décontenancé que ça par la nouvelle idée de sa cheffe.
_ Sergent Marlow, je compte sur vous pour minuter la manœuvre à la perfection, lui signala la jeune femme. Dites-moi bien quand lâcher l'ancre.
_ Vous êtes sûre ? Pour lâcher l'ancre, je veux dire...
_ Relaaax, on viendra la récupérer après la course, lui assura Rachel.
_ Heu... Très bien, mon sergent. » Répondit Edwin, un brin fataliste. Il venait de comprendre que sa sergent-cheffe était bien décidée à faire passer l'intégrité du navire après la victoire.

Un peu plus loin, la Grimée du commandant Song venait d'entamer son virage autour du Phare. Comme de juste, il suivait quasiment au centimètre près la trajectoire idéale qu'avait calculée Edwin. Si qui que ce soit à bord avait encore eu le moindre doute, les choses étaient dorénavant on ne peut plus claire : ce n'est pas par des moyens orthodoxes qu'on arriverait à battre le commandant Song. Il pilotait son navire à la perfection.
D'un autre côté, l'imposante albinos en train de faire tournoyer comme une forcenée une énorme ancre au-dessus de sa tête signalait sans équivoque que la Pygmée n'avait clairement pas l'intention de se cantonner aux moyens orthodoxes pour l'emporter.

Rachel fronça les sourcils, tandis qu'elle focalisait son attention toute entière sur la tâche qui l'attendait. Elle n'aurait probablement le droit qu'à un seul essai. Il s'agissait donc de ne pas se louper. Elle avait initialement envisagé de viser la porte ou l'une des fenêtres du Phare, pour que l'ancre s'accroche bien et solidement, mais elle était revenue sur son idée. D'abord, parce que le service des assurances devait encore lui en vouloir pour les navires qu'elle avait amoché lors de la capture de Tom le Rétameur, à son arrivée sur l'île, et qu’il ferait des histoires si elle abîmait le Phare. Ensuite et surtout, parce que le socle rocailleux du récif sur lequel se dressait le Phare était plus irrégulier : même si elle loupait son coup, il y avait de bonnes chances que l'ancre croche quand même l'un des reliefs subséquents. Un genre de filet de sécurité. Et ça tombait bien, puisqu'elle n'aurait le droit qu'à un seul essai.

La jeune femme s'humecta les lèvres. On y était presque. Ne pas se planter. Encore un peu, un tout petit peu. Concentrée. Bientôt, bientôt...

« Maintenant, mon sergent ! » Lui hurla Edwin.

Rachel ne se le fit pas dire deux fois : un dernier tour d'élan et hop, l'ancre vola en direction du Phare. La jeune femme laisse filer la chaîne entre ses mains. Claquement métallique. L'un des pattes de l'ancre avait croché un crête rocheuse. L'imposante albinos referma ses mains autour de la chaîne, campa solidement ses pieds sur le pont et bascula son centre de gravité vers l'arrière.
La Pygmée continua à filer. La chaîne se tendit jusqu'à sa limite et la force de traction prit Rachel par surprise et commença à l’entraîner à toute force vers le bastingage sous les cris alarmés de ses compagnons. La jeune femme réagit néanmoins avec sang-froid, basculant encore plus son centre de gravité en arrière, jusqu'à ce que son dos touche presque le pont et commença à enrouler la chaîne autour son avant-bras gauche pour affirmer sa prise. Juste avant de percuter le bastingage, elle releva brutalement une jambe pour prendre appui sur l'obstacle. Les maillons de la chaîne mordirent cruellement la peau de l'albinos, mais elle n'en eut cure : elle venait de trouver son point d'équilibre. Elle ne céderait pas.
Et dans une embardée, la Pygmée se déporta, commençant à tourner autour du Phare à vive allure sous les acclamations surexcitées de l'équipage.

Jürgen ne laissa pas son équipage tirer au flanc. Il ne fallait surtout pas se rater à la sortie pour pouvoir embrayer sur la suite sans perdre de vitesse. Surtout que la Grimée du commandant Song était en train de terminer son demi-tour et commençait à reprendre de la vitesse. De son côté Rachel continuait à maintenir sa prise sur la chaîne, en serrant les dents, ses bras tremblant sous l'effort. Cette manœuvre constituait leur seule chance de revenir dans la course, pas question de la gâcher bêtement pour une petite douleur de rien du tout ! Quant à Edwin, il était concentré, son esprit carburant à toute allure pour intégrer en temps réel les différents paramètres de la situation afin de prévoir le meilleur point de sortie pour optimiser à la fois vitesse et trajectoire.

« C'est bon pour nous, signala Jürgen.
_ Pas tout de suite, encore un peu... murmura Edwin.
_ La Grimée se rapproche à toute allure ! Insista le Nordique.
_ Pas encore, pas encore...
_ Tout va bien de votre côté, mon Sergent ? S’enquit Jürgen.
_ Ouais, nickel, je pourrais faire ça toute la journée, mentit Rachel.
_ Maintenant ! » Hurla le sergent Marlow.

La sergent-cheffe ne se le fit pas dire deux fois et relâcha la prise. La chaîne fila à toute allure tandis que la Pygmée semblant bondir en avant, libérée de son entrave. Juste au moment où la Grimée arrivait à sa hauteur. Un court instant, Rachel craignit que les deux navires ne se percutent, mais Edwin et le commandant Song avaient chacun parfaitement anticipé la trajectoire de leur homologue. Les deux navires filèrent l'un près de l'autre, celui de Rachel sur l'intérieur, celui du commandant Song sur l'extérieur, séparés par moins d'un mètre d'écart, mais sans se percuter.
Il fallut une petite seconde pour que la Pygmée reprenne sa vitesse maximum, mais ce fut suffisant pour que la Grimée du commandant Song lui passe sous le nez. Néanmoins, le résultat de leur petite manœuvre était là : l'équipage de Rachel venait d'anéantir les cent mètres d'avance du commandant Song, ce qu'ils ne manquèrent pas de fêter bruyamment dans la joie et la bonne humeur.

« Bien joué, les gars ! Les félicita Rachel. Sergent Krieger, interdiction de le lâcher, maintenant !
_ Compris, mon sergent, signala Jürgen, mais on ça ne va pas suffire, on risque de se faire avoir au prochain virage, au port de Blanchemuraille.
_ Ben pourquoi ? S'étonna la jeune femme. On est à l'intérieur, on prend le virage plus serré et on leur passe devant, non ?
_ Le commandant Song est doué, il va virer à l'extrême limite des capacités de la caravelle.
_ Heu... Ok. Et donc ? Essaya de comprendre Rachel.
_ Et donc, comment on est un poil derrière, on ne sera pas synchro : si on veut couper le virage, il faudra qu'on vire encore plus et on va chavirer, expliqua le Nordique.
_ Ah, d'accord, acquiesça la jeune femme.
_ ...
_ Bon, ok, en fait, j'ai pas compris ce qui pose problème, avoua Rachel devant le regard dubitatif de Jürgen.
_ C'est le centre de gravité, vint à la rescousse Edwin. Lorsqu'on vire de bord, le bateau se penche mais son centre de gravité lui permet de se redresser ensuite. Plus le navire penche, plus il vire rapidement. Seulement, si on dépasse un certain angle, le centre de gravité ne va plus annuler mais accentuer le balancement et le navire va se coucher.
_ D'accord, comprit la jeune femme. Donc on peut supposer que le commandant Song va pencher à l'extrême limite de la caravelle. Or, vu que notre proue est au niveau de la poupe du commandant Song, ça ne nous laisse que deux options : soit on reste à l'intérieur, mais comme on doit se pencher un peu plus pour éviter la collision, rapport qu'on est pas synchro dans le mouvement, on va chavirer. Soit on lève le pied pour le laisser passer, mais on va prendre du retard et c'est bien évidemment hors de question si on veut gagner... Ok, très bien... Il nous faut une idée géniale et vite, les gars. »

*
*     *

Sur le port de Blanchemuraille, l'ambiance était maussade. En dépit d'une affiche pleine de promesse, la régate de cette édition semblait condamnée au même sort que toutes les précédentes : une domination nette et incontestée de la part du commandant Song. Mais soudain, un cri retentit. Le brouhaha ambiant prit une nouvelle tonalité, tandis qu'une vague d'excitation se répandait depuis l'ouest du quai. Tout le monde pointait frénétiquement les voiles blanches au loin, tout en se remettant à jacasser fiévreusement.
Damien et Bertrand saisirent leurs jumelles et jetèrent un coup d'œil à la situation.

« Nom de nom ! S'exclama Bébert. Ils sont cul-à-cul !
_ Ahahaha ! Je te l'avais dit, clama Damien. Elle est pas du genre à lâcher l'affaire, la Rachel !
_ J'en reviens pas, admit Bertrand. Mais comment elle a fait ?
_ C'est parce qu'elle a de la ressource !
_ T'en as aucune idée mais tu le reconnaîtras pas, hein...
_ En tout cas, ouvre grand les mirettes, mon pote, affirma Damien. Je suis certain qu'elle nous prépare un tour de derrière les fagots pour lui repasser devant quand ils vont passer la jetée ! »

*
*     *

« Les canons ! S'exclama Rachel. Utilisons les canons !
_ Heu... Mon sergent ? On a pas le droit de tirer sur le commandant Song, crut bon de rappeler Edwin.
_ Ouais, pilonnons-le ! Approuva Jürgen avec enthousiasme.
_ Non mais ne l'encouragez pas, Krieger !
_ Non, non, non, rectifia de suite la jeune femme. Je ne parle pas de tirer sur la Grimée, hein...
_ Oooh, déception... fit le Nordique.
_ Mais pourquoi faire, alors ? Ne désarma pas le sergent Marlow. Les coups de semonces sont interdits aussi, mon sergent.
_ On reste à l'intérieur, on vire plus fort que le commandant Song, détailla Rachel, on dépasse le point de bascule pendant la manœuvre, on tire aux canons et on utilise la puissance explosive pour revenir à l’équilibre.
_ Hein ? Répondit fort intelligemment Jürgen.
_ Qu'est-ce que vous en dites, sergent Marlow ? Insista la jeune femme.
_ Attendez, attendez, attendez, il faut que je réfléchisse... Signala le bricoleur.
_ Ok, je commence à préparer le terrain, alors ! » acquiesça Rachel.

Pendant qu'Edwin résolvait une montagne d'équations sur son tableau noir mental, l'imposante albinos attrapa le canon tribord et le tira pour l'installer à bâbord, près de l'autre canon de la caravelle, puis entreprit de les charger. Gargousse de poudre, boulet puis valet pour bloquer le projectile au fond du canon : ç'aurait été dommage que le boulet glisse dans l'eau lorsque la caravelle se pencherait. Le sergent-bricoleur la rejoignit quelques instants plus tard.

« C'est bon, mon sergent, signala Edwin. J'ai fait tous les calculs et ça peut marcher.
_ Excellent, sergent Marlow ! Le félicita Rachel. Comment on procède, alors ?
_ Les canons sont justement mobiles pour que le contre-coup du tir se disperse dans un mouvement de recul sans affecter le navire, expliqua le bricoleur. Pour obtenir l'effet inverse, il va falloir solidement fixer les canons à la structure avec des cordages.
_ Hum...  Alors moi, les nœuds marins, j'ai rien pigé, hein...
_ Et moi, je n'ai pas une force herculéenne, sourit Edwin. Ch'uis qu'un humain, aussi...
_ Je vous assure que moi aussi, Marlow.
_ Donc partageons les tâches, mon sergent : à vous le soin de tendre les cordages au maximum et je les nouerai. »

Aussitôt dit, aussitôt fait. Les deux canons chargés furent dûment saucissonner, les cordes tendues à l'extrême pour n'autoriser aucune élasticité : tout le recul des tirs devrait être absorbé par le navire lui-même. Tout était prêt, il ne suffisait plus qu'à...

« Superflûte ! S'exclama Rachel. Du feu ! Marlow, j'ai pas de feu ! Bon sang, on a encore pas de feu ! Mais merde, ch'uis maudite avec les canons !
_ Que...
_ Est-ce qu'on peut faire des étincelles en frappant des boulets ensemble !? Paniqua la sergente-cheffe.
_ Non, je...
_ Non, non, je sais ! On va frotter deux bouts de bois pour allumer un bout de tissu ! Affirma la jeune femme.
_ Hein ? Mais...
_ Aaaah flûte, on a pas de bout de bois ! S'alarma Rachel. Tant pis, vandalisons la caravelle ! Allez, c'est pour la bonne cause ! Le service assurance ne nous en voudra pas, si ?
_ Du calme, mon sergent, la rassura Edwin. Après notre mésaventure avec Tom le rétameur, j'ai décidé de toujours avoir du feu sur moi : j'ai une boîte d'allumettes.
_ Oooh, Sergent Edwin, vous êtes mon héros numéros deux ! »

Sur le port l'excitation était à son comble, la foule acclamant et encourageant les deux navires et leurs équipages à grands bruits. Les caravelles filèrent à tout allure, dépassant la jetée et virèrent avec un léger décalage. Jürgen signala à son petit monde de s'accrocher et accentua l'angle du navire, comme on le lui avait demandé. Il n'avait pas la moindre idée de comment ils allaient bien pouvoir se redresser, mais si Rachel et Edwin assuraient qu'ils avaient un moyen, alors ce n'était pas la peine de s'inquiéter à ce sujet : il avait une confiance aveugle en ses compagnons.

Rachel, solidement agrippée à un gréement, jeta un rapide coup d'œil autour d'elle. Le navire penchait selon un angle de plus en plus prononcé et il en devenait difficile de se tenir debout, elle craignait qu'un de ses matelots ne passent par-dessus bord. Mais non, tout le monde avait correctement sécurisé sa position. Restait que l'eau s'approchait dangereusement. Ou que le bateau était de plus en plus couché, question de point de vue.

« Heu... Sergent Marlow ? S'inquiéta la jeune femme.
_ Une seconde, mon sergent, l'ignora Edwin, concentré sur sa simulation.
_ Non mais c'est-à-dire qu'on bascule franchement, là...
_ Maintenant ! »

Le bricoleur bouta le feu aux poudres. Les deux canons crachèrent immédiatement, dans un tonnerre assourdissant, les boulets percutant à toute force la surface de l'eau, provocant un important geyser qui mouilla tout le monde à bord. La Pygmée eût un premier sursaut lorsqu'elle encaissa le contrecoup de la puissance explosive des canons, qui s'accentua lorsque l'onde de choc de l'impact des boulets sur l'eau l'atteignit par le flanc. La puissance cumulée des deux effets fit sensiblement basculer la caravelle sur tribord, de quelques degrés mais ce fut suffisant pour qu'elle repasse son point d'équilibre.

Une salve d'acclamations joyeuses venue du port accueillit le résultat de la manœuvre. En dépit de l'angle aberrant employé pour virer, la Pygmée s'était redressée. Et les deux caravelles étaient maintenant aux coudes-à-coudes, la proue de la Grimée dépassant celle de sa concurrente d'un peu moins de deux mètres. Un mouchoir de poche. Une broutille. Un rien.
La victoire allait donc se jouer dans le dernier tronçon du parcours, celui avec le vent de dos.
Et tout était encore possible…
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Un frisson d’excitation parcouru le commandant Song. Il y avait bien longtemps que personne ne l’avait plus inquiété dans le domaine de la navigation. Et pourtant, contre tout attente, la Pygmée de Syracuse était au coude à coude avec sa précieuse Grimée. Quoique non. Ce n’était pas contre toute attente. Quelqu’un avait su dès le début ce qui allait se produire : le colonel Hendricks.

Lorsque celui-ci lui avait fait part de son projet de faire remplacer au pied levé l’officier Mickaelis par le sous-officier Syracuse, le commandant Song avait protesté : il avait bien lu le dossier de la sergent-cheffe et savait qu’elle et la navigation, ça faisait deux. Aucun challenge à l’horizon. Cela n’avait pas fait fléchir le colonel : il avait rétorqué que non seulement Rachel et ses hommes feraient face, mais que s’il n’y prenait garde, il pourrait bien perdre.
Et force était de reconnaître au commandant Song que c’était vrai.

Certes, l’officier Syracuse n’y comprenait rien à la navigation. Mais c’était justement ce qui faisait sa force. Utiliser le Phare comme point d’arrimage pour forcer un virage à grande vitesse ? Faire tonner les canons pour redresser un navire en train de se coucher ? Aucune de ces idées n'auraient jamais effleuré un capitaine sain d’esprit. Mais Rachel n’était pas une capitaine, c’était une vétérane des commandos d’assaut et elle réglait les problèmes à sa manière, en réfléchissant en dehors des paramètres communément admis par les gens. Et ces actions aussi marquantes que déterminantes seraient probablement tout ce que retiendrait les spectateurs de la course.
Hormis pour les experts.

Car si les solutions extravagantes et tape-à-l’œil de la sergent-cheffe tenaient une place prépondérante dans ses chances de victoire, elles ne permettaient de faire la différence que pour une seule et unique raison : son skipper. Mugen Crieur ? Non. Yogen Burger ? Non plus… bref, le type qui se trimballait avec deux chapeaux sur la tête comme si c’était la chose la plus naturelle du monde.
Ce type était juste excellent.

Passé le premier tronçon, il n’avait plus cédé un pouce de terrain à son adversaire. Son sens de la navigation était tout simplement prodigieux. Le commandant Song devait bien admettre que ce type l’égalait sans mal. Quoique pour être tout à fait honnête… Oui, ce type se situait même un cran au-dessus de lui.
En effet, le commandant Song disposait de deux avantages cruciaux : il avait toujours vécu ici et connaissait ce bout de mer comme sa poche. Le vent, les vagues, le courant… Il était ici chez lui et s’y sentait comme un poisson dans l’eau. Rien ne pouvait le surprendre. Et le parcours, ensuite. Le commandant Song en était à sa onzième participation à la régate. Il connaissait le circuit sur le bout des doigts et savait comment négocier chaque passage au mieux de ce qu’il était possible.
Autant de points qui faisaient dramatiquement défaut au skipper de la Pygmée. Et pourtant, celui-ci le talonnait inlassablement, alors même qu’il ne possédait ni aisance ni habitude. La moindre erreur d’inattention coûterait probablement sa victoire au commandant Song.

L’officier ne put réprimer un sourire béat. Les bons adversaires étaient bien trop rares et c’était une joie que de pouvoir en affronter. Pour la première fois depuis bien longtemps, les dés n’étaient pas pipés en sa faveur. Le commandant Song était tout simplement heureux, débordant d’une joie quasi-enfantine. Rachel et Yogen formaient un excellent duo, capable de lui en remontrer et il adorait ça. À ses yeux, rien n’était plus beau, rien n’était plus satisfaisant, qu’une victoire chèrement acquise à la sueur du front. Il aurait voulu que cette course ne s’arrête jamais.
Et surtout, il espérait que la sergent-cheffe Syracuse allait encore le surprendre avec de nouvelles combines pour tenter de l’emporter.

*
*     *

« SOUFFLEEEEZ !! S’égosilla une Rachel en panique avant de montrer l’exemple. Pffffff ! Pffffff !
_ Mon sergent, on en a déjà parlé, signala Edwin. Souffler dans les voiles ne sert strictement à rien.
_ On a pas le choix, sergent Marlow, rétorqua la jeune femme. La ligne d’arrivée est en vue et il nous reste encore deux mètres à grappiller. Pffffff ! Pffffff !
_ …
_ Allez tout le monde ! Encouragea Rachel. Un dernier effort, tous ensemble ! Pffffff ! Pffffff !
_ Pffffff ! Pffffff ! Se mirent à l’imiter les autres marins.
_ … C’est complètement ridicule mais vous ne vous arrêterez pas, hein...
_ Pffffff ! Pffffff ! Continua à s’époumoner la jeune femme.
_ Pffffff ! Pffffff ! » Se mit à l’imiter Edwin, faute de meilleure idée.

Néanmoins, bien que l’ensemble des membres de l’équipage mit du cœur à l’ouvrage, force était à Rachel de constater que ça n’améliorait guère la situation. La Grimée avait toujours un chouïa d’avance sur la Pygmée et tous les efforts de Jürgen n’y changeait rien. Le skipper avait pourtant été sûr de lui : en ligne droite avec le vent dans le dos, il suffisait de ressentir les vagues et lire vent pour l’emporter. Et à ce jeu-là, il ne pouvait pas perdre. Et pourtant, il ne pouvait pas gagner non plus. Ce diable de commandant Song était au moins aussi bon que lui et ça, ce n’était pas du tout prévu par le Nordique.

La jeune femme fit tourner ses méninges à toute vitesse. Si elle ne parvenait pas à sortir un lapin de son chapeau tout de suite, les jeux étaient faits et la défaite assurée. Une idée. Une idée, vite ! Une idée, une idée, une idée… Oui !

« SOUFFLEZ PLUS FORT !! »

Nan, bon, d’accord, j’ai paniqué, songea Rachel. Du calme. Une autre idée. Calme. Ne pas penser qu’il ne reste plus que trente secondes de course. Une idée. Distance cruciale : deux mètres. Accélérer la Pygmée ? Pas possible, déjà au max. Ralentir la Grimée ? Interdit par le règlement. Raccourcir la distance ? Une idée qu’elle est bien, mais c’est justement le problème. Ra… Oh, putain, oui !

« J’ai une idée ! S’exclama la jeune femme. Krieger, maintenez l’allure quoi qu’il arrive. Les autres heu… continuez à soufflez ! Non, mais ça ne peut pas nous faire du mal, hein… »

Tout en parlant, Rachel s’était précipitée jusqu’à la dunette et attrapa la dernière arme secrète qui lui restait : le fanion de la Marine.

*
*     *

La ligne d’arrivée était à portée de main, plus rien ne pouvait faire obstacle à sa victoire. Mais le commandant Song ne se relâcha pas pour autant. Car s’il savait que du point de vue de la navigation seule, le skipper Burger n’était plus en mesure de lui ravir la première position, il savait aussi que la sergent-cheffe Syracuse ne désarmerait pas pour si peu. Et quelle que soit l’idée qui lui viendrait, ça ne serait pas liée à la navigation. Tout restait donc encore possible.

C’est donc avec un intérêt certain que l’officier suivit des yeux la jeune femme cavaler sur le pont de la Pygmée, l’emblème de la Marine en main, pour aller se jucher sur la proue et tendre au maximum le bras au bout duquel se tenait le fanion.

Un instant, le commandant Song s’étonna de ce nouveau développement, jusqu’à ce qu’il réalise une à une les différentes implications de cette manœuvre.

  1. La hampe du fanion mesurait deux mètres.
  2. Le bras de la sergente mesurait plus d’un mètre.
  3. L’extrémité de la hampe de la Pygmée dépassait donc la proue de la Grimée.
  4. La hampe étant rattachée à Syracuse, elle-même sur le navire, la manœuvre était donc tout à fait légale du point de vue réglementaire.
  5. La Pygmée venait donc techniquement de doubler la Grimée.
  6. Il restait moins d’une dizaine de secondes de course.
  7. Chiotte.

L’officier réagit au quart de tour, bloquant la barre de la Grimée avant d’aller se saisir à son tour de son fanion de la Marine et de cavaler jusqu’à la proue pour imiter la sergente. Certes, il avait de plus petits bras que l’imposante albinos, mais conjugués à la courte avance de son navire, c’était suffisant pour reprendre la tête.

Rachel jeta un rapide coup d’œil à droite – ah non, qui dit navire dit tribord, sinon Jürgen allait encore l’engueuler – pour constater que le commandant Song venait de copier sa parade. Flûte, elle aurait du attendre l’ultime seconde. Rapide coup d’œil à gau… bâbord, en direction de la Base : la ligne d’arrivée n’était pas encore franchie, il restait du temps !

Ni une, ni deux, la jeune femme s’élança sur l’extrémité de l’étrave, au-dessus des flots, pour ravir la première position au commandant Song. Un soubresaut du navire fendant la houle la déséquilibra mais Rachel parvint à se raccrocher des pieds et d’une main, tête à l’envers. Qu’à cela ne tienne, elle n’avait pas lâché le fanion et il lui suffit de le tendre pour reprendre la tête de la course.

L’arrivée était imminente, il n’y a avait plus de place ni pour les tergiversations, ni pour la prudence : le commandant Song s’élança à son tour et s’avança agilement jusqu’au bout du beaupré.
Ce n’était malheureusement pas suffisant ! L’officier n’avait pas la même envergure de bras que la sergente et ce diable de Burger avait réussi à grappiller un peu de distance face à la Grimée sans pilote.
Il n’y avait plus le temps de réfléchir, c’était maintenant où jamais. Le commandant Song se pencha au-dessus du vide sur une jambe, se servant de son autre jambe et de son bras libre comme balancier pour s’équilibrer, et étira son autre bras de tout son long pour agiter la hampe le plus loin possible.

Le temps sembla s’éterniser un court instant. Les deux caravelles franchirent la ligne d’arrivée. Il y eût un flash signalant la prise de la photo finish, ainsi qu’un coup de canon pour clore officiellement la course.
Et puis le commandant Song, en équilibre des plus précaires, chût à l’eau.

« Un homme à la mer ! Brailla Rachel en tentant de reculer de son perchoir pour regagner le pont de son navire. Sergent Krieger, demi-tour par par bâbord ! Sergent Marlow, balancez la bouée de sauvetage ! Dépêchez-vous ! »

*
*     *

Le Rocher de la Murène. Pour les habitants du coin, ce bout de roc affleurant les flots avaient longtemps eut une sinistre réputation. Les légendes locales évoquaient des monstres monstrueux qui agitaient les bas-fonds sous-marins et croquaient, boulottaient et engloutissaient les navires malheureux qui avaient la mauvaise idée de s’en approcher de trop près. C’était d’ailleurs pour cette raison que la Marine avait installé sa base ici : le terrain était disponible pour une bouchée de pain, personne n’en voulait et personne ne souhaitait s’en approcher sans d’excellentes raisons.
Le temps passant, les habitants locaux avaient bien du reconnaître que les navires de la Marine ne rencontraient aucun problème pour entrer ou sortir de leur base. Nulle agression sous-marine, nulle disparition mystérieuse, rien de rien. La sinistre réputation du Rocher de la Murène semblait n’être que des racontars de bonne-femmes souhaitant effrayer leurs marmots.
Et pourtant, toutes les légendes possèdent un fond de vérité.

L’énorme murène qui avait élu domicile depuis des décennies sous le rocher s’ébroua tandis que l’agitation de navires voguant à vire allure la sortait de sa sieste digestive. Un vague coup d’œil lui permis de discerner l’ombre de deux de ces étranges bestioles pas très digestes qui nageaient régulièrement à la surface de l’eau. La Murène s’en désintéressa aussitôt : ces bestioles étaient absolument inbouffables. Elle s’était faite une raison depuis belle lurette et n’essayait plus de les boulotter. Mais de vives vibrations dans l’eau attirèrent son attention. Oui, elles étaient émises par un truc coincé entre les deux grosses bestioles et ressemblait fort à… mais oui, une délicieuse otarie ! La Murène – espèce connue pour rivaliser avec les taupes en matière d’acuité visuelle – décida qu’un petit en-cas lui permettrait de reprendre tranquillement sa sieste.

L’imposante bestiole déplia sa gigantesque carcasse et commença à serpenter en direction de la surface et de son précieux repas. Elle progressa à vive allure et ouvrit un large bec, bien décidée à gober sa friandise d’un seul coup.
Bing ! Une vive douleur sur le coin du crâne la força à dévier de sa course, surprise. Qu’est-ce qui s’était passé ? S’était-elle cognée à quelque chose ? L’énorme Murène fit tournoyer sa gigantesque forme serpentine sur elle-même et reparti à l’assaut, ouvrant grands ses mirettes et… Bam ! Rebelote, presque dans l’œil. L’énorme Murène s’emporta : elle n’était pas sûr de comprendre où se trouvait les obstacles, mais puisque c’était ainsi, elle passerait par un autre chemin !

D’un seul coup d’un seul, le gigantesque monstre perça les flots, dominant la scène de toute sa taille, avant de fondre, gueule ouverte, sur le commandant Song et sa bouée en train de se faire tracter jusqu’à la Pygmée.

*
*     *

Tandis que la panique et l’effervescence gagnait son équipage, Rachel resta impassible sur le pont. Bien droite, elle détendit ses épaules, leva les deux mains en l’air, focalisa son attention sur l'imposante bestiole et… effectua un parfait lancer de base-ball en direction du monstre avec le boulet qu’elle tenait en main.

Comme l’aurait vivement souligné Edwin s’il n’avait pas été si occupé à faire remonter le commandant Song à bord, une personne normale aurait déjà bien eût du mal à porter un boulet d’une main, alors seule quelqu’un avec du sang du géant aurait pu en lancer un à la main, comme ça. Ce qui aurait accessoirement obligé Rachel à lui rappeler qu’elle était tout à fait humaine, quoi qu’il en pense.
Mais il y a un point que la sergente aurait admit sans broncher. Elle n’était pas une personne normale, non. Enfin, si, mais pas seulement. Elle, elle était aussi la rookie de l’année du tournoi national de base-ball du Royaume d’XXX en 1621, notamment après avoir hissé son équipe en quart de final avec un « no hit, no run ». Faisant preuve d’une puissance et d’une précision sans pareil, aucun batteur n’avait pu ne serait-ce qu’effleurer sa balle lors de ce match.
Et encore aujourd’hui, ses lancés n’avaient rien perdu de leur énergie et de leur finesse.

Cette fois-ci, il n’y avait aucune masse d’eau pour ralentir le projectile avant l’impact. Le choc inouï fit voler en arrière la tête de la bestiole, lui explosant une canine au passage.

« Strike !  Batteur out ! » S’exclama joyeusement Rachel en piochant un nouveau projectile dans le rack de boulet. Les canons de la Pygmée n’étaient peut-être pas bien orientés à cause de la manœuvre de secours entamée par Jürgen, mais tant que la sergente serait sur le pont, elle ne doutait absolument pas de sa capacité à repousser l’offensive du monstre.

La murène replongea sous l’eau et sa grosse masse sombre repartit vers les profondeurs du Rocher jusqu’à disparaître. Soit la bestiole savait qu’un batteur n’avait le droit qu’à trois essais, soit elle avait finalement jugé le commandant Song insuffisamment appétissant pour justifier de se donner davantage de mal.

Rachel retourna près du plat-bord pour aider le sergent Marlow à hisser le commandant Song. À peine celui-ci eût-il posé le pied à bord qu’il empoigna frénétiquement l’épaule de la sergente, le regard fou.

« Le vainqueur !? Est-ce qu’ils ont annoncé le vainqueur !? Hurla le commandant.
_ Heu… Ben, je… Aucune idée, avoua Rachel. Lieutenant Egon ?
_ Toujours rien, mon sergent, annonça l’intéressé qui scrutait la base avec sa longue-vue depuis le coup d’arrêt de la course. Mais comme ça s’est joué à un cheveu, ils doivent attendre que la photo finish soit développée pour déterminer le vainqueur…
_ Vite ! Ramenez-nous au port, sergente ! S’exclama le commandant Song.
_ C’est comme si c’était fait, opina Rachel tout aussi impatiente de connaître le résultat. Sergent Jürgen, vous avez entendu le commandant ? Retour à la maison ! »

*
*     *

Un peu plus tard, la Pygmée et la Grimée étaient sagement amarrées à la Base de la Marine et les deux équipages étaient alignés derrière leurs chefs respectifs dans la grande cours, près des gradins pleins à craquer du public. Le commandant Song était encore trempé des pieds à la tête mais ne semblait même pas s’en être rendu compte. Lui et Rachel attendaient anxieuxieusement le résultat de la course.

Devant eux se tenant le gratin de la Base, debout devant un grand bloc de trois mètres de haut sur deux, recouvert d’une large pièce de tissu blanche. La photo finish, imprimé en grand exemplaire pour que le public puisse la voir depuis les gradins. D’ordinaire, il ne s’agissait que d’une formalité, mais cette fois-ci, c’est elle qui trancherait qui serait le vainqueur de la régate. Le speaker ne boudait pas son plaisir et mettait son point d’honneur à faire durer le suspense alors que les deux principaux concernés bouillaient d’impatiences.

« Mesdames et messieurs ! Annonça le speaker. Aujourd’hui, nous avons assisté à un spectacle peu commun ! Nos deux concurrents ont chacun fait preuve, à leur façon, d’un savoir-faire et d’une maîtrise technique à couper le souffle durant cette régate. Mais aussi injuste que cela puisse paraître, il ne peut y avoir qu’un et un seul vainqueur à cette course. Qui ? Qui, de l’indéboulonnable commandant Song ou de la challenger la sergente Syracuse va l’emporter ? Nous allons le découvrir, ensemble, en révélant la photo finish qui les départagera ! Est-ce que vous êtes prêt ? Oui ? Aloooooors, c’est parti ! »

Et d’un seul mouvement souple, le speaker tira l’un des pans du tissu qui glissa d’un bloc du cadre, révélant la photo. C’était un zoom sur la proue des deux navires. Au premier plan, suspendue la tête à l’envers, on voyait Rachel, jetant un regard inquiet vers l’objectif tout en tirant la langue sous l’effet de la concentration alors qu’elle tendait le bras à l’extrême pour agiter le plus loin possible son fanion. À l’arrière plan, dans une pose digne des plus grands professionnels du patinage artistique, le commandant Song se tenait debout sur une jambe, un bras et l’autre jambe en balancier, agitant frénétiquement du bras son propre fanion, le visage déformé par une grimace d’effort et un regard paniqué.
Sur la place, les deux protagonistes firent fi du ridicule de la photo pour se concentrer sur l’élément critique : lequel fanion était le plus avancé ??

« Sooooong ! S’exclama triomphalement le speaker. Le grand vainqueur de cette régate s’avère être le commandant Song ! …  »

Rachel n’entendit plus ce que racontait le speaker déchaîné. Ils avaient perdu. Défaite. Échec. Fiasco. Tout ça pour ça. L’espace d’un instant, le reste du monde sembla s’effacer, estompé par une déception écrasante. Elle y avait pourtant tellement cru. La jeune femme inspira profondément, tentant vaille que vaille de digérer la nouvelle.

Elle se tourna vers ses hommes, notant distraitement que les amis du commandant Song avaient accouru pour le féliciter, son propre équipage débordant de liesse, savourant leur victoire obtenue sur le fil. En comparaison, l’équipage de la Pygmée arboraient tous des mines lugubres, dépitées.
Rapide coup d’œil latéral, la sergente nota qu’il en allait de même pour le reste de sa troupe, menée par Edwin, dans les gradins. Rachel lui fit signe de la rejoindre avec les autres.

Tout le monde avait travaillé tellement dur pour cette course, s’était investi au maximum de ses capacités. Quel gâchis. Impossible, songea Rachel. Elle ne pouvait pas laisser les choses se terminer comme cela. Non, il était hors de question que leurs efforts restent vain !

Lorsque tout le monde fut réuni autour d’elle, la sergent prit une nouvelle inspiration avant de leur adresser à tous un grand sourire réconfortant.

« Hé bien alors, les gars, qu’est-ce que c’est que ces têtes d’enterrement que vous me faites ? Les morigéna-t-elle gentiment.
_ Ben… c’est-à-dire que… ‘fin, on pas gagné quoi… Grommela Jürgen, la moustache en berne et les sourcils dépités.
_ Exact, on a perdu, opina Rachel. C’est dommage, on peut dire adieu à notre heure gloire, personne ne se souvient des seconds.
_ Heu… Vous êtes sûre que c’est une bonne idée de remuer le couteau dans la plaie, mon sergent ?
_ Mais on s’en fiche, parce que ce n’est pas ça qui compte ! Reprit avec force la sergente.
_ Ouais, ouais, l’important, c’est de participer…  Mais n’empêche que c’est quand même vachement plus satisfaisant quand on gagne, hein… Ronchonna Jürgen.
_ Non, ce n’est pas ça le plus important, le contredit Rachel du tac-au-tac. L’important, c’est qu’on a donné le meilleurs de nous-même et qu’on a pas démérité. Oui, c’est vrai, dans une ou deux semaines, tout le monde aura oublié ce qu’on a fait aujourd’hui. Tout le monde, à l’exception d’une personne : le commandant Song. Lui n’oubliera jamais qu’il est passé à deux doigts de la défaite ! Lui n’oubliera jamais qu’il s’en est fallu de peu qu’il se fasse écraser par des bleus tels que nous !
« Parce que rappelez-vous ! Insista la sergente. Il y a encore une semaine, personne à part le sergent Krieger ne savait ce qu’était un nœud de chaise !
_ Tandis que maintenant, z’êtes la seule à toujours pas savoir, bwahaha !
_ Non mais c’est pas le sujet, d’abord. Vous ne connaissiez rien à la navigation, vous ne connaissiez rien aux navires. Et regardez-vous ! Vous avez menez cette régate comme des chefs !  Le commandant Song en a même été réduit à devoir adopter nos méthodes pour l’emporter, faute de quoi, c’est lui qui aurait perdu ! Et vous savez ce que ça signifie ? Que ses méthodes ont été battues ! Aujourd’hui, nous avons mis un terme à sa domination sans conteste de la régate ! Et même si personne d’autres ne se souviendra de notre course, ni nous, ni lui, n’oublierons jamais ce qu'il s’est passé aujourd’hui ! Avec seulement une semaine d’entraînement, nous l’avons poussé dans ses derniers retranchements. Alors, je vous le promets : la prochaine fois, on l’écrasera ! »

Au fil de son discours, les mines de ses gaillards s’étaient éclaircis. Ce fut d’abord de discrets hochement de têtes, puis des murmures affirmatifs et maintenant, la troupe acquiesçait de façon véhémente aux dires de leur sergent-cheffe. Une défaite ? Techniquement, peut-être, mais moralement, c’était une victoire, ni plus ni moins : eux, les bleus, les débutants, les sous-entraînés, avaient fait trembler de peur le monstrueux commandant Song. Il y avait effectivement là de quoi se réjouir et en tirer une sacrée satisfaction. Après tout, personne n’avait jamais réussi à mettre le commandant Song en difficulté jusqu’à ce jour !

Rachel afficha un large sourire alors qu’elle contemplait les rodomontades de sa troupe, chauffée à blanc et prête à rempiler pour la revanche séance tenante, si ça n’en avait tenu qu’à eux. C’était mieux comme ça, songea la sergente. Que ce soit l’équipe de soutien et l’équipage, tout le monde avait travaillé sans relâche pendant une semaine, chacun avait donné le meilleur de soi-même. Quant bien même ils avaient perdus, elle préférait qu’ils en conservent un souvenir plaisant, qui les inspireraient et les inciteraient à recommencer, plutôt que la blessure indélébile d’un échec décevant.

« Allez, et pour fêter ça, annonça Rachel, ce soir, supplément de Rhum à la cantine pour tout le monde, c’est moi qui régale !
_ Ouais ! Pour le sergent Syracuse, hip hip hip hourra ! » Scanda Jürgen suivit en chœur par le reste de la troupe.

*
*     *

Près de la photo géante, le Colonel Hendricks observait tranquillement la scène, lorsque le flotch-flotch caractéristique d’une paire de bottes détrempées attira son attention. Le commandant Song était en approche.

« Hé bien, félicitation pour votre onzième victoire, commandant, le congratula l’officier.
_ Chèrement acquise, dûment savourée, acquiesça le commandant Song avec satisfaction.
_ …
_ …
_ Vous vouliez quelque chose, commandant ? S’enquit Hendricks dans un sourire.
_ Oui, je… hum… Je me disais, on pourrait pas juste donner aux médias la photo de moi tenant la coupe, plutôt que… heu… la photo finish, là ? Proposa Song.
_ Ho ho ho ! Allons, commandant, vous savez bien que c’est la tradition, voyons, s’amusa le Colonel.
_ Et si je souligne que ça va porter atteinte au crédit de la Marine de nous voir faire le pitre comme ça ?
_ Tatata, personne ne se moque jamais des gens qui se donnent à fond.
_ Dites ça à Miss Franceska… Je vais en entendre parler jusqu’à l’année prochaine… Plus sérieusement, satisfait du résultat ? S’enquit le commandant.
_ C’est-à-dire ? Fit Hendricks.
_ Vous auriez peut-être préféré que je laisse gagner Rachel, expliqua Song. Elle n’est pas à l’aise avec le commandement, mais une victoire sur le fil pour couronner une semaine d’efforts intenses, ça l’aurait carrément rassurée sur ses aptitudes.
_ Ho ho ho ! Pouffa le colonel. Non, ç’aurait été prématuré. Une troupe brillera toujours dans la victoire, quand bien même serait-elle dirigée par le dernier des benêts. Alors que c’est bien dans la défaite que la nécessité d’un bon chef se fait sentir.
_ Tant mieux, j’aurais refusé de perdre exprès. J’ai ma fierté. Et donc ? Demanda le commandant.
_ Qu’en pensez-vous ? Lui retourna Hendricks.
_ Hé bien, à les voir, on a du mal à croire que ce sont eux les perdants, commenta Song. Elle les a requinqué comme jamais.
_ Exact, opina le colonel. Je pense que Rachel a bien pris conscience de ce qu’est d’être le commandant : c’est influer sur les évènements de sorte à ce que sa troupe soit en mesure de toujours exprimer son plein potentiel. C’est un apprentissage primordial si on veut forme un bon commandant.
_ Certes, valida le commandant. Mais avec son combat perdu contre l’agent du CP et sa défaite d’aujourd’hui, ça fait tout de même deux échecs successifs de son point de vue, s’inquiéta Song. Elle va finir par se mettre dans le crâne qu’elle n’est juste pas faite pour ça…
_ Ho ho ho ! Ne vous inquiétez pas. Il va bientôt être temps de lancer notre grande opération séduction.
_ Heu… Et vous avez quoi en tête ? Pitié, pas une nouvelle compétition, hein…
_ Hé bien, je songeais à lui confier les rênes de la Base.
_ Sérieux ?
_ Ho ho ho !
_ Pourquoi me l’annoncer si c’est pour garder le secret ensuite ! Hum, passons… Sinon, sur un tout autre sujet : pourrais-je avoir l’usage de la Grimée pour le mois prochain ? J’ai comme qui dirait une brusque envie de tester deux-trois nouveaux trucs, côté navigation… »
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