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Comme sur des roulettes ! Presque.

Le Piton Blanc - 1628

« Aha, trouvés ♪ » Sourit Rachel.

Allongée sur le toit d’un entrepôt du port avec deux de ses compères, la caporal Rachel avait les yeux rivés sur le pont de « la petite fée des écumes », une caravelle de classe Vogue-Merry amarrée au quai en contrebas. Cinq silhouettes s’agitaient à qui mieux-mieux : quatre gaillards habillés comme des as de pique et un cinquième, vêtu d’une ample vareuse rouge et d’un imposant tricorne brun. Tom le Rétameur. Un pirate à la petite semaine mais qui pouvait s’enorgueillir le cas présent d’être le pirate le plus recherché de ce minuscule recoin perdu de North Blue.

Tom le Rétameur était probablement arrivé en ville le jour même. En quelques heures, il avait provoqué une esclandre massive dans un bar, dévalisé la boucherie voisine et molesté au passage trois pauvres commis de la Marine venus faire les courses pour la petite base locale. Bien évidemment, le Commandant Song avait vécu cela comme un affront personnel et entreprit de faire ratisser l’île par ses troupes afin de retrouver au plus vite l’énergumène et lui apprendre qu’ici, c’est la Marine qui fait la loi !

La section de Rachel avait été envoyée couvrir les accès au port, des fois que le Rétameur tente de s’y faufiler. Par précaution, le Sergent avait déployé Rachel et son escouade sur le port même, des fois que…
Initialement, la jeune femme avait pensé que cela la mettait de fait sur la touche : Tom le Rétameur n’était visiblement pas du genre discret, il devait donc avoir pris la précaution d’accoster ailleurs. Mais visiblement non. Soit le pirate était un abruti fini, soit il était un fieffé roublard.
Peu importe, dans tous les cas, elle allait s’en occuper !

Rachel fit mentalement le point sur la situation. De son côté, elle avait scindé sa petite escouade de cinq matelot en deux pour couvrir deux fois plus rapidement le port. Elle n’avait donc plus à ses côté que deux gaillards : Jürgen Krieger, matelot de seconde classe de son état, un Nordique, un vrai – avec le casque à cornes vaguement caché sous la casquette réglementaire de la Marine – un va-t’en-guerre bagarreur et volontaire. Rachel n’avait pas encore eu l’occasion de se battre à ses côtés, mais il lui paraissait une valeur sûre. Elle hésitait plus concernant son second compagnon, Edwin Marlow, matelot de première classe fraîchement émoulu de l’académie. Un regard timide caché derrière une paire de lunettes, il était du genre à se faire discret et tendait à rester en retrait au sein de l’escouade ; néanmoins il avait l’air attentif et du genre futé, une excellente combinaison en toute circonstance, d’après la caporal.
Voilà pour l’effectif. Pour l’équipement, c’était vite vu : les trois Marines n’étaient armés chacun que du classique sabre d’abordage. Si l’ennemi ne se rendait pas, ça se jouerait au corps-à-corps.

Côté pirate, Tom le Rétameur, primé en-deçà du millions de Berries, et quatre pirates parfaitement inconnus des services de la Marine. Un gros, un grand, un petit et un maigrelet, il y en aurait pour tous les goûts. Le Gros et le Grand avait chacun un pistolet à la ceinture, de même que Tom, et tout le monde disposait d’un assortiment divers de couteaux, dagues et autres sabres.
Le point critique, c’était les canons de la caravelle, au nombre de deux, un sur chaque bord. Pas question de leur en laisser l’usage, décida la jeune femme.
Ce qui dictait donc tout naturellement la stratégie.

« Ok, voilà ce qu’on va faire, murmura Rachel à ses subalternes. À mon signal, course d’élan, on saute, on atterrit sur le pont de la caravelle bien synchro et on leur beugle de se rendre à la Marine. »

Absence de réactions. Mauvais signe. Généralement, ça implique que les gens désapprouvent en silence.

« Je ne vais pas vous manger, les gars, leur sourit la jeune femme. Vous avez le droit de parler, vous savez ?
_ Mon Caporal, on ne pourrait pas juste aller prévenir le Sergent et revenir en masse ? Proposa fort raisonnablement Edwin.
_ Pourquoi faire ? S’étonna Rachel.
_ Hé bien… ils ont l’avantage du nombre ? Souligna le Matelot de première classe.
_ Penses-tu ! On est trois et ils sont que cinq, lui rappela gentiment Rachel.
_ Ben oui, justement.
_ Écoute, bonhomme, on est la Marine, les défenseurs de la veuve et l’orphelin, les champions de la paix et de la justice, tandis que eux, eux, ce ne sont que la lie des océans, des barbares bouffis de libertés et esclaves de leurs désirs. Crois-en ma longue expérience, un Marine, ça vaut bien deux minables pirates.
_ Vous êtes sûre, mon Caporal ? Non, parce que moi, je me suis encore jamais battu, alors je le sens pas trop là…
_ ça tombe bien : ils sont cinq. Je m’en prend deux, dont l’hurluberlu au tricorne, Krieger s’occupe des deux autres et ça t’en laisse un. Aie confiance, tu vas gérer comme un chef ! »

Edwin fit la moue. Visiblement pas convaincu. Coup d’œil à gauche : Jürgen aussi n’avait pas l’air spécialement emballé, là, comme ça.
Bon, étape un, redonner confiance à tout le monde. Et si Rachel avait bien cerné le Nordique…
La jeune femme dégagea son sabre d’abordage et le tendit à son subalterne.

« Tiens, Krieger, tu vas avoir besoin de ça.
_ Rooohohohoho ! Deux fois plus de fun ! S’enflamma Jürgen. Ok, j’suis paré, avec ça, j’peux m’en faire deux en même temps. Non trois ! Oooh, peut-être même quatre… Allez, on charge !
_ Minute, Marlow n’est pas encore prêt, prévint la jeune femme.
_ Mais… heu… Mon Caporal ? Comment vous allez faire, vous, sans sabre ? Demanda l’intéressé.
_ Tu sais combien de personnes ont pu se relever après avoir pris mon poing dans la figure ? Lui demanda Rachel en levant sa grosse paluche devant le visage du jeune homme.
_ Non, mon Caporal.
_ Moi non plus et pourtant, j’ai une excellente mémoire, affirma joyeusement la jeune femme. Crois-moi, je n’ai pas besoin de sabre pour aller écraser du pirate. »

Étincelle de stupeur dans les yeux. C’est bon, elle l’avait ferré. Entre Krieger sur des charbons ardents, impatient de tataner, et l’assurance inébranlable dont elle-même faisait ouvertement preuve, Edwin commençait à y croire. Ne restait plus qu’à battre le fer tant qu’il était chaud.

« Ok, alors voilà comment on va procéder : Marlow, tu te places au centre, je serais à ta gauche et Kriger à ta droite, comme ça, on pourra te couvrir si jamais tu as un pépin. C’est bon pour tout le monde ?
_ Ouais, je suis chaud ! Opina vigoureusement du chef Jürgen.
_ Ok, alors à mon sign…
_ Un instant, mon Caporal ! l’interrompit vivement un Edwin paniqué.
_ Ben quoi, qu’est-ce qui ne va pas ?
_ On… Vous… Nan mais sérieusement : vous voulez qu’on saute ?
_ Ben oui, on va pas juste se présenter devant la passerelle, on aurait l’air ridicule. Pis on serait en plein dans la mire du canon, pour le coup.
_ Mais y’a au moins dix mètres à franchir !
_ Roooh, meuhnon, c’est un effet de perspective, le rassura Rachel. Regarde : y’a genre six mètres de l’entrepôt au quai, un trou d’un mètre jusqu’à la caravelle. Rajoute deux mètres de marge pour atterrir sur le pont et… et… Ah oui, dix mètres…
_ Vi.
_ Nan, mais c’est juste dix mètres, t’as déjà fait ça pendant les entraînements, non ? En plus, on est en hauteur, donc ça sera plus facile, souligna la jeune femme.
_ Nan mais c’est juste impossible, ch’uis qu’un humain, moi… Abandonna derechef Edwin.
_ Mais moi aussi.
_ Nanan, z’avez sûrement du sang de géant, mon Caporal !
_ D’accord, d’accord, on va réfléchir à un nouveau plan, soupira Rachel. Quelqu’un a une suggestion ?
_ Je propose qu’on les canonne au calibre 24 avant de les prendre en tir croisé avec nos mousquets ! Déclara vigoureusement Jürgen.
_ Mmmh, pas mal, opina Rachel, sauf qu’on manque de canons.
_ Enfer ! … Alors je propose qu’on les pilonne au calibre 24 avant de les charger lames au clair !
_ Non, non, toujours pas. Bon, réfléchissons… Hmmmm… J’ai une autre idée ! S’illumina la jeune femme. On se décale de cinquante mètres par les toits, puis on se faufile jusqu’à l’eau sans qu’ils nous voient, on nage jusqu’à la caravelle, et là, on jaillit de l’eau pour atterrir sur le pont et leur hurlant qu’on est la Marine et qu’on exige leur reddition ! Comme ça, on les coupe de la proue et ils ne pourront pas lever l’ancre, avantage tactique pour nous !
_ La nage, c’est carrément pas mon truc, maugréa Jürgen.
_ Hé bien, tu feras la planche et je te tracterai, proposa la jeune femme.
_ Le bastingage est à deux mètres de l’eau, on arrivera jamais à l’atteindre, mon Caporal, fit remarquer Edwin. ’fin, nous, les simples humains…
_ D’accord, on n’est pas une team de sportif, je note… Allez, des idées, les gars ! Les encouragea Rachel. On ne va quand même pas les laisser filer comme ça !? On est la Marine, que diable, on se doit d’intervenir !
_ Je propose de les…
_ Toujours pas de canons, désolée.
_ Malédiction !
_ Mon Caporal ? J’ai peut-être une idée, intervint timidement Edwin.
_ Vas-y, l’encouragea Rachel, pleine d’espoir. Dis-moi que tu as trouvé une solution !
_ On est sur un port, donc y’a plein de barques : on pourrait reprendre votre plan mais s’approcher en barque. Avec la différence de hauteur, les pirates ne devraient pas nous remarquer si on ne fait pas de bruit.
_ Et pour la grimpette, vous partiriez depuis le niveau de l’eau plutôt qu’en-dessous, approuva la jeune femme. Excellent idée, première classe Marlow ! »

Aussitôt dit, aussitôt fait, le plan fut prestement mit à exécution. Une barque fut discrètement glissée à flot et Jürgen s’occupa de la godiller en silence jusqu’à la proue de « la petite fée des écumes ».
Tout se passait comme sur des roulettes, se félicita la jeune femme.

« Ok, vous êtes prêts ? Chuchota Rachel sous la proue de la caravelle. Alors à mon signal. Trois… Deux… Un… GO ! »

Déployant sa grande carcasse, Rachel attrapa derechef le bastingage de la caravelle et, d’une impulsion, se projeta en l’air pour retomber quelques mètres plus loin sur le pont. La jeune femme s’assura de se réceptionner accroupie, un genou et deux poings frappant le sol aussi fort et bruyamment que possible, histoire de retenir illico l’attention des pirates. Avec succès pour le coup.

Se redressant de toute sa hauteur, Rachel pointa un doigt accusateur en direction de Tom le Rétameur.

« Halte-là, forbans ! Au nom de la Loi, moi, Rachel Syracuse, Caporal de la Marine, vous ordonne de vous rendre sur-le-champs si vous ne voulez pas goûter au courroux de la garnison du Piton Blanc ! »

Les quatre sous-fifres la regardèrent avec de grands yeux ronds, tentant d’assimiler à la fois l’apparition mastoc qui venait de les aborder et la teneur du discours qui venait d’être tenu. Quant à Tom le Rétameur, il se contenta de partir d’un grand rire.

« Bwahaha, tu ne manques pas de cran, ma grande. Mais tu surestimerais pas un peu tes forces, là ? Qu’est-ce que vous comptez bien faire, à vous deux ?
_ Deux ? Comment ça d… »

Rachel se détourna du pirate pour regarder derrière elle. À sa droite se tenait Jürgen, un sabre dans chaque main, arborant ses grimaces les plus intimidantes pour effrayer l’ennemi. Et entre eux deux, rien, et pour cause : deux mains agrippaient encore lamentablement le bastingage de la proue.

« Marlow… Soupira Rachel.
_ Heu... Mon Caporal ? J’arrive pas à grimper. Ça glisse pis j’ai pas de force dans les bras… 
_ Pas ‘rave, j’arrive…»

La jeune femme adressa un sourire contrit à l’auditoire, en leur faisant signe de bien vouloir patienter une seconde, avant d’aller repêcher son matelot seconde classe par le col et de le reposer sur le pont.

« Là, voilà ! Bien, reprenons où nous en étions, crapules ! Rendez-vous ou…
_ Non mais c’est une blague ? Cilla Tom d’un air incrédule.
_ Ben quoi ? D’accord, il a raté son entré, mais il a fait de son mieux, hein…
_ Vous êtes en infériorité numérique ! Souligna le capitaine Pirate.
_ Meuhtropas, on est trois ! Se défendit Rachel.
_ Et nous, cinq ! La contra derechef Tom.
_ Je vous l’avais dit, mon Caporal…
_ Oui, mais non, mais un Marine, ça vaut deux pirates, argua la jeune femme. Tout le monde le sait, voyons !
_ De quoi !? Se récria le Rétameur. Et depuis quand ? T’as fumé ou quoi ? On aura aucun mal à vous découper en rondelles, ‘spèce de grosse mytho !
_ Ch’uis pas une mytho !
_ Mon Caporal ? Ils n’ont pas l’air du tout d’avoir envie de se rendre, chuchota Edwin. On devrait peut-être battre en retraite ?
_ Nan, t’inquiètes, on va leur faire encore plus peur et ça va marcher comme sur des roulettes ! Lui assura Rachel.
_ Oooh, et tu vas faire ça comment ? Se moqua le pirate. Tu vas encore brasser du vent et nous raconter n’importe quoi ? »

Une moue boudeuse passa fugacement sur le visage du caporal, avant que son sourire ne revienne en force. D’un pas décidé, elle se rapprocha de deux foulées des forbans, engendrant un mouvement de recul du côté des sous-fifres. Mais elle n’alla pas plus loin : se baissant, elle attrapa l’arrière du canon bâbord et recula, lui faisant effectuer un demi-tour pour le pointer en direction des pirates.
Priver les forbans de l’accès à l’ancre n’avait jamais été que la première partie du plan de Rachel : la jeune femme avait toujours gardé l’accès au canon dans un coin de son esprit.

« Krieger, on applique ton plan, clama la Caporal. Quant à vous, pirates, vous avez moins de dix secondes pour vous rendre : passé ce délais, vous serez réduit en charpie par votre propre artillerie. C’est votre unique et dernière chance de vous en tirer indemne ! Déposez les armes et il ne vous sera fait aucun mal.  Ne croyez pas que nous hésiterons un seul instant à… à… Hé, vous n’avez pas l’air d’avoir peur ! … Pourquoi ils n’ont pas l’air d’avoir peur ? » Demanda la jeune femme en se tournant vers ses subalternes.

Elle eût immédiatement la réponse à sa question en apercevant Jürgen et Edwin en pleine pantonymie du type qui cherche vainement quelque chose dans ses poches.

« Mon Caporal, vous auriez du feu ? Lui demanda misérablement le matelot de seconde classe. Je ne fume pas, j’ai pas de briquet…
_ Hein ? Ben je… non… Mais je sais pas, moi, trouvez un boute-feu, y’en a forcément un près des canons, ça sert à ça !
_ Ben oui, mais il faudra quand même l’allumer, lui signala Krieger, plus au fait des arcanes maritimes que l’ancienne membre des commandos.
_ Bon, alors utilisez les silex des pistolets, ordonna Rachel. Ils servent bien à faire des étincelles, non ?
_ Sauf qu’on a pas de pistolets, se sentit obligé de rappeler Edwin.
_ Oh non, ne me dites pas qu’on s’est fait chier à prendre le canon alors qu’on a aucun moyen de l’utiliser ? » Bougonna la jeune femme dépitée.

Un ange passa tandis que ses deux compagnons jugèrent plus prudent de se contenter de le penser très fort à défaut de le dire. Le pesant moment de solitude que traversa Rachel ne fit que s’alourdir lorsque finalement, Tom le Rétameur et ses sous-fifres brisèrent le silence en partant d’un grand fou rire.

« Bwahahaha ! La bande de nuls ! Même pas foutu d’allumer un feu !
_ Nan, mais c’est juste qu’on a pas le bon matériel…
_ Rohohoh, tout ça pour ça ! Mort de rire !
_ Genre, ça vous arrive jamais d’oublier un point de détail !
_ Ouhouhou, tu disais quoi à propos des pirates et marines, tout à l’heure ? Nan, parce que tu sais combien de pirates il faut pour allumer un canon ? Ouhouhou !
_ Alors ça, ça n’a ab-so-lu-ment rien à voir, d’abord.
_ Bwahaha, j’en ai mal aux côtes tellement c’est trop !
_ Hé ben z’avez qu’à arrêter de rire !
_ Mon Caporal ? Tenta Edwin. À tout le moins, on pourrait profiter de la diversion pour filer ?
_ Nan, se buta derechef Rachel, incapable de quitter des yeux le pirate hilare.
_ « Nan » ?
_ Nan. D’abord, on lui rabat son caquet ! »

La jeune femme se baissa, attrapant le canon par chacune de ses extrémités. Un court instant, les coutures de son uniforme semblèrent sur le point de craquer tandis que ses muscles s’activaient sous l’effort. Et dans un râle grondant, Rachel commença à soulever la lourde pièce d’artillerie sous les yeux ébahies de l’assistance.
Les rires moqueurs s’étouffèrent dans les gorges, tandis que les pirates aux yeux éberlués sentaient confusément que les choses étaient en train de vilainement déraper.

« Wholà, on se calme, ma grande, réagit le plus rapidement Tom. Repose-ça tout de suite ! Je sais pas ce que tu as en tête mais t’es en train de faire une grosse bêtise, là. Repose ! Repose, j’te dis ! »

Peine perdue : dans un grondement rauque, Rachel banda ses muscles, arma et balança l’imposant projectile en direction des pirates. Le canon franchit en une fraction de seconde l’espace qui le séparait de ses cibles, mais Tom et ses hommes avaient eu le temps d’anticiper la trajectoire et purent se jeter de part et d’autres. Plus de peur que de mal, au final.
Enfin, pour les pirates. Car le château arrière de la caravelle prit rudement cher, tandis que le canon emportait une bonne partie de la cloison, écrasait tout ce qui se trouvait dans la pièce derrière, avant de pulvériser le plancher et de finir au pont inférieur, sous les lamentations horrifiés du Rétameur.

« COMMANDO !! »

Le cri de guerre ramena bien vite les pirates à la réalité, tandis que la mastodonte fouteuse de merde les chargeait avec véhémence. Les trois pistolets jaillirent, pointés vers la cible. Rachel ramena prestement ses bras devant elle, protégeant en priorité son front et sa gorge. Les trois détonations retentirent presque simultanément.

Si on avait annoncé encore quelques secondes plus tôt à Tom le Rétameur que l’imposante caporal allait les charger à découvert, il se serait probablement fendu d’une remarque hautement spirituelle à propos de couloirs et de vache à viser. Et l’aurait fortement regretté : parce que dans le dicton, la vache ne vous charge pas avec la ferme intention de vous encorner et ça, ça fait tout de même une sacrée différence…

Les tirs fébriles et paniqués frappèrent n’importe où. Le premier écorcha l’épaule de Rachel, le second se contenta de siffler à ses oreilles, quant au troisième… le troisième parvint malgré tout à faire relativement mouche, tailladant le mollet gauche de la jeune femme.

Rachel trébucha et s’étala de tout son long à terre. Mais s’étaler de tout son long lorsqu’on fait plus de deux mètres, ça permet de couvrir tout de même une belle portion de terrain, comme l’apprirent à leurs dépends les pirates. Avisant une jambe à portée qui avait le malheur de ne pas arborer le pantalon réglementaire de la marine, Rachel l’attrapa derechef et se releva vaille que vaille, utilisant l’infortuné pirate – le Gros – comme massue qu’elle entreprit de faire tourbillonner autour d’elle, fracassant le crâne du Grand, qui avait le malheureux privilège de dépasser la mêlée d’une tête.

À sa gauche, Jürgen avait chargé Tom le Rétameur, le forçant à reculer sous un déluge de coup avec ses deux sabres. À sa droite, Edwin s’avançait d’un pas mal assuré vers le Maigrelet. Rachel lâcha sa massue improvisée sans trop se préoccuper d’où elle atterrirait (la façade de l’entrepôt où les Marines s’étaient tenus tantôt, pour ceux qui s’en soucieraient) et se plaça en barrage entre le Petit et Edwin.
Le pirate taille basse tenta de jouer de la différence de gabarit en exécutant une feinte en direction des guibolles de la caporal, mais la jeune femme parvint à l’éviter en tourbillonnant sur sa jambe valide, écrasant dans le même mouvement le nabot à terre d’un ample coup de poing.

Tom le Rétameur avait reprit du poil de la bête et commença à repousser Jürgen vers le bastingage. Edwin se fit avoir d’un vicieux coup de pommeau du Maigrelet, qui l’envoya compter trente-six chandelles au sol. Rachel se jeta sur le pirate avant qu’il ne puisse porter le coup de grâce à son subordonné. Coup de sabre à la gorge ! La jeune femme parvint à bloquer l’attaque en enserrant le poing de son adversaire dans le sien. Son autre main le crocha à l’épaule et elle le souleva d’un geste pour le plaquer aux lambeaux du château arrière, avant de l’étaler d’un solide coup de boule au visage.

Rachel se retourna juste à temps pour voir Jürgen se faire avoir en beauté par une feinte élaborée du pirate et finir les quatre fers en l’air, par-dessus le bastingage.
Cri déchirant suivit d’un gros plouf sonore.
Ne restait plus que les deux chefs en lice.

Rachel tâta le terrain de son pied gauche. La douleur commençait à sourdre de sa blessure au mollet et elle ne pourrait pas porter tout son poids dessus. Cela l'empêcherait de pouvoir frapper à pleine puissance. Sourire confiant. Même à mi-puissance, ses coups feraient suffisamment mal.

La jeune femme chargea son adversaire et plaça un violent direct en direction du visage. Tom tourbillonna sur le côté et voulu frapper de son sabre, mais Rachel l'avait anticipé et tenta de faucher le pirate d'un puissant revers du poing. Le Rétameur recula prestement, réalisant avec dépit que la massive caporale avait une allonge quasiment supérieure à celle de son sabre et que la puissance dégagée par ses coups ne lui disait rien qui vaille.
La jeune femme pressa son avantage, multipliant les assauts tant que sa jambe le lui permettait encore. Le pirate se contraignit à la défense et commença à élaborer son propre plan. Car oui, en définitive, il était effectivement plus du genre fieffé roublard qu’abruti fini.

Le Rétameur manœuvra le duel pour se retrouver dos au mât. Comme de juste, Rachel poursuivit son assaut, tentant derechef un puissant direct pour lui encastrer la tête dans le bois. Dans un rire sardonique, le capitaine pirate se glissa sur le côté pour passer derrière l'obstacle. En une fraction de seconde, la jeune femme sentit venir le fiasco, pour constater avec horreur qu'elle ne pouvait plus rien faire pour empêcher le désastre : emportée par son élan, elle était trop engagée et le mât positionné entre eux servait de bouclier au Rétameur. Ce dernier était en train de passer sur ses arrières et allait pouvoir frapper sans risquer de s'en prendre une.
Et effectivement, tandis que Rachel était coincée par son inertie, le capitaine pirate termina de contourner le mât et lui lacéra la cuisse droite, mettant ainsi un terme à sa mobilité. La jeune femme sentit ses forces abandonner sa jambe d'appui, commença à chuter, voulu instinctivement se rattraper de la jambe gauche et se retrouva immédiatement fusillée par la douleur de son mollet, incapable d'encaisser un tel poids. La jeune femme s'effondra à terre et roula-boula chaotiquement jusqu'à la proue dans un concert de grondement de douleurs et un festival de membres qui tourbillonnent dans tous les sens.

« Hin hin hin ! Ricana le pirate sans même se retourner. Il n'y a personne que je ne puisse rétamer. Voilà pourquoi je me suis fait surnommer... Tom le Rétameur ! »

D'un geste brusque du bras, le capitaine fit voler le sang encore présent sur la lame pour la nettoyer et... et un bruit étrangement familier lui parvint alors à l'oreille. Un bruit de raclement métallique et de cliquetis de chaîne. S'il ne s'y connaissait pas, il aurait juré qu'il s'agissait de l'ancre de « la petite fée des écumes » qu'on remontait.

Avec appréhension, Tom le Rétameur se retourna lentement. A la proue, la grande bougresse qu'il pensait avoir neutralisée s'était redressée et s'appuyait au bastingage pour soulager ses jambes. Et avait entrepris de remonter l'ancre. Une grosse pièce de métal mal dégrossie, aussi grande qu'un homme et au moins aussi lourde. Et qu'elle tenait dorénavant en main.
Tom jeta à un regard nerveux à l'arme improvisée, puis à son propre sabre – qui lui semblait soudainement fort fragile et ridicule – puis à la folle furieuse. Un sourire mesquin lui barra derechef le visage.

« Bwahaha ! T'es ridicule, grosse brute !
_ Ch'uis pas une brute !
_ Tu crois vraiment que c'est parce que t'as trouvé la plus grosse arme possible que tu vas t'en tirer ? Pauv'débile, t'as aucune chance de pouvoir suivre ma vitesse et ma vivacité ! Allez, viens-y donc, je vais te montrer que les muscles ne valent pas l'intellect ! Tu vas... vas... Ah non ! Nonononon, repose-ça tout de suite, tu veux ! »

En effet, le pirate avait raison sur tous les points. Rachel avait elle aussi abouti aux mêmes conclusions tantôt. Elle avait donc changé ses plans : si elle ne pouvait faire face au contact, elle l'aurait à distance. Raison pour laquelle elle avait entrepris de remonter l'ancre et la faisait présentement tournoyer au-dessus de sa tête, avec la ferme intention de s'en servir comme d'un gros fléau. Après tout, ladite ancre était fournie avec une belle longueur de chaîne, ç'aurait été dommage de ne pas en profiter.

La jeune femme fit la sourde oreille aux supplications du pirate et balança l'ancre. Tom l'esquiva de justesse avant de se répandre en imprécation en constatant de visu le résultat de l'impact sur le précieux pont de sa précieuse petite caravelle. Rachel ramena brutalement l'ancre à elle, tentant de faucher son adversaire au passage, mais ce dernier évita le pire en plongeant désespérément sur le côté.

La situation resta figée pendant quelques passes d'armes, la caporal harcelant sans relâche le Rétameur avec ses va-et-vient sans parvenir à le toucher mais l'empêchant d'approcher. Pendant ce temps, l'esprit du pirate turbinait à toute allure pour trouver une parade à cette situation inextricable. Et puis, il eut l'illumination.
Tom manœuvra pour revenir à proximité du mât. L'ancre fusa de nouveau. Esquive. Rachel ramena l'arme improvisée à elle. Le crochet de l'ancre se coinça à la base du mât. Clap de fin pour le fléau, jubila le pirate.

« Hin hin hin ! Ricana Tom, t'es vraiment pas maline, toi. Te faire avoir une fois, passe encore, mais retomber dans le panneau juste après, t'es vraiment nulle ! T'as vraiment qu'un muscle à la place du cerveau, ma pauvre ! Tu... Tu... Mais tu fais quoi, là ? »

Avant même que le pirate n'ait commencé à ricaner, Rachel lui avait tourner le dos. Et s'était mis à tirer sur la chaîne. Tirer fort. Très fort. Absurdement fort. Tous les muscles de ses bras, de ses épaules, de son échine étaient tendus et contractés sous l'effort, presque sur le point de se déchirer. Dans un grondement de rage, la jeune femme tenta d'ignorer la douleur alors qu'elle plantait solidement ses deux pieds dans le sol et continuait à tirer de toute la force colossale dont sa grande carcasse pouvait faire preuve.

« Hé, Madame Muscle ? T'es au courant que c'est pas en forçant comme une malade que tu vas dégager l'ancre ? Elle est coincée ! Coin-cée ! Dis, tu m'écoutes ? Nan, parce que si tu continues comme ça, tu vas finir par casser quelque chose ! »

Et comme de juste : dans un raclement infernal horrible, l'ancre pulvérisa brutalement la base du mât. L'énorme gréement tressauta sur lui-même avant de s'écraser à terre dans un boucan du diable, engloutissant Tom le Rétameur sous la volumineuse voile blanche.

Le souffle court, les muscles encore brûlant et tremblant d'effort, Rachel ne perdit pas de temps et clopina tant bien que mal jusqu'à l'endroit où s'était trouvé le pirate. Là ! Un sabre jaillit, tailladant la toile comme il le pouvait. La jeune femme attrapa de la main droite l'arme par son bord non-tranchant et l'arracha de son propriétaire avant de l'envoyer se perdre au loin. Dans le même mouvement, sa main gauche fonça dans l'ouverture créée et attrapa Tom le Rétameur par le collet. Elle l'extirpa de là sans ménagement et arma son poing droit, prête à lui faire bouffer ses dents pour lui apprendre à pourrir comme ça la vie des honnêtes gens. Mais le capitaine pirate, bien qu'encore un peu déboussolé par tout ce qui venait de se produire, avait encore suffisamment de vivacité d'esprit pour la prendre de vitesse.

« Je me rends ! Clama haut et fort le Rétameur en levant les mains bien en évidence.
_ Gné ? Rétorqua fort intelligemment une Caporal qui ne s'attendait pas du tout à cette répartie.
_ J'ai dit : je me rends. Je me constitue prisonnier et me remets corps et âme à la Marine, charge à elle d'assurer mon intégrité physique jusqu'à mon procès, expliqua le capitaine pirate.
_ Pardon ??
_ Tu peux plus me frapper, c'est la loi !
_ La loi !? Mais t'es un pirate ! Se récria Rachel.
_ Exact, je suis un pirate et je me ris des lois... et n'hésite donc pas à les tourner en ma faveur si nécessaire. Y'en a, là-dedans, hein ?
_ Quoi !? Mais, et la bagarre, alors ?
_ Finie, j'ai perdu, affirma Tom. Nan, parce que quitte à perdre, je préfère rester intact, ça sera plus facile pour m'échapper dès que tu ne seras plus dans les parages.
_ MAIS C'EST DÉGUEULASSE !
_ Hin hin hin ! Admire la supériorité de l'intellect sur la force brute ! »

Rachel resta un moment indécise. Non parce que bon, c'était un pirate, le bonhomme. Un fouteur de merde, un fauteur-de-trouble, un ennemi de la paix ! Et que si les rôles étaient inversés, lui ne se gênerait pas pour l'achever, capitulation ou pas.
Oui mais voilà : on ne peut pas se battre contre quelqu'un au nom d'un idéal et piétiner cet idéal sans vergogne dès lors que l'issue du combat nous déplaît. C'était la différence fondamentale entre les pirates et la Marine, d'après la jeune femme. Et Rachel était une Marine envers et contre tout. Dépitée mais convaincue que c'était la juste chose à faire, la jeune femme cessa donc le combat.
Mais ne relâcha pas pour autant l'énergumène, parce qu'on est jamais trop prudent avec les sales roublards dans son genre !

L'interpellation du pirate bouclée, la jeune femme se fit donc un devoir de s'inquiéter de ses camarades. Elle clopina vaille que vaille jusqu'à Edwin et le secoua gentiment par l'épaule. Le pauvre était encore un peu sonné et confus mais pas de bobos à l'horizon. Encore un peu et il serait de retour et en phase avec la réalité. Elle le délaissa donc trente secondes au profit de Jürgen, toujours du mauvais côté du bastingage et occuper à...

« Mèkess'tufè ?
_ Un instant, chef, lui assura le matelot de seconde classe sans cesser de s'escrimer sur la coque de la caravelle. Encore un peu et je devrais ouvrir une voie d'eau dans la coque pour me faufiler à la poudrière et tout faire sauter !
_ Ça sautera vachement moins bien si tu l’inondes... Laisse tomber, le combat est fini.
_ Roooh, la poisse ! J'y étais presque !
_ Mais sinon, remonter me filer un coup de main, ç'aurait été pas mal non plus, tu sais... »

La jeune femme aida son subalterne à remonter sur le pont, avant de retourner se préoccuper d'Edwin.

« Alors, Marlow ? De retour parmi nous ? C'est bon, ça va mieux ?
_ Heu... Mon Caporal ? C'est normal, tout ça ? Demanda le matelot, les yeux ronds comme des soucoupes, en pointant du doigt le pont.
_ Ouais, j'ai démâté le navire pour gagner le... Heu... »

Rachel contempla le mât qui traînait en travers du pont de la petite caravelle. Qui dépassait du pont, même, parce qu'un mât, c'est pas mal long, en fait, réalisa la jeune femme en blêmissant. Suffisamment long pour, par exemple, faucher le mât du navire d'à côté. Et le faire s'effondrer à son tour en fracassant tout sur son passage. Comme les dunettes de deux autres navires qui mouillaient tranquillement à côté et n'avaient rien demandé à personne.

« Oooh nooon... Pitié, dites-moi que le QG de la Marine a une bonne assurance... »


Dernière édition par Rachel le Jeu 15 Juil 2021 - 11:51, édité 1 fois (Raison : Correction des fautes relevées par Eleanor Bonny - Merci pour la relecture !)
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