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[1626] Où la loi martiale s'en mêle


Loi martiale, loi martiale. Et qu’est-ce que je venais foutre là-dedans moi ? En quoi ça concernait les Pols cette histoire ? Ah, toujours cette bonne vieille méfiance envers les marines et leurs tendances indépendantistes. Mais que les renseignements se méfient de ces empaffés, j’en avais pas grand-chose à faire. L’ombre de la mort de Maxwell planait toujours, et moi je gagnais des gallons dans les endroits les plus miteux du monde. Tout le monde avait déjà eu le droit à son tour à Marie-Joie, et pas moi. Comme quoi, mon comportement n’était pas exemplaire, que je n’étais pas un modèle de vertu blabla. Franchement, je ne vois pas ce qu’une histoire de fes … Ahem, bref.

Las Camp, c’était LA punition. Loin, froid. ET CHIANT. Bon sang, même une truie aurait préféré dormir chez moi, comparé à ça. J’étais dans un tripot, occupé à vider le fond d’un verre, une sorte de mélange d’alcool locale et d’arnaque pour touristes, et rien ne venait perturber la vie de cette cité. Oh, certes, j’avais qu’à agiter un petit papier pour qu’on me laisse faire ce que je voulais, mais incognito qu’on m’avait dit pour cette foutue mission. Prendre la température qu’on m’avait dit. Bon, déjà, il faisait froid. Vive l’hiver. Mais ça avait pas fait rire le Coordinateur. Sans blague, merde.

- Patron, la même.
- Va falloir songer à payer, mon brave.
- Ouais ouais, j’ai quelques billets qui traînent, t’inquiète. On peut fumer ici ? Bien sûr qu’on peut. Dis, patron, le couvre-feu il est à quelle heure déjà ?
- Vers 21 heures.
- Ah ouais, c’est quand que ça passe à 23 heures ?
- Heu c’est pas prévu … et puis tant que vous avez pas le passe, ça risque pas d’arriver.
- Ah parce que faut un passe maintenant ?
- Ouais, pour la sécurité et tout. C’est pour ça qu’il va pas falloir tarder à payer … c’est bientôt l’heure et je veux pas d’ennuis avec la marine.
- Ah ah, ils sont chiants ces tocards, hein ? Un ramassis de chiure je vous dit. Faut toujours qu’ils cassent les noix à quelqu’un.
- …

Bon, pas causant l’artiste. Fallait dire qu’il y avait encore un peu de monde dans le bouge.

- Non mais franchement, avec les mafieux, ils feraient pas mieux d’aller s’en occuper, au lieu d’emmerder les bonnes gens ? Ah là là, si seulement les marines étaient aussi compétents que mo…

Une main lourde vint s’appuyer sur mon épaule. Je levais les yeux, un peu éméché je dus l’avouer.

- On cherche pas d’ennui ici, p’tit gars. Alors si tu veux chercher des noises, va falloir aller ailleurs. On tolère pas les fouteurs de merde.
- Hé, c’est pas gentil ça, je fais que dire ce que vous pensez tous.
- Ecoute, touriste, soit tu payes et tu dégages, soit tu la fermes.
- Ah mais c’est direct dans l’agression là. Ta mère sait que tu parles comme ça aux beaux garçons ?
- Mais ce que tu dis n’a aucun sens. T’es complètement rond ma parole.
- Peut-être, et ça change quoi ?
- Ça change que tu vas aller faire connaissance avec la rivière en vitesse, et qu’elle est particulièrement froide ce soir …
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Dans les ruelles dépavées et même dépravées de Las Camp, un jeune homme progressait dans l’étroitesse de celles-ci. Le visage presque tuméfié, ou tout du moins marqué par quelques rougeurs, le garçon s’essuyait le revers des mains d’un vieux mouchoir teinté de sang. Au regard de ses blessures, nul doute qu’il s’agissait d’un homme dangereux, en tout cas, il y avait de quoi justifier cette thèse. Vagabondant le pas agile, sa silhouette était éclairée par une pleine lune fidèle au poste et par les quelques lampes qui brillaient encore. L’atmosphère qui régnait dans les quartiers de Las Camp était pesante. On entendait les pas hâtifs des habitants, qui semblaient pressés de rentrer chez eux. Les commerces fermaient leurs portes les uns après les autres et les pancartes se tournaient, n’affichant plus qu’un « FERMÉ » inhospitalier.

Au milieu de cette agitation silencieuse et stressée, Ned fut intrigué par le fait qu’on ne lui porta pas même un regard. Cette île semblait meurtrie, mais surtout, ô combien habituée à la violence. Le jeune homme n’était qu’un énième passant ensanglanté. Pour les habitants, il n’y avait aucun membre tranché ni même une tête sur le point de tomber qui auraient pu les amuser, alors, à quoi bon s’attarder sur cet homme légèrement amoché ?

Un naufrage, voilà ce qui l’avait conduit en ces terres aux allures perfides et malsaines. Ou plutôt, un semblant de naufrage. La coque de noix qui accompagnait les deux pirates qu’étaient Ned et Jayce avait manqué de rendre l’âme à cause d’une houle déchaînée. Bénis par les dieux ou maudits par le diable, quoi qu’il en soit, par on ne sait quel miracle, les deux compagnons de route trouvèrent le port de Las Camp pour sauveur. L’homme-poisson, en bon navigateur qu’il était, avait préféré rester aux quais pour clouer les quelques planches nécessaires à la réparation du rescapé et pour préparer le prochain voyage du duo.

Pendant ce temps, Ned en avait profité pour se promener dans la ville. Une aventure qui vira très vite à la mésaventure. Le sang qui recouvrait ses poings, et qu’il tentait désespérément de faire disparaître en frottant sans relâche, appartenait à plusieurs types. Trois, exactement. L’un s’appelait Joe, l’autre Djo, et le dernier Jo. Même prononciation, écriture différente. En tout cas, c’était ce sur quoi ils avaient insisté lorsque Ned leur avait refait le portrait à coups de poings en exigeant leurs noms. Le trio de bandits avait tenté de dérober le sac du sabreur et s’était rapidement rendu compte d’à quel point c’était une mauvaise idée lorsque les phalanges s’étaient mises à pleuvoir.

Quoi qu’il en soit, cet épisode, bien qu’anecdotique, avait eu le don de l’irriter. Aspirant désormais à la tranquillité, Ned arpentait les rues à la recherche d’un lieu qui lui accorderait un peu de calme et de repos. Quelle ne fut pas sa déception quand, après avoir traversé d’innombrables chemins, le jeune homme atterrit devant le seul le tripot encore ouvert. Déception parce qu’avec un tel nom : « La souricière démoniaque », ce lieu ne pouvait pas être un havre de paix.

Ned poussa les portes battantes et pénétra dans la salle. Des hommes essentiellement, aux dégaines plus que douteuses. Jeux de cartes, rhum premier prix trônant sur des tables bancales et ennui mortel. Un tripot. Il commanda un verre et on lui versa un liquide dont il préférait ignorer la composition. Sans un mot, il s’installa à la table la plus éloignée et tira de son sac un bouquin. Cette fois-ci, il avait opté pour un ouvrage de philosophie, étant donné que quelques questions existentielles lui trottaient encore dans la tête. « La pensée et le mouvant », un formidable essai d’un auteur de South Blue qu’il s’empressa d’ouvrir afin de s’y plonger pleinement. Ce livre était la raison pour laquelle il avait défendu son sac avec autant d’ardeur. Cet objet avait bien plus de valeur qu’une bourse de berrys.

Mais faire preuve d’une grande concentration au milieu des discussions des quelques poivrots qui traînaient encore s’avéra évidemment compliqué. Il prêta l’oreille malgré lui et entendit à plusieurs reprises l’expression « loi martiale ». Bien que cette information lui semblât familière, force est de constater qu’il en ignorait tout de même la signification. Quel était donc cette « loi martiale » ?

Alors qu’il reprenait sa lecture, un échange mouvementé attira son attention. Trop loin pour en saisir le contenu, sa vue ne lui fit toutefois pas défaut. Un type aux airs de patron brisa violemment une bouteille sur le crâne d’un homme assis au comptoir.

« Bordel, mais on peut même pas lire tranquille ici ?! » s’écria Ned, furieux.

Le bruit du verre éclaté résonna dans toute la salle. Malgré la violence du coup, l’homme au comptoir ne semblait pas avoir bronché. Le ton changea dans la pièce et d’autres hommes passablement éméchés s’approchèrent de l’altercation. Ned n’espérait qu’une seule chose, que tout ceci se termine au plus vite afin qu’il puisse sagement retourner à son occupation. Si cette situation venait à s’éterniser, il comptait bien se faire un plaisir de passer ses nerfs sur ces types.
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La main quitta mon épaule pour se confronter à des affres bien plus graves : insulter la marine, ça passait encore. Mais frapper José sur l’occiput avec une bouteille ? Bon sang, mais quelle infâmie ! Le soudard aux grosses paluches se détourna donc de ma triste personne et s’approcha de l’impudent qui avait osé en atteindre à son ami, en pleine période de couvre-feu. Enfin, de loi martiale. Vous m’aurez compris. Le type était devenu rouge de colère, bien que José ne semble pas s’être rendu compte du sang qui perlait du sommet de son crâne jusqu’à son cou. Il était comme hébété, il y avait des lustres que personne n’avait osé déclencher une bagarre dans un bar, tout se terminait en général dans l’abreuvoir des bêtes, la rivière ou la soue des cochons. Il s’approcha donc du nouvel intrus qui était, lui aussi, bien décidé à faire des vagues. Le tenancier se cacha derrière le bar, certainement à la recherche d’un denden, au cas où. Pas d’ennuis, pas de vagues. La dernière chose qu’il voulait était de se faire fermer son établissement, déjà que les aides pour faire face à cette loi martiale n’étaient pas faramineuses …

- José l’avait rien fait, et t’es qui pour foutre le bordel sous loi martiale toi ? T’as envie de te faire crever par la marine c’est ça ?
- ‘sont incompétents, te feront rien ces cons …
- La ferme toi …
- Bah quoi, je fais que dire …

Deux paires velues vinrent me chatouiller sous les épaules, mais déjà bon nombre de types s’étaient levés pour entourer le nouveau-venu et son livre. J’étais, quant à moi, en train de me faire soulever malgré mes protestations. D’un talon j’écrasais un pied, puis frappait du coude un type qui trébucha et renversa une table. Un tas de cartes vola dans tous les sens, des billets se répandirent çà et là … et ce fut la cohue. Les mains se jetèrent sur l’argent, des coups de poing s’échangèrent et toute la bonne volonté de ne pas finir en esclandre se répandit sur le sol miteux de la taverne. Un coup de coude mal placé cassa un nez, un coup de talon vicieux provoqua un coup de boule et ainsi de suite …

Toute la violence contenue dans le bouge éclata, comme une bombe qui avait cessé de retarder. Le tavernier gloussa de peur et lâcha une petite larme car il ne savait que trop bien ce qui risquait de se passer. Ceux qui avaient tenté de m’emmerder se retrouvèrent bien badauds, les p’tits cons, face à la situation qui dégénérait … et il fallut qu’une chaise vole pour qu’ils se ressaisissent. Un doigt grossier pointant le lecteur briseur de bouteilles.

- T…toi ! J’vais m’assurer que tu trinques quand la milice arrivera ! Hors de question qu’ils nous choppent … Les gars, défoncez moi ce … heu … type !

Et de ses grosses mains, il fit craquer ses phalanges et avança vers celui qui, malgré lui, m’avait sauvé d’un aller simple dans la rivière. Maintenant que les choses étaient en marche, et qu’un observateur extérieur aurait pu dire, à tort, que j’avais déclenché seul la bagarre générale, je me reculai doucement. Pas envie de me prendre une volée de marrons tout à fait évitable. Une surface mi-dure, mi-molle arrêta ma retraite lorsque mon dos se frotta à elle. Une sorte de mur de muscles et de graisse à l’haleine épicée de tabac à chiquer. Mal rasé, des dents cassées. C’était toujours les types les plus sympas qui trainaient dans le fond de caisse, putain …

- Crois pas que tu vas t’en tirer comme ça, mon joli. Si la marine vient ici, ça va tout foutre en l’air, alors j’vais en profiter pour te foutre en l’air avant tout ça …

C’était bien ma veine. En plus, il était gros. Je détestai les gros.
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Dégénérer. C’était le mot. La situation venait de complètement dégénérer. Ned se retrouvait planté là, au milieu de ces types aux dégaines douteuses qui avaient clairement l’air d’en vouloir à sa vie. Plus aucun moyen de faire machine arrière, et puis c’était aussi l’occasion pour lui de se défouler un peu. Après tout, cette situation l’avait fait sortir de ses gonds. Il profita d’un bref moment pour faire un point et analyser ceux qui affluaient en sa direction. Il en comptait cinq. Cinq face à lui aux regards éméchés mais déterminés. Un était armé de poings américains, d’autres d’épaisses bouteilles et d’autres encore de chaises et de tabourets. Le jeune pirate posa instinctivement ses mains sur ses sabres, mais hésita un instant, avant de se raviser finalement. Ce qui était sur le point de se produire n’était qu’une bagarre de taverne comme il en avait déjà tant vécus. Inutile selon lui de blesser plus que de raison ces pauvres hommes, et encore moins de leur ôter leur vie pour des futilités pareilles. D’autant plus qu’un type venait de mentionner une arrivée de la marine, alors il ne comptait certainement pas s’éterniser ici en provoquant du grabuge inutile, il n’était pas là pour se faire remarquer.

« Ahlala…Bon, amenez-vous » jacta le sabreur en lâchant un soupir.

Une bonne correction suffirait.

Un premier homme s’élança. Il avait les traits tirés et renfermés à cause d’une vieillesse accélérée par l’alcool et la cigarette. Bouteille en main, il chargeait, à moitié en titubant et en gueulant des mots inaudibles comme un décérébré. L’attaque fut à la fois molle et enragée, mais pas de quoi inquiéter Ned qui stoppa le bras armé du gaillard en saisissant son poignet. D’un coup sec, il le tira vers lui et écrasa son poing sur sa figure, brisant au passage les quelques dents qu’il lui restait. L’homme s’écroula dans un grognement indéchiffrable, les yeux révulsés.

Furieux d’avoir vu leur camarade se faire ratatiner, les quatre hommes encore debout se jetèrent à leur tour sur le jeune pirate. Ned fit un pas de côté pour esquiver un tabouret lancé à vive allure. Hélas, il laissa entrevoir une faille dans sa garde. Un poivrot à sa droite lui asséna un violent de coup de phalanges renforcées par un poing américain. Le fer s’écrasa brutalement sur sa mâchoire ce qui le propulsa au loin et lui valut de terminer sa course sur une table qui céda sous la pression de son poids.

« Ne nous sous-estime pas gamin, on cassait des gueules que tu tétais encore le sein d’ta mère !
- Je vois… Dans ce cas, passons aux choses sérieuses… »

Ned essuya sa bouche ensanglantée du revers de sa main et esquissa un sourire narquois. Il se releva et épousseta sa tunique pleine de débris de bois. En se remettant d’aplomb, il jeta un rapide coup d’œil à la scène similaire qui se déroulait juste derrière les types en rogne. L’homme qui s’était fait menacer un peu plus tôt de se faire jeter dans une rivière semblait aux prises avec un immense bonhomme à la mine clairement antipathique. Toutefois, Ned avait déjà fort à faire avec ces gus, pas le temps de s’extasier devant une autre altercation.

Comme il l’avait annoncé dans ce qui semblait être un avertissement, il ne comptait pas leur faire de cadeau. D’un bond, il fondit sur un gaillard, le saisit par le col et l’envoya paître sur un de ses camarades. Tandis que les deux hommes s’écroulaient l’un sur l’autre, Ned enchaîna en balançant un coup de pied retourné droit dans le plexus d’un autre type qui tentait de lui envoyer un coup de tabouret. Le bonhomme, sonné et le souffle coupé, s’écrasa contre le comptoir, le brisant partiellement au passage.

Les deux gars que Ned venait de faire s’emboîter se relevèrent en grimaçant. Avec ces deux-là qui s’ajoutaient à celui aux poings américains, il ne lui restait plus qu’à envoyer au tapis trois adversaires.

« La marine va débarquer sous peu, vous n’allez pas vous en tirer comme ça ! » s’exclama le tavernier, un peu craintif et agacé de voir son établissement être mis sans dessus-dessous.

Et il n’avait pas tort. Ned devait faire au plus vite, les pas des soldats n’allaient sûrement pas tarder à se faire entendre. Il n’avait plus que trois types à éliminer et espérait qu’à côté, l’autre énergumène vienne à bout du colosse qui semblait être une menace bien plus importante que ces poivrots. Il n’avait clairement pas envie de perdre son temps à combattre ce mastodonte graisseux et risquer ainsi de se frotter à la marine.
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Vous connaissez le classique tu viens-ici-que-je-t’attrape proféré par un type énorme pendant qu’un plus svelte esquive ses coups en piaillant ? Et bien tout pareil, sauf que je ne piaillais pas, bien entendu. J’étais digne, droit, fier et … hyah ! Mais c’était qu’il avait failli m’avoir ce con ! Une chaise vola au-dessus de mon crâne alors qu’il s’énervait de ne pas m’attraper, lorsque, contre toute attente, ce fut de mon imperméable qu’il s’empara. Les héros n’ont pas de capes, hm, et bien apparemment ça vaut aussi pour les imper.

- Hé hé, j’t’ai eu l’anguille ! qu’il ricana, avant de tirer d’un coup sec.

Le tissu crocheta ma gorge et m’attira inéluctablement vers lui. Je vis son gros poing poilu se profiler vers mon nez, lorsque mon coude se bloqua contre une chaise et me fit changer de trajectoire avec un petit cri de douleur. Le poing fracassa le sol et mon genou vint caresser la tempe du gros tas. Je roulais à terre avant de terminer le dos enfoncé dans le comptoir, à terre. Les verres tressautèrent sous le choc. L’obèse tomba avec lenteur au sol. D’abord les genoux, puis de tout son long. Le mobilier sursauta tandis que je me démenais pour sortir mon imperméable de sur ma tête. Les combats cessèrent tandis que mon allié présentait les dents des autres larrons à leurs propres nuques. Pas sûr d’apprécier cette politesse si elle m’était proposée …

Je me relevai donc en m’appuyant sur le bar, entreprit de me servir un verre comme si cette situation n’avait rien à avoir avec ma chance. Et je vous assure elle ne l’avait pas : quelques kami-E, certes, mais je n’avais même pas eu le temps de lancer un rankyaku que … Bon ok, un peu de chance. J’avais fait de la gymnastique au collègue, m’voyez ? N’empêche, j’avais la gorge toute rouge : ça tirait les chairs d’attraper quelqu’un comme ça. Et c’était vraiment malpoli.

- Bon, tavernier. On est d’accord que c’est eux qui ont commencé : regarde, je l’ai même pas frappé. Tt tt tt. Je te dis qu’il a commencé. Regarde, ils ont même tabassé mon copain d’un soir, là : il saigne ! Alors tu vas appeler la marine et leur dire qu’ils doivent les embarquer. Parce qu’ils ont ravagé ta boutique. Ok ? Hé hé, je me disais bien que tu serais pas d’accord.

Je lui servis un verre, alors qu’il me menaçait de sa pétoire.

- Dis-toi que tu pourrais prendre bien pire s’ils apprennent que tu abrites des révolutionnaires. Et qui vont-ils croire, des locaux … ou moi ?

Silence gênant. Hm, contretemps léger qui impliquait déjà une certaine célébrité que j’étais en passe d’acquérir.

- Voyons, tu ne sais pas qui je suis, vraiment ? Ah, c’est pour ça que tu n’as pas encore baissé ton arme.

Des bruits de pas se firent entendre en dehors de la taverne. Ainsi que le cliquetis caractéristique des mousquets de la marine. Ça se préparait à faire chauffer la tambouille.

- Jack Sinister : écrivain, philanthrope et détective privé. Non ? Rien du tout ? Oh, la tristesse … Hé toi, copain d’un soir, tu sais qui je suis pas vrai ? C’est pour ça que tu as volé à mon secours, tel le valeureux second couteau que tu es ?

Second couteau, ah, j’avais toujours eu besoin d’un sidekick. En plus, celui-ci savait lire. Et il distribuait des mandales, oh oh oh, j’aurais pas aimé les recevoir.

- Bon, je crois qu’on va en effet devoir s’expliquer avec la marine. Hé, les gars, c’est pas la peine de fuir, ils encerclent le bâtiment. Je crois qu’on a fait un peu trop de bruit … je vous avais dit qu’il fallait pas emmerder la marine ici …
- Mais c’est toi qui a dit que …
- Tt tt tt, je sais ce que j’ai dit. Ah, c’est bien les révolutionnaires ça, de toujours vouloir insulter les forces de l’ordre. Vraiment aucune moelle épinière ces derniers. Bon, copain d’un soir, tu vas discuter avec eux, pendant que je m’occupe d’obtenir deux trois informations de ceux qui restent encore en état après tes exploits ? Ou du p’tit tavernier …

Et mieux valait que les oreilles indiscrètes entendent pas trop mes questions, foutre le bordel pour maquiller une opération discrète et subtile, c’était mon talent caché.
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« Mais quelle idée à la con… » se répétait Ned, la mine renfrognée. Quel idiot fallait-il être pour croire qu’il était possible de se la couler douce en bouquinant dans une taverne de Las Camp. En entendant le brouhaha typique d’un régiment de marines qui provenait de l’extérieur, Ned s’installa sagement au bar et se servit lui-même un verre de rhum avec une bouteille qui trônait miraculeusement sur le comptoir. Jack Sinister, hein. Non, ce nom ne lui évoquait rien du tout, mais ce qui l’avait intrigué c’était le « écrivain et philanthrope » qu’il s’était lui-même attribué. Ce fameux Jack appréciait apparemment qu’on le caresse dans le sens du poil, un philanthrope qui se qualifiait comme tel en était rarement un.

« Jamais entendu parler de toi, navré. » tonna Ned.

Il se contenta de ces mots glacials comme réponse. Que Jack le qualifiât de « second couteau », grand bien lui fasse, Ned n’avait, à l’heure actuelle, pas la moindre envie de se remettre quelqu’un à dos. D’autant plus qu’au vu de la sérénité que dégageait Jack malgré la rixe, et surtout, malgré l’arrivée imminente des militaires, il ne semblait pas être qu’un simple écrivain. Cette hypothèse se confirma un peu plus lorsque le « philanthrope » à la gueule mal rasée intima à Ned d’aller converser avec les soldats à l’extérieur et qualifia les poivrots édentés et sonnés de « révolutionnaires ». Qui pouvait bien être ce Jack Sinister ?

Peu importe, Ned n’avait pas d’autre choix que de se plier à sa demande. La taverne était sans nul doute encerclée depuis quelques instants et il n’y avait à l’intérieur du bistrot, aucune échappatoire possible. A l’extérieur, il pourrait au moins tenter de fuir si jamais le ton venait à monter avec les marines. Le pirate engloutit son verre, secoua la tête comme pour oublier sa gorge qui brûlait et se leva en faisant volte-face. Les mains dans les poches et la démarche nonchalante, il se dirigea vers la sortie.

« J’espère que tu sais ce que tu fais. » lança Ned à l’écrivain.

A l’instant où il franchit les portes battantes, il entendit les cliquetis des mousquets et les gueules béantes des canons se pointèrent juste devant ses yeux. Il recula d’un pas instinctif et leva les mains à mi-hauteur en signe d’apaisement. L’escouade était composée de cinq hommes, celui aux airs de chef prit la parole d’un ton ferme.

« Halte-là ! Déclinez votre identité ! »

Les quatre autres soldats semblaient tous en avoir vu des vertes et des pas mûres et appartenaient sans l’ombre d’un doute à la marine d’élite. Ned le comprit aux uniformes rafistolés ici et là qu’ils portaient et à la façon assurée dont ils tenaient leurs armes. Impossible pour lui de tenter de les amadouer ou de prendre simplement la fuite face à ces hommes aux visages marqués par la dureté du métier.

« Den Meyham, répondit-il calmement.
- C’est quoi ce boucan à l’intérieur ? répliqua le chef dont le visage semblait être sur le point d’imploser.
- Une petite altercation, rien de bien méchant, vous connaissez Las Camp.
- Oh oui on connaît Las Camp, mais toi j’en suis pas si sûr. Le couvre-feu ça te dit rien ?
- Euh…non désolé, je suis pas d’ici moi. »

En réalité, l’information ne fit qu’un tour dans sa tête. Voilà pourquoi, en venant ici, il avait vu les commerces se fermer les uns après les autres. Tout ceci faisait sans nul doute écho à cette « loi martiale » qui avait été mentionnée dans le bistrot. En fouillant dans sa mémoire, il parvint à se rappeler brièvement de la lecture d’un journal qui mentionnait les dernières news de Las Camp. Mogaba, le Colonel Matheson, Ivan de Cimitiero, une bataille… la loi martiale. Ses yeux s’écarquillèrent lorsqu’il comprit. Las Camp n’était plus ce taudis immense abritant hors-la-loi et rebuts de la société, la ville passait peu à peu sous le contrôle de la marine. Il était clairement en territoire ennemi et s’était fourré dans ce guêpier de son propre chef.

« Sergent ! Regardez, il porte deux sabres à la ceinture ! reprit l’un des soldats.
- Ecoute-moi mon garçon, tu vas rentrer avec moi à l’intérieur on va voir ce qui s’y passe. Je te déconseille de tenter quoi que ce soit.
- Soit, vous verrez par vous-mêmes que y a pas de quoi s’affoler. »

Le Sergent empoigna fermement Ned par l’épaule et le poussa à l’intérieur du bistrot en lui emboîtant le pas. Les autres firent de même. Ned n’avait pas l’intention de causer quelconque grabuge dans les rues, si la situation s’envenimait et qu’il devait faire scintiller ses lames, il préférait se débarrasser de tous ces gêneurs à l’ombre des regards.
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