Chrysididae

Au détour d'un arbre, quelque part, dans une forêt, entre deux villes d'une île du Nouveau Monde. Un appel anonyme. Deux voix qui discutent, une conversation logiquement sans intérêt. Logiquement.

« - Allô ?
- Bonsoir.
- Bonsoir madame.
- Vous allez bien ?
- Bien et vous ?
- On fait aller, quelques tâches de café sur la moquette sous le bureau. C'est gênant, mais j'arrive encore à les cacher, ça reste discret. On ne m'empêchera pas de m'y asseoir, le temps que ce soit nettoyé.
- Je vois... Comment se passe votre journée ?
- De nouveaux dossiers à trier, pas mal de boulot. Bientôt une réunion importante, mais là je suis en déplacement chez un client. Il n'est pas satisfait.
- Comment cela se fait ?
- Il m'a demandé de passer chez lui pour mettre de l'ordre dans ses communiqués de presse, il ne voudrait pas perdre la face auprès des consommateurs.
- Ah bien, c'est une bonne nouvelle ça, je suppose. À quelle heure partez-vous en réunion ?
- Un peu avant midi. Dès que j'ai terminé avec mon client grabataire. J'ai réussi à m'esquiver pour un coup de fil, je ne vais pas tarder à partir.
- Tenez moi au courant avant le début de la conférence. Je vais envoyer quelqu'un de chez nous pour négocier les termes, aussi.
- C'est noté. Je vous souhaite une bonne journée.
- À vous aussi. »

Gotcha.

Quelque part d'autre, en mer. Pas longtemps après la bataille du onzième convoi.

« - Purupurupurupurupuru. Purupurupurupurupuru. Purupurupurupurupu-katcha.
- Allô... ?
- Bonsoir madame.
- Bon... soir.
- Vous allez bien ?
- Alitée. Une mauvaise... grippe...
- J'en suis navré. Comment se porte le travail ?
- Difficile. La concurrence... est rude, les S... Soies possèdent de solides a... atouts.
- Nous avons eu vent de cette confrontation, la Compagnie des Soies ne se laisse pas faire et nous vole aussi des parts de marché. Si j'étais le Docteur, je vous suggérerais de lever le pied sur le travail un moment.
- J'entends bien... Les risques sont ré... réels pour l'entreprise. Heureusement, la date avec le... client approche. Nous avons enc... encore des cartes à tirer.
- J'espère que vous serez remise sur pied dès que possible. Au cas où, je vous transmets les coordonnées d'un médecin, dites lui simplement que vous venez de la part du Siège.
- Merci.
- C'est normal. Notre collaboration est précieuse. Soyez vigilante, au cas où les Soies décident de vous mettre à nouveau des bâtons dans les roues, je préconiserais de ne pas vous en occuper et vous concentrer sur votre tâche.
- Bi... bien noté.
- Sur ce, je vous souhaite une bonne journée et un prompt rétablissement.
- À vous... de même. »

Gotcha.

Derrière un arbre, près d'un campement où règne l'agitation. La voix chuchote à son escargophone comme si elle ne voulait pas qu'on l'entende.

« - Madame, cela faisait longtemps que l'on n'avait plus eu de vos nouvelles.
- Oui, je sais, j'étais débordée. Un collègue m'a demandé de l'aide pour son client, il voulait les plans pour un nouveau complet gris.
- Ah, comment ça s'est passé ?
- Bien, il a eu toutes les félicitations.
- Vous savez, des fois il vaut mieux laisser les autres s'attribuer tous les mérites. Il ne fait jamais bon d'être sur le devant de la scène.
- Tout à fait. En parlant de scène, je viens de sortir de conférence. Tout ne s'est pas passé comme prévu.
- Comment ça ? La présentation a changé au dernier moment ?
- Plus ou moins. On a perdu notre argument de vente, le collègue s'en est servi sans nous prévenir, et finalement c'est un autre maître d'ouvrage qui gère le projet... Il est en route pour un second échange là.
- Je suis au regret de l'apprendre. Est-ce que vous avez besoin de... documentation supplémentaire ?
- Non, je pense qu'on va réussir à se débrouiller. Même s'il doit y avoir des pots cassés. On va peut-être devoir monter aux créneaux pour défendre nos intérêts.
- Très bien. Et pour le collègue, vous avez une idée de ce qu'il cherche à vendre ?
- Aucune. Il est passé hors-ligne, je compte le recontacter dès la fin de la réunion.
- Vous feriez mieux. Nous n'aimons pas trop ne pas savoir ce que les autres employés font avec le fruit de notre labeur.
- Je suis d'accord avec vous, s'il faut je le trainerai devant la hiérarchie.
- Il y a intérêt, nous comptons sur vous.
- Merci. Je dois y aller, je suis attendue. Le client peut arriver d'un moment à l'autre.
- Bon courage. »