Une dangereuse aventure [Feat : Ned Mayhem]

« Jayce, tu peux me dire ce qu’on fout ici ?
- Hum…
- …
- Je suis désolé Ned, je crois bien que j’ai mal compris les propos de cet homme. Il m’a parlé de cette île et il a évoqué des poissons, du coup j’ai cru que… J-je te prie de bien vouloir m’excuser mon ami.
- Dis-moi, combien de grammes d’alcool tu avais dans le sang pour comprendre QUE POISCAILLE ETAIT UNE COLONIE D’HOMMES-POISSONS ?!
- Je…
- Voilà ce que ça me coûte de t’écouter quand t’as descendu trois bouteilles de rhum. Regarde où on se retrouve maintenant, une île de pêcheurs ! Il faut que j’arrête de suivre bêtement mes envies d’exploration.
- Ne sois pas si furieux, je suis certain que l’on peut découvrir des choses intéressantes ici.
- Espérons… »

Ainsi, les deux compères débarquaient sur la fameuse Poiscaille. Une semaine auparavant, le duo avait fait la rencontre d’un poivrot sur une île non loin d’ici. Il les avait au départ sollicité pour des jeux de dés, mais les deux hommes s’étaient laissé aller à la boisson avec ce vieillard aux histoires farfelues. Ned n’avait malheureusement pas tenu la soirée. Pourquoi malheureusement ? Parce qu’il avait de ce fait laissé son fidèle ami se mettre la tête à l’envers et voilà que le lendemain, il lui racontait qu’il existait une colonie d’hommes-poissons à quelques coups de rames d’ici. Cette information avait éveillé la curiosité du jeune Ned et sa flamme désireuse d’aventures s’était brusquement ravivée. Ils avaient pris la mer sans tarder et quelle ne fut pas la déception de Ned lorsqu’il découvrit qu’aucune sirène ou homme-poisson ne vivait sur l’île. A la place, ils trouvèrent au port des centaines de pêcheurs qui remontaient leurs prises de la journée. Cette petite île du nom de Poiscaille paraissait bien tranquille et il y avait peu de chances pour que l’aventure pointe le bout de son nez. Tandis qu’il ronchonnait, déçu d’avoir passé autant de temps à naviguer pour finalement atterrir dans une ville tout à fait banale, il observa son compagnon à ses côtés. Jayce affichait une mine triste, quasi dépressive. Ned comprit que sa déception n’était rien en comparaison de ce que pouvait ressentir son ami à cet instant.

Jayce aspirait toujours à revoir un jour sa patrie et les siens, ce manque qui lui pesait sur le cœur était sans doute à l’origine de son analogie maladroite entre Poiscaille et une colonie d’hommes-poissons. Ned donna une tape amicale dans le dos de son acolyte qui lui afficha un large sourire. Certes Jayce était déçu mais son optimisme et sa positivité étaient toujours aussi présents. Bien que Poiscaille ne répondît pas à leurs attentes, ils avaient tout de même une île à explorer et ils ne comptaient pas reprendre la mer de sitôt. Les deux hommes allaient devoir se contenter de l’odeur de poisson frais et des gigantesques entrepôts qui dénaturaient le paysage. Ned fut d’ailleurs étonné, malgré la petitesse évidente de la ville, l’industrie florissait. Pêcheurs et ouvriers travaillaient avec ardeur et leur énergie donnait vie au port. Une foule de gens entourait les deux amis et chaque personne qui accourait ici et là contribuait au commerce.
Tandis que Jayce scrutait les alentours, cherchant vainement un homme-poisson pour confirmer sa théorie, un attroupement non loin d’eux interpella Ned. On aurait pu croire à une foule quelconque comme il y en avaient aux quatre coins du port mais le brouhaha qui en émanait paraissait tout sauf ordinaire. A l’affût de la moindre opportunité d’aventure, les deux pirates s’approchèrent instinctivement. Alors que Ned se frayait un chemin à travers la foule qui ne cessait d’applaudir et de sautiller de joie, il découvrit une scène dont il se souviendrait longtemps. Un gigantesque renard bipède assénait un violent coup de genou dans la mâchoire d’un pauvre homme.

« Jayce, s’il te plaît, gifle-moi, c’est juste pour vérifier que je suis pas en train de rêver. »

Le type à la mâchoire fracturée s’écrasa plus loin et la foule remercia le renard et deux autres énergumènes qui l’accompagnaient. Ned tenta d’analyser la situation, que venait-il de se passer ici ? A l’arrivée d’un petit détachement de soldats, le jeune homme saisit. Le renard discutait avec les marines qui passaient les menottes à ce qui s’avéra être une bande de brigands.

« UN RENARD QUI PARLE ?!
- Non mais…TU T’ES REGARDÉ ???!! »

Ned était intrigué par ce renard à la carrure imposante. Croiser un animal qui parle et surtout qui brise une mâchoire pouvait être déroutant au premier abord, mais le jeune homme n’était pas aussi étonné que son ami. Il avait entendu d’incalculables récits autour d’une ancienne civilisation qui aurait vécu et perduré sur le dos d’un immense éléphant condamné à l’exil. Ce renard bipède était assurément un mink. Ned était fasciné, rencontrer un mink n’était pas donné à tout le monde, d’autant plus que celui-ci dégageait une certaine puissance qui éveilla encore plus la curiosité de l’archéologue. Ainsi, il prit la décision de suivre le renard et ses compagnons. En tant qu’historien, il ne pouvait pas laisser passer cette occasion de discuter avec un mink.

« Ned, es-tu bien certain de vouloir rencontrer ces personnes ? Tu l’as bien vu, ils appartiennent à la marine ! Je n’ai pas besoin de te rappeler notre statut pour que tu comprennes que c’est une mauvaise idée.
- Ne t’en fais pas, peu de gens savent que nous sommes des pirates. Il nous suffit de cacher notre identité pour que tout se passe bien. Si jamais la situation venait à déraper, on aura qu’à filer, ça pimentera la journée. »

Les deux compères se retrouvèrent donc à prendre en filature le renard et ses deux compagnons. Ils s’arrêtèrent à la première taverne venue, suivis de près par Ned et Jayce qui y pénétrèrent à leur tour. L’endroit était rustique et populaire. On y trouvait essentiellement des ouvriers en pause qui venaient se détendre avant de retourner à leurs occupations. Un des marines qui accompagnaient le renard, un grand gaillard a l’allure plutôt extravagante, était déjà occupé à draguer deux jeunes pêcheurs attablés au fond de la salle. Le dernier du trio, un adolescent, sirotait son jus de fruit et discutait avec la serveuse. Les deux marines étaient occupés, ce qui laissait donc champ libre à Ned pour entamer une conversation avec le renard accoudé au bar. Il s’approcha et prit place à ses côtés.

« Bonjour. J’ai vu ce que vous avez fait au port, vous êtes sacrément fort. Si ça ne vous dérange pas, j’aimerais partager un verre avec vous. Ce n’est pas tous les jours que l’on a la chance de rencontrer un membre de la tribu des minks. N’y voyez là aucun propos déplacé de ma part, je m’intéresse beaucoup aux nombreuses races qui peuplent ce monde, je suis archéologue. Vous vous appelez ? »

Eh bien. La situation venait de déraper complètement. Ned soupira, il était en train de culpabiliser du fait de ne pas avoir écouté son ami qui l’avait mis en garde. D’ailleurs, pour Jayce, sa situation n’était pas bien inquiétante. L’homme-poisson était parvenu à se faire oublier au fond de la salle. Heureusement pour lui on ne l’avait pas associé à son camarade. Il était déjà en train de trinquer avec des pêcheurs totalement saouls qui se demandaient comment un requin avait atterri ici alors qu’ils avaient pourtant remonté leurs filets du matin. Quant à Ned, la situation était tout autre. Lui qui croyait profiter de cette rencontre pour en apprendre plus sur les minks, voilà que son nouveau camarade de beuverie le menaçait avec sa lame. Il se demandait comment, à l’instant, on avait pu l’accuser de cette manière. Alors, effectivement, il était bien un pirate. Toutefois, il était certain qu’il n’appartenait pas à cette fameuse bande de forbans qui avaient attaqué le port. Cette journée n’aurait pas pu être pire. Le voyage avait été éprouvant et il s’était retrouvé sur Poiscaille alors qu’il ne l’avait pas souhaité. Et maintenant, on l’accusait de quelque chose qu’il n’avait pas commis.

Ned, toujours menacé de se faire égorger, se leva de chaise haute, empoigna son verre et le vida d’une traite. Il jeta discrètement un coup d’œil à son camarade au fond de la salle pour essayer de trouver une solution avec lui. A deux, ils auraient peut-être pu s’en sortir facilement et échapper au renard. Malheureusement pour le jeune archéologue, Jayce, comme à son habitude, s’était laissé emporter par l’alcool. Il était probablement égaré dans une autre dimension depuis déjà un bon bout de temps et son aide aurait été un fardeau plus qu’autre chose. Ned allait devoir se débrouiller tout seul et il n’avait guère d’autre choix que de suivre le gigantesque renard. Il l’avait vu en action, alors tenter de lui échapper n’était clairement pas une bonne option. Ned se dirigea vers la sortie, suivi de près par son « ami » du nom de Shoga qui ne le quittait pas des yeux un instant. Désormais, il lui fallait trouver une solution rapide et adéquate durant le laps de temps qu’il aurait jusqu’à la base de la marine. Premier élément en sa faveur, quitter la taverne l’éloignait des autres soldats présents sur place et réduisait considérablement les forces ennemies. Il était maintenant seul avec l’imposant renard.

Tandis qu’il arpentait les rues avec Shoga derrière lui, Ned se triturait les méninges pour parvenir à une solution infaillible. Première option : partir en courant, rejoindre sa petite embarcation au port et fuir par la mer. Non, le renard le rattraperait en une fraction de seconde. Deuxième option : crier et appeler à l’aide. Non, c’était lui le pirate et ce n’était pas digne d’un samouraï. Troisième option : sortir son sabre et lui trancher la tête en un éclair. Non, c’était lâche et le renard aurait largement le temps de réagir. Quatrième option : le supplier de le laisser partir. Evidemment, non. Cinquième option : se laisser embarquer jusqu’à la base de la marine. Encore moins.

Ned n’y arrivait pas. Malgré le travail acharné de ses neurones à l’élaboration d’un plan, chaque option lui paraissait insensée ou irréalisable. Il lui fallait utiliser le seul atout qu’il avait en sa possession : la sympathie qu’ils avaient l’un pour l’autre. Ned comprit que Shoga n’était pas un soldat partisan d’une justice impitoyable. Il aurait très bien pu faire confiance à ses collègues et neutraliser Ned pour éviter qu’il ne s’échappe ou ne prenne quelqu’un en otage. Mais nul doute que la discussion fort sympathique qu’ils venaient d’échanger avait jouée contre cette possibilité. Le pirate songea précisément à ce qu’ils avaient dit et se souvint que Shoga lui avait demandé s’il était épéiste et s’il maîtrisait le Nitōryū. Ce terme n’était pas anodin, peu de gens connaissaient l’art du sabre et encore moins ses déclinaisons. De plus, au vu de l’arme que possédait le renard, il était évident que Shoga était un sabreur. Ceux formés correctement à la maîtrise du katana n’étaient pas étrangers à certaines valeurs, mais surtout à une en particulier : l’honneur. Une idée fusa soudainement dans l’esprit de Ned qui s’arrêta dans sa marche.

« Ce serait fortement dommage que cette rencontre se termine de cette manière-là. Vous l’avez remarqué, nous sommes tous les deux des sabreurs. J’ai du respect pour vous, je sais que vous en avez aussi pour moi malgré ce que vous venez d’entendre me concernant. Si ça peut vous rassurer je n’ai pas attaqué le port. En revanche, je ne vous mentirai pas, je suis bel et bien un pirate. Alors, pour régler ce différend, voici ce que je vous propose mon cher Shoga : un affrontement en duel d’honneur. »

Shoga, de sa haute stature, se mit à observer le jeune homme. Perplexe, il hésita quelques secondes avant de formuler une réponse et d’acquiescer à sa proposition. Ned avait vu juste, le renard était un homme de principes, il ne pouvait se résigner à mettre sous les verrous quelqu’un qui lui paraissait sympathique sans même lui accorder le droit de se défendre. Cependant, il émit une seule condition : ce duel devait s’effectuer à l’abri des regards, ceci afin de s’éloigner de la foule qui pouvait être heurtée ou traumatisée. Le renard interpella un pêcheur et lui demanda de lui indiquer un lieu isolé. Ainsi, les deux futurs adversaires prirent la route en direction de la lisière de la forêt, à l’extérieur de la ville. A leur arrivée, ils découvrirent un lieu à l’atmosphère glauque, presque étouffante. La forêt était vide de vie humaine, on y trouvait uniquement d’immenses arbres fins qui recouvraient la zone. L’endroit était propice à un féroce affrontement.

Ned souffla un bon coup, son cœur commençait peu à peu à accélérer. Il dégaina. Shoga fit de même. Les deux hommes se placèrent à bonne distance l’un en face de l’autre et se jaugèrent d’un regard sérieux. La tension était palpable. Ils se saluèrent d’un mouvement de la tête et se mirent en garde.

Le renard fusa tel un éclair sur Ned. Dans la forêt lugubre, on entendit l’écho de l’acier qui s’entrechoqua. De ses deux sabres, le jeune pirate parvint à parer l’attaque féroce de son adversaire. Les deux hommes s’affrontèrent du regard, tandis que leurs lames se croisaient et qu’ils tentaient de prendre l’ascendant en se repoussant de toutes leurs forces. La puissance physique de Shoga était considérable et Ned parvenait péniblement à maintenir ce bras de fer au katana. D’autant plus que la douleur qu’il ressentait au niveau de la poitrine devenait de plus en plus vive. Effectivement, la première attaque du mink avait fait mouche. Le pirate avait été pris de court, non seulement Shoga possédait une grande force, mais son agilité était sans pareille. La vitesse à laquelle il avait bondi entre les arbres avait surpris Ned et il ne s’était certainement pas attendu à recevoir une attaque de griffes. Ce style de combat n’était pas évident à anticiper et l’assaut du mink avait frappé de plein fouet le sabreur. Sa tunique était désormais à moitié en lambeaux et son sang ruisselait hors d’une plaie qui traversait son torse.

« Je dois dire que je ne t’aurais jamais pensé si rapide, les minks sont de redoutables combattants. Mais ne crie pas victoire trop vite ! L’un de nous tombera à la fin de ce duel et je peux t’assurer que ce ne sera pas moi. »

En lançant son avertissement, Ned n’était en réalité pas bien confiant. Non seulement il était déjà blessé, mais il était dépassé par son adversaire en termes de force brute et d’agilité. Il fallait jouer son seul atout : son cerveau. L’heure était à la réflexion et à la concentration, maintenant qu’il avait entrevu le style de combat de Shoga, il devait redoubler de vigilance pour ne pas se laisser toucher et riposter au moment où il décèlerait une faille. Encore fallait-il en trouver une…

Ned décida de tester l’adresse du mink afin de déceler de potentielles erreurs qu’il pourrait exploiter. Le pirate s’extirpa de ce bras de fer de lames en effectuant un bond en arrière, puis il chargea à nouveau. Son objectif était simplement d’analyser Shoga avec pleine lucidité et non de le heurter. De ce fait, il devait s’économiser durant cette passe d’armes. Les coups fusèrent des deux côtés à une vitesse folle. Dans la pénombre, on ne distinguait plus que des étincelles causées par les éclairs d’acier qui se heurtaient sans relâche. Durant ce laps de temps, Ned réfléchit à un plan.

Tenter de frapper de toutes ses forces n’était pas une bonne solution, Shoga parerait le coup aisément, en profiterait pour contre attaquer à pleine vitesse et Ned assurerait ainsi sa défaite cuisante. Tenter de le dépasser par son agilité était également une option peu raisonnable. Malgré l’imposante stature du renard, essayer d’être plus rapide que lui lors d’une attaque était bien trop risqué, d’autant plus que sa plaie au torse ne l’aurait clairement pas aidée dans cette entreprise. Alors, il fallait ruser et se servir du maigre avantage qu’il venait de cerner : leur adresse au sabre était équivalente, cependant, Ned en avait un de plus. Bien qu’évident, cet élément pouvait faire la différence si le pirate l’exploitait correctement. Il fallait utiliser cette supériorité numérique pour tromper Shoga et le prendre par surprise.

Brusquement, Ned mit fin à cet échange bestial et se replia en effectuant une pirouette arrière. Il se remit d’aplomb, prit une grande inspiration et se concentra pleinement sur son action à venir. Il plaça ses deux lames devant lui à la verticale et se rua à toute vitesse sur son adversaire. Arrivé devant lui, il frappa brutalement, mais au dernier moment, la trajectoire d’un de ses sabres changea. Tandis que sa main gauche armée s’abattait à la verticale, son bras droit descendit à l’horizontale et il asséna un coup en direction des jambes du renard avec un seul objectif : briser définitivement son agilité.

La feinte du jeune Mayhem avait fait mouche et il s’en réjouissait. Désormais, les blessures étaient équivalentes des deux côtés. Cette lutte se jouait mentalement, celui qui céderait aux attaques de son adversaire signerait sa défaite et potentiellement, son arrêt de mort par la même occasion. Les deux hommes se jaugèrent de loin, armes en main. Leur détermination semblait sans faille.

« J’ai arboré le drapeau noir car je n’avais pas d’autre choix. J’ai été esclave, l’espoir de retrouver ma liberté durant cette période me maintenait en vie. Alors, j’ai dû m’extraire moi-même de mes chaînes, même si cela me conduisait à braver les lois. Aujourd’hui, je n’ai de compte à rendre à personne, plus aucun obstacle n’entravera mon corps et mon esprit. La voie que tu poursuis est noble, Shoga. Le cours de notre existence nous a simplement mené sur des chemins différents. Dans un autre monde, nous aurions été amis. Pardonne-moi, je vais maintenant devoir en finir avec toi. » répondit Ned avec pleine sincérité.

Soudain, Shoga se mit à bondir sur Ned pour l’attaquer. Il tournoyait à toute vitesse, si bien que le jeune homme n’arrivait pas à trouver une faille dans cet enchaînement. De plus, la douleur se faisait de plus en plus ressentir, de ce fait, il se contentait au mieux de parer les assauts de son adversaire pour éviter de se faire mortellement toucher. Puis tout se déroula en un éclair, Shoga changea subitement son fourreau de main et asséna un coup de griffes en direction de l’archéologue. Cette attaque l’avait déjà fait morfler une fois, cette fois-ci, il comptait bien ne pas se laisser avoir.

Ned saisit cette occasion pour contre-attaquer. Il esquiva la patte d’un mouvement de tête et se mit à croiser ses lames, les préparant ainsi à frapper brutalement son ennemi. Malheureusement, le jeune homme était tombé dans le piège. Il n’eut pas le temps de percevoir l’attaque qui venait à lui ni même de riposter à temps. Le fourreau de Shoga heurta Ned avec une violence inouïe. L’onde de choc et la brutalité du coup lui valurent de cracher une gerbe de sang et de manquer de perdre connaissance. Le renard termina son assaut en repoussant le jeune homme d’un coup de patte qui l’envoya valser à un mètre plus loin.

Ned s’effondra, il s’était fait prendre à son propre jeu. Il n’avait pas vu venir cette feinte et encore moins ce coup de fourreau. La puissance physique de Shoga dépassait largement la sienne, cette technique le lui avait rappelé. Il fallait aujourd’hui qu’il dépasse ses limites s’il espérait remporter ce duel.

« Bon, passons aux choses sérieuses. » s’exclama le jeune Mayhem, bien décidé à tout donner.

Ned se remit d’aplomb péniblement, en grognant de douleur. Les deux adversaires, placés l’un en face l’autre, se regardèrent à nouveau, comprenant tous les deux que l’issue du combat était proche. Ils étaient tous les deux en sueur et respiraient bruyamment. Ned avait un désavantage non négligeable : il était indéniablement plus blessé que Shoga. Toutefois, durant leurs multiples passes d’armes et assauts, il avait fait en sorte de s’économiser au maximum et de ne pas utiliser une seule technique énergivore. Il s’était douté que ce combat nécessiterait de la concentration et surtout beaucoup de vigueur. Quand bien même Ned était plus souffrant, Shoga quant à lui, paraissait probablement plus épuisé en raison des nombreuses techniques en stock qu’il avait utilisés.

Ned avait conservé une partie de son énergie en vu de cette attaque dévastatrice qui était sur le point de marquer un point de non-retour dans cet affrontement. Il inspira profondément, chassant le doute et la souffrance pour cet unique instant.

« Nitōryū… »

Son regard s’assombrit et ses muscles se contractèrent soudainement. Il comptait tout donner sur cette attaque, même si le résultat en était incertain. Dans la noirceur de la forêt, une ombre armée de deux lames tournoyantes déferla en un éclair sur le renard. Des tourments horrifiques s’apprêtaient à s’abattre sur Shoga.

« Osoroshī Kutsū !!! »

Il avait perdu. Gisant au sol, sur le dos, Ned peinait à respirer. Une profonde entaille s’étendait sur toute la longueur de son torse et du sang ruisselait abondamment de la plaie. Cette cicatrice allait rester, c’était une certitude. Son cœur battait avec vigueur, redoublant d’efforts pour l’arracher d’un sort funeste. Sa technique n’avait pas été suffisamment dévastatrice et il s’en voulait d’avoir fait preuve d’autant de faiblesse à l’instant même où il avait besoin de la plus grande force qui soit.

Shoga semblait mal en point, mais bien que lacéré à plusieurs endroits de son corps, il parvenait encore à se tenir debout. Sa résistance physique allait bien au-delà de celle du pirate, leur écart de niveau ne faisait plus de doute. Désormais, Ned considérait son sort comme scellé, il n’était plus en mesure d’échapper au renard, deux issues l’attendaient : la mort ou la prison. Il s’en voulait atrocement, le visage de sa mère lui traversa l’esprit. Il aurait souhaité la revoir, le dernier souvenir qu’il avait d’elle était une image glaçante où elle était enchaînée, maltraitée et prête à être vendue comme une vulgaire esclave. Sa faiblesse l’avait conduit une première fois à perdre son père devant ses yeux et aujourd’hui encore, sa faiblesse l’empêchait de poursuivre sa route et ses rêves librement. Il pensa également à Jayce, à qui il aurait aimé faire ses adieux. Les yeux humides et les dents serrées, la culpabilité le rongeait durant ce qu’il croyait être ses derniers instants. Il entendit les pas du renard se rapprocher et les cliquetis des menottes qui se balançaient aux mains du mink. Mais alors que sa liberté lui échappait inexorablement, Shoga semblait hésitant. L’imposant renard se mit à plisser les yeux puis à en fermer un, simulant un aveuglement causé par les rayons du soleil. Pourtant, dans la forêt, il n’y avait pas une seule lueur, seulement de la pénombre qui régnait tout autour des deux adversaires.

Malgré la souffrance physique et mentale qui le traversait, Ned ne put s’empêcher de lâcher un rictus devant ce qui était, de toute évidence, un mensonge grotesque. Il venait de comprendre que Shoga s’était finalement ravisé et qu’il ne comptait pas l’exécuter ou le capturer. Malgré le devoir de soldat qui l’incombait, ce duel avait dépassé ses obligations législatives. Shoga était un homme d’honneur, Ned l’avait bien compris.

Le renard lui offrit une opportunité en or qu’il devait saisir sans hésitation. Dans un quasi râle d’agonie, Ned usa de ses dernières forces pour se relever. Cette entreprise fut particulièrement difficile mais son instinct de survie était suffisamment coriace pour lui permettre de se redresser. Le sang s’échappait continuellement de son torse, il lui fallait recevoir des soins au plus vite. Debout, une main sur ses plaies, il tituba un moment à cause de la douleur qui l’assaillait sans relâche.

« C’était un beau duel, j’espère que nous nous reverrons. »

Sur ces derniers mots, il fit volte-face et s’éloigna lentement, prenant appui sur les arbres qui l’entouraient afin de ne pas perdre l’équilibre. Il manquait terriblement de lucidité, il avançait sans direction, ne se souvenant plus quel était le chemin qu’ils avaient emprunté quelques minutes plus tôt. Cette souffrance perpétuelle se mêlait au mal-être qu’il ressentait. Il se sentait lâche. Lâche de fuir après une défaite cuisante.

Son orgueil lui répétait inlassablement qu’il était couard, mais c’était mal comprendre cette chance que Shoga lui offrait. Il avait l’opportunité de poursuivre sa route et de progresser, de revenir plus fort et plus accompli, pour un jour peut-être réitérer cet affrontement. Finalement, Ned compris que s’il survivait à ce duel, cette défaite deviendrait l’une de ses plus grandes leçons. S’entraîner, évoluer, repousser ses limites. Il ferait de ces mots ses principes directeurs. Le monde regorgeait d’adversaires puissants qui, envers lui, feraient preuve de moins de clémence que Shoga. S’il comptait se hisser au sommet de la piraterie, il n’avait qu’une seule option : devenir plus fort.

Alors qu’il comprenait qu’il devait impérativement progresser, il s’effondra subitement à l’orée de la forêt. La douleur était bien trop vive. Sa respiration devenait plus en plus saccadée et il sentait sa conscience s’éloigner. Il tira péniblement son escargophone de sa poche et contacta Jayce, espérant que celui-ci avait trouvé la raison. Dans un discours bref, il lui indiqua sa position et lui somma de venir au plus vite.

Aujourd’hui, il n’allait pas mourir. La mer l’attendait et il comptait bien poursuivre sa route. Cette future cicatrice qui traverserait son torse lui rappellerait ce duel, mais surtout les enseignements qu’il venait d’en tirer. Alors, il ne lui restait plus qu’une chose à faire : avancer.