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Qu'est-ce que c'est que ce cirque ?

Ghislain Tarre arpentait les rues du Port de Norland. C’était un homme d’une bonne cinquantaine d’années, à l’embonpoint avancé et qui traînait une patte gauche à son côté droit. Un déséquilibre causé plusieurs années auparavant dans un accident de canasson que la douleur persistante continuait sans cesse de lui rappeler. Il ne lui restait que quelques touffes de ses cheveux filasses et grisonnants qu'il rabattait sur le haut de son crâne pour en cacher la calvitie, du moins le croyait-il. Quant à se tenue – si elle avait pu être sophistiquée à une époque – l’usure et la poussière ainsi que les divers raccommodages qui y avaient été effectués le présentaient au tout venant comme un vulgaire vagabond, un besogneux ; un de ces sales transporteurs de microbes dont on ne veut pas chez soi.

Ce n’était pas exactement ce qu’était Ghislain Tarre. Ah il n’était pas riche ça non et il n’avait certes pas de foyer – pas de foyer fixe en tout cas – mais il n’était ni besogneux ni sans le sou ; c’était un artiste. L’heureux propriétaire du cirque Tarre – qui traversait les quatre mers pour amener joie et bonheur dans tous les cœurs – préférait investir dans la réussite de ses spectacles plutôt que dans sa propre apparence. S’il avait été autrefois vaniteux – comme tout artiste qui se respecte me direz-vous – cet homme simple ne vivait plus que pour l’amour de son art qu’il pratiquait, somme toute, fort correctement.

Quoi qu’il en soit Ghislain Tarre marchait – boitillait nous l’avons dit – sur le port de Norland à la recherche d’une vieille taverne dirigée par un homme tout aussi vieux et bedonnant que lui et qui était située, si ses souvenirs ne le trompaient pas, un peu plus loin sur la gauche. La bâtisse était branlante, mal indiquée et pas bien propre et n’accueillait encore des clients que parce qu’on y pratiquait des prix somme toute très abordables et qu’il est bien connu qu’une bière, même très mauvaise, quand elle ne coûte quasiment rien trouve toujours son public. Et comme un public ça se fidélise et que le vieux Tom, installé ici depuis longtemps, avait eu le temps de fidéliser…

« Dites moi pas qu’c’est pas vrai !
-T’en crois pas tes mirettes vieille branche, hein ?
-Combien de temps qu’on t’avions pas vu en ville ? Viens ici que je t’embrasse.
-Eh ben – smoutch – je dirais – smoutch – que ça doit faire…
-Chez nous c’est quatre
-Ah oui, c’est vrai… – smoutch – bien quatre ans – smoutch.
-Et bah mon gars, si qu’on m’avions dit qu’aujourd’hui… T’es venu r’planter ton chapiteau dans not’ contrée l’vieux Ghi’ ? Ell’nous manque ta bicoque gredin. Les circassiens de Taraluvneel sont trop loin pour nouz’autres, pis t’façon c’est pas pareil, y manque la patte Tarre, ce petit truc qui t’fait décoller t’ton siège.
-C’est gentil Tom, mais on devrait pas rester bien longtemps. On a des dates de prévues un peu partout sur les Blues, les gars ont accepté de faire un détour par ici parce que je leur ai demandé, mais j’peux pas abuser, faut pas qu’on se mette en retard. Nan, si je suis ici c’est parce que j’ai quelque-chose à te demander.
-Ah j’me disions bien…
-J’suis désolé Tom, mais Luvneel, c’est pas rentable pour nous, y a trop de concurrence, on se fait bouffer par la jeune génération.
-Oublie vieux, c’est pas d’ta faute, j’le savions ben. J’espérions parce que je l’apprécions ton pestac’. Prends donc une tite bière, c’est cadeau, et tu vas m’raconter un peu c’que j’pouvions faire pour toi. »

Autour d’eux les quelques clients déjà présents à cette heure assez matinale les avaient regardé d’un œil fatigué et vitreux avant de replonger, avec une envie toujours plus grande d’oublier leur misère, dans les profondeurs de leur alcoolisme. Ghislain Tarre avait une profonde empathie pour ces types avec lesquels il avait sans doute déjà partagé quelques verres à l’époque où il donnait encore des shows tous les soirs au même endroit ; à seulement quelques kilomètres du Port de Norland, dans son chapiteau en dur qu’il avait mis des années à bâtir. Quel déchirement ça avait été de quitter l’endroit pour commencer une vie d’itinérance. Mais son activité n’était plus pérenne et la nouvelle lui permettait au moins de payer ses artistes et de manger à sa faim.

« J’te trouve ben songeur l’vieux Ghi’… Qu’est-ce donc qu’à quoi qu’tu penses ? Relança Tom en déposant avec un bruit sec un boc’ de bière sur la table qu’avait choisie Tarre.
-Rien de bien méchant, un soupçon de nostalgie.
-Alors, si tu m’disions ce qu’t’es venu m’dire.
-Ça risque de faire un peu long, mais j’vais quand même t’expliquer. Y a quelques semaines, alors que j’en étais bien à la moitié de ma tournée sur North Blue, je m’arrête à Inu Town, p’tite île connue surtout pour ses thermes, mais tu dois avoir entendu parler.
-Ça pour sûr, la bobonne m’a bassiné des années pour que j’ly emmènois faire un tour sur une fin de s’maine. Tout ça pour un bain d’eau chaude. Nan, mais les bonnes femmes…
-Donc je fais escale là-bas, on décharge le bateau, on monte les tentes et voilà une jeune femme et sa môme qui viennent m’aborder. Comme d’habitude dans ces cas-là, je leur dis que les places seront à vendre juste avant le spectacle, et tout le blabla qui va avec, un truc pour éviter que le tout venant vienne nous déranger pendant le montage…
-J’faisions la même chose avec les clients qui consomment pas.
-Eh bah la nana me dit qu’elle cherche plutôt à nous accompagner et qu’elle travaillera dur, qu’elle fera ce qu’on voudra, mais qu’il lui faut de l’argent pour nourrir sa môme et tout. »

Le vieux Tom écoutait avec attention le récit de son vieil ami mais ne voyait toujours pas où il voulait en venir. Ni ce qu’il pourrait bien faire pour lui rendre service. La jeune femme était dans le besoin et après ? Il avait été touché par sa misère et après ? Qu’est-ce qu’il y pouvait, lui, Tom, depuis son petit bouge cradingue ? Et le circassien qui en rajoutait sur son impossibilité de la garder éternellement avec lui parce qu’elle ne lui rapportait pas plus que ce qu’il gagnait avant et que deux bouches à nourrir ce n’est pas rien. Ah il savait y faire le Tarre ; sacré verbe, sacrées envolées lyriques et une larmiche allait forcément finir par couler sur la joue du vieux Tom. C’était ce moment que l’homme de spectacle attendait. Le moment où il pourrait jouer du fouet et dompter son fauve.

« C’est trop triste ton histoire, l’vieux Ghi’ ! J’avions les yeux qui en couleraient presque si cette bicoque poussiéreuse m’avait pas desséché les mirettes. Mais j’voyons pas bien ce que j’viendrons faire là-d’dans. Qu’est-ce qui leur est arrivé à la chtiote et sa môme ?
-Elles sont au navire, probablement en train de rire avec l’équipage. Mais ce soir je lui trouve une chambre, prétextant agir pour son confort. Et on met les voiles pendant la nuit.
-C’t’horrible ! T’viens m’raconter tout’cette histoire pour finalement abandonner un’ gosse et sa môme encore plus gosse !
-J’viens te demander de veiller sur elles. Possiblement de trouver un petit boulot à la jeune maman, qu’elle puisse survivre.
-Bobonne va pas voir d’un bon œil que j’m’occupions d’une jeunette… Pourquoi tu m’fais ça l’vieux Ghi’, tu m’déchires le cœur...
-À ton avis pourquoi je ne suis pas venu directement avec elles ici?
-Et comment qu’elle s’appelle ta jeunette ? Attention, j’te promettions rien. Juste de faire mon possible. Tant que j’avions pas bobonne sur le dos...
-Merci, merci beaucoup. Elle s’appelle Elie Jorgensen, et je l’installe dans une des chambres du Moustique Hôtel, j’ai filé une pièce au groom pour qu’il t’indique la chambre.
-Très bien, mais sâche que c’est la dernière fois que j’te rendions service. Qu’il essaie de d’mander encore quek’chose et il peut s’gratter l’vieux Ghi’ Tarre... »


Dernière édition par Elie Jorgensen le Ven 20 Nov 2020 - 10:42, édité 1 fois
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« Chloé ?
-Oui maman ?
-Viens te débarbouiller, tu as la frimousse pleine de chocolat.
-Même pas vrai.
-Allez, ne fais pas l’idiote, et après on fera un tour au port pour dire au revoir à l’oncle Ghislain.
-Ghislain le vilain !
-Voyons Chloé, je t’ai déjà dit de ne pas dire ça de lui.
-Et pourquoi qu’on lui dirait au revoir ?
-Il va repartir sans nous, et c’est important de se dire au revoir, tu ne crois pas ? »

La petite bouille joufflue aux cheveux blonds approcha de sa mère les yeux bleus plein de questions, du chocolat jusque sur le bout du nez. Elle ne comprenait pas pourquoi le vieil oncle Ghislain les laissait déjà tomber. Même s’il lui faisait un peu peur il était quand même rigolo et surtout, Chloé adorait voir les jongleurs et les acrobates effectuer leurs tours. Ceux qu’elle préférait bien entendu c’étaient les clowns. Ils avaient tendance à trébucher et se casser la figure sur le sol dès qu’ils passaient à côté d’elle. Ce qui provoquait alors de sa part un éclat de rire cristallin. Quitter Manshon avait été une véritable libération pour elle ; alors qu’elle vivait cachée dans la demeure de l’alias de sa mère, Katrina Demetov, elle découvrait maintenant la vie au grand air, et les joies de croiser plein de personnes différentes. Et bien qu’elles n’aient rencontré les circassiens que très récemment Chloé avait décidé que, désormais, ils faisaient partie de sa famille.

« Je sais bien que tu es déçue ma puce. Mais tu comprends Oncle Ghislain n’a pas suffisamment d’argent pour nous nourrir.
-Il a qu’à avoir plus d’argent !
-Ça ne marche pas comme ça ma chérie.
-Et toi pourquoi t’as pas d’argent ?
-Il faut en gagner pour ça. Et bientôt j’en aurai ne t’en fais pas. Trouver du travail sur Luvneel ne devrait pas être trop difficile. L’endroit est prospère et je devrais pouvoir me faire embaucher comme chanteuse dans quelque boui-boui. Avec un peu de chance je pourrais même dérocher un petit rôle.
-Un quoi ?
-On en a déjà parlé tu le sais. Maman est comédienne ; mon travail c’est de jouer différents rôles. Les gens viennent voir les pièces dans lesquelles je joue et payent pour ça.
-Ah oui ! Le rôle c’est comme quand tu me disais que tu étais Katrina mais en fait c’était pas vrai, c’était juste pour faire croire aux autres.
-Si on veut. Mais ce genre de rôle est un petit peu trop dangereux. Bon maintenant que tu as la bouille toute proprette on va pouvoir y aller. On fait la course jusqu’à l’entrée de l’Hôtel ? »

La fillette écarquilla les yeux de plaisir à l’annonce du jeu proposé par sa mère. Ni une ni deux elle fonça vers la porte de la chambre en criant non sans avoir lancé un dernier regard de défi à sa mère. Elie se jeta sur ses talons. Elle la rattrapa tout juste avant que celle-ci n’atteigne les escaliers et la prit dans ses bras avant de descendre doucement les marches sans sembler tenir compte des protestations et des accusations de tricherie de la blondinette. Elle salua le groom du Moustique Hôtel – un jeune rouquin débrouillard qui avait monté sa malle jusqu’à la chambre un peu plus tôt dans la journée. Celui-ci plaisanta à propos du sac à patates bien agité sur l’épaule de la jeune comédienne aux cheveux bruns.

« C’est qui s’pourri ? Maman il se moque !
-Mais non ma chérie il plaisante. Allez je te repose, j’ai gagné.
-T’as triché.
-Je sais bien que tu cours plus vite que moi, comment je gagne si je triche pas un peu ? »

La fillette quitta bien vite sa bouderie, jugeant que l’aveu de tricherie de sa mère sonnait un peu comme une victoire. Et comme un papillon lui passait devant le nez, elle le suivit en riant. Elie la regarda en souriant. Elle n’aurait jamais pensé qu’être mère la ravirait autant. L’angoisse de perdre sa fille l’avait peu à peu quittée depuis qu’elle s’était enfuie de Manshon aidée par ce soldat, même si elle restait toujours très attentive à ne pas quitter la petite Chloé des yeux.

Le chemin jusqu’au port n’était pas très long et Elie espérait que le cirque ne fut pas déjà loin. Elle n’en voulait pas à Ghislain ; l’accepter pendant quelques semaines était déjà très généreux de sa part et elle comprenait qu’il soit gêné de le lui dire. Elle allait lui ôter une épine du pied. En arrivant sur le quai la comédienne fut ravie de voir que le pavillon à bandes oranges et rouge du navire du vieux Tarre était toujours là. Chloé le remarqua également très rapidement et se retourna vers sa mère pour lui demander l’autorisation de courir rejoindre son bord. Plutôt que de lui répondre celle-ci s’élança dans sa direction en riant, poursuivie bien vite par la gamine.

Seuls deux acrobates étaient présents sur le pont. Chloé fila les voir et ceux-ci la prirent dans leurs bras en la faisant voltiger en l’air. Elie, estimant qu’elle était entre de bonnes mains, les salua et rentra dans la cabine du vieux Ghislain Tarre qui sursauta en la voyant rentrer.

« Ah, euh, Elie, quel plaisir de te voir… Baragouina t'il gêné. Tu es bien installée ?
-Je te remercie, j’ai tout ce qu’il faut. Nous sommes venues dire au revoir Chloé et moi.
-Ah ? Au revoir ? Vous nous quittez ?
-Ne fais pas l’innocent, vous vous apprêtiez à nous laisser là. Et je le comprends tout à fait. Tu ne peux te permettre de garder deux poids avec toi, surtout que nous ne rapportons pas vraiment d’argent.
-Je… Désolé. Je ne savais pas comment…
-Tu n’as pas à t’excuser. Je suis une grande fille. Mais je tenais quand même à venir te remercier pour tout ce que tu as fait pour nous. Je te souhaite un bon courage, que ton cirque continue de tourner. C’est important de divertir les braves gens.
-Merci Elie. Tu es sans doute, à ton âge, bien plus sage que je ne le suis au mien. J’ai demandé à un de mes amis, un patron de bar de Luvneel du nom de Tom, de veiller sur toi et de t’aider à trouver du travail.
-C’est très gentil de ta part. J’ai aussi quelques vieilles connaissances dans le coin. Ne t’inquiètes pas, je m’en sortirai.
-Très bien. Je vais réunir la troupe sur le pont pour que tout le monde vous dise au revoir.
-Ce n’est pas la peine, ils ont sûrement mieux à faire.
-J’insiste, j’insiste. »

Le vieux boiteux se leva de sa chaise et sortit sur le pont aussi vite que lui permettait sa jambe folle. À peine Elie avait-elle franchi elle-même la porte de la cabine qu’il faisait tinter la cloche située juste à droite, et dont le signal ne signifiait qu’une seule chose pour tous les gens du cirque ; rassemblement.

Chloé se précipita dans les bras de sa mère, sachant pertinemment ce que la cloche signifiait. Tout le monde allait arriver et, si elle était très à l’aise en présence des gens du cirque, elle aimait le côté rassurant des bras de sa mère quand il s’agissait de tous les voir en même temps. En quelques minutes la totalité de l’équipage avait débarqué et le vieux Ghislain Tarre, un peu remis d’aplomb par le discours rassurant de la Jorgensen, se lança dans une des émouvante tirade dont il avait le secret et qui se termina par une salve d’applaudissements de tout le monde et un salut poli et joyeux de la comédienne, rapidement imitée par sa fille. Elles pouvaient désormais tourner la page de cette aventure circassienne.


Dernière édition par Elie Jorgensen le Ven 20 Nov 2020 - 10:53, édité 1 fois
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La nuit avait passé dans l’hôtel le Moustique. Chloé n’avait pas fait de cauchemar cette fois et ça rassura Elie. La petite avait régulièrement des frayeurs nocturnes depuis qu’elles avaient pris la mer. Elle supportait sans doute mal tangage et roulis. Enfin elle s’était tout de même réveillée aux aurores et avait sortie sa mère d’un sommeil plus que réparateur. Une grosse journée l’attendait. Elle avait récupéré l’adresse du bar de l’ami de Ghislain et comptait s’y rendre dans la matinée. Elle devait se mettre rapidement au travail. Bien que l’Hôtel lui eut été payé pour la semaine, il lui fallait gagner de l’argent au plus vite afin de pouvoir continuer à l’habiter par la suite.

Elie avala un bon petit déjeuner, regarda Chloé se remplir l’estomac de céréales au chocolat, lui débarbouilla la figure et la fit remonter dans la chambre afin de prendre une douche rapide et d’habiller la demoiselle. Le choix du jour fut une jolie petite salopette en coton qu’elle lui avait achetée dans un magasin d’Inu Town. Elle trouvait que ça donnait à sa fille un air tellement adorable qu’elle ne pouvait s’empêcher d’en acheter régulièrement. Bien entendu elle passait son temps à rapiécer l’ensemble, de sorte que l’habit finissait inévitablement par ne plus du tout ressembler à l’original. Celle-ci avait hérité de jolies fleurs rouges et jaunes pour masquer un trou au niveau du genou et d’un motif à cœurs afin de dissimuler l’usure faite sur le devant de l’habit. Notre interprète opta pour une robe légère mais pas trop, qui alliait un beau bleu outremer et un joli cyan. La tenue était réfléchie. Il s’agissait de paraître jolie mais pas provocante aux yeux du barman.

« On y va ma belle ?
-On va où ?
-Je t’ai déjà dit hier, on va voir un ami du vieux Ghi’ pour qu’il puisse donner du travail à maman.
-Ah ouais c’est vrai. Moi j’comprends pas pourquoi tu veux du travail, moi j’préfère jouer.
-Parce que si je ne trouve pas de travail on va se retrouver bien vite à la rue.
-On irait dormir à la belle étoile ? Trop bien !
-Tu n’as jamais dormi à la belle étoile pour dire ça ma puce. »

La jeune femme aux cheveux châtains poussa la fillette vers la porte de la chambre, passa le pas de celle-ci à sa suite et ferma à clefs derrière elle. En descendant elle remarqua que le jeune groom la regardait passer avec un certain intérêt. Elle fit comme si elle ne l’avait pas remarqué et sortit. Elie avait presque oublié le regard que pouvaient lui lancer certains hommes. Dans sa semi-captivité sur Manshon son rôle de mafieuse l’avait mise à l’abri des regards langoureux. En tout cas c’est ce qu’elle pensait. À moins qu’elle fut trop préoccupée par l’enjeu pour les remarquer. Et, depuis qu’elle s’en était enfuie, elle n’avait pas rencontré suffisamment de monde pour qu’elle le remarquât. Mais maintenant qu’elle était revenue dans un endroit où il y avait foule… Le portier n’était pas particulièrement déplaisant – quoiqu’un peu jeune pour elle ; quant il ne devait pas avoir plus de dix-sept ans, Elie était passée dans sa vingt-deuxième année – mais elle ne supportait pas qu’on la prenne pour un bout de viande. Si elle appréciait entourlouper les gens par la qualité de son jeu, elle ne désirait en aucun cas que ce soit par ses seuls attributs féminins qu’on la juge. Aussi s’efforçait-elle toujours d’être meilleure actrice que ce qu’on lui demandait. Le regard du rouquin sur elle la décida à lui jouer un tour en revenant.

« MAMAN, TU M’ÉCOUTES !
-Pardon ma chérie, j’étais perdue dans mes pensées. Tu me disais ?
-Qu’est-ce que je vais faire moi pendant que tu travailleras ?
-Eh bien, tu vas… Il faudra bien que tu finisses par aller à l’école un jour. Mais pour le moment, je crois que je vais devoir te garder un peu avec moi.
-À l’école ? C’est quoi ça ?
-Un endroit avec plein d’enfants de ton âge où on apprend plein de choses.
-Ça a l’air ennuyeux.
-Ça l’est parfois. Et parfois c’est passionnant. Enfin bon, en attendant je crois que nous y sommes. »

En effet la taverne qu’avait visitée la veille Ghislain Tarre était désormais devant elles. Une grimace se dessina sur le visage de la gamine qui adressa son dégoût à sa mère par un grand « beurk » sonore. Mais la Jorgensen avait connu pire et s’était sortie de situations bien plus embêtantes que celle de survivre à un boui-boui sordide. Elle adressa donc un sourire de confiance à la petite avant de franchir le seuil de la bâtisse. Ce qu’elle vit à l’intérieur ne l’étonna pas. Ce genre d’établissement accueillait dès potron-minet quelques uns des plus fameux poivrots de l’univers et la comédienne nota avec un certain amusement que l’un d’entre eux dormait déjà, la tête enfouie entre ses bras croisés en butée contre deux pintes bien vides.

Comme on tardait à venir l’accueillir Elie toussa un petit coup. Le patron sortit la tête de son journal – édition quotidienne du Courrier du North – et leva un sourcil interrogateur à l’intention de la brunette en robe qui venait le déranger. Il ne fit pas immédiatement le lien avec la venue de son vieil ami la veille et glissa furtivement un regard en direction de la cuisine où sa femme commençait à préparer le repas pour le service du midi. Trop occupée pour remarquer les nouvelles arrivantes, celle-ci chantonnait – d’une voix pas tout à fait juste – une fredaine bien connue par les habitants du coin. Vu la distance une conversation devrait être possible sans attirer son attention.

« Eh l’b’jour ma tit’ dame, qu’est-ce c’est-ti qu’ça vient faire par ici ? J’étions pas habitué à voir des jolis minois comme l’votre. Oh, et qu’est-ce c’est-ti que c’bout d’chou qu’vous trimballez ? Te cache pas l’gamine, j’allions pas t’manger. J’pouvions vous renseigner ?
-C’est à dire que… Je cherche un certain Tom.
-C’est possib’ que vous ayez sonné à l’bonne adresse dans c’cas. J’suis Tom. En tout cas si c’est ben moi qu’vous cherchez. Vous m’cherchez pour quoi ?
-Je viens ici de la part de monsieur Ghislain Tarre…
-Ah mais ! J’soyons bête ! C’est quc’est bien sûr ! Vous d’vez êt’la dame dont m’a parlé l’vieux Ghi’, comment j’avions pas fait l’rapprochement. Mais j’devions v’nir vous voir directement à l’hôtel…
-J’ai préféré me déplacer. C’est moi qui cherche du travail, il m’a paru plus naturel de venir me présenter. Elie Jorgensen donc, et je vous présente Chloé monsieur Tom.
-Bah ravi mais j’suis un brin embêté pacque la bobonne elle est jalouse et si j’lui demandions direct de vous accepter, ça m’a tout l’air d’êt’cuit.
-Laissez-moi faire dites. Appelez-là je vais lui parler.
-Vous êtes sûre ? Ça m’embèterions qu’vous soyez dans la panade à cause que ma femme elle est jalouse.
-Sûre et certaine. Appelez-là juste et je me charge du reste.
-Comme vous voudrez. BOBONNE !
-QUOI ENCORE ? FAUT TOUJOURS QUE TU VIENNES M’EMMERDER L’VIEUX TOM. JE PLUCHE LES POMMES DE TERRE.
-RABOULE ICI, FAIS C’QUE JE TE DISIONS ! »

D’une porte en fond de salle sortit alors une femme replète qui devait avoir dépassé la cinquantaine, comme son mari, et qui semblait n’avoir pas apprécié le ton sur lequel on lui parlait. Tout en essuyant les mains sur un tablier qui avait dû être blanc un jour, elle planta ses deux jambes dans le sol et ses deux yeux dans ceux de son homme avant de remarquer la présence de la jeune femme à la robe bleue.

« Qui c’est celle-là ?
-Elle veut t’parler bobonne.
-Qu’est-ce qu’elle me veut la pin-up ? Elle sait pas que c’est pas un établissements pour les mômes.
-Désolée de vous importuner madame. Je viens d’arriver en ville avec ma fille et je suis un peu désespérée. J’ai mis ma plus belle robe pour faire bonne impression mais à dire vrai je n’ai pas vraiment d’argent. Je fais le tour des établissements du coin pour proposer mes services. Je peux chanter, jouer la comédie et amuser votre clientèle. Je pense également pouvoir me débrouiller avec une éponge et m’occuper de la vaisselle. Je disais ça à votre mari mais, comme tous les aubergistes que j’ai démarchés ici, il a refusé tout net. Je vous ai entendue chanter et je me suis dit que peut-être une femme pourrait se trouver plus sensible à ma cause, qui plus est quand celle-ci aime la bonne musique. Je vous en prie, je dois nourrir ma fille et je suis un peu désespérée.
-Et toi tu laisses cette pauvre petite crever de faim avec sa môme ? Nan mais j’te jure…
-Mais… J’avions… Je... »

Voyant l’vieux Tom bredouillant et rougissant après cette histoire un peu éloignée de la vérité, la menteuse lui adressa un clin d’œil et suivit la femme dans la cuisine pour lui expliquer toute son histoire. En voilà une qui était désormais dans sa poche. Chloé, dont la main tenait toujours celle de sa mère, suivit celle-ci en regardant avec intérêt tout ce qu’il y avait autour d’elle. C’était la première fois qu’elle rentrait dans un bar et tout cela était follement intriguant.


Dernière édition par Elie Jorgensen le Sam 5 Déc 2020 - 8:59, édité 2 fois
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Elie était ravie. Sa petite démonstration de chant avait bien plu à madame Bertille – puisque tel était son véritable prénom – et celle-ci l’avait engagée à l’essai pour une semaine. Elle n’était pas rémunérée beaucoup mais cela suffirait à payer la chambre pour le moment. Pour les repas, elle et Chloé les prendraient au bar. En plus madame Bertille lui avait promis de revoir à la hausse les cachets de l’actrice si la présence de celle-ci attirait un peu plus de monde qu’à l’accoutumée. Sans prétention particulière, Elie n’en doutait pas. Elle était très au courant de ses qualités, et n’avait aucune honte à les mettre en avant.

En attendant que vienne le soir et sa première représentation la jeune femme avait embarqué sa fille dans les rues de la petite ville. Le Port de Luvneel n’était pas le plus bel endroit qu’elle avait visité, mais il lui plaisait de faire découvrir le monde à la petite qui jusqu’alors n’avait que très peu côtoyé les larges artères remplies de monde. Elles déjeunèrent à une terrasse de café avant de parcourir ruelles et routes pavées à la recherche de nouveautés. À une boutique, la comédienne acheta deux pommes d’amour et la fillette décida aussitôt la sienne engloutie que c’était désormais la meilleure chose qu’elle avait mangé de sa vie. L’enthousiasme et la joie dont Chloé faisait preuve émerveillaient sa mère. Elle avait oublié à quel point le regard neuf sur le monde qu’avaient encore les enfants de cet âge redonnait des couleurs plus vives aux petits riens ternis par la force de l’habitude.

C’est en sortant d’un magasin de vêtements où elle avait dégotté une énième jolie petite tenue à la petite blonde que l’actrice repéra pour la première fois un homme tout habillé de noir qui la fixait étrangement. Il détournait le regard à chaque fois qu’Elie regardait dans sa direction mais elle le trouvait trop peu discret pour ne pas être sûre qu’il la regardait bien elle. Dans un premier temps elle prit la chose comme elle avait pris les regards appuyés du jeune groom ; avec mépris mais sans peur particulière. Depuis Manshon elle ne se laissait pas envahir par la peur si facilement. Mais en revoyant l’homme en question à plusieurs moments de son après-midi elle comprit qu’elle était suivie. Son premier instinct fut de rentrer à l’hôtel mais elle se ravisa bien vite. Il ne fallait pas mener ce potentiel agresseur jusqu’à l’endroit où elle vivait. Ne restait qu’un autre lieu où se réfugier ; le bar du vieux Tom.

« Chloé, je dois aller me préparer pour ce soir.
-Maintenant ? Mais tu m’avais dit qu’on irait voir s’il n’y avait pas un parc ! J’en ai jamais vu !
-Désolée ma biche un autre jour. Je viens de me rappeler qu’il faut que je m’échauffe un peu la voix.
-Tu peux t’échauffer en marchant, comme ça tu fais deux pierres de cou.
-Ça me ferait un joli collier dis donc. Non vraiment il faut y aller, ne t’inquiètes pas, on aura tout le temps de visiter des parcs plus tard.
-Pfff toujours plus tard. Je peux ravoir une pomme de l’amour alors ?
-Ça fait beaucoup dis donc. Gourmande va ! On verra si le vieux Tom n’a pas un bout de tarte pour toi. »

La petite parut moyennement convaincue par cet ersatz de sucrerie qu’on lui promettait et suivit sa mère en traînant des pieds. C’était toujours pareil ; toujours elle qui se faisait avoir. Elle verra bien sa mère, comment ça se passera quand elle même serait maman et que sa mère prendrait – par conséquent – sa place de petite fille. Elle se souviendrait de ce jour-là alors.

La comédienne ne se préoccupa pas plus de la frustration de sa fille. Il était plus important de déguerpir d’ici et – agrippant la main potelée de la gamine – elle prit la direction de la taverne à une allure vive mais encore suffisamment mesurée pour que les petites jambes suivent. En plus de ça elle ne voulait pas paraître pressée. Elle s’imaginait déjà avoir été retrouvée par l’agent du Cipher Pol auquel elle avait été subtilisée par ce lieutenant de la Marine ou pire, par l’une des familles mafieuses de Manshon. Dans les deux cas, elle se retrouvait encore fourrée dans un pétrin pas possible.

La vue du vieux Tom qui fumait un cigare devant son établissement la rasséréna. Elle n’osait se confier à lui – comment justifier tout ça ? – mais l’intérieur du bar lui paraissait alors l’endroit le plus sûr pour elle ; au milieu de personnes auxquelles elle pouvait accorder un tant soi peu de confiance.

« J’vous attendions pas d’sitôt ma p’tite dame.
-C’est que j’ai besoin d’un grand temps de préparation. Je serai plus à l’aise.
-Ça pue ce truc, berk !
-C’t’un Cigare, bichonnette, ça m’soulagions m’n’estomac.
-Berk, berk, berk. J’aime pas les médicaments.
-Hahaha, t’étions bien mignonne, la gamine.
-Pas toi, mais c’est pas grave, j’t’aime bien quand même.
-Voyons Chloé !
-Pas d’mal ! C’est vrai qu’j’avions la galoche de travers.
-Allez on y va. À tout à l’heure vieux Tom. »

Le reste de l’après-midi se déroula sans accrocs. Chloé accompagna sa mère dans ses vocalises après avoir avalé deux bonnes parts de tarte aux abricots et les rares fois où Elie sortit jeter un coup d’œil dans la rue, elle ne vit pas trace de cet homme vêtu de noir ni d’une quelconque autre personne semblant lorgner dans sa direction. Elle en fut vivement soulagée et elle aborda donc sa représentation – la première depuis plusieurs années – avec sérénité. Un dernier baiser sur la joue de sa fille avant de la confier à madame Bertille et elle fila sur scène.

Il y avait peu de monde lorsqu’elle commença sa première chanson : une demi-douzaine de personnes comptées sans les quelques soûlards avachis sur leurs chaises et dont l’œil vitreux reflétait leur manque d’attention au spectacle. Le reste était probablement des amis des propriétaires ou quelques passants ayant remarqués le panonceau accroché à la va-vite sur la devanture de l’établissement. Cela n’affecta pas fort la demoiselle. D’abord le petit spectacle n’était prévu que depuis le matin même, ensuite le bouge n’était pas très réputé. Peut-être que l’écho de cette première rameuterait d’autres têtes le lendemain ? Seul l’avenir le dirait.

Même avec un si pauvre public la sensation de la scène lui revint tout entière et, grisée, la Jorgensen s’abandonna à sa chanson. A Cappella rien ne portait la musique si ce n’était sa voix et le claquement régulier de ses doigts pour marquer le rythme. Elle savait qu’elle n’avait pas un timbre suffisamment spécial pour captiver son audience rien que par celui-ci alors elle misait sur l’interprétation. Visiblement cela prenait ; son public était avec elle. À la fin de la première chanson elle comptait déjà deux ou trois curieux supplémentaires et après quelques unes de plus son auditoire avait presque triplé. Il faut dire qu’elle se démenait, faisait le spectacle, aguichait les uns pour les repousser par la suite, interpellait les autres, faisait des pauses brusques, reprenait de plus belle, montait sur les tables pour finir sur le comptoir où plusieurs spectateurs entreprirent de lui payer un verre. Elle n’en accepta qu’un, le but d’une traite, reprit son souffle. Elle croisa le regard du vieux Tom qui lui adressa un pouce levé doublé d’un clin d’œil appréciateur. Madame Bertille ne manqua pas de repérer le geste et fonça lui montrer de quel bois elle se chauffait. Elie s’en amusa.

Puis elle redémarra quelques notes avant que son regard ne se pose sur l’un des visiteurs. Elle en fut paralysée. Celui-ci – vêtu de noir des pieds à la tête – la fixait sans ciller, une cigarette pendue au coin de la bouche. Il l’avait retrouvée. Peut-être ne l’avait-il jamais perdue de vue. Que pouvait-il bien lui vouloir ? Un sourire s’étira sur le visage du type, qui lui adressa un petit salut de la main. Puis il sortit d’une poche dans la doublure de sa veste un stylo et un petit carnet et commença à griffonner quelque chose. Pendant tout ce temps Elie continuait de murmurer les paroles par automatisme. Si quelqu’un remarquât son trouble, il n’en parut rien. Doucement, avec une lenteur mordante, l’homme rangea son stylo et son carnet, après avoir déchiré une page de ce dernier, et s’avança vers la chanteuse. D’un mouvement sûr, il lui glissa le bout de papier dans la main et se pencha pour chuchoter quelques mots à son oreille, ce qui ne manquât pas de faire réagir quelques jaloux.

« Si vous voulez revoir votre fille en vie, suivez bien ces instructions à la lettre. »


Dernière édition par Elie Jorgensen le Sam 5 Déc 2020 - 9:12, édité 1 fois
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Elle avait relu des dizaines de fois le petit papier griffonné et en connaissait les instructions par cœur. Comment avait-on pu la reconnaître ? Jamais elle n’aurait pensé à ça. Jamais. Et si elle avait eu peur d’être rattrapée par la mafia de Manshon ou pire par cet horrible agent du Cipher Pol qui avait souhaité sa mort, elle ne pouvait que craindre ces hommes. Parce qu’ils étaient imprévisibles. Parce que la retrouver après trois ans et la reconnaître encore ne pouvait que cacher une rancune profonde, surtout lorsque pour fêter les retrouvailles on ne trouvait rien de mieux à faire que de kidnapper sa fille.

Chère Barbara,
Rendez-vous à cette adresse, seule, sans prévenir la Marine de tout ceci et sans alarmer le gros tavernier ni sa femme. Nous surveillons vos faits et gestes et la moindre entorse à ces quelques petites règles coûterait la vie à votre fille.
Adamo, pirate du Capitaine Crachin.

Au dos était notée l’adresse qu’évoquait le papier et c’était là que la jeune comédienne se rendait, au mépris de tout danger, dans l’espoir de sauver sa fille. Il faisait froid, Elie était peu couverte – elle n’avait pas pris le temps de se changer après la fin de sa représentation – et les ruelles du Port de Norland étaient toutes plus sombres les unes que les autres.

Il y avait longtemps qu’elle avait oublié ce nom, Barbara. Elle se l’était donné trois ans auparavant, sur l’île de Panpeeter où elle avait infiltré les rangs du Capitaine Crachin et avait permis – elle et sa joyeuse troupe d’alors, les Chevaliers de Nowel – de libérer l’île du joug du tyran. Son propre nom avait été un peu éclipsé par l’identité sous laquelle elle s’était cachée et Barbara s’était imposée auprès des Marines alors intervenus mais également auprès des pirates qui s’étaient échappés.

Elle ne se souvenait pas d’avoir jamais rencontré un homme répondant au nom d’Adamo. Mais elle ne pouvait se souvenir de tout. Tout en avançant et en tentant de tout se remémorer, elle se demandait comment elle devrait agir. Reprendre le rôle de la Pirate ? Tenter de convaincre qu’il ne s’agissait que d’une supercherie ? Choisir supposait de savoir ce qu’on attendait d’elle, ce dont elle n’avait pas la moindre idée.

En attendant elle se trouvait seule, transie de froid, dans une ruelle des plus sombres et exiguës de tout le Port de Norland et faisait face à une toute petite porte en bois dont la peinture craquelée reflétait les rares rayons de lune qui arrivaient jusque là. À droite de la porte, accroché d’un simple clou au mur du bâtiment, pendait un panonceau de métal indiquant le chiffre quatre. Elle avait su que c’était là avant même de repérer le numéro de rue mais elle était bien incapable de dire pourquoi. Désormais notre comédienne hésitait. Elle s’apprêtait à entrer en scène sans connaître son texte et en n’étant pas sûre de son personnage. Pas bon signe. Il fallait prendre une décision. Ne pouvant se résoudre à attendre une minute de plus à grelotter dans la rue, elle décida que la première impression déciderait de l’attitude définitive à adopter.

Elle frappa à la porte trois coups fermes et le son résonna à l’intérieur. Elle entendit une chaise racler, quelques chuchotements et enfin des pas un peu lourds venir dans sa direction. Quand la porte grinça et qu’elle aperçut le monstre qui venait lui ouvrir, son premier instinct fut de reculer. Mais aussitôt qu’elle se sentit défaillir, perdre la face, un coup de fouet intérieur lui interdit de flancher et le mouvement qu’elle avait amorcé vers l’arrière fut rapidement transformé en un pas décidé au devant de tout ce qui allait suivre. L’homme gigantesque qui lui avait ouvert la porte – deux mètres cinquante au garrot – n’eut pas d’autre choix que de se pousser pour la laisser entrer. Elle – frêle jeune femme d’un mètre soixante-dix – venait de faire reculer le gorille sans broncher. La scène pouvait paraître cocasse mais aucun des trois hommes assis à la table ne rit.

« Il me semble que la moindre des choses quand une dame entre dans une pièce serait que les hommes assis se lèvent, » attaqua-t-elle d’un ton dur, autoritaire.

Une tension s’était installée dans la pièce et les trois hommes attablés se levèrent lentement. Dans la tête d’Elie c’était désormais clair ; elle serait Barbara. Derrière elle, ébahi, le colosse était resté pantois et ne bougeait plus. Dans sa robe bleu et cyan la Jorgensen ne pouvait se sentir en sécurité, à l’abri derrière un costume qui la mettait à l’aise. Ne lui restait plus que l’intensité de son jeu et par là la rudesse et l’agressivité de son regard qui passait de l’un à l’autre de ses adversaires. Le silence pesant dura de longues secondes avant que l’un des hommes ne le brise. Elle l’avait reconnu aussitôt qu’elle était entrée dans la pièce ; costume noir, regard dur et cheveux brun foncé, l’homme s’était présenté sous le patronyme d’Adamo.

« Bienvenue Barbara, ou devrais-je dire Mademoiselle Jorgensen ?
-Non, Barbara conviendra bien puisque vous m’avez reconnue.
-Asseyez-vous, je m’en voudrais de mal vous accueillir. Bruno, ferme la porte tu veux ? » Ordonna-t-il au géant, toujours accroché à sa poignée.

Lentement mais avec des gestes assurés, la comédienne prit place sur l’une des chaises autour de la table ronde à laquelle étaient attablés l’homme en noir et ses camarades quelques instants plus tôt. Le dénommé Bruno s’empressa de rabattre le battant de bois dans son chambranle puis alla se caler dans le fond de la pièce. À le voir se déplacer dans l’exiguïté des lieux, avec précautions et en essayant de ne rien renverser, on remarquait à quel point son grand corps n’était pas adapté à l’endroit et la maladresse pataude qui l’animait le rendait moins impressionnant qu’au premier abord. D’un geste Adamo avait dégagé les deux autres types de la table des négociations puis s’était assis face à la nouvelle venue.

« Chère Barbara…
-Nous allons éviter les familiarités. Ce sera Capitaine Barbara pour toi.
-Mais vous n’êtes pas ma capitai… »

Le regard que lui lança alors Elie suffit à le dissuader de terminer sa phrase. De son côté, la comédienne commençait à ressentir tous les réflexes et attitudes qu’elle avait fabriqués de toute pièce trois ans auparavant pour imposer le personnage. Une montée euphorisante d’adrénaline l’emportait, seulement atténuée par la pensée que sa fille était toujours aux mains de ces types.

« Allons droit au but, qu’est-ce que tu me veux ? Je n’ai pas de temps à perdre avec des hommes de ton engeance et ta façon de me convoquer me déplaît fortement.
-Votre façon de vous empresser de venir en respectant toutes mes consignes me fait dire que vous n’avez pas trop la main sur ce coup-là, alors calmez vos ardeurs Capitaine Barbara. »

Il avait prononcé cette phrase comme pour se redonner l’assurance que c’était bien lui qui était en position de force, mais à son élocution et à sa façon de donner du ‘Capitaine’ on sentait qu’il avait des doutes. De son côté la jeune comédienne s’était engouffrée dans son rôle et il semblait que rien ne pourrait l’arrêter.

« Tu as en effet mis la main sur une personne qui compte très fort pour moi. Bien joué. Attaquer la faiblesse des gens c’est toujours ce qui marche le mieux, je le sais très bien. Mais fais très attention à toi, touches à un cheveu de ma fille et je te fais écorcher vif. »

La menace résonna dans la petite pièce. Un nouveau silence s’ensuivit. Si le pirate avait voulu mener la discussion pour la tourner à son avantage on aurait dit que plus celle-ci avançait, plus il perdait en crédibilité. Il fallait se ressaisir, lancer ses revendications et reprendre le dessus. Difficile mais jouable se dit-il, désormais plus du tout sûr de ce qu’il était en train de faire. Mais après tout, si ça se passait trop mal, il suffisait qu’il lance ses hommes sur elle et le tour était joué. Elle était venue seule ; les gars chargés de la surveiller lui avaient bien confirmé.

« Si nous vous avons demandé de venir, Capitaine Barbara, c’est parce que nous voudrions intégrer votre flotte. »


Dernière édition par Elie Jorgensen le Lun 7 Déc 2020 - 17:56, édité 2 fois
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La déclaration avait étonné Elie. Plus qu’étonné même. Elle ne s’attendait à rien, ne savait pas pourquoi on avait enlevé sa fille, mais cette raison lui semblait tellement improbable qu’elle en fut totalement stupéfaite. Tout en essayant de comprendre tout ce qu’impliquait cette demande, tout ce qu’elle risquait à dévoiler la vérité et arrêter toute cette mascarade, elle gardait son visage de marbre. Adamo attendait une réaction de sa part et n’osait rajouter à ce qu’il venait d’annoncer. Elle ne pouvait pas lui dire non ; il détenait sa fille.

« Je ne comprends pas. Pourquoi toute cette mise en scène ?
-Pour vous forcer à nous écouter bien sûr. Une personne de votre envergure écouter les demandes d’inconnus au bataillon comme nous ? Jamais. Mais si nous vous obligeons à nous prendre au sérieux…
-Donc vous employez la menace. Je vous trouvais stupides mais vous dépassez l’entendement.
-Vous nous auriez écouté sans ça ?
-Probablement pas. En tout cas pas des subalternes de votre engeance.
-Nous ne sommes plus des subalternes.
-Le capitaine Crachin vous aurait-il laissé tomber ?
-…
-Je vois. Et vous ne vous sentez pas assez puissants pour monter votre propre équipage ? Ou même rejoindre un autre capitaine ? Il en pleut par centaines des pirates qui veulent conquérir le monde et qui recherchent des branquignoles comme vous, pourquoi ne pas tenter auprès de ceux-ci plutôt que de vous attaquer de la plus obscène des façon à quelqu’un de trop gros pour vous ? »

La comédienne les accablait de questions en pointant leur bêtise pour se donner le temps de réfléchir. Elle avait désormais clairement l’ascendant sur la discussion. Il s’agissait maintenant de savoir quoi faire. Devait-elle manipuler le tout pour récupérer Chloé sans rien promettre puis se volatiliser dans la nature ? Elle risquerait d’être poursuivie. Devait-elle accepter leur proposition ? Ce serait céder à la pression sans rien y gagner en retour. À chaque fois que ces types désireraient quelque chose, il leur suffirait de lui enlever Chloé et de continuer leur chantage. Alors que faire ? Plus elle y pensait et plus l’idée de s’offrir la protection de cet énorme machin qu’elle voyait toujours du coin de l’œil, à l’étroit dans son coin, lui plaisait. Mais il faudrait manœuvrer habilement. Elle regarda une nouvelle fois son vis à vis droit dans les yeux ce qui déclencha une réponse de sa part.

« Si nous vous avons choisie vous plutôt qu’un autre capitaine pirate, c’est parce que nous avons de l’ambition. L’ambition d’être les subalternes de grands pirates de ce monde ! Nous ne sommes pas assez puissants pour être les chefs, nous l’avons compris en étant les sous-fifres de Crachin et quand celui-ci a… Je n’ose pas trop en parler. Bref quand nous l’avons quitté, nous nous sommes juré de retrouver quelqu’un de son envergure. Alors quand je vous ai reconnue dans les rues de Luvneel... C’était trop beau ! Après toutes ces recherches pour trouver un maître convaincant, devant mes yeux Barbara, le fléau des mers, la destructrice, la reine Pagaille, commandeur des légions d’espionnage Denden et numéro deux de la confrérie secrète de piraterie nordique ! J’avoue que je n’ai pas réfléchi longtemps. Je suis désolé Capitaine, acceptez nous dans votre équipage, nous ferons tout ce qui sera nécessaire. »

L’homme vêtu de noir n’avait plus rien de l’apparente froideur assurée qu’il dégageait au départ. Il alliait une sorte de passion enflammée pour cette capitaine pirate qu’il décrivait à une redoutable terreur à son égard. Elie était partagée entre l’amusement de voir ce solide gaillard quasi fondre en larmes devant elle et le doute qui la tenaillait.

« Ton discours m’intrigue, tu sembles prêt à tout pour rejoindre mes rangs.
-Donc vous acceptez ?
-Non. Je me laisse encore le droit de réfléchir. Voilà comment nous allons procéder. Vous allez commencer par me rendre ma fille. Et n’essayez pas de me refuser quoi que ce soit à ce sujet, ça pourrait vous coûter très cher. Pendant que vous irez la chercher un rapport détaillé de combien vous êtes et de ce que vous pouvez apporter à la confrérie me sera donné. Ensuite je vous quitterai et vous me laisserez une semaine pour vous donner une réponse définitive, le temps que j’en discute avec mon état-major. Est-ce que cela vous convient ?
-Euh… Oui ?
-Ah et je vais tout de même utiliser Bruno comme garde du corps de la petite, j’ai été trop présomptueuse de croire que je passerai inaperçue partout où j’irai. »

Le géant tourna la tête dans la direction de la jeune femme, un peu étonné qu’elle ait retenu son prénom. En le regardant, elle ne pouvait pas s’empêcher la comparaison avec un grand ursidé, pataud et balourd, certainement très fort, mais qui dégageait une certaine tendresse : de celle que les grands nigauds semblent souvent cacher au fond d’eux. Elle allait pouvoir le manipuler à sa guise pour s’en faire son homme et verrait bien ce qu’elle ferait du reste de cette petite bande de malfrats. L’idée de s’acoquiner avec des criminels ne lui plaisait pas particulièrement mais la perspective de mettre Chloé à l’abri d’un événement de ce type ne devait pas être écartée. Il fallait peser le pour et le contre.

Adamo commença donc à lui détailler l’état actuel du petit groupe qui souhaitait rejoindre la flotte de la Capitaine Barbara. En plus de lui même, des deux types qui venaient de partir chercher la petite et de Bruno – toujours présent dans son coin, un léger sourire idiot sur le visage – une douzaine d’hommes fiables les suivaient. Ils avaient pris Adamo comme porte-parole parce qu’il avait une certaine classe à s’habiller toujours de noir et ils se fieraient sans problème au capitaine qu’il choisirait. La plupart de ces gars avaient hérité de primes lors de leur passage dans l’équipage du capitaine Crachin mais la plus grosse d’entre elles n’atteignait même pas le million de Berrys. Depuis que le petit groupe avait quitté leur précédent capitaine, ils vivaient de rapines et s’efforçaient de rester discrets.

« Très bien, je crois que j’ai les informations qu’il me faut. Une fois que ma fille sera arrivée, je vous laisserai donc en embarquant Bruno avec moi comme je l’ai déjà dit. Je reviendrai ensuite dans une semaine ici même pour vous faire part de mes décisions. »

Ils attendirent une dizaine de minutes dans le silence que Chloé arrive enfin. Elle n’avait pas l’air d’avoir vraiment été chamboulée par les événements. En discutant ensuite avec elle, la comédienne apprit qu’ils l’avaient chouchoutée et ne l’avaient jamais contrainte à faire quoi que ce soit. La petite avait donc suivi des inconnus sans trop se poser de questions et cela inquiétait Elie. Elles prirent congé des trois hommes et se retrouvèrent à marcher dans le froid de la nuit, suivies de près par la montagne qui leur servirait désormais de garde du corps.

« Bruno ?
-Oui Capitaine Barbara ?
-Pourquoi il t’appelle Barbara le gros monsieur maman?
-Je t’expliquerai ma chérie. Je peux te demander quelque-chose ?
-Bien entendu Capitaine Barbara, je suis à vos ordres Capitaine Barbara.
-Pourquoi tu es devenu pirate ?
-C’est une bonne question ça. Parce qu’on m’a toujours dit que j’étais un bon à rien et qu’avec les muscles et le peu de cervelle que j’avais, je finirai pirate. J’ai pas vraiment réfléchi, j’ai fait ce qu’on m’a dit de faire.
-Je crois que les gens qui t’ont dit ça avaient tort.
-Comment ça Capitaine Barbara ?
-Je crois que tu as plus de cervelle que tu veux bien le laisser paraître et que tu es bon à autre chose qu’à la piraterie.
-Ah. Mais maintenant c’est un peu tard.
-Peut-être...
-Et vous qu’est-ce qui vous a poussé à devenir pirate ?
-Le hasard d’abord. Puis la volonté d’être suffisamment forte pour protéger les miens.
-J’aurais aimé avoir des gens à protéger, ça aurait été plus simple, j’aurais peut-être été plus fort.
-Maman, pourquoi il pleure le monsieur?
-Tu peux lui demander si tu veux.
-Monsieur, pourquoi tu pleures ? »

Étonné d’entendre la petite voix de Chloé, le pirate gigantesque se tourna vers elle, les yeux encore tout embués. La vue de cette petite bouille adorable qui s’inquiétait de sa tristesse lui fit ravaler ses larmes.

« Pour rien, pour rien, parce que je suis heureux d’avoir trouvé quelqu’un à protéger. »


Dernière édition par Elie Jorgensen le Sam 5 Déc 2020 - 9:29, édité 1 fois
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La nuit fut plutôt agitée. Elie n’arrivait pas à trouver le sommeil. Bruno dormait aux pieds du lit de Chloé mais mille questions tournaient dans la tête de la comédienne. Alors qu’elle s’était décidée à repartir de zéro en venant trouver du travail chez le vieux Tom, voilà que l’enlèvement de sa fille avait presque aussitôt chamboulé ses plans. Comment pouvait-elle continuer à vivoter comme si de rien n’était alors qu’on menaçait son enfant ? Et manipuler ces types, n’était-ce pas garantir sa sécurité ? Sauf s’ils découvraient la supercherie. Le mensonge impliquait d’être sans arrêt nourri pour ne pas se voir trahi. L’autre problème de s’acoquiner avec ces hommes relevait d’un souci moral. Tôt ou tard, elle se verrait liée aux méfaits de ces bandits et devrait assumer d’être hors-la-loi. Ces pirates pourraient aussi vouloir commettre des atrocités en son nom. Comment pourrait-elle alors les empêcher de le faire ? Elle s’était présentée à eux comme la capitaine Barbara, terrible fléau des mers, renoncer aux pillages et aux meurtres la trahirait, non ? Elle était face à un dilemme quasi insurmontable : mettre à l’abri sa fille ou rester fidèle à sa morale.

Quand Chloé vint la réveiller le lendemain matin, elle avait à peine dormi. Elle n’osa pas regarder son visage dans le miroir de peur de voir les larges cernes qui bordaient certainement ses yeux. La fatigue gangrenait son corps et l’excitation de la petite parvint à peine à la faire se lever. Bruno était déjà debout, prêt à obéir aux ordres de sa nouvelle patronne et son dévouement soulagea un peu Elie. Après s’être rapidement habillées, elles descendirent pour manger, talonnées de près par le mastodonte.

« Je vois que vous avez trouvé un baby-sitter mademoiselle, ça vous dirait de monter dans ma piaule pendant qu’il s’occupe de la petite ? Vous n’imaginez pas tout ce que je peux vous faire. »

Elle l’avait oublié celui-là. Voilà le rouquemoute qui revenait à la charge et de la plus désagréable des manières. Ne pouvait-il pas s’occuper de son petit derrière et la laisser tranquille ? Elle avait d’autres chats à fouetter. Tandis qu’elle adressait un regard furieux au jeune groom, la comédienne eut un déclic. Grâce à Bruno, elle allait pouvoir jouer au jeune homme ce petit tour qu’elle avait prévu la veille quand celui-ci l’avait reluquée d’une façon on ne peut plus lubrique. Elle se tourna vers son gigantesque garde du corps et quelques mots suffirent à ce que le géant obéisse. Il attrapa le rouquin mal élevé par le pied et le présenta tête en l’air à quelques centimètres du visage furibard d’Elie.

« Je n’ai pas très bien entendu ? Tu m’as dit quelque-chose ?
-Je… Ne… Dites à ce monstre de me lâcher !
-C’est incroyable comme on perd tout à coup ses moyens face à plus fort que soi.
-C’est… Que…
-Écoute moi bien Spirou, la prochaine fois que tu t’avises de regarder dans ma direction ou de m’adresser la parole, je te fais arracher les parties par Bruno. C’est clair ? Sous prétexte que je suis une femme tu crois que tu peux tout te permettre ? Il va falloir que tu apprennes le respect à l’égard de la gent féminine. Si par malheur remonte à mes oreilles que tu t’es encore comporté comme un malotru, je reviens te faire manger ce dont tu as l’air d’être si fier. Me suis-je bien fait comprendre ?
-Oui, oui, pardon madame…
-Tout de même, c’est pas compliqué… Lâche-le Bruno avant qu’il ne se fasse dessus.
-Je crois que c’est déjà fait capitaine.
-Alors lâche-le loin, je n’aime pas les odeurs d’urine. »

Elie se retourna vers Chloé pour lui faire un grand sourire. La petite semblait entre deux émotions, la crainte et la fascination. Elle retrouvait l’autorité dont sa mère faisait preuve sous l’identité de Katrina, à l’époque où elle traitait avec les pires mafieux de Manshon, mais avec une menace bien moins sourde et cachée qu’alors. Les intonations non plus n’étaient pas les mêmes. Du haut de ses six ans elle ne comprenait pas encore bien jusqu’où allait le jeu et où commençait le danger, mais à la façon dont la comédienne avait parlé, elle était persuadée que c’était pas pour du beurre. Elle est balèze sa mère. Quand elle sera plus grande Chloé aussi voudra être forte comme elle, pour pas se faire embêter par des pourris comme Spirou. Elle et sa mère l’appelaient Spirou en référence à des histoires que lui lisait sa mère sur un jeune rouquin du même nom. Mais la petite fille préférait tout de même l’original. Plus rigolo.

De son côté, Elie était soulagée de voir que son intervention n’avait pas perturbé plus que ça la fillette. Elle était également ravie de l’effet qu’elle avait produit sur le groom. Brrr. Quelle sensation tout de même que de pouvoir obtenir ce que l’on veut juste par un petit coup de pression. Notre trio alla donc manger un bon petit déjeuner avant de repartir dans les rues de Luvneel. Elles devaient trouver un parc puisque les événements de la veille les avaient empêchées d’y aller. La présence de Bruno tranquillisait Elie et c’est le cœur léger qu’elle partageait ces moments avec sa fille.

Pendant le reste de la journée, elle continua de réfléchir à ce qu’elle devrait faire par la suite mais cela ne l’obséda pas autant que durant la nuit. Et quand vint le soir, elle chanta dans le bar du vieux Tom avec sérénité. Elle jetait régulièrement un coup d’œil à sa fille mais la voir jouer avec Bruno – qui semblait très heureux de sa fonction de nounou – la débarrassait de l’angoisse qui montait à l’idée de la perdre à nouveau.

La semaine passa. Elle continua à visiter la ville pendant la journée et à chanter le soir. La vie semblait paisible et quand vint le jour de retourner voir Adamo et sa clique, elle avait pris sa décision. Tout naturellement, sans que cela la tracasse comme la première nuit. Une fois son spectacle terminé et le concert d’applaudissements calmé elle appela d’un signe Bruno qui accourut avec la petite.

« Nous avons rendez-vous mon cher Bruno. Tu pourras t’occuper de Chloé pendant que je parlerai à ces messieurs ?
-Je la ramène à l’Hôtel ?
-Non, je préfère te savoir à mes côtés. »


Dernière édition par Elie Jorgensen le Lun 7 Déc 2020 - 18:09, édité 1 fois
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Elie avait revêtu une tenue différente de la dernière fois, plus  couverte, plus sombre : une chemise bleu roi aux manches longues par dessus laquelle elle avait enfilé une veste noire cintrée et pour le bas, elle avait opté pour un pantalon noir légèrement évasé. Elle s’était également maquillée différemment pour se donner un visage plus sévère. Bien qu’elle ait longuement hésité elle avait fini par abandonner l’idée de se coiffer d’un tricorne et avait plutôt remonté ses cheveux en un chignon haut, serré, tenu par deux baguettes. Il fallait impressionner. Et l’apparence était essentielle dans ce genre de cas.

Elle avait traversé les mêmes rues que la semaine passée, mais avec beaucoup plus d’assurance cette fois-ci. D’abord parce qu’elle savait où elle se rendait. Ensuite, parce qu’elle avait de son côté un grand atout qui surveillait sa fille et qui pourrait la défendre en cas de pépin. Enfin parce qu’elle savait exactement ce qu’elle allait dire.

Lorsqu’elle arriva devant la petite porte qu’elle avait craint franchir la semaine passée, elle l’ouvrit d’un geste franc, sans même prendre la peine de frapper. À l’intérieur s’entassaient les hommes dont lui avait parlé Adamo. Lui-même était là au milieu du petit groupe qui devait attendre depuis un moment. L’irruption de la comédienne accompagnée de sa fille et de son récent garde du corps fit cesser immédiatement toute conversation. Dans l’air la tension était palpable. D’un geste Elie montra à Bruno l’escalier au fond et sans qu’elle eut besoin de dire quoi que ce soit il attrapa la petite, fendit la foule qui se bouscula pour la laisser passer et gravit les escaliers quatre à quatre. Désormais quinze hommes faisaient face à une femme et attendaient tous ce qu’elle avait à leur dire.

« Messieurs, j’ai bien réfléchi. J’ai discuté avec certains membres importants de la confrérie secrète des pirates nordiques et je vais vous intégrer à mes effectifs. Cela dit mon équipage est un peu particulier dans le monde de la piraterie. Aussi je vais devoir vous informer des règles qui régissent celui-ci avant de vous donner votre première mission. Est-ce bien clair ? »

Dans l’assistance un soupir de soulagement général s’était fait entendre à l’annonce de leur acceptation dans l’équipage de Barbara. Cela dit personne n’osait encore parler. Seul Adamo hocha la tête pour répondre à la question de sa capitaine. Il était toujours leur porte-parole mais celle-ci avait un peu de mal à sortir devant la classe qui émanait de la Reine Pagaille.

« Pas tous à la fois. Cela dit votre silence est un bon départ. Comme vous l’aurez peut-être remarqué, dans confrérie secrète du nord il y a secrète. Il va donc de soi qu’il vous sera interdit d’en faire mention. Sous aucun prétexte.
-Bien capitaine Barbara, osa Adamo.
-Merci de m’approuver mais je n’ai pas terminé de parler. Vous aurez droit de réponse quand je vous le dirai. C’est compris ?
-Oui capitaine Barbara.
-Bien. En plus d’appartenir désormais à une confrérie secrète de Pirates, je vous rappelle que je suis commandeur des légions d’espionnage Denden, c’est mon rôle au sein de la confrérie. Vous faites donc maintenant partie du plus grand réseau d’espions de tout North Blue et probablement de toutes les Blues. Voilà pourquoi je vais vous confier un escargophone. Unique moyen de communication que vous devez employer pour me joindre. Afin que personne n’ait la possibilité de vendre ce numéro à quiconque, j’ai enregistré et codé la ligne pour me joindre personnellement et je vais également me charger de faire en sorte de vous rendre tous les plus fidèles des compagnons. Vous avez des questions ? »

L’ensemble des quinze hommes se mit à parler en même temps dans un brouhaha incompréhensible. L’un demandait s’ils allaient être payés, l’autre s’ils auraient un navire à leur disposition, un troisième voulait savoir si des expéditions sur Grandline étaient prévues et un autre si l’activité de pirate n’était pas un peu incompatible avec le « secret ». Fermant la main en un signe clair, leur nouvelle capitaine les fit taire d’un seul coup. Elle les fixa quelques secondes avant de reprendre la parole.

« Pardon pardon, je me suis mal exprimée. Adamo se chargera de me transmettre vos questions. Et dans un premier temps je veux celles qui ont rapport avec mes consignes. Allez-y Adamo.
-Sera-t-on en communication avec les autres équipages de votre flotte ?
-Seulement par mon intermédiaire, voyez-moi comme le point central de toute cette organisation. Vous n’aurez à interagir avec d’autres membres de la confrérie que si je vous en donne l’ordre.
-Aurons nous le loisir de continuer à pratiquer la franche piraterie ?
-Bien entendu. Mais aucun de vos actes ne doit être lié à mon nom ou à celui de la confrérie. Et vous vous en doutez, si vous vous faites capturer, vous ne parlerez sous aucun prétexte, même sous la torture. Pour être certaine qu’aucun d’entre vous ne me trahisse, je vais d’ailleurs procéder à un petit pacte à ma sauce. Ma spécialité même, si je puis dire. »

Elie avait préparé ce coup-là toute la semaine. Elle avait réfléchi à la meilleure manière de s’assurer la fidélité de ses hommes et une fois de plus elle allait utiliser son arme favorite : le bluff. Faire suffisamment peur à l’autre pour que jamais il n’ose essayer de contrevenir aux règles. Et sans vouloir se vanter, la comédienne était plutôt habile dans cet art.

« Votre spécialité capitaine Barbara ?
-Le serment de sang.
-Le… ?!
-Je suis dotée d’une capacité particulière me dotant d’un pouvoir plutôt utile quand on doit s’assurer le silence de nombreuses personnes. Les gens qui se lient à moi par le sang se doivent de respecter le serment établi. S’il advenait que l’un d’entre eux me trahisse, il se viderait aussitôt de son sang et mourrait dans une longue agonie. Vous êtes toujours prêts à me jurer fidélité ?
-…
-Vous êtes bien silencieux tout à coup. Ça vous fait peur d’être sous les ordres d’une vraie pirate ? »

Le regard que leur lança la fausse capitaine tyrannique était si cruel, puissant, presque injecté de sang que chacun des quinze hommes fut pris d’un frisson glacial. Leur sentiment oscillait entre la terreur et l’excitation. Ils s’apprêtaient à devenir les sbires d’une telle frayeur. Quelle joie pour des subalternes comme eux de tomber sur une personne qui leur faisait se dresser les poils en seulement quelques mots. Revenant peu à peu de leur stupeur, n’hésitant plus une seule seconde, chacun des quinze hommes qui se trouvaient devant elle se mit à genoux.

Elie sortit de sa poche un petit couteau qu’elle avait préparé en partant de l’hôtel le matin même puis s’entailla la paume. Elle étouffa un juron. La douleur était bien la seule chose qui aurait pu la trahir en cet instant. Ensuite elle tendit le couteau à Adamo qui s’empressa de répéter son geste. Bientôt l’ensemble des pirates eut la main droite sectionnée. Un par un, la capitaine Barbara leur serra vigoureusement la patte, les regardant droit dans les yeux. Elle serrait les dents pour ne pas tomber. S’il y avait bien une chose qui provoquait chez elle des évanouissements, c’était de sentir son propre sang couler. Il fallait réprimer la nausée qui l’envahissait. Et tenir jusqu’au dernier homme.

« Bien. Désormais vous êtes membres de la confrérie secrète du nord et je suis votre capitaine. J’ai marqué sur ce petit papier les instructions concernant votre première mission. Je vous laisse également cet escargophone. Ne l’utilisez que si vous avez des informations importantes à me faire parvenir. Par contre, ne manquez pas mes appels. Adamo ?
-Oui capitaine Barbara ?
-Tu diriges désormais ces hommes.
-Merci capitaine Barbara.
-Tu en es donc responsable. Voilà pour toi. BRUNO !! »

Elle lui confia le petit gastéropode et le papier qu’elle avait préparé à son attention. Des instructions pour surveiller les agissements d’une vieille connaissance à elle. Si devenir pirate impliquait d’être liée à des malversations, autant qu’elle puisse au moins utiliser ces hommes à des fins personnelles. Son grand garde du corps déboula de l’étage supérieur, Chloé sur ses épaules. En voyant le sourire de sa fille, le visage de la comédienne s’éclaircit et perdit de sa dureté. Le grand homme traversa la pièce et ils sortirent tous trois. Quelques pas plus tard, Elie s’effondra par terre. Bruno s’empressa de la prendre dans ses bras et Chloé vint aussitôt à son chevet.

« Qu’est-ce qu’il y a Maman, pourquoi t’es tombée ?
-Ce n’est rien ma chérie, je suis juste très fatiguée... »
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