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Les calculs sont pas bons, Chris.

Manshon, de nuit. Aussi viciée à mes yeux que de jour, l'obscurité ne suffit pas à masquer toutes les pommes pourries qui y prolifèrent, se nourrissant de la faiblesse des honnêtes gens. Manshon, de nuit. C'est comme mettre les pieds dans une forteresse géante du crime, le bastion d'une organisation mafieuse. Tu peux me croire quand je te dis que je mire attentivement le moindre zigue qui s'approche de trop près. Le climat est tendu depuis si longtemps, les nerfs mis à rude épreuve, appartenir à une famille mafieuse ne suffit plus à assurer la tranquillité de ses petites miches. Y'a pas besoin de résider sur le Nid pour craindre de se faire trouer la peau à l'angle d'une ruelle. Les gens ne respectent plus rien et ne craignent plus grand-chose, c'est à celui qui appliquera sa loi au mieux. La ville est en partie en ruines, déchirée par le blocus il y a quelques années. C'est là que tout est parti en vrille. Les civils qui se rebellent de l’influence criminelle les étouffant, la marine qui se décide enfin à ne plus se laisser corrompre par les liasses de billets que les familles distillent à droite à gauche.

Je devrais pas me plaindre du réveil de Manshon, au contraire dans le fond j'en suis satisfait. Cela fait un moment que Monsieur Bambana est en sueur, à agiter ses hommes plus que de raison et à tout faire pour éviter qu'un ennemi ne vienne jusqu'à son trône pour lui enfoncer une lame à travers la gorge. Parfois j'aimerai voir la tête qu'il afficherait en apprenant que l'un de ses plus gros ennemis se tient régulièrement à quelques mètres seulement de sa grosse personne. J'imagine souvent sa gueule de gros lard déchirée par la stupeur au moment ou je pointe le canon de mon flingue sur son énorme carcasse pour lui ferrailler la trogne. En attendant que ce moment devienne réalité, je suis dehors, à me les geler. J'ai beau le haïr au plus au point, Bambana reste mon patron et ce depuis des années. Quand il me siffle, je peux râler autant que je le veux, je finis toujours par rapliquer. 'Faut savoir sauver les apparences, faire profil bas, courber l'échine, pour le grand jour. Du coup quand il m'envoie régler une affaire nocturne, j'ai pas d'autre choix que de m'exécuter.

Je dois aller secouer un type qui doit de l'argent à la famille depuis un moment et qui trouve toujours une excuse pour repousser le moment de passer à la caisse. Problème, plus tu fais traîner ce genre de choses et plus ta dette s'alourdit. Si on me fait me déplacer, c'est pour envoyer un message. Ce genre d'histoire, en temps normal, quelques tontons flingueurs peuvent largement s'en charger. Si c'est moi qui suis sur le coup, c'est que le Boss en a marre de se faire mener en bateau. Et que pour l'autre, ça pue. Ils connaissent tous mes méthodes, elles sont pas belles à voir et encore moins à subir. J'en suis pas fier, mais je suis résigné. Bien longtemps que j'ai cessé de croire que mon âme était bonne et que je pouvais encore m'en sortir en vivant une vie honnête et propre. C'est d'ailleurs pour ça que je suis la personne idéale pour débarrasser Manshon de Antoni Caesar Bambana. C'est bien connu qu'il faut envoyer un monstre pour en finir avec un autre monstre.

Chris Raukankour, c'est le sobriquet qu'on a attribué à la naissance de notre malheureux condamné. Dans le pétrin jusqu'au cou, Chris a une routine tout à fait légitime pour un gars dans sa situation. Toute la journée il fait la tournée des tavernes, des coins illégaux à la recherche d'une bonne poire à escroquer, à qui soustraire des berrys en espérant en amasser suffisament pour être en mesure de payer sa dette. Lorsque le jour perd de sa superbe, et ferme le rideau, Raukankour, dépressif et au bout du rouleau car il constate chaque jour qu'il n'aura jamais assez pour tout payer, fonce se bourrer la gueule toute la nuit. Pris dans ce cercle vicieux, il n'avance pas, ne fait que traverser les jours les uns après les autres, comme une âme en peine. Torché, titubant, au fond du trou, il tente maladroitement de marcher jusqu'à sa petite piaule miteuse au second étage d'une auberge. C'est là qu'il tombe sur le grand méchant loup, le gros chien. Moi. Sortant de l'ombre, mains dans les poches de mon long manteau, je me place face à lui afin de le forcer à s'arrêter.

Je le vois écarquiller les yeux, balbutier des conneries inaudibles, probablement à se demander s'il hallucine ou pas. Je prends le temps de sortir une de mes clopes améliorées à l'opium, de l'allumer à l'aide de mon briquet et enfin, d'en tirer une latte. Quand finalement, j'expulse la fumée, ma voix brise le silence.

Coucou Chris, c'est le service de recouvrement des dettes.
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Putain, mais t'es qui toi ?!
Hein ? Non, toi t'es qui bordel ?!


Y'a comme qui dirait une couille dans le pâté, quelque chose qui est pas à sa place, ou quelqu'un. Je me suis avancé pour barrer la route à un ivrogne tenant à peine sur ses jambes, et je me tape un gusse à l'air patibulaire. Il a pas l'air content, et moi je suis comme un con. Comme quand tu débarques dans une boutique de cuirs et de moustaches alors que tu t'attendais à y trouver du fromage. C'est pas exactement ce que t'avais prévu, et t'as du mal à réagir. « Fous le camp tête de gland avant que je te sonne les cloches ! » Et en plus, il est agressif le bordel, il me laisse pas réfléchir deux secondes à la situation. J'en suis encore à me demander comment j'ai pu me tromper de type. Je veux dire, à part la veste et la casquette qu'ils ont en communs ils ont rien à voir de près. Attends. « Oy, tes fringues, c'est pas les tiennes hein ? Avoue. » Je tire une bouffée de ma cigarette, nerveux, j'ai le poing qui me démange, ces derniers temps, je suis à deux doigts de replonger dans mes travers.

Tu m'as pas entendu ou quoi ? Tires-toi avant que je te dessoude.

Je grimace, c'est plus fort que moi, j'aime pas ce type. J'aime pas les enfoirés de première qui prennent les gens de haut, qui pensent que personne n'a la tête assez solide pour les faire redescendre. J'en ai marre des trouducs qui pensent pouvoir chier sur la face du monde et s'imaginent que jamais leur chiasse leur reviendra à la fiole. A un moment donné, quand t'étales ta merde à outrance, le karma vient frapper à ta porte. C'est généralement là que les mecs déchantent et comprennent. Oui, le karma est une salope, j'en ai fais régulièrement l'expérience. Lui, j'en ai pas l'impression, alors je vais l'aider.  Non, c'est pas le taff qui m'a été demandé, c'est pas mon job de lui faire tomber les ratiches, mais c'est plus fort que moi. « T'as été bercé trop près du mur enfoiré, c'est ça ? T'es trop con pour répondre à une foutue question ? Ou il te faut seulement quelques mandales pour te remettre les idées au clair ? » Je le sais, c'est déjà trop tard. On ira pas plus loin dans la discussion. Et je saurais jamais ce qui est arrivé à Chris.

T'es un petit marrant toi, t'as pas l'air de savoir à qui tu causes le pâlot.
Pas à Chris visiblement, il était moins con dans mes souvenirs.
 

Et bam. La première est pour moi, pour dans ma trogne, je veux dire. Il me colle un direct du droit qui me fait définitivement piger que c'est pas signé Chris Raukankour tout ça. En même temps c'est pas très choquant comme découverte, les visages correspondent pas. Lui a des allures de clochard, vrai, mais de clochard bagarreur. Si j'avais eu le temps de voir sous sa casquette, j'y aurais vu une tignasse rousse qui m'aurait mise sur la piste. Méfiez-vous des roux bordel, ils ont une rage depuis la naissance qui décuple leur puissance et te les font cogner comme des sourds. Des sourds revanchards contre ce monde qui ne veut pas d'eux, ça les rends doublement plus dangereux. J'encaisse la première donc, ça m'a valu de reculer en arrière, une main sur la bouche, à vérifier si les lèvres ont tenues le choc. Pas de trace de sang. « Alors, il a compris le pâlot ou il lui faut d'autres chtars pour le convaincre ? » Il faut reconnaître qu'il a un sacré argumentaire le salopard.

Je laisse tomber mon manteau, tant pis pour ça. J'irais en acheter un autre. Je retire également ma casquette, et pose mon regard vitreux sur l'énergumène. Je vais quand même prendre le temps de finir ma clope avant que ça parte en cacahuètes. Ça se sent autant que ça se voit qu'il a bu comme un trou ce soir, mais il semble pas affecté pour coller des pains. Plus je le regarde et plus j'ai l'impression d'être tombé sur un foutu guerrier barbare reconverti en videur de gnôle dans les tavernes de Manshon. Le karma je vous disais. Plus grand que moi, d'au moins dix bons centimètres, il a la masse corporelle qui va avec. Barbe et coiffure à l'image de sa gueule, pouilleuses et pas entretenues depuis des mois. Il empeste l'alcool et la violence, la misère et la rage. C'est mon putain de jour de chance. Il fait tomber la veste, qui était pas la sienne je pourrais le parier, et apparaît en débardeur usé et encrassé, sous une paire de bretelles reliées à son pantalon. Je tire une dernière latte, en profite jusqu'au dernier moment et expulse le tout dans un soupir.

Spoiler:

Le bout s'écrase au sol et ma chaussure piétine le tout, pour clôturer l'histoire. « Tu veux toujours pas me dire pourquoi tu portais les fringues de Chris ? » Il me grogne dessus plus qu'il me répond, c'était la réponse attendue, ça aurait été trop beau. On dirait que le mauvais Peeter va ressortir ce soir...
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Baigne dans ta gueule, et tu baignes dans ton sang. Illustre citation qui a fait le tour de ce monde et qui m'a marqué à la lecture. On en a vu passer des cogneurs, de sacrés bagarreurs avec l'art et la manière de décrire les différentes façons de coller un gnon. Ce soir, je mets en application ce que j'ai pu lire dans les articles du Panda Déchaîné, la gazette du moment. La mandale qui fend l'air pour me frapper pleine poire, je l'encaisse et riposte immédiatement, dur au mal. Il en prend un bonne dans les ratiches, suivi d'un coup de genou dans le bide et d'un coup de boule qui lui éclate une arcade et le fout au tapis. « Alors, il a compris le rouquin ou il lui faut d'autres chtars pour le convaincre ? » Bien sûr que je suis moqueur, que je savoure l'instant où les rôles s'inversent. Mon avis qu'il s'attendait pas à en ramasser autant, de chtars. Il peste à terre et tente de pousser sur ses membres pour se relever, je le fauche dans son élan d'un coup de latte au menton. « T’aurais jamais dû jouer au con avec moi, ici t'es chez moi. T'entends ? CHEZ MOI ! » Que je lui hurle à la fiole, le couvrant de postillons.

Son sang s'est mélangé à la crasse des pavés, offrant un mélange aussi captivant que rebutant. Cette maudite ville est entièrement souillée de la même merde depuis des années... Et ça, c'est à cause des types comme toi. Où que j'aille sur Manshon, y'aura toujours un putain de rouquemoute imbibé de bière pour venir me les briser. Pourquoi il a fallu que tu joues au con avec moi ? Je m'approche de lui, le condamnant du regard. Mon visage s'est changé en une expression de colère noire, une foutue envie de meurtre suintant de tout mon être, jusque dans mes yeux, l'imaginant déjà cané. D'une main, je le soulève par sa tignasse maudite et le force à me mirer. « Ton. Je lui écrase la tête sur l'asphalte. Putain. Rebelote. De.  Encore une fois. Nom. La dernière pour la route. » Je crois que quelques dents sont tombées, je vois pas bien au milieu de toute cette hémoglobine. Je l'entends respirait. Avec difficulté, comme si les voies étaient obstruées, mais ça respire toujours. Tu peux donc parler enculé.

Les sons sortent de ses lèves éclatées, mais c'est brouillon, pas clair, je bite rien. « Un effort ou on repart pour un tour. » Je fais même l'effort de rapprocher mon oreille pour mieux discerner les mots. Putain de foutue erreur de merde. « Va... Chier... », il me crache un glaviot dans l’œil et en profite pour me déséquilibrer. Je sais très bien avec quelle force il continue de se battre, celle du désespoir. La même qui m'anime. Se battre ou mourir. Faire en sorte que ce combat ne soit pas le dernier. Ne pas perdre la seule chose qui nous reste encore, la rage au ventre. Sa haine à lui, le pousse à m’assaillir de coups de boules, brutes, démentiels, désespérés. S'écorcher plus encore la gueule que j'ai pu le faire avec mes phalanges. Il ne voit pas où il cogne, mais il le fait. Le sang pisse de son front comme l'eau d'un barrage qui vient de céder. La bave dégouline de ses lèvres comme un clébard enragé. Les coups tombent comme le marteau sur l'enclume. Tout ça pour ma gueule. Acculé au sol, les bras en opposition, et cette colère sourde qui gronde à l'intérieur chaque fois qu'un coup se heurte à mes os.

Comme une résonance.

A mon propre désespoir, mes peurs, ma colère, mon chagrin, mes démons. Il s'acharne et s'épuise et je m'agace, dérouille, panique aussi. J'ai tout sauf envie que ce combat soit le dernier. C'est jusque dans mes tripes que je vais chercher la force de retourner la situation. Rageur, lui hurlant ma détermination au visage, mes pognes s'empare de sa carafe et je lui mord la trombine. J'ai pas cherché à viser, j'ai même pas conscience de ce que je fait, je veux juste survivre. Je lui bouffe la lèvre merde et lui déchiquette un bon morceau pendant qu'il hurle et se débat. La chair cède et il se rétame sur le dos, aussi choqué que furieux. Je le zieute avec une lueur de folie dans les châsses et un plaisir malsain à ressentir sa douleur. « Mnes nba ptag dba tréb !!! Pa bouf a chebe ta e mrd !!! T qbo pfo prbabme ?!! » Je me fends d'un rire hystérique, rapidement coupé par l'envie d'en découdre. Je m'arrêterai pas avant de l'avoir liquidé. Sauf que de son côté, un truc s'est brisé. Avec la moitié de sa lèvre inférieure qui s'est fait la malle, sa combativité en a pris un coup.

Il s'imaginait pas avoir plus taré que lui en face.

Je t'avais dit de pas jouer au con, sombre merde.

Mon corps se déplace de lui-même, tel un charognard attiré par l'odeur putride de la carcasse. Il recule, épuisé, abattu, serait-ce de la peur dans ses yeux ?

Bta, bu voubé voir bub gbé u ss bris bfa bré ?!

Plus que un couple de mètres avant de lui mettre la main dessus. C'est la fin.

Bfo bmom ! Puf mbas démdé av ! Bfa bées bfoujrs ?! Swi

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Un bourdonnement sourd dans la tête qui veut pas me foutre la paix. J'entends rien de ce qu'il se passe autour, ça me vrille les tympans, pourtant, je ressens rien. J'ai cette douleur qui irradie ma tête castagnée par l'autre foutu rouquin, y'a le sang qui dégouline de mes plaies ouvertes et pourtant, je ressens rien. Si je pouvais pas le voir, je saurais pas que je saigne. Je me suis installé à une table, rejoint le bar du vieux Alfredo, un ami de la famille. Quand il m'a vu débouler, il a compris. Ce que j'avais fais, ce qu'il devait faire. Cette enflure, je l'ai tabassé à mort. Je l'ai pas laissé souffler après avoir pris sa raclée, non, je l'ai achevé. Défiguré, méconnaissable, je me suis fracassé les poings dessus si fort que ma peau a sauté, mes phalanges se sont esquintées, mes mains en tremblent encore. Quand on me tend un verre, je percute pas. Le regard vitreux, paumé, physiquement présent, psychologiquement perdant. Je suis là mais j'ai laissé mon humanité là-bas. Encore un bout, du moins. Depuis que j'ai rejoint la famille Bambana, j'ai pas arrêté de semer des morceaux de moi.

Petit à petit, découper les morceaux, un par un, les jeter dans la rue. On me dira que ça aurait été plus rapide de donner mon âme au Padre directement, mais j'ai toujours aimé me faire du mal. Bien mal. Autodestructeur, c'est pas pour rien si je suis encore seul à mon âge. « Monsieur Dicross. » J'ai pas manqué de chance en amour, des femmes j'en ai connu. Certaines m'ont apprécié pour mon physique, d'autres m'ont aimé pour mon esprit. Les sentiments étaient là, la joie aussi. « Monsieur Dicross ? »J'ai eu plusieurs fois l'occasion d'être heureux, mais chasse la naturel et il revient au galop. Prendre peur, paniquer, devenir toxique, tout foutre en l'air, finir seul. « Monsieur Dicross ?! » Le cœur en miettes, meurtri, se soulager dans ses vieux démons, la bouteille et l'opium. Je bascule ma tête en arrière, les yeux qui fixent le plafond à la recherche d'un point de fixation. Me souvenir d'elles, d'elle. Elle était si belle... « Monsieur Dicross !! » Alfredo se montre foutrement insistant, bordel. Qu'est-ce qu'il me veut à me beugler à deux centimètres de la fiole ?

« Vous devriez pas rester comme ça, il faut vous désinfecter et panser vos blessures. » Il a pas tort. Il a déjà été chercher le matériel, il commence à bien connaître. « Ça commence à devenir une sale habitude de vous faire passer à tabac puis de venir agoniser dans mon rade. » Là encore, je peux pas le contredire. « Vous savez que le soir ou vous arriverez ici plus mort que vif, et que je pourrai rien faire pour vous rafistoler correctement, je serai un homme mort. Monsieur Bambana me tuera pour vous avoir laissé mourir. » C'est un sans faute d'Alfredo. Je suis un putain d'égoiste, c'est ça qu'il essaie de me dire ? « J'y peux rien Alfredo, c'est ton rhum qui est le meilleur de tout Manshon. J'ai besoin de ma dose. » Ça en revanche, on sait tous les deux que c'est faux. Le vieux tenancier le prend à la rigolade, terminant les points de sutures au niveau de mon front. Il exagère sur la gravité de mon état, c'est surtout que je suis secoué. J'ai encore pété les plombs, perdu les pédales. C'est le temps de me remettre du choc émotionnel. Je veux pas être comme ça, être ce gars. Mais je sais pas faire autrement, suffit qu'un enfoiré de plouc me déboule dans le lard et je vrille.

C'est cette ville, cette situation de merde, ça me tend, me fout les nerfs en vrac. A la moindre je dégoupille, souhaite la mort du type, et pire encore. Je suis à bout. Arrivé à saturation. Les derniers événements m'ont lessivé, ont eu raison de moi. J'avais pas besoin de ça pour aller mal. Cette putain de guerre. Cette foutue guerre civile. J'en suis ressorti vivant, il a fallu en allonger plus d'un pour parvenir à ce miracle. Je crois que j'ai triplé ma consommation d'opium depuis. C'est simple, la nuit je ferme pas l’œil si je suis pas dosé. Des crânes, j'en ai percé. Des types j'en ai pendu, brûlé, poignardé, mitraillé. C'est fou ce qu'on peut être inventif dans la manière d'ôter une vie. De quoi être jamais à court, toute une année durant. Se renouveler sans cesse pour au final répéter la même atrocité. Mais qui s'en tamponne au final des états d'âmes d'un Capo ? Des cadavres que j'ai dû enjamber dans les rues pour aller coller une bastos dans la cafetière d'un pauvre malheureux qui a eu le malheur de se dresser contre le Padre ?

C'est bon Alfredo, ça suffira comme ça. Je vais pas crever sur ton plancher, te fais pas de bile.

Alfredo, c'est le genre de gars qui mériterait pas d'y laisser la peau en tant que dommage collatéral. Il offre son bar comme refuge à la famille non pas par générosité, 'faut pas déconner, comme tout le monde il se fait écraser par l'énorme panard de l'autre gros lard de chauve. Pourtant, forcé qu'il a été, il nous a jamais traité comme des clébards indésirés. Plusieurs fois il s'est occupé du déchet que je suis, m'a même offert le toit pour se reposer le temps de décuver après une nuit de castagne et beuverie. Ce type à la cinquantaine, une femme et trois enfants, la peur au ventre chaque fois qu'il nous voit débarquer en piteux état et un putain de cœur sur la main. Je pense même qu'il serait capable de soigner notre ennemi si celui-ci venait pleurer à sa porte. Cette nuit les choses se sont gâtées pour ma fiole et le premier réflexe que j'ai eu, c'est d'aller me réfugier chez Alfredo.
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Bonne nuit Alfredo, je me casse d'ici...
Il est six heure du matin Monsieur Dicross. Au revoir Monsieur Dicross.
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