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Retrouvailles à l'autre bout du monde

Les gouttes de pluie s'abattaient sur la ville. Les routes, qui n'étaient pavées que partiellement, étaient devenues presque glissantes, et les nuages obscurcissaient la cité une fois de plus. Les panneaux des différents commerces étaient faiblement illuminés par des néons de basse qualité. Des câbles et des fils en tous genres traversaient en hauteur les rues. Lynbrook, c'était en quelque sorte une immense fourmilière.

Mount devait partir le lendemain, à bord du navire de Darren Livingstone, l'émissaire de Ravrak. Parfois, la vie se jouait sur des détails. Et ici, le détail, c'était la croix qui ornait à présent la paupière droite de l'ancien marin. Elle traduisait le contrat qu'il avait passé avec le pirate. Un contrat qu'il ne pouvait en aucun rompre ; il n'avait pas le choix. Son sort était scellé : bientôt, il irait sur Terra, une île encore inconnue du Nouveau Monde.

Il ressentait à la fois de l'excitation et de l'angoisse. De l'excitation, car la force des choses l'avait amené à rejoindre un pays qui n'avait ni sombré dans l'anarchie caractéristique des révolutionnaires, ni le chaos des forbans. Un royaume stable, ordonné : en somme, quelque chose qui lui correspondait. Mais il avait une angoisse viscérale, celle de plonger dans l'inconnu, et de tout laisser pour partir là-bas.

Même s'il était maintenant considéré comme un traître, un hors-la-loi, il n'empêche qu'il pensait toujours à sa famille, avec laquelle il avait toujours eu des rapports quasiment fusionnels. Et puis... Sur Grand Line, il y avait Vindex. Une île qui lui avait tout pris ; et pourtant, il en était devenu attaché. Elle lui avait permis d'ouvrir les yeux sur le Gouvernement Mondial. Le prix à payer avait été conséquent : sa fiancée et son meilleur ami avait été tué sauvagement lors du conflit. Il y pensait souvent. Louise... Son visage le hantait. Il entendait parfois sa voix. Les premières fois, il se croyait fou. Néanmoins, il avait accepté cette présence si rassurante. Elle l'aidait à tenir bon, à ne pas chuter dans une mélancolie destructrice. Elle le tirait sans cesse vers l'avant, de manière à ce qu'il ne se laisse pas aller.

Ratzkill le manquait aussi. Sûrement moins que Louise, car l'amour possédait cette flamme intérieure qui transcendait tout autre sentiment. Toutefois, il pensait encore à son frère d'arme. Ils avaient passé une grande partie de leur carrière ensemble. Toujours là dans les coups durs, comme dans les moments de fête. Une amitié sincère, sans faux-semblant, sans intérêt sous-jacent. Allait-il retrouver cela dans sa nouvelle vie ? Il en doutait.

Ce soir-là, il était encore allé au bar le plus proche de son hôtel. Un endroit miteux, un endroit de rencontre pour des raclures en tout genre. La salle était chichement décorée, et le mobilier était sommaire, fait d'un bois vulgaire. Ils buvaient, riaient bruyamment ; il était tombé si bas, lui qui était d'ascendance noble. Il eut un rictus. Il pensait à son père, éminent juge à Enies Lobby, et à sa mère, bureaucrate au Cipher Pol. Des technocrates qui ont toujours eu une vie confortable. Mount aurait pu poursuivre une vie plus simple, plus tranquille, à l'abri. Des fois, il en avait même des regrets. Il faut dire que sa situation était particulièrement pitoyable.

Il commanda auprès du barman un verre de whisky, puis deux, puis trois. L'alcool aidait à oublier, disait-on. Le Fantôme regardait impassiblement le liquide brun, le visage livide. Demain allait être le début d'une tout autre aventure, sur le Nouveau Monde. Mais ce soir, il en était encore réduit à sa condition misérable.

Il prit plusieurs autres gorgées, et reposa doucement son verre sur la table.

Puis, il remarqua que deux personnes s'étaient postée non loin de lui, le dévisageant indiscrètement.
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- Qu'est-ce que j'vous sers ?
- Deux bières.
- Chacun ?
- ... Sérieusement ?
- J'suis pas du genre à juger l'envie d'boisson d'mes clients.
- On va commencer doucement si ça ne vous dérange pas.
- C'est vous qui voyez.

    Le tenancier, en manque de personnel, s'est occupé de notre commande, comme de celles de nombreux autres clients plus ou moins sympathiques. L'endroit ne paie pas de mine, le mobilier est dans un état précaire et les angles de la pièce sont décorés de multiples toiles d'araignée. Le sol est tâché par endroits et la boisson de notre voisin s'écoule même entre les planches de bois gondolées.
    Nous sommes arrivés sur Lynbrook dans l'après-midi. Après avoir remercié froidement les marins, nous leur avions pris l'Eternal Pose, ainsi que quelques objets hors du commun, bien que l'utilité de certains me laisse dubitatif*... Dans le lot, il y avait tout de même une poupée de chat en robe rose, avec une bouche légèrement entrouverte. A l'intérieur se cachait un axe dial. Matt s'était aperçu de cela en la triturant dans tous les sens sur le pont de la caravelle, ce qui eut pour résultat de trancher d'une croix nette le bastingage auquel il s'appuyait. Je l'avais rattrapé in extremis. Malgré cette première expérience, le voleur avait décidé de conserver l'arme subjectivement mignonne.

    Dehors, il commence à pleuvoir. Il fait déjà bien sombre et le tenancier prend le temps d'allumer les quelques bougeoirs encore en état, avant de retourner faire semblant d'essuyer des verres derrière son comptoir. Nous vidons notre bière assez vite, tous les deux silencieux. D'habitude, il en fallait peu pour qu'un sujet de conversation nous vienne, mais aujourd'hui nous étions trop occupés à faire attention aux autres personnes autour de nous. Non pas qu'on se sente en danger, mais...

- Franchement, je vois mal un de ces types m'apprendre des choses que je ne sais pas sur l'arrestation d'officiers.
- Il faut bien tenter le coup. C'est toi qui a insisté pour qu'on entre dans ce bar... Il y avait des tas d'endroits moins... Enfin plus...
- Ouais, j'ai compris.

    La porte d'entrée s'ouvre. Un homme au visage sombre pénètre à l'intérieur du boui-boui et va s'installer à une table plus en retrait, là où personne n'aurait le loisir de l'embêter. Il a clairement l'air perdu dans ses pensées.
    A un moment, je ne sais pourquoi, je me mets à repenser à ce jeune sous-officier de la Marine, rencontré par hasard il y a longtemps maintenant, sur les blues. Sans qu'il ne sache qui j'étais, je m'étais arrangé pour qu'il paie sa tournée et la mienne avant de partir comme un voleur.
    Je me ressaisis bien vite : ce gars-là n'avait rien à voir.  Celui-ci est un borgne aux cheveux mi-longs, mal rasé et sans uniforme qui se tient la tête d'une main, le coude sur la table, tout en pensant à dieu sait quoi. Rien à voir avec mon pigeon de l'époque... A un moment j'ai l'impression qu'il regarde dans notre direction.
    J'interroge Matt du regard, pour savoir ce qu'il pense de cet homme. Il ne répond rien, se contentant d'une moue indécise. Je soupire, hausse les épaules et me lève de ma chaise. Je me dirige vers le comptoir, paie nos boissons au tenancier et m'éloigne, zigzagant entre les tables. J'approche de la position du borgne.

    Puis, après un dernier coup d'oeil, je me rends vers la sortie et tourne la poignée. Je n'obtiendrais pas ce que je veux ici, telle est ma conclusion. Mon compagnon m'emboîte le pas et regarde avec dépit les innombrables gouttes d'eau qui tambourinent autour de nous. Heureusement, nous avons conservé les foulards d'Alabasta, lesquels nous protègent un peu de l'humidité. Nous les réajustons autour de notre tête :

- Quel temps de merde... On ne pouvait pas attendre qu'il fasse meilleur ?
- Je préfère trouver un endroit où dormir cette nuit. Avec un peu de chance, il y aura des personnes un peu plus... Professionnelles.
- Tu te fies au physique ? Toi ?
- En plus, la bière était dégueulasse.
- Pas faux.

     Décidément, les goûts du voleur avaient fini par déteindre sur le jeune pirate. C'est du moins ce que se disait Matt. Arhye, qui supportait si mal l'alcool il y a encore quelques temps, commençait à s'y habituer, accentuant de ce fait la délicatesse de son palais et l'endurance de son foie. Il lui arrivait plus souvent d'avoir le gosier sec alors qu'il ne fumait pas plus que d'ordinaire.
    Derrière eux, la porte s'ouvre à nouveau, mais les deux hommes continuent de s'éloigner, bien décidés à se trouver un abri pour la nuit.

"Hé ! Toi !"

    Arhye se retourne, se sentant visé par l'appel. En voyant son interlocuteur, il marque un temps d'arrêt avant de hausser les sourcils.

Spoiler:
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"- tU viEns d'Où ?

- Hum... Pourquoi cette question ?

- Arhye... Viens on se barre...

- Il A qUOi le blOndInet ?!

- Genre... Maintenant..."

L'ivrogne qui venait importuner les deux jeunes hommes était un habitué du coin. Un vieux contrebandier, qui n'avait pas eu le succès qu'il espérait sur Grand Line. Par la force des choses, il avait atterri sur cette île, il y a de ça quelques années. Physiquement imposant, il tenait encore sa bouteille de vin, et en prit même quelques gorgées, avant de finir par les insulter.

Matt et Arhye pressèrent le pas, tandis que l'autre se rapprochait dangereusement.

"- On me lA fait pAs à mOI, heIn ! VenEZ ici si vous êtEs des hOmMes, bOrdel de NOM de diEu de MERDe !!

- On court ?

- Heu...

- VENEZ BANDE DE LOPETTES !!

- C'est parti... Putain !!"

Et les voilà qui fuyaient un inconnu, qui avait pour seule caractéristique d'être un soûlard qui aimait intimider les nouveaux arrivants. Alors qu'ils commençaient à s'éloigner, il enleva sa mine colérique et s'esclaffa de rire, tout en faisant des mouvements très approximatifs. Les deux pirates n'avaient pas envie d'attirer l'attention, et même si nul ne doute qu'ils l'auraient battu en combat, ils avaient préféré la fuite.

Il aimait particulièrement cette sensation de puissance. Il se pensait impressionnant. Au fond, c'était terriblement pathétique ; mais qu'importe, ça lui permettait d'échapper à son quotidien misérable. Au bar, il lui arrivait de prendre en grippe des inconnus qu'il jugeait vulnérables, avec des critères purement subjectifs. Cette fois-ci, son dévolu s'était jeté sur le jeune Frost et son acolyte.

Tandis qu'il gloussait encore, une lame vint le transpercer au niveau du ventre. Elle se retira aussitôt et, lorsqu'il tourna la tête pour comprendre la situation, il ne vit rien. Son visage moqueur avait cédé à une expression horrifiée : qui avait bien pu s'en prendre à lui, en pleine rue ? Il ne comprenait pas, mais déjà son sang s'échappait à une vitesse impressionnante de son abdomen. Il tituba, tout en tournant sur lui pour identifier la source de son agression, sans que sa recherche ne donne quelque chose. Ses idées étaient floues à cause de l'alcool, et il n'appréhendait pas encore la gravité de sa blessure. Pourtant, il était apeuré parce que quelque chose d'insaisissable pour lui l'avait attaqué. Une sorte de fantôme.

La coupure nette du vacarme que faisait l'ivrogne intrigua Arhye. Ils se stoppèrent nets ; et se retournèrent, voyant avec horreur le corps tombant de celui qui les importunait. Ils se figèrent un instant, mais très vite prirent leurs jambes à leur cou, en se demandant ce qui venait se passer.
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- Bordel de m... C'était quoi ça ?
- J'en ai aucune idée et j'ai pas envie de savoir là tout de suite ! Cours !

    Matt ne se fait pas prier : il prend ses jambes à son cou sans un regard derrière lui, ni même pour ma personne. Je le suis de près, vérifiant d'abord que rien de suspect n'arrive dans la seconde suivant la mort du pauvre bougre. Quelque chose l'avait planté et, à côté de lui, une forme fendit l'air d'un seul geste pour retirer le sang chaud qui la recouvrait. Les quelques gouttes restantes disparurent dans l'air, comme par magie. On aurait dit qu'elles devenaient transparentes...
    C'était certainement le pouvoir de quelqu'un ; un utilisateur tout comme moi. Malheureusement, je manque d'informations, notamment sur la portée, la façon dont c'est utilisé et pourquoi ça l'a été, m'empêche de répliquer comme il se doit... La cible n'était-elle que l'homme ivre ? Dans tous les cas, nous quittons la rue du drame, mouillés par la pluie incessante.

    Un bruit derrière nous me met en alerte. En jetant un coup d'oeil par dessus mon épaule, je ne vois rien... Pourtant je sens que nous sommes suivis ! C'est une impression désagréable au possible. J'en ai la chair de poule ! Mon compagnon continue sa course, plus rapide et plus agile que jamais : il creuse petit à petit l'écart entre nous. Il est bien plus habitué que moi aux déplacements dans des conditions défavorables. Ici, le dallage trempé rend les semelles glissantes, mais le voleur ne fait pas cas de cela. Moi oui... Au point où nous en sommes, Matt tient plus à sa vie qu'à la perte d'une amitié. Je ne lui en veux pas...
    Quoi que :

- MAIS ATTENDS-MOI BORDEL !

    Je freine d'un coup, les deux bras levés puis, au moment de l'arrêt, je les plaque au sol. Profitant de l'impulsion, une vague de glace vient recouvrir la zone autour de moi, sur un rayon de trois mètres. Les pieds du lâche sont pris dedans, tout comme le sont quelques tonneaux ébréchés, un pot de fleur vide et les impacts de pluie figés dans l'instant. Il se retourne et me lance :

- Mais... T'es complètement con ou quoi ?! Pourquoi t'as fait ça ?
- Un réflexe ! Désolé !
- Hé...
- C'est pas le moment de faire l'idiot, débarrasse-nous de ça et on se tire !
- Ouais attends je...
- Oh.
- Non j'attends pas ! Grouille !
- Gueule pas !
- Oh !
- Pas de "Oh" !
- C'est pas moi !
- ... C'est qui alors ?

    Nous restons là, sans bouger, comprenant qu'un autre individu est avec nous. Mais nous avons beau tourner la tête dans toutes les directions, nous ne voyons personne.

- Je suis là.

    Attiré par la voix, je pose mes yeux sur la glace dans notre dos. L'extrémité forme un cône, comme si quelque chose y était maintenu. C'est alors que je comprends que "quelqu'un" s'est fait prendre par mon action. Tout à coup, je me rends compte que la pluie qui tombe près de cet endroit n'atteint pas le sol... En fait, les gouttes s'écrasent contre une silhouette invisible. Mon coeur fait un bond dans la poitrine, puis il manque de s'arrêter complètement lorsque le spectre apparaît soudain, nous laissant bouche bée, Matt et moi.
    Personne ne bouge durant des secondes interminables... C'est finalement l'homme devant nous qui, agacé par la situation et les cheveux tombants sur le visage, décide de rouvrir la discussion :

- Vous pouvez me sortir de là, maintenant ?
- Oh, euh... Oui... attendez je...

    Je le reconnais. C'est le borgne que je dévisageais dans le bar, tout à l'heure. Et je fais le lien : c'est bel et bien le type que j'ai rencontré il y a un moment, alors que nous débattions de justice et d'autres rêveries... Ce soldat de la Marine qui avait alors fier allure. Et deux yeux au passage... Je vais finir par croire que j'attire les cyclopes à force.
    Lui me fixe d'un air sombre. Je ne saurais dire ce qu'il a en tête à cet instant. M'a-t-il reconnu ? J'espère que non... Mais s'il nous a suivi, c'est pour une raison, alors sans doute...
    Oh mon dieu : et s'il était du genre mortellement revanchard ?! Vu la facilité qu'il a eu de nous rattraper et son pouvoir déstabilisant, je m'inquiète du résultat.
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Les liens de glace se défèrent sous l'action du jeune Arhye Frost. Les deux pirates, apeurés, se tenaient à bonne distance de l'ancien marin. Celui-ci pestait ; voilà ses pieds et ses jambes engourdies. Mais l'alcool avait ça de bon qu'il masquait les sensations, la douleur, le froid. La pluie claquait violemment contre les pavés. Le Marijoan commença à se mouvoir fébrilement, jusqu'à ce qu'il retrouve sa dextérité habituelle. Le choc thermique avait été brutal. Matt aussi avait du mal à se déplacer ; mais cette fois-ci, c'était sa peur qui l'avait transi.

Mount rangea ses deux sabres dans leur fourreau, afin de prouver qu'il n'avait pas d'intentions hostiles. Pour l'instant, il n'avait pas d'intérêt à s'en prendre à eux.

"- Ne soyez pas effrayés, je veux simplement discuter.

- … De ?

- J't'ai reconnu toi, là... Arhye Frost, si je me souviens bien.

- Vous êtes un officier de la Marine, il me semble...

- Ancien. Un ancien officier.

- Ah mais... mais... Vous êtes pas le mec du journal, là...

- Attendez... Mount ?

- C'est ça. On s'est rencontré sur Boréa il y a quelques temps.

- Tu le connais ce type Arhye ?" Dit Matt, surpris.

"- Oui Matt... C'était y'a quoi, un peu plus d'un an ?

- Sur les Blues... 'Fait un bail, petit enfoiré."

C'est alors qu'Arhye se souvint de leur rencontre. Ils avaient bu un verre ensemble dans un bar, et avaient échangé sur leur parcours, leur vision du monde... Cependant, le pirate avait dû s'enfuir, alors qu'il était parti fumer une cigarette. Un plan qu'avait mal dirigé le marin d'élite, qui avait dû payer pour ses trois bierraubeurres, cette bière typique du royaume enneigé.

Quand le Fantôme le reconnut, dans la taverne, il mit un certain temps avant de s'en souvenir, la faute à l'alcool. Mais toute dette devait être épongée, alors il avait décidé de les suivre, lorsqu'il vit l'ivrogne les importuner. Un criminel notoire qui n'apportait rien à la société ; le genre de vile crapule qu'il abhorrait. Un moins que rien, qui avait fini sur Lynbrook par malchance.

Inconsciemment, il se reconnut en lui. Un homme brisé, qui était plein de rêve en entrant sur Grand Line, et qui avait fini au fond du trou. Un raté, dont la vie n'avait pas beaucoup de valeur. Bien sûr, la situation réelle entre Mountbatten et lui était bien différente. Mais saoul, l'ancien marin d'élite ne vit pas les nuances qu'il fallait apporter dans son parallèle. Il se détestait ; ou plus précisément, il haïssait ce qu'il représentait : l'échec. Lui, qui avait gravit les échelons un à un, qui n'avait eu de cesse de s'attirer les gloires et les honneurs, avait ironiquement fini par être trahi par le Gouvernement Mondial.

Alors, à ce moment-là, il n'avait pas beaucoup réfléchi. D'un côté, il voulait se faire rembourser ; de l'autre, il y avait cet homme qui représentait, par transfert, cette partie de lui qu'il exécrait. Son meurtre était un exutoire de sa rage ; un mal nécessaire pour apaiser sa frustration. Le fait qu'il fusse contrebandier l'avait convaincu à passer à l'acte : ce n'était pas un innocent. Dès lors, tout sentiment de remord était exclu. C'était cette rigidité d'âme ; cette droiture inflexible qui l'avait toujours mené à conduire sa mission jusqu'à son succès, sans jamais s'interroger sur le bien-fondé des moyens qu'il employait pour atteindre ses fins.

Et puis, il connaissait un peu Arhye. Lors de leur rencontre, il avait découvert un jeune homme même pas majeur, d'une gentillesse rare et aux origines similaires. Au fond, il avait ressenti une forte empathie pour son cadet. Son histoire personnelle demeurait néanmoins obscure, opaque : le récit qu'il avait livré était contradictoire, et cela avait retenu son attention. Peut-être allait-il pouvoir avoir des réponses cette fois-ci.

"- Tu te rappelles de notre rencontre là-bas ?

- Hum... Oui...

- Tu m'dois trois bières. J'suis venu prendre mon dû.

- ... Euh...

- J'suis gentil, je compte par les intérêts. J'aimais bien le bar où on était t'à l'heure. On y va ?"
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Et nous y revoilà. Le bar que nous venions de quitter après une course sous la flotte au beau milieu d'une ville que nous ne connaissions pas, accompagnés d'un individu plutôt renfermé. Peu loquace sur le chemin, il entame la conversation dès lors que nous ouvrons de nouveau la porte :

- Asseyons-nous là, près de la fenêtre. On y sera tranquille pour discuter.

    Nous nous exécutons de concert, jaugeant la sobriété de la décoration dans cette partie de la pièce. Et pour cause : l'endroit semble vieux, et le tout tient grâce à six colonnes de bois, dont certaines sont consolidées par des poutres apparentes, assez basses. Notre table se trouvant dans un coin, avec l'un des piliers juste à côté, il n'y a plus de place pour meubler... Au moins l'architecture suffit à nous offrir toute la discrétion dont nous avons besoin.

- Trois bières donc ?
- Trois bières et le hors d'oeuvre.
- Mais sans les intérêts...
- C'était plus cher à Boréa. Ici, y a pas de bière locale.

    Je ne dis plus rien. Il était dans le vrai, pas la peine de chercher à négocier... Néanmoins son sourire satisfait suffit à me faire pincer les lèvres. Il savoure gentiment sa petite vengeance. Matt de son côté hèle quelqu'un pour qu'on nous serve.
    Une fois nos verres en main et seuls, nous entrons dans le vif du sujet :

- Alexander Mountbatten.
- Plaît-il ?
- C'est mon nom. A vous.
- Euh... C'est Ar...
- Et pas la peine de mentir, j'ai vu les avis de recherche.
- Dans ce cas pourquoi je dois me présenter ?!
- Question de principe ! La bienséance, tout ça. Et je ne connais pas ton ami.
- ... Arhye Frost.
- Matt Denis.
- Qu'est-ce que vous fichez là tous les deux ?
- Eh bien... on pourrait te poser la même question, il me semble.
- Disons que je cherche des réponses. Et il parait qu'on trouve des informations utiles dans les parages.
- Quel genre d'informations ?
- Chacun son tour. Une question chacun : à toi.

     L'ex-officier Mountbatten tapote machinalement le coin de la table avec son doigt. Il ne parait pas agacé par la répartie, mais il réfléchit. Un sourcil se fronce, quelques gorgées s'en suivent, et Matt triture sa boisson comme s'il était davantage intéressé par les traces potentielles de saleté sur les bords du récipient plutôt que par notre entrevue... Un réflexe d'auto-défense qui me fait soupirer intérieurement. J'ai toujours apprécié son sens aigu de la solidarité, en toutes circonstances...

- Il s'est passé pas mal de choses en un an. Pas le genre de truc que j'ai envie de raconter à n'importe qui. Même si c'était le cas, c'est trop long et ça mériterait plusieurs questions. Donc enchaîne, on verra après.
- Je commençais à croire qu'on était tombé sur un type réglo...
- Il a quand même tué l'autre ivrogne sans raison...
- Ta gueule...

- Allons, je pense être assez conciliant là : t'es quand même le type qui m'a laissé avec une note en plan et qui se trouve en plus être un pirate recherché. Il suffirait que je te dénonce là, tout de suite, et il y a de fortes chances que des gens te tomberont dessus pour la prime.

    Je grimace. Il marque encore un point. Ce Mountbatten n'est pas stupide : même si cela le place dans une situation délicate, il est conscient de ce que cela pourrait avoir pour conséquence pour moi. J'imagine qu'il se doute que je suis le genre de personne à préférer rester discret. Je termine mon verre, demande à ce que l'on soit servit à nouveau et joins les bras :

- Je cherche quelqu'un. Un officier, comme toi.
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"- Un officier ?"

Mount haussa légèrement un sourcil. Quelle drôle d'idée que de rechercher un marin sur Lynbrook. Mais soit, le jeune homme avait attiré son attention. L'alcool se dissipait petit à petit, et il retrouva assez vite son sérieux.

"- Oui... Un ancien colonel de la Marine.

- Un colonel ? Ça me fait une belle jambe, tiens. Il y a plus d'une centaine dans ce monde ! Mais... T'as dit ancien ? Tu cherches un colo à la retraite ?

- Hum... Pas vraiment. Est-ce que vous vous souvenez des événements de Luvneel en 1626 ?

- Luvneel en 1626... Faut dire qu'il y a eu pas mal de choses de mémoire. Me semble qu'une dragon céleste a été prise en otage cette année-là... Y'a aussi eu une guerre fratricide entre deux factions de la Révolution. Tu parles de quoi exactement ?

- Je parle surtout de la bataille entre révos et marins. Tu sais, celle qui a ravagé le centre-ville.

- Ah ! Oui, je me souviens. Une victoire à la Pyrrhus, de ce qu'on disait... Mais... Tu veux parler du colonel... Du colonel qui a été envoyé en cours martiale par la suite ?

- … Oui.

- J'en ai vaguement entendu parlé... D'après les bruits de couloir, il attend son dernier jugement à Enies Lobby. Peut-être l'a-t-il déjà reçu d'ailleurs. M'enfin, ça m'étonnerait pas qu'il l'attende toujours. Les services judiciaires sont toujours très longs dans ce genre de cas. De vrais fonctionnaires.

- Alors... Il serait toujours en vie d'après toi ?

- J'en mettrai pas ma main à couper, mais c'est possible. Pourquoi tu t'intéresses à lui ?

- Oh... J'ai... J'ai des choses à régler avec lui."

Mount sourit. C'était une réponse si vague, qui trahissait l'importance du colonel pour Arhye. En réalité, le Fantôme s'était pris d'affection pour lui. Ils n'avaient pas une différence d'âge si élevée ; pourtant, l'écart semblait bien plus grand. D'un côté, un ancien officier brisé, qui avait vu tant d'horreurs sur Vindex ; de l'autre, un jeune pirate plein de vie et d'espoir. D'une certaine manière, ça lui faisait du bien de voir un tel personnage.

"- Attend... En 1626... Tu devais être bien jeune. T'étais déjà pirate ?

- Hum... J'ai commencé cette année-là, on va dire.

- Ahah ! Eh bien, faut dire qu'on a commencé la vie active en même temps. Je suis rentré dans la Marine cette même année. Même si nos parcours ont été différents, nous voilà réunis à l'autre bout du monde, et pour la première fois du même côté. Quelle ironie !" Dit Mountbatten, avec une pointe d'amertume.

"- Si tu veux le retrouver, ça sera pas pour tout de suite dans tous les cas. Pénétrer à Enies Lobby, c'est tout sauf facile. Ah... C'est marrant, parce que je dois aussi m'y rendre.

- Ah bon ?

- Ouais... J'ai quelqu'un à voir.

- Dans ce cas... On pourrait s'aider mutuellement.

- C'est une possibilité. Cependant... On est trop faibles pour l'instant." dit-il, en grinçant les dents.

A Enies Lobby, il voulait retrouver son père, et lui révéler la vérité sur sa prétendue trahison sur Vindex. L'avantage étant qu'il possédait déjà une Vivre Card qui pointait directement sur lui. A présent, il fallait qu'il monte en puissance, qu'il s'entraîne jusqu'à devenir capable d'atteindre son cher père. La route était encore longue, mais il était déterminé. Il n'allait pas laisser le Gouvernement Mondial dissimuler la vérité à sa famille, à laquelle il était si attaché.

"- C'est pas faux... Que faire ?

- Eh bien... Sache que je pars demain pour le Nouveau Monde. J'espère pouvoir reconstruire ma vie, et un jour, être suffisamment fort pour me rendre à Enies Lobby. Je te conseille de te préparer sérieusement, si tu envisages vraiment de revoir un jour ce colonel."
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- Je vois.

    Le Nouveau Monde... Un territoire difficile d'accès. La zone de tous les dangers selon certains. Une simple erreur en mer là-bas et c'est la mort assurée. Du moins c'est ce qu'en disent les personnes que j'ai interrogées jusque là, dans l'espoir d'une réponse quant à mes parents. Si mon père attend à Enies Lobby, pourquoi attendre ?
    En même temps, il a raison sur un point : malgré le logia que j'ai eu la chance de manger, je manque cruellement de force. On ne s'attaque pas au siège de la Justice aisément, cela va de soi, et un minimum de préparation est de rigueur.
    Mon père pourra-t-il attendre ? Sera-t-il condamné le temps que je le rejoigne ? Penser à cette éventualité me soulève le coeur. Mais malgré tout, je ne peux pas foncer dans le tas sans réfléchir. En plus, ce Mountbatten me fascine. Son histoire ressemble beaucoup à la mienne, dans un sens. Mais lui a pu rentrer dans les rangs et sa simple vue, aujourd'hui, me fait comprendre qu'il en a bavé plus que moi. S'il a retourné sa veste, c'est pour une très bonne raison, j'en suis persuadé. Il ne ressemble pas à un menteur et il n'a aucun intérêt à me mentir. J'ai déjà pu en juger auparavant, mais même avec cet air sombre qu'il affiche désormais, il a un bon fond. Je ne pense pas me tromper là-dessus.

- Dans ce cas, emmène-nous avec toi.
- ... Vous êtes sûrs de vous ?
- T'es sûr de toi ?
- Oui. Certain.

    Alexander Mountbatten me fixe intensément de son oeil valide. Le reste de son visage m'apparait mystérieux. Il sirote son verre, alors j'en fais de même, suivi par Matt. Ce dernier ne partage pas ma conviction, mais il ne dit rien car il est prêt à accepter n'importe quoi, tant qu'il est capable de me soutenir. Finalement l'ex-officier pose sa bière et répond :

- Entendu, mais il va falloir la jouer fine. Comprenez bien que je n'ai pas prévu d'emmener qui que ce soit avec moi à la base : l'homme qui m'attend va se poser des questions.
- Aucun problème, avec Matt nous avons déjà eu à négocier des traversées de la sorte.
- Pas pour le Nouveau Monde. Et en compagnie de personnes recommandables je suppose.
- ... Pas pour le Nouveau Monde, et en bonne compagnie, en effet.
- Alors tâchez de faire "bonne figure". Laissez-moi parler et ça devrait bien se passer... Dans le cas contraire, négociez avec tact. Gagnez leur respect. Vu tes capacités, ça devrait fonctionner. J'espère.

    Comprenant qu'il parle de mes pouvoirs de glace, j'acquiesce d'un air confiant. Je regarde mon compagnon et il finit par soupirer avant de confirmer mon choix. Nous finissons nos boissons et, ma dette payée, nous nous apprêtons enfin à quitter les lieux. La pluie a cessé d'ailleurs, et l'odeur de la pierre humide, appuyée par l'aspect sale du quartier transforme le parfum des environs. Pour nous, c'est le signe que nous ne pouvons plus que remonter, après avoir touché le fond et fréquenté les déchets de l'humanité...
    Bon, peut-être que j'en fais un peu trop. Pourtant je ne peux m'empêcher de penser que cette fois tout ira mieux. Après tout ce temps, quelque chose de concret va se produire. Mountbatten se retourne vers nous :

- Nous partons demain. Rendez-vous ici en fin d'après-midi. A dix-huit heures, nous serons partis.
- Compte sur nous.

     Après un dernier hochement de tête, nous nous éloignons.
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