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Une cible facile ?



« Ah, te voilà ! J’ai failli t’attendre, tu faisais quoi ?
— J’ai fait un tour aux ruines de Glandor, au Nord.
— Ah ? C’était comment ?
— Incroyable ! J’ai dû un peu crapahuter pour y aller, mais ça valait le coup. »

.     Alors ça, pour crapahuter on peut dire que j’ai crapahuté. La compagnie CBV offre une voiture-navette, mais j’ai entendu dire qu’il y a un petit sentier à fleur de volcan. L’idée m’a séduite instantanément ! J’ai acheté une carte et une boussole, parce que la mienne ne marche plus depuis deux semaines. J’ai discuté avec un guide touristique et il m’a confirmé les faits mais par contre – a-t-il ajouté, c’est un sentier difficile et il vaut mieux louer ses services pour qu’il m’accompagne. La dernière fois qu’un guide m’a dit ça, je l’ai cru sur parole et ce fut une petite promenade de santé où je n’ai pas eu le droit d’aller escalader les rochers ou de m’approcher du bord des falaises alors cette fois, j’ai dit non. N’écoutant que mon cœur et toute excitée à l’idée de partir toute seule, j’ai suivi la carte jusqu’à la bordure de la ville où les ruelles étroites et étrangement désertes donnent l’impression qu’on va se faire agresser à chaque carrefour. Les maisons sont serrées, elles sont tellement hautes que la faible lumière qui filtre timidement à travers le brouillard permanant ne passe pas. Çà et là, de timides lanternes projettent une lueur pâlichonne sur le sol. Sous mes pieds, la rue en pavés poussiéreux s’étendait en zigzaguant avec un dénivelé si important que je devais me pencher fortement pour ne pas tomber en arrière.
.     Malgré la carte, j’ai dû m’y reprendre à plusieurs reprises pour m’y retrouver dans ce dédale incohérent de méandres et de circonvolutions. À un moment, j’ai vu un schorre vaseux figé dans l’escalade du volcan, obiones voletant entre les sillons sinueux. Puis les rues sont devenues tout de suite moins glauques : de larges allés colorées dont les nuances de gris fluoresçant flamboient à la lumière des lampions et du Soleil qui se diffuse à travers la grisaille permanente et semble venir de partout et de nulle part à la fois. Si les couleurs étaient vivantes, ce serait des fleurs. Éphémères et journalières, elles s’épanouiraient à l’aube pour dépérir au soir et rejoindre le néant pendant la nuit… Quelle existence fascinante ce serait ! Elles ne seraient qu’un jour mais sauraient nous enchanter, nous ravir et égayer nos vies ; une existence courte mais pleine de sens. Tulipes roses lilas, pervenches feuilles de marguerite, toutes les couleurs se fanent et s’éteignent dans un éclat agonisant qui s’étire en silence… Ici, c’est l’hiver des couleurs, un hiver permanent. C’est fantastique.
.     Après avoir trouvé le sentier, j’avoue que j’ai regretté mon choix. J’aurais dû louer un lamas, quelle idée de vouloir faire ça à pieds ! Le guide m’avait prévenue, pourtant. C’était presque de l’escalade, et c’était dangereux. Une fois mon pied a glissé et s’est retrouvé coincé dans une crevasse, j’ai cru que j’allais mourir ! J’en ai pleuré et ça m’a fait un mal de chien, qu’est-ce que j’ai eu mal ! Heureusement, j’ai réussi à m’en sortir et j’ai fini par me retrouver sur place. Glandor. Une ville rescapée de la grande catastrophe d’il y a trois cent ans, le Talion. C’était incroyable. Une ville fantôme, avec des ruines encore debout entre lesquelles on peut deviner la vie, les enfants qui courent et les vendeurs qui alpaguent le flot ininterrompu de passants. Mais surtout, il y avait ces gens figés dans la pierre, comme des sculptures hyperréalistes à demi émiettées, ils étaient magnifiques. J’ai eu de la peine pour eux. Leur vie s’est arrêtée d’un seul coup, piégée dans les cendres pour l’éternité. Oui, ça valait le coup.

« Bon, tu m’écoutes ou pas ? »

.     Mori me ramène à la réalité. Il a pris le matin et le début d’après-midi, moi je dois faire le soir et l’après-midi. C’est mieux pour moi parce que l’après-midi, il fait vraiment chaud sur cette île, même en hiver. C’est cette brume, là : elle agit comme un radiateur.

« Ah ? Euh, oui. Tu disais ?
— Non, rien. Fais comme d’hab’.
— D’acc’. Dis, c’est quoi ça ?
— Oh, c’est un modèle défectueux : la canne est trop rigide et ne se plie pas assez. Je l’ai bricolée à partir d’un vieux bâton de combat il y a quelques années mais maintenant on l’a remplacée avec une vraie canne à pêche.
— Et je dois la vendre ?
— Non, laisse tomber. J’ai essayé mais personne n’en a voulu. Dans l’idéal j’aurai aimé lui donner une nouvelle vie mais bon. Je suppose que je vais la garder en souvenir.
— Je vais la mettre de côté. Bonne journée.
— Bon courage ! »

.     Je prends place derrière l’étable et je commence à rassembler les fruits et légumes. Pour une fois, on a de la marchandise périssable, on l’a récupérée auprès des producteurs qui avaient fait des récoltes aussi exceptionnelles qu’inattendues : Mandarines, pommes, poireaux, poires, litchis, courgettes, courges, kiwis, oranges, choux, navets, panais, pommes de terre, carottes, radis… Il y a de tout, et en grandes quantités. Voilà qui est prometteur. Les clients défilent et se suivent, je les conseille et leur explique comment éplucher, cuisiner, assaisonner. Parfois ils ne connaissent pas un produit alors je leur donne des recettes, parfois ce sont eux qui me donnent des recettes et je les note dans un coin de ma tête en priant pour ne pas les oublier. Je négocie les prix et leur explique qu’on a dû voyager et braver la mer pour leur apporter ces marchandises, j’accorde quelques rabais pour ceux qui achète beaucoup d’un coup et je donne parfois des patates douces aux enfants en leur faisant un clin d’œil. Je fais les choses à l’instinct, je ne calcule pas. Je me livre parfois à une difficile évaluation pour savoir si le rabais demandé me pousse à vendre à perte mais je suis nulle en opérations mathématiques donc à la fin j’espère juste que ça passe. Je l’espère vraiment parce qu’on m’a suffisamment tiré les oreilles comme ça et que je ne sais pas si le capitaine était sérieux lorsqu’il a dit que, la prochaine fois, il ne me laissera pas remonter sur le bateau. J’espère que non. C’est répétitif, pas forcément passionnant mais je vois des gens et je me sens utile. J’aimerais encore explorer l’île, aller à Kone-Tropez et voir une démonstration de Grixendre, mais pour ça il va falloir attendre demain. J’ai vraiment hâte ! En attendant, les affaires marchent vraiment bien : j’aurai tout écoulé dans la soirée.
  • https://www.onepiece-requiem.net/t14992-les-civils-ont-du-mordant
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