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La règle de Trois

Cela faisait deux jours qu'il ne cessait de pleuvoir. En trombes vives, crachin timide, mais il pleuvait, toujours. Les rizières de Kawai étaient comblées, les paysans trempés. Le fleuve, gonflé, d'une peau adipeuse et grêlée des gouttes qui le nourrissaient. C'était au son de cette musique joviale  que chantait le claquement sec et répété du bois. Kodaru s'en servait pour se repérer.

Lui non plus, n'avait cessé de parcourir l'île, devançant de quelques heures seulement la première averse. Il avait rencontré les maîtres des différentes écoles, un rite initiatique pour qui briguait la place du sixième senseï, celle de l'école des trois sabres, vacante depuis le décès du regretté maître Musashi.  De nombreux prétendants avaient tenté leur chance, sans succès. Maîtriser le combat aux trois sabres était un filtre d'une difficulté rédhibitoire en soi, le savoir s'avérait soit perdu, soit dilué. Mais surtout, il fallait l'aval des autres maîtres. Car être un des maîtres de Shimotsuki, c'était en devenir un pan de culture entier.

L'île était repliée sur elle-même; elle l'avait toujours été. Les étrangers n'étaient pas bien vus. Bruyants, vicieux, égocentrés, irrespectueux. Les natifs les laissaient venir, les traitaient avec égards, mais les canalisaient dans la ville principale, leur y offrant toutes les attractions nécessaires à un bon séjour de dépaysement. Demeuraient bien quelques curieux ou véritables pèlerins, venus se ressourcer dans la retraite passagère ou prendre un cours de sabre dans l'enseigne de leur choix. Ces cas restaient rares et, de toute façon, beaucoup repartaient après avoir appris une leçon précise. Afin de ne pas travestir sa culture endémique, tout en offrant au pays membre de l'Assemblée des Nations une volonté d'ouverture, Shimotsuki assurait le spectacle tout en protégeant ce qui était sa véritable essence. Là était la difficulté d'intégration. Là était la tâche la plus ardue pour quiconque voulait compter parmi les six voix de la voie du sabre en ces terres imprégnées de traditions strictes.

Kodaru voyait enfin la rivière. Avec ces forêt de bambous et giboulée, une ligne horizontale se faisait bien apprécier. Le chapeau tressé lui avait considérablement épargné le haut du visage, mais tout son kimono pesait le triple de son poids. Ses gettas s'empoissaient d'une terre boueuse, la lanière coincée entre ses orteils ne cessait de glisser, à tel point qu'il recroquevillait les doigts à chaque foulée pour s'assurer de ne pas finir la plante enfoncée dans la terre meuble et les copeaux de graminées. On prétendait que ce n'était pas la destination qui importait, mais le parcours. Pour l'heure, Kodaru chérissait la ligne d'arrivée.

Quand il dépassa les derniers poteaux il vit une silhouette. Assis, de dos, dans un épais kimono blanc, Gharr ne bougeait pas. Inflexible, même par ce temps. Kodaru avança avec prudence pour ne pas troubler le méditatif, déjà soucieux d'en apprendre sur sa technique. Hadoc était un maître très apprécié sur l'île, un gradé de la Marine de surcroit. Il représentait une passerelle entre le monde extérieur et Shimotsuki, qu'il avait protégée depuis sa jeunesse tout en formant la 9ème division en garnison. Son école au sabre de bois comportait bien des mystères, à tel point que l'étranger n'en connaissait que les bases. L'art de combattre sans combattre, une philosophie martiale traduite dans la pratique du boken. Néanmoins, les talents du Commodore en tant que pur bretteur n'étaient pas en reste. Avait-il repéré Kodaru malgré sa méditation ? Et ces bruits de bois entrechoqués, étaient-ils ceux de ses élèves ? Probable, personne ne vivait ici. Kodaru songea immédiatement à ce qui apparut une évidence. Hadoc ne méditait pas, il écoutait. Il se repassait le combat dans la tête à la seule audite des coups portés plus en aval du fleuve. C'était grisant, avoir un tel être devant lui ! Il allait apprendre, comprendre l'univers qui l'entoure. Peut-être même développer le haki de l'empathie. Mais chaque chose en son temps et celui des présentations était venu.

Maître Hadoc ?

L'être assis se redressa légèrement à l'appel et se retourna. Le regard sombre, la barbe dense, une carrure épaisse, les paysans n'avaient guère menti quant au descriptif du senseï. Là où les approximations pointaient, c'était sur le reste. Les grosses joues, déjà. Puis, ces épaules massives, mais dodues. Ce kimono doublé d'une fourrure blanche et ces petites oreilles noires contrastant avec les grandes dents blanches occupées à perforer le bambou, dont les miettes pleuvaient sur un menton et un torse couverts de poils. Un panda, c'était un panda. Kodaru sursauta face au gros goinfre indifférent, qui reprit aussitôt son passe-temps favori. Les coups continuaient à se propager et, en longeant le fleuve, l'étranger perçut la silhouette immergée jusqu'aux épaules, à côté du pont qu'elle était en train de bâtir.

Kodaru observa l'ouvrage et l'homme occupé à le réaliser. Oeil sombre, barbe dense et brune, teint mat, espèce humaine, ce devait être lui cette fois. Qui d'autre, de toute façon ? Hadoc construisait un appontement, dont chaque latte de bois était un hémisphère de bambou posé comme une tuile, percé aux extrémités et lié de fibres souples. C'était rudimentaire, mais bien réalisé. Sur la berge, un monticule ordonné laissait imaginer l'ampleur de la tâche finie. Les sons de percutions, c'était l'homme qui fixait et éprouvait ses planches en tapant dessus avec un gourdin de bois semblable à ceux que devaient employer les primitifs avant les premières forges. Du reste, les quelques instruments laissés près du tas de bambous étaient en bois taillé sans fioritures. Rien en métal, l'école au sabre de bois semblait puiser son nom dans sa littéralité.

Comme le maître ne semblait réagir ni à la vue, ni à la voix de Kodaru, ce dernier se résigna à protéger ses cheveux de l'averse et ôta son chapeau, s'en servit de corbeille pour son kimono qui sera au moins protégé de la boue, puis apporta au bâtisseur les tuiles suivantes, ainsi que la corde. Hadoc le remercia d'un hochement de tête et l'inclut immédiatement dans les travaux. Les deux hommes n'échangèrent aucun mot, seulement des onomatopées en coups de marteaux qui répondaient aux rires de la pluie.


Dernière édition par Gharr Hadoc le Mar 26 Mar 2019 - 17:02, édité 1 fois
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La chanson se poursuivit, sans les percussions. Kodaru, assis sur le rebord de l'appontement terminé, jouait avec le courant qui lui avait avalé les jambes jusqu'à mi-mollet. Malgré l'humidité, la chaleur ambiante rendait la pluie fraiche agréable. Hadoc le rejoignit sur le rebord et lui tendit un bol de bouillon froid. Il le remercia et l'attendit avant de commencer le repas. Des nouilles épaisses du pays, il en avait déjà mangées durant son séjour. Il reconnut quelques algues dont les noms lui demeuraient incertains, ainsi que des copeaux de bonite, un poisson proche du thon. Un oeuf mollet mi-trempé tournait doucement au mouvement de la cuillère en terre cuite offerte dans le service. Enfin, avec ça, une bouteille de bière, cueillie à l'instant même parmi la panier immergé dont les lanières s'entrelaçaient à l'un des piliers de l'appontement.

Bon appétit !
Mangeons.

Le sabreur, malgré l'approche de la trentaine, se sentit impressionné par le seul mot du maître. Un sentiment ridicule, il en avait conscience. Mais Hadoc était plus âgé que lui, plus massif et, vêtu d'un simple fundoshi, le pagne traditionnel, le corps exposait d'innombrables cicatrices. Des marques de lacération au sabre, aux griffes, des impacts de flèches, de balles, des pieds au visage, la peau du maître était une histoire riche d'aventures et erreurs commises. Kodaru lui-même en possédait quelques unes, sans ressembler à une piñata qui avait résisté aux assauts de gamins furieux de ne pas en triompher. Surtout, la voix du senseï était grave, caverneuse et calme, comme un tonnerre grondant au loin avant les picotis des premières goutes.

Après quelques bouchées, au demeurant délicieuses, Kodaru chercha à briser ce silence qui le mettait mal à l'aise. Il goûta chaque aliment, les savoura et en fit naturellement le prétexte d'une conversation banale.

C'est succulent ! Comment on appelle ça ?
Un bukkake.
Pa...pardon ?
Pardon, s'excusa Hadoc en reposant sa cuillère sur son bouillon, un bukkake-udon, c'est le nom complet. Udon, c'est le nom des nouilles et bukkake signifie "mettre sur" dans la langue du pays. Ravi qu'il vous plaise.
Ah, oui c'est pour ça, d'accord.

Kodaru ne se sentit pas plus à l'aise. Il tâcha de ne pas passer pour un pitre face à celui dont il espérait l'aval au titre de futur maître de Shimotsuki. Une gorgée de bière lui rendit une certaine contenance. C'était léger, mais bon. Et avec toute cette eau, un goût de produit fermenté soulageait un peu le besoin de confort par la boisson. Lorsqu'il finit son bol, il rendit hommage à la coutume apprise à Honnoji. En effet, bien que la pratique puisse déranger ailleurs, il était bien vu de roter en fin de repas, afin de signifier à son hôte qu'on avait bien mangé. Kodaru termina exprès sa bière pour faciliter son éructation, qu'il réussit avec brio, masquant même une seconde le fond sonore de l'averse. Seul un sanglier aurait pu rivaliser; et encore, ivre. Il sourit, fier, et vit au regard de Hadoc qu'il avait absolument tout faux sur cette coutume pourtant véhiculée par des marins du port. Les canailles !

Evitez ce genre de remarque dans les lieux publics. Les habitants chérissent le calme.
Oui, maître ! Désolé !
Tout le monde faute. Vous possédez trois sabres, de grande qualité. Si vous étiez venu afin de parfaire votre formation, je suis navré de vous confirmer ce qui a déjà dû vous être révélé. Maître Musashi est mort. Un savoir s'est perdu.
J'ai appris oui, bien avant de venir ici en réalité. Maître Hadoc, je vais vous parler sans détour. Je m'appelle Kodaru, disciple de feu maître Cy O. Pang, formé ici avant de s'établir sur Grandline. Je ne prétends pas pouvoir remplacer maître Musashi, mais j'ai été formé durant des années, depuis mon adolescence. Ce que maître Pang ne pouvait m'apprendre, je l'ai acquis au cours de mes nombreux voyages. Je voulais attendre d'être prêt, de me sentir légitime. Ce jour est venu. Je m'y prépare plus intensément encore depuis un an, depuis que j'ai appris le drame. Je sais que vous ne me connaissez pas, mais je veux vous prouver ma valeur. Acceptez-vous de me faire passer un test ?
Je vois, conclut en ton mineur le Commodore qui avait définitivement congédié son repas. Tu n'es pas le premier à offrir ton dévouement. A toi, comme aux autres, je réponds ceci : être un maître du sabre de Shimotsuki est difficile, surtout pour un étranger. Les autochtones ne font aucun cadeau et il faut gagner leur confiance. Cela ne s'obtient qu'avec le temps.
Je le sais, maître Hadoc. confessa l'étranger sans hâte. Ce temps, je suis prêt à le payer. Ce que je veux aujourd'hui, c'est votre approbation.

L'homme à la peau aussi foncée et marquée que l'écorce observa un instant Kodaru qui, et cela le surprit, ne se sentit pas toisé, pas plus que jugé. Hadoc termina les quelques cuillerées de son udon et reposa doucement le bol, avant de poursuivre, un soupçon d'amicalité dans l'intonation:

 Tu sembles savoir où tu vas. As-tu rencontré les autres maîtres ?
Tous, à l'exception de maître Hanzo. Je suis passé à son dojo, sans l'y voir.
 Tu ne le verras peut-être pas. Que t'ont dit les maîtres ?
De m'intégrer et de prouver ma force ainsi que ma bonne foi.
Effectivement. Très bien, Kodaru, faisons cela ! Apporte-nous à chacun trois solides tiges en bambou de taille égale, coupées à hauteur de tes sabres. Prouvons ta force. Je ne te demande qu'une chose au cours de ce combat: ne me fais aucun cadeau.


Dernière édition par Gharr Hadoc le Mar 26 Mar 2019 - 17:29, édité 2 fois
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Ils se firent face, à dix pas de distance. Kodaru, nerveux, remercia secrètement la pluie de lui gommer les traits. Hadoc, figé dans son kimono gris, le fixait, chaque main enserrée autour des bambous, le dernier calé entre les dents. Peu avant l'affrontement, les mots de maître Pang résonnaient dans la mémoire de l'aspirant. Ne pas s'essouffler, ne jamais croiser ses lames, réserver les coups de la troisième pour terminer le combat ou obtenir un avantage conséquent. Tout semblait clair, les entraînements contre un autre pratiquant des trois sabres furent courant durant sa formation. Mais cette fois, il ne s'agissait pas de Pang. Kodaru devrait se servir de ses acquis tout en reprenant à zéro la tactique face au bretteur adverse. Sans parler du fait qu'il ignorait totalement si Hadoc, dont la spécialité martiale est autre, était plus redoutable ou non que son propre senseï. Toutes ces questions, tous ces doutes lui fouettèrent le sang et attisèrent l'angoisse.

Puisqu'il était celui qui devait faire ses preuves, Kodaru fit le premier pas. Attaquer offrait la puissance et le rythme, mais également de nombreuses ouvertures à l'adversaire. La boue ralentissait sa course, mais la pluie réduisait la visibilité. Ne pas sauter, c'était se condamner face à un maître. Ne pas le déborder par la droite, car ses lames portaient à gauche. Offrir à Hadoc le côté bardé de défenses était une erreur naturelle, aussi naturelle qu'entamer un combat aux poings par une droite en plein visage. Surprendre. Prendre des risques, mais surprendre.

Il termina sa course en piqué horizontal et décrivit une spirale instantanée de lames. La position offrait une exposition réduite et l'obligation pour Hadoc de se décaler. Ce qu'il fit. L'attaquant réserva une fourberie en détendant les bras sitôt à la hauteur du senseï pour chercher une ouverture. L'hélice trouva une parade de bambou, mais Kodaru avait pris soin de charger le sien du haki offensif, ce qui lui permit de faire voler en éclats l'une des armes de Hadoc et le força à esquiver le reste de l'attaque. Retombé sur ses pieds, sans heurt, sans dommages, le disciple se sentit soudainement soulager. Le senseï ignorait l'emploi du haki, vraiment ? Ou bien l'avait-il sous-estimé ? Peu importait, il avait toujours ses trois sabres et son adversaire venait d'en jeter un au sol.

Il prit confiance sans pour autant baisser sa garde. L'avantage d'une arme supplémentaire lui permit de toujours veiller à parer le maître, tout en le poussant à ne trouver aucun temps mort, aucune occasion de répliquer. Le son des entrechocs rivalisa avec le éclats de gouttes tout autour d'eux. Hadoc était rapide, défensif, réfléchi. Trop, il lui manquait une chose que le plus jeune bretteur avait et qui faisait toute la différence. Le combat instinctif. Une lecture du duel se passant d'analyse, se jouant uniquement sur des acquis devenus subconscients, donc instantanés. Hadoc était un bon tacticien, pas un meilleur guerrier.

Une seconde lame de bambou se rompit. Le haki avait une nouvelle fois piégé le maître. Contraint à un unique moyen de défense, Hadoc favorisa l'esquive et chercha la faille. A son grand étonnement, Kodaru le trouva encore plus compliqué à canaliser. Le poisson se sentait proche de la berge, il se débattait pour échapper à la ligne avant qu'il soit trop tard. Se calmer, ne pas se précipiter dans une illusion de victoire. Hadoc attendait de lui une erreur et était un maître. Une seule brèche dans une digue suffisait à la neutraliser. Alors, le disciple de Pang poursuivit son travail et son ascendance, patiemment. Plus d'une fois, il dût parer au dernier moment une attaque qui aurait pu le mettre en déroute, si elle avait été enduite de haki. La certitude était pleine à présent, Hadoc ne pouvait l'employer. Etonnant pour un maître, fut-il d'East Blue. Et en même temps, Shimotsuki était davantage une terre de connaissance que de prouesses militaires. Voilà pourquoi une armée de la Marine pour les protéger, voilà pourquoi la plupart des senseïs présents cherchaient davantage des élèves que l'aventure. C'était décevant, en un sens, bien qu'empreint d'une indéniable forme de logique.

Le dernier assaut se présenta, tous deux le ressentirent. Hadoc chercha un coup latéral dans la mâchoire de l'aspirant pour en finir, au prix de la totalité de sa défense. Un double chaos, c'était son plan. Bien pensé, surprenant même. Mais insuffisant. D'un coup sec, Kodaru dévia le bras armé du senseï et, d'une de ses autres lames, fouetta avec violence le tronc d'Hadoc. Sans haki, pour ne pas le tuer. Néanmoins, le choc demeurait suffisant pour projeter le barbu au sol, dominé et vaincu. Le combat était terminé.

Maître !


Le dernier homme debout se rua au secours du senseï qui accepta son aide pour le relever, le coup puissant porté au torse encore éprouvant, à tel point qu'Hadoc peinait à retrouver son souffle. Avec une certaine compassion pour le vieux guerrier, Kodaru le laissa se reprendre, quelques secondes.

Tes talents sont impressionnants.
Voulez-vous que je vous aide à marcher ?
 Non, inutile. Laisse-moi juste respirer un peu.

Le jeune bretteur s'exécuta et jeta ses armes de bambou au sol. Le panda, jusqu'ici impassible, vint s'enquérir lui aussi de la santé de Hadoc qui le rassura, avant de se décrotter sommairement le kimono. Il s'agissait d'un animal à moitié domestiqué, Plume, qui accompagnait souvent le samouraï. Quand bien même l'étranger aurait attaqué pour tuer le senseï, rien n'aurait affirmé que l'animal pataud aurait tenté de le défendre.

Peu de mots furent échangés après ce duel. Hadoc félicita à nouveau Kodaru pour sa victoire et l'invita à revenir le voir le lendemain, après un conseil des maîtres de l'île. Il saurait alors s'il est accepté parmi eux. L'aspirant le remercia et prit congé. Malgré l'averse, c'était une magnifique journée.


Dernière édition par Gharr Hadoc le Mar 26 Mar 2019 - 18:32, édité 1 fois
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Autre jour, même temps, même heure. Cette fois, Kodaru traverse la forêt de bambous protégé sous une large ombrelle, dégotée la veille au soir à Honnoji. Fort de son expérience, de son périple, il avait de nouveaux sujets de conversation avec les locaux, dont il allait bientôt être un des symboles. Pour la première fois depuis son arrivée, Kodaru était léger, solaire et affirmé. Même l'incessante drache ne lui alourdissait plus les épaules. Plus que jamais, le son des taikos sur le cuir de riz avait chassé les mauvaises ondes. Qu'il pleuve ou qu'il vente, son auréole se papier renforcée au haki ne bronchait pas d'un feuillet.

Parvenu aux abords du fleuve, il le longea et retrouva Gharr, inlassablement occupé à travailler sur sa plateforme. Cette fois, il comblait au mortier de glaise les espaces entre les lattes de bambou disposées en abri cylindrique. La petite loge ressemblait à une tente de bois plantée sur l'eau, avec ce qu'il fallait d'espace pour circuler autour. Kodaru observa la fin de l'ouvrage, laissa le samouraï se rincer les mains dans le courant et le salua de la sienne.

Bonjour, Gharr ! Vous avez bien avancé, c'est un très joli point de pêche.

Sois remercié, Kodaru. As-tu bien dormi ?
Peu, mais bien. J'étais impatient de voir le jour se lever.
Je te comprends.

Le barbu se posta sur la jetée, face à l'aspirant maître de l'école des trois sabres. Malgré sa tenue légère, Hadoc rendit le verdict sans plus attendre. Sous son ombrelle, Kodaru écoutait, chaque mot filé en soie de miel.

Les maîtres de Shimotsuki se sont réunis afin de débattre de ta nomination parmi eux. Après délibérations, nous avons refusé de t'accorder le titre de nouveau maître de l'école des trois sabres.
P...pardon ? Maître, je...pourquoi ? C'est une blague ? s'éberlua, béat et fauché en plein enthousiasme celui qui avait tant travaillé pour mériter sa place.
C'est sérieux. Tu as été jugé trop faible.
Trop faible ? A quel titre ? J'ai montré mon haki à maître Honda qui semblait l'apprécier, j'ai médité avec maître Jubei, assisté à la cérémonie du thé de maître Chun et vous ai affronté en duel, avec succès. Est-ce parce que je n'ai pas trouvé maître Hanzo ?
Non, maître Hanzo n'a fait qu'appuyer le refus du maître qui ne t'a pas accepté parmi eux.
Il a appuyé un refus sans me rencontrer ? Très bien, et qui d'autre m'a refusé ? s'irrita l'étranger.
Moi.

En dépit de l'ombrelle, un nuage sombre et pluvieux sembla se déverser sur le corps abattu de Kodaru. Son visage était médusé, un profond sentiment de trahison versé dans ses entrailles. Hors de question pour lui d'en rester là, c'était injuste, sinon mesquin de leur part. A ces prétendus maîtres drapés de vertu. Au bout d'un moment, le respect, ça devait s'écouler dans les deux sens.


Vous m'avez jugé trop faible ?

Oui.
Alors que je vous ai battu ?
Tu as remporté le duel, tu ne m'as pas prouvé ta force.
Bien sûr, bien sûr ! C'est logique ! J'y crois pas, c'est quoi votre problème ? Il fallait que je me laisse battre, c'est ça ?
Kodaru...
Que je m'incline, que je vous brosse dans le sens du poil parce que oh ho, sûrement qu'ici les ancêtres on s'écrase devant eux pour les respecter ? C'est ça la force, celle de s'agenouiller même quand on nous demande de rester droit ! Votre "ne m'épargne pas", une belle blague !  
Vas-tu te taire ?!

La voix claquante de Hadoc restaura le silence et l'écoute. Kodaru le toisait toujours avec colère, mais lui accordait une justification. De toute façon, il n'avait plus envie de devenir senseï de ce lieu absurde.

Kodaru, reprit paisiblement le recruteur, je n'ai jamais dit que tes talents au sabre étaient insuffisants. Au contraire, tu feras un grand bretteur. Mais concernant la voie du guerrier, tu es faible, ignorant et immature. Ta technique est affûtée, pas ton esprit. Tu es comme tous ces étrangers qui pensent qu'il suffit de mouliner de ta lame pour devenir un maître. Fadaises. Et puisque nous sommes aux vérités strictes, tu as remporté le duel, tu ne m'as pas battu.
Ah si, si si, vieil ours, je vous ai battu. A plate couture. Vous m'avez même déçu, si vous voulez savoir. J'attendais mieux de vous.
Donc, tu pourrais le refaire ?
Refaire quoi, vous battre ?
Remporter un nouveau duel. Puisque c'était si facile, tu ne verrais aucune objection à me refaire une démonstration de ton incontestable supériorité ?
Riche idée, de mieux en mieux ! Si c'est vous qui allez chercher les bambous cette fois, quand vous voulez, "maître".

Gharr hocha négativement de la tête et s'abaissa pour prendre le gourdin qui lui avait servi de marteau hier déjà. Le disciple de Pang lui demanda d'une mimique s'il était sérieux. Il l'était.

On en est là. Bon, je vais chercher mes petits bambous alors, vous avez au moins gagné ça.
Non. Utilise tes sabres.
Vous avez complètement pété une ancre, rit tristement Kodaru, sincèrement navré pour Gharr. Je suis nettement meilleur avec de vrais sabres, Hadoc. Hier, j'ai utilisé vos bouts de bois, j'étais handicapé.
Si tu me vaincs, ou me tues, je ne m'opposerai plus à ton accession au poste de maître de l'école des trois sabres. Tu as ma parole.
C'est dément... Bon, si c'est votre souhait. Sachez toutefois que je n'y prends aucun plaisir.

Kodaru jeta son ombrelle et s'équipa de ses trois armes. Avantage pour Gharr, l'absence de gêne dans le mouvement. Avec le poids de l'eau et les frottements du kimono, faire durer le duel allait pointer en sa défaveur à lui. Par contre, Hadoc était sur un ponton, donc limité dans ses esquives. L'y maintenir pour le déborder pouvait mettre un terme au combat en un assaut. Bien entendu, Kodaru n'excluait pas que le senseï lui cachait la maîtrise de haki. Il devait en enduire chaque lame et se préparer à considérer le gourdin comme une terrible masse. Il était prêt.

Cette fois, ce fut Gharr qui chargea, mais suivi de son adversaire. Il ne fallait pas le laisser quitter sa plateforme étroite, le confiner dans le couloir de l'escrimeur était parfait pour triompher. Ils fondirent l'un sur l'autre, armes prêtes à s'entrechoquer. Soudain, Kodaru vit Gharr décrire un vif mouvement de sa main nue. Un trait traversa l'espace et lui passa sous le menton. Kodaru sentit sa salive bloquée, coincée dans sa gorge percée d'un corps étranger semblable à un bec. Il écarquilla les yeux, comprenant son erreur. Ses mains occupées, une seule arme pour Gharr. Le gourdin n'était qu'une diversion, la véritable attaque venait des parties mortes du combattant. Par réflexe, tout en maintenant la parade du gourdin, Kodaru plaqua la main sur sa gorge pour en stopper l'hémorragie. La seule pensée qui lui traversait l'esprit était instinctive. Il ne voulait pas mourir, pas comme ça. Pas pour ça.

Or, rien; ni kunaï, ni plaie. La seule hémorragie qu'il sentait couler sur ses doigts était celle venue du ciel. Alors qu'il comprit qu'il n'était pas réellement perforé à la gorge, le gourdin de Gharr brisa sa lame défensive et lui heurta violemment le crane. Le choc lui donna l'impression de se dédoubler instantanément. Puis, le vide.

Kodaru ouvrir les yeux dans un monde sombre, sans pluie, sans bruit. Il lui semblait dériver sur un nuage plongé dans un tunnel moite. Il déglutit et plaqua une nouvelle fois sa main sur sa glotte. Toujours rien. Mais la chaleur de sa paume lui rappela le toucher qui se répandit tout le long de son corps, en même temps que ses organes ravivaient la douce chaleur de la vie en lui. Un horrible mal piqua le coin de sa tête lorsqu'il la tâta, curieux d'y découvrir un bandage. Avec pénibilité, il se redressa et perçut, enfin, des traits d'une lumière lunaire par-delà ses pieds. Avec, au travers de l'encadrement de bambou que composait l'entrée de la loge dans laquelle il avait été déposé, la silhouette paisible de Hadoc occupé à pêcher. Le vaincu replongea dans un sommeil sans rêve, ni durée précise.

A son réveil définitif, il faisait nuit pleine. La douleur lancinante demeurait là, mais son corps ne réclamait plus le même repos. Kodaru se redressa pour entrevoir dans l'obscurité une plaque de bambou sur laquelle étaient disposées des tranches de poisson cru et des boules de riz enveloppées dans des algues. Il mangea, en silence, honteux et déçu de lui-même. Quand il quitta enfin la hutte, il vit Gharr, assis sur l'appontement, le dos reposé sur l'épaisse fourrure du gros panda endormi. Il regardait le ciel en fumant avec lenteur une pipe dont la fumée elle-même s'extrayait sans conviction, à peine fauchée par un vent bien calme en cette nuit silencieuse.

J'ai dormi longtemps ?
Trois jours.
Ah, tant que ça ?
Non, rassure-toi. rit doucement le guerrier Seulement quelques heures.
Ok. Je suis désolé, Commodore Hadoc. J'ai insulté votre honneur. Vous auriez pu me tuer. J'ai été un imbécile. Vous avez veillé sur moi toute la journée, j'ai honte.
Tu ronfles moins fort que Plume. Quant à l'honneur, il s'agit d'une notion bien vague qui ne justifie aucun duel. Ce qui t'a rendu faible, c'est de t'occuper du tien.
Je ne comprends pas.
Pour le dire simplement, la notion d'honneur n'est pas le credo du bushi. Il n'est même pas celui des samouraïs. Samouraï signifie "celui qui sert". C'est notre seul raison d'être, servir. Où est l'ego ? Ou est l'honneur dans une vie de servitude ?
Vous parlez de servir qui, au juste ?
Shimotsuki. Son peuple. Sa culture.

L'erreur des étrangers, c'est de penser que la puissance martiale et une vague notion de respect suffisent pour devenir senseï. La première qualité, c'est accepter de servir, corps et âme, Shimotsuki. Sans quête du soi, sans besoin de reconnaissance. Sans même avoir honte d'échouer, ce sentiment est déjà une trop grande considération du soi. Nous autres, senseïs, samouraïs, ne sommes que des gardiens. Ni idoles, ni célébrités, ni héros. Juste des gardiens. Maître Pang ne t'a-t-il jamais enseigné ceci ?


Kodaru chercha des bribes de cette philosophie sans même en récolter des bribes. Il abandonna bien vite, conscient de son ignorance.

Pas vraiment, non.
Peu le font. Sans doute ce savoir s'oublie-t-il ? Je me suis souvent demandé, si mon travail de soldat de la Marine n'avait pas été de consacrer ma vie à servir, même en dehors d'ici, aurais-je pu me rappeler mes fondamentaux ? S'oublier, c'est un travail constant. C'est une rigueur sans trêve. Toi, tu as changé entre les deux fois où nous nous sommes rencontrés. Tu as laissé le sentiment de grandeur de corrompre. Tu as acquis une fierté pour un statut qui n'en retient aucune. C'était ça, être faible.
Je comprends. Oui, c'est plus clair à présent. Merci, pour ce que ça vaut. Je cherchais une place ici, un endroit où je serais chez moi. Mais ce n'est pas ce que vous recherchez.
Ce n'est pas ce dont a besoin Shimotsuki.

L'étranger acquiesça, moins honteux, conscient que la honte était également un luxe du soi.

Oui. Est-ce que je peux passer la nuit ici ? Je vous libérerai la place au petit matin, c'est promis.
Tu as participé à construire cet abri. Prends le temps qu'il te faut. Tes affaires sont mises à sécher. Le soleil du jour devrait te garantir un retour au sec.
Merci. Oh, juste ! C'était bien du haki, votre technique pour briser mon sabre ? Ou pour me faire voir ma propre mort ? Je partais du principe que vous m'en cachiez un, pas plusieurs.
Je ne connais aucun haki, Kodaru. L'instinct meurtrier qui t'a fait peur, c'est le sakki. Contrairement au haki des Rois, nous le possédons tous car, à défaut de tous être Rois, nous sommes tous des tueurs. Et ce qui a brisé ton arme, c'est une grosse bûche de bois tapée avec force sur une lame tranchante, mais fragile. Tous les katanas se brisent, surtout quand on ne les baigne plus de son précieux Armement parce qu'on pense avant tout à essayer de déglutir. Puissants, mais de faible résistance. Ce n'est pas pour rien que nous avons l'habitude de dire qu'un bushi incorpore son âme dans son arme.

Hadoc, dont la pipe venait de s'éteindre, se leva et enjamba Plume, bien décidé à finir sa nuit sur un lit de bambous à rêver qu'il en dévorait d'autres. Avant de partir, l'homme d'écorce se retourna vers Kodaru et lui offrit, une forme de chaleur légère dans la voix.

Tu sais, tu n'as pas les qualités requises pour devenir un senseï. Mais personne n'est trop faible pour devenir un élève. Si tu choisis de rester sur l'île, travaille dur et inscris-toi dans une école. Si tu veux apprendre la voie du sabre de bois, je te l'enseignerai.

Le maître reprit la route, le disciple entama la sienne.
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