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Smith & Westson. [PV]


    Une chose était sûre, ils n'allaient pas se perdre en conjoncture avec Jacob. Pendant qu'elle conduisait le navire, elle songeait. Songer à ce qu'elle devait faire, à ce qu'elle aurait voulu faire, à ce qu'elle ne pourrait plus jamais faire sur Manshon après ça. En tout les cas, elle appréciait savamment le silence d'or qui s'instaurait depuis le départ en grande pompe de son petit navire, au moins aurait-elle un peu de tranquillité pendant le voyage. Bien qu'elle aimait par dessous tout faire montre de ses grands chevaux sur lesquels elle montait rapidement et souvent, elle goûtait la clarté de la lune qui éclairait en demie-tente les eaux sombres de North Blue. Il y'avait quelque chose de revigorant dans le fait de piloter un navire, surtout une coque de noix aussi sensible que la leur. Et par temps clair.

    Après avoir drifté sur les océans, se dessina le port de Manshon, qui lui rappela tout un tas de souvenir, pas pour le plus agréable. Je sais que t'as des yeux mais on est bientôt arrivé ! prévint-elle son binôme, en sa qualité de navigatrice du petit groupe qu'ils formaient. Être la garante, suivre le bon chemin, ne jamais se perdre, voilà les qualités qu'elle avait développé au contact de la mer et des navires de Rokade, là où tout avait commencé pour de bon. Depuis ce jour béni ou elle avait été recruté chez Big Joe, qui l'avait rendu à la vie civile l'on pourrait dire.

    Elle n'était plus une gamine maintenant, elle prenait ses propres décisions -bien que parfois douteuses, elle menait sa barque comme elle en avait envie, et pratiquement plus personne ne lui donnait d'ordre, ou tout du moins les suivait-elle en son âme et conscience. L'esclavage était une prison terrible, une prison dont elle était sortie par la grande porte, ce qui faisait sa fierté. Elle n'avait pas été sauvé, on avait juste découvert qu'elle avait trop de talent pour simplement pourrir sur place au port de Rokade, et on était venu la chercher pour user de ses talents sur la marine mondiale. Ça se fête ce genre de chose. Peut-être en ferait-elle un jour de fête quand elle sera vieille et toute foutue, une occasion de se souvenir et de ne jamais oublier par là ou elle était passée.

    Ils arrivèrent de nuit, les reliefs de la ville semblant presque fantomatiques devant la clarté de la lune. Ça tombait bien, ils devaient se faire discret. Sans aucun doute que certains protagonistes de cette île n'allait pas apprécier leur retour. Surtout pas les mafieux, qu'ils allaient encore une fois rouler dans la farine.  Et les passer au tamis après. Puis les faire cuir à feu doux.

    Ils accostèrent dans un petit port qui jouxtait le principal, dans le silence d'une nuit à Manshon -autant dire qu'on avait de la rumeur haineuse et festive qui couvrait leurs traces. L'air puait la mauvaise bière et la pisse que l'on déverse par hectolitre dans les rues après avoir bien fêter la journée. Le port donnait sur un quartier malfamé et honni des bonnes gens. Autant dire qu'il fallait pas montrer patte blanche, sinon l'on finissait souvent dans une basse fosse avec le troufion à l'air et le porte monnaie allégé. Heureusement pour eux, le binôme faisait plus truand du moment que bourgeois bien lotit. De plus, l'odeur de Canaille se fondait dans le décor avec une certaine réussite.

    Elle ouvrit la bouche, et murmura à son partenaire depuis quelques temps déjà : Sortons de ce quartier de misère, je connais une bonne auberge ou l'on sera tranquille, et ou l'on pourra peut-être glaner quelques infos puisqu'elle appartient à la pègre... Dire que de nos jour tout appartenait à la mafia sur Manshon aurait été un pléonasme qu'elle évitât, tout du moins seraient-ils bien accueillis par l'aubergiste.

    La sirène rouge de son nom, était une petit auberge néanmoins salubre et de bonne facture. Le bâtiment était fait de pierre et de bois, et la salle principale était fraîche par rapport au étage ou l'on pouvait loger. Cela ferait très bien l'affaire pour en faire un QG, que ce soit pour se reposer ou se cacher.

    Ils entrèrent et un instant qui dura quelques poignée de seconde -mais qui lui fit l'effet d'être des heures, ils furent le centre d'attraction principal des clients déjà installés.

    Elle craignit quelques instants qu'on leur court après, mais la plupart semblait avoir oublié les événements des semaines passés, sûrement qu'une rumeur encore plus folle tournait ce jour là. Mais il y'avait des marines qui n'avait que ça à faire, que de se souvenir. Il leur faudra patience et discrétion pour arriver à leur fin.

    - Bon, on s’installe là. Faisons un point sur ce que nous savons, et ne savons pas. Elle s'arrêta quelques instants pour commander à boire et à manger à la serveuse experte en esquive de mains aux fesses, puis reprit : Nous savons que la cargaison arrivera demain soir, mais nous ne savons ni l'heure, ni l'endroit. Il nous faut donc nous renseigner sur ses points là, avant de foncer tête baissé dans un piège ou pire encore. L’échec n'est pas une solution acceptable.  Elle réceptionna la commande qui se composait d'un bouillon de légumes avec du lard, et de bières pour faire passer le tout. Et avaler la grosse pilule qu'allait lui mettre Canaille quand elle termina par dire : Je pense que nous devrions chercher un membre de la pègre à nous mettre sous la dent et ouvrir nos esgourde nom d'un ptit bonhomme.
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Canaille causait. Elle articulait en tout cas quelques syllabes qui, associées les unes aux autres, semblaient former des mots. Peut-être même que ces mots allaient jusqu'à construire des phrases, ces médiums par lesquels elle tentait désespérément de faire parvenir des informations à son binôme. En pure perte bien entendu. Pire que dans l'oreille d'un sourd, chaque mot s'en allait crever dans l'insondable et profonde indifférence du Pendu.
Avant-bras gauche étalé de tout son long sur la table, cuillère tenue à pleine main de la droite, il la trempait allègrement dans la soupe tiède et épaisse qu'on leur avait servi. L'homme n'était pas très regardant sur sa pitance, il avait mangé pire. Tout ce qui s'écrasait contre son palais avait un goût de cendre. Figurativement parlant en tout cas.

Pour Jacob Longdrop, il n'y avait aucun plaisir dans la vie, aucune joie. Il y avait les jours qui passent et les nuisibles qui trépassent. Pourtant, il n'avançait ni prostré ni accablé par la peine et le chagrin. Pour lui, il n'y avait aucune joie comme il n'y avait aucun malheur. Produit de son environnement, taillé dans un marbre que le gel des hivers passés avait rendu plus solide et impénétrable que jamais, Jacob n'était plus Jacob depuis long. Il n'était plus que le Pendu. Au pire une machine au mieux une entité, une entité qui avançait implacablement vers de objectifs que la fatalité avait agité devant ses yeux pâles et morts. Voilà ce qu'il restait du révolutionnaire. Des restes. Il n'y avait jamais eu que ça pour commencer.
L'assiette creuse était vide. Plus économe de ses mots qu'il ne l'était de ses émotions, il brandit le récipient et d'une voix calme annonça :

- Soupe.

Et la soupe lui fut servie à nouveau par une gueuse rachitique et patibulaire, le visage presque dissimulé derrière ses tâches de rousseur. Pas de politesses d'usages. Pas ici. À Manhon, on avait tant et tant transcendé les normes du civisme et de la bienséance qu'on ne s'embarrassait plus de politesses stériles et creuses.

- Soupe ? s'étrangla Canaille.

Il avait bien dit soupe. D'ailleurs, Jacob gratifia sa camarade de l'insupportable bruit qu'il faisait en aspirant le breuvage entre ses lèvres. De tout le repas, le Pendu ne lui avait pas même jeté un regard.

- T'as rien écouté, hein ?... Mais vas-y, dis-le qu't'as rien écouté. T'retiens pas, n'hésite pas. Fais-toi plaisir, dis-moi à quel point tu t'en fous sur une échelle de un à dix.

Il en aurait été capable. Tout du moins, s'il l'avait écoutée à l'instant.
Exaspérée - car Jacob était exaspérant lorsqu'on attendait quelque chose de constructif de sa part - Canaille le saisit par la corde de pendu que le révolutionnaire arborait comme une écharpe avant de le tirer vers elle.

- Tu vas renverser ma soupe.

Seul ce qui se trouvait dans son assiette trouvait grâce à ses yeux en cet instant. Homme de peu de mots et aux idées simples, Longdrop ne s'occupait que d'une chose à la fois. L'adage prétendait que qui trop embrasse mal étreint, or, Jacob étreignait avec grâce et volupté. Il étreignait tant et si bien que les veinards bénéficiant de son affection en avaient les os brisés. Ceux de la nuque en premier lieu.
À sa dernière remarque, la punk répondit d'un revers sec de la main, renversant l'assiette loin de la table.

- Voilà ! Le mal est fait ! Maint'nant t'ouvres tes esgourdes et tu vas m'faire l'plaisir d'obéir à la lettre. Faut qu'on soit discrets Jacob, DISCRETS !

Les parangons de discrétion avaient attiré sur eux les regards d'une plèbe manifestement avide de drame. Consciente de cela, la jeune femme lâcha la bride au Pendu qui observait - las et fatigué - les restes de son repas étalés sur un plancher qui semblait à peine plus sale que la pitance ainsi versée. Ce n'était pas tellement la faim qui le minait, c'était cette île. Il en avait soupé de Manshon. Des mois durant il avait arpenté tripots et bordels jusqu'à en devenir connu comme le loup blanc. Et ces génies de Luvneel - sachant cela pertinemment - avaient considéré qu'il était l'homme de la situation pour une mission exigeant patience et discrétion. Jamais erreur de casting n'avait été si dramatique.

- T'as bien des réseaux pour qu'on grappille deux-trois informations, non ?

Cette fois, Jacob l'avait écoutée. Mais il ne répondit pas. Non, il préféra demeurer inerte, un regard perdu quelque part entre blasé et ennuyé, plongé dans les mirettes de sa complice. Si son mutisme permanent avait de quoi agacer, Canaille finit par se souvenir de leur dernier passage sur Manshon. Elle se souvint surtout du nombre de mafieux à leur poursuite avant qu'ils n'aient eu à prendre la fuite.

- Ah oui... c'est vrai... ça...

Oui. «Ça». Un bilan qui frôlait la centaine de morts avait de quoi faire perdre quelques relations dans le milieu en plus d'indisposer quelques amitiés futures. Sur Manshon, on les fuirait comme la peste quand on ne chercherait pas simplement à leur faire la peau. Ils n'étaient vraiment pas les candidats idéaux pour une mission d'infiltration.

- Va bien falloir qu'on trouve une piste, putain...

Puisqu'on lui demandait si poliment, Longdrop se leva de sa chaise. Il était droit, figé, glacial, il était fidèle à lui même jusqu'à ce qu'il hausse le ton afin d'être entendu de tous.

- SI VOUS DEVIEZ ACCOSTER AVEC DE LA MARCHANDISE ILLÉGALE COMME DES ARMES, CE SERAIT OÙ ?

Davantage formé dans l'exercice du sabotage que de l'enquête, Jacob torpilla ainsi leur mission. Fataliste mais lucide, il avait bien compris que leur discrétion apparente ne tromperait pas grand monde bien longtemps. Le mieux était encore de prendre les devants.
Manshon regorgeait d'alcooliques comme de malfrats rompus à tous les larcins, la statistique voulait que ces deux populations se confondaient parfois voire souvent ; c'était à eux que s'était adressé le Pendu, sûr de son coup. Sûr de lui car il savait que même s'il n'obtenait pas la réponse, les trafiquants qu'il recherchaient finiraient par avoir vent de cette incursion discrète. De là à ce que ces derniers ne se découvrent pour chercher à les éliminer, il n'y avait qu'un pas. On les trahirait ou ils se trahiraient.
    Pianotant nerveusement sur sa petite table, Laïra grimaçait à son assiette toute ébréchée et rayée par le passage d’innombrables inconnus aussi fauchés qu'elle. Jusqu'à sa dernière pièce était passée dans ce médiocre plat, et si ses entrailles ne se tordaient plus de contrariété... Lorsque, trop à sec pour espérer ne serait-ce qu'un crouton en plus, on en est rendu à récurer la faïence avec les doigts, difficile de se sentir satisfaite. Il fallait s'en contenter, pourtant. Au vu de sa situation actuelle, elle aurait dû s'estimer heureuse d'avoir au moins ça. La blonde commençait à trouver ses pérégrinations un peu pénibles, les journées passées l'estomac dans les talons se faisaient de plus en plus fréquentes.

    Elle se trouvait au fond de la salle sombre de ce qui semblait une miraculeusement proprette auberge. Si d'ordinaire l'ambiance un peu agitée de ces bouibouis avait le don d'irriter la cornue, son ventre vide, paradoxalement, avait pesé lourd dans la balance de la raison. Restait que tout ce bruit l'échauffait, et que surtout elle avait soif. Enlevant la mouche qui flottait dans son verre d'eau, elle but d'une traite, en jetant un coup d'œil désolé à la cruche vide qui trônait non loin. Manshon, jusqu'à présent, ne se révélait pas très fructueuse pour Laïra. Restait l'espoir de ce "job"... Elle ne put s'empêcher de marmonner entre ses dents en repensant à ce à quoi elle en était réduit.

    - En v'là pas une histoire à la con quand même...

    Ses débuts furent pourtant presque inespérés, elle s'en serait presque félicité tant elle avait su se tenir. Heureusement que les gorilles d'elle ne savait quelle pègre locale à qui elle avait eu affaire pratiquaient l'intimidation passive. Ils avaient l'air bien sûr de leur réputation les bougres, tout le monde baissait les yeux, ils recrutaient comme si de rien n'était ou presque. Laïra, trop lucide et pas assez maîtresse d'elle-même à la fois, n'avait même pas négocié son salaire pour être sûr d'en avoir un. Elle leur avait fabriqué de la poudre noire pendant deux jours, vu qu'ils manquaient apparemment de mains compétentes en la matière. Tout le truc puait le traquenard, un petit coin minable emménagé dans un entrepôt moisi et isolé. Entré là dedans elle s'attendait au pire, mais non, pas de capture surprise ou de surinage pour revendre ses organes, rien. Enfin, le temps de "montrer ce qu'elle savait faire", elle avait déjà fait la moitié du boulot, sans être payée pour ça bien sûr, et le reste fini elle était repartie avec sa maigre paie en poche. et maintenant...

    Trois jours déjà, qu'elle passait à faire le planton en attendant qu'on la recontacte, à dépenser le peu qu'elle avait gagné. C'est qu'ils lui avaient vendu du rêve, les salauds, ils lui avaient assuré qu'ils auraient besoin de monde pour un "gros coup" qui paierait bien mieux. C'est qu'ils aimaient jouer les mystérieux qui savent tout sur tout, ces petits... Laïra interrompit le fil de ses pensées en sentant une odeur improbable près d'elle, une odeur de parfum.

    - La place est libre mademoiselle ?

    Sa main cessa de pianoter. Elle se retint de justesse de gratifier l'opportun d'un "Non ducon, y'a mon pote invisible qui se tape un godet !", et leva les yeux. Un homme pas bien grand, les yeux en boutons de bottine et le teint bistre, se tenait derrière elle un peu à sa gauche, désignant de la main le siège vide à coté de la jeune femme. Outre son petit collier de barbe sombre et ses cheveux peignés en arrière et à l'aspect graisseux, ce qui frappait le plus chez l'inconnu était sa fragrance. Florale et capiteuse, presque écœurante, c'était à se demander s'il ne lavait pas ses vêtements à l'eau de rose. Pantalon écru, chemise noire et veste grise froissée, il avait tout du simili-bellâtre de pacotille, aussi vulgaire qu'il se voyait classieux. La grimace de la cornue dut être explicite, car il s'assit à distance respectable, croisant les jambes pour dévoiler d'affreux mocassins en cuir de crocodile noir et luisant, d'où sortaient ses chevilles nues et velues. Laïra nota qu'il la zieutait d'un air aussi critique qu'elle, la lèvre à moitié retroussée.

    - Hum. Vous êtes... Estum, n'est-ce pas ? M'étonnerait qu'il y en ai deux de votre... enfin comme vous dans le quartier.
    - Je vous remet pas, mais ouais. Vous voulez quoi ?

    Ce disant, la blonde se mit à tapoter le sol du bout de sa chaussure, rythme rapide et légèrement irrégulier. Bien que l'identité de ce gus ne fasse pas grand doute, elle restait méfiante. L'autre ne lui en tint pas rigueur, trop occupé à la reluquer d'un air difficile à décrire, mélange de déception et de fascination.

    - "Grande blonde", c'est ça...Hum ! On aura besoin de vous demain soir, si vous êtes toujours d'attaque. On vous expliquera plus en détails sur place.
    - J'suis d'attaque pour causer paiement avant, déjà.

    Le mafieux fit écho à la grimace que lui fit Laïra, en bien moins jouasse cela dit. Décidément, il s'était attendu à autre chose, le Don Juan de pacotille. Puis il fouilla dans la poche intérieure de sa veste, sortit discrètement quatre billets de dix mille avant de lui montrer sous la table. Un cinquième après quelques secondes devant la mine peu convaincue de sa cornue, accompagnée d'un petit commentaire d'une voix chargée d'effluves aigres.

    - Trois fois ça une fois le boulot fait, à prendre ou à laisser ma petite.

    C'était tout ce qu'il fallait dire. Elle empocha en silence, cherchant sans grand succès à cacher ses jubilations de pouilleuse devant une telle somme. Avec ça, elle aurait de quoi voir venir quelques temps  en restant chiche. Le grand luxe quoi. La blonde se gratta la tête entre ses cornes, s'ébroua un peu.

    - Hahem, bon... Où et à quand ?
    - Pour savoir c'est simple, il te suff...SI VOUS DEVIEZ ACCOSTER AVEC DE LA MARCHANDISE ILLÉGALE COMME DES ARMES, CE SERAIT OÙ ?

    L'interruption, en plus d'être particulièrement sonore, coupa net le petit truand. Laïra fronça les sourcils et le nez devant une telle grossièreté, le fait qu'elle était capable de pire encore ne lui effleurant même pas l'esprit. Mais elle préféra reporter son attention sur son interlocuteur qui s'était tu, l'air tendu, avant de marmonner entre ses dents.

    - C'est quoi ce guignol...
    - Héhé... Z'avez un sacré client on dirait.

    La gratifiant d'un bref regard noir, le bougre se leva brutalement. La jeune femme, s'attendant à ce qu'il aille confronter le brailleur, chercha à observer la scène. Le provocateur se montrait bien. Affublé de ce qui semblait un bout de corde, l'homme à l'air impavide se tenait droit comme un i. Et flanqué d'une greluche crasseuse au point de faire passer Laïra pour une oie blanche et proprette, avec ça. Greluche qui ne semblait pas très contente de s'être fait hurler dans les oreilles. Mais aussi parfumé qu'il était peureux, le mafieux alla droit vers la sortie de l'auberge, faisant le plus gros détour possible pour les éviter. Ce qui rappela à la cornue qu'elle n'avait toujours pas eu l'information. Le reste partit sans qu'elle y réfléchisse. Pointant du doigt le petit brun, elle leva la voix à son tour.

    - DEMANDE AU GARS QUI PUE L'EAU-D'ROSE, IL A L'AIR AU PARFUM !!

    Le piètre calembour involontaire fit s'esclaffer quelques soiffards.


    Dernière édition par Laïra Estum le Ven 15 Mar 2019 - 20:58, édité 1 fois
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    J'allume une clope améliorée à l'opium, range mon briquet à essence dans la poche intérieure de mon long manteau et tire une grosse bouffée. Un instant, toute la fumée est conservée dans mes poumons avant d'être expulsée par les orifices de ma fiole. J'adore toujours autant cette sensation que me procure cette drogue. J'en ai bien besoin, avec le coup sur lequel on m'a mis depuis quelques jours. Ça a commencé avec la fabrication de poudre à fusil dont il a fallu recruter des mains extérieures à la famille pour accélérer la production qui prenait trop de retard. Il nous fallait absolument cette poudre avant la réception des caisses d'armes, la livraison devant avoir lieu dans la nuit, pour des raisons évidentes de discrétion. C'est essentiellement en ces fins qu'on a embauché l'artificière, bien plus habile dans le domaine que la plupart de nos hommes.

    Ça, et un autre boulot qui nécessiterait un peu de mains d’œuvre, pas nécessairement du milieu. Le Padre compte sur moi pour réceptionner la cargaison, en garder quelques caisses pour notre quartier installé à Manshon et expédier le reste sur Luvneel, lieu principal de notre implantation. C'est jamais de tout repos que de superviser une opération de cette envergure, si ça tourne mal tu peux être certain que tu vas y perdre un roustons ou deux. Probablement ce chauve brûlé de Sciavonnache qui te l'auras découpé pour te la faire avaler sous le regard chargé en courroux de Monsieur Caesar. Autrement dit, je joue gros sur cette histoire, et j'ai pas envie que ça foire. Je commence tout juste à me faire une place intéressante au sein de la famille, c'est pas le moment de tout foutre en l'air. Ma clope terminée, je laisse tomber le mégot à terre est l'écrase du pied.

    Rentre à l'intérieur du hangar au sein duquel on est en attente, une planque non loin du lieu où se fera la livraison. Adresse un regard à Mitchel, surveillant l'entrée, et traverse le rez-de-chaussée sans prêter attention aux trois tontons flingueurs qui jouent au poker autour d'une table en bois. Emprunte l'escalier en fond de pièce sur la droite qui mène à l'étage supérieur, et me dirige vers le bureau à l'opposé des marches. Une fois à l'intérieur, retire manteau et casquette, déposés sur le porte manteau dans l'angle sur ma droite. Me dirige derrière mon bureau et laisse tomber mes miches refroidies par les températures sur le fauteuil en cuir à ma disposition. Du premier tiroir de mon bureau, sors une vieille bouteille de rhum ambré déjà bien entamée, et en verse dans un verre, laissant la bouteille encore ouverte juste à côté, j'en ai pas fini avec.

    Bois une belle gorgée pas piquée des hannetons, et relâche un peu la pression. Deux nuits d'insomnie, à me triturer la cervelle pour ne pas merder. Ça change un peu, ça fait pas de mal. D'ordinaire, ce sont des nuits blanches à me torturer sur mes erreurs passées, présentes et futures, à cauchemarder éveillé sur les démons qui hantent mon esprit. En angoisse sur le temps qui file, ma vie qui défile et le pauvre gars que je suis qui en perd le fil. J'avale encore une gorgée de bacardi, et songe un peu à la situation. Alonzo n'est toujours pas revenu de la mission que je lui confié, il est encore trop tôt pour s'en inquiéter réellement, mais quand même. Ça me triture les méninges, ronge ma cervelle qui en a pas besoin, déjà bien servi au quotidien par les tourments habituels dont je suis l'esclave. Je l'ai envoyé retrouver l'artificière, la rencarder sur la suite de la manœuvre.

    Je me demande comment ça se présente là-bas...

    Auberge la Sirène Rouge, au même moment...


    Mais quelle pouffiasse !

    Le mot était lâché, et il sortait du fond du cœur. Alors qu'il s'apprêtait à prendre discrètement la tangente, préférant déguerpir pour prévenir le patron d'une couille dans le pâté concernant le plan, l'autre grognasse l'avait balancée. Telle une vulgaire merdasse, elle l'avait poignardée dans le dos même pas trente secondes après leur accord passé. Il l'avait reniflé instinctivement, qu'elle était le genre à qui on ne pouvait pas faire confiance, et en avait soumis ses craintes au patron, qui avait quand même tenu à l'employer. Elle se révélerait utile en temps voulu, qu'il lui avait affirmé de son air morne qu'on lui connaissait si bien. Soit, malgré ses doutes, il était allé dans ce bar appartenant à la famille Bambana pour accomplir son devoir. Voilà où il en était, à devoir se fier contre son gré à une goumiche qu'il ne pouvait pas piffer.

    Elle va le fermer, son claque-merde, la tapineuse ?!

    Alors qu'il avait déjà une main sur la poignée de porte, il fit volte-face, repoussant le pan de sa veste pour en sortir deux armes.

    Deux flingues avec lesquels il arrosa copieusement la salle, tirant en répartissant les balles entre la traînée à grande gueule et le duo à qui elle avait essayer de le vendre. Il avait raison de se méfier d'eux quand ils avaient commencé à trop se faire remarquer, la tête du type avec le nœud autour du cou lui disait quelque chose. Maintenant qu'il connaissait ses intentions, autant les trouer tous les trois par le plomb. Lorsqu'il eu vidé ses munitions, le canon des armes encore fumants, il décarra sans demander son reste. S'ils étaient cané, tant mieux pour eux, sinon tant pis, il profiterait du laps de temps offert par son ferraillage pour rejoindre ses partenaires. Une fois au hangar, les autres n'auraient aucune chance.
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      Silence. Elle avait toujours été fasciné par la capacité du Pendu à faire silence. Que ce soit le sien ou celui des autres, par ailleurs. La consternation la disputait à la surprise dans son cas, mais le reste de la salle ne devait pas être en reste car on n'entendait rien si ce n'est le bruit du patron qui continuait inlassablement de nettoyer ses verres en métal. Le cliquetis étant seuls à la gêner, elle pu tout à fait repérer l'individu qui se dirigeait vers la porte d'un air pressé et apprêté. Pas aussi silencieux que ça l'ami, et il sentait la peur plus que son after-shave bon marché.

      Puis il y'eut le cris d'une blondinette plus loin, qui déversait ses conseils dans les oreilles aguerris des révolutionnaire en mission. Elle cassa le rythme, imposant sa voix à un silence presque surnaturel. Et tout dégénéra alors, comme en l'an 25. On eut dit que l'enfer avait décidé de se mêler de l'histoire, mais non, ce n'était que le souffre que dégagea l'arme du mafieux qui s'était dit qu'il valait mieux éliminer la menace à défaut de pouvoir la contrôler.

      Réflexe. Une vie conditionnée dans le seul but de détruire d'autres vies. C'était ça qu'on lui avait apprit, autant à se protéger elle même qu'à faire regretter aux autres de s'être mêlé de ses histoires. Elle attrapa Jacob par la manche et le tira vers elle, renversant la table pour en faire un mur solide qui leur fit refuge contre le plomb. Elle ne se demanda même pas si la blonde s'en était sortie indemne ou si elle gisait morte et sanguinolente, sur le pavé sale de La Sirène, comme disait les habitués.

      Mouvement de foule qui lui obstruait la vue. Elle perdit la mafieux parmi tout ce beau monde qui se réveillait à peine d'une pétarade inattendue. On se demandait qui, pourquoi, pour qui ? Surtout. C'était des regards interrogateur et le cris de certains, qui se perdait dans l'échos des murs en pierre. On sentait encore la poudre, on sentait encore le sang, on sentait encore la peur. Il y'avait eut des dommages collatéraux, c'était obligé dans une salle aussi bondée que malfamée. On ne regretterait pas les disparus le lendemain matin, c'était la seule chose dont tous étaient sûrs. Quelqu'un devrait payer néanmoins.

      Et pourquoi pas ses nouveaux venus sur qui semblait se concentrer le mafieux ? Oui, c'était une bonne idée que de faire des victimes, des bourreaux. C'était souvent un cas d'école, celui d'une classe qui se moque d'un élève en fait également le détenteurs de tous les maux. Il fallait dégager, Canaille le sentait dans ses tripes. Et quand t'en viens à ce que tes tripes te parle, il vaut mieux écouter attentivement.

      - Putain Jacob, t'as vu où sa nous mène tes conneries ?! T'es impossible ...
      - Boarf ... Au moins on a une piste maintenant.

      Elle jeta un regard en direction de la blondinette, qui semblait indemne elle aussi. Soit le mec savait pas du tout viser, soit elle avait une chance de cocu -faut dire qu'elle avait déjà les cornes. Ou alors il n'avait tout simplement pas prit le temps d'ajuster son tir avant de déverser la mort dans la petite salle. Dans tout les cas ce n'était pas du tout conseillé, et tout à fait déplacé. Elle attrapa sa bière, but la dernier gorgée d'un verre brisé en deux et se dit qu'il était enfin temps de dégager.

      - Toi, tu viens avec nous bordel ! On discute pas et on s'active ma petite... Qu'elle dit à la gamine qui les avait avertis, et elle l'aida à se relever, écartant sur son passage la foule qui se faisait de plus en plus pressante. On ne touchait pas impunément aux habitués du crû. Il fallait que cela se sache, mais la seule chance qu'ils avaient c'était qu'on se demandait encore comment. La faune restait bête à manger du foin, tous des petites mains d'un grand patron aigris qui ne s’intéressait à eux que quand ils avaient les poches pleines, ou vides selon. C'était leur seul porte de sortie. La surprise et la bêtise. Elle ne se fit pas prier.

      Tandis que Jacob se pressait dehors, sans doute pour attraper le fils de putain qui avait voulu les dessouder, elle se fraya le chemin vers la liberté, et le grand air. Une sorte de pression sourde battait à l’intérieur du tripot, et elle ne voulait plus y rester, si c'était pour la subir. Une fois dehors elle lâcha la cornue, tandis qu'elle reprenait son souffle une seconde. Aller vers la porte avait été comme lutter contre un vague immense qui ne veut qu'une chose, vous tirer en arrière. On se serait crût dans un de ses escargofilm ou des milliers de mains essayaient de vous attirer vers les enfers.

      Très peu pour elle, elle préférait le plancher des vaches, que ce soit sous ses pieds ou contre sa gueule de crasseuse. Elle s’intéressa ensuite a la petite qu'elle avait sauvé.

      - T'es qui toi ? Pourquoi tu veux nous aider ? Bordel tu nous à créer un sacré merdier là !

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    Jamais il n'avait semblé à Canaille que Jacob puisse faire preuve de tant d'efforts pour remonter une piste. Son habitude rigidité indolente suggérait qu'il restait de marbre en toutes circonstances, l'idée même qu'il ne se presse pour quoi que ce soit semblait exclue d'emblée. Et pourtant, il courait. La bête humaine se traînait dans les faubourgs de Manshon à en perdre haleine ; lorsqu'il avait un objectif en tête, rien ni personne ne pouvait entraver la ruade du pendu.
    Entrant brutalement dans un nouvel établissement, perdu dans son élan qui avait semblé le tracter par la corde à son cou, Jacob s'étala sur le comptoir lui étant présenté pour s'y écraser et stopper sa course.

    - Deux paquets de Tsiganes sans filtre.

    Il l'avait fait : il était passé acheter ses cigarettes avant l'heure de fermeture, cela s'était joué à quelques secondes. Ressortant paisiblement de chez le buralistes refermant le store derrière lui, il jeta l'un des deux paquets au visage de Canaille qui venait seulement de le rattraper en compagnie d'un fardeau à la tignasse blonde comme les blés. La révolutionnaire fut si surprise de voir Jacob arrêté dans sa course qu'elle reçut le paquet en pleine gueule sans réagir.

    - Et... et le type qui nous a tiré dessus ?

    Tirant une longue latte, pensif - ou plutôt indifférent et blasé - le révolutionnaire excessif souffla ensuite longuement avant d'asséner droit comme un "I" :

    - J'allais pas lui acheter un paquet à lui aussi.

    Sa binôme avait été foudroyée par tant de négligence. Un saboteur. C'était un saboteur né. Un réel atout pour la révolution aussi longtemps qu'il ne travaillait pas pour elle. Sans jamais réellement s'investir dans quoi que ce soit, Jacob entreprenait mollement. Il était sans doute de ces révolutionnaires attentistes qui espéraient que la révolution viendrait à eux plutôt que de l'organiser eux-même. Branleur était le terme habituellement usité.
    Mais son indolence dépassait encore ce stade. Longdrop semblait repousser les limites même du je m'en foutisme communément admit. Semblait seulement.
    Car andis que Canaille semblait lentement recouvrer d'un mélange de crise cardiaque et de rage subite qu'il avait dû lui provoquer par son comportement, le pendu observait l'horizon. Le rouge écarlate d'un ciel qui se mourait laissait lentement place aux ténèbres accrues de Manshon. Et la cigarette qu'il avait au bec se consumait sans qu'il n'ait à tirer dessus, manquant de tomber entre ses lèvres très légèrement entrouvertes.

    - Ils sont nombreux, je me trompe ?

    Asocial chevronné, il ne maîtrisait pas les arcanes du vivre-en-société et ignorait de ce fait qu'il fallait habituellement regarder son interlocuteur dans les yeux lorsqu'on lui demandait quelque chose. Regard perdu dans le vague, on n'aurait su dire s'il s'adressait à Canaille ou le spécimen de femelle qu'elle avait enlevé dans sa cavalcade. Il allait de soi que cette dernière était visée par cette question.

    Courir après leur assaillant ? C'était se jeter tête la première dans une foule de truands armés. Il y avait de quoi y perdre quelques plumes.
    La nuit tombait. Si infiltration du stock d'armes il devait y avoir, la pénombre les seconderait dans leur tâche. L'essentiel était de ne surtout pas se précipiter. En jetant des cailloux au petit bonheur la chance, Jacob avait déjà délogé le nid de frelons qu'il cherchait, ce n'était pas pour autant qu'il y plongerait la main. Pas même pour la beauté du geste. Pour peu de beauté que ses gestes pouvaient avoir.

    - Maintenant qu'ils savent qu'on les cherche, ils vont commencer à être nerveux. C'est là qu'ils commencent à faire des erreurs.

    La dernière erreur induite par la nervosité avait engendré six cadavres dans une auberge. Il ne faisait pas bon leur faire trembler la main quand une arme se trouvait à son bout. Encore moins quand on avait l'intention de les délester de centaines de fusils.
      Laïra connaissait assez ses vilaines tendances et les conséquences attachées pour s'attendre à ce que la situation prenne un tournant... disons plus agité. N'en resta pas moins que lorsque, se trahissant avec une vivacité très premier degré, le mafieux se mit à arroser à tout va, elle n'en menait pas large. S'aplatissant au sol précipitamment en se protégeant comme elle pouvait, elle se fit zébrer l'avant-bras gauche d'une sympathique blessure brûlante, dont coula un peu de sang épais et sombre à l'odeur que la jeune femme trouva écœurante, à force de l'avoir sous le nez. Un badaud affolé lui marcha presque sur la tête, la sonnant quelque peu le temps que le déluge passe.

      Une fois relevé, elle n'eut même pas le temps de gratter son crâne ébouriffé ou de ne plus avoir les oreilles qui sifflent, entre la foule paniquée et les coups de feu qui résonnaient encore dans son pauvre crâne. À peine sur pied que la crasseuse venait l'alpaguer, l'excentrique à la corde sur les talons. La cornue ne comprit pas la moitié de ce qu'on lui dit, et ne réfléchit pas plus que ça, et suivit sans faire d'histoires pour le moment, manquant de bousculer ces inconnus à qui elle n'avait finalement rien demandé, curieuse de voir la suite, trop sonnée pour être irritée.

      Rationnellement elle venait de faire une monumentale connerie, certes oui, et elle s'en fichait éperdument. Elle avait une belle somme déjà dans sa poche, et ne pas avoir la suite ne l'attristait pas outre mesure, trop d'argent lui aurait brûlé les doigts. Mais surtout cela faisait longtemps, trop longtemps que sa trouble attirance pour ce genre de situation tendue n'avait pas été autant stimulée. Laïra sentait une sourde chaleur parcourir ses membres, l'adrénaline lui fouettait furieusement les veines, et ses mains s'emplissaient d'un fourmillement de mauvaise augure. Surtout lorsqu'on est en train de bousculer à tout va dans une foule un peu trop compacte.

      - T'es qui toi ? Pourquoi tu veux nous aider ? Bordel tu nous à créé un sacré merdier là !

      Même pas complètement sortie du foutoir qu'on venait déjà l'asticoter, avec un air diablement sérieux qui plus est. C'est qu'elle n'avait pas vraiment remarqué que l'autre larron prenait de plus en plus le large, la bougresse. Pas plus polie qu'elle, la blonde répondit sans ménagement.

      - Hé oh ! Toi t'es qui ?! Tu crois quoi, qu'vous êtes le nombril du monde, avec ton p'tit pote le brailleur ?

      Ce disant elle renifla bruyamment et avec mépris, histoire d'accentuer son propos. Elle enchaîna aussi sec avec un regard torve, se montrant mine de rien assez bavarde.

      - Vous aider ? Que dalle. Le zig fou d'la gâchette, y voulait m'embaucher pour je sais pas quoi. Y me regardait de travers, et l'était pas serein quand vous vous êtes pointé alors...

      Elle ne finit pas sa phrase, la trouvant assez claire en l'état. Puis rationaliser outre mesure ce qu'elle avait fait se serait révélé vain. Elle avait "créé un sacré merdier" sans raison particulière, simplement parce qu'elle le pouvait. En parlant, la cornue avait suivi la grognasse, qui courait après son gars comme une bonne-femme après son chien. Drôle de duo tout de même. Laïra se permit une question au débotté alors qu'elles s'arrêtaient enfin.

      - Et vous leur voulez quoi, à ces pégreleux ?

      À coté d'elle, on se garda bien de lui répondre d'emblée, et il y eu bien vite de quoi changer de sujet, avec leurs histoires de clopes. Et que ça s'énervait sur place, alors que le gars restait complètement de marbre, la tige pendouillant avec mollesse des lèvres. Sacré contraste. Ce n'était pas ce qui occupait le plus l'esprit de la jeune femme cependant.

      - Ils sont nombreux, je me trompe ?
      - Hein ? J'en sais rien moi, change pas le sujet.

      Pas de réaction, même pas un vague regard. C'était à se demander s'il l'écoutait, le bougre ! Les yeux dans le vague et l'air vacant, ce type avait une dégaine dérangeante. Puis d'un coup il se remit à parler, manquant de faire tomber sa cigarette.

      - Maintenant qu'ils savent qu'on les cherche, ils vont commencer à être nerveux. C'est là qu'ils commencent à faire des erreurs.
      - Putain mais... Z'êtes bouchés ou quoi, c'est pas la mort de répondre à une foutue question, si ?!

      L'irritation commençait à sérieusement se faire sentir pour la cornue. En trois enjambées, elle s'était campée face à l'homme à la corde, les traits chiffonnés de colère, les pupilles réduites à de petits points noirs et brillants. Levant la main pour donner une pichenette à cette foutue sèche qui se consumait sans qu'il daigne en respirer la fumée, elle sentit des picotements caractéristiques lui envahir la paume. Refermant son poing en urgence, elle l'abaissa, soupira bruyamment.

      - Huhhhhh... J'vais ouvrir le bal alors, moi c'est Laïra Estum, et si vous voulez savoir où ils font leur magouille, j'ai p'têtre un tuyau pour vous.

      L'instant d'après, elle sentit la morsure caractéristique d'une balle dans son flanc droit, accompagné d'une détonation à un point non identifié derrière eux. On leur tirait dessus à nouveau, en pleine rue cette fois, et il fallait croire que la blonde avait involontairement protégé ce foutu pendu...
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      Smith & Westson. [PV] A2fdd310

      Satané donzelle.

      Fut tout ce qu'il trouva à dire, lorsqu'il vit son petit bijou de tir à une centaine de mètres de distance se terminer dans la chair de la femme. Non pas qu'il n'était pas heureux de la blesser, tout simplement qu'elle n'était pas la cible visée. Cette dernière était apparue dans la lunette de son fusil une seconde après le tir, encaissant la balle destinée en réalité à l'énergumène avec la corde autour du cou. Ce type semblait avoir envie de mourir, lui souhaitait seulement rendre service en exauçant son souhait. Azraeli Di Spagetini, un ancien tireur d'élite au sein de la Marine, savait pertinemment que l'homme fort du trio se trouvait être le mâle. En l'abattant ou le mettant hors d'état de nuire, il désordonnerait leur plan d'action et sèmerait la confusion. Ce n'était pas les deux goumiches trop occupées à piailler dans tous les sens qui prendraient les choses en mains. Aussi prit-il le soin de tirer sur le verrou de son fusil pour extraire la douille de la culasse, et de recharger.

      Cette fois ma jolie, ne me trompe pas.

      Positionné dans les hauteurs d'un bâtiment, à la fenêtre de l'un d'eux, il profitait d'un bel avantage sur ses adversaires. Le visage camouflé par un masque au sourire figé, il semblait apprécier la situation, s'en amuser. Il prit une profonde inspiration et bloqua sa respiration le temps de prendre une visée correcte. Stabiliser le viseur de son arme sur sa cible, interrompre le balancement de son canon, prendre en compte les éléments extérieurs pouvant lui être défavorable, le tout en à peine une quinzaine de secondes. Il laissa échapper l'air emmagasiné après avoir pressé une seconde fois la détente, la détonation résonnant dans toute la zone. Il changea immédiatement de position, trop expérimenté pour savoir qu'ils auraient tôt fait de le trouver s'il s'obstinait à camper à cet emplacement.  Fusil de précision en main, il décampa de la chambre et s'engouffra dans le couloir, avant de prendre les escaliers.

      Le boss avait bien fait de lui demander de suivre Alonzo jusqu'au point de rencontre avec la fille qu'ils avaient embauché pour la poudre. Monsieur Dicross s'en méfiait et à juste titre, ils avaient semblerait-il tenté de tendre un piège à leur collègue. Il descendit à l'étage inférieur, et d'un coup de pied autoritaire enfonça la troisième porte sur sa gauche. La pièce ayant était vidée par ses soins quelques heures auparavant, il n'eut pas de mauvaise surprise. Pour l'heure, son travail consistait à couvrir la fuite de son ami et de s'assurer qu'aucun mal ne lui soit fait. Si en bonus il pouvait refroidir ces types, il se ferait bien voir auprès du patron. En prime, Alonzo lui devrait un service pour lui avoir sauvé la mise sur ce coup. Galvanisé, il ouvrit la fenêtre, le geste s'opérant vers l'intérieur de la pièce, raison pour laquelle il avait choisi cet hôtel, et pris position. Un genou à terre, son fusil calé contre le rebord, œil directeur dans la lunette, il observa la scène en contrebas...

      Merde ?!

      Son cœur manqua un battement, avant de s'affoler, tambourinant dans son corps comme un damné. Il rengaina immédiatement son flingue, et se plaqua dos au mur, affolé. Il ne savait pas comment c'était possible, coup du sort contre sa pomme ou véritable coup de génie de la part de ce type, mais il venait de croiser le regard du fumeur avare en paroles. Il l'avait vu très distinctement à travers le verre de son accessoire grossissant la visée, cette enflure avait grillé sa position. Cela ne lui ressemblait pas, mais sur l'effet de surprise il avait paniqué et réagit stupidement. Hors de question de repointer sa fiole par l'encadrement de cette fenêtre désormais, ils avaient sa localisation. Le meilleur atour d'un tireur embusqué était sa discrétion lui permettant d'abattre ses cibles sans être décelé. Une fois cet avantage perdu, il se retrouvait quelque peu dans la mouise.

      Pendant ce temps, à l’entrepôt...


      Toujours aucune nouvelle de mes gars, j'ai beau savoir que j'ai pris mes précautions pour qu'il ne leur arrive rien, je cogite. Mettre sa propre vie en jeu et avoir celle des autres entre les mains sont deux choses totalement différentes. Pourtant, dieu sait que j'ai du mal avec l'espèce humaine, qui est à mes yeux qu'un ramassis de pourritures en tout genre, d'ordures prêts à t'écraser à la moindre opportunité pour s'élever. A te faire souffrir et s'en délecter pour un simple plaisir d'amusement, observer ta misérable petite vie que tu tentes de maintenir à flots s'écrouler simplement pour se sentir plus important. L'humain humilie ses semblables et, fier de cette nouvelle âme brisée par ses soins, entreprend de s'élever. Parfois, par jalousie, il ruinera les efforts que tu as fais pour améliorer ton existence, simplement car il ne supporte pas qu'un autre puisse mieux réussir que toi. Je n'aime pas l'être humain, il me débecte.

      Viennent alors quelques exceptions, des cas à part semblant avoir été crées pour faire persister l'espoir d'une rédemption. Comme Alonzo, un bon gars assurément loyal malgré le peu de courage dont il peut faire preuve. Toujours prêt à faire passer les intérêts de la famille avant les siens, et qui met tout en œuvre pour y parvenir du moment que ses miches ne courent pas un trop grand danger. Ou Azraeli, un de ces zigues sur qui le sort s'est acharné, et qui fait tout pour ne pas plier l'échine, luttant envers et contre tout pour camper sur ses deux panards. La maladie a emporté sa fille, la dépression sa femme, la marine l'a renvoyé pour son attitude trop rebelle. Alors qu'il n'y a pas plus obéissant comme gars, c'est simplement qu'à aucun moment ils ont tenté de savoir comment il s'en sortait dans sa vie personnelle. Le gars voyait son monde s'écrouler et tout ce qui intéressait ces enfoirés c'était qu'il réponde ''Oui Sergent'' quand on lui causait comme à la dernière des merdes.

      Ces deux-là ont intérêt de me revenir en vie et en un seul morceau...
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        Il parait que la vie c'est comme une boîte de chocolat, on sait jamais quand on tombera sur celui à la liqueur, a part au moment de croquer dedans. Et elle venait définitivement de toucher le gros lot. Entre la gamine cornu qui était adepte de la théorie du chaos, et un Jacob plus intéressé par sa consommation de cigarette que par la mission, elle bouillait intérieurement d'impuissance. Heureusement, le coup de feu qui toucha la petite Laïra mit les points sur les i. Même Jacob sembla se renfrogner plus qu'il ne l'était déjà et chercher d'ou venait le coup fourré. Il leva le nez en l'air comme un fin limier, lui manquait plus que la fourrure pour faire illusion.

        - Un tireur embusqué putain ! Tous aux abris ! Elle poussa d'instinct Jacob tandis qu'une balle ne frôla ce dernier, sans occasionné le moindre dommage à personne. Son instinct lui criait de s'occuper d'abords de ce problème, avant d'emmener la gamine à un médecin. Déjà, Jacob semblait avoir repéré le fils d'enfoiré qui avait tiré. Il le dit d'un temps laconique, comme d'habitude : L'Hotel là bas, troisième étage. La petite fenêtre ouverte. Bien vu l'aveugle.

        - Je m'en occupe, maintient sa blessure pour ne pas qu'elle se vide de son sang, fit-elle à son partenaire. Elle se rua dans la rues en courant, ou plutôt en zig-zaguant de droite à gauche. Elle ne voyait personne, mais faisait confiance au Pendu pour ne pas se gourer sur l'emplacement. Elle savait qu'il n'y avait pas pire qu'avoir un sniper sur le dos, et de le savoir dans la nature, sans possibilité de le repérer. C'était dans ses premières leçon, ça. Ne jamais tourner le dos à un ennemi. Encore fallait-il savoir d'ou provenait la menace.

        Elle pénétra dans l’hôtel en défonçant la porte barré. Qu'importe qui il était et qui il servait, il n'était pas passé par là pour pénétrer l'établissement abandonné. Peut-être par les toits ? Elle n'en savait rien et ne se sentait pas en besoin de le savoir. Elle monta les escaliers brinquebalant quatre à quatre, prenant tout de même soin de faire le moins de bruit possible. Ce qui avec ses grosses bottes de combat cela semblait être une prouesse hors de sa portée, puisque quand elle eut défoncée la porte qui menait à la dite "petite fenêtre", elle ne trouva personne si ce n'est une douille et une fenêtre ouverte. Il n'avait pas prit le temps de la refermer, ainsi, il devait s'être dépêché de filer.

        Elle ramassa la douille par réflexe.

        Elle passa tout le troisième étage au crible sans trouver personne. Ils devraient apprendre à vivre avec cette épée de Damoclès au dessus de la tête. Elle ne resta pas trop longtemps dans l'hôtel, s'imaginant déjà le pire pour la petite Laïra. L'humain avant la mission. Même si elle bouillonnait de la réussir, elle ne pouvait pas faire table rase d'un être humain en détresse. Elle était comme ça, elle ne se changerait pas. Elle alluma une cigarette sur la route qui la ramenait auprès des siens. Malgré son impertinence, elle semblait déjà avoir adopté la cornu comme un membre de l'équipe. Elle se fiait à elle parce qu'elle n'avait rien à gagner de les aider, mais qu'elle le faisait quand même. Cela aurait pu être un piège, mais de ce qu'elle avait cerné de la gamine, ce n'était pas l'appât du gain qui semblait la motiver.

        - Faut lui trouver un médecin Jacob. Fit la crasseuse à son binôme, même s'il ne voyait pas grand intérêt à la sauver, elle, ne pouvait pas la laisser sur le carreau seule et blessée. Elle lui avait quand même sauver la vie sans le vouloir. C'était pas rien. Elle sortit la douille qu'elle avait laissé au fond d'une poche, et commença à la triturer. C'est du calibre 52, chemisée. Elle était encore chaude quand je suis passé dans la chambre. Mais il n'y avait personne, il a du filer. On a pas affaire à un manchot bordel de merde !

        Ainsi elle se fit plus méfiante sur le chemin qui les conduisait au médecin que connaissait Jacob. Elle portait la petite en ayant enfilé l'un de ses bras sous son épaule. Ils n'allaient pas vite, mais au moins ils étaient encore en vie. Tiens bon Laïra, on y est bientôt -pas vrais Jacob, on y est bientôt n'est-ce pas ? Il hocha la tête, et ils se retrouvèrent bientôt devant un cabinet de vétérinaire qui ne payait pas de mine.

        - Heu, Jacob, elle a peut être des cornes mais elle est humaine quand même !
        - Tu voulais un médecin, mais t'as préciser sa spécialité...
        S'amusa-t-il, jouant avec les nerfs de Canaille, comme d'habitude. Il n'ajouta pas que celui-ci travaillait pour la pègre, et rafistolait aussi bien qu'un médic' des plus classique.

        Elle frappa à la porte, sans se douter que c'était peut-être un piège pour eux. S'il soignait la pègre, sans doute qu'il y'avait des clients qui ne souhaitait pas franchement les revoir, tout du moins sur leur deux pieds. Déjà la salle d'attente, on y avait fait que renifler avec mépris pour l'odeur de la révolutionnaire, puis ce fut des regards noirs, et de la méfiance. Ceux qui connaissait l'endroit n'étaient pas nombreux, alors on cherchait à savoir quel lien pouvait avoir une crasseuse et un blanc bec avec la pègre.

        Et on ne mettrait pas long feu à découvrir qu'ils avaient été ennemis. Et ça chaufferait. Et Canaille avait tout sauf envie de se faire remarquer. Et Jacob lui, s'y donnerait à cœur joie de descendre quelques cafards.



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      Le suspense était à couper le souffle. Surtout celui de Laïra qui en avait moins qu'à ses débuts. Toutefois, la porte demeurait résolument fermée. Il se faisait tard et la fusillade à proximité avait probablement conforté les commerçants dans l'idée de fermer l'échoppe. Le véto avait mis les bouts comme tout le monde. En règle un général, plusieurs coups de feu dans la rue constituaient en soi le clairon de la retraite. Quand bien même eut-il été sur place que le bougre n'aurait pas ouvert. Un peu de jugeote et une pincée de bon sens suffisaient pour comprendre que lorsqu'on venait tambouriner à votre porte quelques minutes après un tir on ne peut plus audible, cela n'augurait jamais que des emmerdes.

      - Putain Jacob... c'est fermé !

      Le son caractéristique d'une porte enfoncée à coup de pied infirma les propos de la punk. Mains dans les poches, sans un «Bonjour» ni un «S'il vous plaît», le Pendu fit résonner ses talons contre le carrelage en damier de ce qui se présentait comme une salle d'attente, avant de s'arrêter au milieu de la carré. Impassible.

      - Cossu.

      Derrière lui, faisait irruption comme une bourrasque, une gamine sur le dos, l'empathique du duo révolutionnaire cherchait un médecin planqué quelque part. La furie fulminait autant de peur que de rage. Peut-être n'avait-elle jamais vu d'enfants mourir. «On s'y fait» lui aurait dit Jacob sur un ton laconique et blasé, mais ce dernier avait certainement pressenti la réaction de sa binôme puisqu'il la boucla en conséquence.

      - Quand t'auras fini de t'extasier devant le papier peint, tu m'aideras à trouver le docteur, bordel !

      Interloqué, plissant même légèrement les yeux, bouche légèrement entrouverte, accentuant le tempérament d'ahuri monolithique qu'il était, Longdrop répondit :

      - Le docteur Bordel ?

      Un regard non pas noir mais incendiaire et porteur d'un message for discourtois fut adressé au Pendu de la part de sa complice. Il avait fait de l'humour sans le vouloir, distrait qu'il était à visiter les lieux. Effectivement planté comme un piquet la clope au bec devant le papier peint, Jacob avait pu apprécier toutes les subtilités artistiques du décor. Il y avait des petits chiens dessinés partout. Et un perroquet. Cela troublait ce génocidaire aux idées simples.

      - Pourquoi un perroquet ?

      L'eut-elle entendu divaguer sur les motifs muraux que Canaille l'aurait tué. Pour le principe comme pour se défouler. Mais elle avait à faire, retournant les locaux dans tous les sens pour retrouver un vétérinaire imaginaire. Elle ruait d'autant plus dans les brancards qu'elle sentait le sang de Laïra perler jusque sur ses vêtements, l'alarmant un peu plus goutte après goutte.

      - P.... putain ! Il est pas là.

      Sans détourner son regard du volatile exotique dessiné face à lui, Jacob tira une dernière bouffée de sa cigarette avant de jeter son mégot à même le carrelage. Il avait suffisamment perdu de temps et se détourna des femelles pour s'en retourner dehors. La bête humaine qu'il était n'affectionnait que trop peu la captivité et, usé de chercher un remède pour une enfant dont il n'avait rien à faire, tourna les talons pour reprendre la route. Lancé sur les rails, il n'était pas homme à faire machine arrière. Peu importe qu'une enfant innocente se trouve sur sa trajectoire.

      - Tant pis. La vie continue. Pour nous en tout cas.

      Deux phrases toute faites, une conclusion aussi fataliste que je m'en foutiste, le Pendu en était revenu à ses classiques lyriques. Canaille ne l'arrêta même pas. Mains tremblantes, elle s'empara d'ustensiles de chirurgie glanés ici et là sous le regard impitoyable de son partenaire qui la regardait en coin comme on observe une nature morte.

      - C'est ça... snifff... casse-toi. Je la soignerai toute seule. J'm'en fous t'façon.

      Et elle pleurnichait. Jacob revint sur ses pas. Le sort de Laïra le préoccupait toujours aussi peu, mais elle avait promis de leur dire où trouver la horde sauvage venue faire des cabrioles avec eux. Qui plus est, sa camarade trouverait le moyen de se plaindre si l'enfant venait à mourir. Or, Jacob aimait trop le silence pour supporter les lamentations de la punk sur le chemin du retour. Tout élan d'altruisme de sa part n'était jamais conditionné que par l'intérêt qu'il pouvait en retirer.
      Alors il enleva sa ceinture. Non pas pour fouetter sa gueuse de camarade jusqu'à ce qu'elle lui soit obéissante, mais pour la rouler en boule et la carrer dans la bouche de la petite victime.

      - Mords.

      Un «Ça va faire mal» ou tout autre avertissement n'eut pas été superflu. C'était en tout cas trop tard car il appuya ses deux mains sur l'abdomen de la gamine opérée à même le sol, faisant jaillir une éruption de sang abondante.

      - Mais... tu cherches à l'achever ! Arrête-ça espèce de débile !

      Canaille avait déjà noué ses mains autour du cou du Pendu quand ce dernier se saisit à deux doigts de la bille de plomb qu'il avait fait remonter à la surface tandis que sa patiente manquait d'avaler une bouchée de la ceinture qu'elle avait mordu à pleines dents. La chirurgie artisanale avait le goût de l'authentique. De l'authentique douleur ressentie à vive et sans anesthésie.
      Inspectant scrupuleusement la balle de ses mains rougies par ses prodiges, le Pendu ne vit aucun fragment manquant et jeta le projectile avec désinvolture. Il n'aurait pas à renouveler l'expérience pour retirer d'autres morceaux.

      - Le foie est pas touché.

      Voilà qui faisait sans doute une belle jambe à Laïra dont le visage était couvert de larmes. Jacob ne faisait pas pleurer ces dames en leur brisant le cœur mais en leur triturant le flanc.
      Il se saisissait maintenant d'une aiguille et de fil des mains crispées de Canaille. Doué avec les cordes, habile avec du fil, il sutura - sans ménager sa patiente maintenue au sol par Canaille - les diverses lésions abdominales qu'il avait observé. Peut-être pas de quoi faire gambader Laïra comme un faon, en tout cas, suffisant pour garder tout en dedans d'ici un prochain rendez-vous chez le docteur. Un vrai cette fois.

      Pressé et agacé par cette perte de temps, sans se laver les mains, le révolutionnaire ôta brusquement sa ceinture de la bouche de la jeune fille.
      Le tout remis autour de sa taille - des marques de dents suspectes dans le cuir - il quitta la salle d'attente d'un pas pressé pour retrouver la fraîcheur nocturne du dehors qui se profilait.

      - Maintenant, on y v....


      Lui n'irait nulle part puisqu'une bille semblable à celle qu'il avait extraite de Laïra vint se loger dans son mollet droit, le faisant s'écrouler sur place. On pouvait en déduire que le tireur embusqué les avait retrouvés. Le temps que ce dernier ne recharge son arme pour achever la bête humaine, cette dernière avait fait jaillir une corde de sa manche pour l'attacher à l'autre bout de la pièce et se tracter jusqu'à retrouver les demoiselles qu'il allait abandonner.

      - Bah ? Bah alors Jacob ? On y va ou on n'y va pas ? T'avais l'air décidé en plus. Qu'est-ce qui s'pa...

      Interrompue dans son sarcasme de mauvais goût, Canaille s'aplatit au sol alors qu'un nouveau coup de feu les dérangea. Il semblait que leur assaillant tirait à l'aveugle dans la bâtisse où ils avaient trouvé refuge.

      - C'est à ton tour de mordre dans la ceinture semblerait.

      Rampant jusqu'au premier tiroir ouvert du bureau autour duquel il avait attaché sa corde, Jacob en sortit une petite ampoule contenant un liquide.

      - Je préfère les sédatifs.

      Ces même sédatifs qu'il n'avait pas jugé utile d'administrer à Laïra. Sale con que ce Jacob Longdrop. Canaille se réjouissait presque qu'il ait été touché en sortant. Il y avait une Justice en ce bas monde et elle avait été administrée par un mafieux particulièrement insistant qui les tenait maintenant au piège dans leur terrier.
        Rien à redire, Laïra s'était surpassée. En quelques minutes, ce qui se profilait comme un retour quasi inespéré d'un confort sommaire mais bienvenu s'était volatilisé, au profit d'une situation aussi confuse que dangereusement proche du qualificatif de mortel. Pour la jeune femme, du moins, les deux autres ne se ramassèrent pas leur dose de plomb, chose qu'elle ne put s'empêcher de remarquer avant que la déferlante de douleur ne lui coupe toute pensée cohérente. Car sur l'instant, l'impact qui l'avait plaqué au sol, déchirant sa chemise et ses chairs, l'avait sonné au point de délayer la souffrance. Dans ce bref état d'abrutissement flottant, la cornue voulut même invectiver l'homme resté près d'elle lorsqu'il la retourna comme un vulgaire paquet, mais ses lèvres ne bougèrent même pas. *Hé, tu t'prends pour qui connard...* Le bougre ne daigna même pas lui rendre son regard, trop occupé à traquer des mirettes elle ne savait quoi.

        Le répit ne dura pas, et ses nerfs la rattrapèrent d'autant plus fort qu'ils avaient pris leur temps. Sciée en deux par une douleur brûlante, insupportable, elle étouffa un cri entre ses dents, les yeux roulant dans ses orbites, un voile gris-rougeâtre recouvrant sa vision. Trop occupée à ne pas perdre totalement le contrôle d'elle-même, la pauvre fille ne sentit pas vraiment la pression sur son flanc, pas plus qu'elle n'entendit que la crasseuse était partie puis revenue. Cherchant fébrilement à se débattre lorsqu'on commença à la soulever, la cornue retrouva suffisamment la vue pour comprendre vaguement ce qu'il se passait. Trop faible pour faire quoi que ce soit de plus, le bras droit impossible à bouger, elle s'accrocha comme elle put, pitoyablement, la main gauche agrippée aux sapes raidies de saleté de la bougresse basanée. Au moins comprit-elle ce qui se disait, cette fois. *Un toubib, ouais...* Mais rien à faire, on trouve le temps long quand on est occupée à saigner sur une inconnue, à moitié soutenue à moitié portée.

        Elle se mit donc à ruminer, claquant de temps à autre les dents nerveusement. De façon un peu saugrenue, Laïra repensa à sa mère, en se laissant entraîner elle ne savait trop où. Elle, qui lui avait bien dit cent fois de ne pas suivre les inconnus. Mais, au delà du temps écoulé, dans l'état lamentable qui était le sien c'était peut-être ce qu'elle avait de moins pire à faire. Et puis, la blonde n'avait jamais accordé grand crédit à ce conseil, venant d'une femme aux jambes aussi ouvertes au tout venant que la dernière des prostituées jouant la phalène sous les lampions du port. Un brusque élan de douleur rappela la fille ingrate à des réalités plus immédiates. Ils étaient arrivés, semble-t-il. Pour fêter ça, elle cracha par terre un peu de bave rosie de sang par terre avant d'entrer.

        Une fois à l'intérieur elle resta tranquille, évitant de baisser les yeux pour voir l'étendue des dégâts, fixant le vide devant elle. On la déposa contre un mur, et après quelques instants la blessée se laissa glisser jusqu'au sol sans grâce. Indéniablement, elle n'en menait pas large, plus pâle que jamais, mais elle retint tout de même au passage le nom du gus à la corde lorsqu'il fut prononcé, sait-on jamais. Mais surtout, alors que l'agitation monta autour d'elle, de peur qu'elle ne s'en sorte pas, la cornue se permit un petit commentaire bravache.

        - Hé... J'vais pas clampser pour si peu...

        Démentie par son souffle qui n'arrivait pas à porter sa voix, la chose passa inaperçue. Au bout d'un moment, Laïra leva enfin les yeux sur les deux compères, pour voir Jacob se pencher sur elle, un machin dans la main.

        - Quoi, tu v... *honhon*
        - Mords.

        Elle eut à peine le temps de tenter mollement de repousser le type d'une main que le sagouin se mit à fouailler sans vergogne dans ses chairs. La pauvre fille enfonça ses dents dans le cuir dur et odorant avec toute la force qui lui restait, agrippant sans réfléchir l'ourlet du pantalon de son tortionnaire, la prise la plus proche de ses doigts. C'était trop soudain, fait sans la moindre précaution ni délicatesse, brutal. Mais au delà de la douleur, il y avait quelque chose dans ces mains étrangères la triturant de terriblement intrusif, à un point simplement révoltant. Couplé à l'affreux goût amer de la ceinture contre laquelle sa langue venait buter alors qu'elle y hurlait sa rage, mêlée à l'odeur fade et métallique du sang, et cela en devenait tout bonnement insupportable.

        Le cou raidi, les yeux ouverts au point d'en avoir mal aux paupières, elle sentit des larmes chaudes sortir de ses yeux, qui ne coulèrent pas vraiment, mais plutôt s'étalèrent sur ses joues. La couture de la jambe de pantalon qu'elle tenait furieusement craqua un peu sous ses doigts avant que son bourreau de propriétaire n'en ai fini avec le flanc de la donzelle. Trouvant au fond d'elle un reste d'énergie, Laïra chercha à se redresser, le regard fou, mais on la maintint fermement au sol pendant que Jacob exerçait ses petits talents de couturière sur modèle vivant. Son œuvre terminée, il retira de la bouche de sa victime son bâillon improvisé, laissant à la cornue tout le loisir d'un râle déchirant et mouillé, un sanglot rageur et guttural.

        Haletant quelque peu, elle chercha à reprendre ses esprits, palpant avec précaution son coté suturé à la diable. Ses pupilles dilatées ne quittaient plus l'homme à la corde. *Putain de bâtard de merde...* La jeune femme s'en contrefoutait, qu'il lui avait plus ou moins sauvé la mise, elle n'avait en tête que le supplice tout frais. Elle cracha dans sa direction, échoua lamentablement à l'atteindre de son glaviot qui tomba entre ses maigres jambes, juste devant elle. Puis il y eut ce nouveau coup de feu. Elle aurait bien renchéri aux sarcasmes de la vile bougresse, mais il lui manqua un peu d'imagination, l'esprit un peu trop pris par sa colère et sa douleur. Jacob se mit rapidement à l'abri.

        - C'est à ton tour de mordre dans la ceinture semblerait.
        - Je préfère les sédatifs.

        Le sang de Laïra - celui encore dans son corps du moins - ne fit qu'un tour à ces mots. Le foutu tiroir n'était qu'à quelques mètres. Oubliant la souffrance, oubliant le tireur non loin, elle rampa frénétiquement jusqu'au maniaque aux cordes, chercha à lui prendre la sacrosainte ampoule de sédatifs des mains.

        - Donne moi ça !
        - Trop tard.

        Il avait avalé à la vitesse de l'éclair, le salaud. Une frénétique fouille du tiroir encore ouvert révéla cependant qu'il en restait encore quelques unes. La blonde en cassa une dans sa fébrilité mais elle ne le sentit même pas, toute absorbée qu'elle était par sa tâche. Cherchant péniblement à l'ouvrir d'une seule main, elle ne réussit s'érafler les doigts, mais le liquide au goût affreux se déversa dans sa bouche et elle avala goulûment, s'étouffant un peu avec, avant de s'appuyer sur le mur avec un soupir bruyant. Sa langue et sa gorge engourdies lui donnaient déjà l'impression d'aller mieux.

        - Ah, putain de bâtard de merde... Bon, l'est où c'te foutu planqué ?

        Une petite boule de flammes chimiques apparut dans sa paume.

        - J'lui en dois une, ce fils de pute.
        Tout de même... ^^':
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        Smith & Westson. [PV] A2fdd310

        Stupide petite femmelette qu'il avait là, n'avait-elle pas eu l'intelligence de se dire qu'il avait pu déguerpissement de l'étage ? Habitué aux déplacements rapides et furtifs depuis des années, avec le temps qu'il lui avait fallu pour ramener son popotin ici, Azraeli aurait largement eut le temps de changer d'immeuble s'il l'avait souhaité. Planqué à l'étage supérieur, guettant le moindre son, l'autre se déplaçant comme un mammouth dans une boutique de porcelaine, il n'avait eu qu'à attendre bien sagement qu'elle fasse sont tour et reparte. C'est à cet instant que le tireur d'élite comprit que la mission serait facile. Sournoisement, agile et rôdé aux déplacements éclairs, il quitta les lieux, progressant à la suite du trio pris en chasse. Inutile d'attendre les renforts, il aurait tôt fait de les abattre.

        La clinique vétérinaire du vieux Jonas. Les idiots, aucune chance qu'ils se fassent soigner ici.

        O'Berman Jonas était un ami de la famille, il avait recousu des plaies et extraits des morceaux de plombs à un nombre incalculable de mafieux à Manshon, jamais il n'irait rafistoler un ennemi des Bambana. Ils ne parvenaient même pas à entrer, la porte étant verrouillée. Évident que le propriétaire avait tout fermé et décampé en vitesse avec tout le boucan provoqué depuis les premiers coups de feu. Tandis qu'ils s'évertuaient à enfoncer la porte, il s'introduisit dans le bâtiment d'en face et y chercha un angle de tir adéquat. Perdant du temps en délogeant les locataires, les menaçant de son gros fusil de précision et une menace de mort pas piquée des hannetons, il s'installa à la fenêtre, observant en contrebas.

        Raaah.

        Volets fermés, aucun visuel sur l'intérieur et donc, aucune chance de savoir ce qu'ils fabriquaient. Il ne pouvait que prendre son mal en patience, et guetter le moment opportun. Facile, pour un sniper.

        Coucou toi.

        Telle une fleur voulant s'ouvrir pour goûter aux rayons du soleil, le mâle de la bande mis le nez dehors pour respirer l'air pur. En toute insouciance. Une énorme cible rouge virtuelle sur tout le corps.

        Di Spagetini pressa lentement et en continu la gâchette, au bout d'une fraction de secondes vint le coup de feu.


        GiaAaArrrRRggHH !

        L'animal de compagnie du diable lui avait sauté dessus au moment même où il avait tiré, bousculant sa position de tir et faisant dévier ce dernier. D'un tir en pleine tête, Jacob se retrouva avec une balle dans le mollet, chanceux.

        Bas les pattes la boule de poils !!

        Quelques minutes plus tard, au bout de la rue...


        Les coups de feu résonnent avec une certaine cadence, une fréquence de tir qui n'est pas sans me rappeler une vieille tactique de combat apprise dans la Marine. Fixer l'ennemi sur place, le geler sur sa position actuelle par des tirs concentrés en leur direction pendant qu'un autre groupe contourne l'objectif pour le prendre à revers et le traiter. J'ai pas besoin de le voir pour savoir de qui il s'agit, Azraeli fait toujours aussi bien son travail, et s'il est en mesure de faire feu, c'est qu'il n'est pas cané. Ultime soulagement, puisque plus tôt, c'est Alonzo qui m'est revenu en un seul morceau. Complètement paniqué et dégoulinant de sueurs, mais bien vivant. Je lui ai demandé de faire bref, pas le temps de jacter des plombes si la situation urge. Le temps d'écraser ma clope, chopper mon manteau, ma casquette bombée et on a filé au devant des ennuis.

        En remarquant notre présence, Azraeli interrompt le feu. J'ordonne immédiatement à mes hommes de prendre la relève et de m'arroser la clinique par le plomb. Un déluge de balles mortelles déversées à l'aveugle, une scène qui doit leur être familière, à la différence que cette fois, le nombre d'armes à feu est plus élevé. On a rappliqué en nombre, ça aussi c'est une vieille stratégie militaire, toujours être au moins le double en effectifs que l'opposition. L'entrepôt est quasiment vide de bras du coup, c'est un risque que j'ai pris d'y laisser seulement deux types. Avec mon tireur embusqué ça nous amène à cinq. J'ai demandé à Mitchel, resté sur place, de prévenir la famille et de nous envoyer quelques têtes supplémentaires. Mais je pouvais pas rester le cul posé sur mon fauteuil à attendre que ça tourne mal.  

        Je suis agacé, fatigué aussi. J'ai couru comme un dératé pour arriver ici au plus vite, j'ai sué dans mes fringues neuves et je déteste ça, transpirer dans du neuf. Je suis de mauvaise humeur, mais sur ma tronche, rien d'autre qu'un visage inexpressif. J'ai ce don à bouillir de l'intérieur un moment, avant de violemment explosé, hors de contrôle. Sous contrôle, la situation l'est, c'est bien ce qui m'évite de piquer une colère façon père tempête. Et le bedeau que j'ai fumé y'a pas longtemps, aussi, qui me fait un peu planer. Le vacarme cesse, les oreilles arrêtent de siffler, l'odeur de poudre de se répandre dans l'air, les armes sont rechargées. Pas moyen de savoir si les rats sont crevés avant d'en avoir vu les cadavres de mes propres yeux.

        Hors de question que l'un d'entre nous aille servir d'appât pour s'en assurer. Méthode apprise au sein de la pègre cette fois, deux précautions valent mieux qu'une.

        On fout le feu.

        Vous pensiez quand même pas qu'on allait venir les mains vides, les gars ? Un baril de poudre, celle concoctée par la même pouffiasse qui nous a balancé. C'est le moment de savoir si elle bosse aussi bien qu'elle vend ses miches. Y'en a un qui fait le tour en déversant la poudre comme le Petit Poucet avec les miettes de pain, et dépose le baril au pas de la porte. Le départ de poudre est à un mètre de mes panards, je m'allume une clope. Le cliché du méchant gusse qui fout le feu en jetant sa cigarette, on le connaît tous.

        Ça empêche pas que c'est toujours aussi foutrement classe de le faire.

        Brûlez, sacs à merde.


        Dernière édition par Peeter G. Dicross le Mer 3 Avr 2019 - 1:16, édité 1 fois
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          L'être humain brille par cette capacité de faire d'une situation idéal, un enfer sulfureux. Et l'homme qui venait de débarquer avait cette marque du démon en plein sur le visage. L'enfer, ils l'avaient déversé sur la clinique du pauvre Jonas, qui ne retrouverait plus son outil de travail le lendemain. Il serait un tas de ruines fumantes et inutilisable, pour sûr. Mais c'est aussi sûr que la pègre allait payer pour rétablir le vétérinaire dans son bon droit, parce que ces services seraient toujours utiles. De l'intérieur, on ne pouvait voir l'extérieur, mais au vu du plomb qui s'écrasait contre les murs, Canaille en dénombra quatre, voir cinq en comptant le type au sniper qui les avait suivis tout le long de leur cavalcade. Même si elle avait été de courte durée.

          Elle devait faire quelque chose pour empêcher la mort de ses camarades blessés. C'était sa responsabilité qu'elle avait engagé, c'était son nom qu'on essayait de salir d'une mission ratée. Elle ne pouvait repartir les mains vides et la queue entre le jambes. Elle ne l'accepterait pas, pas sans se battre. Après tout c'était que des minables de mafieux aux ordres d'un pourris, ils n'avaient pas la ferveur révolutionnaire, tout juste un goût excessif pour l'argent et le clinquant. On sentait leur envie de faire le mal, de tuer, mais qu'en était-il de leur instinct de conservation ? Quand ils verraient sortir du feu une troupe liée par le sang et la douleur, qui serait là pour en découdre avec de sévères arguments ?

          - Putain ils versent de la poudre tout autours de la baraque, faut se barrer vite fait bordel de merde ! Qu'elle lâcha entre les dents, bien consciente que ses "amis" devaient déjà être au courant. Elle avait juste besoin de le dire à haute voix, de s'assurer que le message a été bien passé. Le dire, c'était l'admettre pour elle. Le dire, c'était se rendre compte de l'état catastrophique de cette mission. Ils ne savaient toujours pas où aller, ni comment s'en sortir avec les commanditaires réels de la cargaison : Les Carbopizza. Parce que Bambana n'était qu'un intermédiaire qui faisait la liaison entre son réseau de trafic d'arme et la maison des Tempiesta. Et vu comment ils galéraient à s'en sortir avec eux, elle ne doutait pas que cela allait être encore plus difficile avec la famille la plus puissante de l'île. Restait que piquer les armes avant qu'elles ne soient en possesion de Carbopizza était le meilleur stratagème possible.

          Elle avait toujours détesté les missions suicides. Mais elle n'avait pas trop le choix ce coup-ci. Coincée derrière le comptoir de la boutique jusqu'à lors, elle venait d'en être libéré par les précautions du mafieux. Ne lui restait plus qu'à créer une porte de sortie dans les flammes qui décimaient tout sur leur passage.

          Canaille fit chuinter son sabre en le sortant de son fourreau. Quand on est dans une situation complexe, il faut savoir se relever et combattre. C'était ce qu'elle avait toujours fait, et ce qu'elle ferait toujours. Elle prit la porte de derrière et frappa dedans d'un coup de pied magistral. Le feu commençait à gagner la toiture. Une mort lente et horrible, voilà ce qui les attendait s'ils ne se bougeait pas le cul. Une fois la porte ouverte elle revint à l'intérieur récupérer la jeune Laïra, la plus mal au point.

          - Tu lui feras bouffer les pissenlits par la racine plus tard, pour l'instant je te sors d'ici. Jacob, suis nous si tu peux encore marcher ! Pas de réponse. Ce n'était pas inquiétant de la part du silencieux Pendu. Tu me diras au bout d'une corde, on jacte généralement pas trop. Il devait être entrain de déguster son shoot de calmant pour cheval, et elle n'avait pas à coeur de couper son délire dès à présent. Alourdis par le corps de la jeune cornu, elle sauta comme elle put entre les flammes, se servant de son sabre pour créer des espaces libres entre celles-ci. Mais la chaleur était toujours suffocante et indéniablement dangereuse pour elles.

          Bien heureusement, il n'y avait personne qui les attendait de ce côté ci du mur de feu. Et la rue bloquait la vue au sniper, ce qui leur permettait un répit de bonne augure. Pendant que Jacob se sortait par ses propres moyens de l'enfer sur terre qu'était devenue la clinique, elle pensait à élaborer un plan.

          Un plan simple.

          Bim bam boom, entrer dans la place et leur faire tous leur fête. Et tant pis s'ils avaient des armes, il suffirait de grignoter du terrain en passant par les toits qui communiquaient dans cette partie de la ville, et user du promontoire comme d'une guillotine pour les mafieux. Elle exposa son plan aux deux autres, qui se remettaient encore de leurs blessures. Sa voix avait donc office d’unanimité. Jacob usa de ses cordes pour les faire monter le plus haut possible, et ne restait plus qu'à crocheter la bordure du toit pour s'y hisser. Bien sûr, ils s'étaient éloignés du véto qui brûlait, pour être plus surprenant encore. Grâce au sédatif, ses comparses étaient plus vifs que s'ils auraient dût subir la douleur de leurs plaies. Jacob claudiquait un peu mais tenait debout, tandis que Laïra retrouvait peu à peu des couleurs. Ou peut être que c'était le reflet des flammes sur sa peau.

          Tandis que tous étaient captivé par le spectacle, ils en profitèrent pour passer d'un toit à l'autre sans être vu. Même le sniper ne les avaient pas encore remarqué. Canaille se laissa tomber de tout sa hauteur sur un type lambda, qui tenait fermement un mousquet dans sa main gauche.

          - On vous avait manqué pas vrais !
          Qu'elle fit en laissant son sabre pénétrer la peau et les chairs de son opposant. C'était clairement pas le type le plus dangereux de la troupe, mais ça faisait toujours ça de moins.

          Non le mec qu'elle avait dans le viseur, c'était celui, bien habillé et transpirant, qui demeurait impassible en toute situation, tandis que ses gars commençaient à paniquer d'avoir louper un éléphant dans un couloir, un éléphant qui se retournait vers eux une fois les tirs calmés. Mais a peine esquissait-elle un pas dans sa direction qu'une balle de sniper claquait à ses pieds. Sûrement un terrible avertissement, dont elle tena pas goutte.

          Elle était là pour leur faire payer le sang versé.
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        Sans rien ne laisser paraître sur son visage de cire quoi qu'un peu en sueur, le Pendu douillait. Les blessures à la jambe avaient ça d'emmerdant qu'elles survenaient toujours lorsque courir relevait de l'impératif le plus vital. Oscillant alors entre le boitillement et quelques séquences de pas à cloche-pied afin de ménager la douleur, Jacob avait suivi le mouvement. Docile.
        Lui, aurait été davantage inspiré par une offensive flamboyante afin de briser la mêlée qui, de dehors, avait vidé l'équivalent d'une demi tonne de plomb sur leur mouille avant de débuter un incendie. Toutefois, le fait de tenir péniblement debout après une auto-chirurgie artisanale avait constitué un argument de poids en faveur du plan de Canaille.

        Plan à la mesure de l'intellect de la gueuse puisqu'il s'écoula à peine deux minutes entre le début de leur escapade et l'arrivée des premières balles venues siffler à proximité.

        - On aurait dû attaquer par...

        - Toi ta gueule.

        Inutile de pleurer sur le lait versé, encore moins sur les balles tirées. Une idée à la con en appelant une autre - cette fois plus étincelante, Longdrop prit le sentier de la guerre. Il n'y avait guère qu'en empruntant cette voie qu'il était sûr de ne pas se perdre en chemin. Faussant compagnie à la fine équipe qu'il abandonnait à ses emmerdes, il continua son épopée glorieuse de clampin aérien, sautant de toit en toit, s'écrasant à chaque fois lamentablement sur le bord des gouttières avant de se redresser difficilement.
        La direction qu'il prenait ne relevait manifestement pas des recommandations du guide Azraeli, ce dernier l'ayant à nouveau en ligne de mire.

        - Petit futé, va.

        Et il allait. Il allait tant et si bien qu'il empruntait le chemin le menant droit au tireur d'élite, obligé de détourner la lentille des deux demoiselles afin d'expédier au plus vite les affaires courantes. Courantes, mais boitillantes.
        «Futé» entre ses lèvres relevait de l'ironie. Mal avisée était la cible qui prenait une route dégagée en ligne droite vers un tireur expérimenté. Rarement une cible avait été si grosse dans son objectif, le carton était inévitable. Et justement parce qu'on pouvait résister à tout sauf à la tentation, Azraeli tira de bon cœur et fit mouche.

        - Me faciliter les choses à ce point... ça me ferait presque culpabiliser de toucher une solde pour mes bonnes œuvres ni-hi-hi !

        Mais la culpabilité ne le rongea pas pour long. Dans l'obscurité plus prononcée au fil des minutes, le chasseur n'avait perçu que très brièvement ces masses filandreuses qui s'étaient agitées autour du Pendu avant que ce dernier ne s'écroule, victime de la balle de trop. Aussi, la stupeur fut la plus absolue lorsqu'Azraeli - ayant déjà retourné son objectif en direction de Canaille et Laïra, entendit une masse - apparemment rebondissante à en écouter la cadence, se rapprocher dangereusement de ses tympans. La lunette orientée à nouveau vers là où il avait laissé Longdrop choir misérablement, il eut la surprise de découvrir en gros plan une créature qu'il n'aurait jamais soupçonnée.

        - Nom de... mais qu'est-ce que c'est que cette merde encore ?!

        Avant d'obtenir une réponse, il vida spontanément les quatre balles restantes de son canon fumant. Levant alors le nez de sa loupe le temps de recharger, la bête aussi informe qu'absurde n'était plus qu'à quelques dizaines de mètres, sautillant pour aller de l'avant, ne ralentissant pas la cadence. Ce n'était pas quelqu'un mais quelque chose. D'un beige tendant vers le brun, constitué d'innombrables anneaux épais pareils à ceux d'un lombric quoi que légèrement poilus, l'abomination était épaisse au niveau de la taille pour se raffermir à chaque extrémité, bondissant toujours sans grâce ni volupté pour se rapprocher de sa cible.
        Ce n'est que lorsque le monstre improbable n'était plus qu'à une quinzaine de mètres qu'Azraeli distingua un peu mieux les organes qui le constituaient. C'est alors qu'il comprit à quel point il était vain de recharger, abandonnant son fusil sur place pour détaler au plus vite.

        La bête n'était pas une bête. Elle était en tout cas la bête humaine. Jacob, pour se prémunir d'une blessure supplémentaire et à fortiori fatale, avait plus tôt usé de son Cocon¹. Habituellement immobile sous cette forme d'ici à ce qu'il se défasse de ses propres liens, il avait dû prendre les devants, aussi ridicule avait-il pu paraître en cet instant, sautillant comme une bobine de cordes grotesque et immonde. Un immense sac de nœud menaçant approchant inexorablement du porte-flingue.
        Le son de l'arme tombant au sol et des bruits de pas cadencés  indiquèrent au Pendu qu'il était temps de se défaire de sa chrysalide. Azraeli avait pris de l'avance sur lui. Pas assez.
        Jaillissant brutalement d'une des manches dans lesquelles il l'avait rembobinée, une de ses cordes couvrit en un rien de temps la distance séparant Longdrop de son assaillant d'alors. Sans surprise, elle s'était attachée autour de la gorge du malheureux qui n'eut pas à patienter longtemps d'ici à ce que son poursuivant ne le tire violemment pour le ramener à lui.

        «Crac» avaient fait ses vertèbres. «Merde.» Avait mollement réagi le responsable alors que le corps venait de s'écrouler à ses pieds. Merde en effet car il était remarquablement difficile d'interroger un cadavre. N'étant pas homme à se laisser miner par un échec, Jacob se saisit du fusil partiellement rechargé. Il n'avait pas l'habitude de manier de telles perles de précision.

        - Capo ! Azraeli nous tire dessus.

        Bien plus loin en aval, proches du cabinet vétérinaire en flamme, le petit quintet de furieux venus plus tôt arroser Canaille et consorts comprit enfin à quel point ils avaient été faits cocus. C'était certes un tireur d'élite positionné là où se trouvait Azraeli qui les canardait ; mais il visait bien trop mal pour que ces prouesses ne soient attribuées à ce carabinier hors-pairs.

        - Oubliez Azraeli.

        Le chef avait réalisé sans même décrocher son Den Den qu'Azraeli ne lui répondrait pas. Le trio s'en était sorti et n'avait pas visiblement pas chômé. Alors que les coups de feu venus de loin s'étaient arrêtés - Jacob ayant renoncé à rechargé tant il était empoté avec son nouveau jouet, l'un des hommes de Peeter s'écroula dans un «OUurGFfll !» aussi inesthétique que subi. Le Pendu ne savait pas tirer ? Qu'à cela ne tienne. Aidé de sa corde nouée autour du fusil, il avait tournoyé encore et encore pour s'essayer au lancer de poids, discipline qu'il maîtrisait avec brio. Avec suffisamment de brio en tout cas pour que l'arme de précision hors de prix n'aille s'écraser crosse la première dans le visage d'un des cinq mafieux situés à trois-cents mètres de là.

        Jacob en ayant terminé avec l'empêcheur de tourner en rond, il avait - en boitant toujours, retrouvé Canaille et Laïra aux prises avec un menu fretin dont les cadavres s'étaient empilés le temps de son absence.

        - Besoin d'aide ?

        Canaille fracassa un énième crâne de son poing endolori. Le dernier d'une longue série qui venait de s'achever.

        - Penses-tu Longdrop ! Moi, faire du baby-sitting en alternance avec du concassage de gueule, j'adore faire ça toute seule.

        - Je t'ai pas demandé de me raconter ta vie. Oui, ou non ?

        La réponse fut bien évidemment «Merde». Tandis que les deux troglodytes s'écharpaient - l'une gueulant avec autant d'ardeur que son comparse en usait pour l'envoyer chier, ni l'un ni l'autre ne s'était enquit de savoir où s'étaient trouvées les armes. Leurs pistes pissant à présent le sang par tous les orifices, à commencer par ceux qu'ils leurs avaient créer.
        Restait à espérer que quelqu'un avec suffisamment de bon sens ait palié à ces carences rédhibitoires². Il en allait de la réputation de l'armée révolutionnaire après tout. Ce qu'il en restait en tout cas.


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        ¹. #5. Cocon
        Croisant rapidement ses bras devant son abdomen, l'impulsion du mouvement lui permet de s'entourer de ses cordes qui s'enroulent vivement autour de lui pour former un cocon. L'épaisseur des cordes permettent d'amoindrir un coup reçu ou bien d'empêcher les balles de l'atteindre.
        Si le "cocon" se forme très rapidement, il faut environ trois secondes pour que les cordes se délient, laissant Jacob vulnérable durant ce temps.

        ². En espérant que Laïra ait pigé l'évident clin d'œil lui étant adressé avec cette ouverture pour lui donner une piste de scénario du post qui suivra.
          Efficace ce produit, Laïra ne sentait plus grand-chose. Et tant mieux, car Jacob n'avait ménagé personne, avec sa méthode de déplacement peu orthodoxe. Libérée de l'étau de la douleur, et une fois posée sur un toit, la jeune femme s'en donna à cœur joie, bombardant leurs assaillants d'un feu chimique féroce. L'un d'entre eux, qui avait eu la bonne idée d'avoir les cheveux longs, fut touché en pleine gorge par le projectile explosif. La tête flambant d'un coup comme celle d'une allumette, les chairs de sa trachée éclatées et fondues, il n'eut même pas le loisir de crier. Tombé au sol en se convulsant, le mafieux chercha vainement à retrouver son souffle, suffoquant dans l'air brûlant qui arrivait dans ses poumons.

          Au bout de quelques secondes, les trémoussements de poisson échoué de l'homme perdirent en conviction. Sans vergogne, son agresseuse lui lança une nouvelle charge ardente qui finit de mettre le feu à ses vêtements, alors qu'on venait de la sauver d'une mort certaine. Sabre au clair et poing vindicatif, la crasseuse la couvrait. Elle désarma d'un chassé de sa lame le petit futé qui cherchait à descendre la petite cornue de son perchoir d'un plomb bien senti, puis lui déboita la mâchoire d'un coup rageur. Haletant quelque peu de l'effort, Laïra s'attela à lui rendre la pareille, canardant le reste des assaillants de ses petites jongleries chimiques. Bonté de sa part ou non, en tout cas l'autre faisait systématiquement front, attirant la majeure partie de l'attention en venant directement au corps à corps des ennemis. Téméraire mais pas suicidaire, la blonde, elle, restait sur le bord du toit, aplatie sur les tuiles. Tous les pègreleux de la ruelle étaient couchés lorsque Jacob revint.

          - Besoin d'aide ?
          - Penses-tu Longdrop ! Moi, faire du baby-sitting en alternance avec du concassage de gueule, j'adore faire ça toute seule.
          - J't'en foutrais des "toute seule"...
          - Je t'ai pas demandé de me raconter ta vie. Oui, ou non ?
          - Ouais !

          Ce disant elle sauta sur un des cadavres éteints pour descendre, se rata en atterrissant et s'étala à moitié. La jeune femme pesta en se relevant, son flanc cherchant à se rouvrir comme les lèvres d'une bouche outrée par tel traitement. Puis elle s'épousseta nerveusement et avança droit vers son impavide allié.

          - Tu foutais quoi toi ?! Faut qu'on dévisse c'te foutu tireur non ?
          - C'est fait. Reste quatre autres.
          - ... Ah.

          Si sa douleur ne s'était pas éloignée, elle aurait sans doute été bien plus déçue d'apprendre qu'on lui avait sifflé sa petite vengeance. La blonde se reprit très vite, enchaîna sur un ton plus animé.

          - Faut causer là. Vu les grouillards qu'y nous envoient, doit pas rester toute la caval'rie à leur entrepôt. 'Voulez pas savoir où c'est ?

          Un bien aimable rappel à l'ordre, mais y voir de l'aide se serait révélé diablement candide. Surtout en voyant la grimace torve et incongrue qu'affichait Laïra, digne du pire vendeur de tapis prêt à refourguer sa camelote. Il eut été vain d'attendre la moindre once de reconnaissance de la part de la jeune peste. Elle s'était mise toute seule dans le pétrin et ne devait sa survie qu'à deux inconnus embarqués dans une mission aux tenants et aboutissants qui la dépassaient, dans tous les sens du terme. Tout ce que Laïra voyait, c'est qu'elle n'allait pas cracher le morceau gratuitement.

          - Je veux pas la jouer rabat-joie mais c'est pas le moment de tailler le bout de gras.

          Comme pour lui donner raison, un homme de main un peu plus malin et patient, qui s'apprêtait à les aligner du coin de la ruelle, se retrouva dans l'étau implacable d'une des cordes de Jacob. Le temps qu'il lui règle son compte, et les priorités étaient claires, même pour Laïra.  *Vont voir ces saligots...* La jeune femme alla ramasser d'autorité le pistolet de la pauvre victime, vérifia le chargeur. Cinq balles. Elle soupira bruyamment, puis pointa la gouttière au dessus d'eux.

          - Remonte-moi sur les toits l'encordé, faut qu'on les allume et qu'on avance.

          Ledit bougre se contenta de lui jeter un regard vide, comme si ce qu'elle venait de dire n'était que du simple bruit avec la bouche. Le talon de la cornue se mit à frapper le sol, le rythme s'accélérant à mesure que l'impatience montait. On vint désamorcer l'absurde situation rapidement cependant.

          - Bordel, vous croyez qu'on est là pour faire des gamineries ? Tu voudrais faire quoi perchée là-haut hein ? Y sont à trois cent mètres au moins, les autres !
          - ... D'accord la lumière, d'accord. Passe devant alors !

          La tirade, jetée d'un ton vindicatif, s'accompagna d'un geste du bras sans équivoque, l'arme à feu toujours en main qui plus est, bien que ne la pointant pas directement. Elle voulait foncer dans le tas, ils allaient foncer dans le tas, très bien. Jacob remonta clopin-clopant sur les toits, et sa comparse, les armes au clair, sortit de la ruelle au pas de course après un petit temps de pause, Laïra sur les talons. Peut-être avait-elle espéré que si elles étaient attendues, son binôme aérien l'aurait prévenu. Heureusement qu'elle avait de bons réflexes et plongea au sol à temps. Le pistolet passé à sa ceinture, la blonde derrière elle lança immédiatement son projectile explosif, qui passa juste au dessus de la crasseuse pour éclater la mâchoire et la gorge d'un mafieux trop courageux.

          Il ne tomba pas tout de suite, éteignant fébrilement les flammes sur son buste ruiné, et se fit embrocher promptement, devenant de fait un bouclier improvisé aux tirs de ses petits amis. Au milieu du vacarme, la cornue, plaquée contre son alliée, tenta de faire comprendre ce qu'elle comptait faire, d'un pouce agité vers la droite. Puis, une boule chimique flottant sur sa paume, elle sortit brutalement de leur couverture improvisée en poussant un grognement. Son lancé en toucha deux d'un coup, qui prirent feu. De façon très incongrue cela fit réaliser à Laïra que, décidément, il y avait un sacré vacarme dans pareille escarmouche. Surtout lorsque des balles sifflent autour de votre tête.
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          Dès l'instant où cette pouffiasse de gobeuse de couilles avait transpercé la peau d'un tonton flingueur de sa lame, la colère avait commencé à gronder. Comme un léger grognement au fond des tripes, la rage de savoir que ces fils de chiennes étaient encore en vie. La vie du pauvre malheureux mafioso qui venait de s'éteindre, j'en avais rien à foutre. Lui n'était qu'un de ces trous du culs obéissant aveuglément aux ordres du Padre, un vulgaire pion à mes yeux. Jamais amusant de voir des alliés se faire botter le cul, mais ici c'était différent. J'ai depuis longtemps arrêter de me soucier de l'humanité. Je hais l'humain, le déteste, le gerbe. Il ne mérite pas ma compassion, ni même mes pleurs. Jaloux, démesurément ambitieux, destructeur, faible, égocentrique, une âme depuis la naissance vendue au diable.

          En ce sens, eux et moi n'étions pas si différents. Laissé sa vie entre les mains du mal, de l'obscurité, il y a bien longtemps que je m'en suis chargé. Longtemps dans l'hésitation, la résistance, perdant mon temps à croire que chacun pouvait être sauvé et changé si l'on y mettait les moyens nécessaires. A force de prendre des coups, de me faire piétiner, salir, humilier, j'en suis ressorti grandi et plus clairvoyant que jamais. Savoir faire le tri, c'est important pour conserver sa stabilité mentale. Du moins, ce qu'il en reste.

          L'autre mégère aux allures de pouilleuse semblait m'avoir dans le collimateur, et tenta une approche pour venir me découper le lard de son sabre. Azraeli veillant au grain, elle ne fit pas un pas. Et moi de la fixer d'un regard vide d'expression, sans peur, immobile au milieu de tout ce merdier, mains au fond des poches extérieures de mon long manteau. Comme un défi lancé à la crasseuse vaguement féminine, l'invitant à venir tailler dans la chair de ce corps si souvent meurtri. Si elle en avait les moyens, bien évidemment. Et c'est sans surprise qu'elle reporta son attention sur les petites frappes se ruant sur elle. Je sas pas trop ce qui est le plus surprenant dans l'histoire, leur assaut surprise depuis les hauteurs, ou la rapidité de l'aide demandée. D'ordinaire, tu demandes des renforts à quinze heures, ils se pointent à dix-sept.

          Oubliez Azraeli.

          Le ton est froid, sec et ne laisse planer aucun doute, on laisse tomber. De toute façon, il était déjà trop tard. Il n'y avait qu'une seule façon d'arracher son précieux fusil des mains du tireur d'élite, et l'autre salope affectionnant les cordes s'en était chargé. Visage fermé, regard noir, je fis signe à mes hommes de décarrer avant qu'ils subissent le même sort. Une mort sur la conscience serait bien suffisante pour aujourd'hui, il fallait stopper l’hémorragie avant qu'elle ne s'aggrave. Tandis que les petits larbins du Padre s'activent à poursuivre le trio en mouvement, on opère ce qu'ils appelaient dans la Marine, une putain de retraite stratégique. Retour au hangar, et sans décrocher un mot pour ma pomme.

          J'ai tout le corps pris de tremblements, je bouillonne de l'intérieur, je vais exploser. Une seule pensée qui me scie la cervelle.

          Azraeli.

          Azraeli, merde.

          J'ai sa perte sur les bras, rien que moi. Je lui ai demandé de rouler pour moi, pas pour l'autre gros lard. Je suis allé le chercher, je me suis lié d'amitié, lui ai promis des choses. Il a bossé dur, m'a rendu service un paquet de fois.

          Patron...

          Moi, tout ce que je lui ai donné en retour, c'est une fin tragique sur un toit miteux de Manshon. Il n'aimait même pas cette ville, répétait sans cesse vouloir se barrer loin d'ici.

          Patron.

          J'en ai les yeux gorgés de larmes, rougis, prêts à craquer.

          Patron !

          Cette sale sous-race de sac à fientes à oser utiliser son arme après l'avoir abattu, retourner ce qu'il avait de plus précieux contre sa famille.

          Patron !

          C'est Mathias, il est planté devant moi comme s'il attendait que je revienne à moi, ou plutôt comme s'il venait de me forcer à le faire.

          Un silence. Ses yeux dans les miens, on sait tous les deux à quoi on pense.

          Je lui prends l'arrière du crâne de ma main droite, et lui avance la tête jusqu'à frôler nos fronts. Pas un mot, mais un regard qui exprime à quel point je suis désolé. Pour ce merder, pour Azraeli, pour ce qui va suivre. Et une promesse muette, on fera payer chaque mort par le triple. On ira chercher les proches, les connaissances, les familles s'il le faut.

          Je mire autour de moi, ils sont que trois. Manque un. Relâche mon emprise sur Mathias, qui comprend immédiatement.

          Tobias ?
          Parti faire ce qu'il fait de mieux, Boss. Il s'excuse d'avoir agi sans votre accord.

          Tobias, ce qu'il fait de mieux, c'est tendre des embuscades mortelles. Et se venger, comme nous tous de la pègre.

          Passez-moi le den-den.
          Vous voulez joindre Tobias ?
          Anatoli. Tobias saura se débrouiller.

          Je me saisis de l'escargophone que me tend Alonzo, laissant de côté mes pensées parasites et me concentre sur l'appel qui va suivre. Ça sonne à l'autre bout du fil...

          On continue d'avancer, le hangar est tout proche.


          Dernière édition par Peeter G. Dicross le Lun 22 Avr 2019 - 0:42, édité 1 fois
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            On croit souvent la femme plus faible que l'homme fort, le mâle alpha dominant. Mais elle allait prouver le contraire à tout le monde, et pas qu'une fois. Elle ne quitta pas du regard l'autre raclure de fond de bidet qui jouait au chef dans la cour des grands. Elle allait lui faire ravaler sa morgue et ses coups d’œils sentencieux. Pas la peine de jouer au plus fin avec la crasseuse, elle ne gagnera sûrement jamais. Par contre c'était le risque de s'exposer au pire, comme le fond certains cailloux face à la tempête qui gronde. Lentement, peu à peu, la roche fondait et se pliait à la puissance des éléments. Comme l'équipe qu'avait monté le pauvre Peeter. C'était inexorable. Comme la mousson tombe dans les mois de chaleur extrême, et mouille tout sous son passage. Ils allaient boire la tasse, et pas la tasse de thé agréable de leur enfance non, la tasse salée et amère de l'eau de mer qui déshydrate.

            Elle les avait laissée fuir, plus pour savoir où ils se dirigeaient que par bonté d'âme. Apparemment Laïra voulait vendre le renseignement au prix fort, car elle se murait dans un silence de pierre quand on l'avisait sur le sujet. Et puis elle préférait attendre Jacob. Non pas qu'elle en avait besoin, mais elle connaissait le loustique, laissé le quelques instants seuls, et le voilà repartis dans ses vieux démon. Carte à jouer, argent à perdre. Et tout une mission à ruiner par son étrange talent à faire le désordre. Déjà, ils avaient de la chance que personne ne reconnût leur silhouette dans le port de Manshon. Alors autant pas pousser la chance à ses extrémités. Une fois Jacob revenu, ils commencèrent la traque silencieuse, celle qui se passe de mot et que tout le monde connait sur les bouts des doigts.

            Les rues se ressemblaient toutes. Des bâtiments gris, ou bien était-ce le reflet d'un soleil mouillé qui leur donnait cette aspect gris-bleu si typique de la ville, des pavés irréguliers, des trottoirs de travers et pas âmes qui vivent. C'était le genre de quartier où régnait une pratique Omerta, dont tous les habitants prolongeaient le silence en se disant que regarder ailleurs était meilleur pour leur bien. Ils devaient être discrets de toute façon. Et en plus cela permettait de mieux tenir la chasse, les seuls traces de pas ensanglantés qui se profilaient à l'horizon était d'autant plus une indication utile qu'elles étaient solitaire.

            - Attention à l'embuscade.
            Fit Jacob de son ton monocorde habituel. Mais Canaille était trop absorbé par la chasse, et par l'adrénaline du combat pour réagir. Une minute après d'un "Quoi qu'est-ce que t'as dis" en se retournant vers lui, et ne vit pas venir la balle qui transperça son épaule. Putain, qu'elle jura. Encore un enfoiré de plus qui se prenait pour le plus fort. Alors que le plus fort ici, c'était elle.

            Le gars s'enfuit un peu plus loin, les faisant s'enfoncer dans le centre de la ville. Une évidente distraction pour brouiller les pistes, et laisser un peu de chance à ses copains. Il fallait se séparer. C'était d'une évidence même.

            - Vous deux, rattrapez moi ses salopards, je vais traquer celui là pour qu'on ne l'est plus dans les pattes !


            Toi aussi lecteur, tu trouves qu'elle se laissait distraire par un rien ? Et encore, vous ne l'avez pas vu durant son cycle menstruel.

            Elle prit donc la direction du centre en laissant ses deux alliés sur le carreau, et ne prêta pas attention au fil qui barrait la rue. Une grossière erreur qu'elle paya au prix fort, puisqu'une grenade explosa, le souffle la décollant du sol et l'encastrant contre un mur de pierre bien plus solide qu'elle. Elle grogna, se releva péniblement, et fit attention cette fois à ne passer sur aucun piège. Et il y'en avait bien d'autres, qu'elle évitât parfois de justesse, parfois sur des coups d'intuition bien pratique.


            Finalement elle le coinça dans une ruelle vide qui était enfaîte une impasse. Le type tenait sa cartouchière de la main droite, et remplissait fébrilement son arme à feu. Trop tard. Elle prit tout son temps, lui laissant une chance de se défendre. Une chance qu'il prit pour argent comptant, et dont il usa et même abusa. Il tira à une première reprise sur la crasseuse, qui se fendit de sa parade la plus efficace tandis qu'il vidait son chargeur sur elle. Elle tournoyait sur elle même, l'arme bien tenu à la perpendiculaire du sol, dans un mouvement de toupie savamment étudié. Elle para plusieurs coups mortels comme ça, mais reçu quelques vilaines blessures au niveau des jambes.

            - J'ai l'habitude de saigner hein. Et toi ?
            Qu'elle fit en grinçant comme une porte de prison qui se refermait inexorablement sur le prisonnier qui habitait sa cellule.

            Elle rangea son sabre, et se dit qu'il fallait mieux rendre coup pour coup qu'être inventive. Elle attrapa le fusil à double canon scié qui attendait patiemment dans son holster, et le pointa sur Tommy. Il ne lui fit même pas le plaisir de supplier. C'était un dur. Il avait dans le regard cette lueur blasée du mec qui savait comment se terminait ce genre d'histoire. Et ça finissait rarement bien.

            Bang !

            Le coup était presque partis tout seul, a peine avait elle frôlé la détente que le fusil avait dégueulé son plomb sur l'adversaire, qui se retrouva avec une partie du crâne en moins, et un œil qui pendait langoureusement sur le côté au lieu d'être enfoncé dans son orbite. Cruel tableau. Et elle n'avait pas pris son pied à le tuer, elle préférait le faire à l'ancienne, mais n'avait pas le temps d'apprécier un combat contre un tocard lambda qui préférait la mort à la capture. Elle attrapa son den den dans sa boîte métallique, et appela le numéro de Jacob pour savoir où les rejoindre.

            Pululu Pululu Pululu.


          Dernière édition par Canaille Rogers le Lun 15 Avr 2019 - 2:13, édité 1 fois
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          Pululu Pululu Pululu.

          Les égosillements¹ de l'appareil persistaient et résonnaient en pure perte. Paluches fermement engoncées dans ses poches trouées, le Pendu avait mieux à faire que de supporter les jérémiades typiquement hystériques de sa partenaire. Déniant finalement sortir une main de sa poche pour la plaquer contre son cou, il essuya une fois de plus le sang qui coulait profusément, conservant la paume appuyée contre sa nouvelle blessure.

          - Tu réponds pas ?

          Jacob ne répondrait pas. Ni à l'escargophone ni à celui qui en formula la demande. Ses bonnes manières laissaient à désirer. Cette même absence de savoir-vivre se caractérisa par la propension malsaine qu'il avait à dévisager le bougre sans même le gratifier du moindre mot. Peut-être était-il tout simplement mal embouché. Peut-être était-il contrarié par cette balle venue lui entamer une partie de la gorge, toujours est-il qu'il persistait à rester coi.
          Devant lui, Tobias. Jeune premier, gominé, rasé de prêt et traits angéliques, son physique avait la grâce des dieux. Seul obstacle dans une ruelle étroite située entre deux immondices en briques rouges, il se contentait de barrer le passage tandis que ses petits camarades coupaient la retraite à Laïra et la bête humaine dont le bilan santé avait été autrefois plus reluisant.

          - C'est traître les rues à Manshon, hein ? Ces emmerdeurs planqués partout et qui bondissent comme des diables hors de leur boîte pour vous tirer dessus.... un vrai fléau de notre société, moi je vous le dis

          Décontracté et sûr de lui, il marchait convulsivement de droite à gauche, tête baissée et serrant les dents par moments. L'impertinence du triste sire voilait une rancune qui le gangrenait de l'intérieur mais qu'il s'efforçait de garder en dedans. Comme ravalant sa bile qui ne demandait qu'à sortir, Tobias poursuivit, pointant Longdrop du doigt pour mieux relever sa blessure au cou.

          - Quand j'ai vu que tu pissais la sang de par la gorge je me suis dit.... ouuuuh... ça... c'est du David ! Il vise toujours à cet endroit. Ces jeunes je vous jure. Figure-toi qu'il fait ça pour marquer sa... sa signature comme il dit.

          Derrière les proies de l'embuscade, on ricana grassement et bêtement. David était une petite sommité dans le milieu. Un môme de treize ans qu'ils avaient connu tout petit et qui avait toujours voulu en être. Il en était à présent et il avait fait honneur à la profession. Tous ici se sentaient comme une figure paternelle de ce merdeux expansif à qui ils avaient tout appris.

          - C'était du David.

          Insistant éloquemment sur l'emploi de l'imparfait, Jacob gela l'assistance en se contentant simplement de remuer les lèvres. Des rires derrière lui, on passa aux murmures. Les plus nerveux armèrent déjà le silex de leur mousquet. On ne s'expliquait pas comment un spécimen de salopard aussi laconique que le Pendu pouvait en si peu de mots susciter tant de passions.
          Tobias tira lui aussi la grimace, s'en voulant de ne pas y avoir réfléchi plus tôt. Si confrontation il y avait eu entre David et Jacob, le fait que l'un soit encore en vie supposait que l'autre ne l'était plus tellement.

          - Et Azraeli. C'était toi aussi ?

          En guise de réponse, Longdrop haussa les épaules, main droite toujours fermement collée à son cou.

          - J'ai buté un type avec un fusil. Pas demandé ses papiers.

          Chaque phrase de sa part sonnait comme une sentence mortelle, un énoncé de recueil nécrologique. Et comme tout deuil qu'il occasionnait, cela passait d'abord par le déni de ses contemporains.

          - Foutaise.

          Visage déformé par la fureur, Tobias feignit de ne pas croire le Pendu. Pourtant il s'en doutait. Non. Il le savait. Même dos au mur, dans une situation inextricable dont la seule issue était la mort, Jacob gardait son sang-froid. Un animal à sang-froid, voilà ce qu'il évoquait. Paisible, les yeux fixes, pas une ride qui ne puisse trahir une quelconque intention, Longdrop était de la race de ces vieux crocodiles qu'on confondait avait un tronc d'arbre jusqu'à ce qu'il vous maintienne entre ses mâchoires.

          - Tu vas nous suivre. Mon chef a deux mots à te dire.

          Deux mots. Pour Longdrop, il n'en fallait pas plus.
          Fiers de leur prise de guerre, les volailles s'enorgueillissaient de traîner un renard dans leur poulailler. Renard curieusement docile. Même dans le collimateur d'une dizaine de mousquets qui ne manqueraient pas leur cible, Jacob aurait tenté le coup d'éclat. Mais il offrait sa reddition sans condition.
          Malheureusement trop peu coutumiers des frasques de la bête humaine, les mafieux locaux mirent cette résilience suspecte sur le compte de la fatigue. Boitant comme il boitait, livide qu'il était et cette hémorragie au cou qui n'en finissait pas paraissaient être beaucoup pour un seul homme. Mais pas pour un homme mort, pas pour le Pendu.
          Une corde, il en avait une à la gorge et une supplémentaire pour nouer ses poignets, Laïra demeurant impuissante pour s'interposer à l'arrestation. Elle non plus n'était pas à l'épreuve des balles.

          - Et la gamine, on en fait quoi Tobias ?

          Tobias l'avait dans le collimateur, sa gueule des mauvais jours clairement affichée. Mais il fit volte-face, le temps de fixer Longdrop tout en répondant à ses hommes :

          - Laissez-la où elle est. Nous on tue pas les enfants.

          Habituellement placide, le révolutionnaire agrémenta son visage cireux d'un léger sourire entrouvert d'où s'échappa un rictus aigu, moqueur.

          - Ça vous perdra.

          Spoiler:

          -------------------------------------------------

          ¹. Rien à foutre que le verbe "égosiller" n'ait aucune forme adverbiale. J'innove.
            - Laissez-la où elle est. Nous on tue pas les enfants.

            Un pieux mensonge que personne - leur captif mis à part - ne releva. Laïra, dont le sort semblait pourtant scellé, ne se sentit pas particulièrement soulagée à ces mots. Ne serait-ce que les regards brûlants de haine que lui jetaient certains des mafieux lui jetaient de derrière leurs flingues. Presque aussi brûlants que ce que s'étaient pris leurs petits camarades... Fidèle à elle-même, ladite gamine crevait d'envie de répliquer crânement, et se contenir prenait plus ou moins toute son attention. En partant, on eut la gentillesse de lui éviter de se ridiculiser en lui administrant quelques torgnoles bien senties. Autant lui éviter d'avoir à se demander si elle ne devrait pas les suivre, n'est-ce pas ? Un bon coup de pied dans l'abdomen en guise d'adieu, et elle tomba lourdement au sol, sentant très distinctement les gros points de suture à son flanc se presser furieusement contre sa chair, prêts à rompre. La blonde resta quelques instants immobiles, occupée à reprendre contrôle sur ses nerfs un peu trop stimulés.

            Assez rapidement, la nécessité de faire exactement ce qu'on ne voulait pas qu'elle fasse s'imposa, sans surprise. *Z'allez voir bande de bâtards...* Chercher à la dissuader était sans doute le meilleur moyen de motiver Laïra, c'était plus fort qu'elle. Mais même cet élan de contradiction, absolu au point d'en être absurde, n'aurait pu lui faire ignorer qu'elle ne s'en sortirait pas toute seule.

            - C'te foutue crasseuse...

            La bougresse aurait la motivation facile entre l'entrepôt, qui était après tout sa cible initiale, et son cher Jacob qui se retrouverait finalement là-bas sans qu'on n'ai besoin de lui indiquer. Restait encore à se relever, sans parler de la trouver... Après quelques minutes à se demander quoi faire, la cornue eut une idée. Elle se traîna jusqu'au mur le plus proche, se redressa en s'appuyant dessus, pestant entre ses dents, puis leva sa paume, et se concentra. *Allez, allez, j'en ai encore en réserve quand même non ?*

            La jeune femme ne savait pas vraiment comment son corps produisait les gaz explosifs qui lui servaient de projectiles, mais une chose était sûre, son métabolisme le sentait passer. Au delà de l'odeur et du goût étranges qu'avait son sang, de la couleur altérée de sa chair, cette chimie interne consommait façon tout à fait perceptible son énergie. Surtout qu'elle avait enchaîné tir après tir sans trop connaître la limite... Au bout de quelques secondes, des vapeurs violacées surgirent enfin, et s'embrasèrent dans une lueur pâle, glauque. Elle lança la petite boule vers le ciel, qui explosa à une petite quinzaine de mètres en l'air. Un signal plutôt visible et bruyant. Peut-être un peu trop.

            - J'espère qu't'es pas trop conne ma gran... *kof*kof*kof*

            Laïra s'étouffa un peu dans ses derniers mots, finit par cracher un glaviot assombri d'elle ne savait trop quoi, ne préféra pas investiguer la chose et attendit un peu que son souffle revienne. Puis elle se releva, d'abord un peu péniblement, le torse encore crispé de douleur. Ses doigts, agités de petits tremblements, se frottaient les uns aux autres avec nervosité. *Allez pouffiasse, magne-toi...* Une fois debout, rester immobile lui était plus pénible que d'être mouvement, elle se mit donc à déambuler d'une démarche un peu gauche, les yeux volant un peu de tous les cotés, pendant qu'elle essayait de se décider. Son regard s'accrocha à quelque chose au sol.

            C'était une tache. Quoique, une empreinte confuse eut été plus exact. Brunissante, la trace était encore un peu humide, aisément reconnaissable comme du sang. Quelques mètres plus loin, une longue traînée plus ténue partait, entrecoupée de traces de chaussures, avant de se muer en goutte à goutte. Puis ça reprenait un peu plus loin. Un peu trop facile à suivre pour la cornue. L'idée qu'on se passe de son "aide" s'imposa rapidement dans son esprit à cran, et cela suffit à la faire la suivre avec la précaution qui lui restait. Si l'autre grognasse était encore en un seul morceau, elle pourrait aisément la rejoindre avec cette piste. Voire même la rattraper, Laïra n'avançait pas bien vite, claudiquant un peu pour ne pas rouvrir définitivement les sutures grossières qu'elle avait au coté.

            Progression lente, dans un calme presque assourdissant après la fusillade. D'autant que les rues étaient diablement désertes, à croire que tous les badauds s'étaient enfermés à double tour chez eux. Le silence était tel que le bruit de ses propres pas, d'ordinaire si rassurant aux oreilles de la jeune femme, la rendaient mal à l'aise, l'obsédait. Elle se sentait perdue dans un espace beaucoup trop grand, l'esprit affaibli par la perte de sang, les coups, la peur. Sa hargne brûlante semblait se refroidir à chaque enjambée. La cornue soupira, leva les yeux au ciel.

            - Fait chi*BANG*

            Sortant d'une ruelle à sa gauche, quelqu'un au pas de course lui rentra dedans. Cette fois un des fils à son flanc craqua, mais la jeune femme réussit miraculeusement à ne pas tomber. En furie, Laïra se préparait déjà à... Elle ne savait pas trop, et ce n'était pas le sabre qu'on lui fichait sous sa gorge qui la paralysait, plutôt la douleur qui irradiait de sa blesse qui se rouvrait. Voyant qui tenait l'arme, elle repoussa la lame d'une main brusque, alors que, essoufflée et plus sale que jamais, on l'interrogeait d'un ton pressant.

            - Laïra ?! Bordel, il est où est Jacob ?
            - T’arrives un peu tard ma grande, l'encordé s'est fait chopé. Y comptent le cuisiner un peu on dirait.

            La crasseuse ne reçut pas l'information avec le plus grand des calmes, ce qui était compréhensible. De ce qu'en voyait la blonde, son comparse lui en faisait voir de toutes les couleurs. Mais ça n'allait pas motiver la sale gamine pour autant. Elle avait une petite vengeance personnelle à mener, c'était amplement suffisant.

            - On va faire simple. J't'emmène où y faut, et tu m'couvres une fois là-bas.

            Le sang commençait à gouter à nouveau, sensation bien peu agréable. Ce qu'elle comptait faire une fois là-bas, mieux valait le garer pour elle. On aurait pu chercher à la raisonner.
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            Peeter, Tobias est de retour, et il en a attrapé un.

            Je lui réponds pas, assis le cul par terre, le dos appuyé contre le bois du bureau, savourant les derniers instants de ma cigarette remplie d'opium. J'avais besoin de me calmer, de relâcher la pression, avant d'exploser et de faire une connerie. L'appel pour l'autre sac de merde qu'est Anatoly s'est pas aussi bien déroulé que je l'aurais cru. Ce connard m'a clairement fait comprendre que la situation devenait hors de mon contrôle et que si ça tournait mal, j'allais devoir rendre des comptes. Il commence à me les briser sévère celui-là, avec sa trogne de brûlé que j'irais bien balancer au feu histoire de finir le travail. Ce type me sort par les yeux, plus encore que ce taff à la con. M'en suis grillé une avant de descendre dans la rue ouvrir le feu sur un pauvre type qui avait rien demandé. Quand la rage m'aveugle, ça donne jamais rien de bon. Je préfère encore m'anesthésier à la drogue et l'alcool, ça me garde étonnamment plus calme et clair que quand je suis sobre.

            Ma clope entièrement consumée, je termine mon verre et sors. Depuis l'étage supérieur, je peux voir l'autre pourriture en contrebas, pissant le sang, a genoux au beau milieu du hangar, mes hommes le tenant en joue. Il a sale mine, l'enculé. Je descends tranquillement, et sors mon balluche de la poche de mon pantalon pour le dépouiller d'une autre munition. J'ai les nerfs qui me picotent la cervelle, besoin d'en fumer une autre. Mon doigt actionne la roulette et enflamme mon calmant que je porte immédiatement aux lèvres. C'est une longue latte que je tire. Pas un regard adressé à l'individu, ça me foutrait la gerbe, me ferait péter un plomb. Passe à côté de Mathias, qui me lance un regard inquiet, il sait bien ce que je traverse, que je suis sur le bord encore une fois. Rejoins Tobias, qui affiche pas meilleure face que moi, et lui montre d'un regard appuyé que je suis satisfait de son travail, qu'il a bien agi. Continue de faire le tour de mon effectif, ignorant royalement l'enfoiré de fils de chienne à quelques mètres.

            Vous l'avez ?

            Inutile d'être plus précis, mes hommes savent de quoi je parle. Je me retrouve dans le dos du prisonnier, un temps tenté de lui coller une bastos dans le crâne et terminé. Ce serait trop simple, alors je lui écrase seulement le cuir chevelu de ma semelle, lui claquant avec virulence la fiole sur le bitume gelée. Mange-moi un peu ça petite fiotte. Action suspendue quelques dizaines de secondes, le temps de tirer une bouffée de ma bige et de réceptionner le petit colis apporté par Alonzo. Le prends à deux mains, tire sur la culasse pour la plaquer en arrière, y introduire une munition et refermer le tout. J'ai bien pris soin de manipuler le fusil à quelques centimètres des oreilles de l'autre raclure, que le son ravive quelques souvenirs en lui. Aucun doute qu'il comprendra de quel genre d'arme il s'agit avant même de la voir. Alonzo l'a ramassé pendant l'échange de coups avec le trio de fumiers, après que cette merde d'encordé l'ai utilisé comme arme de jet. Inutile de lui faire un dessin, dès lors.

            Tu sais ce qu'on dit. Œil pour Œil.

            Je relève ma godasse, va me placer face à lui, m'agenouillant pour me mettre à sa hauteur tandis que Tobias le redresse, lui tirant les cheveux en arrière d'une main.

            C'est la première fois que je l'étudie de près, l'animal. Il a une sacrée tête de gland, le genre à souvent prendre des baffes.

            Je lui en colle une pour la route, histoire d'avoir toute son attention. La fumée qui s'échappe de ma clope vient lui chatouiller les narines. Il tuerait pour s'en griller une, j'imagine.

            Tiens.

            Je suis pas crevard, je lui lâche la fin. Bien soigneusement écrasée sur l'omoplate, à même la chair. Ça me fait pas rire, sourire, ça me soulage pas, j'en avais juste envie. Je me redresse, fusil d'Azraeli, paix à son âme, sur l'épaule. Je veux pas savoir son nom, ni connaître ses motivations à la con, ni même chercher à comprendre s'il regrette d'avoir tué mon ami, je vais juste faire les choses bien et obtenir vengeance. Pour moi, pour Azraeli, pour sa famille, pour ses amis, pour les autres.

            Et parce que merde, il m'a bien cassé les couilles jusqu'ici, l'enculé.

            Va chier.

            Pas de visée, un tir au jugé, suffisant à cette distance pour ne pas rater ma cible. Une balle dans l'estomac pour l'expédier en enfers. Sa dépouille qui tombe et avec elle, un poids qui se retire à l'intérieur de moi, un énorme soulagement. Je ne me le serai jamais pardonné si je n'étais pas parvenu à le venger, maintenant que c'est chose faite, je me sens plus tranquille. Presque apaisé. Le travail est pourtant pas terminé, le navire chargé d'amener les caisses d'armes ne devrait plus traîner maintenant, l'équipage à intérêt d'être à l'heure, surtout avec le foutoir que j'ai à gérer.

            Balancez-moi ça à la flotte, et ouvrez l’œil. Il reste l'autre pouilleuse.
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