Tiens bon la barre et tiens bon le vent, hisse et ho ! Sifflota-t-elle durant tout le trajet jusqu'à Luvneel, un son horrible à vous péter les tympans et le crâne, que devait subir son hôte du jour, qui passait le plus clair de son temps à l'autre bout du navire : J'ai dénommé monsieur Jacob Longdrop. Pas très causant le bonhomme passait le plus clair de son temps dans ses pensées, sans en avoir grand chose à foutre du reste. Et le reste commençait à être sérieusement vexée par l'indifférence totale du Pendu. Elle se fit néanmoins une raison, les gens étaient comme ils étaient, pas la peine de creuser trop profond et de tomber sur une crevasse dont elle ne voulait tester la profondeur.
Il avait l'air d'avoir souffert, beaucoup, et cela se ressentait encore plus pour quelqu'un comme Canaille, qui avait vécu des drames affreux elle aussi. Ça rapprochait, mine de rien. Et depuis qu'elle avait vu le trésor enfouis de son camarade, elle n'avait plus autant plaisir à taquiner la bête qu'il était. C'est toujours quand elle est la plus blessée qu'elle est la plus dangereuse, la bête. Et il en existait une en chacun de nous, de bête. A force de traîner dans les bas fonds et de se cacher dans la fange pour paraître moins dangereux que l'on a l'air, on finit forcément par se traîner un boulet au pied. Chacun son fardeau, après tout.
Quelques jours de navigation suffirent à les mener à bon port : Luvneelgraad se dessinait dans l'horizon passé midi à peine. On voyait encore les ruines des combats menés par de vaillant révolutionnaires contre l'horrible machine qu'était le GM. On voyait encore les stigmates que le combat de ses frères avaient mené quelques années plus tôt. Personne n'avait encore pensé à reconstruire, peut être par esprit de contradiction, ou bien parce que les cicatrices étaient encore ouvertes et à vif. Toujours en était-il que la ville avait sacrément morflé et que cela se voyait depuis la rivière. Un simple constat que faisait Canaille, tenant la barre du mieux qu'elle le pouvait. Car le mieux, son camarade le méritait, tout simplement ; Elle s'était attaché à cette tête de mule placide qu'était le Pendu. Et une fois son emprise sur les choses entre ses crocs, plus rien ne pouvait lui faire desserrer la mâchoire.
- On est bientôt arrivé à destination l'ami. J'espère que tu stress pas trop de revoir certaines têtes de chez nous au moins ?C'est qu'un putain d'entretiens au fond ... Fit-elle, se moquant qu'à moitié de son comparse. Il allait être mis à nue par les instances des blues, ça pouvait vous foutre le trac, il y'en aurait qui aurait déjà dégobillé pour moins que ça. La faiblesse ne semblait cependant ne pas faire vocabulaire chez Longdrop, qui avait déjà montré qu'il en avait une paire. Et une grosse. Défier la mafia sur son propre terrain, tout ça pour une simple photographie, c'était ce que l'on pouvait appelé être couillu.
Elle accosta du mieux qu'elle pût avec leur coque de noix, qui ne payait pas de mine face aux monstres de puissance que le port comptait en son sein. Tant pis pour l’esbroufe, cette embarcation tenait bien le coup dans les courant marin, et son fond était assez haut pour supporter tout les terrains. Ça ne payait pas de mine, mais ça marchait correctement, un peu comme le duo de fortune qu'ils formaient. Elle laissa le soin à Longdrop de faire le nœud coulant qui retiendrait leur bâtiment solidement ancré au port, lui qui était un expert dans tout type de chose et d'autres, dès que l'on parlait d'une corde. Une gentille attention de sa part n'était-il pas ? Cela était forcément louche non ? A moins que la placidité de son compère ne fasse ressortir le côté le plus attachant de sa personnalité, voilà tout.
- C'est partis alors ! Direction le comité... Elle se souvenait encore du chemin pour accéder à l'une des plus grosses infrastructures révolutionnaire du coin : La comité de Luvneel. Elle prêta quand même attention aux signes qui marquaient la ville jusque dans son sein, plus par soucis de perfectionnisme que par réel besoin. Cela les menèrent dans des ruelles aveugles et un dédale des plus complexes, tout ça dans le seul but de perdre d’éventuels poursuivants ou bien des curieux qui les prendraient pour un couple en ballade.
Faut dire qu'il avait été à deux doigts de lui mettre la corde au cou, à défaut de le faire sur ses chevilles de temps en temps. Juste pour lui rappeler lequel des deux tenait le culotte peut être ? Rien n'était sûr avec un individu de cette trempe.
Rapidement, ils arrivèrent à bon port ; Une porte cochère dans une ruelle perdue au fin fond des Luvneelgraad, auquel elle frappa trois coup, puis deux, puis de nouveau trois. Un judas fut tiré, et on demanda farouchement le "mot de passe" : L'écume des jours se perds dans le renouveau du printemps dit elle sur le même ton secret que son interlocuteur. Les complotistes étaient de sortis.
- Alors, quoi de neuf camarade ? dit elle en lui enserrant le poignet d'une étreinte fraternel.
- Oh vous savez la routine, depuis l'opération Théolinus on manque un peu de personnel, mais rien d'insurmontable pour la révolution. fit-il sur un ton badin, les mains dans les poches et le regard vissé dans le sien. On ne se mentait plus entre camarade, même si la compartimentation des informations étaient toujours de mise, le climat était beaucoup plus sain qu'à ses débuts, peut être était-ce l'effet de l’Ouroboros, qui soignait le mal par le mal, et laissait les honnêtes gens bien s'entendre, sans craindre une fuite ou bien une sanction injuste. C'était tout ce qu'elle espérait et appelait de ses vœux.
- Attendez ici, on va venir vous chercher pour l'entretient de Monsieur Longdrop. Fit-il en désignant un banc usé sur lequel il pouvait prendre place.
Le retour à la réalité après une opération dangereuse et sans concession. C'était reposant après tout, elle savait qu'elle n'aurait qu'à faire son rapport et prendre place au côté du comité pour juger du Pendu et de ce qu'on allait en faire.
Elle avait déjà une petite idée.