Remember me, little girl

Un mec mal habillé entre dans ma chambre en hurlant, alors que je suis encore en sous-vêtements. 

HEY, GAMINE ! T’ES PAS À L’HÔTEL ICI. ON T’ATTEND À L’INFIRMERIE DEPUIS SEPT MINUTES DÉJÀ ! 

J’enfile en deux secondes ma tenue blanche, passant totalement outre le fait que cet homme est en train de me voir pratiquement nue. Ça fait tout juste une semaine que j’ai intégré la base d’Inu Town et je suis déjà dépassé par le rythme effréné qu’on me fait subir. Entre les choses que je dois retenir de ma formation médicale, les dizaines de soldats blessés que je suis chargé d’accueillir et de diriger vers les ailes appropriées et les entraînements physiques de malade qu’on fait subir à tout le personnel des lieux, j’ai plus une minute pour me poser. 
Mais cet homme, c’est le Caporal Montpiété, un homme de haute stature, mais dont le faciès est déformé par les années à hurler sur les jeunes recrues dans mon genre. Caporal, si vous connaissez un peu la hiérarchie de la Marine, vous d’vez savoir que c’est l’un des plus bas des grades qu’on obtient, après celui de matelot. Autant dire qu’à ce niveau-là, l’autorité de l’homme face à moi était tout juste plus importante que celle du technicien de surface du coin. Pourtant, on m’avait assigné à son unité de quinze recrues. Et moi, bien sûr, j’étais la seule qui n’était pas une pure soldat, mais une future médecin, dont n’appartenant pas à la même classification. J’allais faire partie de la Marine Scientifique, mais je devais tout de même faire mes classes avec ceux de la régulière étant donné que je n’avais aucune expérience réelle dans le milieu médical et pas non plus de quelconque talent au combat. Bref, je passais mon temps entre les entraînements et l’apprentissage avec mon tuteur, le docteur Angus.
Je n'allais pas rester longtemps sous les ordres de Montpiété, ça, j’le savais. Lorsque j’aurai fini mes classes, j’allais être affecté à une quelconque unité médicale et j’serai plus forcé de jouer la stagiaire pour les médecins de la base. En attendant, j’devais malgré tout respecté le Caporal si j’voulais pas finir à récurer les chiottes. 


ALLEZ, BOUGE-TOI ! T’IMAGINE MÊME PAS COMMENT S’EST CASSE-BURNES DE DEVOIR T’EXCUSER AUPRES DE CES PECNOS D’MEDECINS. 

Ouaip, la différence entre les soldats et l’arrière-garde s’faisait beaucoup ressentir ici. Enfin, s’était surtout le Caporal qui entretenait cette différence en arguant aux nouvelles recrues que l’unité médicale était plus des boulets tout juste bon à soigner des bobos. Tout bon soldat avec un minimum de cervelle comprenait vite que Montpiété déblatérait des inepties plus grosses que lui. Il avait après tout la réputation d’être aussi bête que ses pieds. Facilement manipulable, tout le monde à la base était conscient qu’il avait pour seule utilité de faire la nounou durant les premières semaines de formation des bleus. 

Oui, mon Caporal. Je pars de suite, Caporal.

Salut militaire, tout ça tout ça. Il suffisait de lui donner du grade pour qu’il oublie temporairement sa colère. À Inu Town, personne dans la Marine ne respecte cet homme. Après tout, Montpiété avait passé trente ans de sa vie à ce même grade, sans jamais prendre du galon. Cela, sûrement dû à son manque d’intelligence. Parfois, je devais avouer qu’il me faisait énormément de peine. Je suis sûre qu’il hurle pour s’exprimer parce qu’il a envie de se faire entendre des autres et qu’on le respecte un peu. 
Bref, j’oublie celui que j’ai du mal à considérer comme mon supérieur et je file à l’infirmerie. Merde, c’est mon deuxième retard en tout juste six jours. J’vais m’excuser comment cette fois ? J’passe la porte battante et j’arrive devant Madame Blandine, l’infirmière d’accueil des lieux. Elle a beau être jeune et super belle, son visage est celui d’une mégère de cinquante qui attends que son mari rentre ivre après une soirée trop arrosée au bar du coin. Et le pire, c’est qu’elle semble m’en vouloir à moi plus qu’aux deux autres recrues de l’unité médicale qui ont intégré les rangs en même temps. Apparemment, on m’dit dans l’oreillette que c’est parce que je suis jolie. C’est vrai, j’le reconnais, j’suis agréable à regarder. Mais elle, elle est carrément canon. Elle m’voit vraiment comme sa rivale ? Bon, d’accord, j’pense que c’est pas le meilleur moment pour se poser la question. Là, j’ai juste envie de me barrer et de retourner à ma petite vie sans histoire sur Zaun. Tentant de me tenir droite face à son regard accusateur, j’lance une excuse que j’essaie de rendre plausible. 


Pardon, Madame Blandine. Je me suis levé à l’heure, comme tous les jours. Sauf qu'y’avait le Caporal Montpiété dans le couloir quand j’ai voulu partir. Et vous savez comment il est non ? Il avait perdu son Escargophone et j’ai passé une heure à le chercher avec lui. Il est… Comment dire ? Tête en l’air ?

La femme en face de moi se détend. Ouf, même si je m’en veux d’avoir menti et d’avoir rendu plus bête qu’il ne l’est ce pauvre Caporal en contribuant aux rumeurs à son sujet, il me semble que j’ai réussi à adoucir un peu les ressentiments de la Blandine à mon égard.

Ouai, idiot même, je dirai. J’te souhaite bon courage pour le temps que tu vas passer dans son unité. Allez va, file rejoindre le docteur Angus, et que je te reprenne pas à arriver à la bourre gamine. 

Toujours la pique pour faire plaisir celle-là. Elle doit avoir quoi ? Quatre ans de plus que moi ? Bon, elle et moi, ça n’passera jamais de toute façon alors autant de ne pas tenter de répliquer tant que je suis pas au même grade qu’elle.
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Ici, à la base, je me suis fait qu’un seul pote. Norbert, le soixantenaire alcoolique du coin, qui fait l’entretient du matériel de la base. Il arpente les couloirs, sa bouteille de rouge à la main, et répare les battants d’une porte cassée ou encore revisse la charnière d’une fenêtre en bois. Bref, l’homme à tout faire sans qui rien ne fonctionne. Mais moi, Norbert, j’l’aimes bien. Quand il a un peu trop picolé, il a ce franc-parlé qui m’plaît. Il a un statut à part puisque ne faisant pas partie de la Marine et ne se gêne pas pour critiquer – pas en leur présence bien sûr – tous les gradés du coin. Il connaît mille rumeurs, que je pense, il doit entendre pendant ses journées d’errance à la recherche d’un truc à réparer. 

T’sais pas c’qu’elle a fait l’autre folle d’Edmundson ? En gros, t’avais un gars qui rentrait tout juste d’une mission en mer. Normalement, ça d’vait être périlleux, donc l’unité médicale avait été prévenue pour le prendre en charge dès son retour. Sauf qu’le gars en question, bah il avait rien. Pas une égratignure. J’sais même pas s’il est vraiment parti en mer au final, ‘fin c’est pas la question. Ben l’autre garce, ça l’a gavé parce qu’elle était préparée à une opération, du coup, on raconte qu’elle a clairement cassé la gueule au type. Résultat, quatre côtes fracturées et il est finalement passé sur sa table d’opération. Une tarée celle-là.

Edmundson Lyn, c’est en quelque sorte ma supérieure au sein de la Marine Scientifique, l’infirmière en chef du coin. Elle est encore assez jeune, mais elle a gravi pas mal d’échelons. On raconte qu’elle est plutôt forte pour une simple infirmière d’ailleurs, même si je vois pas pourquoi elle ne pouvait pas l’être. Quoiqu’il en soit, on lui prêté en effet une réputation pas très glorieuse d’hystérique à ses heures perdues. 


J’en ai entendu parler. Mais, dis-moi Norbert, tu sais quoi sur le Docteur Angus ? C’est en quelque sorte mon maître de stage, et j’aimerais en savoir un peu plus sur lui.

Le vieil homme se réinstalle pour s’asseoir convenablement. Comme depuis maintenant plusieurs soirs, nous nous étions retrouvé sur le toit des dortoirs, un endroit auquel peu de monde avait accès, mais dont l’homme d’entretien faisait parti des rares privilégiés. Y a rien de particulier là, si ce n’est que c’est super calme, en hauteur, que y’a personne pour nous faire chier et qu’on peut admirer les étoiles. Ah, et surtout, c’est la cachette de la réserve à alcool de Norbert, mais ça, personne le sait à part moi.

Angus ? J’connais ouai. Il a servi dans la régulière avant, à c’qu’on dit. Apparemment, sa femme est morte d’une maladie incurable y a une dizaine d’années et ça l’a poussé à vouloir guérir les autres. 

Il marque une pause, que je prends comme une remontée acide de sa part. Il vient après tout de finir sa deuxième bouteille. Il va encore finir à dormir sur le toit comme un clochard. 

Mais tu sais gamine, à ta place, c’est pas à ce supérieur-là que je m’intéresserai. 


Comme il n’en dit pas plus, à moitié ivre-mort, je finis par devoir l’interroger.

Comment ça ? Tu penses à qui ? Montpiété, l’idiot d’service ?

C’est bien plus que ça, Ambre. Cet homme, à ce que je sais, c’est le rejeton d’un membre de l’Amirauté. J’saurai pas te dire le grade en question ni la personne, mais j’sais que c’est pas n’importe qui. Tu t’demandes sûrement pourquoi Montpiété n’a pas évolué et rejoins son père ? Ben en fait, à c’qu’on dit…

Les yeux de l’homme se ferment et moi, j’étais là, comme une débile, suspendue à ses lèvres. Pas que l’histoire en elle-même me passionne, non, j’en suis pas à ce stade de solitude. Juste que j’ai envie d’en connaître la fin quoi. Et cet ivrogne s’est endormi en plein milieu. J’le questionnerai le lendemain, ça s’ra plus simple. Crevée, je rentre me coucher, laissant sur place Norbert qui était déjà loin entre l’inconscience et le royaume de Morphée. 
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Après avoir passé plus d’une semaine sans nouvelle de mon vieux gâteux préféré et commençant à m’inquiéter de son état suite à notre dernière soirée, je m’empresse de me rendre dans les locaux plus administratifs de la base afin de quémander quelques infos. L’endroit est plus luxueux que le reste des quartiers. La moquette y est bordeaux, les murs scintillent sous la dorure finement apposée sur une tapisserie blanche. Chaque meuble est fait d’un bois raffiné et les espaces sont suffisamment aérés pour ne pas donner l’impression d’étouffer à chaque pas. Là, je tombe sur une dame d’un certain âge, lunettes tombantes sur un nez de harpie, qui s’empresse de me cracher son venin. 

Z’avez rien à faire ici madm’zelle. Suis pas là pour répondre au moindre sans-grade qui s’pointe quand même. 


Et elle retourne à ses papiers, continuant à houspiller en ignorant totalement ma présence. Mais elle se prend pour qui, la vieille ? S’il n’en tenait qu’à moi, je lui aurais direct collé mon poing dans la figure. Mais ce n’est sûrement pas la meilleure des postures à adopter si je voulais lui soutirer une quelconque information.


Excusez-moi, madame, je suis bien consciente que je vous prends de votre précieux temps. Mais voyez-vous, Norbert est un ami et je m’inquiète pour lui. 

La femme relève la tête, un air de rapace sur son visage discornu. Elle me fait penser aux sorcières ridées des légendes, avec son nez similaire à un bec-de-corbeau. J’aimerai pas me retrouver en pleine nuit avec elle. 

Ce vieux poivrot, votre ami ? Norbert ne travaille plus ici. On l’a retrouvé en train de vomir sur les chaussures d’un Colonel. Autant vous dire qu’il a pris la porte illico-presto. 

Et d’un geste qui veut tout dire, elle me congédie, m’ordonnant même sèchement de refermer la porte que j’avais ouverte pour la déranger. 
Lasse, je me pose plusieurs minutes. Mon seul ami ici – enfin, si je peux appeler ça un ami – s’est fait virer alors que je commençais tout juste à m’attacher à cette personnalité loufoque. Et tout cela, sans même que j’ai pu lui dire au revoir. Assise dans la cours de la base, sous un soleil de plomb, je mets mes mains en visière pour masquer le soleil quand j’entends une voix bien trop familière et qui m’irrite au plus haut point. 


GAMINE ! TU FOUS QUOI LÀ ? ENCORE EN TRAIN DE FLÂNER À C’QUE J’VOIS ? 

Je lève les yeux, les plissant pour ne pas être aveuglé par les rayons incandescents. L’homme d’un certain âge, les cheveux poivre-sel retombant en fines mèches sur son front, est débraillé comme à son habitude. Sa chemise sort de son uniforme de marin et ses chaussettes sont dépareillées ce qui est d’un ridicule sans nom. Mais, après ce que m’a fait comprendre Norbert la nuit dernière, j’avoue que je commence à avoir de l’empathie pour cet homme. Un père haut-gradé quand lui est resté Caporal toute sa vie, ça doit être un poids énorme sur les épaules. 

Bonjour, Caporal Montpiété. Heu… j’ai fini toutes mes tâches, on n’a plus besoin de moi à l’infirmerie et je me suis entraîné une heure aujourd’hui. Alors, je suis venu prendre des nouvelles d’un ami dans les bureaux, mais on m’en a pas appris beaucoup plus. 

À mon grand étonnement, Montpiété s’assoit à côté de moi, même si dans cette position, il me domine toujours de plusieurs centimètres. Je le sens exténué lui aussi. Cependant, quand il recommence à parler de sa voix forte, en hurlant, je ne peux m’empêcher de sursauter, encore une fois. 


TU PARLES DE NORBERT ? JE T’AI SOUVENT VU TRAÎNER AVEC LUI. UN BON GARS CE NORBERT, IL ME MANQUERA EN TOUT CAS. MAIS FAUT QUE TU L’OUBLIES, GAMINE. IL EST PLUS LA, ET TOI OUI !


Vous parlez de lui comme s’il était mort, Caporal. 

C’EST PRESQUE LE CAS. QUAND ON VOMIT DANS LES CHAUSSURES DU COLONEL YAMA, ON PEUT S’ATTENDRE À AVOIR TOUTE SA TROUPE D’ADMIRATEURS SUR LE DOS. CES FANATIQUES, ILS VONT RETROUVER TON POTE, ET ILS VONT LUI FAIRE PASSER UN SALE QUART D’HEURE, SOIS-EN SÛRE ! 

Le Colonel Yama, pour en connaître la réputation, était disait-on la femme la plus belle de la base. Un corps de rêve et une plastique à faire exploser la tête de Madame Blandine. Depuis son arrivée à Inu Town, une sorte de secte s’était développé autour d’elle, faîte d’une dizaine de nouvelles recrues, qui lui vouait un culte sans nom dans l’espoir d’un jour servir sous ses ordres. Certains les nommaient « Les fous de Yama », d’autres les «Yamaners». Bref, de gros tarés. Et quiconque osé ne serait-ce que regarder de travers le Colonel devait subir leur courroux, à grand coup de battes de base-ball et autres armes létales. Ici, tout le monde ignorait qui faisait partie de ce groupe et ces « vengeurs » masqués étaient craints comme la peste depuis quelques mois. Quoiqu’il en soit, je ne pouvais laisser Norbert se faire passer à tabac par ces types. Bon, ok, j’étais loin de pouvoir le protéger outre mesure, mais je me devais au moins de le prévenir. 

Et dîtes-moi, mon Caporal. Par hasard, vous ne seriez pas où il habite, ce Norbert ?
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Et me voilà, errant dans les rues peu peuplées de la ville de Chom, en contrebas d’où se situe la caserne. Tout juste habitée par une dizaine de milliers d’habitants plutôt conviviaux, là n’était pas l’attrait principal de la ville. Non, tout le monde était au courant de la mine qu’on pouvait trouver dans ses entrailles et que l’on disait renfermer des pierres précieuses avec lesquelles faire fortune était aisée. Mais je suis pas là pour ça. Selon Montpiété, le vieil ivrogne habite une maison délabrée dans le coin ouest de la ville. Ici, sur l’île d’Inu Town, la vie est paisible. On ne s’embête pas de quelconque simagrée et les locaux sont tous accueillant, certains mêmes avec ces raclures de pirates. Oui, on a bien conscience qu’une cellule de l’armée révolutionnaire est active dans le coin, mais personne ne semble pouvoir y faire quelque chose. Alors on continue à vivre, calmement, jusqu’à ce qu’un conflit éclate. Comme le bain de sang qui avait eut lieu il y a quelques années sur l’île de Patland au large d’Inu Town. Ou encore, récemment, lorsque les Bloody Sorrow, des pirates en pleine ascension, avait pris la vie du Colonel Daniel Douglas, un brave homme de la Marine. 
J’arrive devant une maison qui semble correspondre à la description que m’en a fait le Caporal. Un baraquement tout juste plus grand que mon dortoir, aux murs décrépis et à l’aspect miteux. J’ignorais qu’on pouvait vivre dans une telle décadence. Bon, d’accord, être l’homme à tout faire devait pas payer des masses, mais tout de même, je l’imaginais avec une maison un minimum décent. Sûrement avais-je était mal habitué, moi qui avais grandit dans une certaine opulence. 

Un coup sur le vieux battant annonce ma visite. J’entends personne me répondre, mais je perçois des voix étranges, dans ce qui semble être un sous-bassement. Ainsi, cette maison a donc une cave ? 
Le vacarme augmente en intensité. On est en plein jour, mais je décide de faire fit de la discrétion et d’entrer sans plus de simagrées à l’intérieur. Les bruits, plus virulents, viennent de sous mes pieds. Je cherche désespérément une trappe pour me permettre d’accéder au sous-sol. L’intérieur est sale, miteux, et sent le renfermé. Je pense que Norbert n’est pas un fervent habitué du ménage. Une seule pièce, servant à la fois de cuisine, de salon et de chambre. J’ignore où se trouve la salle de bain ou les toilettes étant donné qu’il n’y a qu’une seule porte ici, celle de l’entrée. Les meubles sont vieillots, l’ambiance franchement pas rassurante. J’ai comme la sensation d’entrer dans un cimetière. Étrange hein ?

Pressée par ce qui se transforme désormais en hurlement, j’intensifie ma fouille de la pièce et je tombe enfin sur la fameuse trappe, dissimulée sous un tapis malodorant. 
J’ouvre avec hâte, libérant au passage une volute de poussière qui envahit mes narines et manque de me donner la nausée. Là, les cris sont encore plus perceptibles. J’ignore dans quoi je m’embarque, comme ça, ni armée ni prête à me battre. Mais l’adrénaline prend le dessus et je descends quatre à quatre les marches menant au sous-sol. Dissimulée par la pénombre, je suis encore masquée derrière un mur quand j’aperçois quatre personnes. L’une, assise sur une chaise, était bâillonnée de part en part, sa parole entravée par ce qui semblait être une vieille chaussette. De suite, par la simple silhouette, je reconnus Norbert. Les trois personnes autour de lui, par contre, ne me disait absolument rien. Ils portaient tous des masques à l’effigie d’animaux : l’un à la tête d’ours, l’autre de lion et le troisième d’un cerf. Ils ne semblaient pas plus âgés que moi physiquement, mais étaient pourtant beaucoup plus baraqués. 


Sale crevure. T’as osé t’en prendre à la déesse Yama, dis celui qui se trouvait le plus à droite en assénant un crochet du droit dans la face du vieillard. Cracher ta bile sur les chaussures de Dame Yama ? Une raclure comme toi ne devrait même pas exister !

Je suis folle. À la fois de rage, mais en même temps de voir la scène qui se déroule sous mes yeux. Comment pouvait-on idôlatrer quelqu’un au point d’en arriver à de telles extrémités ? Ok, Norbert avait vomi sur les chaussures du Colonel, ça lui avait valu un renvoie pur et dur, mais je pensais que c’était plus dû au fait qu’il était totalement bourré au travail qu’autre chose. Maintenant, si ces hommes étaient capables de le torturer seulement pour cet acte, j’étais totalement perdue. Dans quoi avais-je encore mis les pieds ? 


Je...Je…

Un coup de genou dans le menton vint fermer la mâchoire de Norbert, lui faisant cracher une gerbe de sang et sûrement une dent ou deux, avant même qu’il ne réussisse à articuler quelque chose. 

Ta gueule, sous-merde. T’as pas le droit de parler ! 

Ne pouvant rester là sans rien faire, je décide d’intervenir. D’accord, sûrement pas la meilleure façon de rester en vie, surtout face à trois lascars comme ceux-là, mais je suis dans l’incapacité de rester planter là sans agir. Je dévoile ma présence, apparaissant dans la lueur de la bougie qui éclaire la pièce. 

Bobby ! Bobby, quelqu’un est là !

Celui à tête de lion se retourne vers moi. Je vois pas son visage, mais je peux sentir en lui un mélange d’incompréhension et une certaine peur. Il se reprend vite et bombe le torse, comme pour prouver sa supériorité et se donner du courage. 


Tiens, mais qui voilà. La jeune bleue de la scientifique, c’est ça ? Tu fous quoi là ? Casse-toi vite sinon tu vas finir comme ce poivrot.

Bien que totalement effrayée et sentant le traquenard à plein nez, je décide de répliquer du tac au tac. 

Pour des gamins, vous êtes bien hargneux. Faut péter un coup, les gars.

La provoc, toujours la provoc. Une façon de faire faire des bêtises aux gens. Surtout à ceux qui y sont sensibles. Mais là, j’hésite à prendre mes jambes à mon cou. Suis-je assez proche de Norbert pour risquer ma vie pour lui ? Après tout, ça fait quoi ? Quinze jours que je le connais. Il est gentil le bougre, ça, c'est certain, mais il a aussi le chic pour se foutre dans le pétrin. Je flippe un peu, d’un coup. Mais les trois en face de moi ne sont pas dupes et comprennent bien mon intention. Ouaip, à la limite, ça aurai pu marcher sur des brigands de bas étages, mais pas contre des marins. On subit une formation pour garder notre calme. Certains y sont plus réceptifs que d’autres. Ça doit être leur cas. 


T’as du culot pour une petite infirmière. Mais si ça t’dis, on peut jouer au docteur tous les deux ?

L’homme à tête de lion s’avance dans ma direction. Il doit bien faire une tête de plus que moi. Je sens mon cœur battre de plus en plus vite. Il semble avoir envie de s’enfuir d’ici, lui aussi. Prise de panique, je ne bouge pas. Mais lorsque l’homme en question sort son sabre et que je vois les deux autres en face de moi armer leur fusil, je succombe. Je ne peux rester là. Je vais mourir, moi aussi. Peut-être est-ce la juste punition pour les crimes de mes parents ? Non, je ne pense pas. Si je meurs là, je serai considéré comme une martyre. Or, il n’est pas question qu’on regrette ma présence ou qu’on me glorifie après mon passage sur cette terre. Je ne peux mourir là, ça serai une insulte à toutes les victimes de mes parents. 
Je sens quelque chose – je ne saurai expliquer exactement cette impression – s’agiter dans mon corps. Comme une énergie qui me semble loin d’être naturelle et qui afflue dans mes cellules. La paume de ma main droite brûle. Oui, je le sens, une sensation de vive chaleur s’empare de mes doigts et paraît déchiqueter ma peau. Et soudain, éclairant la pièce, c’est une orbe lumineuse, ondulant de vert et de bleu, qui se met à flotter au-dessus de ma paume. Une forte odeur de produit chimique s’en dégage tandis qu’elle grossit au fur et à mesure que des particules volatiles provenant de l’intérieur de mon corps semble l’alimenter. L’homme à tête de lion a un mouvement de recul tandis que ses deux comparses me mettent en joue. 


Hey ! T’es quoi toi ? Un genre de sorcière ? Arrête ça de suite !

Les trois se regardent avec incompréhension. Moi, je suis toute aussi perdue qu’eux. C’est la première fois que ça m’arrive. Et c’est pas la réplique d’un vieux sketch sur le dysfonctionnement érectile là. Je suis vraiment affolée. La tension monte encore d’un cran dans ce lieu exiguë. 

J’te jure, si tu fais pas disparaître ça de suite, j’bute le vieux !

Le lion pique l’arme à celui à tête de cerf et pointe le canon sur la tempe de Norbert. Le vieillard gémit et semble pleurer. Je n’en peux plus. Je suis affolée, totalement hors de contrôle. 

Mais j’y peux rien, connard ! J’sais pas c’qui s’passe putain !

Dépêche toi, j’te jure j’le bute !

Non, attends, on va… !

Je vois le doigt se refermer lentement sur la gâchette. Dans un mouvement de panique, je tends la main pour stopper le geste de l’agresseur. La boule lumineuse file en ligne droite. Et tout explose autour de nous.
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J’émerge sur un lit d’hôpital. Pour les avoir côtoyer depuis quelque temps, je suis certaine d’être dans les locaux de l’infirmerie de la base d’Inu Town. Mon corps est tout endoloris et je sens à peine ma jambe gauche. Je ne me souviens pas immédiatement de ce qu’il s’est passé. Perdue, je tourne la tête dans tous les sens quand je tombe sur la silhouette familière du Caporal Montpiété, endormi sur une chaise à mon chevet. J’essaie de parler, mais comme si j’avais oublié un moment comment faire, c’est juste un bruit sourd qui sort de ma bouche. L’homme se réveille en sursaut et ouvre de grands yeux en me voyant éveillée. 

Et bien, gamine, je pensais que tu reviendrais jamais parmi nous. 

Je me rends compte que c’est la première fois que Montpiété parle et ne crie pas. Mais aussi qu’il est présent à mes côtés, moi qui pensais qu’il s’en fichait totalement des nouvelles recrues, lui qui avait dû en voir passé des centaines sous ses ordres.

Tu dois avoir pleins de questions en tête. Je vais répondre aux plus évidentes. Alors oui, j’crie pas, mais c’est simplement parce que j’ai un minimum de bienséance et que j’vais pas me foutre à hurler en plein milieu de l’infirmerie. T’as pris un sacré choc gamine. T’as les os de la jambe droite en miette, ça va mettre un bon moment avant de te rétablir. 

Les souvenirs me reviennent tandis qu’il me déblatère son discours sur les diverses ré-éducations que j’allais devoir subir. La cave, Norbert, les trois individus masqués adorateurs de Yama, l’orbe qui est sorti de mon corps, l’explosion. C’est l’affolement dans mon regard et Montpiété paraît le remarquer puisque, pour une fois, il se tait et me laisse parler. 

Caporal, comment je suis arrivé là ?

Il marque une pause et me lance ce qui semble être un sourire de compassion. Il ne doit pas avoir l’habitude de se défaire de son air renfrogné puisque ça semble si faux sur son visage. 

Il y a eut une explosion chez Norbert. C’est des voisins qui ont alerté la base. D’après les premiers éléments de l’enquête, c’est une bombe dont on ne connaît pas encore l’origine qui serait en cause. Là-bas, on a retrouvé trois corps. Deux d’entre eux portés un masque sur le thème des animaux. On est encore en train d’identifier les corps, mais il ne fait aucun doute que ce sont ces fameux fanatiques du Colonel Yama. Celle-ci est d’ailleurs très embêtée et te souhaite un prompt rétablissement. Elle condamne par ailleurs les actes qui ont été commis par ces personnes. 

Trois corps, deux masques ? Un horrible pressentiment me vient tandis que j’articule difficilement. 

Et Norbert ?

Je suis désolé, gamine. Le troisième corps, c’est le sien, ça, on en est sûrs. Mais ce qui est certain aussi, c’est qu’il n’est pas mort des conséquences de l’explosion. Apparemment, on lui aurait tiré une balle à bout portant juste avant. Le pauvre. J’aimais bien cet homme. Il ne méritait pas de crever ainsi. 

Je contiens difficilement mes larmes. Je suis à moitié soulagée. Ce n’est donc pas l’explosion que j’ai provoqué qui a tué mon ami. Mais cela veut dire que j’ai fait tout ça pour du vent. J’ai pris des risques inconsidérés, mettant en jeu ma propre vie alors que je suis encore loin d’être à la hauteur. 

Je vais te laisser te reposer gamine, tu en as grand besoin. Sache que…

Une dernière question, si vous me le permettez mon Caporal.

Comme il ne dit mot et se contente de me fixer, je me permets de l’aborder avec lui. 

Norbert m’a raconté une partie de votre histoire. Selon lui, votre père fait partie de l’Amirauté. Mais, toujours selon le vieil homme, vous avez délibérément choisi de ne pas le rejoindre et de rester au grade de Caporal. Je peux savoir pourquoi ?

Si ma question le surprend, il n’en montre cependant rien, continuant de me regarder droit dans les yeux. Il laisse un blanc de quelques secondes, qui me fait me demander si je n’ai pas outrepassé mes droits. 

Mon père est une crevure de la pire espèce. Ma mère venait d’être diagnostiqué d’une lourde maladie lorsqu’il a été promu et chargé de rejoindre Grand Line. Il pouvait refuser et resté près d’elle. Mais il s’en foutait. Il nous a abandonnés et a choisit sa carrière. J’veux pas finir comme lui, a préféré mon grade à mes proches. Y a pas que des anges parmi nos rangs, gamine. 

Et sur ces mots, il me quitte, me laissant seule avec mes pensées. Je pense que je commence à cerner de mieux en mieux cet homme. Il n’est pas de ceux qui ont une ambition démesurée, mais effectuera toujours sa mission avec bravoure. Voilà le type de soldat que je veux devenir.
Mais trop de questions restent en suspends pour que j’arrive à trouver le sommeil. Il me paraît toujours impossible que des personnes vouent une telle admiration à quelqu’un, allant jusqu’au meurtre, pour les simples beaux yeux d’une femme. Il y avait clairement anguille sous roche avec cette Colonel Yama. Lorsque j’irai mieux, il était certain que j’allais mener mon enquête. Et puis si seulement trois corps dont celui de Norbert avait été retrouvés, cela voulait dire qu’un des trois agresseurs étaient toujours dans la nature. Et cette personne était aujourd’hui au courant de cette aptitude que je venais tout juste de découvrir. 

Ma vie commence à être compliqué. 

Et malheureusement, je suis consciente que ce n’était que le début. 

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