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Quinte Flush (PV)


    Le monde est noir, chaud et amer comme le café servie par un barisva fallacieux. Canaille en était persuadé à cette époque, et le serait toujours. Il suffisait de voir son expérience et de la connaître pour en être d'accords. Ballottée de ci et de là, entre des propriétaires et d'autre, sans une once de répits pour souffler et se reposer un peu. Son monde était alors un flux tendu de barbarie et de honte pour et par l'humanité. Depuis qu'elle était entrée dans le monde fumeux de la révolution, les choses avaient un petit peu changer quand même. Soyons honnête. Mais les missions s’enchaînaient depuis un petit moment, lui rappelant une époque ou elle ne s'appartenait pas ; Ce n'était pas tant la difficulté que la fréquence qui lui faisait défaut. Elle avait besoin de vacance, pas d'une nouvelle mission, et pourtant … Elle devait remettre le couvert une nouvelle fois. Espérons qu'elle ne boive pas la tasse durant cette traque qui s'avérait difficile. Retrouver quelqu'un qui avait décidé de rester incognito n'avait rien d'une sinécure. Et ce n'était pas sa spécialité. Mais quand l'Ouroubouros vous contacte pour assurer une mission, généralement, on l'accepte. Alors qu'il soit prêt ou non, ce Jacob Longdrop allait recevoir une visite de Canaille, et elle ne serait peut être pas très amicale. Une simple photo et un nom pour retrouver un homme, c'était assez vague.
    Heureusement qu'elle avait aussi une destination.
    Une robe noire en soie sauvage laissant transparaître des atouts affolants se dirige vers un bar de Manshon. Rien de plus qu'un tripot pour des escarpin a la semelle rougeoyante et des talons qui feraient pâlir un mannequin. Elle poussa la porte timidement et tout les regards convergèrent vers elle en un rien de temps et ce pour quelques secondes. Puis tacitement tout les protagonistes de la salle reprirent leurs petites affaires, laisse la petite dans une ignorance la plus totale. Cette fille n'était pas Canaille. Ne rêvez pas, le jour ou elle mettrait des escarpins la marine serait copine avec la piraterie -remarquez que c'était peut-être déjà vrais, si l'on comptait les corsaires comme des pirates à part entière. Non, Canaille était dans le fond de la pièce, prêt d'une fenêtre, avec le dos bien campé devant un solide mur de pierre. Réflexe de survie. Instinct aiguisé. Pistolet chargé et tutti quanti. Elle allait se lever et partir quand elle vit un mâle qui se croyait meilleur que les autres abordé la jeune fille qui venait d'entrer ; Ni une, ni deux, le gros lourdeau avait une main sur l'épaule de sa « victime », et l'on pouvait sentir à quinze mètre que ce contact n'était consentis que par une peur viscérale de se faire agresser. Ni une, ni deux, Canaille s'approcha de la scène en fermant ses écoutilles, elle ne voulait rien savoir des techniques de drague d'un minable pareil. Elle referma sa main sur celle du gêneur comme un étaux bien serré et avec le pas de vis pété. - Laisse la tranquille sale bâtard, retourne avec ton engeance de salopio avant que je m’énerve.Et bah merde alors, une deuxième dame serait donc de la partie, rigola le vieux salaud qui essayait de tourner les événement à son avantage.Elle lui fit donc un rappel à l'ordre, tordant sa main d'un impitoyable tour d'un quart de cercle, lui se retrouvant au sol, loin de sa bien aimée, et elle le dominant de son mètre soixante quinze. Surpris, il n'eut pas le temps d'ouvrir la bouche qu'un marron dans les dent le fit taire définitivement.
    - Merci … fit la victime ; Et tout le monde était content. Vraiment ? Non ; Dans la salle ça s'agitait, on avait touché à l'un des habitués, et ça, ça plaisait pas tant à la faune locale. Si on pouvait même plus être entreprenant avec les donzelles perdues qui passait la porte, le monde était décidément bien rude.
    - Tu me remercieras quand on sera sortis d'ici, que fit la Canaille, pas aimable pour un sous la gamine. Elle se retourna pour faire face à un premier poivrot, aussi grand que large et avec un nez en choux fleur, qui ne s’embarrassa pas de mot mais d'un geste clair en dégainant une bouteille vide sous le nez de la révolutionnaire.
    Il allait frapper et cela ferait mal. Alors autant esquiver se dit la jeune femme, qui, d'une torsion du buste, vit frôler sa joue par les tessons de bouteille. Une frappe à la pomme d’Adam et une autre au plexus solaire fit taire pour de bon le bon à rien, suivit par quelques comparses alléchés par deux donzelles à faire danser. Elle prit la première invitation à bras le corps, se baissant sous le coup de poing puissant d'un poissard calamiteux qui reçut pour toute récompense un solide coup de poing dans l’œil, un coup de pied dans le genoux, et un coup de genoux dans la pommette.
    Allez, hop, direct au pays des merveilles. Ce n'était pas finit pour autant car un troisième type se sentait dans son bon droit d'intervenir dans cet affaire. Poussant sa nouvelle « amie » vers la sortie, elle contra un coup de pied du coude, fit une rotation sur elle même et envoya valser l’énergumène dans la foule qui lui tendait les bras d'un simple coup de pied bien placé. Et bientôt de quatre allait rejoindre le premier, qui s'avançait lui armé d'un couteau costaud et solide comme on faisait plus ; C'était un vieux de la vieille qui approchait de biais, prudent mais sûr de lui. Canaille ayant prit le goût de la bataille, elle ne tenta même pas de fuir et accepta bien volontiers son invitation à valser. Elle esquiva un premier coup de couteau du haut du corps, frappa le poignet, ne parvint pas à lui faire lâcher prise, mais au moins à ne pas la prendre à la légère. Il frappa d'estoc, la marquant d'une griffe qui ne la lâcherait pas de si tôt. Bordel de merde le con ! Qu'elle s'exclama, et elle se fit plus offensive, usant de son genoux dans des parties à peine plus grosses qu'une noix et sans doute aussi brisées que la coquille par un épicurien douteux. Simple. Efficace. Elle fit chanter l'acier en sortant son sabre de sa main droite, faisant tourbillonner la lame à ses côté. On entendit le bruit du fer contre l'air tellement le geste était maîtrisé, ce qui calma un peu la troupe ; On se disait que c'était peut être un peu bête de perdre en anatomie pour les beaux yeux d'une donzelle. Donzelle qui se planquait dans un recoin du bar, non loin de la porte, mais qui, tétanisée par la violence des échanges, restait à portée de ses tortionnaires. Un simple sabre bloquant la faune locale contre qui elle ne pouvait rien. Canaille était son fil d’Ariane, et pour rien au monde elle ne l'aurait quitté ce soir là.

    Ils changèrent de stratégie, comptant sur le nombre pour défaire la jeune révolutionnaire qui passa un bras sous un nuque, et bloqua un coup de poing d'un pied autoritaire sur la clavicule. Petite torsion de nuque, deuxième coup de pied en plein visage, et deux de moins furent de la partie. Il n'en restait donc que quatre, qui se regardèrent quelques secondes et se mirent silencieusement d'accords sur une attaque groupée. Le problème dans ce genre de cas, c'est toujours la logistique. Qui allait frapper en premier, qui suivrait ? Des petits tracas du quotidien qui gênèrent le groupe qui se décida à encercler la jeune femme. Le sabre chuinta, un premier gars de tombé. Un deuxième coup, et ce fut un nouveau candidat qui tomba. Elle n'allait pas se laisser faire et les deux restant tenait encore à leur abattis, ce qui écourta la séance. Canaille attrapa un verre sur le bar, rangea son sabre dans son fourreaux, et fit cul sec.
    - Allé viens, c'est finis maintenant bordel de merde. Qu'elle annonça à la jeune fille qui se prénommait Maria. On change de crèmerie.
    - Merci … Heu...Comment tu t'appelles ?
    - Canaille, c'est comme ça que tu peux m’appeler.
    - Moi c'est Maria, laisse moi t'offrir un verre chez moi pour te remercier.
    - Je dis jamais non à un p'tit verre en plus, oh oui.

    Le décor était planté, Canaille au rendez vous, ce Jacob Longdrop n'avait qu'à bien se tenir. Elle arrivait.
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- T'es sûr que tu veux pas un cendrier Jacob ? Parce que t'es comme qui dirait en train de me dégueulasser la table avec ta cendre de merde.

Cerné, livide, patibulaire, affichant cette morgue ostentatoire teintée d'une dureté qui indisposait le chaland quand il s'agissait de lui adresser la parole, le révolutionnaire piteux tenait ses cartes des deux mains, sa cigarette pendue au bout de ses lèvres se consumant sans même qu'il ne tire dessus. Attablés avec lui, on retrouvait la mauvaise société de Manshon, à commencer par un caporal à l'allure négligée qu'on appelait «Votre honneur» sans trop que Longdrop ne sache pourquoi. À sa droite, un tenancier de bordel au nœud papillon dénoué mais aux fines moustaches impeccablement taillées qui paraissait plus anémique et malade encore que Jacob ; celui-la avait eu le bon goût de venir avec sa dame, une mère maquerelle aussi vicelarde en affaire qu'au plumard de ce qui se disait. La garce était gironde, maquillée comme ce qu'elle était et affublée d'une robe hors de prix qui ne la mettait pourtant pas en valeur.
Restait Smithy, ce rouquin juvénile à l'œil espiègle et au ricanement facile. Lui avait bourlingué un peu partout sur Manshon. Vols crapuleux ? Il avait donné. Proxénétisme ? Cela allait de soi. Piraterie ? Plutôt deux fois qu'une. On disait même qu'il avait occupé des boulots honnêtes, c'est dire s'il était le plus retors de l'assemblée. Enfin, à la gauche du pendu, Arlan, un vieux briscard à la barbe aussi fournie que son crâne était dégarni ; vieux porte-flingue de la famille Grante, il était au chômage technique aussi longtemps que les affaires se portaient bien, gaspillant sa solde en attendant d'avoir à faire le ménage quand cela était attendu de lui.

- Z'êtes dans l'faux m'sieur Méyo. C'pas un cendrier qu'y faut pour le Jacob, c'est des cartes à peu près potable.

Et le rouquin rempila sur un de ses rires qui ne le quittaient jamais et rythmaient la partie de carte qui s'étendait maintenant depuis quatre heures. Pour sûr, Jacob jouait de malchance à ne jamais avoir de tirage favorable.
Monsieur Méyo persévéra dans sa requête sous le regard de sa dame qui s'inquiétait de son insistance.

- Non mais... regardez-moi ça, y'a des cendres plein la table, c'est juste dégueulasse, je regrette.

Il allait effectivement regretter de l'avoir ouverte puisque Jacob quitta ses cartes - merdiques - de ses yeux mornes et pourtant si intenses tant on ne pouvait percevoir le fond de son regard pour les porter sur le tenancier de bordel. Sans rien dire évidemment, le bougre n'était pas loquace mais parvenait toujours à se faire comprendre.
Une fois de plus l'atmosphère à table s'était tendue par la faute de ce révolutionnaire et demi qui n'aimait décidément pas qu'on lui chie dans les basques. Un seul homme était capable d'assainir cet air lourd qui pesait sur les épaules de tous quand Jacob perdait patience - bien que restant apparemment calme et placide - et cet homme était le caporal Jiggs. Légèrement ventripotent, se grattant la panse car rongé par les puces comme un habitant sur deux sur Manshon, il calma le jeu aussitôt.

- Arf arf ! Méyo, te soucie donc moins du petit tas de cendre sur la table que du gros tas de cendre qu'y risque d'y avoir sur ta chaise si tu la boucles pas un petit peu arf arf !

Pouvant toujours trouver en Smithy un camarade de rigolade, ce dernier l'assista dans l'hilarité avant d'être rejoint par le reste de l'assemblée - Jacob excepté. Le plus vieux et donc le plus sage de la bande compléta la scène par des propos de bon sens :

- Ooh... c'est pas tant le bûcher qu'y risque. Je me suis plutôt laissé dire que notre «bon justicier du peuple» faisait plutôt dans la pendaison.

Longdrop n'était pas plus libérateur de peuples que Jiggs n'était un marine intègre, mais il avait effectivement tendance à faire sécher tout ce qui l'emmerdait de près ou de loin au bout d'une corde. C'était encore pour ce dernier point que l'armée révolutionnaire le tolérait dans ses rangs, car tout mauvais élément qu'il était sur le plan idéologique, le pendu savait faire du bon travail quand on parvenait à lui mettre la main dessus.

- Dites-moi Caporal, pourriez-vous jeter un œil pour savoir d'où vient ce bruit je vous prie ? C'en est insoutenable à la fin.

- Je confirme.

Jacob était un homme de peu de mots mais il ne les prononçait jamais à la légère. Tous à la table avaient entendu le sous-propos de «Je confirme» et présumaient le pire. En conséquence, Jiggs, serviable, répondit favorablement à la requête de cette dinde qui aimait se donner de grands airs pour maquiller son statut peu reluisant. Le petit groupe de reclus se trouvait dans l'arrière-salle d'un bar en amont du Nid de Vaches.
Cartes en mains, le glorieux marine décolla le cul de sa chaise pour jeter un œil dans l'interstice d'une porte entrouverte.

- Y'a du flibustier qui essaie de taquiner de la gueuse.

- D'habitude ça ne fait pas autant de bruit répondit monsieur Méyo qui connaissait bien le sujet.

- C'est que les deux mômes là ont pas l'air franchement d'accord avec le projet qui les concerne arf arf !

Il y avait dans cette arrière-salle un membre de l'armée révolutionnaire et un sous-officier de marine. Ceux-là, eussent-ils été dans leur rôle qu'ils se seraient rués sur les assaillants afin de protéger de faibles femmes d'un tourment qui aurait probablement causé leur perte. Mais à Manshon, on ne retrouvait que les fonds de tiroir de ce que l'humanité avait à offrir.

- Dis-leur d'aller les violer dehors.
1627 - Jacob Longdrop, supposé défenseur des opprimés.

Assez mauvais diplomate, ne croyant surtout pas en la puissance des mots quand des boucaniers revenus d'un long séjour en mer avaient dans l'idée de se trouver un exutoire à leurs instincts les moins avouables, le caporal sortit son mousquet. Apparemment, l'une des donzelles était parvenue à maîtriser les malotrus, ce qui n'empêcha pas Jiggs de survenir dans le bar et de les achever d'une balle dans la nuque chacun, non sans saluer cordialement les deux femmes qui venaient d'assister à ce spectacle surréaliste d'un caporal arrivant de nulle part, assassinant de sang-froid des hommes qui, bien que coupables, étaient alors sans défense avant que leur bourreau ne s'en retourne d'où il était venu.
Si on l'appelait «Votre Honneur», c'était parce qu'il avait une légère tendance à empiéter sur le travail des juges et de délivrer lui même la condamnation ainsi que la sentence au tout-venant. Rangeant son arme encore fumante, il gueula comme un poissonnier en retrouvant son antre :

- Allez Longdrop, abats les cartes que je te plume !

Rires gras, bruit d'une bouteille qu'on débouchonne, les deux femmes qui n'avaient pas encore quitté les lieux pouvaient entendre tout cela, tout comme l'une d'elle avait nettement pu ouïr «Longdrop» crié haut et fort.
      Le monde est impitoyable. Surtout pour la raclure de fond de toilette comme eux. Une balle dans la nuque est impitoyable. Surtout pour des flibustiers déjà sidérés par la maîtrise de combat d'une de leur "conquête"; Il n'y avait rien d’honorable dans leur mort et pourtant, cela soulagea la révolutionnaire d'un poids. Elle n'aurait pas à s'en occuper elle même plus tard, le boulot était déjà fait. Heureusement que sa morale n'avait rien d'exceptionnel, sinon elle aurait gueulé au vol de ses jouets favoris. Repartis comme il était venu, sans qu'elle n'y voit rien du tout sinon que du feu, le marine salvateur ne venait récolter aucune gloire ou aucun service d'aucune sorte. Il lui semblait qu'il avait juste fait amende honorable de ses vœux, basta. 

      - Allez Longdrop, abats les cartes que je te plume !

      Attendez un peu, Longdrop ? Son Longdrop ? C'était impossible que cela fut aussi facile que d'arracher une sucette à un bambin, elle ne pouvait pas déjà l'avoir retrouvé, que dirait l'histoire ? Ou était le panache, mais ou était-il donc ? Méfiante, se demandant si tout cela n'était pas qu'un énième piège d'un destin facétieux, elle décida de faire dans la retenue et ne se rua pas directement dans l'arrière salle du bar miteux qu'elle occupait. Elle raccompagna d'abords sa protégé jusqu'à un chambre de bonne au dernier étage d'un immeuble miteux et bas de plafond. Prit son verre tant mérité par sa bonhomie naturelle que par ses agissements ce soir là. Un whisky sec aussi précoce que les hommes qu'elle venait d'abattre. Une fois ce verre prit, elle retournait dans la rue devant le troquet, guettant la sortie bienvenue du fameux Pendu ; Une fois qu'elle lui aurait suffisamment collé au train pour voir ses agissements et la façon dont il servait la révolution, elle pourrait alors faire un rapport détaillé à son supérieur dans l'organigramme si organisé de l’Ouroboros. Et le tour serait joué. Pas si facile de suivre un homme quand on sent pas la rose à deux mètres, mais elle se débrouillerait comme elle l'avait toujours fait. Et même si elle se retrouvait caduc, elle argumenterait que sa spécialité c'était de botter des culs et non pas de traquer un camarade de la cause. Mais rien ne se passa comme prévu. Au bout de quelques minutes l'appartement commença à tourner, comme prit dans un manège fou qui ne voulait s’arrêter, sa tête se fit légère comme du coton et ses muscles plus souple et moins nerveux.
      - Je t'ai jamais dis comment je gagnais vie non ? Fit une Maria transformé en horrible marâtre attiré par les sous plus qu'une amitié quelconque.
      - Bordel, qu'est-ce que tu m'as fait. Fit Canaille en levant le bras pour attraper la robe de la traîtresse  par le col, ce qu'elle ne réussit pas à faire.
      - Désolé, je sais que tu m'as sauvé, mais il faut bien survivre dans ce monde de brute. Rétorqua la jeune femme tandis qu'un homme cagoulé ne rentre dans l'appartement avec sa propre clef.

      Elle se fit prendre comme une débutante, ou la fraîche fleur découpé d'une main d'expert par le tendre jardinier. Sauf que. Elle n'était ni une débutante, ni une fraîche fleur, et que la captivité la mettait en rogne. Elle se réveilla alors qu'on la transportait encore dans un sac à zip criant de véracité. Elle n'avait plus d'arme et rien pour ouvrir le sac, alors elle se mit à gigoter dans tout les sens sans jamais s'arrêter.
      - On dirait que la dose habituelle n'a pas suffit, prépare moi une seringue. Fit une voix rauque de l'autre coté du tissus.

      Sauf qu'elle était prête à en découdre et que jamais plus un homme ne toucherait sa peau sans qu'elle n'en ait décidé ainsi auparavant ; Alors quand il ouvrit le zip d'un geste nonchalant, il se prit une droite dévastatrice dans le nez. Aïe putain la grognasse ! Qu'il s'exclama, lâchant la seringue salvatrice et qu'une main experte ne sortent une nouvelle fois pour le castrer dans les règles de l'art. Le deuxième homme n'eut pas le temps de réagir qu'elle attrapa le couteau du premier pour lui enfoncer sans sourciller dans l'estomac. Une mort lente et douloureuse l'attendait, et cela n'émouvait pas pour un clou la jeune révolutionnaire. Bien fait pour sa gueule de fiente, qu'elle pensait.
      Bon c'est pas tout ça mais j'ai une mission à accomplir, qu'elle se dit à elle même en sortant du sac.

      Elle n'allait pas laisser quelques malandrins la détourner des choses importantes, pas même la pègre de Manshon et ses pratiques douteuses. Elle retourna donc devant le tripot, attendant la sortie de sa cible en fumant cigarette sur cigarette. Elle rattrapa allègrement son quota de nicotine alors que les premiers protagonistes ne commencèrent à sortir à tour de rôle. Concentration maximum. Il ne fallait pas le rater celui-là, qui savait se planquer comme une anguille sous son rocher. Enfin, apparu une corde autours de son cou. L'air laiteux, le teint blafard et le regard morne de sa cible ne laissait aucun doute sur l'identité de l'inconnu. C'était Jacob Longdrop ; Elle y aurait mit sa main à couper. Ne restait plus que de le suivre jusqu'à sa cache, et commencer la filature en douceur. Tout dans le feutré, my lord.
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    Le pendu ressortait de la casbah endetté de quelques millions de plus. On eut juré qu'il mettait de la bonne volonté à perdre aux cartes. Ainsi rincé une fois de plus, il entamait ce rituel post-défaite en allant pisser sur la devanture de l'établissement une fois s'étant extirpé de ce dernier. Portant une nouvelle cigarette à ses lèvres sans l'allumer pour autant - il avait parié son briquet - le malheureux parieur enfourna les mains dans ses poches et reprit sa route.

    Le Nid de Vaches était un agglomérat de demeures juxtaposées les unes aux autres le long des parois d'une crevasse se faisant face l'une à l'autre. On pouvait accéder d'un versant à l'autre via des ponts-de-singe de mauvaise facture. Cheminer en ces lieux était un parcours du combattant et on dénombrait chaque semaine son lot de maladroits ayant fait une chute mortelle. Il ne faisait pas bon s'y balader bourré - ou même sobre d'ailleurs.
    Aussi, Canaille fut forte étonnée de voir sa cible s'aventurer jusqu'aux bords d'un des récifs rocheux pour s'y laisser choir sans hésitation, comme résigné à mettre fin à ses jours après avoir eu tant de malchance aux cartes. Seulement, au grand dam de ses créanciers, Longdrop n'était pas homme à se soucier de ses dettes. En chute libre quelques mètres durant, il finit par se résoudre à sortir une main de ses poches pour en faire sortir un longue corde s'étirant jusqu'à se nouer autour d'une prise rocheuse , stoppant nette sa descente vertigineuse.

    S'ensuivirent alors quelques contorsions pour se basculer jusqu'à pouvoir retrouver un versant situé près de cinquante mètres en contrebas de là où il avait sauté. C'était sa manière à lui de faciliter ses trajets, lui octroyant alors un gain de temps considérable pour se rendre d'un point A à un point B.
    Voilà qui compliquerait considérablement la traque de la demoiselle mandatée pour le suivre à la trace. À présent, elle savait qu'en cas de heurt avec ce révolutionnaire apathique, le Rope Action serait à inclure dans l'équation. De quoi changer la donne en somme.

    Bien qu'étonnée d'un pareil moyen de locomotion, la révolutionnaire put attester que personne ou presque déambulant dans les alentours n'avait prêté attention à ce saut de l'ange impromptu. Le pendu commençait à faire partie des meubles dans le coin, aussi, cela faisait longtemps qu'on s'était lassé de ses excentricités pour en faire un lot quotidien.
    Le poursuivre - même en dépit de la difficulté que consistait la traque d'un spécimen aussi agile - relevait en réalité du jeu d'enfant. Ses habitudes étaient terriblement prévisibles. Il dormait le jour et misait la nuit. Et bien que sa demeure - une bicoque squattée sans que personne n'ose l'y déloger - était connue de tous, personne, pas même ses créanciers ne se risquaient à venir déranger la bête qui y sommeillait.
    Taiseux, discret, le pendu n'était pas de ces voisins gênants qui nécessitaient de venir frapper à sa porte ; le révolutionnaire tenait davantage du grizzli - dont il avait hérité des manières - qui, paisible lorsqu'il dormait, pouvait s'avérer soupe au lait dès lors où il était question de le réveiller en sursaut. En attestait les traces d'hémoglobine mal lavées sur le pas de sa porte.

    Le soleil se lèverait dans une heure, il était donc temps pour lui de retrouver sa pénates et de s'y cloîtrer jusqu'à ce que l'appel du jeu ne se fasse trop pressant. Jacob était un homme de peu de vice, mais les rares qu'il affectionnait lui menaient la vie dure, allant jusqu'à le soustraire de son devoir révolutionnaire. Sans doute était-ce pour le mieux. Car, un inconscient lui remettrait-il en tête ses idéaux en l'extirpant de cet anesthésiant qu'était le poker, que la ferveur révolutionnaire lui incombant ne tarderait pas à lui revenir brutalement avant de se concrétiser en génocide.
    En venant taquiner le grizzli, l'Ouroboros appelait ce génocide de ses vœux.
        Nager en eaux troubles, friser avec la légalité, s'insinuer dans la moindre porosité de cette société, voilà des actes que les révolutionnaires faisaient tout les jours. Malheureusement on est pas assez reconnu pour ça, alors on trime on trime, et un jour on tombe. C'était ce qui devait être arrivé à ce Longdrop. Il était tombé. Et personne n'avait rien fait pour le rattraper ; Cela se lisait sur son visage qu'elle pouvait voir depuis l'autre côté de la rue, elle écrasa sa cigarette du talon et décida de le suivre à bonne distance, pour ne pas se faire repérer. Ce n'était pas la première traque qu'elle effectuait, mais c'était sa première filature. La différence ? Simplement une divergence d'objectif, quand dans un cas on souhaite en finir avec une personne gênante, et que de l'autre côté on souhaite juste en apprendre plus sur l'autre.
        Elle traversa donc Manshon en faisant bien attention de ne pas recroiser les petits enfoirés qui avaient tenté de la kidnappé. Elle frôlait les murs et faisait peu de bruit avec ses godillots. Une vraie ombre parmi les ténèbres de la nuit bien avancée déjà. Il allait bientôt se pointer, ce petit jour que certains attendaient avec impatience. Quand d'autre vont bosser, certains lambine encore dans les rues à jouer aux justiciers. Mais pas ce Longdrop, non, lui, il allait d'un pas nonchalant comme ceux qui n'avaient plus rien à perdre. Elle avait déjà vu ça pendant sa période d'esclave, des êtres qui, tellement dégoûtés du monde et de sa fange, en perdaient toute émotions, sensations et substance. Nostalgie quand tu nous tiens. Elle ne pouvait pas laisser faire ça sans agir, aussi elle pressa le pas pour se retrouver à quelques mètres à peine de sa cible tandis qu'il pénétrait sur son domaine. Elle décida de s'allumer une cigarette pour faire taire les effluves de l'endroit, qui était noir et glauque au possible. Des à pics et des troués, des maisons de fortune et des marchands de sommeil. Voilà de quoi était composé l'endroit qu'elle visitait à présent.
        Et toujours ce même rythme lancinant du Pendu, schploc, schploc, interminable et si lent qu'on aurait dit une tortue se rendant sur la plage pour se faire bouffer par un quelconque animal sauvage. Alors quand elle le vit se rapprocher du bords, sans jamais infléchir sa course, elle eut un instant de panique. Il n'allait pas lui faire ça quand même ! Claquer quasiment entre ses doigts sans rien dire à personne ! Il fallait qu'elle l'arrête... Trop tard, le gonze avait plongé. Elle courut pour l’entre-apercevoir se balançant au bout d'une corde comme un singe se jouait de sa branche. Oh le petit bâtard à la con ! Qu'elle lança dans son absence de barbe. Il l'avait semé, et il n'avait même pas fait exprès. Quel talent. Elle en applaudirait des deux mains si elle n'en avait pas une prise par une cigarette roulé à la va-vite sur le chemin. Elle tira une bouffée de ce mélange toxique et s'exclama : Bon, retour au bonne vieille méthode.
        La bonne vieille méthode, celle qui ne faisait jamais défaut à un vaillant combattant de la révolution. Elle tira la photo de Jacob de sa poche, et alla frapper à la première porte venu. Mais pas doucement, non, elle faisait ça comme une grosse bourine qu'elle était. A force la porte se serait dégondée, mais le propriétaire des lieux rappliqua fissa, montrant l'efficacité d'une pareille méthode sur le péquin moyen ; Il fallait dire que quand on ne possédait qu'une vieille bicoque de bric et de broc, on y tenait un minimum. C'était du vital, et là dessus le vieux Joey était intraitable.

        - Qu'est ce que c'est encore ?! Qu'il fit de l'autre côté de la planche de bois.
        - Ouvre ta porte, il faut qu'on discute bordel ! Répondit la donzelle echauffée par ses coups de pied sans réserve.
        - Et je peux savoir pourquoi je ferai ça ? Clama l'énergumène toujours planqué derrière un panneau opaque qui semblait le mettre à l'abris de la ferveur révolutionnaire.
        - Sinon je la défonce, ta porte. Fit la révolutionnaire dans un réquisitoire ultime.
        - C'est bon c'est bon, je vais sortir, laisse moi m'habiller.

        Le vieux Joey était tout sauf un canon de beauté, un gros nez disgracieux piquait au milieu de son visage, des yeux globuleux complétait l'ensemble, et ce qui lui manquait en cuisse se retrouvait en estomac, à croire qu'il avait trop taquiné la binouse pour être un honnête homme. Une sale barbe de trois jours complétait l'ensemble, ainsi qu'un total look de bâtard, le genre salopette de compet' et coupé jaunâtre – qui tenait plus du jaune pisse que du jaune lila d'ailleurs. D'un mauvais goût affligeant, mais heureusement ce n'était pas pour un rendez vous galant qu'elle avait tapé à sa porte. Le poison qui parcourait ses veines venait d'arrêter de faire tourner le monde sur lui-même et elle avait du chien, une forme de compétition et une grosse patate sur le cœur.

        - Ce mec, tu l'as déjà vu ? Qu'elle fit en montrant la photo de longdrop qu'on lui avait fournit.
        - Non, ça me dit rien du tout ma petite !
        - Ment pas, ce genre de gars cours pas les rues dans vot' petite communauté... Essaye encore. Qu'elle fit en rapprochant l'image de son gros nez en patate, se faisant plus menaçante.
        - Maintenant que tu me le dis, j'lai déjà vu dans les parages, c'est vrai ! Qu'est-ce que tu lui veux ? Fit-il, comme très concerné par tout ce qui se passait dans le coin.
        - Ca, c'est mes affaires tu vois... L'habite où le gaillard ?
        - Deux ponts en dessous, troisme maison à gauche.
        - Et bah voilà bordel, c'était pas compliqué... Qu'elle fit en lui flattant l'encolure de sa veste marinière d'un index aguicheur.

        Elle suivit les indications à la lettre, et se retrouva devant un bicoque parmis tant d'autres, toujours faites d'un rien sinon de passion pour la construction éphémère. Elle pouvait sentir d'ici les effluves de tabacs, de colle et de pourriture mais cela ne lui suffisait pas. Un révolutionnaire en perdition se trouvait de l'autre côté du pas, elle devait agir et arrêter d'observer tranquillement. Peut-être qu'avec un ou deux coups dans le derrière cela lui ferait comme un électrochoc, et qu'il se remettrait dans le droit chemin. Peut être serait-ce l'inverse, elle ne pouvait pas vraiment le savoir. Elle termina sa cigarette en silence, consciente d'être désarmée en face d'un type qui ne l'était jamais vraiment. C'était dangereux, vu comment les derniers investigateur avait finit, mais elle regrettait depuis le départ de ne pas avoir de contacte avec sa cible. Il était temps de corriger le tir. Elle frappa à la porte d'une mains puissante, aussi subtile qu'à son habitude.

        - Jacob Longdrop, ouvre moi, au nom de la révolution !
        Qu'elle lâcha en même temps que ses mimines ne secouait la bicoque dans un sens puis dans l'autre. C'était vraiment de la camelote cet endroit. En même temps elle n'était pas habituée d'un standing particulier.
        Canaille était là. La redresseuse de tort spécialement détaché pour redresser un homme en chute libre dans un pente glissante. Elle ne pouvait qu'être bien accueillie, non ?
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      Au début, il n'y eut rien. Rien si ce n'est un silence rampant, perdurant et même lancinant. S'obstiner à secouer toute la bâtisse à grand renfort de coups de poings et de proclamations tonitruantes n'y changeait rien. Pas un bruit. Peut-être n'était-il pas rentré chez lui après tout.
      Ou peut-être que si. c'était en tout cas ce que suggérait la balle qui perfora la porte d'entrée, sifflant à quelques centimètres de l'oreille de cette invitée impromptue, indésirable et indésirée. Ainsi le sieur Longdrop avait énoncé une fin de non-recevoir qu'il adressait aussi bien à la crasseuse venue gratter à sa porte qu'à l'organisme qui l'envoyait.

      L'inconvénient chez tout révolutionnaire était sa soif de liberté. Plus inconvenant encore était le fait que chacun définissait ce terme à sa manière. Au nom de la liberté, on finissait par s'émanciper de toute contrainte, y compris hiérarchique. Jacob n'avait pas tenté de refroidir un émissaire de la révolution, il avait exercé sa liberté de ne pas répondre favorablement à la requête qui lui fut soumise.
      En vérité, il n'existait pas créature plus indisciplinée que le révolutionnaire.

      Puisqu'il n'avait qu'une seule balle dans ce mousquet gagné aux cartes - car cela lui arrivait - et que le son d'un corps lourd s'écrasant au sol n'avait pas encore retenti, le pendu dut se résoudre à ouvrir la porte. Gueule placide - on l'aurait cru fiévreux - des billes de verres glaciales dans les orbites, il ouvrit la porte à moitié sortie de ses gonds, une main sur la poignée, l'autre sur l'extrémité de l'entrée qu'il barrait ainsi de son corps.
      Pas de «Quoi ?!» qui tienne. Fidèle à lui-même, plus avare de ses mots que de ses rentes, Jacob se contenta de fixer la demoiselle sans rien lui dire. Le long de son cou, un pendentif - ou plutôt, un semblant de lacet au bout duquel se trouvait une clé - pendouillait ballotté par un vent glacial qui s'était insinué dès lors où le pendu s'était manifesté.

      «Au nom de la révolution» lui avait-on dit. On n'avait pas précisé laquelle. De plein pied dans cet élan révolutionnaire, Jacob ignorait jusqu'aux modalités des actions entreprises par ses supérieurs. On le sonnait lorsqu'un caillou gênait le passage ; car la révolution ne s'embarrassait pas d'obstacles, ce qui justifiait largement pourquoi la gueule de certains de ses affiliés soit placardée sur des avis de recherche.

      Sa gueule à elle, Jacob ne la reconnaissait pas. L'aurait-il rencontrée par le passé qu'il ne se serait de toute manière pas rappelé d'elle. Sauf à l'odeur, éventuellement. Elle lui semblait vérolée jusqu'à la moelle, pas même assez désirable pour être approchée par les puces. La toisant de la tête aux pieds et des pieds à la tête sans même cligner des yeux une seule fois, ce qu'il avait sous les yeux le confortait dans l'idée que la révolution, avant d'être un idéal, était avant tout un repère de marginaux crasseux qui s'investissaient pour la cause faute de mieux.

      - Tu diras à Méyo que j'ai pas commandé de pute pour ce soir. Quand bien même je l'aurais fait, j'en aurais demandé une qui soit à peu près présentable. Ne serait-ce que de dos.

      Aucun gradé de l'armée révolutionnaire sévissant dans les Blues n'ignorait la réputation du pendu. Au-delà même de ses frasques morbides, c'était son caractère cassant et méprisant qui agaçait ses camarades, plus encore que son silence. Feignant ainsi de ne pas comprendre qui était la pesteuse venue à sa rencontre, Jacob ne manqua pas de l'insulter sans vergogne au passage avant de lui refermer la porte au nez.
      Si l'Ouroboros n'avait cherché que mollement à récupérer leur assassin, c'était avant parce que ce dernier - en dehors de son aspect utilitaire - ne leur manquait pas des masses. Ce spécimen là était si révolutionnaire que sa présence parmi ses camarades était en soi une révolution dans la révolution.

      À peine avait-il tourné le dos pour  retrouver son lit plus miteux encore que ne l'était la demoiselle, la porte sortit de ses gonds pour s'écraser lourdement au sol. Canaille avait frappé une fois de plus pour se manifester. Cette fois, elle comptait bien attirer son attention.
      Toujours dos à elle, se doutant pertinemment que se retourner ne servirait à rien, le pendu s'empara lentement d'un Denden, arme redoutable lorsqu'elle était logée entre ses doigts.

      - Caporal Jiggs, je crois bien qu'on cherche à me révolutionner à domicile.

      D'une intonation implacable, aussi froide qu'elle était lourde, le révolutionnaire Longdrop venait de donner un de ses camarades aux autorités simplement pour qu'on lui foute la paix. Reposant le combiné, le pendu tourna légèrement la tête sur ta droite.

      - Si t'avais l'intention de me buter, t'as plus qu'une fenêtre de tir de deux minutes.

      Enfin il se retourna entièrement, lui faisant à nouveau face. Sa gueule n'avait pas changé d'un iota et pourtant, il paraissait plus imposant, plus oppressant dans une posture qui était la même qu'il y a quelques minutes de cela.

      - Demande-toi si ça en vaut le coup.
          Si elle trouvait le trou d'uc qui avait eu l'idée de lui faire effectuer cette mission, elle lui aurait botter tellement fort le cul qu'il aurait traverser red line sans passer par la case départ. Le silence totale et oppressant que faisait peser son vis-à-vis sur les lieux la foutait en rogne. Venez en aide aux gens, et voyez le résultat, la plus part du temps il est désastreux. On garde un peu l'espoir et on recommence, il ne pouvait pas être si méchant que ça le bougre, il était de la révolution. Maigre espoir, mais comme les singes il faut savoir se raccrocher au branches pour réussir dans ce secteur. Sinon autant laisser passer la caravane et ne rien faire, sans une once d'espoir on ne fait plus rien, on devient un genre de meuble que ses propriétaires laissent dans un coin de la maison, en espérant que personne ne le verrait.
          Une balle la frôla, et là elle se dit que ça sentait fortement le bousin. Il avait faillit lui arracher tout ses piercing et elle n'avait que ses petits poing pour répondre à l'offense. Venez en aide aux gens qu'on disait, vous verrez le résultat, il est souvent désastreux. Pour autant elle n'allait pas abandonner à la première difficulté venu. Puiqu'aucune petite sœur de plomb ne venait égayer leur rencontre, c'était que le bougre c'était calmé, alors elle recommença son manège jusqu'à ce qu'il lui ouvre sa porte, le sacré Longdrop ; Canaille était dans la place.

          Il était aussi sympathique qu'un huissier de justice.

          - On a ce qu'on mérite, Jacob. Fusa dans l'air après sa réflexion sur son apparence. C'était vrais quoi, s'il avait été plus sage, peut être que l'on aurait dépêché une jolie donzelle sur place pour le convaincre de revenir dans le giron de la révolution. D'ailleurs ce n'était pas l'objectif, l'objectif était de savoir s'il fallait le garder dans l'arbre révolutionnaire, soit scier la branche sur laquelle il était assit.

          Il laissa ouvert, comme une invitation à la suivre dans son domicile, et elle n'allait pas se priver. Il fallait le récupérer, alors elle faisait ce qui était nécessaire, pas plus ni moins. Ce serait-elle doutée de la suite qu''elle aurait quand même suivit le lascar, parce qu'elle était semblable à ses chiens qui une fois les crocs planté quelque part, ne lâche plus rien à moins de nécessité majeure. Et la nécessité fut. Le placide petit bonhomme en face d'elle venait de prévenir la marine qu'une révolutionnaire traînait dans ses basques. Elle était tellement sidérée qu'elle ne dit rien pendant quelques instants, laissant son vis-à-vis à une sorte de masturbation mentale que l'on appelait monologue. Puis la réaction vint après, tandis que la moue de dégoût sur son visage s'affichait en quatre par quatre, comme un nez au milieu de la figure.

          - Putain Longdrop tu m'as balancé aux autorités !? Tu sais pas qui m’envoie, mais si je survis je vais leur faire un putain de rapport bien salé !
          Qu'elle fit, accrochant au passage le col de son meilleur ennemis du jour. On aurait pût dire qu'elle était sa propre ennemie de toute façon, on ne lui avait jamais demandé d'intervenir, juste de le suivre et de constater les dégâts. Elle avait fait du zèle et la voilà encore une fois dans le rôle de la fuyarde. Dire qu'elle devait le suivre comme une proie et qu'elle se retrouvait dans le rôle de la petite biche effrayée, cela la mettait hors d'elle. Mais elle avait un plan. Elle avait toujours un plan. Ou presque. Bon d'accords, elle n'agissait que sous le coups de l'instinct, mais ça ne voulait pas dire qu'elle était dénuée de ressource. Elle l'ignora purement et simplement, se retournant pour quitter les lieux et le laisser tranquille. Tranquille, vraiment ? Ce n'était pas son style et vous le savez très bien. Dans sa main brillait une clef argentée ou le petit matin se reflétait. Elle lui avait dérobé pendant sa tirade, et maintenant qu'elle fuyait de toutes ses forces cela allait être coton de la rattraper. Elle savait déjà ou se planquer le temps que sa passe. Un vieil homme en jaune devait encore être debout après avoir vu passer une crasseuse dans son genre à son domicile, et elle allait l'utiliser. Tout comme cette clef, qui, si elle avait bien calculé son coup, ferait pencher le Longdrop dans sa balance perso' et non plus celle du gouvernement. Peut être aurait-il a cœur ses intérêts maintenant que les siens étaient dans la balance.

          Elle arriva devant chez Joey en moins de deux minutes, timing parfait. Il n'était toujours pas couché mais moins enclin à ouvrir sa porte, ce fut pour cette raison qu'elle la défonça à coup de pied. Elle n'avait plus le temps d'être magnanime ou bien futée, elle fuyait la marine mondiale quand même. Le vieil homme, bizarrement, accepta assez vite sa compagnie, et lui servit même un verre de whisky bon marché pour la peine. Porte fermée elle se sentait nettement plus en sûreté, mais est-ce que cela allait durer ?

          Toc, Toc, Toc.
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        Tantôt révolutionnaire, tantôt contre-révolutionnaire, la plèbe, très souple quand les circonstances l'exigeaient, savait transiger avec différentes factions antagonistes pour son intérêt lorsqu'il ne s'agissait pas de sa survie. Un jour pair, un tel pouvait se sentir la ferveur révolutionnaire, un jour impair, il pouvait toutefois se ressaisir et réviser son jugement. À en croire le fusil qui fut braqué sur le visage de la gueuse dès lors où Joey laissa entrer les invités qui venaient de frapper à sa porte, aujourd'hui était un jour impair.

        Avant elle, combien de jeunes recrues naïves et stupides avait-il recueilli ? Combien s'étaient confiés à lui sans savoir que leurs confidences étaient rapportées dans la foulée à pléthore d'hommes en uniformes qui n'avaient plus qu'à se baisser pour les appréhender ? La révolution mêlait dans ses rangs les idéalistes et les cyniques. Les seconds vivaient en général plus longtemps que les premiers.
        Avant que Canaille n'ait pu songer à passer par une fenêtre, les marines, embusqués, avaient bloqué toutes les issues. Puisqu'on avait toujours le choix, elle pouvait opter entre du plomb dans la cervelle et des fers aux poignets.

        Deux hommes l'escortèrent après lui avoir enchaîné les poignets. Passant devant le vieil homme venu recueillir son obole pour services rendus, la demoiselle ne put tempérer son impulsivité intempestive pour lui cracher un :

        - Fumier va...

        Et au principal intéressé de lui répondre ce qu'il avait déj) rétorqué à peut-être une trentaine de jeunes couillons avant elle :

        - Ma petite, la révolution te tue assez tôt afin que tu penses expirer pour une cause juste ou bien elle te laisse vivre suffisamment longtemps pour te rendre compte quelle pute vérolée et manipulatrice elle est.

        Joey semblait méconnaissable. Vieillard toujours, il demeurait droit, pétillant, narquois avec un brin de malice et d'espièglerie dans le regard, laissant sa bourse de berries sautiller dans sa main droite. Autrefois, il avait cru comme elle au grand soir, à la nécessité de renverser l'ordre établi. Puis, son rêve s'exauça au-delà de ses espérances. Il avait vu au nom de la liberté et autres facéties mourir des innocents par milliers. Plus tard, la révolution entamée, il avait assisté à la compromission de ses camarades. Eux aussi s'étaient jurés étant jeunes de ne jamais trahir leurs idéaux. Mais ils avaient vieilli. Sous couvert d'impératifs politiques, ils avaient transigé avec le Gouvernement Mondial pour conserver une autonomie relative. Relative seulement. Joey avait vécu assez longtemps pour comprendre que l'armée révolutionnaire n'était que la soupape de sécurité du Gouvernement Mondial. Que ce dernier se jouait d'eux pour canaliser les colères populaires et les mener vers une impasse. Une impasse qui ramenait le peuple à eux d'une manière ou d'une autre.

        - Tu me maudis maintenant gamine, mais dans dix ans, tu me remercieras de t'avoir évité une balle.

        - Dans dix ans, ça fera longtemps que la balle aura perforé ta tête de cul.

        Le caporal entra. Le caporal frappa. À l'abdomen bien évidemment, les suspects appréhendés devaient au moins paraître bien-portants une fois les fers aux poignets. C'est que la hiérarchie avait tendance à plisser du nez face aux méthodes du caporal Jiggs. Celles-ci étaient paraît-il si efficaces que même la mafia hésitait parfois à commettre ses méfaits en le sachant dans les parages. Heureusement qu'il était - comme la plupart de ses collègues - corruptible à merci, leurs affaires en eurent été compromises le cas contraire.

        - T'seras d'jà chanceuse si la tuberculose t'auras pas tuée d'ici dix ans. Faudrait qu'on fasse quek'chose niveau sanitaire dans les geôles n'empêche.

        Il renifla sur ces considérations.

        - Ouaip... faudrait. Bon, foutez-moi ça en cage, j'm'arrange avec le procureur pour qu'elle soit au frais pour une décade.

        Remettant sa chemise débrayée dans son pantalon - d'où elle s'échappa aussitôt - le meneur de la soldatesque sortit de la demeure après que ses hommes aient escorté leur prise et sollicita du feu pour la cigarette qu'il venait de se mettre au bec. L'aimable citoyen lui rendant ce service était un homme au regard terne et au teint livide, une corde autour de son coup en guise d'accessoire.

        - C'que j'en dis Jacob, c'est que t'aurais pu la sécher le lourder le cadavre à la flotte.

        Ainsi avisé des conseils d'un respectable officier de la paix, le pendu rangea son briquet et ses mains dans les poches.

        - Déjà fait. Inefficace.

        Canaille n'avait pas été la première. On lui en avait mis d'autres après les basques. Ceux-là avaient connu une mort peu glorieuse et l'on ne mettrait jamais de nom sur leur sépulture. Las de devoir les tuer à la chaîne, Longdrop s'était imaginé qu'en sachant la marine extrêmement zélée dès lors où il s'agissait de châtier du révolutionnaire, ces derniers finiraient par renoncer à envoyer les leurs dans la fosse aux lions.

        - Au fait, j'ai croisé le père Méyo en venant.

        Jiggs croisait souvent Méyo et sa dame. Mauvais esprit, Jacob en déduisit - peut-être hâtivement - que cela avait un rapport avec le fait que ces deux là étaient tenanciers de bordel. Mais il ne formula pas sa réflexion à voix haute car, après tout, il s'en foutait. De ça, comme du reste.

        - Je vais r'formuler c'qui m'a dit, vu qu'il a employé des mots assez crus et que j'voudrais pas t'choquer...

        Espérant susciter une réaction chez son camarade de poker, ce dernier demeurait irrésistiblement placide et froid, ses pupilles pareilles à celles d'un squale.

        - Disons... qu'il te prie instamment de bien vouloir considérer honorer ta dette envers lui. 'fin.... y souhaiterait de tout son cœur que tu paies un peu c'que tu lui dois. J'fais que transmettre, hein ! Je suis neutre dans c't'histoire moi.

        Usant de précautions pour ne pas s'interposer entre Jacob et des histoires d'argent - des histoires qui finissaient généralement avec des victimes dont on estimait la cause de la mort due à une strangulation opérée par une corde - Jiggs sentit l'air s'alourdir soudainement. C'est que Longdrop était aussi doué aux cartes que pour rendre à ses créanciers ce qu'il leur devait.

        - Pourquoi il me l'a pas dit en face hier soir ?

        - Je sais pas.... il a peut-être oublié.

        Tous deux savaient très bien pourquoi il n'avait pas osé et pourquoi il n'oserait jamais.

        - Qu'il me le demande alors. On verra.

        «On verra». Jacob Longdrop était l'un de ces rares hommes capable de transformer une locution expectative en menace cinglante. Sans trop insister, le caporal lui serra la main, prétexta un rendez-vous pour fausser compagnie à ce sociopathe de pendu qui lui filait la chair de poule lorsqu'ils se fréquentaient trop longtemps, avant de disparaître dans les dédales anarchiques des rues du Nid de Vache.

        Il se faisait tard et Jacob s'en retourna à sa demeure. La porte avait été réinstallée grâce à ses compétences légendaires en bricolage. Autant dire qu'après y avoir cloué plusieurs planches pour la faire tenir, il se résolvait maintenant à entrer chez lui par la fenêtre.
        Sur son matelas miteux, il rattrapa le sommeil qui ne lui avait que trop fait défaut depuis trois jours. Se réveillant par la grâce d'un estomac qui lui reprochait d'avoir été trop longtemps négligé, le pendu porta sa main à sa poitrine comme à chaque lever. Quelque chose ne tournait pas rond cette fois-ci.

        - La clé...

        Ces mots, il les avait prononcé avec tout le calme du monde. Il les avait même à peine susurrés. Pourtant, dans cette modeste exclamation sommeillait toute la fureur du monde car, très vite, il avait compris. Il avait compris que jamais il n'aurait dû laisser cette garce le saisir au col comme elle l'avait fait. Cette clé était à présent entre ses mains et ses mains étaient à présent dans un cachot gardé par plusieurs dizaines d'hommes armés.

        - Dommage.

        Comme y ayant renoncé, ce mot incarna sa résignation soudaine. Seulement, Jacob ne renonçait pas à cette clé mais aux relations de bon voisinage entre lui et la marine. Lorsqu'il aurait récupéré son dû, il lui faudrait quitter Manshon. Ce sanctuaire le mettant à l'abri de ses camarades révolutionnaires lui serait bientôt confisqué par la faute de Canaille Rogers. Voilà ce qu'il trouvait dommage. Cela, et les dizaines de marines qu'il allait devoir tuer.
            Toc, Toc, Toc.

            - Tu vas pas répondre vieux ?

            Ton sur ton, ou trahison sur trahison. Voilà la vie qu'elle avait choisie, voilà le pain quotidien qu'elle devait se tartiner toute la sainte journée. Elle savait pour quoi elle avait signé. Sûrement pas que pour ça d'ailleurs, mais parce qu'ils lui proposaient une opportunité, celle de prendre sa revanche contre un destin bien trop dur, et une vie de labeur imposée. Ce n'était pas pour autant qu'elle n'était pas en rogne contre le vieillard qui l'avait vendu. Alors c'était tout ce qu'elle valait ? Une maigre bourse de berries et une tape sur l'épaule ? Pendant qu'on lui faisait la leçon, elle, montrait les dents et ne cessait de siffler comme une bête sauvage capturée par des contrebandiers. Elle était une espèce en voie d'extinction, une de celle que l'on ne croyait plus croiser que dans les livres et les histoires que l'on contait aux petits enfants. Une idéaliste un poil grossière et un peu chauvine, mais une éprise de liberté avant tout.

            - Je vais photographier vos visages dans ma putain de caboche, et je vous ferai tous la peau plus tard ! Qu'elle ajouta alors qu'on l'embarquait sous les rires et les quolibets. Non mais une révolutionnaire perdue en plein Manshon et qui proférait pareille menace, c'était cocasse pour tout le monde. Il n'y avait que Canaille pour ne pas goûter la plaisanterie, elle qui était le dindon de la farce en fin de compte ; Heureusement, elle avait sa police d'assurance. Enfin. Une maigre police d'assurance car elle ne savait pas à quoi servait cette foutue clef qu'elle avait glissé dans sa culotte avant qu'on ne l'arrête. Assurément qu'elle permettait l'accès à de l'argent, ou bien des informations ? Dans tout les cas elle était précieuse au Longdrop, et malgré sa placidité légendaire, il allait forcément sortir de ses gonds quand il aurait découvert le pot au rose.

            - Lâchez moi bordel, je sais marcher toute seule. Martela-t-elle tout du long du chemin jusqu'aux geôles vétustes de la garnison. Qu'elle n'atteindrait jamais. On se demande pourquoi cher lecteur, et bien je vous laisse remonter dans l'histoire, au moment ou Canaille se fit kidnappée par des mafieux de bas étage. Sur la route qui la menait à sa prison, elle recroisa une nouvelle fois leur route. Qu'elle ne fut pas sa surprise de rencontrer celui qu'elle avait poignardé aussi fringuant qu'un jeune homme. Lui, ne l'avait jamais oublié ; Il faisait même une fixette sur la jeune femme et comptait bien finir le boulot. Alors quand ils virent la tête de Canaille apparaître au coin d'une rue, ils arrêtèrent le convoi et firent un petit arrangement avec le Colonel, qui, toujours bonne patte quand on lui proposait de l'argent, accepta de léguer le paquet aux deux criminels.

            - Bienvenue au bercail, que fit le poignardé avant de lui asséner un coup derrière le crâne, l'envoyant direct au pays de Morphée. Plus question de prendre des risques, retour aux bonnes vieilles méthode pour le mafieux. Elle sombra comme une mouche se prends dans du vinaigre, et le tour était joué. Ainsi, cela allait être plus difficile de la retrouver maintenant pour Jacob. Qui sait ce qu'ils avaient fait d'elle. Ah si, nous, nous le savons.

            Elle avait les sens embrumé par la violence du coup ; Quelque chose de mouillé sur son bras la fit sursauter et se réveiller instantanément. Elle ouvrit les yeux et redressa son corps alors qu'elle attrapait le bras d'une fille entrain de la laver. Elle était presque nue, mais fort heureusement sa culotte n'avait pas bougé d'un iota ; Il lui restait toujours cette assurance là. T'es qui bordel ? La jeune femme eut un petit rire avant de lui dévoiler son identité. Elle était Youcina, et assurément ils étaient dans un bordel. Au sens littéral. Tout propre la crasseuse n'en menait pas large, c'était comme si on lui avait dit d'aller se battre sans son fusil préféré, ou bien de faire un match de foot sans protection. La puanteur était son cran de sûreté, la manière dont elle se défendait des nombreuses épreuves de la vie de tout les jours.
            Une troisième personne arriva sur scène, elle s’appelait Jasmine et lui annonça tout de go que Mr Méyo va vous recevoir très chère, mettez au moins une robe, je reviens vous chercher dans quelques minutes. Elle enfila donc ce qu'on lui avait préparé, ne souhaitant pas rester à moitié nue pour rencontrer du gratin. Si on pouvait parler de quelque chose de gratiné quand on en venait à Mr Méyo, qui avait plus du pudding en lui qu'autre chose.

            - Ah, ma petite, entre entre dans mon office. Qu'il fit avec un sourire guilleret, bougeant les bras dans un apparent besoin d'être accueillant pour sa nouvelle recrue.
            - Je m’appelle Canaille,et pas petite. Répondit froidement notre héroïne, qui portait maintenant une somptueuse robe rouge échancrée juste ce qu'il fallait pour faire pute.
            - Soit pas aussi dur avec moi, tu sais, tu as deux solutions … Soit tu te tiens sage et tout se passera bien, soit on peut aussi passer à la méthode dure et te faire souffrir longuement. Qu'il disait avec un sourire amène et de la bienveillance dans la voix. C'était qu'il était là pour l'aider dans ses choix, assurément.
            - Vous pouvez commencer à frapper, jamais vous n'aurez mon cul avec un badinage de midinette, compris ?
            - Que c'est bien triste, moi qui me faisait une joie d’accueillir une jeune fille aussi sauvage et exotique que toi... André, Marco, entrez je vous prie.

            Deux colosses firent leur apparition d'emblée, et l'atmosphère devint tendue.

            - Et évitez le visage, j'ai pas envie qu'on abîme la marchandise.
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          - Comment ça «perdue»

          Jiggs, le visage boursouflé - plus encore qu'à l'accoutumée - variant même du rouge au bleu, frappait frénétiquement l'avant-bras au bout duquel une poigne de fer s'était saisie de sa gorge. Les forces lui faisaient un peu plus défaut de seconde en seconde. Conscient qu'il ne pourrait pas ramener le pendu à la raison, il cherchait à interpeller ses collègues qui, dans la pièce voisine, s'affairaient aux tâches administratives quotidiennes de la garnison locale.
          Isolés d'eux dans une remise où Jacob avait entraîné le caporal véreux, des questions furent posées. Des questions relatives à une certaine clé volée par une certaine raclure. Souhaitant pouvoir éviter le bain de sang en récupérant son dû qu'il espérait confisqué par la marine lors de la fouille au corps, Longdrop tomba de haut en apprenant l'incident.

          Enfin il se résignait à desserrer l'étreinte de ses doigts pour laisser parler le porcin dont les pupilles révulsées semblaient indiquer que l'air lui manquait plus que de rigueur. S'écroulant lourdement au sol, Jiggs était inerte et raid comme la Justice. Mais c'était sans compter les bons soins du docteur Longdrop qui, d'un coup sec, écrasa son talon sur le poitrail de son camarade de jeu provoquant chez lui une réanimation aussi risible que soudaine.

          Du mieux qu'il put, le caporal chercha à reprendre son souffle entre deux quintes de toux. À quatre pattes au sol, toisé par un pendu impérieux et perdant patience sans pour autant le laisser apparaître sur son visage de cire.

          - *tousse* Le... *tousse* le convoi a été... haaa... attaqué. J'y pouvais rien Jacob, j'te l'jure, j'étais pas d'la haa d'la partie !

          Taquin, peut-être même mesquin, du bout du pied seulement, Jacob poussa le sous-officier en appuyant sur son flanc afin de le faire rouler sur le dos. Trop faible pour résister, le caporal ne chercha même pas à se défendre. Il était à la merci de ce révolutionnaire mal embouché et savait que crier à l'aide ne ferait que précipiter son trépas.

          - Trouve-la.

          Cette fois encore, la directive était claire et sans ambiguïté. Sans aucune peine, Jiggs avait pu entendre le sous-texte contenu dans l'ordre qui lui était donné : il valait mieux obéir. Pour un temps tout du moins. Car, tout misérable qu'il était, lui aussi avait sa fierté et Jacob l'avait méchamment égratignée en cet instant.
          Sur ces entrefaites, le pendu se saisit d'une chemise d'uniforme de marine et d'une des casquettes entreposées dans la remise avant de tourner les talons, passant sous le nez de tous les soldats trop occupés pour faire attention à lui.

          De toute évidence, lui aussi compter enquêter. À sa manière.

          Au Golden Port, dans un de ces tripots tenus par la famille Venici que Jacob ne connaissait que trop bien pour y avoir perdu quelques millions empruntés à la sueur de son front, un marine fit irruption. Curieusement, il était seul. Sa chemise était froissée et mal boutonnée, le foulard qui pendait autour de son cou n'était pas noué et la visière de sa casquette masquait la partie supérieure de son visage.

          - Qu'est-ce que je peux faire pour vous ?

          Envoyée pour accueillir ce curieux émissaire du gouvernement, les potentats de l'établissement avaient choisi une demoiselle à l'air aguicheur afin de mieux accommoder ce serviteur du gouvernement qu'ils devinaient hostile à sa dégaine. Ils comprirent à quel point ils avaient eu raison lorsque ce militaire à l'allure louche écrasa son poing contre la bouche pulpeuse de son hôtesse.


          Très vite, on s'agita. La situation était épineuse. L'agresseur avait une accréditation gouvernementale pour faire chier son monde, se débarrasser de lui sans faire preuve de tact, c'était prendre le risque de débuter une guerre avec la garnison locale. Et cela, la famille Audifreddi ne le souhaitait certainement pas. Cet incident, elle s'en passait bien ; Jacob serait resté paisiblement en retrait à jouer aux cartes jusqu'à ce que mort s'en suive que le monde ne s'en serait porté que mieux. Hélas pour ce monde, on lui avait volé sa clé.

          Une première médiation opérée par deux gorilles sur leur trente-et-un amorça la tentative diplomatique. Les bougres n'en eurent que la mâchoire plus facilement brisée. Des hommes par dizaines dévalèrent les escaliers alors que la clientèle commençait à quitter l'établissement au pas de course, se doutant que quelques balles perdues pourraient se loger dans leur carcasse s'ils faisaient de vieux os en ces lieux.

          Aidé d'un des agents de sécurité du casino qu'il transportait à bout de bras devant lui, Jacob avançait d'un pas assuré malgré les tirs en série qui venaient s'échouer dans la panse du malheureux bouclier humain dont la vie avait été abrégée par des camarades peu soucieux de son bien-être. Dans un élan soudain, à bout de bras toujours, Jacob jeta la carcasse sanguinolente sur la première vague de mafieux qui perdirent l'équilibre sous le poids du cadavre.
          Perdre le pendu de leur ligne de mire ne serait-ce qu'un instant, là avait été leur plus grossière erreur. Fatale même, alors que Longdrop se saisit des mousquets tombés au sol pour achever son monde et se mettre aussitôt à l'abri derrière un pilier en marbre de l'établissement contre lequel les billes de plombs de ses ennemis venaient s'écraser.

          D'un bond - profitant que le plus grand nombre rechargeait, le révolutionnaire en uniforme se jeta sous l'une des tables de jeu à sa disposition, faisant alors feu de tout bois, percutant les tibias de ses tirs et achevant les malheureux qui avaient eu le mauvais sens de s'écrouler au sol. C'était à présent aux survivants de commencer à s'abriter des balles qui leur revenaient en pleine gueule.

          - Mais putain ! C'est qui ce gars ?!

          - T'occupe et tire !

          Obéissant à son camarade, le jeune criminel se leva de derrière la fontaine derrière laquelle il était planqué pour qu'une balle ne lui perfore les dents avant de mieux ressortir derrière son oreille droite. Peut-être n'avait-il pas été très avisé de suivre les conseils de son collègue.

          Ne tenant pas particulièrement à s'éterniser sur les lieux de son forfait maintenant qu'il avait descendu une quinzaine de mafieux de la manière la plus ostentatoire et flamboyante qui soit, Jacob éructa de sorte à être entendu de tous :

          - La pute de révolutionnaire qui était dans le convoi que vous avez attaqué, vous me la ramenez à la garnison et fissa !

          Et, enjambant les débris et les corps échoués sur son passage, le pendu, à court de munitions, courut jusqu'à la sortie en laissant derrière lui ses deux mousquets fumants et chauds, vestiges d'un passage bref mais - il l'espérait - qui aurait au moins eu le mérite de marquer les esprits. Les survivants ne partirent pas à sa poursuite. D'abord, parce qu'ils avaient la trouille, ensuite, parce qu'il leur fallait encore comprendre de quoi ce taré de marine leur avait parlé.

          - Qu'est-ce que c'est que cette histoire de révolutionnaire et de convoi ?!

          Des informations que lui avait fait parvenir Jiggs, une des sept familles mafieuses installées sur Manshon était responsable de l'incident survenu en matinée. C'est pourquoi, affublé d'un déguisement de marine afin que le contre-coup de ses facéties meurtrières soit assumé par le Gouvernement Mondial, Jacob s'en était allé attirer l'attention des Venici.

          - Une famille de prévenue. Plus que six.

          Pour sa défense, Jacob tenait beaucoup à cette clé.
              André et Marco n'était pas les plus intelligents de tout les gros bras que l'on pouvait croiser sur Manshon. Ce n'était pas la crème de la crème ; Pas méfiant pour un clou, il se présentèrent confiant à leur poste de travail ce matin là. Seulement, il n'avait plus à faire avec une petite biche égarée et légèrement téméraire, c'était une véritable machine de guerre qui leur faisait face. Une qui avait survécut au pire sévices, et qui s'en sortait en usant de la violence à outrance. Non, André et Marco ne se méfièrent pas de Canaille, qui, dans sa robe rouge, avait plus l'air d'une petite chose toute mignonne que d'une réelle menace. Si on lui épargnait ses jambes poilues.
              - Encore une qui se croit plus maligne que les autres, fit Marco à son camarade qui acquiesça de la tête. Sa tête, parlons en justement : Un octogone fait de traits tirés par la fatigue et les excès, un nez en patate, des cernes apparaissait sous ses grand yeux globuleux. Marco était grand, mesurant plus de deux mètres il dominait Canaille en poids et en taille. Peut être était-ce l'origine de toute cette autosuffisance et de son assurance affichée.
              Elle se leva d'un coup sec, attrapant sa chaise pour s'en faire une arme, elle cassa l'un des pieds pour récupérer un solide gourdin qui devait coûter une fortune ; Tout dans ce cloaque était capiteux et sentait bon le mauvais goût. Le sol était en marbre, le bureau en acajou dans un style antique et pompeux avec des tonnes de tiroirs et des arabesques folles. De grand rideaux rouges couvraient les fenêtres pour cacher les affaires en cours. Un tapis richement décoré faisait l'article sur le sol, qu'elle aurait bien défoncé à coup de talon si elle avait eu ses bottes en cuir. Pour le moment elle était pied nu. Elle devrait faire avec.
              Ils l'engagèrent l'un par devant et l'autre par derrière, pour ce que l'on appelait une prise en tenaille. Pas décidé à se laisser faire, Canaille esquiva la manœuvre d'un saut de main et d'un coup de pied fouetté dans la même foulée, ce qui lui permit de passer derrière Marco, qui se tenait une joue meurtrie avec la main, ne comprenant pas ce qui lui arrivait. Néanmoins, pour l'instant, il ne se doutait pas de la menace que représentait Canaille. Un avant goût n'est jamais suffisant pour les individus de cet espèce, habitués à récolter des pains quotidiens et autre mets plus raffinés. Elle allait devoir mettre les bouchées double.
              Elle corrigea un mauvais placement d'un coup de gourdin en pleine trogne, esquiva un gros poings d'un bond en arrière, courut jusqu'au mur et prit appuis sur lui pour faire un salto arrière et se retrouver derrière André qui la marquait à la culotte ; Tout alla très vite, elle le fit tomber de son mètre quatre vingt dix en visant les genoux, et fracassa son arme de fortune sur son lobe temporal. Il n'était plus un problème digne d'un grand intérêt. Laissant André à ses babillement d'homme souffrant, Canaille se retourna pour s'occuper du plus grand des deux, qui malheureusement était plus intelligent que ce qu'on ne pouvait croire ; Il avait profité de ce moment d'inattention pour s'approcher, et ceintura la révolutionnaire de ses grand bras noueux. Il commença par serrer fort, espérant faire craquer quelques os au passage.
              - Je te tiens vermine ! Qu'il fit avec son air assuré toujours sur le visage.
              - Je te tiens, tu me tiens, par la barbichetteuh... Que répondit la jeune révolutionnaire, lui mettant un coup de tête dans le nez dans la foulée.

              Il lâcha prise, dans le même temps, elle lui colla quelques droites au visage, un au foie et encore un autre dans les côtes flottantes, lui laissant le temps de respirer quelques instants, et de menacer « Mr Méyo » de tout les maux possibles et inimaginables. Des insultes fusèrent également, beaucoup d'insultes. Elle fit un tour de son répertoire avant que Marco ne revienne à la charge, qu'elle acheva d'un coup de pied à la jugulaire, et d'un deuxième au niveau de la mâchoire.

              - Vite, envoyez moi des hommes, elle est folle cette nana, j'arrive pas à la gérer avec le personnel présent sur place. Qu'elle entendit du côté de Méyo, qui tenait un escargophone dans la main. Ce qu'elle pouvait détester ses petits machins aujourd'hui, elle en aurait fait de la bouillie si elle en avait eu sous la main. Quoi que, remarquez, elle en avait un sous la main. Elle prit le coupe papier du tenancier dans sa main droite, et fit de bouillabaisse du petit animal encore entre les mains du petit homme gras qui se tenait toujours dans son fauteuil. Elle passa le fil encore gluant de l'arme improvisé sous le double menton de Méyo, et le pressa à se lever.
              - On peut s'arranger mademoiselle, soyez pas violente comme ça... J'ai beaucoup d'argent vous savez... Je peux vous payer.
              C'que j'en ai a foutre de ton putain de pognon... T'as voulu m'exploiter, maintenant c'est toi qui va en subir les conséquences bordel.

              Son passé expliquait largement l’énervement dont elle faisait preuve envers ceux qui exploitait les autres. Elle se précipita en dehors du bureau, enserrant le gérant d'une poigne de fer. Elle traversa le labyrinthe de portes d'ou sortent des sons obscènes. Elle se tritura les méninges, combien de temps avant que d'autres hommes ne déboulent et lui barre la route ? Deux, trois minutes peut être, tout dépendait de l'importance de son otage et de la réactivité de la pègre. Car il était de mèche avec l'une de sept familles, elle en était persuadé : On ne devient pas macro sans passer par la case départ et faire palper l'un des sept. Ce n'était que pur logique.

              Parfois être lucide n'est qu'une question de logique. Elle ne s'en sortirait pas indemne de se foutoir, et elle voulait récupérer ses vêtements. Elle passa un nez par la porte de la salle qui l'avait vu pour la première fois. Repéra la petite qui l'avait douché pendant qu'elle piquait du nez, récupéra son futal et son cuir, et s'en alla sans demander son reste. La crédibilité de Méyo envers ses employés venait d'en prendre dans l'aile, mais il rattraperait sûrement le coup plus tard. Pour l'instant il avait un autre problème dans le collimateur, un problème qui tenait une lame de quinze centimètre directement sur sa jugulaire.

              Et de ce qu'il avait vu, elle savait s'en servir.
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            Il traînait la patte et faisait moins le fier. Une main posée au niveau de l'intestin, plus pâle encore que pouvait l'être cet anémique en temps normal, Jacob s'adossa à un mur de briques délavées le temps de reprendre son souffle. Mais ce souffle ne reviendrait pas de si tôt, en tout cas pas aussi longtemps qu'il aurait du plomb dans l'abdomen.

            Tromper la mort était un passe-temps dangereux, car elle était rancunière la mort, elle trouvait en tout cas toujours un moyen pour qu'on lui règle ce qu'on lui devait. Mauvais payeur jusqu'à l'extrême, le pendu lui avait tenu la dragée haute pendant un bon moment. Il en était à sa quatrième famille mafieuse depuis ce matin. Le grand chelem se présentait bien et puis, l'accident bête. De tous les caïds qui avaient cherché à le cribler de balle, il avait fallu que ce soit un vulgaire serveur qui, la trouille au ventre, dégomme le fou-furieux déguisé en marine.
            Mieux valait se méfier d'un chien dos au mur que d'un lion paisible. Et les chiens, ce n'était pas ça qui manquait sur Manshon.

            Sans se faire prier, le pendu avait pris congé de ses dernières victimes - non sans le leur rappeler qu'ils devaient se mettre en branle pour retrouver une révolutionnaire et la livrer à la marine. La nuit était tombée. Sans faire de vague cette fois - plus modeste lorsqu'il se vidait de son sang, Jacob sortit de la remise où il s'était planqué le restant de la journée pour finalement se traîner jusqu'à ce mur en brique rouge. L'obscurité aidant, il avait ainsi pu cheminer jusqu'à ce quartier. Celui-ci était aussi agité que les autres. Sans que la marine ne sache trop pourquoi, diverses mafias avaient commencé à mettre la ville sens dessus dessous. Longdrop avait fait son petit effet et, prudent, s'était débarrassé de son uniforme volé. Quatre mafias sur sept, c'était déjà pas mal.

            Son escargophone ne cessait de l'importuner. Jacob devinait le regard furibard de Jiggs et s'abstenait de répondre. Après tout, il avait une vague idée du contenu du message sans qu'on ne le lui gueule dans les oreilles. Oui, il avait fait un peu de grabuge, oui, la marine allait payer les pots cassés, mais il fallait ce qu'il fallait pour récupérer sa clé.

            Beaucoup moins fier qu'il y a quelques heures, traînant sa carcasse avec peine jusqu'à un certain bordel de sa connaissance, le pendu fut contrarié que personne ne lui ouvre la porte en dépit du fait qu'il tambourinait dessus à s'en briser les phalanges. Ici aussi l'effervescence avait pris ses quartiers. Point de mafia impliquée, juste une pute récalcitrante qui émargeait - paraît-il - parmi les milieu révolutionnaires.

            - Longdrop, c'est toi ? Avait-on asséné au blessé de derrière le judas.

            En l'absence de réponse formulée à voix haute, on put attester qu'effectivement, le pendu se trouvait de l'autre côté de la porte. Cette dernière ne tarda pas à s'ouvrir en grand. Jamais un débiteur de Méyo n'avait été accueilli en si grande pompe.

            - Merde alors ! On peut dire que tu tombes bien ! Y'a le patron qui...

            - Toubib.

            Interrompu dans ce récit qui promettait d'être passionnant l'homme de main remarqua enfin les gouttes de sang qui perlaient sur le parquet comme la mousson sur la terre battue.

            - Ah... oui... en effet...

            Le toubib ? Il était à sa place, dans le plumard d'une donzelle dont il soignait les méandres de sa condition professionnelle avec passion et de manière peu orthodoxe. On vint le tirer de sa consultation, il se rhabilla et grogna comme un beau diable.

            - Qui est encore l'enfant de salaud qui vient me les briser quand.... oh... Jacob.... comment tu vas ?

            S'abstenant de lui répondre pour mieux se retenir de le tuer, Jacob décolla enfin sa main du trou qu'on lui avait laissé dans la panse.
            Le médecin se pressa enfin. On lui apporta du whisky. D'abord une rasade pour se calmer les nerfs et le reste pour stériliser la plaie. Farfouillant dans les entrailles du pendu pendant que celui-ci mordait dans une ceinture en cuir pour mieux encaisser la chirurgie, le docteur sortit une bille de plomb qu'il jeta à même le parquet. Avant de recoudre, le discipline d'Hypocrate eut ces mots malheureux :

            - Pour mes honoraires au fait...

            Et après avoir croisé un instant seulement le regard de son patient, il s'attela à poursuivre son devoir sachant qu'il ne retirerait de cette expérience que le sentiment du devoir accompli.

            - C'était pas du gros calibre, mais ça a quand même perforé la paroi intestinale. Il va te falloir du repos Longdrop. M'enfin, c'est pas non plus avec ce que tu fous de tes journées que tu risques de t'esquinter la santé.

            Le larbin poussa le vénérable médecin pour se pencher sur le grand blessé.

            - Longdrop, vu tout ce que tu dois au patron, ce serait sympa que tu viennes lui prêter un coup de main maintenant. Y'a une de ses filles qui le tient en otage dans une piaule. Vu que t'as le doigté, ce serait pas trop mal que tu nous files un coup de main.

            Allongé sur la table à manger où on l'avait opéré, un avant-bras collé sur son visage, le pendu ne réagit pas. Sauver Méyo, c'était la garantie que sa dette serait amputée de moitié. Le laisser crever, c'était s'assurer qu'il n'y aurait plus rien à payer.
            Opportuniste et méthodique, il préféra suivre à la lettre les conseils du médecin. Le repos s'imposait aussi bien que le trépas du maître des lieux.

            - Voilà ce qui arrive quand on fait tapiner des révolutionnaires crasseuses... pas faute d'avoir prévenu.

            Un œil de la bête s'ouvrit.

            - Une révolutionnaire ?

            - Et pas une belle avec ça. La mafia nous a refourgué ça après avoir attaqué un convoi militaire. Ces cons pensaient qu'ils transportaient de l'or. Moi je peux te dire que cette salope elle vaut même pas un gramme de cuivre, alors de...

            Comme happé par une vague qui l'entraînait vers le fond, des fonds hostiles et lugubres, le bavard fut soudainement empoigné par le col.

            - Quelle chambre ?

                Trifouiller dans la fange, ça aussi, c'était un boulot de révo'. Tellement d'aspect différent, ils étaient semblable au kaléidoscope car chaque révolutionnaire avait sa propre vision du turbin. Pour Jacob c'était rien d'autre qu'un loisir, le gars était un peu oisif sur les bords et flemmardait toute la sainte journée pour mieux se faire plumer le soir venu. Pour Canaille, c'était une vocation, une voie sur laquelle elle s'était engagée à la fois pour être libre, mais aussi pour être libératrice. Alors quand elle voyait l'exploitation humaine de Mr Méyo, ça la mettait dans tout ses états ; Elle devenait bougonne et intraitable, capable des pires atrocités au nom de la liberté.
                C'était avec des méthodes discutable qu'elle essaya de s'en sortir, il était quinze heure quand elle tenta une sortie par la grande porte. Six hommes l'attendaient dehors, tous armés d'un mousquet et prêt à faire feu. Elle se plaqua un peu plus contre Méyo, qui goûta le plaisir des monts de sa petite protégé à fleur de peau. Tous se raidirent face à elle, conscient du danger de la situation que représentait Canaile par un canif sur la jugulaire de sa victime.
                - Pas bougez ! Sinon je repeint la rue avec son sang !
                - Faites ce qu'elle dit les gars, elle en est capable cette folle ! Appuya Mr Méyo.
                - Dis leur de partir sinon... Tu sais très bien ce qui arrivera.
                - S'il vous plait les gars, retournez à la maison je vais gérer... Enfin j 'espère, peut-être.

                Dans la confusion elle attrapa la poignée de la porte et l'ouvrit avant de repasser devant le portier qui tenait bien haut ses mains vers le ciel. Il ne voulait pas perdre son patron, et accessoirement son travail qui allait avec. Il l'aimait son job, oh oui, cela lui donnait un peu d'importance dans le monde où il vivait. Il avait du pouvoir, celui de refuser l'accès sur un simple caprice de sa part. Il était presque un demi-dieu dans le bordel, et il pouvait se taper qui il voulait quand il le voulait ; Ça avait son avantage de travailler dans une maison close.

                Retour à la case départ, elle était piégé dans la maison close, dehors, on devait déjà chercher un moyen de la trucider sans que Méyo devienne une victime. Elle s'installa dans un petite chambre vide à l'étage, fenêtre donnant sur la rue pour mieux surveiller les allers et venues. Réflexe de siège qu'on lui avait apprit dans le manuel du bon petit révolutionnaire fournit à l'inscription.
                Elle aimait parfois suivre les ordres que lui donnait la nécessité et parfois vraiment pas. Ce jour là, c'était plutôt une gageure que du positif, elle devait patienter qu'une ouverture se dessine dans le bordel ambiant.
                Elle attacha sa victime sur un siège qui se trouvait là, grâce à des draps plus très blanc. L'hygiène était médiocre, pas étonnant que son profil n'eut intéressé le propriétaire des lieux, la maison close était aussi sale qu'elle avant qu'on ne la baigne. C'était le genre d'endroit ou l'on attrapait plus de parasite à l'intérieur qu'à l'extérieur dans une des rues de la ville, pourtant bien crade au vues des activités qui se jouaient là. Une fois bourré on a plus de mal à respecter les mesures qui s'imposaient pour tenir une ville de la taille de Manshon, on croisait parfois les rats de la ville, aussi gros que des chats, farfouillant dans les poubelles éclatées et dans les égouts peu ragoutant de la ville.

                - Tiens, une tête connue, qu'est-ce qu'il vient foutre là ? Qu'elle s'interrogea à haute voix quand elle vit la tronche de Jacob passer par là. Ça sentait mauvais, il avait l'air d'une humeur massacrante, et elle était fatiguée de devoir tout le temps tabasser des types aussi régulièrement qu'une horloge ne compte les heures.

                Elle se rapprocha de Méyo, jouant de son couteau pour lui desserrer les liens qui le retenait. Debout sale chien ! qu'elle lui ordonna dans un revers verbale aussi glacial que Jotunheim. Elle devait assurer ses arrières, et même s'il n'y avait que peu de chance que ça ne calme le pendu, au moins savait-elle qu'ils se connaissaient tout deux, pour l'avoir vu sortir en catimini d'un bar louche après une partie de poker. Peut être aurait-il une once d'hésitation devant le gestionnaire malhonnête, une once dont elle profiterait bien volontiers pour se préparer à combattre la bête. Elle ne lâcherait pas la clef aussi facilement qu'on aurait pu le croire, les épreuves ayant émousser son sens de la camaraderie. Il l'avait balancé, elle, Canaille Rogers ! Quel enfoiré ce type quand même, il n'avait pas hésité une seule seconde à appeler les autorités pour lui mettre des bâtons dans les roue.
                Cette fois, c'était son tour de jouer des sienne et de devenir retorse à la coopération. S'il voulait sa clef, il allait devoir la sortir de ce guêpier, car elle savait que la mafia ne lâcherait pas le morceau aussi facilement que ça. Ils devaient l'attendre à l'autre bout de la rue, bien invisible pour ses yeux pourtant avertis. On ne provoquait pas la mafia de Manshon sans en payer le prix, c'était une règle qu'elle avait apprise à force de traîner dans les rues à la recherche de Jacob. Ils trouvaient toujours un moyen de régler leur dette, qu'elle soit de berries ou de sang, toujours.

                Quelques minutes plus tard, Canaille entendit tambouriner à la porte comme si c'était un forcené qui essayait de s’échapper de sa geôle par la porte d'entrée.

                - Ouvre, vite. Qu'elle entendit, se planquant derrière Méyo pour qu'il fasse le bouclier humain. Elle l'avait déjà vu se servir de son arme à travers les portes, et elle n'était pas intéressée par une douche au plomb ce soir là. Rêve toujours bordel de merde ! Qu'elle répondit, sûre qu'il fallait d'abords doucher sa colère derrière une attente savamment orchestrée.

                La porte plia sous l'impact de ses coups, et la porte ne retint plus Jacob plus longtemps.

                - Alors, je t'avais manqué tant que ça, Longdrop ?
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              D'abord, la porte ne bougea pas d'un pouce. Solidement enfoncée dans ses gonds, ce n'était pas la puissance d'un homme - encore moins d'un homme blessé - qui la ferait vaciller. Pourtant, on s'acharnait de bon cœur contre ce dernier rempart séparant les sauveteurs et la révolutionnaire aux abois. Entre divers grognements, une voix calme et douce avait expectoré comme dans un dernier souffle :

              - Ouvre, vite.

              Plus oppressant encore que de croiser Jacob Longdrop était de ne pas le voir en le sachant proche ; tel un couperet perché au dessus de la nuque d'un condamné placé sur le billot.

              Si solidement enfoncée dans ses gonds, la porte ne commença à céder que lorsque le bois qui la constituait, datant d'un autre temps, ne plia sous les assauts. Ceux-là étaient brutaux et s'exerçaient sans relâche, les barbares investissaient la citadelle. Une citadelle qui était d'ailleurs la leur.
              Derrière les premières brèches dans le rempart, on distinguait ces ombres informes et agitées qui ne cessaient de se mettre en branle pour le plus grand malheur de la preneuse d'otage.
              Rage au ventre et bave aux lèvres, les ombres firent enfin irruption.
              Saluant un Longdrop qui ne vint jamais, la crasseuse, jetée dans l'élan du désespoir, massacra le tout venant au couteau. Les premiers - coincés dans la maigre ouverture qu'ils auraient mieux fait d'élargir, furent des proies faciles pour une révolutionnaire dos au mur. Mais les premiers cadavres dégagés, la porte finalement oblitérée, c'est une demi douzaine d'enragés qui firent office de deuxième vague.

              Toutefois, puisqu'il ne fallait pas abîmer le bouclier humain, la ruée se stoppa nette. Tout ce petit monde se trouvant maintenant dans une impasse, plus un bruit, plus même un soufflene fut émis. À rester tous immobiles comme les cons qu'ils étaient, les hommes de main comme la demoiselle se hasardèrent tous dangereusement à lever les yeux en direction du plafond.


              Des pas lents et légers pouvaient être entendus à l'étage supérieur. Les planches grinçaient, quoi de plus normal ? Seulement il n'y avait rien de normal à ce qu'on puisse entendre quelqu'un marcher, l'établissement ayant été évacué.
              Les pas semblaient de plus en plus lents. On eut juré que tout avait été fait pour qu'ils puissent être entendus du plus grand nombre. Des grincements du parquet, on passa aux grincements d'une fenêtre qui s'ouvrait. Puis rien. Rien pendant dix secondes, rien durant une minute. Tous avaient entendu ces bruits mais on eut juré que cela n'avait été que le fruit d'imaginations échaudées par les événements récents.

              Bien sûr, la suite se déroula en un ultime fracas. D'abord vif et gracieux comme un grand duc, la silhouette malingre qui avait flotté lentement dans un mouvement de pendule venait de pulvériser les carreaux. Il était entré en volant. Toutefois, on eut pu le penser.
              Ses jambes fermement nouées autour de la taille de sa captive - certainement aussi surprise que ses assaillants - Jacob avait fait irruption pour ravir la proie de ses camarades de circonstance avant de filer aussi rapidement qu'il était entré. Tracté par les cordes qui dépassaient de ses manches, il s'envola à nouveau, cette fois en marche arrière, sa victime entre ses serres.
              Ils quittèrent la scène par la fenêtre et, par un jeu de nœuds savamment constitués, furent, dans un mouvement de coulisse, tractés violemment pour finlement atteindre le sommet du bâtiment.

              Personne n'aurait su dire si c'était par habileté ou par magie, mais les cordes se dénouèrent de partout où elles avaient été enroulées pour s'en retourner dans les manches de leur manieur qui venait de jeter Canaille sur le toit où ils avaient tous deux atterris suite à cette haute-voltige improvisée.
              Observant que la jeune recrue était pour le moins interloquée par ce qui venait de se passer - et il y avait de quoi - autant que par ces cordes qui venaient de disparaître sous son nez, le pendu prit les devants.

              - Ça sert autant pour l'escalade que la torture.

              Au moins, ses intentions étaient claires.
              Plus bas, à la fenêtre brisée par laquelle il était entré aussi vite qu'il était ressorti, les grognards s'étant fait ravir leur proie ne manquèrent pas de maugréer comme les rustres qu'ils étaient. Le coup d'éclat avait, certes, été particulièrement efficace, mais dans l'agitation, Canaille avait malencontreusement tranché l'artère qu'elle avait maintenu tout ce temps au bout du couteau.

              - Longdrop, enfant de putain ! J'savais qu't'étais de mèche avec la gueuse !

              Mais les lamentations de vermines ne suscitaient pas l'attention du pendu. Maintenant plongé dans le même bain que la greluche qu'il avait sauvé pour mieux la faire parler selon ses termes, Jacob toussa, posa une main sur son abdomen encore éprouvé par la chirurgie et fixa à nouveau Canaille. Il la scrutait d'un œil immobile et morne.

              - Épargne-moi la tâche d'avoir à fouiller ton cadavre.

              Car il semblait avoir des projets clairement définis la concernant.

              - Donne la clé et ça ira vite.
                  Ça avait été rapide, bien trop à son goût, quitte à se retrouver entre les cuisses d'un bonhomme, autant prendre du bon temps. Un point pour le Pendu, zéro pour le macro qui gisait dans son sang. Elle n'avait pas encore conscience du bordel que cela allait créer dans le ... Bordel. Quand on venait d'assassiner de sang froid un homme de son importance, il fallait s'attendre à des conséquences, mais le Longdrop semblait en avoir cure et ne se préoccupait que d'une seule chose : Sa foutue clef. Une obsession qui aurait nécessité des heures de thérapie sans nul doute, mais ils n'avaient pas le temps pour ça. La réaction n'allait pas tarder à se faire attendre.
                  - Charmant ton bordel, merci de l'info, sacré tour de passe passe. Lâcha-t-elle derechef, pas avare de mots doux avec son Jacob. Elle le connaissait bien maintenant, elle savait qu'il était impitoyable, et que rien ne lui faisait peur. Elle savait qu'il était placide et avare en mot aussi, tout comme elle. Elle savait qu'il était puissant, sa pirouette qu'il venait d'effectuer ne laissait pas place au doute quand à sa compétence et son intelligence. Il avait réussit à la sortir d'une situation délicate, et eut égard à leur différent, elle lui en était quelque peu reconnaissante. Ce n'était pas pour autant qu'elle oubliait que c'était lui qui l'avait placé dans cette situation délicate. Foutu Longdrop, avec lui, c'était un grand huit d'émotions et des cascades d'emmerdes qui vous pleuvaient sur la tronche.

                  - Parce que tu crois que tu peux me zigouiller aussi facilement que ça ? Je suis pas une petite frappe de malfrat moi, je suis une révo, une vraie. Pas comme certains, aurait elle continuer si le mecton ne lui inspirait pas une petite peur quand aux représailles. Quoi que le bonhomme ne semblait pas pourvu d'un ego aussi gros que son melon, et qu'il aurait sans doute surfé sur la vague d'insultes et de noms d'oiseaux qu'elle lui aurait destiné. Mais j'avoue être tombé dans tes filets, et pour ça, t'as gagné une chance de récupérer ton bien. La chance que je te botte pas le cul, aurait-elle continuée à dire, si elle n'avait pas dans l'idée de ménager sa monture, et de réussir sa négociation. Parfois il fallait faire preuve de finesse. Et aujourd'hui était l'un de ses fois où le feu qui traversait ses veines perpétuellement était douché par la stratégie qu'elle devait mettre en place.
                  - Tu me sors de ce trou à rat, et je te rends ta foutue clef. Que tu peux te carrer où je pense, avait-elle envie de dire, mais se retint-elle pour instaurer un climat de confiance entre eux. Si l'on pouvait parler de confiance avec un cancrelat capable de balancer sans broncher l'un de ses compatriote les plus zélé. Il avait joué avec elle, et maintenant il en payait le prix, il fallait savoir l'accepter. Elle n'irait pas dans son sens, il devait l'avoir deviné, ou bien ne s’intéressait-il qu'à son propre nombril. Serait-il assez intelligent pour s'allier à Canaille ? Aurait-il l'abnégation nécessaire pour accepter qu'elle le mène un peu par le bout de son nez ? Les hommes sont connus pour être des cavaliers menant la danse, peut être que de se laisser faire par une bonne femme -et une crasseuse de surcroît, ne lui plairait pas au plus haut point, peut être même que sa lui donnerait la gerbe. Mais lui laissait-elle le choix ? Il ne serait pas facile de faire d'elle un cadavre, et de lui arracher la clef de ses parties intimes encore chaude ; Avec un peu de jugeote, il était plus facile de s'allier à elle, même si cette alliance était contre nature pour le pendu.

                  Comme pour appuyer ses dires, les hommes de mains qui s'étaient alliés pour défoncer la porte se pointèrent sur le toit, armés jusqu'au dent et ayant faim de vengeance.

                  - Salopard de Longdrop, on va te faire payer ton infamie mon gars ! S'exprima le premier de cordée, qui s'avança sur le toit -qui heureusement était plat comme une gamine de douze ans, prêt à en découdre avec la révolution. Car oui, à eux deux, il était la révolution. Deux facettes si différentes d'un concept si complexe soit, mais il représentait l'ordre des gris, ceux qui se fichent des demi-teintes et avancent masqués le plus possible. Pas touche à mon Longdrop bordel de merde ! Qu'elle répondit instantanément, clouant le bec de tout les intervenants, et les renforçant dans l'idée que tout ça n'était qu'une machination montée de toute pièce par le pendu pour ne pas payer son dû à Mr. Meyo. Elle était comme ça aussi Canaille, parfois, elle vous foutait dans les emmerdes jusqu'au cou. Comme quoi ils n'étaient pas si différents tout les deux. Le premier gars ne se démonta pas pour autant, et il se pointa armé de sa lame devant la gente demoiselle.
                  Elle esquiva le premier coup en se baissant, et frappa du poing sa cage thoracique, lui coupant le souffle au passage. Elle termina par sa glotte, et lui fit un croche patte digne d'un joueur de foot professionnel, qui le fit glisser du toit et tomber directement sur le macadam, où il s'écrasa dans un craquement pas du tout ragoûtant.
                  - Alors, partenaires ou bien ennemis ? Lâcha-t-elle au Longdrop dans l'intervalle d'une deuxième attaque. Ce serait une alliance temporaire et purement intéressée, mais elle l'avait encore mauvaise de son mauvais tour, et cela l'arrangeait de ne plus jamais revoir sa tronche de cake.
                  C'était son choix à présent, la raison, ou bien le cœur ?
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                En guise de réponse, un coup de pied dans l'estomac. D'abord, parce que cela avait pendu au nez de la révolutionnaire en herbe depuis un moment, mais surtout parce que cela lui avait évité de recevoir le pruneau qu'on venait de lui envoyer. Morte, elle ne pouvait lui dire où était la clé. Aucune bienveillance dans ce sauvetage inopportun.

                Désormais, il n'y avait plus d'otage dans l'équation, la modération n'était plus à l'ordre du jour. Beaucoup moins avares avec les mousquets, la smala qui faisait alors irruption commença à faire cracher la poudre. À quoi bon ? Que la paire révolutionnaire soit refroidie ou non, cela ne ramènerait pas Meyo.

                - Stérile. Souffla un pendu dont la prononciation d'un seul mot suffisait à résumer une pensée complexe.

                Stérile, mais inconvenant. Trop pudique pour admettre que sa blessure lui faisait un mal de chien, davantage maintenant qu'elle s'était ré-ouverte suite à son coup de savate salvateur, Longdrop pourrait repousser quelques assauts mais il était à présent hors de question pour lui de gamberger comme un lapin afin de fuir les lévriers qui se succéderaient à sa poursuite.
                Lèvres légèrement entrouvertes, dissimulant au mieux le fait que ses narines seules ne suffisaient plus pour qu'il puisse respirer à peu près convenablement : il n'en avait plus pour long à ce rythme. S'agiter jouait en sa défaveur.

                - Qu'est-ce que vous attendez pour tirer putain ?! FEU ! FEU !

                Maintenant qu'ils étaient une bonne douzaine sur le toit, un pétard dans chaque main, on vida les cartouches à satiété. À satiété et en pure perte.
                Pas un seul d'entre eux n'avait eu dans l'idée de viser la demoiselle responsable du péché originel en ces lieux. Galanterie ? Que nenni. La trouille avait commandé leur cible davantage que leurs états d'âme. Plus tôt, le pendu avait fait son petit effet et on le voulait mort au plus vite. En vain.
                Lorsque la fumée volatile et dense de la poudrière qui venait d'être brûlée à grand renfort de gâchette se dissipa, il y avait toujours Longdrop. Résolument debout. Autour de lui, les deux épaisses cordes sorties de ses manches s'étaient nouées de tout son long. La fusillade interrompue le temps qu'on réapprovisionne les instruments de mort en plomb et en poudre, le cordage se déroula lentement, pareil à deux serpents ondulant paisiblement le long d'une proie qu'elles auraient renoncé à étouffer.
                Une proie la tête légèrement inclinée, le visage presque innocent, en tout cas juvénile, aux lèvres entrouvertes et au regard perdu dans le vague. Rares étaient les spectacles aussi angoissant d'un être si glacial se dévoilant à nouveau, sorti de sa chrysalide, le tout teinté du bruit des balles de plomb contenues dans ses cordes et qui tombaient à présent au sol, inoffensives.

                Un coup pour rien. Mais qu'à cela ne tienne, l'assemblée ne se démotiva pas pour autant. Il fallait dire que le choix leur faisait défaut, abattre Longdrop et son binôme relevait davantage à ce stade de la survie que de la vengeance.
                Toutefois ébranlé - en apparence tout du moins, le pendu chancela. Un pas en arrière pour retrouver son appui, puis un second pour ne pas perdre l'équilibre et enfin un troisième pour s'assurer qu'il pourrait repousser sa chute inéluctable ; il côtoyait maintenant le rebord du toit dont le caractère tragique commençait enfin à se révéler.

                - Tché...

                Dans un dernier signe de mépris dont on ne savait trop s'il s'adressait à ses assaillants ou à lui-même pour se trouver si faible en cet instant, Jacob tomba en arrière, tête la première.
                Un instant oppressant pour finalement révéler à quel point il était vulnérable, le pendu quitta la scène avec grâce mais sans panache. Des rires spontanés égosillèrent le peloton d'exécution improvisé. C'étaient là des rires de soulagement, on se sentait effectivement moins nerveux lorsque Jacob Longdrop n'était plus dans les parages.

                Mais l'hilarité ambiante fut de courte durée car une ombre, vive et serpentine, fit irruption de là où était tombé le pendu. Une ombre comme échappée des enfers. Celle-ci s'était abattue sur la punk pour mieux s'enrouler autour de sa cheville. Elle eut à peine le temps d'adresser un regard paniqué à ceux qui lui faisaient face avant de hurler bruyamment, entraînée par la chute d'un boulet nommé Longdrop. Ce dernier l'avait pas tardé à s'écraser sur le flanc dans un dernier fracas, le laissant inerte mais bien vivant, en attestait son regard froid aux prunelles mouvantes.

                Plus alerte, moins abîmée en tout cas que celui-là même qui lui avait fait faire un grand plongeon, Canaille put atterrir sans trop de dégâts. L'étreinte autour de sa jambe gauche ne se défaisait pas et le nœud était si serré qu'elle lui semblait que le sang ne circulait plus jusqu'à son pied.
                Entre deux toux violentes qui firent s'agiter un corps déjà brisé, Jacob se manifesta. Il n'en avait pas fini avec elle.

                - E...ssaie... de couper... la... *tousse* corde... et le nœud te brisera le tibia.

                Semblant être homme à tenir ses promesses, il n'en fallu pas plus pour que la punk ne lui montre les crocs. Elle était à présent lié à lui, lui qui ne pouvait plus se battre, lui qui ne pouvait plus même bouger un orteil, au risque de se voir couper toute chance de fuite dans l'éventualité où l'usage de sa jambe gauche lui ferait défaut. Cette alliance, elle l'avait pourtant appelée de ses vœux. La malheureuse s'était alors entichée d'un allié bien encombrant.

                Le secret d'une révolution réussie, c'était de perdurer. Qu'importe que mille défaites se succèdent du moment qu'une victoire décisive soit remportée. Perdurer. Perdurer à n'importe quel prix, quitte à sacrifier des camarades. Cette leçon, Jacob ne l'avait que trop bien apprise et il l'enseignait aujourd'hui à Canaille.

                    Spectaculaire. Il aurait pu faire un numéro de marionnette, mais au lieu de cela il lui offrit un spectacle renversant et à la limite de la mortalité. Du trapèze, cela lui faisait penser à un cirque tout ce qu'il y'avait de plus morbide vu la situation dans laquelle ils se trouvaient. Les gars d'en face n'était pas là pour rigoler, et la poudre avait parlé plus que de raison. Elle l'avait crût mort, il avait de la ressource c'était certains. Et il l'avait sauvé d'une canonnade juste pour le plaisir ? Peut-être avait-il une réminiscence de camaraderie révolutionnaire dans le fond de ses veines ? Les voies du Longdrop sont semblables au divin, elles sont impénétrables et tortueuses.
                    En quelques instant la Canaille se retrouva du toit, au sol. Elle n'y avait vu que du feu encore une fois, et cela commençait à l'agacer de se faire trimbaler de droite et de gauche comme une poupée de chiffon. Elle allait se plaindre mais le pendu la prit de court en lui annonçant la couleur. Elle était prisonnière de ses cordes et elle n'avait aucune ressource nécessaire à sa libération : Son sabre et son fusil attendaient patiemment dans l'appartement de Maria, celle par qui toutes ses emmerdes avaient commencé ; Elle ne devait pas oublier d'aller la saluer une fois qu'elle en serait sortie, pour lui montrer qu'on emmerdait pas sciemment une Rogers sans en payer le prix fort.
                    - T'es un tordu toi, t'attache souvent les femmes comme ça ou cet honneur m'est réservé ? Se demanda-t-elle à haute voix. Peut-être que ce n'était pas un bon calcul ni une bonne façon de briser la glace qui entourait perpétuellement Jacob, cet être d'albâtre et d'un accueil aussi digne qu'un frigidaire. Elle n'avait pas trop le choix, il lui faudrait coopérer si elle voulait s'en sortir. C'était l'alliance qu'elle avait conclut après tout. Elle devrait assumer ses choix et ne pas les regretter quand ceux-ci s'accomplissait. Elle prit une inspiration pour ajouter : Je suppose que nos destins sont liés à présent. Sacré euphémisme de la part de la crasseuse, qui ne l'était plus tant que ça. Elle détestait prendre une douche, et on l'avait forcé à le faire pendant une inconscience toute légitime ; Heureusement, le responsable en avait payer le prix fort, celui de sa vie qui s'était écoulé sur le tapis.

                    Pas le temps de niaiser malheureusement, les chiens qui en avaient après eux n'allaient pas tarder de si tôt à redescendre du toit pour les coincer. Et le pendu semblait assez mal en point, gâchant toutes chances de s'en sortir au forceps.

                    - C'est lui chef, j'en suis certains je me rappelle de sa gueule sous la casquette ! Pas de doute ...
                    - T'en est sûr Jimmy ? C'est lui qui nous a attaqué sans aucune raison si ce n'est une gonzesse ?
                    - C'est sûr, c'est sûr, je me souviens de sa tête de mort ! Qu'on entendit de l'autre côté de la rue.

                    A force de remue ménage, Longdrop s'était attiré des des ennuis pire encore que ceux de Canaille. Elle remarqua le petit manège grâce à son flair aiguisé, et prit à bras le corps son camarade ; Elle n'allait pas le laisser dans la merde, même si se faire une cheville était moins douloureux que de travailler de concert avec le Pendu.
                    Elle contourna le sbire écrasé au sol et s'en alla par le côté d'où ne venait pas la menace.
                    - Faut se tirer d'ici, on se replie chez toi et je te file ta clef, tu me libère, après ça t'entendras plus parler de moi, soulagé hein ? Dit-elle tout en avançant un peu plus vite, s'assurant tout de même que son comparse pouvait suivre la cadence. Il avait l'air mal en point le gaillard, mais il n'avait rien perdu de sa superbe et de son fiel. Cela forçait l'admiration de la Canaille, qui n'aurait pas autant fanfaronné dans son état.
                    Il forçait l'admiration et l'envie de se défoncer pour lui, c'était déjà quelque chose de positif, s'il y'avait du positif chez cet homme là. Ils n'avançaient pas très rapidement comme ça, mais le lieutenant de la mafia qui les poursuivait aimait prendre son temps avec ses victimes. Les faire transpirer, courir, et une fois ceux-ci à bout de souffle, les exécuter purement et simplement. Un homme charmant s'il en était.
                    En revanche, on ne pouvait pas en dire autant du sbire qui essayait de les rattraper, pour l'honneur de sa famille. C'était lui qui avait blessé le pendu, et il avait une dent contre le rescapé. Une dette de sang qu'il comptait bien réglé au plus vite, bon gré mal gré, malgré que son chef soit du genre patient. Malheureusement pour lui, il tomba d'abords sur une Canaille particulièrement remonté à bloc, elle qui détestait tout forme d'entrave, elle était là, accroché comme une moule à son rocher au Pendu.
                    - Lâche moi un peu de leste l'ami. Qu'elle dit néamoins à son binôme du jour, qui s'exécuta sans broncher à sa plus grande surprise. Elle esquiva le coup de couteau -car ils ne portaient que des armes blanches ses deux là fort heureusement, attrapa un poignet, le brisa sec d'une torsion savamment exécutée, puis tint entre ses mains son cou, qu'elle cassa sans autre forme de procès. Vite fait, bien fait.
                    Ne restait plus qu'à échapper aux poursuivants qui se bousculaient au portillon, et à s'occuper de Longdrop, dont le sang commençait à tâcher le vêtement. Quand on a été une esclave, on sait comment recoudre une plaie ouverte, car ce ne serait pas le problème des propriétaires, qui n'auraient qu'à racheter un nouveau esclave.

                    La chasse était ouverte.
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                  Ce n'était pas tant par charité que le pendu avait relâché l'étreinte. Terreur des bas-fonds et même des très bas-fonds, il restait soumis aux mêmes impératifs organiques de tout un chacun. Perdre près d'un litre de sang après avoir fait tant d'efforts ces dernières vingt-quatre heures constituait en soi une faiblesse qu'il peinait à surmonter. En réalité, il ne cherchait pas à la surmonter.
                  Las, réaliste, il gisait à genoux, tête penchée en avant, prête pour le billot, sa mâchoire inférieure tombante laissant s'échapper un filet de salive qu'il n'aurait pu avaler tant le simple fait de déglutir semblait lui arracher les tripes.

                  Abandonné au milieu des pavés tandis que son binôme, maintenant libérée de sa corde, bataillait contre une énième horde de casse-couilles dont il n'aurait su situer s'ils appartenaient à la marine ou à la mafia, Jacob finit par estimer que sa route se stoppait ici. D'abord parce qu'il n'avait plus ce qu'il fallait pour se relever, ensuite parce qu'il entendait clairement et distinctement les bruits de pas d'un impétueux s'étant échappé de la mêlée pour s'approcher à sa droite.

                  - On se connait, non ?

                  Pas de réponse. Le principal intéressé ne daigna même pas tourner la tête, il semblait même que son corps se penchait un peu plus en avant, prêt à chuter lamentablement. Peu courageux était le chasseur qui s'en allait achever un animal à l'agonie. Mais au fond, ce chasseur-ci n'avait que faire des trophées, l'idée était plutôt de s'assurer qu'une bête nuisible ne reparaisse plus dans son voisinage.

                  - Siiiiii, souviens-toi, t'avais une casquette. T'avais un mousquet aussi. Plusieurs même... Putain... et tu croyais qu'on allait te laisser t'en sortir...

                  Impérieux, savourant chaque instant précédant le moment fatidique où il étalerait la cervelle de Longdrop sur les pavés, la petite frappe brandit délicatement un mousquet en direction du pendu. Il jubilait, manquant de souiller ses sous-vêtements à l'idée de venger quelques camarades tombés plus tôt ce jour.
                  Mais à trop se soucier de la mise en scène, le malheureux avait trahi l'essence de son propos. Le temps passé à menacer Jacob Longdrop, c'était autant de secondes qui s'écoulaient pendant qu'une corde se nouait autour de votre cou.

                  La corde - apparemment reposée sur le sol, comme tombée inopinément de la manche droite d'un pendu trop épuisé pour la garder en dedans, ne se noua pas autour du cou. Elle avait lentement et sinueusement poursuivi son périple pour s'enrouler autour d'un banc. Tout avait été une affaire de patience et de timing. Car ce n'est que lorsqu'il entendit le bruit froid du silex frotter, que le pendu avait donné ce qu'il fallait d'impulsion à la corde pour que celle-ci se raidisse et se saisisse du poignet d'un freluquet trop présomptueux au goût du pendu. Se reposant sur la solidité du banc public, d'un coup sec, la corde se raidit davantage au point que le poignet de l'assaillant ne pivote jusqu'à se briser. Jusqu'à se briser et que la trajectoire du mousquet ne s'oriente en direction de sa bouille de jeune con. Une bouille de jeune con qui laissa place à une bouillie dans l'instant suivant, l'instant précis où il avait appuyé sur la détente.

                  Tout cela, Longdrop l'avait accompli à l'article de la mort et sans même regarder sa cible. Elle n'en valait de toute manière pas la peine.

                  Cependant, ce dernier coup d'éclat le fit s'écrouler lentement sur sa droite. C'était la dernière fois qu'il puisait dans les forces qu'il lui restait, car de forces, il ne lui en restait plus. Tout était vague. Il put distinguer encore la punk s'essuyer les semelles sur la gueule de quelques vindicatifs, mais ceux-là affluaient encore et toujours. Elle non plus ne pourrait pas résister indéfiniment.
                  Puis la vue du pendu s'assombrit. L'appel de la mort ? Non. Une paire de bottes venues s'abattre à quelques centimètres de son visage fut accompagnée d'une voix familière.

                  - Quelqu'un a demandé un héros ?

                  - Oui...... mais tu feras l'affaire.

                  Désobligeant jusqu'à la mort s'il le fallait, Jacob ne cracha toutefois pas sur l'aide de la marine, aussi véreux pouvait être le caporal ayant fait le déplacement.

                  - T'es vraiment qu'un connard.... BON ! Messieurs ! R'gardez d'vant vous jusqu'à l'horizon. Si dans dix minutes y'a encore quelqu' chose qu'y respire, c'est qu'vous avez mal fait vot' boulot.

                  Les fusils s'armèrent et la poudre fit son office. La mafia avait eu le mauvais sens de s'en prendre à un convoi de la marine et de lourder plusieurs marines pères de famille en début de matinée. Créer du tumultes en pleine rue comme ils le faisaient à présent n'avait pas joué en leur faveur.
                      La situation était compliquée. Remarquez que les complications, ça connaissait la jeune révolutionnaire. Elle qui avait toujours vécu par le sabre et le poing, ne se voyait pas vivre autrement de nos jours. Alors quand ils débarquèrent tous, armés de mauvaises intentions et de mousquets, un grand sourire se dessina sur son visage. Encore des tordus à redresser, ça ne pouvait que lui faire plaisir, bien qu'elle commençait à être fatigué de se battre toute la sainte journée. Après ça, elle irait buller quelque part dans South Blue, avec un cocktail et des tongs, ça n'en serait que des plus mérité. Bien que le simple fait de la voir affublé de tongs puisse faire sourire, elle commençait vraiment à être en pétard contre la plèbe en face d'elle. Colère, joie, deux émotions si contradictoires mais réunis en une seule femme à présent.
                      Des balles sifflèrent. Ils n'étaient pas tous armés de mousquet mais presque. Heureusement, elle était assez loin et agile pour en esquiver une partie. Malgré tout une ou deux balles trouèrent sa peau et laissa gicler l'hémoglobine par centilitres. Pas hors jeu pour autant, n'étant touchée qu'au bras droit, elle se rua sur ses opposants avant qu'ils n'aient le temps de recharger, et de recommencer leur office. Elle attrapa le premier par son bras valide, lui collant un coup de tête magistrale qui le fit tomber à la renverse. Un de moins. Elle continua son oeuvre de destruction méthodique. S'il y'avait bien un domaine dans lequel elle était méticuleuse, c'était dans celui de botter des culs.
                      Le deuxième et le troisième ne firent pas long feu, un coup de pied dans l'entrejambe pas très réglementaire, et une clef de bras poussée à son extrême en termina rapidement. Il en restait toujours six. Qui attaquèrent de concert pour une fois, faisant preuve d'une intelligence remarquable pour des êtres de ce genre. Au moins, Longdrop était à l'abris ... Quoi que, se retournant alors que les coups pleuvaient sur elle, elle le vit au sol, visé par un mousquet et presque incapable de se défendre. Elle eut peur pour sa vie plus que pour la sienne, cet altruisme quand même. Heureusement, il s'en sortit comme toujours, grâce à un de ses tours de corde si remarquable depuis le début de cette histoire.
                      Sur ses entre faits, la marine déboula avec des intentions belliqueuses. Le plomb parla, et elle eut juste le temps de se dégager de la mêlée pour ne pas finir trouée comme une passoire. La survie avant tout, c'était quelque chose qu'elle avait appris de ses années d'esclavage. Malgré son côté tête brûlée, elle avait toujours fait en sorte de s'en sortir vivant. Et cela lui avait plutôt sourit jusque là. La bataille prit une tournure assez négative pour ses poursuivants, qui voulurent se carapater mais n'en eût pas le temps. Bien que peu habitué à faire leur travail, l'entraînement payait pour ses fiers représentant de la mouette.

                      - Putain de bordel de merde, c'est qu'ils me visent là !
                      Se rendit-elle compte quand les chiens de la marine commencèrent à lui tirer dessus. A force de tripatouiller dans la fange, elle s'en retrouvait si éclaboussée qu'on la prenait pour une menace à l'ordre publique. Ce qui, en soit, n'était pas si faux que cela. Elle avait toujours été une agitatrice, et le resterait jusqu'à la fin de ses jours, on effaçait pas des années de servitude d'un revers de la main, on vivait avec et c'était déjà pas mal. Elle se mit à couvert dans une ruelle adjacente, les tirs ricochèrent contre les murs dans une pluie de plomb bien mal avisée. Elle devait courir maintenant, courir pour sa vie. Elle rendrait son bien au Pendu un peu plus tard, elle était maintenant prit en chasse par la marine, qui n'avait pas oublié de quel engeance elle était faite : Du bois de la révolution. Elle n'était qu'une demi-teinte dans ce monde ou tout était soit blanc, soit noir et rien au milieu n'était toléré.

                      - Chef, y'en a une qui s'échappe, qu'est-ce qu'on fait ?
                      - Allez me la chercher bande de feignasse, c'pour ça qu'on vous paye non ?

                      Pas sûr que Longdrop ne pourrait ou ne voudrait être garant de la révolutionnaire, malgré qu'elle possède le sésame à ses économies. Il devait plus s’inquiéter de son état de santé que de celui de ses finance, quand elle l'avait laissé, il repeignait ses vêtements d'une douce couleur rougeâtre. Alors elle devait courir, pas parce qu'elle était une héroïne dans ce monde, mais parce qu'elle pouvait l'endurer. Elle était un chevalier noir, une de celle qui sauve le monde sans demander quoi que ce soit en retour. Elle se tenait le bras tout en courant pour sa vie, mais elle prit bien vite ses distances avec le peloton de marine qui voulait l'attraper. Elle savait déjà où allait, tant pour se soigner que pour se venger : Chez Maria.
                      Elle prit une ruelle à droite, puis celle de gauche, se retrouvant devant le bar où tout avait commencé. De là, elle se souvenait parfaitement le chemin jusqu'au domicile de la maquerelle. Ou de ce genre d'engeance en tout les cas. Elle pouvait la blâmer, mais il fallait bien survivre dans ce monde de brute. Elle faisait ce qu'elle pouvait, même si ce qu'elle pouvait consistait à attirer dans ses filets de jeune femme esseulée, pour en faire de la chaire fraîche dans un bordel de la ville.
                      Un coup de pied, et la porte céda sous la pression de Canaille.

                      - Salut Maria, t'es contente de me voir avoue bordel ! Elle faisait la maligne, mais le manque de sang dans son corps lui faisait tourner la tête. Il ne lui restait plus qu'à faire bonne figure pour obtenir ce qu'elle voulait de son ancienne copine. Comme on dit, copine un jour, copine toujours.
                      - Ha...euh... Salut Canaille... T'es pas au turbin toi ?
                      - Justement, j'y travaille là, si tu savais ... Tu risques de te retrouver au chômage technique.
                      - Je dois comprendre quoi par là ?
                      - Que ton putain de patron gît dans son sang maintenant, et que je suis pas d'humeur à discutailler. Elles sont où mes armes ?
                      - Je garde les affaires personnelle dans ce placard, là. Fit-elle, apeurée par la barbarie dont faisait preuve son interlocutrice.
                      - J'ai besoin de rester chez toi quelques heures, tu me couvres ou je t'éclate, capiche ?
                      - Je crois bien ...

                      Elle lui forçait la main, mais elle n'avait plus le temps pour les politesses. Elle se rendit dans la cuisine ou elle attrapa une bouteille de whisky et de quoi éponger le sang qui coulait. Fort heureusement, les balles avaient traversés sans rester à l’intérieur de la plaie, ce qui était presque un miracle pour la jeune révolutionnaire. Elle désinfecta au whisky, et prit le nécessaire à couture qui traînait chez Maria pour se recoudre grossièrement.

                      ***

                      Quelques heures plus tard, la nuit était tombée comme les recherches sur sa personne. Elle se trimbalait donc l'esprit presque tranquille dans les rues bondées de Manshon. Elle pouvait tomber sur des mafieux, maintenant qu'elle avait son sabre, elle n'était plus toute nue face à eux. Aiguisé comme une lame de rasoir, il était son plus fidèle et unique compagnon. Elle ne s'en plaignait pas, lui au moins ne parlait qu'en sifflant dans les aires sous ses coups de butoirs.
                      Le nid d'aigle lui tendait les bras, elle n'avait plus qu'à espérer que Jacob soit déjà rentré chez lui. Elle retrouva facilement son chemin, évitant la maison maudite où on l'avait embarqué la veille. Mauvais souvenirs. Elle n'était pas nostalgique de ce moment, et si elle revoyait sa sale tronche de vioque elle allait péter un câble et lui refaire la dentition. Et s'il y'avait quelque chose qu'elle voulait éviter, c'était de se faire remarquer par le pékin moyen. Tous des traîtres ou des vendus dans ce patelin, elle ne le supportait plus. Elle se retrouva devant la porte en bois qui lui tendait les bras. Elle frappa énergiquement à la porte et s'annonça.
                      - Jacob Longdrop, ouvre ta porte, au nom de la révolution !

                      Comme un air de déjà vu.
                    • https://www.onepiece-requiem.net/t21394-p-tit-livret-des-famille
                    Mal embouchés comme pouvaient être les rustres prompts à porter l'uniforme, un marine réveilla le père Longdrop en lui jetant quelques documents sur le ventre. Ledit ventre en était meurtri. Le reste aussi d'ailleurs. Fracassé de toutes parts, Jacob s'étonna d'abord de se réveiller dans un lit aux draps presque propres. Pas retapé pour un sou, il était en tout cas tiré d'affaire. L'obscurité de la pièce dans laquelle il se trouvait l'indisposait quant à la lecture de la paperasse mise si généreusement à sa disposition.

                    - Courtoisie du caporal Jiggs, ça prendra effet dans vingt-quatre heures.

                    Saluant en inclinant la visière de sa casquette, le matelot dissimula son regard de mépris pour le révolutionnaire et quitta la demeure en claquant la porte. Le pendu pouvait s'estimer heureux, on avait traîné sa carcasse jusqu'à une planque en principe utilisée par la marine pour ses missions d'infiltration. Le moindre mouvement de muscle amena le convalescent à grincer des dents. Mais au fond, ce n'étaient pas tant les muscles qui avaient accusé le coup que ses os. On ne s'écrasait pas du haut de plusieurs étages en espérant galoper comme un faon le lendemain au levé.
                    Mais se lever il fallait, car du peu que Longdrop avait pu lire de cette pile de documents, il ne ferait pas bon s'éterniser sur Manshon. Un rapport sur les événements avait été pondu et à en juger de part la date, cela faisait trois jours que l'incident avait eu lieu. Jiggs avait temporisé au mieux pour que l'enquête ne remonte pas jusqu'aux principaux responsables. Pas tant par courtoisie pour Jacob d'ailleurs, mais pour éviter que ses collègues ne mettent leur nez dans les affaires de feu Méyo et de sa veuve, car après tout, son nom à lui aussi était tapissé partout sur les murs de leur bordel.

                    Dans ce rapport, Jacob avait été nommé. Au patronyme on avait assorti une description complète du loustic. Rafistolé de partout, des bandages ici et là, Jacob enfila ses vêtements disposés au pied de son lit. Il boitait, il soufflait, il titubait même. Atteindre le port à temps dans ces conditions s'avérerait ardu. Illusoire peut-être.

                    Mais à l'impossible, nul n'était tenu. En tout cas, pas quand on risquait à terme d'être écroué par des marines autrement moins compatissants que son ange gardien de caporal. Traînant la patte comme un chien galeux, bras en bandoulière, le mot "suspect" était imprimé partout sur sa gueule en sueur - la fièvre faisant son office - et les regards commencèrent à se reporter sur lui.

                    Vingt-quatre heures pour repartir était un délai raisonnable, mais il ne repartirait pas sans sa clé. Borné bien que dans une condition pour le moins déplorable, il se traîna toutefois jusqu'au port en un morceau. Un docker qu'il avait apostrophé le toisa en se doutant bien qu'il n'avait pas affaire à un petit chanteur à la croix de bois.

                    - Une fille....

                    - C'est une fille qui t'a mis dans c't'état là mon gars ?

                    Jacob s'accrocha au col du bougre, plus pour se maintenir que pour menacer la bête.

                    - Une fille... coupe iroquois... armée d'une lame...

                    Sans plus attendre, le matelot lui pointa la direction d'une petite embarcation qui jurait au milieu de tous les immenses bâtiments mouillant à quai. Sans un merci, lâchant le marin, le pendu se pressa du mieux qu'il put jusqu'à la coque de noix avant de s'y écrouler en se prenant les pieds... dans la corde qui le maintenait à quai.
                    L'ironie était une pute, la propriétaire du petit voilier plus encore.

                    - P'tain mais tu sors d'où ?! Trois jours que j'viens frapper chez toi et...

                    - Clé...

                    Ce n'était simplement parce qu'il était peu loquace que ses phrases se limitaient à trois caractères mais aussi parce que le moindre effort l'épuisait.

                    - Nan, moi c'est Canaille.

                    Le trait d'humour tomba dans l'oreille d'un sourd. Un sourd affalé sur le ventre et en miettes. Puisque l'auditoire était si peu réceptif aux saillies drolatiques, la pouilleuse lui jeta ladite clé à même le corps. Elle avait d'ailleurs oublié jusqu'à l'existence de cet objet de tous les délits avant que la loque humaine qui gisait devant elle ne la lui rappelle.

                    - Maintenant, on va faire un p'tit tour du côté de Luvneel, y'a des gens là-bas qui veulent te poser des questions.

                    Elle allait reprendre la barre quand une corde se noua autour de sa jambe. Cela lui rappela quelques mauvais souvenirs.

                    - D'abord.... un détour....

                    On ne pouvait rien refuser à un homme comme Jacob Longdrop, pas à moins de le tuer en tout cas.

                    ***

                    - T'ain mais tu me fais naviguer à vue pendant une s'maine et c'est pour arriver.... là ?

                    «Là», c'était une bande de sable à peine immergée et d'une trentaine de mètres de circonférence tout au plus.

                    - C'est quoi le plan ? On plante le drapeau révolutionnaire et on fait état d'notre conquête ? Bordel Longdrop, t'as toujours des idées de merdes plein la tête.

                    Comme durant ces sept derniers jours, le pendu ne s'abaissa pas à lui répondre. Plus ou moins sur pied, il enjamba le bastingage et traîna ses guêtres jusqu'au centre de cette parcelle sableuse et sans intérêt. Sans intérêt apparent tout du moins. Il s'agenouilla. Nul question recueillement puisqu'il commença de ses mains à creuser frénétiquement.
                    Un trésor ? Un coffre en tout cas. Un coffret plutôt. Pas plus gros que le poing, le réceptacle en granit était garni d'une épaisse serrure où tous les instruments de crochetage s'y seraient brisés. Fébrile, Jacob inséra la clé et tourna minutieusement avant de se délecter des derniers cliquetis précédant la délivrance.

                    - Y'a quoi là-dedans, des bijoux ?

                    Elle était descendue de son voilier minable pour lorgner par dessus l'épaule du pendu. Après tout, des dizaines d'hommes étaient morts à Manshon pour cette clé, même sans être pourvu d'un tempérament particulière curieux, le commun des mortels se serait demandé à quoi bon ce coffre.
                    Pas de bijoux à l'intérieur. Juste une photographie vieillie par les années passées dans l'obscurité. Une photographie que Jacob contempla de son visage toujours aussi terne, comme s'interdisant toute réaction.

                    - Tout ça pour une photo d'ta maman et toi ? Remarque, une image où on t'voit sourire ça doit valoir son pesant d'or tu m'diras, faut bien dire que...

                    - Tais-toi.

                    Il n'avait parlé que pour intimer le silence. La révérence s'imposait puisqu'il l'intimait. Son cœur n'avait pourtant pas battu plus vite en ouvrant le coffret, sa joie ne se manifesta pas, il restait aussi glacial qu'à l'accoutumée. Mais savoir que quelque part en ce monde subsistait une bribe de son humanité - fusse-t-telle un vestige du passé - le rassurait.
                    Tant d'hommes étaient morts pour qu'il puisse la contempler une minute, une minute à l'issue de laquelle il referma le coffre avant de le ré-enterrer dans le sable.

                    - Avec ça, ce sera tout ? T'veux pas qu'on fasse un autre détour pour faire des courses tant que t'y es ?! Parce que si tu veux, on peut visiter des tas d'autres îles où y'a que du sable, hein ! C'est pas ça qu'y manque.

                    Jacob se redressa, épousseta son pantalon au niveau des genoux et retourna à l'embarcation.

                    - Luvneel me suffira.

                    Luvneel lui suffirait. Il avait fait le deuil de sa vie oisive sur Manshon. Les circonstances l'imposait. Extrait de son cocon, il en revenait à ses premiers amours : la révolution. Sous peu, le monde regretterait qu'on l'ait tiré de sa retraite, l'armée révolutionnaire la première.