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Sur le fil

« Papa, maman, regardez l’arc-en-ciel ! »
« Oui, ma puce, j’ai vu. »
« C’est trop beau ! »
« Oui, oui. »
« Tu crois qu’il y a un trésor au bout ? »
« Non, Sherwood. »
« Hein ? Mais les gens disent… »
« Un arc-en-ciel c’est un phénomène météorologique qui te permet d’apercevoir le spectre lumineux. C’est de la physique, Sherwood. »
« Y’a des fantômes dans les arc-en-ciel ? Waoh ! »

Sherwood Quellette était une scientifique.

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« Putain de bordel de cul de ta race petit écrou de mer… »
« Arlie ! »
« Quoi encore, papa ? »
« Ça, ma petite, c’est pas un écrou. »
« Ah… Merde. »

Arlie Imam était une poète.

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« Et donc tu vois, c’là que j’lui ai dit d’aller se carrer sa charrette dans le fion. »
« Hahahaha ! Tu vas perdre tout ta clientèle, à ce rythme. »

Dans la cour ensoleillée de ce qui semblait être un tôlier, deux jeunes femmes riaient de bon cœur. L’une d’elle, une clé anglaise à la main, illustrait à grand renfort de gestes une anecdote de travail tandis que la seconde, assise en tailleur sur un tas de métal ressemblant vaguement à un fauteuil, sirotait un verre de limonade en s’esclaffant. Nées le même jour, elles n’auraient pourtant pas pu être plus différentes. Avec sa grande taille, ses rondeurs et ses cheveux écarlates, Sherwood dégageait joie de vivre et bonne humeur. Petite, toute en nerf et avec sa mine constamment renfrognée, Arlie était une bombe à retardement. Qui explosait souvent. Toutes les deux avaient grandi dans la même petite ville et seule la route séparait leurs commerces.

Sherwood avait une boutique à la devanture bariolée qu’il était impossible de rater. Mercière et vendeuse de prêt à porter, tout ce qui provenait de sa boutique était fait main. Elle élevait du bétail et des chenilles pour en tirer de la laine et de la soie, avait des plantations de coton sur l’île et partait souvent en expédition pour amasser de quoi teinter son tissu. Elle connaissait les métaux et les bois pour fabriquer des aiguilles et des boutons et avait étudié les sciences et les mathématiques pour optimiser ses productions de matières premières. Son seul problème était son incapacité à ranger quoique ce soit. Sa boutique débordait sur la rue, des plantes avaient cassé les carreaux de sa vitrine et, comme le tout était situé au sommet d’une côte, elle devait souvent courir après des cartons de marchandises à l’équilibre précaire. C’était devenu le jeu des enfants de faire dévaler la marchandise le long de la pente, et celui des adultes de parier combien de temps mettrait Sherwood à les rattraper.

En face, au fond d’une cour pavée, se trouvait Arlie et, bien souvent aussi, Sherwood qui surveillait sa clientèle de loin. Du point de vue général, Arlie était mécanicienne et sidérurgiste. En jetant un œil à la cour ouverte sur un large entrepôt où s’entassaient tuyaux métalliques, tiges de fer de toute taille et plaques d’acier défoncées, personne ne se posait la question. Arlie, elle, s’affirmait bibliothécaire. Le travail du métal n’était qu’un hobby qui lui permettait d’agrandir la collection d’ouvrages qu’on pouvait apercevoir entre deux amas de ferrailles, sur des étagères parfaitement alignées et ordonnées avec soin. Elle tenait rigoureusement à jour sa liste d’abonnés, invitait régulièrement des artistes et griffonnait des vers dans un petit carnet qu’elle avait toujours au fond de la poche de son bleu de travail.

Sur la pente comme dans le reste de la ville, tout le monde connaissait les jeunes femmes et la qualité de leur travail respectif n’était plus à prouver, ce qui leur permettait d’être respectées malgré leurs travers respectifs.

« Sher’, y’a un mec qui te cherche en face. »

Arlie s’interrompit dans son récit, le temps de montrer le client qui regardait à droite et à gauche sans oser mettre un pied dans la mercerie. Avec un clin d’œil pour son amie, Sherwood descendit de son promontoire métallique et traversa la route pour aller poser familièrement une main sur l’épaule du client. Arlie leva les yeux au ciel, fit tournoyer sa clé anglaise et retourna s’occuper d’une vieille chaudière.

« Euh…Excusez-moi, et ma charrette du coup ? »

Le regard noir de la bibliothécaire suffit à enlever au pauvre homme l’envie d’insister.

***

Cité principale d’Icarios, une petite île de South Blue composée en majeure partie de villages et de forêts, Ariadne était une ville paisible. N’ayant ni richesses ni grand héros à vanter, l’île était boudée des malfrats et passablement ignorée par la Marine. Si sa banalité permettait aux habitants une vie paisible en marge des grands événements du monde, Ariadne était pourtant en pleine effervescence. On s’apprêtait à fêter le tricentenaire de la ville.

À mesure que la date fatidique approchait, les rues se chargeaient en banderoles, guirlandes, fleurs et tout ce que l’être humain pouvait imaginer de décorations. Des stands étaient montés sur chaque trottoir, une grande scène occupait la place centrale et, si on tendait l’oreille, on pouvait entendre fanfares et chorales répéter divers hymnes. Dans les écoles, on révisait l’histoire, on préparait des pièces de théâtre, on peignait de grandes fresques sur des pancartes.

Au cœur de ce remue-ménage se trouvait Ulysses Bi, maire de la ville depuis bientôt 4 mois et fermement décidé à faire entrer son nom dans la légende presque inexistante de l’île. Ulysses était un homme entre deux âges un peu banal mais très énergique. Il était de ces hommes ambitieux qui tapent du poing sur la table pour appuyer n’importe quel propos pendant que leur ultime mèche de cheveux voletait avec panache dans un courant d’air inexistant pour révéler une calvitie non assumée. L’autorité qu’il dégageait venait plus de la pitié qu’il suscitait que d’un charisme véritable. Toute sa vie il avait eu pour ambition d’être à la tête d’Icarios. Aussi, lorsque sa prise de fonction coïncida avec l’anniversaire de la ville, il – pour parler franchement – ne se sentit plus pisser.

« Mais non, mais non ! Pas comme ça ! Regardez, les couleurs doivent être alternées. AL-TER-NÉES ! »

Ulysses tenait à ce que tout soit parfait dans le moindre détail. Il courrait de droite à gauche, de haut en bas, voire sur place, pour brailler des instructions.

« Non, non, non, non ! Décalez-moi ça à gauche, vous voyez bien que ce stand n’est pas aligné sur les pavés ! »

Les ouvriers hochaient la tête avec patience, effectuaient les changements puis, lorsque le maire courait harceler quelqu’un d’autre, lui adressait en chœur un bras d’honneur.

« Trop haut, ça, l’hymne se chante plus grave, plus solennelle. Vous êtes des professionnels ou pas ? »
« Ils sont en maternelle, monsieur le Maire. »

Les enfants gloussaient en voyant danser la mèche d’Ulysses ; les institutrices attendaient qu’il ait le dos tourné pour lui tirer la langue.

« Attendez, pourquoi la mosaïque n’avance pas plus vite ? Pressez-vous, bon sang de bois ! Que va penser Elbert Plotzker s’il voit une abomination pareille ? »
Que vous êtes un imbécile, pensaient à l’unanimité les carreleurs.

Pour comprendre l’agitation du maire, il est nécessaire de dresser un rapide portrait d’Elbert Plotzker, historien et critique d’art.

L’homme était une figure emblématique de la scène culturelle de South Blue. Il avait autorité sur le bon goût et sa seule approbation propulsait une création au rang de chef d’œuvre. On racontait qu’il avait rencontré les plus grands artistes, qu’il connaissait aussi bien l’histoire du monde parce qu’il l’avait vécu. Né vieux, il donnait l’impression d’avoir toujours été là. Et cet homme prestigieux, Ulysses Bi était parvenu à l’inviter à la cérémonie commémorative du tricentenaire d’Icarios. Au-delà du simple prestige d’avoir un tel invité, Ulysses avait un but : faire entrer La Tapisserie dans « Le guide des merveilles à voir si on ne doit visiter South Blue qu’une seule fois dans sa vie ».

La Tapisserie était un énorme pan de tissu de 15 mètres sur 15 mètres. Elle avait imposé à la mairie où elle était exposée ses dimensions démesurées. Elle datait de la fondation de la ville et en narrait l’histoire. Comme beaucoup de tapisseries, elle n’était pas particulièrement jolie, mais comme elle était vieille et grosse, on la respectait. Elle était la fierté d’Icarios et un véritable trésor aux yeux d’Ulysses, un trésor qui méritait reconnaissance. Si elle venait à être acceptée par Elbert Plotzker, alors Ariadne serait propulsée sur le devant de la scène mondaine.

« Excusez-moi, Monsieur Bi ? »
« Quoi encore ? Vous voyez bien que je suis occupé ! Hey vous ! Où sont les tournesols ? J’avais demandé qu’on plante des tournesols ! »
« Au sujet de La Tapisserie… »
« Oui, eh bien ? Mais nettoyez-moi ces façades, vous voyez bien que la crasse ressort derrière les bannières ! »
« Ne serait-il pas pertinent de la restaurer avant la venue de monsieur Elbert Plotzker ? Pour lui redonner son éclat d’antan, vous voy- »
« Mais bien sûr qu’il le faut ! Pourquoi personne ne s’en est chargé ? Dépêchez-vous, mon vieux, à ce rythme on ne sera jamais prêt pour la cérémonie ! »

Le vieux en question était un jeune secrétaire qui déployait quotidiennement des trésors de patience pour suivre Ulysses. Il rattrapait avec une diplomatie rare les écarts du maire et guidait avec un professionnalisme tout en subtilité le dirigeant. Irwin Pfost était un fonctionnaire extrêmement prometteur dont Ulysses Bi ne réalisait pas la valeur. Et pourtant, c’est bien grâce à Irwin que le drame fut dévoilé au grand jour.
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« Mais pourquoi j’dois t’accompagner ? »
« Parce que j’ai pas envie d’y aller toute seule ! »
« Sher’, t’as pas 8 ans, sérieux. »
« Oh ça va ! Arrête de faire la tronche. »
« J’fais pas la tronche et je t’emmerde. »

Un coup de coude dans les côtes (« Eh ! ») fut la réponse de Sherwood. Arlie, traînée par une Sherwood toujours aussi turbulente, maugréait plus par habitude qu’autre chose.

« En plus tu sais même pas c’qui te veut, Irwin Machin, là. Y pourrait au moins t’filer plus d’infos au lieu de t’sonner comme un larbin. »
« Bah ça doit être pour la fête. T’as vu le maire courir partout, non ? »
« Arrête ! Il a essayé chais pas combien d’fois d’me d’mander de réparer j’sais pas quelle couille. S’il m’tombe dessus à cause de toi… »
« Oui, oui, j’assumerai. »

Il ne fallut que quelques minutes aux jeunes femmes pour atteindre la mairie. Celle-ci était bien sûr en pleine effervescence. Les den-den mushi sonnaient à tout va, des piles de flyers et de programmes s’entassaient sur les tables devant des panneaux d’affichage où les avis de recherche disparaissaient sous des posters promouvant diverses activités saisonnières. Si l’on ajoutait à cela des touristes venus chercher des renseignements à l’office du tourisme adjacente et des locaux présents pour effectuer une démarche quelconque, on avait l’impression de débarquer dans une basse-cour surexcitée.

« Eh beh, tu parles d’un bordel. »
« Pardonnez-moi, mademoiselle Quellette ? »

Arlie sursauta en entendant la voix froide dans son dos. Lorsqu’elle se retourna, ce fut pour tomber nez à nez avec un jeune homme à lunettes dont la posture roide et l’air fermé criait le statut de gratte-papier.

« C’est moi. »
« Je suis Irwin Pfost…
« À tes souhaits. »
…secrétaire de monsieur le Maire. Merci d’avoir fait le déplacement. Si vous voulez bien m’accompagner, Monsieur Bi vous attend. »
« Pas de souci. Ça vous dérange si Arlie nous accompagne ? »

Irwin, qui avait totalement ignoré Arlie jusqu’à présent, se tourna légèrement vers elle, la jaugea des pieds à la tête puis haussa les épaules.

« Ce sera à Monsieur Bi de juger si sa présence lui sied. »
« Super, on vous suit ! »

Le petit groupe entreprit donc de fendre la foule pour rejoindre un petit escalier en colimaçon derrière les bureaux de l’accueil. Ils débouchèrent rapidement dans un long couloir où se croisaient des employés municipaux. Certains avaient des piles de dossiers dans les mains et les transportaient l’air pressé vers un bureau, d’autres discutaient, une tasse de café à la main. La seule chose qui semblait les rassembler était leur manière d’éviter la double porte du fond du couloir. Celle sur laquelle on pouvait lire en capitales dorées « MONSIEUR LE MAIRE ULYSSES BI ». Sans se soucier des regards curieux ou désolés des fonctionnaires, Irwin entraîna d’un pas sûr les deux jeunes femmes vers le bureau du maire. Il frappa respectueusement trois fois, attendit quelques secondes et ouvrit la porte avant de s’effacer devant les deux jeunes femmes pour les laisser entrer.

Ulysses était en train de brailler des ordres dans un den-den mushi lorsque le petit groupe arriva. Il faisait les cent pas en tempêtant contre un interlocuteur remarquablement affable et il lui fallut quelques minutes pour remarquer qu’il n’était plus seul. Pas gêné le moins du monde, il prit le temps de terminer sa conversation et de raccrocher brutalement avant de s’intéresser à ses invités.

« Ah, mademoiselle Quellette, ce n’est pas trop tôt ! »
« Euh… Bonjour. »
« Oui, oui, bonjour. On n’a pas le temps pour les formalités. Suivez-moi donc. Et qu’est-ce que vous faites ici mademoiselle Imam ? Je vous ai dit que je n’acceptais aucun rendez-vous, Irwin, vous m’écoutez parfois ? »
« Mademoiselle Quellette a souhaité être accompagné, monsieur. »
« Ah ? Bon. Bref, pas le temps. Suivez-moi donc. »

Sherwood et Arlie échangèrent un regard éloquent avant de suivre la foulée rapide du maire. Il les traîna dans le même couloir, dans le même escalier pour finalement se trouver à nouveau dans le hall central. Seulement, plutôt que de s’y attarder, le groupe traversa la salle tant bien que mal pour finalement entrer dans la salle des fêtes, fermée pour le moment. C’est là que se trouvait l’imposante tapisserie, dont le motif était familier aux habitants de l’île.

Ulysses s’arrêta finalement devant la tapisserie et la désigna d’un geste théâtral.

« Voilà ! »
« Voilà quoi ? »
« Irwin, contexte ! »
« Oui, monsieur. Pour la cérémonie du tricentenaire d’Ariadne, nous avons l’insigne honneur de recevoir le grand hist… »
« Ouais, ouais, on sait. Elbert Plotzker, grand critique, historien et tout le bordel. »
« Si vous êtes au courant, on va pouvoir gagner du temps. Je veux que la tapisserie soit restaurée pour sa venue, et vous allez vous en charger, mademoiselle Quellette ! »
« Okay, moi je veux bien, mais par contre, elle est où la vraie ? »
« Comment ça ‘la vraie’ ? »
« Oui, la vraie tapisserie. Ça, c’est une fausse. »
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Dire que l’annonce avait fait l’effet d’une bombe aurait été un euphémisme. Non, Sherwood n’avait pas déclenché d’explosion, elle avait provoqué un véritable tremblement de terre. Magnitude 10.

Ulysses était littéralement passé par sept couleurs différentes en l’espace de quatre secondes. Il avait oublié la parole et sa bouche déformée par trop de tics simultanés ne savait plus comment articuler le moindre son. Ses yeux totalement exorbités par la panique communiquaient uniquement une urgence affolée. Quant au reste du corps… En roue libre. Un chaos total de spasmes, de tremblements et de confusion.

Puis soudain, il arrêta tout bonnement de fonctionner.

Sans trop savoir quoi faire, les trois autres protagonistes regardèrent le maire devenir tout à coup très immobile, silencieux. Paisible.
Même Irwin en avait perdu son sang-froid : il avait laissé ses lunettes glisser négligemment le long de son nez.

Finalement, ce fut Arlie qui brisa le silence.

« Putain, Sher’, tu l’as cassé ! »
« J’ai rien fait, moi, je savais pas qu’il allait réagir comme ça ! »
« T’aurais pu y’aller avec un peu de tact, r’garde-moi ça. »
« Eh, je savais pas j’te dis ! Puis c’est trop tard de toute façon. »

Les deux jeunes femmes jetèrent un regard désolé au pauvre homme.

« Euh, on fait quoi maintenant ? »
« Monsieur Fpo… Pf… Euh, je peux vous appeler Irwin ? »
« Non. »
« Bon… Vous avez une idée quand même ? »
« Hm… C’est la première fois que je le vois dans cet état. »

Prudemment, Irwin s’approcha malgré tout.

« Monsieur Bi ? Vous allez bien ? »

Tout d’abord, le maire ne réagit pas. Quelques secondes d’un lourd silence s’écoulèrent. Puis l’épaule d’Ulysses tressauta. Arlie, Sherwood et Irwin retinrent leur souffle. Ulysses releva la tête. Et éclata de rire.


« Ahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahah ! Ahahahahahahahahahahaahahahahahahah ! »
« Ouaip, foutu, bon pour la casse… »
« Monsieur le maire, enfin, calmez-vous ! »

Aussi soudainement qu’il s’était mis à rire, Ulysses s’arrêta tout net et fixa des yeux déments sur Irwin.

« Réparez ça ! Vous devez réparer ça ! Où est la tapisserie ? Vous devez la retrouver ! »

Enfin, il s’évanouit.
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Minuit, l’heure du crime.

Au travers des rainures sur le toit d’une cabane en bois, on distinguait la pleine lune. Les chouettes répondaient aux crapauds de leur hululement moqueur. Les prédateurs nocturnes grognaient et les autres ronflaient. Dans un coin de la cabane où les ombres dansaient à la lueur vacillante d’une bougie, quelques vers à soie dormaient dans leurs confortables cocons. Emmitouflées dans d’épais ponchos, des paquets de friandises étalés entre elles, Sherwood et Arlie ne cherchaient pas le sommeil.

« Rah, j’en ai plein les pattes… »
« Tu m’étonnes. J’ai l’impression d’avoir fait le tour de la ville au moins six fois ! »
« Parce qu’on l’a fait. Avant que tu t’rappelles que tu d’vais aller surveiller j’sais pas quoi. »
« Les vers à soie. Mais ça nous avance pas sur cette fichue tapisserie. »
« J’pensais qu’fouiller les plus grosses bâtisses de la ville ça suffirait. C’est quand même un sacré bordel à planquer un machin pareil ! »
« Et à tisser. 15 mètres sur 15 ! Sérieux, même pour moi ça demanderait un temps de dingue. »
« Rassure-moi, c’est pas toi qui l’a piquée ? »
« Hey ! »
« Je déconne, ça va ! »

Après une tournure d’événement pas vraiment surprenante, Sherwood et Arlie se trouvaient en charge de retrouver la précieuse tapisserie. Si Sherwood avait commencé à maugréer, les yeux brillants d’Arlie à l’idée de jouer les détectives d’un jour l’avaient finalement convaincue.

« Bon, on a besoin d’un plan pour demain. »

Arlie sortit un carnet usé et un crayon de son bleu de travail.

« T’utilises ton carnet de poèmes pour prendre des notes ? Tu veux pas que je te passe du papier ? Je dois en avoir qui traîne… »
« Non, c’est bon. Pis c’est pas un carnet à poèmes, c’est un carnet à bordel. »
« À bordel ? »
« Des poèmes, des notes, des graffitis, du bordel quoi. »
« Fais voir ! »
« Non. »
« Oh allez, tu m’as rien fait lire depuis une éteeeernité. »
« Y’a rien à lire ! Et on a du boulot. »
« T’es pas marrante. T’as écris des trucs douteux que tu veux pas que je lise ? »
« Mais non ! »
« Ah j’en étais sûre, tu rougis ! »
« Fous-moi la paix, je te ferai rien lire du tout ! »
« Que tu crois. »
« Tsss. »

Ignorant le regard suppliant de Sherwood, Arlie ouvrit le carnet sur une double page vierge.

« Bon, r’mettons les choses à plat. D’abord, la mairie. »

***

« Tiens, regarde sur la brochure de la ville : ‘Notre magnifique tapisserie vieille de trois-cent ans est aussi illustre que son auteur est inconnu. Elle représente la glorieuse naissance d’Ariadne et est un chef-d’œuvre de tissage. Exposée à la mairie, sous le regard bienveillant de notre prestigieux maire Ulysses Bi, elle est un symbole incontournable que chacun, habitant comme touriste, est invité à contempler ! Du lundi au vendredi : 10h-12h et 15h-16h30. Plus de renseignements à l’office du tourisme.’ »
« Ouais, super, ça veut dire qu’n’importe qui peut tenter un truc en dehors de ces trois heures et demi d’accès libre. »
« Ou alors, on relève les noms de ceux qui sont venus la voir un peu trop souvent, et on aura un début de liste de suspects… »
« Accès libre, Sher’ ! Y’a pas de liste. »
« Eh, on sait pas tant qu’on n’a pas demandé. Irwin… »
« Monsieur Pfost. »
« Vous avez un registre de visiteurs ? »
« Je crains bien que non. »
« Ah. »

***
Arlie encadra le mot MAIRIE et entreprit de tracer des flèches vers des cercles contenant les mots témoins et suspects.

« La tapisserie est à la mairie, dans une salle ouverte à tous, voire réservée par des particuliers pour des gros événements… »
« Ouais, du coup ça on a la liste des résa, mais on sait pas quand elle a été piquée, donc bon. »
« Puis faudrait être un peu couillon pour essayer de faucher une tapisserie de cette taille au milieu d’une fête. »
« Ou complètement déchiré. »
« Je pense qu’on peut mettre de côté cette hypothèse. »
« Par contre, côté témoins et suspects, on a quand même r'tiré des infos intéressantes… »

***

« Jusqu’à quand il remonte votre registre, madame ? »
« Cinq ans. La salle n’est pas réservée tant que ça, vous savez, monsieur Bi étant très pointilleux sur les conditions… On a beaucoup de pages à combler avant de passer au registre suivant, vous savez. »
« Hm… J’pensais que c’tait plus une question de période que d’papier… »
« Oh vous savez, chaque mairie a son système. Avant, vous savez, j’étais secrétaire pour la mairie de B… »
« Oui, oui, on sait. Vous avez eu des retours bizarres après les réservations, des gens louches, peut-être, des remarques sur la tapisserie ? »
« Oh non, les personnes qui réservent la salle sont très respectueuses, vous savez. La tapisserie est notre trésor, personne n’oserait lui porter préjudice ! Et personne n’a osé, j’espère ? »
« Non, non, tout va bien. On veut juste s’assurer que tout se passe bien pour le tricentenaire… Contrôle de routine, tout ça. »
« Je vois. »
« Et parmi les visiteurs, peut-être, aux horaires d’ouverture ? »
« Oh vous savez, juste l’habituel. Quelques étudiants, des historiens ou des artistes, ce charmant couple qui vient toutes les semaines pour se rappeler leur mariage… Ils sont adorables, vous savez. Mais vous savez, ce sont majori… »
« Woh, attendez deux secondes ! C’qui les niaiseux ? »
« Pardon ? »
« Le couple. »
« Vous les connaissez, vous savez, surtout monsieur Demi, je crois qu’il vient faire réviser sa chaise roulante régulièrement chez vous, non ? »
« Lesley Demi ? »
« Exactement ! »

***

Sous témoins, Arlie inscrivit le nom de la secrétaire puis ajouta le couple de personnes âgées dont elle avait parlé : Lesley Demi et Tracy Zervas.

« Si ces deux-là viennent toutes les semaines, ils auront forcément remarqué quelque chose. »
« Chais pas… Sont un peu bizarres quand même. »

En effet, le vieux couple était connu pour ses excentricités, notamment Lesley dont la chaise roulante était tirée par une mule. La brave bête, réputée aussi vieille que lui, traînait sans fatigue montrer son propriétaire sur les hauteurs de la colline d’Ariadne où ils vivaient. Puis lorsqu’il fallait descendre… Elle courait derrière Lesley qui gérait d’une main de maître les dérapages. Évidemment, un tel mode de transport imposait des freins solides et il passait au moins une fois par mois chez Arlie pour faire réviser son fauteuil. De son côté, Tracy avait la vigueur d’une jeune fille, mais l’opiniâtreté de la mule. Elle parcourait sans problème la ville à pied, portait des charges qui auraient fait reculer certains hommes et était membre de sept associations, une à fréquenter par jour, ainsi qu’une usagère assidue de la bibliothèque d’Arlie. Le couple faisait autour parti du patrimoine de la ville que la tapisserie.

« Bizarres ou pas, c’est notre seule piste. On a fait du porte à porte toute la journée, visité toutes les brocantes, interrogés tous ceux qui avaient de près ou de loin un rapport avec les métiers du fil, mais en vain. »
« Faut juste espérer qu’ils resteront pas planqués d’main. »
« On retournera frapper chez eux, on verra bien… »
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