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Turf war

~ Deux semaines avant ceci~

«Il y avait un petit air frais, cinq heures du matin, environ. J’étais en train d’aller faire une course. Ça faisait au moins trois jours que j’étais à sec. Pas un rond. J’ai enfin pu dénicher un peu de berrys en piquant la sacoche d’une bonne femme qui était partie aux toilettes d’un resto. Donc, Je cherchais mon gars. Inquiète-toi pas, je te dirai pas c’est qui. J’étais juste devant le magasin de sandales, à côté du gros building gris en forme de pâté à la viande. D’habitude, c’est dans ce coin là qu’il traîne… Ben… comme tous les autres, t’sais. I’ sont tous dans les ruines du ‘’center’’. Pis regarde… ça faisait un bon dix minutes que je le cherchais, il a dû changer de place… Je sais pas…

-Tu as quand même réussi à en avoir. On ne fait pas d’overdose avec un sevrage, Katou…

-Ben oui! Mais je ne sais pas c’était qui. Au début c’était juste un mec qui restait en plein milieu de la ruelle. Il était habillé en étrange. Pantalons saumons, veston chromé. Je l’ai contourné en serra fort la sacoche entre dans mes bras. C’est là que je me suis rendue compte que y’avait trois autres gars derrière lui. Ils faisaient la file, par ordre de grandeur. J’ai eu peur. J’ai sursauté, tsé. Un weirdo c’est déjà assez, quatre truites dans du papier d’aluminium, c’est assez effrayant.

Y’en a un qui a claqué dans ses doigts, pis les autres ont suivi. Ils se sont mis à me demander ce que je cherchais, en chantant a capella. «Ça se peut qu’on ait ce que tu veux, mes beau petits yeux» qui m’ont dit. J’les connaissais pas… Ça fait que j’ai hésité… Mais bordel, c’était trop fort, j’suis allée les voir pis je leur ai demandé de me faire pour une soirée. Juste une ou deux doses. Rien de fou. Je sais qui faut pas faire confiance à des push’ que tu ne connais pas, mais là…


-Pis après?

-C’était un peu cher, mais il ça avait d’l’air que c’était de la vraiment bonne beuh. »

Katou levant de peine ses mains pour faire des guillemets dans les airs.

«On a fait nos affaires pis je suis allé un peu plus loin. Là où tu m’as trouvée. J’aime le spot, parce que y’a pas grand monde qui le connais, pis les marches ça fait comme une petite table pour se préparer. J’ai tout cleané la place avec le tampon d’alcool qu’Oh.. Uhm, que mon gars m’a donné, pis c’est en regardant la roche que j’ai hésité. Mais bon… Pendant que j’hésitais, je m’étais déjà roulée la manche et passée le bras dans le garrot. Ce n’était pas comme si j’étais encore plus sur le point de prendre une mauvais décision. Heuheuheu…

J’ai chauffé l’eau. Ça prenait un peu plus de temps à fondre que d’habitude. C’était weird. C’est comme si c’était méchant. Ça s’est mis à faire des bulles d’un coup! Pis y’en avait pu, l’eau n’était plus clair, un peu ocre. genre... C’était weird. Tout ce que je me souviens, c’est de sortir la seringue, la casser, desserrer le rubber que j’avais sur le bras… Pis whoops… du vomi. Je me rappel juste de voir de quoi de scintillant en partant.
»

Les deux amis restèrent en silence un moment. Le bruit du soluté qui coulait doucement donnait le rythme à la pause. Après la deuxième mesure de quatre temps, Katou repris.

«Merci man. Je ne sais pas ce que je serais devenue si tu m’avais pas retrouvée.

-J'suis content que t’ailles mieux. Mais là… tu vas y aller… voir le groupe pour ta dépendance ?

-J’vais essayer… Merci pour les informations. J’vais commencer par essayer de sortir de l’hôpital en vie. Je ne sais même pas comment je vais payer les frais…

-Tu verras avec un prêteur. J’ai un peu d’argent de côté sinon…

-Non man, tu en as besoin toi aussi. Pis tu l'as gagné! Pas comme moi. Vas donc voir Briggano. Dis-lui que j’ai besoin de le voir.

-Regarde Katou, je veux ben t’aider à t’en sortir de cette cochonnerie-là. Pis j’essaye de te protéger du mieux que je peux.  Mais je comprends pas comment ce grand faiseur de steppettes peut t’aider dans une situation pareille. Il a été vu en train de se battre contre le tenancier d’une cantine mobile parce qu’il ne pouvait pas payer son repas. Comment veux-tu qu’il t’aide. Voyons… Je peux pas aller chercher un tout croche de même maintenant. Je suis un Marine! »

Katou sourit, sa lèvre supérieure un peu gênée par les tubes qu’elle avait dans le nez. Son sourire changea en son rire caractéristique.

«Euheuheuhe… Arrête de rigoler, Moumou, tu fais partie de la 257. C’est pas comme si tu étais dans une vraie division. »

Piqué au vif, Moumou se bomba en torse en soufflant du nez. Prenant son souffle, il s’écria :

«La 257 est une vraie division! Arrange-toi pas pour que je te foute une râclée au nom de la loi.

-Monsieur, chut! Baissez le ton dans la chambre, avertit sévèrement une garde malade au moussaillon. D’ailleurs, tout le monde le sait que la 257 ce n’est pas une vraie division.

-Ne parlez pas comme ça du Colonel!!»

La dame le «chuta» de nouveau. En se pinçant l’arche du nez, Moumou tenta de se calmer. Il regarda son amie d’enfance dans les yeux puis détourna le regard.

« J’ai beaucoup de choses à faire. Je ne te promets pas que je vais aller le chercher tout de suite en sortant d’ici, mais si je le croise, je lui en parlerai. Allez… Bye. »

Il quitta la chambre d’hôpital le cœur gros. Première chose qu’il fit en sortant était d’aller fouiller dans tous les afters de la ville afin de trouver ce grand nigaud de Brigg. Il connaissait les bonnes adresses, il devrait le trouver assez facilement.
    Quelle soirée de merde qui commençait. Qui dans la vie avait vraiment envie de commencer leur journée non seulement au début du jour, mais juste après les afters en plus. Sept heures du mat, c’est le moment où les gens de peu de vertu retournent dans leur tanière avec la ferme intention de se reposer. Bien sûr, il fallait que la piaule de Ohwo soit devant un chantier de construction. Ceux-ci pullulaient dans son quartier. Depuis que Manshon s’était fait rasé, les différentes entreprises, de mèches avec la mafia, s’étaient assuré une large part du budget de la reconstruction. Bien sûr, c’était des logements de luxe qu’un cafard comme Ohwo ne pourrait jamais se payer. C’était que ça qui intéressait les architectes et urbanistes ces temps-ci.

    Le dealer regardait les musculeux bonshommes avec leurs massues et marteaux-piqueurs démolir les maisons en ruines en face de chez lui. Ça faisait trois semaines qu’un avis avait été placardé autour, mais tout le monde se disait que ce n’était qu’une grosse farce. Certains locataires étaient en train de se disputer contre un contremaitre alors qu’on détruisait leur demeure à coup de boulets.

    «Quelle journée de merde pour eux, soupira-t-il en prenant une pause pour regarder autour. On est deux.»

    Ohwo les connaissait de vue. Des types pauvres, surement qu’ils finiraient dans la rue. Il les aurait surement comme clients éventuellement. Comme s’il avait besoin de ça, plus de monde à surveiller la nuit. Il tourna le dos à la scène pour aller se faire un thé.

    Après deux ou trois coups de bâton, la braise de la veille était encore assez forte pour faire bouillir sa casserole. Heureusement, pensa-t-il, car il en aura besoin de ce thé s’il veut passer à travers sa «nuit». Tant qu’à avoir un chantier en pleine démolition à cinq mètres de chez soi, il valait mieux pour lui de simplement faire un all-nighter et bosser sur des projets personnels.

    Une fois l’infusion finie, il glissa deux cachets dans le liquide fumant et retourna à la fenêtre. Deux hommes de main tenaient le locataire alors que le casque blanc lui foutait une raclée. Le pauvre type devait avoir dépassé la limite qu’un contremaître pouvait endurer en une matinée. Ils le laissèrent sur le sol alors qu’on finissait d’abattre un lourd mur de pierre. Les vibrations sur le sol firent craqueler le plafond de la piaule d’Ohwo. La poussière tombait dans sa tasse sous son regard impuissant. Ce n’est pas comme si son thé allait être moins santé avec du plâtre dedans.

    Un des travailleurs aperçu Ohwo en train de les reluquer. Il le pointa au patron qui, remontant sa ceinture, décida d’aller s’assurer du silence du voyeur. Ohwo leva la main en signe de «c’est pas la peine» et alla se caller dans son lit le temps que l’effet des comprimés embarque. Une serviette sur les yeux, il pensa à ce qu’il avait à faire : préparer des ensembles d’injection et des doses pour sa prochaine soirée, payer son contact au syndicat pour ne pas qu’on lui casse la gueule comme le type d’en face. Prendre un rendez-vous chez la coiffeuse… aussi.

    La grosse tête du contremaître traversa la fenêtre par laquelle Ohwo les regardait plus tôt. Il resta un moment hébété, ne sachant pas tout à fait comment gérer l’information que cette pièce lui envoyait. Outre Ohwo qui dormait sur un lit de paille et un petit feu qui gardait la pièce dans une pénombre contrôlée, le reste de matériel de chimie d’Ohwo ne pouvait que le laisser dubitatif. Il se racla la gorge.

    «Je n’ai pas besoin de te faire comprendre que chialer ne te servira à rien? »

    Ohwo souleva sa serviette de ses yeux que pour permettre au contremaître de les voir lever lentement au ciel. Piqué au vif, le malabar expira bruyamment, laissant sortir deux nuages de fumée de ses narines.  

    «J’ai douze gars de l’autre côté du mur qui se feront un plaisir de te buter si tu continues à faire ton frais, garçon.»

    Soupirant, le jeune chimiste se leva avec précaution. Ça kickait beaucoup plus tôt que prévu. Il prit son temps pour se rendre jusqu’à la fenêtre en prenant un chemin aléatoire entre tous les instruments en vitre qui jonchait sur le sol.

    «Écoute, mon chum, j’en ai rien à chier de tes affaires. Si tu me touches, ta famille va finir dans un tapis perse au fond des docks alors va voir ailleurs.»

    Évidemment, cette menace motivée par la lourde intoxication d'Ohwo ne sorti qu’en chuchotement incompréhensible. Même le ton ne laissait pas paraître qu’il pouvait s’agir d’une provocation. Pris d’un profond malaise, le contremaître le dévisagea. Jugeant qu’il ne représentait aucune menace, il tourna les talons.

    « C’est bien, retourne voir tes chiens», retorqua Ohwo, toujours dans son langage obscur de défoncé.

    Il se rassit là où il était, à même le sol en terre cuite, et commença à emballer des kits d’injection pour la prochaine nuit. Sa dextérité était encore suffisamment fonctionnelle pour lui permettre de manipuler des tampons et des aiguilles sans problème. Même que lorsqu’il en échappait une, elle revenait dans sa main par un mouvement précis et fluides, comme si il était un adepte de pen spinning en 2009.

    Ohwo perdit la carte un instant. Bien que c’était le rôle qu’il avait choisi de prendre au sein de la communauté de drogués de Manshon, il n’éprouvait pas vraiment de plaisir à s’occuper de la confection de tous les ensembles d’injection sécuritaire. Mais bon, s’il voulait continuer à vendre son stock à du monde vivant, il fallait qu’il s’assure de ne pas les tuer. Ça lui faisait plus de fric, les mafieux et les consommateurs étaient heureux et les marines le connaissaient comme un bon samaritain qui sauve nécessiteux.

    Une fois qu’il reprit ses esprits, Ohwo était dans un tout autre endroit. Il avait pourtant une bonne idée d'où il se trouvait. La sueur de  C’était le nulle part dans lequel Briggiano le traînait lorsqu’il avait besoin de son aide mais qu’il était incapable de se déplacer par lui-même. La bouche pâteuse, le souffle coupé par l’épaule de son ami danseur à chaque fois qu’il prenait un pas, Ohwo lui demanda de le descendre de son dos.

    «On s’en va où, dit donc?
    -Oh, c’est là que tu redeviens lucide ? Tu m’envoyais chier tout le long de la promenade, me disant que moi et mes types de la construction on pouvait bien mourir manger par des chacals.»

    Ohwo rit. Regardant autour de lui pour se situer, il reconnut rapidement la rue sur laquelle se trouvait un l’hôpital du coin. Son air s’assombrit.

    «C’est qui?
    -Katou. La grande blonde de 8 pieds.»


    Dernière édition par Ohwo Dolwa le Dim 8 Juil 2018 - 19:28, édité 1 fois
      Ohwo et Brigg furent accueillit avec la froideur habituelle qu’on leur réservait lorsqu’ils mettaient les pieds dans l’aile de gastro-entérologie. Le commis de plancher leur désigna du bout du nez la salle dans laquelle Katou se reposait. Étant conçue pour des personnes de taille normale, la gigantesque femme ne rentrait pas sur le sens de la longueur et son lit devait être placé perpendiculairement au corridor. C’était amusant de voir ses pieds dépasser du cadre de porte.

      Se faufilant dans le mince espace entre le lit et le cadre, le duo purent se glisser dans la chambre de Katou. Cette dernière regardait déjà vers l’entrée. Les chaînes qui pendaient du phatpant d’Ohwo l’avait alertée.
      D’ailleurs, c’était sa technique pour ne pas faire peur aux consommateurs qui ne l’aurait pas vu arriver. Il avait déjà fait sursauté une héro qui se piquait dans l’œil. Il souhaitait éviter de rendre borgne autrui à l’avenir.

      «Ouin… Tu t’es pas manquée, Grand conne. »

      Bien qu’il appréciait sa cliente régulière, il la trouvait infiniment conne de la voir dans un tel état. Il avait fait avec elle des formations à d’autres usagers des pratiques sécuritaires de consommation. De la voir dans un tel état était désolant. Elle le savait.

      «T’étais où d’abord, hier?

      -Pas de tes maudites affaires j’étais où.»

      Ohwo voulait être sûr de lui montrer qu’il était fâché. C’était plutôt difficile, lui qui est naturellement d’une attitude docile. Il cachait son visage dans son large collet pour éviter qu’elle le remarque, mais, encore une fois, elle le savait.

      «Bon j’ai compris, tu es en colère. Arrête de faire à semblant d’être fâché, tu vas te mettre à pleurer.

      -TG.
      »

      Ohwo renifla. C’est le moment que Briggiano utilisa pour mettre la situation en contexte pour le pusher.

      «Je ne pense pas que tu étais le plus attentif lorsque je te traînais sur mes épaules alors de je vais te réexpliquer la situation, Katou, tu compléteras si tu n’es pas trop crevée. »

      Elle hocha la tête alors que Briggs initia le compte-rendu que lui avait fait Moumou. Bien sûr, il évita de répéter toutes les insultes que le marine avait envoyé au passage, traitant lui et sa bande de sales déchets, de rapaces sans scrupule et d’ennemis du monde civilisé. Les compléments d’informations furent bref, mais important. Apparence que le marine avait évité de dire qu’elle avait fait une overdose pour plutôt choisir la voix du passage au tabac. Il était un type gentil, ce Moumou. C’est difficile aider une amie toxico alors qu’on est dans une organisation aussi stricte que le gouvernement mondial sous l’ordre direct d’un zélé comme le colonel.

      «Tu as pris deux doses, s’assura Ohwo suite au récit. Tu dois me vois venir.»

      Katou ricana. Elle souleva la grosse crinière de dreads et retira de son scalpe un bouchon de bière replié en deux. Rares étaient ceux qui allaient fouiller dans une grosse tignasse de locks avec la réputation hygiénique que ça avait. Heureusement, car sans ces préjugés, sans doute qu’Ohwo serait encore à la case départ. Il prit le bouchon des mains encore tremblante de Katou et le glissa dans une de ses nombreuses poches.

      «Veux-tu que je te tienne au courant des nouvelles? dit-il en lui glissant un clin d’œil.

      -Dès que tu as des nouvelles sur eux.»

      Il hocha la tête en sachant très bien qu’il n’allait pas l’avertir avant de s’assurer que les types qui vendent sur son turf ne soient dans le fond de la marina, bien ficelés dans un tapis persan.

      ***

      De retour dans le taudis d’Ohwo, maintenant ensevelis uniformément d’une fine couche de poussière. Avec l’aide de Briggs, le chimiste libéra sa table de tous les instruments non nécessaires à l’analyse de la substance. Le grand danseur s’avéra fort utile de par son gigantesque souffle qui dépoussiéra rapidement la table.

      «As-tu besoin d’aide pour quelque chose?» demanda Briggs en s’étirant. Lui non plus n’avait pas passé une très longue nuit. Entre la fin de son DJ set au After et la balade dans la ruelle avec Moumou, il n’avait pas pu fermer l’œil un instant.

      «Va faire dodo mon vieux. Je m’occupe de tout, assura Ohwo. Si tu vois Jessu, dis-lui de venir me voir.

      -On m’a appelé?» répondit la grosse tête rose de Jessubel par la fenêtre.

      D’un mouvement fort peu agile pour une fille de sa stature, elle enjamba le cadre de fenêtre pour elle aussi se glisser dans la pénombre. Elle semblait être la seule dans le trio de rescapé qui avait eu un peu de sommeil.

      «Une autre opération accomplie signée Briggiano, s’auto-congratula l’énorme danseur en baillant. Bonne nuit les copains

      Il s’écrasa sur le lit de paille dans un bruit lourd.

      Jessu se glissa derrière Ohwo, son ruban à mesurer à la main. Elle reprenait ses mesures pour lui faire un nouveau costume. Notant tout sur son bras, elle en profita pour se tenir aux nouvelles.

      «T’as l’air préoccupé, Wowo. Pourquoi voulais-tu me voir? Est-ce que c’est pour me remercier de ce super pantalon que tu portes ici? Wahwahwha!...»

      Ohwo sourit, même si ce n’était pas visible sous son gigantesque collet.

      «Non, m’enfin, c’est plutôt pour savoir si tu ne voulais pas aller me chercher Maurisso?

      -Hooooo, souffla la couturière en frissonnant. Pourquoi t’as besoin de parler au patron?

      -Je t’expliquerai en même temps que lui. Je suis beaucoup trop pété pour tout te raconter tout de suite de toute façon. Dis-lui que ça concerne son magot. »

      Le bon vieux truc de tirer le vieux bouc par la bourse, pensa Jessu en terminant de prendre les mesures.

      «Je reviens avec un truc à bouffer, conclut-elle.»
        «Qu’est-ce qui se passe mon petit génie? déclara la voix caverneuse de Maurisso par la fenêtre»

        Ohwo put dire que Maurisso, maréchal de la mafia du coin, arrivait chez lui que par l’air glacial qu’il traînait avec lui. Il émanait une aura d’avarice et d’opportunisme qui refroidissait les ardeurs de bien des petits filous qui s’essayaient à ses dépens. Avec ses épaules voutées, son gros nez de cochon et ses touts petits membres, il avait tout à fait l’air d’un phacochère qui cherche de l’argent dans les moindres recoins et même sous terre. Il imita Jessubel en passant par la fenêtre et c’était la chose la plus drôle qu’Ohwo pouvait imagine. Cela lui requerra une dose surhumaine de self-control pour ne pas s’esclaffer de rire de ce type qui pouvait le tuer en claquant des doigts.

        «Vous pouviez passer par la porte, si vous vouliez, Boss, déclara la couturière en lança le paquet de nouilles aux escargots à Ohwo.
        -Je sais bien hehe, mais j’aime ça faire comme vous. Ça me garde jeune, les jeunes! C’est assez cool. On dit toujours ça cool, hein?»

        Ohwo et Jessu hochèrent la tête avec une approbation mitigée. Maurisso s’installa sur le lit aux côté de Briggiano en maugréant alors qu’Ohwo retirait ses gants pour aller faire bouillir de l’eau.

        «Alors, qu’est-ce qui se passe. Ohwo? »

        L’interpellé lâcha sa casserole pour pointer la petite roche dans un contenant en verre. Il avait passé les deux dernières heures à faire des tests pour tenter de trouver l’origine de cette substance. Le point positif: cet exercice intellectuel intense lui avait permis de le sevrer un peu. Le point négatif: les résultats étaient contrariants.

        «Une consommatrice a failli mourir cette nuit. Un groupe de vendeurs lui a donné ça.»

        Maurisso dévisagea l’éprouvette en la prenant en pincette. Il la renifla pour identifier les effluves habituelles d’ammoniaque.

        «C’est quoi? demanda le gangster en grattant la roche avec ses clés pour y gouter.

        -Je vous conseillerais pas. De un, j’ai jamais vu ça, de deux les tests que j’ai fait ont démontrés que c’est un opiacé 10 x plus puissant que la shit qu’ils ont à Carcimonia et c’est puissant comme du «Koro». Comme les jeunes le disent dans la rue… C’est du nasty shit.»

        Maurisson sourit, malgré le dégoût soudain qu'il éprouva envers la substance. Il aimait que son trio de protégé le garde au courant des dernières expressions de jeunes dans la rue.

        -Pourquoi quelqu’un voudrait vendre un produit aussi vil? questionna Jessu, en versant l’eau sur les nouilles à Ohwo.
        -Un mélange de plein d’affairez : l’appât du gain rapide, un stock chimique dangereux à écouler chez ceux les plus vulnérables, l'inconscience, une pure stupidité…
        -Une tentative de nous mettre des bâtons dans les roues», coupa Maurisso tapant dans son poing.

        Ohwo hocha de nouveau la tête pour confirmer que c’était une possibilité plus que probable. Le jeune vendeur ne faisait pas l’unanimité au sein de la pègre et la protection dont il bénéficiait pouvait sembler injustifiée pour certains. Heureusement, certaines brutes bien placées avaient compris la théorie économique selon laquelle si tu ne tues pas les personnes qui consomment ton produit, tu pourras continuer à leur vendre ledit produit. Cette explication, défendue à merveille par Maurisso, avait fait du chemin dans les têtes avares hauts placés du quartier. Cette position lui allait tout de même bien. Le mercantilisme de ses occupations n’entrait pas en opposition avec ses valeurs. Si tout le monde pouvait profiter du cadeau des cieux qu’est la drogue tout en restant dans un état de santé relativement sain, Ohwo était heureux. C’est pour cela qu’il refusait qu’un nouvel arrivant puisse primo tuer ses clients, et deuxio risquer sa sécurité et son utilité au sein de la communauté d’UDI de Manshon. Personne à part lui avait préséance sur ce terrain de la ville et il avait bien l’intention d’assurer la sécurité de tous.

        Le vendeur comprenait qu’il était dans une situation délicate, car déjà était-il garant de la survie des consommateurs du quartier supervisé par Maumau tout en ayant besoin de faire le plus de blé possible pour compenser les supérieurs, en plus il devait maintenant se débarrasser d’empoisonneurs publics.

        «C’est pas des bonnes nouvelles ça, rumina Maurisso. Tu sais que ça se fait ailleurs sur l’île, hein? Hier, Rodrigo m’a dit qu’une dizaine de personnes sont mortes d’overdose dans la nuit.
        -Le terrain de Rod est une terre sans loi, n’importe qui peut vendre n’importe quoi. Personne n’a expliqué à un consommateur les règles à prendre pour éviter de risquer sa peau. C’est ça qui arrive quand on laisse l’avarice régner, elle se mange comme un serpent bouffe sa queue.
        -N’empêche que ce n’était pas comme ça que ça se passait il y a une semaine de cela, Ohwo. »

        Le trio soupira bruyamment.

        «Je résume, commença Jessu, y’a un groupe qui vend de la beuh qui n’est ni nous, ni propre à la consommation, et en plus, ça serait en représailles à nos activités.
        -C’est sûr que ça parait négatif comme ça… déplora Ohwo en cherchant le soutien de Maurisso.
        -Écoutez les jeunes, conclut-il après une pause, on se tient au courant, je vais faire mes recherches de mon côté. On se reparle bientôt.»

        ***

        Deux jours passèrent sans de nouvelles de Maurisso, ce qui n’était pas étrange de sa part. Après les premiers trois mois de supervision d’Ohwo et sa bande, ce dernier avait vite compris qu’il faisait affaire avec des jeunes gens responsables. Du moins, responsable considérant la racaille avec laquelle il avait l’habitude de travailler. Il ne fallait pas se leurrer. Ohwo allait mourir à 22 ans d’une maladie rénale à la vitesse où il enchaînait la consommation de drogues de synthèse et Brigg se ferait tuer sur le plancher de danse avant de voir la naissance de son troisième enfant illégitime. Jessu allait peut-être survivre plus tard, mais pas plus longtemps que le 7 ans supplémentaire que les démographes accordent aux femmes.

        C’était pourtant deux journées lors desquelles Ohwo eut peu de temps pour se concentrer à ses activités de consommation préférées ( aller danser, parler de drogue, écumer, etc… ) pour s’occuper de nombreux cas d’overdose qu’on lui rapportait dans les rues. Non seulement on tuait sa clientèle, mais en plus on le forçait à perdre son temps de vente pour sauver des vies. Comprenons-nous, Ohwo appréciait beaucoup sauver des vies, mais il aimait aussi beaucoup l’argent.

        C’est alors qu’il venait de terminer une nuit où il avait plus dépensé en méthadone que fait de profit en stimulant qu’un grand type à chapeau blanc enrobé dans un imperméable vint à sa rencontre. Lui disant qu’il était envoyé par Maurisso et que celui-ci désirait lui parler.
          -Au lendemain de la rencontre entre Ohwo, Jessu et Maurisso-

          Maurisso tenait son chapeau bien serré dans ses mains. Il détestait aller voir Don Gorgona. Même si celui-ci avait toujours été assez généreux envers lui, son regard de glace et sa position influente au sein d’une des familles les plus violentes de Manshon faisait frémir le petit gangster jusqu’au bout de son cigare. La façon dont il avait acquis le nom de «Gorgona» avait de quoi en effrayer plus d’un. Ce serait sa façon préférée de se débarrasser des emmerdeurs que de les couler dans le béton. Il ne se contentait pas de faire de joli chaussures et de remplir les eaux des docks comme le font habituellement les amateurs. Depuis la destruction du centre-ville de Manshon, on disait que tous les nouveaux bâtiments construits contiennent des règlements de compte de Don Gorgona dans leurs fondations. Une histoire de fantôme notoire était issue d’une de ces exécutions bâclées. Dans le plancher d’un commerce, on aurait aperçu une main bien baguée faire des coucous, sous un comptoir. Cette main fut identifiée comme celle d’un chanteur populaire ouvertement pour la lutte aux opiacés. Depuis, le fantôme de Johnny Lapointe hantait les rues fréquentées par les junkies.

          Gorgona, de son vrai nom Joseph Janson, n’avait pas plus d’affection pour Maurisso qu’il en avait pour les quidams dans le fond de la mer. Le développement durable en vente de drogue que prônait le businessman n’était qu’une façon de lui permettre de se remplir les poches et venait à l’encontre de ses habituelles pratiques qui elles découlaient plus du capitalisme sauvage. Sauvage dans ce sens prenait la forme de coups de poing sur la gueule, plus souvent qu’autrement…

          Il ravala néanmoins l’envie de frapper le petit homme véreux une fois qu’il déposa les recettes du dernier mois. Celui-ci les soupesa de sa large main aux jointures écorchées, puis parut satisfait. Il invita Maurisso à s’asseoir sur le sofa qu’il lui réservait habituellement.

          «Tu comptais me voir personnellement, aujourd’hui? Tu m’envoies toujours ton gros danseur qui pue. Est-il enfin mort?

          -Brigg va pour le mieux, souffla Maurisso en tentant de ne pas s’énerver. Merci de vous inquiéter, Patron.

          -Alors qu’est-ce qui t’amène aujourd’hui, demanda Gorgona en débouchant la flasque d’eau de vie qui trônait sur sa commode. Whisky? »

          Le protecteur d’Ohwo regarda le liquide doré avec épouvante. Il connaissait les l’habitude de Gorgona d’ingérer des quantités minimes de poison pour éviter de bêtement se tuer en rassasiant son alcoolisme. Depuis le temps qu’il adhérait à cette pratique, ses micro-doses devaient être suffisante pour l’envoyer six pieds sous terre d’ici la fin de l’après-midi.

          «Oui, alors… c’est au sujet d’incidents sur le territoire de que je dessers…»

          Gorgona écouta impassible le récit de Maurisso. Lorsque ce dernier eut fini, il laissa tomber une exclamation de rire avant de reprendre son sérieux. Il en avait que faire que son sous-fifre perde de l’argent en suivant les principes stupides de réduction des méfaits de son poulin. Et il en avait encore moins à chier que des junkies meurent.

          «Donc si je comprends bien, ton système ne marche pas, déclara le patron en sifflant entre ses dents.

          -Et bien, si vous aviez des indices sur les personnes qui nous mettent des bâtons dans les roues, nous pourrions le faire fonctionner. Mes effectifs sont minces et nous n’avons pas su trouver les coupables.

          -J’ai ma petite idée,» répondit Gorgona en calant son verre.

          Il fit volte-face et attrapa son escargophone.

          «Faites entrer Lou Pearljam. »

          La porte du bureau s’ouvrit, laissant entrer la masse lubrique qu’est Lou Pearljam. Ce gros connard, toujours accompagné des petits garçons, faisait bonne impression auprès des Grante. Il travaillait comme gérant d’artiste tout, mais maintenant, il faisait fortune dans l’immobilier. Il avait financé la construction de nombreux contrats qu’il avait gracieusement offert ses amis des Manicelli. Maintenant il faisait bonne figure dans les deux maisons et était vu comme une super star qui assurait un saine cordialité entre les deux familles. S’était-il acoquiné d’un gradé chez les Bambana?

          Dévisageant le Maurisso, il alla s’asseoir à ses côtés. Le regard de désapprobation du mondain le soulageait. Si une ordure comme lui le méprisait, ça voulait dire qu’il avait encore un peu de bien en lui.

          «Dit moi, Lou, commença Gorgona, as-tu entendu parler d’un groupe de vendeur de drogues qui opère sur son territoire?

          -Ho siii, ho sii! S’extasia l’agent tapant des mains. C’est mon groupe, mes nouveaux poulains! Ils bâtissent leur «street cred» avant de lancer leur prochain tube. On s’est dit qu’en vendant de la drogue à gros prix à des galeux, ça allait nous financer tout en leur donnant une image de durs à cuir. »

          Maurisso n’en pouvait plus. Il sauta au cou du gros impressario.

          «Simple fou! As-tu seulement une idée de ce que tu es en train de détruire?

          -Aidez-moi, Joseph! À l’aide! »

          Il fallut que Gorgona s’en mêle lui-même pour cesser l’étranglement de Maurisso.

          «Cesse, espèce de crétin! Je lui ai permis de vendre sur ton terrain. Si tu veux reprendre ton terrain, tu m’amènes plus que lui ou vous réglez ça dehors. »

          Pour le narguer, Lou sorti de sa sacoche un sac d’argent beaucoup plus important que celui que Maurisso avait amener plus tôt. Gorgona prit le sac et le soupesa de sa main, puis, visiblement réjouit, sera le gros gérant d'artiste dans ses bras. Voyant qu’il ne pourrait gagner son patron ni par le gain, ni par les émotions, il sorti du bureau en rageant.

          «Je vais me venger, hurla l’impressario alors que son assaillant franchissait la porte. On n'agresse pas Lou Pearlman en restant impuni! Mes poulains vont tuer tes sales vendeurs de merde. Ça leur bâtira une superbe réputation, et on financera leurs funérailles avec l’argent des ventes!»