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Mort aux rats

William s'avança lentement sur le pont, incapable de faire disparaître le stress qui l'avait envahi. Il allait aux devants d'une mort certaine. Therick, le contremaître du chantier, lui apparut enfin. Le jeune artilleur s'approcha de lui. C'était comme si le temps ralentissait un peu plus son court à chacun de ses pas. Il faisait comme abstraction de tout ce qui pouvait se passer autour de lui, se concentrant sur le colosse qui tenait les plans de La Ratelière entre ses mains. L'artificier ferait sauter le bâtiment de guerre en construction, quoi qu'il lui en coûte. Il savait pertinemment qu'il faudrait dégager une puissance colossale pour déchirer un navire de cette taille dans une explosion. Il fallait infliger suffisamment de dommages structurels pour qu'une reconstruction ne soit pas possible. Le bois d'épaves qui était utilisé pour constituer la charpente aiderait certainement William de par sa fragilité relative. Mais le souffle devrait tout de même dégager une puissance fabuleuse pour atteindre son objectif. Le jeune homme aborda enfin le molosse, qui jetait un regard distrait sur les ouvriers qui s'activaient sur ce qui devait certainement être le second pont, à en juger par les poutres qui continuaient de s'élancer vers le plafond de la caverne. L'angoisse de l'artilleur se transforma en terreur et sa voix faillit défaillir.

"Therick, j'ai un problème avec un canon et j'aimerai que tu viennes y jeter un oeil."

Le contremaître leva un sourcil comme seule réponse. Il restait impassible, comme sourd à la requête de son esclave. William jeta un coup d’œil autour de lui: il ne pouvait user de la force sans risquer d'être abattu par la légion de gardes qui surveillaient le pont. Il devait absolument réussir à traîner sa cible dans les entrailles du navire. Le jeune homme essaya de se montrer plus convaincant.

"C'est juste que.. si je me plante je risque de faire sauter toute la section dans laquelle je travaille. Je pourrai le faire seul mais j'imagine que tu préférerais éviter un contretemps du genre.. Et puis j'aimerai garder ma.."

"Boucle-la, tu me casses les oreilles."

La voix du géant était étrangement plus mélodieuse que ce qu'avait pu imaginer le jeune homme. Il n'eut pas le temps de s'étendre en de plus grandes considérations que Therick l'attrapait par l'épaule et le traînait dans la direction qu'il souhaitait. William ne pouvait pas croire que ce fut aussi facile de convaincre le contremaître de s'isoler au niveau des canons de la sorte. A bien y réfléchir, l'artilleur n'était pas censé être armé et son physique n'augurait pas grand chose en comparaison avec celui du colosse. Il baissait sa garde, il sous-estimait totalement les capacités de son esclave. Ce dernier ne put réprimer une sorte de sourire sadique à la commissure de ses lèvres. Pour une fois, ce ne serait pas lui la victime de sa naïveté. Ils ne mirent pas bien longtemps à rejoindre l'amas de canons qu'avait sabotés le jeune homme. Ils semblaient en état de marche alors qu'ils étaient tout bonnement prêt à sauter à la première utilisation. Therick s'approcha de la pièce d'artillerie que William avait laissé de côté la veille. Le jeune homme en profita pour chercher le pistolet qui traînait dans la doublure de son pantalon. Il l'attrapa et le glissa rapidement à l'arrière de sa ceinture, avant de s'approcher lentement du colosse. Ce dernier s'était penché sur le canon pour l'inspecter et ne tarderait pas à se douter du traquenard. Il posa les plans qu'il tenait dans sa main au sol et plaça ses deux mains sur le fût de la pièce. L'artificier sauta sur l'occasion. Le temps sembla ralentir de nouveau alors qu'il tirait l'arme à feu de sa ceinture et plaçait la tête de sa cible dans la lignée de la mire.

"Therick."

Il se retourna au moment où le coup de feu partit. La balle fila à travers l'air avant de se loger dans son visage. Une gerbe de sang tapissa le plancher tandis que le contremaître était projeté par l'impact contre la bouche du canon qu'il inspectait. William cria victoire trop vite en s'approchant. Il avança sa main vers les plans qui demeuraient au sol quand un coup de point vint le cueillir au creux du ventre. Il recula en se courbant, son souffle coupé par l'attaque. Un coup de genou trouva son menton et le projeta au sol. Il serra son arme de toutes ses forces pour ne pas la laisser échapper. Le bruit du chantier avait peut-être couvert la détonation mais il ne pouvait en être sûr. Des gardes pouvaient arriver à tout moment et c'en serait fini de lui. La douleur parcourait tout son corps mais les souffrances qu'il avait endurées jusque là l'avait endurci. Il prit sur lui et mit en joue Therick qui s'approchait, avec un regard plein de fureur et un tison à la main. Il tira, à deux reprises. La première balle se logea dans l'épaule du rat sans qu'il ne bronche. La deuxième alla trouer l'un de ses poumons. Cela ne l'empêcha pas de lever son arme pour l'abattre avec force violence sur l'artilleur. William eut le réflexe de rouler sur le côté et il préserva ainsi l'intégrité de son crâne. Il se releva rapidement malgré le tournis, qui subsistait après le coup de genou, et se plaça derrière le géant. Ce dernier voulut se retourner d'un mouvement vif pour venir mordre les côtes du jeune homme avec son arme. Il vacilla pendant sa rotation et s'effondra au sol, laissant échapper le tison dans le même temps. Il vivait toujours, ses yeux grands ouverts, alors qu'il était probablement en train de se noyer dans son sang. L'artificier le dévisagea quelques secondes, hésitant à lui donner délivrance. Mais il se ravisa, pressé par le temps et ne souffrant d'aucune empathie pour tel homme. Il ramassa les plans et allait repartir quand une frayeur traversa son échine. Therick s'était relevé dans un dernier souffle et se jeta sur le jeune homme. Il attrapa son bras gauche et lui insuffla un mouvement peu naturel. Un craquement déchira l'air et William retint un hurlement alors que le colosse tombait mort, achevé par son dernier effort. Il regarda son bras qui venait juste d'être cassé. Les larmes coulaient sur ses joues sous l'intensité de la douleur mais il se devait de continuer. Il était trop tard pour faire marche arrière. Il avisait l'escalier qui s'enfonçait dans les entrailles du navire, juste à quelques pas de lui, quand une lance de fortune se planta à ses pieds. Il jeta un bref regard à sa gauche pour apercevoir les gardes qui se ruaient dans sa direction.

"ATTRAPEZ-LE! TUEZ-MOI CETTE ENFLURE!"

William tira deux coups de feu dans leur direction pour vider son barillet avant de descendre les marches quatre à quatre. Il lui sembla voir l'un des rats s'effondré, touché à un point vital par les coups de feu. Le bras du jeune homme continuait de vibrer mais il essayait d'utiliser la douleur comme stimulant dans sa course. S'il venait à faiblir, le trépas l'attendrait avec certitude. Il tenait les plans dans la main gauche. Il lui fallait absolument trouver un endroit au calme pour pouvoir déchiffrer les plans, pour trouver l'endroit qui serait le plus propice au déclenchement d'une explosion. Il s'arrêta au niveau du quatrième pont et courut entre la multitude de pièces qui composaient l'étage. Il trouva un escalier dérobé qui s'enfonçait plus profondément encore dans les étages inférieurs. Il l'emprunta et répéta la manœuvre sur le cinquième pont. Le navire était un véritable dédale. William était déjà persuadé d'avoir semé les gardes mais l'angoisse ne le lâchait plus. Il risquait sa vie et l'idée de la perdre au fond d'un trou pareil l'effrayait au plus haut point. Alors qu'il passait devant une file de chambres, il décida soudainement de s'engouffrer dans l'une d'elle. Il avisa un espèce d'interstice entre une armoire et un lit superposé, qui lui laissait juste assez de place pour se dissimuler. Il s'y engouffra et jeta enfin un œil sur les sept feuillets qui composaient la liasse du plan. Il se concentra et chercha le point sensible du navire. Celui où il devrait concentrer tout les explosifs qu'il pourrait trouver.