Bordel que j'étais content lorsqu'on a fait une halte à Poiscaille pour s'approvisionner ! Parce que putain : boire de la flotte en étant entouré de flotte et d'un tas de mousses aux allures de fiottes... Ras l'asperge ! Au moins, le sergent Badir a pris l'initiative d'emporter quelques tonneaux de vinasse pour se nettoyer le gosier en partant. Parce que maintenant se pose un nouveau problème : on a tellement de poisson dans les cales qu'on risque d'en bouffer à chaque repas ! Midi et soir ! Et je ne plaisante pas !
- A te voir, on croirait que t'aimes pas le poisson. Un comble pour un type du Rocher si tu veux mon avis.
- Ta gueule et mange.
Le blondinet à l'air moqueur qui s'est permis de s'installer à ma droite sur la table à manger de l'équipage, c'est Abel Denuy, mon nouvel associé depuis mon escale sur Hinu Town. Une sacrée langue de vipère, capable de t'enculer au moindre signe de faiblesse comme une pute du rayon "Dominatrices". En ce moment, il est censé jouer le rôle d'un secrétaire d'Etat en mission diplomatique pour le Gouvernement Mondial. Une couverture difficilement acquise à ce que j'ai cru comprendre. Mais étant un ancien sbire du Serpent de Dentelles, ça ne m'étonne guère : cette bougresse écailleuse possède le réseau de renseignement le plus dangereux de West Blue, si ce n'est de toutes les Blues réunies.
Je suis bien content d'avoir pu lui rabattre son caquet à celle-là. Enfin le problème étant réglé, je profite de la position factice de ce sale rat pour traverser la zone peinard et rejoindre prochainement GrandLine.
J'entame enfin mon assiette, après un soupir d'agacement en voyant le nombre d'arêtes à retirer, et jette un œil autour de moi.
Tous mes hommes sont présents. Des esclaves obtenus suite à mon travail au Royaume de Saint-Uréa. De solides gaillards particulièrement obéissants. Leur présence me fait sourire : je peux m'entraîner sur eux à chaque instant, pour le jour où je deviendrai roi. N'oublions pas que c'est mon but. Mêlé à eux, les soldats de la Marine. Des nouvelles recrues reléguées aux corvées jusqu'aux troufions bien rasés en passant par les rares sous-officiers présents, il y en a pour tous les goûts. La plupart ont été formés sur Hinu Town et sont capables d'endurer tous les maux du désert. Mais la vie en mer est une autre paire de manche : j'en ai vu deux ou trois qui supportaient mal la houle et qui ont compris le sens du mot "équilibre" de leur foutu manuel étique.
Oui, je l'ai lu. C'est super chiant, mais au moins ça brûle bien l'hiver ! On trouve toujours de l'utilité aux vieilles choses avec le recul.
- Je peux m'asseoir ici ?
Je lève la tête. Je vois une femme. Je l'ignore. Je retourne à mon assiette. Je lève ma fourchette. Je stoppe mon geste au moment de la béquée. Je relève la tête. Je cligne des yeux. Elle est réelle. Oh putain.
- Mais t'es qui toi ?
Elle a les cheveux mi-longs, une frange droite, une paire de binocles rectangulaires, une chemise sous un habit noir de bonne facture, deux jolies bosses au niveau du poitrail, et une posture de première de classe : toute raide avec les sourcils froncés et les lèvres pincées. Elle a l'air jeune, et pourtant... Elle me rappelle ma nourrice. Ça remonte à un bail, mais je me souviens bien de sa tronche de préceptrice et ses remarques moralisatrices sur la bienséance et le respect. Obligé qu'elles soient de la même famille :
- Emma Teska. Journaliste. Et vous êtes ?
- Dorian Bobard. Au service de c'monsieur à ma droite.
- "Bobard" vous dîtes ?
- Ouep. L'contraire de bâbord quoi. Y parait qu'Tribord était déjà pris.
- Vous vous fichez de moi ?
- Non.
Oh que oui.
- Et qu'est-c'qui t'amène sur ce navire ?
- J'étais de passage à Poiscaille pour un article. Je devais quitter les lieux et rejoindre GrandLine pour une nouvelle piste et j'ai appris que vous vous y dirigiez. Étant donné que mon service travaille directement avec la Marine et les affaires qui y sont reliées, j'ai pu convaincre l'officier en charge de m'accepter à bord moyennant discrétion et bonne conduite.
- Ça m'parait pas très net comme histoire...
- Rien n'est jamais net si vous voulez mon avis. Si la Marine veut garder bonne figure, elle doit s'assurer de bonnes relations avec ceux qui possèdent le pouvoir de l'information. En un sens, c'est logique.
- Et ça t'dérange pas d'dire ça devant lui ?
Je bouge la tête en direction d'Abel, lequel lève un œil, faussement désintéressé de notre conversation, puis hausse les épaules :
- Elle n'a pas spécialement tord.
- "Lui" au moins est un homme intelligent.
Ah la salope.
- Bon. J'suppose que t'avais envie d'causer de quelque chose non ? Sinon tu t'serais posée là où il y a d'la place, pas avec nous. Surtout si tu dois t'faire discrète.
- ... C'est vrai. J'étais curieuse.
- Curieuse ? De quoi ?
- Mon métier implique beaucoup de bon sens. D'un point de vue physionomique et relationnel. Vous êtes différents des autres personnes à bord.
- ... Eh beh ! T'es vraiment forte dis donc. C'est vrai qu'personne s'en s'rait rendu compte, malgré le fait qu'on ait pas d'uniforme !
- Très drôle. Je parle de ce que vous représentez. Puisque cet homme-là est quelqu'un d'important pour vous et le sergent...
- Attendez, le sergent vous a dit pour...
- ... ça prend tout son sens. Mais vous c'est encore différent. Vous avez l'air de quelqu'un qui a vu beaucoup de choses.
- T'imagines même pas.
- Je sens de l'expérience. Beaucoup d'expérience en vous. Il est normal que je sois intriguée. Donc, j'ai décidé de prendre de votre temps.
- ... Quoi ?
- Un peu de compagnie ne me fera pas de mal. Ni à vous d'ailleurs ! Surtout avec votre caractère.
- Quoi ?!
- Et puis j'aurais sûrement l'occasion de m'instruire. Peut-être même de trouver une idée d'article ! Un petit mot dans la gazette sur un garde du corps en service. Ca pourrait être vendeur...
- QUOI ?
- C'est une façon pour vous de dire "oui" ?
- Bien sûr que n...
- Formidable ! Je vous laisse, j'ai à faire pour l'instant. A plus tard, monsieur "Bobard".
Mais... Que... Connasse ! Je vais me la faire !
Et cet enfoiré d'Abel n'a rien dit pour m'aider. Pire : il se retient d'éclater de rire juste à côté de moi. ET JE NE PEUX PAS LUI EN COLLER UNE ! Je n'ai plus faim.
- Bordel de merde ! Ça m'les brise !
- Hé, reste là... Ahah... Allez quoi-ah : finis au moins ton assiette.
- J'm'en fiche.
- C'est pas très écolo.
- Comme si t'en avais quelque chose à foutre.
Bougon, je quitte les lieux en tapant des pieds. Si un seul des types présents me traite de gosse, je lui fais renifler son propre derrière après un exercice forcé d'assouplissement.
Je pars me calmer sur le pont. Je m'appuie contre la rambarde et regarde la mer. Celle-ci est plutôt calme. Le ciel est dégagé et le soleil se situe bien haut au dessus de ma tête. Il est midi passé. Je tend le bras, comme pour tenter de l'attraper. Seule sa chaleur vient se coller à la paume de ma main et s'insinuer petit à petit dans les pores de ma peau. Je ne touche rien, je devrai être frustré d'être aussi loin de mon objectif. Mais d'un autre côté, cela m’apaise. Il reste tant à faire, ce qui veut dire aussi que beaucoup d'événements attendus et inattendus vont avoir lieu entre temps. Ça a un côté palpitant.
A l'idée du nombre d'individus qui se dressent encore entre moi et le trône, je frémis d'excitation. au programme : alliances, trahisons, coups bas, batailles, meurtres, torture, domination... Beaucoup de sang en perspective. Quelques pleurs en bonus, avec un brin de regards désespérés... Le tout pour me donner un sentiment de puissance. Se savoir supérieur. Pouvoir décider de la vie ou de la mort d'autrui... C'est jouissif.
Le bonheur m'attend.
Je fais volte-face.
J'ai senti quelque chose. Un truc désagréable. Ça m'a fait frissonner et, l'espace d'un instant, j'ai cru que ma vie était en danger. Je suis un poil paranoïaque, c'est vrai. Mais là c'était plus qu'une simple crise d'inconfort. Ça a beau avoir disparu, c'était réel. Trop réel.
Je plisse le front et serre la mâchoire, une main sur mon bâton d'argent. Quelqu'un m'observait. Il va falloir enquêter.
Je me surprend à sourire.
Voilà mon premier événement inattendu.
- A te voir, on croirait que t'aimes pas le poisson. Un comble pour un type du Rocher si tu veux mon avis.
- Ta gueule et mange.
Le blondinet à l'air moqueur qui s'est permis de s'installer à ma droite sur la table à manger de l'équipage, c'est Abel Denuy, mon nouvel associé depuis mon escale sur Hinu Town. Une sacrée langue de vipère, capable de t'enculer au moindre signe de faiblesse comme une pute du rayon "Dominatrices". En ce moment, il est censé jouer le rôle d'un secrétaire d'Etat en mission diplomatique pour le Gouvernement Mondial. Une couverture difficilement acquise à ce que j'ai cru comprendre. Mais étant un ancien sbire du Serpent de Dentelles, ça ne m'étonne guère : cette bougresse écailleuse possède le réseau de renseignement le plus dangereux de West Blue, si ce n'est de toutes les Blues réunies.
Je suis bien content d'avoir pu lui rabattre son caquet à celle-là. Enfin le problème étant réglé, je profite de la position factice de ce sale rat pour traverser la zone peinard et rejoindre prochainement GrandLine.
J'entame enfin mon assiette, après un soupir d'agacement en voyant le nombre d'arêtes à retirer, et jette un œil autour de moi.
Tous mes hommes sont présents. Des esclaves obtenus suite à mon travail au Royaume de Saint-Uréa. De solides gaillards particulièrement obéissants. Leur présence me fait sourire : je peux m'entraîner sur eux à chaque instant, pour le jour où je deviendrai roi. N'oublions pas que c'est mon but. Mêlé à eux, les soldats de la Marine. Des nouvelles recrues reléguées aux corvées jusqu'aux troufions bien rasés en passant par les rares sous-officiers présents, il y en a pour tous les goûts. La plupart ont été formés sur Hinu Town et sont capables d'endurer tous les maux du désert. Mais la vie en mer est une autre paire de manche : j'en ai vu deux ou trois qui supportaient mal la houle et qui ont compris le sens du mot "équilibre" de leur foutu manuel étique.
Oui, je l'ai lu. C'est super chiant, mais au moins ça brûle bien l'hiver ! On trouve toujours de l'utilité aux vieilles choses avec le recul.
- Je peux m'asseoir ici ?
Je lève la tête. Je vois une femme. Je l'ignore. Je retourne à mon assiette. Je lève ma fourchette. Je stoppe mon geste au moment de la béquée. Je relève la tête. Je cligne des yeux. Elle est réelle. Oh putain.
- Mais t'es qui toi ?
Elle a les cheveux mi-longs, une frange droite, une paire de binocles rectangulaires, une chemise sous un habit noir de bonne facture, deux jolies bosses au niveau du poitrail, et une posture de première de classe : toute raide avec les sourcils froncés et les lèvres pincées. Elle a l'air jeune, et pourtant... Elle me rappelle ma nourrice. Ça remonte à un bail, mais je me souviens bien de sa tronche de préceptrice et ses remarques moralisatrices sur la bienséance et le respect. Obligé qu'elles soient de la même famille :
- Emma Teska. Journaliste. Et vous êtes ?
- Dorian Bobard. Au service de c'monsieur à ma droite.
- "Bobard" vous dîtes ?
- Ouep. L'contraire de bâbord quoi. Y parait qu'Tribord était déjà pris.
- Vous vous fichez de moi ?
- Non.
Oh que oui.
- Et qu'est-c'qui t'amène sur ce navire ?
- J'étais de passage à Poiscaille pour un article. Je devais quitter les lieux et rejoindre GrandLine pour une nouvelle piste et j'ai appris que vous vous y dirigiez. Étant donné que mon service travaille directement avec la Marine et les affaires qui y sont reliées, j'ai pu convaincre l'officier en charge de m'accepter à bord moyennant discrétion et bonne conduite.
- Ça m'parait pas très net comme histoire...
- Rien n'est jamais net si vous voulez mon avis. Si la Marine veut garder bonne figure, elle doit s'assurer de bonnes relations avec ceux qui possèdent le pouvoir de l'information. En un sens, c'est logique.
- Et ça t'dérange pas d'dire ça devant lui ?
Je bouge la tête en direction d'Abel, lequel lève un œil, faussement désintéressé de notre conversation, puis hausse les épaules :
- Elle n'a pas spécialement tord.
- "Lui" au moins est un homme intelligent.
Ah la salope.
- Bon. J'suppose que t'avais envie d'causer de quelque chose non ? Sinon tu t'serais posée là où il y a d'la place, pas avec nous. Surtout si tu dois t'faire discrète.
- ... C'est vrai. J'étais curieuse.
- Curieuse ? De quoi ?
- Mon métier implique beaucoup de bon sens. D'un point de vue physionomique et relationnel. Vous êtes différents des autres personnes à bord.
- ... Eh beh ! T'es vraiment forte dis donc. C'est vrai qu'personne s'en s'rait rendu compte, malgré le fait qu'on ait pas d'uniforme !
- Très drôle. Je parle de ce que vous représentez. Puisque cet homme-là est quelqu'un d'important pour vous et le sergent...
- Attendez, le sergent vous a dit pour...
- ... ça prend tout son sens. Mais vous c'est encore différent. Vous avez l'air de quelqu'un qui a vu beaucoup de choses.
- T'imagines même pas.
- Je sens de l'expérience. Beaucoup d'expérience en vous. Il est normal que je sois intriguée. Donc, j'ai décidé de prendre de votre temps.
- ... Quoi ?
- Un peu de compagnie ne me fera pas de mal. Ni à vous d'ailleurs ! Surtout avec votre caractère.
- Quoi ?!
- Et puis j'aurais sûrement l'occasion de m'instruire. Peut-être même de trouver une idée d'article ! Un petit mot dans la gazette sur un garde du corps en service. Ca pourrait être vendeur...
- QUOI ?
- C'est une façon pour vous de dire "oui" ?
- Bien sûr que n...
- Formidable ! Je vous laisse, j'ai à faire pour l'instant. A plus tard, monsieur "Bobard".
Mais... Que... Connasse ! Je vais me la faire !
Et cet enfoiré d'Abel n'a rien dit pour m'aider. Pire : il se retient d'éclater de rire juste à côté de moi. ET JE NE PEUX PAS LUI EN COLLER UNE ! Je n'ai plus faim.
- Bordel de merde ! Ça m'les brise !
- Hé, reste là... Ahah... Allez quoi-ah : finis au moins ton assiette.
- J'm'en fiche.
- C'est pas très écolo.
- Comme si t'en avais quelque chose à foutre.
Bougon, je quitte les lieux en tapant des pieds. Si un seul des types présents me traite de gosse, je lui fais renifler son propre derrière après un exercice forcé d'assouplissement.
Je pars me calmer sur le pont. Je m'appuie contre la rambarde et regarde la mer. Celle-ci est plutôt calme. Le ciel est dégagé et le soleil se situe bien haut au dessus de ma tête. Il est midi passé. Je tend le bras, comme pour tenter de l'attraper. Seule sa chaleur vient se coller à la paume de ma main et s'insinuer petit à petit dans les pores de ma peau. Je ne touche rien, je devrai être frustré d'être aussi loin de mon objectif. Mais d'un autre côté, cela m’apaise. Il reste tant à faire, ce qui veut dire aussi que beaucoup d'événements attendus et inattendus vont avoir lieu entre temps. Ça a un côté palpitant.
A l'idée du nombre d'individus qui se dressent encore entre moi et le trône, je frémis d'excitation. au programme : alliances, trahisons, coups bas, batailles, meurtres, torture, domination... Beaucoup de sang en perspective. Quelques pleurs en bonus, avec un brin de regards désespérés... Le tout pour me donner un sentiment de puissance. Se savoir supérieur. Pouvoir décider de la vie ou de la mort d'autrui... C'est jouissif.
Le bonheur m'attend.
Je fais volte-face.
J'ai senti quelque chose. Un truc désagréable. Ça m'a fait frissonner et, l'espace d'un instant, j'ai cru que ma vie était en danger. Je suis un poil paranoïaque, c'est vrai. Mais là c'était plus qu'une simple crise d'inconfort. Ça a beau avoir disparu, c'était réel. Trop réel.
Je plisse le front et serre la mâchoire, une main sur mon bâton d'argent. Quelqu'un m'observait. Il va falloir enquêter.
Je me surprend à sourire.
Voilà mon premier événement inattendu.