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Panique sur les rails

J’avais beau être matinal, j’avais quand même assez mal. Il devait être quatre heures du matin lorsque mon réveil m’extirpa de mon sommeil. Le pire, c’était que ce celui-ci fut d’une très courte durée. À chaque fois que mes yeux se fermaient, l’image du cadavre de Doroteo m’apparaissait et me réveillait en sursaut. Et, si ce n’était pas lui que je voyais mort, la mort tragique d’un de mes hommes se jouait devant moi, me hantait et m’empêchait de trouver le repos. Ce dernier n’arriva seulement, car j’étais littéralement tombé de sommeil, exténué par les entraînements que je m’infligeais et les rondes que mon grade m’imposait.

Cela faisait une petite semaine que j’avais effectué ma dernière mission… Mission que j’aurais pu éviter si j’avais été plus attentif… C’était entièrement de ma faute, malgré les dires de mon équipe, et même de mes supérieurs. Si le temps n’avait pas émoussé mon intérêt pour les tours de garde et que j’écoutais mon instinct, j’aurais coffré cet enfoiré de kidnappeur avant qu’il ne sévisse et toute cette histoire aurait été terminée en moins de temps qu’il faut pour dire « Kuala Lumpur »… Mais, avec tant de si, je finirais par couper toute la forêt sur Boréa.

Pourquoi devais-je me réveiller aussi tôt ? Parce qu’à peine remis sur pied suite à mon duel contre Wincho Sadus, le colonel Grey m’avait convoqué dans son bureau afin de me proposer une mission, malgré mon grade et mon expérience. J’aurais très bien pu refuser, mais l’inactivité me rendait chèvre. Je devais m’occuper les idées, sinon j’allais devenir fou. J’acceptai alors sans soucis cette mission et, lorsque je demandai de plus amples détails sur celle-ci, je n’eus pour information qu’un horaire et un lieu. Malgré ma maigre expérience dans le rang de la Marine, j’avouai être un peu surpris par autant de secrets et, après plusieurs longues minutes – si ce n’était une bonne heure d’intense négociation à grand renfort de mes amis, je réussis à lui tirer les vers du nez, enfin très légèrement.

L’ordre de mission ne venait pas de lui, mais de la branche d’élite de la Marine et lui-même était un peu dans le flou. Il ne comprenait pas pourquoi « la belle et merveilleuse branche de l’élite ultime » - le ton de sa phrase fut extrêmement sarcastique, avait besoin « d’un piètre caporal de la ridicule branche Régulière » - il manqua d’exploser la tasse qu’il tenait dans ses mains en disant cela. Je le regardai avec un rictus légèrement paniqué et échangeai quelques regards avec mon escouade. J’étais très loin d’être au courant des griefs entre les deux sections de la Marine, même si je savais très bien la différence. Pour moi, on faisait tout le même boulot : faire régner la paix sur toute la surface du globe. On n’avait pas le même maillot, mais on avait tous le même objectif. Il y avait tout de même une exigence pour cette mission, c’était de se présenter sur les lieux en tenue de civil… Quelque chose d’assez surprenant.

Je m’étais donc réveillé alors que le soleil ne pointait même pas le bout de son petit nez, car je devais me rendre sur les lieux pour cinq heures. Ce fut alors avec dynamisme et volonté que je me préparais… Du moins, de mon point de vue. Si je pouvais sortir de mon corps et me regarder, je dirais que je me déplaçais à la vitesse d’un mollusque asthmatique à qui on lui aurait donné des calmants. Je fus tellement lent que, encore en sous-vêtement en train de me brosser les dents tout en observant cette tête de zombie déterré que j’avais dans le miroir, j’entendis quelqu’un frapper à ma porte. Sans m’habiller ni même retirer la brosse à dents, j’ouvris tout en baragouinant avant même de voir les personnes, parce que je savais qui s’était :

« Chalut les gars…
- Putain, vieux… T’abuses là… Lança Nick qui était accoudé au mur à côté de la porte. Il sortit un petit billet de sa poche pour le passer sèchement à Juno qui pouffa légèrement. Tiens, v’là ton pognon, crevard.
- Par ici la monnaie. Faut qu’t’arrêtes de parier pour lui, t’as trop confiance ! D’puis quelques jours, c’est pire qu’un escargot.
- Vo-vous y allez un peu fort. Rétorqua Iban tout en serrant la lance dans ses mains. Ch-chef, vous devriez peut-être accélérer un peu, on va finir par être en retard.
- Lui, accélérer ? Il est au max là ! Encore un peu et il va exploser… Oh. »

Un silence de mort s’invita brutalement dans la discussion. Aucun mot ne sortit de ma bouche, toujours occupée par la brosse, mais d’un simple regard aussi sombre que les ténèbres elles-mêmes, je leur fis vite comprendre de se la fermer. Ils déglutirent un à un lorsque du doigt, je désignai tout le bâtiment d’un mouvement circulaire. Traduction : s’ils continuaient, ils devront nettoyer chaque sol, chaque mur, chaque coin et recoin de cette garnison pendant une semaine. Tous se mirent au garde-à-vous… Enfin, à part le bleuté qui se pointa en protestant, car il n’avait rien fait. Mes yeux se braquèrent en un instant sur lui et je pénétrais limite dans sa tête tellement mon regard était perçant. Le pauvre grimaça, tourna sur lui-même comme un automate et mima le mouvement de ses camarades. Un léger sourire en coin se dessina sur mon visage et je me retournai afin de fermer la porte et de finir de me préparer.

Une fois bien afféré, je menai mes hommes vers le point de rendez-vous qui se trouvait non loin de la gare ferroviaire de Lavilliere, endroit que je ne connaissais pas. Étant donné que je ne devais pas porter mon uniforme de Marine, je portai mon kimono fétiche, teinté de rouge et de noir, avec mon ample veste de la même couleur, le sceau du dojo Kan apposé sur le dos. L’argenté, Juno, s’était préparé de la même manière, juste les couleurs qui différaient. Quant au blond et rosé, Nick, celui-ci se pavanait dans les rues avec un manteau marron-cuivré, un jean foncé et un pull violet. N’ayant sans doute eu pas le temps de se coiffer, il avait juste grossièrement attaché ses cheveux à l’arrière, laissant tout de même ceux-ci tombés le long de ses épaules. Pour finir, le lancier, Iban, portait un long manteau blanc et bleu ciel, assez près du corps avec un pantalon blanc.

Les discussions sur le chemin allaient de bon train. Les vannes fusaient, l’ambiance était bonne enfant. Je voyais bien que mes gars essayaient de me détendre… Et ça me faisait du bien. J’avais de la chance d’être tombé sur eux.

Il nous fallut une vingtaine de minutes afin de rejoindre l’endroit indiqué par le colonel. C’était une petite maison paumée qui ne dénotait pas du tout avec le reste des autres bâtisses, parfait pour rester inaperçu. Mais c’était quoi cet endroit ? Ca ressemblait vraiment à un coupe-gorge, je ne serais pas étonné de finir dans le caniveau avec la gorge tranchée… Je secouai légèrement la tête afin de chasser toutes les pensées noires, mais ce mouvement me provoqua un léger vertige, heureusement compensé par le tireur d’élite qui m’attrapa l’épaule afin d’éviter la chute malencontreuse. Un air inquiet sur le visage, il se pencha vers moi, me scruta pendant quelques secondes et murmura :

« Hé, tu nous fais quoi mec ? Ca va ? T’as dormi récemment ? Tu t’nourris au moins ?
- Au vu de-de ses traits tirés et de la maigreur au niveau de ses joues, je-je n’ai pas l’impression qu’il subvienne à ses besoins. Enchaîna le lancier en esquissant une petite grimace.
- La ferme vous deux… J’vais bien…
-»

Lentement, je décrochai la main de mon ami sur mon épaule et lâchai un long soupire d’ennui au moment de croiser le regard avec l’autre bretteur. Même si celui-ci n’était pas très bavard, son attitude parlait pour lui. Au fond, il s’inquiétait pour moi et désapprouvait entièrement mes agissements. Les mots qu’il avait prononcés à l’hôpital retentissaient encore dans mes oreilles. Je lui offris un maigre sourire en coin et me tournai vers la porte d’entrée. Celle-ci était métallique, d’assez bonne facture et possédait un judas, parfait pour voir les personnes extérieures tout en étant à l’abri à l’intérieur.

D’un geste mou, je frappai plusieurs fois sans m’annoncer. Quelques secondes plus tard, je vis le judas glisser, laissant apparaître une paire d’yeux qui fit un balayage. Aucun mot ne fut échangé, la personne ferma l’ouverture et la porte s’ouvrit dans un grincement qui me vrilla légèrement les oreilles… Et pas que les miennes si je me fiais au doux juron prononcé par l’argenté. Seulement, un juron pouvait en cacher un autre… Et on eut le droit à un petit moment tout en poésie. Nick se sentit alors obligé de frapper Juno pour qu’il se taise, mais ne fit que jeter de l’huile sur le feu. C’étaient des vrais gamins… Je devrais sans doute les arrêter… Mais j’avais tellement la flemme… Mais c’était quand même hommes… Mais ils me fatiguaient… Mais si je les laissais, ils finiraient par en arriver aux mains.

Tout en étant à la limite de me décrocher la mâchoire en baillant, je décrochai mes deux armes et leur décochai un petit coup bien senti au niveau du front. Les deux se stoppèrent immédiatement, se frottèrent la marque rouge et protestèrent sur mes méthodes.

« Les mecs… Si vous continuez… Je vous cloue au sol avec des statues, ok ? Les menaçai-je avant de bâiller une nouvelle fois. »

Ils se figèrent, restèrent stoïques plusieurs secondes pendant lesquelles le bleuté et moi, nous étions engouffrés dans la bâtisse et ils finirent par nous suivre en se faisant la tête. De vrais gamins…

Une fois à l’intérieur, une ambiance lourde et pesante me saisit dans la seconde et me pétrifia un instant. Acérées comme des couteaux de lancer, une trentaine de paires d’yeux se plantèrent sur moi à peine après avoir mis un pied dans la pièce principale, mais un nouveau bâillement me détendit dans la foulée. La pièce n’était pas très grande et pratiquement toute la surface était occupée par une table rectangulaire où siégeait la plupart des personnes, quelques âmes restant debout.

Habituellement dans ce genre de situation, être le centre de cette espère d’attention me dérangeait. Cette dernière était malsaine, comme si la plupart des gens ici se demandaient ce qu’une bande de gus comme mes hommes et moi faisait ici. Je les sentais me jauger avec leur air hautain… Mais là, je n’en avais complètement rien à carrer. Ma mâchoire craqua une nouvelle fois tandis que je me grattai l’arrière du crâne tout en cherchant quelque chose du regard. Après un léger silence, je décidai de prendre la parole histoire de briser la glace :

« Caporal Kagami, à votre service. Les autres mecs derrière moi, c’est mes gars. Nick, le blond tireur d’élite. Commençai-je à énumérer tout en les désignant mollement du doigt.
- Yosh ! S'exclama t-il avec un sourire brillant.
- Juno, le teigneux bretteur à la tignasse argenté…
- … Ta gueule. Murmura le principal intéressé
- Et Iban, notre médecin et lancier aux cheveux bleus.
- Bon-bonjour…
- Et on est là pour une mission… Un nouveau décrochement de la mâchoire m’interrompit, mais j’ai aucune idée du pourquoi d’cette mission. Le seul truc que j’ai réussi à choper, c’est un nom. Est-ce que y’a un certain Lieutenant d’élite Mountbatten dans l’assemblée ?
- … Quel nom de… »

L’argenté ne put finir sa phrase : un malheureux coup de talon au niveau du tendon du mollet le fit tomber dans un petit cri de douleur tandis que je ne pouvais contrôler mes bâillements et que Nick se fendit la poire. La belle bande d’élément… J’en avais marre de ses gars…


Dernière édition par Kan Kagami le Sam 30 Sep 2017 - 17:27, édité 1 fois
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Six heures du matin. A une heure si matinale, la plupart des personnes étaient encore dans leur lit, ou venaient juste de se réveiller. Il y avait cependant des exceptions, comme le boulanger fidèle à son pain, ou une section d'élite prête à partir en opération.

C'est de cette deuxième catégorie qu'appartenaient les hommes de Mountbatten. Tapis dans l'ombre, éclairés par une faible lueur collée au plafond, ils étaient regroupés, pour la plupart, autour d'une grande table rectangulaire. Le bâtiment était cloisonné ; aucune lumière de l'extérieur pénétrait dans la salle. Les discussions se faisaient à voix basse ; le secret était de mise. Un étranger à tout cela aurait aisément pu prendre cette scène pour un complot mené par un syndicat du crime ; mais c'était tout l'inverse.

La commandante d'élite Bee avait chargé le lieutenant d'élite Mountbatten d'une mission particulière, qui incombait une discrétion à toute épreuve, bien que la Marine d'élite ne soit pas connue pour son aptitude à se dissimuler. Alors que ses subordonnés s'occupaient, Mount les regardaient un par un, les dévisageant pendant qu'ils parlaient. Il savait que certains mourront. Il savait que quelques-unes de ces têtes se retrouveront criblés d'une ou plusieurs balles au fond d'un cercueil de bois sombre, dans un cimetière sinistre. Il avait toujours été limpide. Les missions de ce genre, il en faisait régulièrement. Et ce jeu le distrayait sans pour autant l'amuser. Ce jeu du "qui mourra, qui ne mourra pas". Un jeu macabre.

Un bruit gela l'assemblée. Les invités étaient arrivés. Il était six heures du matin.

Le soldat le plus proche de la porte se glissa jusqu'à elle et vérifia l'identité des nouveaux arrivants. C'était eux. Il fit coulisser le loquet et ouvra la porte. Les inconnus se présentèrent, malgré leur stress apparent. Les mines graves des marins déjà présents ne faisait que l'empirer.

L'air assuré du caporal contrastait avec le malaise de ses subalternes. La cerise sur le gâteau fut le coup de talon bien placé et l'effondrement de la victime du dénommé Kagami, qui eut pour effet d'amuser les marins d'élite. Leur joie, ils l'exprimaient avec un léger rictus placé dans le coin de leurs lèvres. Toujours sérieux, même lors des moments cocasses. Enfin, une fois que Juno se releva, celui qui était demandé par le sous-officier prit la parole en se levant de sa chaise, placée en bout de table.

- C'est moi.

Afin de pouvoir discuter de la mission plus posément, il invita le caporal à s'asseoir en face de lui, à l'autre bout de la table rectangulaire. Alors il débuta les explications.

- Tu as été envoyé ici pour nous aider dans une mission... plutôt importante. Tu vois ce qu'est la police de Fer ? Et bien Bee...

Le Marijoan s'éclaircit la gorge, car il avait, sans faire exprès, oublié de mettre les formes lorsqu'il évoqua le nom de sa supérieure du moment.

- La commandante d'élite Bee a de sérieux soupçons sur la police de Fer. Nous n'avons pas de nom ; mais les attaques répétées par des brigands sur des trains moins protégés que d'habitude nous laisse penser qu'il y a une personne qui aide ces brigands. Une policier, tu l'auras compris.

Il laissa le temps au jeune homme d'exprimer son opinion vis-à-vis de cette situation. Son avis n'était pas très important à vrai dire ; le plan était déjà fixé, quelle que soit ses remarques, plus rien n'était modifiable à ce stade-là. En tout cas sur les grandes lignes de la mission. Et puis, ce n'était qu'un caporal, son avis importait peu aux yeux de la commandante, et même du lieutenant.

- Ma section se dissimulera dans un wagon dédié à la marchandise. Nous serons armés, et prêts à nous battre et à riposter à une éventuelle attaque. Ton escouade et toi, vous serez parmi les voyageurs, en civil. Il va falloir vous fondre dans la masse... Je vois que vous avez déjà les tenues adéquates, c'est parfait. Nous allons choisir le train le moins gardé, et, a priori, une embuscade devrait se produire. Il faudra en choisir un qui aille vers Bourgeoys ; ce sont ceux qui sont le plus attaqués, car ils transportent de riches nobles. D'ailleurs, c'est à cause des pressions que subis la commandante que nous sommes là. Les nobles veulent voir ces criminels en prison, et le plus vite sera le mieux. Alors j'attends de vous autant que mes hommes. Un pas de travers, et je n'hésiterai pas à prendre des mesures en conséquence. Compris ?

Le ton froid, peut-être légèrement hautain du Fantôme brisa le moral des matelots. Mais Kagami n'avait pas la même réaction.

*Peut-être pourrait-il être bien plus qu'un simple caporal ?* se demanda Mount.

Le choix d'un caporal et d'une escouade de la régulière n'était pas anodin. Il y avait fort à parier qu'ils y laisseraient leurs vies. Il fallait un gradé pour commander ce petit groupe d'hommes, destiné à être sacrifié. Bee avait choisis un caporal. Le premier grade qu'on atteint. Une personne que personne ne regrettera, mis à part ses proches, si tant est qu'il y en ait. Personne n'est irremplaçable, surtout à ce grade. Paradoxalement, la réussite de leur mission reposait sur eux, c'est ce qu'expliqua Mountbatten.

- Vous devrez nous informer par den den de tout problème à l'intérieur des wagons. Les bandits en question opèrent de la manière suivante : ils s'infiltrent dans le train légalement, en payant leurs tickets, puis, lorsqu'ils arrivent au point qu'ils ont au préalable déterminé avec leurs coéquipiers, ils braquent les passagers. Là, leurs compères débarquent et montent dans le train pour braquer l'intégralité de celui-ci, en tuant sans vergogne ceux qui entravent leur méfait. Vous serez nos yeux ; nous n'auront pas de visibilité depuis le wagon de marchandise.

Les marins d'élite n'aimaient pas l'idée que la mission allait donc reposer sur quelques troufions de la régulière. Mais ils n'avaient pas vraiment le choix. Bee tenait peut-être un peu trop à ses marins d'élite. Toute réussite inclut un sacrifice dans ce métier.
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Tranquillement accoudé au mur derrière le brun, j’observai les personnes qui composaient cette belle escouade de Marine d’élite. La plupart des Marines présents autour de cette table possédaient un regard de soldat aguerris et entraînés, prêt à tuer… Ou à être tué. À cause de cela, l’ambiance demeurait assez pesante et le discours de ce Lieutenant d’élite n’aidait pas du tout à la rendre plus vivable. Instinctivement, mon attention se posa sur notre médecin de service et je fronçai les sourcils lorsque je remarquai que ce dernier tremblait comme une feuille, se cramponnant à sa lance comme si sa vie en dépendait. Un léger sourire se dessina sur mes lèvres et, gentiment, je posai une main sur son épaule afin de le rassurer. Son regard croisa le mien, ses lèvres se pincèrent légèrement, mais il finit par prendre une longue inspiration et se calma légèrement. Après un petit échange de signe de tête, je glissai une main dans la poche interne de ma veste de mon manteau et en sortis un petit paquet de clope tout en dressant une oreille afin de ne pas louper une miette de la discussion.

« Hey, interpellai-je un soldat à côté de moi, ça dérange si j’m’en graille une ? »

La seule réponse que je reçus… N’en fut aucune. Tout le monde était captivé par le briefing fait par Mountbatten… Même notre chef. Je levai un sourcil de surprise tout en fixant le dos de la personne assise devant moi. Il était bien trop silencieux pour que ça soit normal, surtout vu les sous-entendus que ce Marine d’élite glissaient dans ses propos. S’il était dans son état normal, Kagami serait déjà monté au créneau et levé pour partir de là. Bon sang, qu’est ce qu’il lui arrivait ? Certes, il était secoué par la mort de Doroteo, mais tout le monde l’était… Surtout moi. J’étais avec lui ce jour-là, je l’ai vu mourir devant mes yeux… Putain. Vite, il me fallait une cigarette.

Seulement, cette pensée me perturba tellement qu’au moment de sortir mon briquet de l’autre proche de ma veste, mes mains s’emmêlèrent totalement : je lâchai malencontreusement ce que je tenais. Le briquet décrivit une très belle parabole avant d’atterrir sur la tête du caporal dans un petit bruit métallique. Ma respiration se coupa un instant pendant lequel je me pétrifiai. Eh merde ! J’allais en prendre la gueule pour ça… J’étais bon pour les statues. Cependant, un silence pesant s’installa contre toute attente dans la pièce, le Lieutenant ayant fini de parler depuis un petit moment et aucun son ne sortit de la bouche du bretteur à deux lames… Aucun ? Je n’en étais pas si sûr. Tout en me penchant vers la chaise où il était assis, je découvris mon oreille droite en glissant une main dans mes longs et blonds cheveux soyeux. Je plissai les yeux et me concentrai un maximum.

« Non… Murmurai-je, atterré par ma découverte. Non… Sérieux… Il a pas fait ça quand même… C’est pas possible… PUTAIN ! RÉVEILLE TOI !! »

Ce con s’était endormi pendant le discours de l’autre ! Fallait s’en douter bordel ! Le mec avait la capacité de concentration d’un nouveau-né. Il n’aurait jamais pu tenir, surtout pas dans son état. Une vague de rage remplit mon être et mes actes dépassèrent ma volonté. À l’aide de mes omoplates, je me décollai du mur de manière explosive et, dans un mouvement rotatif amorcé par ma jambe droite, je donnai un violent coup de la gauche dans le dossier de la chaise juste devant moi, mais Juno me stoppa net dans mon mouvement en m’attrapant sans soucis le pied avant qu’il ne touche sa cible. Mais qu’est-ce qu’il m’énervait ce bretteur de mes deux et de ses réflexes. Le mec était pourtant assis trois place plus loin. Je me demandais comment il avait pu se lever et se ramener aussi rapidement. Et le pire, c’était que dans manœuvre, l’enfoiré avait même pris le temps d’écraser ma clope qui était tombée au sol pendant mon mouvement… Un autre silence s’installa dans la pièce. Je fixais l’argenté droit dans les yeux pendant que ce dernier me tenait la jambe. Je penchai légèrement la tête afin de m’adresser au mec de l’élite :

« Excusez moi… On a un petit différent à régler… Après je ré… »

D’un coup, un énorme bâillement suivi de plusieurs craquements horrible se fit entendre. Tous les regards se braquèrent sur la source… Qui n’était autre que Kagami, se réveillant telle une fleur à l’approche du printemps. Il se leva tranquillement, regarda autour de lui, encore embrumé par sa petite sieste et s’attarda l’enfoiré et moi. Il se frotta les yeux plusieurs fois et il soupira longuement tout en nous sortant un :

« Vous êtes vraiment pas croyable… Avant de se retourner vers le Lieutenant d’élite en se grattant un peu l’arrière du crâne. Excusez-moi, je me suis légèrement assoupi. J’aurais une petite question : pourquoi un policier aiderait des bandits ? »

Un léger rire gêné ponctua sa phrase tandis que nous, ses hommes, eurent la mâchoire décrochée au même moment, démolis par la question qu’il venait de poser. Ce mec avait loupé quasiment tout le briefing ! Bizarrement, les différents que j’avais avec Juno s’estompèrent rapidement et j’attrapai notre « chef » par le col pour voir son visage de con et le secouer comme un prunier.

« MAIS T’ES COMPLÈTEMENT CON ! Lui hurlai-je à la gueule. C’EST PAS CA LE PLUS IMPORTANT ! ILS VEULENT FAIRE DE NOUS DES APPÂTS ET S’EN FOUTENT SI ON CRÊVE ! »

Son visage se décomposa à vue d’œil après ma tirade, les yeux exorbités. Merde, j’aurais sans doute être un peu plus diplomate dans la façon de lui dire. Je me pinçai légèrement les lèvres, surtout lorsque je vis l’incompréhension du regard de toute l’équipe. Je lâchai alors le col de mon supérieur, l’ajustai légèrement avant de m’avancer vers Mountbatten.

« Ais-je tord, Monsieur le Lieutenant d’élite ? Enchaîna t-il d’une voix assez lourde.
- Mais… Pourquoi tu dis ça, Nick ? »

Sans me retourner, je fis un léger résumé au dormeur du discours, n’omettant aucun détail. J’espérais qu’il arrivait aux mêmes conclusions que moi. Ces marines de la branche d’élite s’en foutaient royalement de nous, la régulière… Ca se voyait dans leurs yeux. Cependant, le visage du bretteur à deux lames n’était pas celui que j’espérais. Je pensais qu’il allait s’indigner… Mais le sourire qu’il arborait m’assurait le contraire. C’était un sourire de confiance, malgré son état déplorable. Il faisait terriblement peur avec ses traits tirés… Il posa une main son mon épaule, me fit un léger signe de tête et me poussa légèrement sur le côté tout en prenant la parole :

« Je savais très bien que cette mission sentait mauvais, vu le mystère autour. Seulement… Il se tourna vers le lieutenant, ça me pose aucun souci. Assura t-il tout en faisant le salue militaire. On sera vos yeux et vos oreilles ! »

Mais il était complètement cinglé ! Dans son état, il n’arriverait à rien ! Mon poing me démangea soudainement, celui-ci avait envie de l’étaler, mais le regard conjoint de Juno et d’Iban m’interrompit. Une confiance émanait d’eux et je fus surpris de les voir se lever et de saluer aussi… Putain, ils étaient vraiment débiles… Mais bon, je les aimais bien. Je fis alors de même… Après quelques secondes, chacun de nous se relâcha et, égal à lui-même, Kagami bailla comme un éléphant avant de reposer une autre question :

« Vous savez si les civils ont le droit de porter des armes ? Parce qu’on est pas du genre à s’en séparer… Enfin, j’sais pas pour toi, Juno ?
- J’dors même avec…
- Je savais bien que t’étais fêlé, enchaînai-je en riant cyniquement
- … Et, on fait quoi si les mecs nous braquent sans qu’on ait le temps de vous prévenir ? On a le droit d’les neutraliser ? Parce que se laisser faire… On risque de crever quoi. Ou, si on ne doit pas bouger avant que vous interveniez, peut-être devrait-on convenir d'un mot d'urgence ?
- Banane... Lança le blond, les yeux dans le vide
- Merde, j'ai pensé pareil...
- Mo-moi aussi...
- Les mecs... Me tournai-je vers eux, la main collée au front. Même chose... Ça fait peur là... »


Dernière édition par Kan Kagami le Sam 7 Oct 2017 - 9:44, édité 3 fois
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Les marins d'élite étaient calmes pendant la petite dispute des mecs de la régulière. Des sourires moqueurs apparaissaient dans le coin des bouches de certains. Mountbatten les observait, flegmatique comme à son habitude. La dernière question l'agaçait légèrement. Le stress de ces jeunes était visible à des kilomètres. Pas de doute, ils appartenaient bien à la Marine régulière pour poser ce genre de question.

- Pour les armes... Faites ce que vous voulez, vous les camouflez en... je ne sais pas moi... Tiens pour ta lance, tu fous un drap dessus et tu fais croire que c'est un lampadaire un tuyau un drapeau, UNE BARRE, UN MORCEAU DE FER, JE SAIS PAS TOUT CE QUE TU VEUX J'EN AI RIEN A FOUTRE mais tu le camoufles. Si vous faites rater la mission à cause de votre fétichisme des armes, je vous promets que vous n'aurez pas le temps de vous remettre de votre échec. Je m'assurerai que vous soyez envoyé dans un endroit avec UN MAXIMUM DE DANGER pour que vous vous fassiez BUTER COMME DES SOUS-MERDES. COMPRIS ?

L'apparente colère du lieutenant apeura les non-initiés. En réalité, ses hommes savaient qu'il n'exprimait jamais ses sentiments. De telles scènes n'étaient là que pour le spectacle, pour bien faire comprendre à ces novices de quoi il en retournait. La seule chose qu'intéressait le Fantôme était la réussite de sa mission. Bien sûr, plus les pertes étaient basses, mieux c'était. Mais entre sauver une dizaine d'hommes et entre réussir sa mission... Il n'y avait pas d'hésitation. Cette prétendue colère servait à impressionner. En général, cela marchait du premier coup.

Ils avaient perdu du temps au briefing. Une perte de temps non-négligeable, car les trains étaient minutés très précisément. La gare était non loin du bâtiment qui abritait l'obscure réunion. Sans un mot, tous les soldats sortirent. Ils étaient tous couverts d'une cape, dont quelques-unes furent distribués à l'escouade de la régulière. L'idée était de faire profil bas. A cette heure-ci, il n'y avait que très peu de monde dans les rues. Une telle délégation aurait pu susciter des soupçons... si seulement ils n'étaient pas dispersés par groupe de cinq. Une disposition qui permit au groupe entier d'atteindre la gare sans accroc.

La gare était, au contraire des rues, déjà bien fréquentées, malgré une heure si matinale. Les passagers débarquaient ou embarquaient à bord des quelques trains déjà à quai, tout sourire, saluant leurs familles ou leurs amis. Une ambiance joviale, légère, différente de celle travailleuse et dynamique des employés. Ces derniers s'affairaient, allant dans tous les sens, montant et descendant les marchandises. Discrètement, les marins se regroupèrent. Cependant, l'escouade de Kan enleva ses capes et disparurent dans la foule, plus parsemée que d'habitude. La cause était, bien entendu, l'heure.

- ENTRÉE EN GARE DU TRAIN NUMÉRO VINGT-ET-UN, QUAI B A DESTINATION DE BOURGEOYS ! LES PASSAGERS SONT CONVIES A SE RENDRE AU QUAI CORRESPONDANT POUR COMMENCER A EMBARQUER LORSQUE LE TRAIN SERA ARRÊTÉ.

La voix trouble du cheminot annonçait l'arrivée d'un train. La locomotive fit son apparition et laissa une longue colonne de fumée derrière elle. Le crissement strident que firent les freins couvrit le brouhaha du hall. Tous les regards se braquèrent vers le majestueux train du Winterblade de Boréa. Les trains étaient neufs, en très bon état et presque luisants. De tels bijoux faisaient facilement l'admiration et l’émerveillement des non-initiés. Les passionnés des chemins de fer trouvaient également leur bonheur.

Pendant ce temps, dans l'ombre, la Marine d'élite s'activait. C'était le moment propice. L'attention était captivée ailleurs. Ils suivirent leur officier pour se mettre en position. L'embarquement dura plusieurs interminables minutes. Les marins n'étaient pas à leur aise : ils étaient recroquevillés dans un fossé, à la sortie de la gare.

Le plan était le suivant : dès que le train quittera la gare, il faudra alors se ruer vers un wagon de marchandise. La vitesse ne sera pas trop élevée, ce qui permettra de monter sans encombre. Le choix du moment n'était pas anodin : les trains étaient toujours vérifiés par les cheminots lorsqu'ils entraient en gare. La mission, bien que confirmée par une commandante d'élite, n'avait rien de légal. En tout cas dans cette partie là. Mais il fallait absolument garder une discrétion absolue. L'illégalité ne plaisait pas à la commandante de Minuit, mais c'était inévitable.

Le sifflement du départ retentit dans la garde. Le train prenait son envol.

Planquée dans le fossé, au bord des rails, la section d'élite attendait son heure. La locomotive démarra doucement, accélérant progressivement. Lorsqu'elle parvint au niveau du groupe de marines, ce dernier se releva à toute vitesse et courut vers le train. Pendant ce petit laps de temps, le train avançait toujours plus vite et, lorsqu'ils arrivèrent à portée de main de ce dernier, ils étaient au niveau de sa fin. Ils coururent en poursuivant le train, qui, face à eux, prenait de plus en plus d'allure.

Les soldats firent leur ultime sprint pour atteindre le rebord du dernier wagon du Winterblade numéro vingt-et-un.

Les premiers arrivés tendirent leurs mains aux suivants, et ainsi de suite, afin de faire monter le contingent entier. Les premiers ouvrirent la porte du wagon et s'installèrent, en sortant leurs armes et en enlevant leurs capuches. Une fois toute la section à l'intérieur, les derniers fermèrent la porte. Ensuite, plus rien. Silence radio.

Le lieutenant d'élite était en liaison den den avec Kan. Il attendait une parole de sa part. S'il parlait, toute la section saura ce qu'il dira, grâce au mode haut-parleur qu'avait mis Mount. Ainsi, les hommes pourront connaître la situation en temps réel, sans qu'il reformule tout ce qui sera dit. Ils devaient attendre jusqu'à ce qu'une hypothétique attaque se produise.

Ils étaient plongés dans l'obscurité. Il faisait froid.
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Ma tempe gonfla à vu d’œil pendant le discours de ce Lieutenant d’élite. Mon rythme cardiaque explosait les plafonds. J’étais prêt à exploser malgré mon état pitoyable. Putain… Ce mec, j’allais me le faire. De quel droit pouvait-il nous parler de cette manière ? On n’était pas ses petits chiens-chiens qu’il pouvait abandonner à son grès dans une forêt, car il en avait juste marre de nous ! Mon cœur guida mes actes sans que mon cerveau ne les ordonne : mes deux mains se dirigèrent vers les fourreaux de mes armes et les agrippèrent fermement. Un léger déclic se produisit au même instant, intriguant quelques soldats qui se trouvaient autour de moi : ils tournèrent la tête et m’observèrent pour déterminer l’origine de ce petit bruit. Ce Mountbatten… Il allait prendre.

Cependant, ce n’était sans compter Nick et Juno qui reconnurent immédiatement le bruit. Les deux s’interposèrent dans la seconde et m’attrapèrent chacun un bras tout en me fixant. J’essayais de décrocher mes sabres malgré cela, mais leurs emprises m’empêchèrent tout mouvement. Je leur lançai un regard noir, mais ce dernier disparut dans la minute lorsqu’il croisa ceux de mes hommes : ils avaient aussi envie que moi de lui en mettre plein la gueule. Ils secouèrent négativement la tête et me firent comprendre que ce n’était pas le moment en balayant furtivement la pièce des pupilles.

Je suivis leur mouvement… Et je finis par lâcher mes armes, produisant un autre léger bruit, et lâchai un énorme soupire. C’était peine perdue : on était quatre, ils étaient une trentaine et on faisait tous parti de la Marine. Seulement, je compris rapidement l’aversion que le colonel Grey avait envers cette branche d’élite… J’espérais intérieurement que cet élément n’était pas représentatif, sinon je pouvais complètement oublier de m’orienter vers cette branche : je risquerais de devenir un connard comme eux.

Je pris une longue inspiration afin de réguler un peu l’horlogerie qui s’emballait et, après un signe de tête de compréhension, je me mis en position de salut, rapidement accompagné par mes hommes. Autant faire bonne impression. Après avoir enfilé les capes et pris les billets fournis par l’élite, nous suivîmes cette dernière jusqu’à la gare, non sans laisser un petit souvenir : avant de partir, je posai une main sur la grande table et programmai son alourdissement pour qu’elle s’effondre. Ca leur apprendra à me chercher des crosses… Je haussai les épaules en voyant le mouvement de tête désapprobateur du tireur d’élite. Je n’allais pas me laisser faire.

La montée dans le train fut une promenade de santé : une fois les manteaux retirés dans la foule, ceux qui possédaient une arme l’enroulèrent à l’intérieur et la passèrent au blond qui fabriqua un sac de fortune avec le sien qu’il me passa. Pourquoi ? J’avais remarqué qu’avec le monde qui se trouvait dans la gare et le peu de temps qu’il restait pour l’embarcation, les personnes en charge de fouiller les passagers étaient beaucoup moins assidus dans leur fouille des bagages. Cependant, le baluchon ne ressemblait pas du tout à un baluchon normal : on pouvait nettement distinguer trois sabres à l’intérieur et une lance pliable… Mais Nick ne se laissa pas démonter. Il nous regarda avec un grand sourire, leva le pouce dans un signe de confiance et désigna du doigt le cheminot qui devait s’occuper de nous… Enfin, la cheminot. Ah bah… On laissa alors faire le tombeur de ses dames qui distrayait la demoiselle et on passa sans problème dans le train.

Une fois monté à bord et que la machine se mit en route, on sortit nos billets afin de vérifier nos places. Un léger soupir de soulagement m’échappa des lèvres au moment où on se rendit compte que l’on était dans la même cabine. Ca va, c’étaient peut-être des enfoirés, mais ils étaient quand même intelligents. Alors qu’on se dirigeait vers nos places, j’observai l’intérieur avec des étoiles dans les yeux. C’était vraiment très beau : de la moquette tapissaient tous les couloirs, le rouge et le marron se mariaient très bien.

C’était beau… Mais c’était loin. On continuait d’avancer afin de trouver notre cabine jusqu’au moment où, en poussant une des nombreuses portes fermées, on se retrouvait dans une grande salle qui devait prendre au moins un wagon tout entier. Plusieurs tables étaient alignées les unes derrière les autres, un comptoir se trouvait au milieu de la pièce et des tables de jeu finissaient l’aménagement. L’odeur de cigarette, de cigare et de bouffe se mélangeait et pénétrait dans mes narines, faisant toussoter légèrement l’argenté, le médecin et moi. Quant à Nick, des étoiles naquirent dans ses yeux, il passa plusieurs secondes à scruter l’endroit. Pratiquement toutes les places étaient prises, les passagers ayant littéralement pris la salle d’assaut. Le regard aguerri du joueur trouva tout de même une chaise de libre autour de la table de blackjack et se jeta littéralement dessus sous l’air désabusé de Juno et de moi-même, un sourire carnassier sur les lèvres. Je consultai alors le reste de mes hommes pour savoir où est-ce qu’on allait s’installer et le bleuté désigna trois tabourets de libre au niveau du bar. Parfait. En plus, j’avais une faim qui devait être rassasiée.

On se vissa alors sur ces sièges, je déposai doucement le baluchon à terre et sortis de ma poche l’escargophone banalisé que le Lieutenant d’élite nous avait donné pour le décrocher sans rien dire. Encore une fois, ce mec savait faire preuve d’intelligence : un habit de la Marine aurait pu éveiller pas mal les soupçons. Je remarquai tout de même l’air surpris du barman et lui offris un sourire cristallin avant de lui parler :

« On devait être cinq, mais j’ai un ami qui est cloué au lit. Il voulait tellement monter dans l’train qu’il m’a donné ce petit escargophone pour que j’lui fasse entendre l’ambiance ici…
- Ah… Douta l’homme en levant le sourcil. Eh bien… J’espère qu’il se remettra hein ?
- Moi aussi !
- T’es vraiment pas crédible, mec… Chuchota l’argenté, accoudé au comptoir, la tête posée dans sa main.
- Sinon… Qu’est-ce que j’vous sers, Messieurs ? Reprit le grand homme au teint mat
- Rien, on voulait juste se poser un peu.
- Alors je vous demanderai de partir s’il vous plaît. Seuls les gens qui consomment ont le droit de s’asseoir. Vous n’avez pas vu l’écriteau au mur ? Notifia t-il en désignant le petit tableau noir accroché juste derrière lui.
- Oh… »

Je regardai autour de moi et remarquai que, oui, chaque personne assisse au bar possédait une boisson. Je reportai alors mon attention vers mon interlocuteur et commandai :

« Ca sera un jus d’orange pour ma part, il est quand même assez tôt pour boire un truc alcoolisé…
- Une bière pour moi, enchaîna l’argenté en me lançant un air désapprobateur
- Ah, ça, c’est un homme de goût. Et pour vous monsieur ?
- Un-un Bella luna s’il vous plaît.
- J’ai pas. Rétorqua t-il au tac au tac.
- Eh bien… Un jus d’ananas avec une tranche de citron.
- J’ai pas…
- Beeh… Un ve-verre d’eau alors…
- J’ai pas…
- … J’ai compris… Une bi-bière…
- Eh bien enfin ! Vous savez ce qui est bon ! Finit-il en se frottant les mains. Vous ne voulez toujours pas autre chose, vous ?
- Non merci… À moins que vous vouliez que je vomisse sur votre comptoir, soupirai-je en mimant le geste.
- Ceux qui vomissent sur mon bar, je les jette en dehors du train… Menaça t-il en faisant craquer ses doigts.
- Et comme j’ai pas envie d’sauter du train en marche, je prends un jus d’orange. Merci.
- … Bien compris… »

À croire qu’il avait des stocks de bière à écouler. Je jetai un regard à Iban qui se pinçait légèrement les lèvres. Je lui posai une main sur l’épaule et compatis à sa douleur. Il se laissait trop faire… Mais c’était dans sa nature. Quelques minutes plus tard, l’homme à la peau d’ébène apporta nos boissons et repartit s’occuper des autres clients, nous laissant tranquille. Je surveillai tout de même le joueur, connaissant ses tendances à tout perdre quand il avait le plus de confiance. Pour le moment, ses éclats de rire me rassurèrent pas mal. Je pris alors mon verre et trinquai avec mes hommes dans la joie et la bonne humeur.

Pendant une bonne demi-heure, les discussions autour d’un verre s’enchaînèrent. On parlait de tout et de rien, l’argenté se lâchant pas mal niveau grossièreté. L’ambiance était bonne enfant jusqu’au moment que je tapai sur le comptoir, les évènements de ce matin revenant sur le tapis :

« Pourquoi vous m’avez pas laissé faire ?! T’as vu comment ils nous ont parlé ?!
- Mais j’te répète qu’on était pas d’taille, ils étaient trente !
- Et alors ?! À cause de ça, tu t’laisses marcher sur les pieds par des cons pareils ?! On est que d’la merde pour eux ! On pourrait crever la gueule ouverte qu’il s’en foutrait ! J’les retiens, ces enculés… J’voulais juste assurer notre sécurité !
- Ah ouais ?!! En provoquant un putain d’mec comme lui ?! Répliqua t-il en m’empoignant au niveau du col. On s’s’rait crevé ! Comme Doroteo ! Il est bien beau l’chef qui veut assurer not’ sécurité… T’es même pu capable d’te tenir en forme ! T’as vu dans l’quel état t’t’es foutu ? Tu r’ssembles à un putain d’cadavre ! S’coues toi merde !
- Ju-Juno, Kagami… Calmez vous, s’il vous-vous pl… Bégaya Iban qui ne savait pas vraiment quoi faire.
- OH ! CE N'EST PAS BIENTÔT FINI ?! Hurla le barman qui accourut vers nous. SI C’EST POUR VOUS FOUTRE SUR LA GUEULE, J’VAIS VOUS DÉGAGER !
- TA GUEULE ! ON T’A PAS SONNE ! Enchérirent l’argenté et moi en allant foutre une beigne au mec »

D’un coup, alors que nos deux poings allaient mettre à terre l’homme, un énorme fracas s’entendit de l’autre côté de la pièce. Nos regards se tournèrent directement vers l’origine du bordel. Là, mes yeux s’écarquillèrent au moment de voir… Une dizaine d’hommes, voir plus, débarquer dans la salle, armés jusqu’aux dents. Des putains d’armes automatiques ! La panique gagna les civils qui se levèrent et coururent se réfugier de l’autre côté. Seulement, d’autres craquements de bois se produisirent de ce côté au moment où l’intégralité des tables de jeu se retournèrent, dévoilant d’autres armes dans les mains des personnes qui jouaient. La moitié des joueurs étaient en fait des assaillants ! Je remarquai Nick qui sauta littéralement de sa chaise pour éviter la table et leva les mains tout en reculant, accompagné d’autres civils apeurés. Pour être une attaque de train, ce n’était vraiment une. Seulement, j’étais vraiment étonné que ça vienne de l’intérieur.

Les braqueurs nous rassemblèrent au milieu de la salle, juste au niveau du bar. C’était assez simple : ils nous demandèrent nos effets de valeurs et n’hésitèrent pas à les arracher eux-mêmes quand les personnes refusèrent de leur donner. Ils étaient professionnels : aucun mot superflu n’était échangé, comme s’ils avaient l’habitude de faire ce genre de larcins. Je jetai un regard furtif à mes troupes et, après un accord tacite, je tournai la tête vers le barman et lui demanda :

« Vous avez du jus de BANANE ?
- Mais… C’est pas l’moment ! »
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Dans l'ombre, dans le silence, les marins d'élite attendaient le signal du jeune caporal. Seul le brouhaha de l'escargophone troublait le calme du wagon. Les plus proches entendaient clairement ce qu'il se passait, les plus éloignés ne percevaient que des bribes d'informations à peine exploitables pour comprendre la situation. Le roulement du train constituait la majorité du fond sonore, tandis que les bruits émis par le den den brouillait cette symétrie sonore.

- Bordel, mais quelle excuse de merde...

La fébrilité de Kan lors de sa justification auprès du barman faisait craindre à ceux qui l'avait comprise qu'il pouvait bien faire capoter la mission en se rendant suspect. Mountbatten se souvenait encore de l'échange qu'il avait eu avec Bee, sa commandante temporaire...

- Un caporal ? De la régulière ? Vous rigolez ? UN CAPORAL !

- Je suis très sérieuse.

- Je sais bien que ce poste est un suicide... Mais j'ai vu le dossier que vous m'avez donné... Pas le bon profil.

- Pourquoi donc ?

- Peu d'expérience... Trop peu pour une telle mission.

Elle avait attendu une suite, qui arriva à contre-coeur, son interlocuteur pensant que son argument aurait vite fait de lui faire changer d'avis.

- Nous parlons du Winterblade ! Un réseau ferroviaire qui engendre des millions de Berrys, qui emploie de nombreuses personnes, et de plus, la mission s'intéresse plus particulièrement aux nobles de la capitale ? Et vous voulez envoyer un jeune caporal, avec aussi peu d'expérience ? Je n'irai pas jusqu'à dire que vous ne comprenez pas les enjeux, mais sachez que je m'oppose au fait que ce soit lui qui nous accompagne.

- Ce jeune caporal a aussi d'autres atouts. Son imprévisibilité.

- Depuis quand c'est un atout ?!

Le Fantôme était un fervent partisan de la planification totale. Improviser était en général nécessaire, mais il fallait toujours s'en tenir au plan, selon lui. L'imprévisibilité, l'audace, l'arrogance ou encore bien d'autres qualités qu'on peut attribuer à la jeunesse lui étaient intolérables, bien que son comportement flegmatique puisse induire les gens en erreur sur sa véritable pensée. Planifier, réfléchir, devancer et anticiper, telles étaient les compétences maîtresses du lieutenant d'élite. Certes, c'est un bon combattant. Mais il ne mettra jamais cela en avant. Les personnes du même type que Kan n'étaient pas vraiment les bienvenues dans son esprit.

- Depuis que l'histoire nous a montré que, parfois, sur un malentendu, ça peut passer.

- Ça peut passer sur un malentendu, vous le pensez réellement ?

- Écoute, je sais comment tu es. Quelques missions déjà que tu fais pour moi. Mais il va falloir l'accepter. Un caporal... qui le pleurerait ? De plus, un jeune. S'il meurt, tant pis. S'il survit, imagine l'expérience qu'il aura. Peut-être que ça l'aidera à l'avenir.

- Vous ne l'avez pas choisi par altruisme, alors ne faites pas ce petit jeu avec moi.

- C'est vrai. Sache que j'entretiens moi aussi une relation plutôt belliqueuse avec nos camarades de la régulière. Mais s'il faut faire des sacrifices et que j'ai le choix entre un sous-fifre de notre branche cousine et un vaillant marin d'élite, endurci par le BAN et par ses nombreuses missions, la question ne se pose même pas.

- Je comprends ça. Je ferai de même. Mais n'auriez vous pas pu prendre... Je ne sais pas moi, un sergent, ou quelque chose comme ça ?

- Ah, tu doutes de sa force ? Et bien... Ça se voit que tu as lu le dossier linéairement. Il est comme toi. Comme moi.

- Un maudit ?

- Exactement. Un fruit qui permet de modifier le poids ou quelque chose comme ça.

- Aaahh...

- Tu vois, au final la seule chose que tu vas devoir surmonter lors de cette mission, du point de vue humain, c'est son caractère. Mais un bon commandant sais composer avec les personnalités de ses hommes... N'es-tu pas d'accord avec moi ?

- Bien sûr, commandante.

- Et bien voilà, problème réglé. Aller hop, bonne mission. Et ne bloque pas trop sur ce jeune caporal.

- Comptez là-dessus...

S'il y avait bien une chose qui pouvait énerver Mount, c'était rater une mission à cause de quelqu'un. La réussite de la mission reposant sur Kan, cela avait le don de l'énerver. Mais il fallait avec. Tout au long de sa courte vie il avait rencontré de nombreuses personnes avec des tempéraments différents. Mais celui qui l'exaspérait le plus était ce genre de personnes. Des arrivistes, des novices qui improvisaient, qui prenaient le métier pour de la rigolade. Le Marijoan en avait vu, des soldats tomber à cause des erreurs d'un autre. Alors cette section, celle qui l'entourait dans ce wagon si obscur, n'allait pas mourir à cause de ce petit con.

- Un jus d'orange, AHAH !

Le rire gras d'un marin à côté de lui l'amusa un peu. La différence entre ces soldats aguerris et ce fringant jeune homme était flagrante. Les minutes passèrent sans autres évènements marquants. La colère intérieure de Mountbatten baissa petit à petit. Rester debout un long moment, presque immobile, fatiguait à vue d’œil. L'attente... Une chose terrible pour de grands gaillards gonflés à bloc, prêts à massacrer leurs ennemis dès que le moment sera venu.

- Et mais attend, il nous insulte carrément en fait.

- Ouais j'avoue.

- Ah ces ptits cons de la régu, j'vous jure.

- Taisez-vous.

Le ton sec de l'officier exprimait une attention exacerbée et un intérêt soudain. Entendre ces stagiaires de la Marine cracher dans leur dos avait le don de l'exaspérer. La colère ne montait pas ; ce n'était pas le bon moment. Mais il n'allait pas manquer d'en faire note dans son rapport.

C'est alors que les choses sérieuses commencèrent. Des bruits lointains vinrent perturber la dispute de l'escouade. Des cris, des bruits de pas faisant penser à un mouvement de foule et des bruits métalliques arrivaient jusqu'à l'escargophone.

Le moment était venu.

Après une sorte de flottement, tout semblait indiquer que les braqueurs rackettaient les passagers. Mais il fallait encore attendre un peu pour la section d'élite. Le train roulait encore.

- Ok, il a dit banane. C'est bien ce qu'on croit. On attend un peu, et je vous dis quand on sort.

Il fallait attendre le bon moment.

Après des minutes interminables, le train amorça un ralentissement, puis s'immobilisa dans un grand vacarme, propre au frottement des roues sur les rails. Là, la seule source de bruit devenant l'escargophone, tout ce qui se passait à l'extérieur devint plus audible. Des bruits de pas, provenant de tous les côtés. Ils étaient en pleine montagne boréalienne, au milieu de nul part, perdus dans le désert glacé de l'arrière-pays de Boréa.

Les premiers tirs fusèrent, à intervalle irrégulier, pour abattre des passagers désireux de s'enfuir. Sauf qu'au milieu de nul part, en pleine montagne, sans rien pour défendre les plus faibles, la loi du plus fort était au-dessus de toute législation.

- Aller c'est bon, on y va !

Les marins ouvrèrent la porte avant droite et la porte arrière gauche, afin de pouvoir attaquer des deux côtés du train, mais tout en évitant d'être pris entre deux feux. Ils descendirent du train en sautant dans la neige et en courant se cacher derrière un couvert. A un tel endroit, n'importe quoi pouvait servir, comme un gros cailloux. Les obstacles naturels étaient les meilleurs amis des soldats dans une telle situation, quel que soit le camp. Les premiers échanges de tirs, timides, firent place à un duel sévère entre brigands et marins d'élite. Mount se mit en invisible et entreprit de monter pour délivrer les wagons, un par un. Avec un tel avantage, on pourrait croire que ce serait une tâche aisée. Sauf que les passages entre les deux rangées de siège de chaque wagons n'étaient pas très larges. Une balle reste une balle, et un déluge de balle aura vite fait de trouer l'invisible.

Aussi, avec les premières balles... vinrent les premiers morts.
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Nom de dieu de putain de bordel de merde… Dans quel merdier je m’étais encore fourré ? À accepter une mission à la con où notre seul objectif était juste de servir de brebis esseulée à une putain de bande de pilleurs de train… Ces cons-là avaient l’air armé jusqu’aux dents en plus ! Mes connaissances dans l’armement étant très limité, je me doutais tout de même que ces genre de fusils avec un chargeur circulaire n’étaient pas là pour la rigolade… Enfin, ce sont surtout les étoiles dans les yeux de notre maniaque des flingues qui m’avait mis la puce à l’oreille.

« Mais r’gardez-le… On dirait un p’tain gosse l’jour de noël. On est dans la merde et l’mec s’émerveille d’vant d’pauv’ armes, putain. Se permit l’argenté dont le rictus agacé soulignait bien son état d’esprit.
- Pauvres armes ?! Répète un peu ça ! C’est des Thompson M1 928 ! 5kg de pur bonheur qui crache ses trente balles à sept cents coups par minute. Avec ça, rien ne peut t’arrêter… Il m’en faut un…
- Eh bien eh bien… Un des bandits se ramena pour couper la discussion. Je vois que vous êtes un fin connaisseur d’arme.
- Mais-Mais non, c’est juste une passion… un hobby… un passe temps…
- Mais t’es rougeaud, t’es troublé ? M’interloquais-je. Le mec te fait d’l’effet ? J’savais pas que t’étais de ce bord-là Nick. Eh vous, vous ne voulez pas passer un peu de temps avec mon collègue ?
- Ta gueule Kagami !
- Toi aussi, la ferme, la mijaurée…
- A-arrêtez vous, je ne p-pense pas que la situation est p-propice à c-ce genre de c-conflit… Murmura Iban, paniqué
- Allons, vous énervez pas. Vous pouvez vous calmer ? … … Voilà. Maintenant que ce malencontreux orage est passé, est-ce vous pou-
- Un orage ? Mais pourquoi il parle d’orage l’autre là ? Il fait si mauvais que ça dehors ?
- Bordel ! Mais Vous allez la fermer là ?! Hurla le bandit qui semblait perdre son calme. C’est un putain de braquage, alors les mains en l’air et donnez moi tout c’que vous avez !
- Ooooohkey… Mais, on n’peut rien t’donner vu qu’on a les mains en l’air…
- Pas faux.
- Je hais d’l’admettre, mais ce p’tit con a raison…
- J-je rejoins l’avis g-général.
- MAIS VOUS ALLEZ LA FERMER OU J’VOUS TRANSFORME EN PASSEOIR ! ALORS, MAINTENANT, DONNEZ MOI TOUT CE QUE VOUS AVEZ !
- Oula, z’êtes nerveux quand même… c’est si stressant que ça de braquer des trains ?
- Pourtant, vu comment ils sont équipés… Ils devraient s’sentir à l’aise.
- En plus, ils s’attaquent à un simple train de passager, sans défense… A leur place, j’serai tranquille, détendu.
- … !
- Oh, une grosse veine vient d’apparaître sur son front…
- Elle pulse…
- M-monsieur le braqueur, je v-vous cons-seillerai de f-faire reto-tomber votre t-tension. Vo-vous allez f-faire un ma-malaise si ça co-continue.
- Vous voudriez bien un jus de banane ?
- … !!! PUTAIN J’VAIS ME LES FAIRE !!!! »

Épuisé, énervé, excédé, le braqueur au long manteau de cuir brandit son arme devant notre petit groupe, glissa ses doigts sur la gâchette alors que la grosse veine bleue de son front pulsait dangereusement et… Un fourreau de sabre heurta violemment son occiput frontal dans un craquement sordide. Sous la violence du choc, ses yeux se révulsèrent, il perdit l’équilibre et partit à la renverse tandis que ses doigts se crispèrent brusquement, déversant un torrent de balle pendant sa chute. Nous eûmes juste le temps de nous écarter de la trajectoire afin d’éviter de devenir des gruyères ambulants.

« ARRRGH ! »

Un cri retentit. C’était moi. Je n’avais pas été assez rapide, trop admiratif devant le magnifique jeté de fourreau de Juno. Plusieurs balles m’avaient touché. Putain ça faisait mal de chien ! Fais chier ! Manquait plus que ça… Je me retrouvai au sol, troué comme un gruyère. Iban se jeta sur moi pour m’ausculter… Et merde, je devais avoir l’air d’être mal en point vu comment il était paniqué. Déjà que la bande de malfrats nous tenait tous en joue… On était fait comme des rats. Putain, ça serait bien l’moment que ces connards de l’élite se décident de bouger leur cul. On allait crever ici !

D’un coup, un puissant vacarme retentit et pratiquement tout le monde perdit pied. Le train s’arrêtait… Bah putain, enfin ! Profitant de la cohue générale, mon petit groupe de soldats me traîna derrière le bar où l’homme à la peau d’ébène se cachait depuis le début. Je hurlai à m’en rompre la gorge, je saignai de partout, tout mon corps me faisait mal. Bordel ! Tu m’étonnes que Nick adore ces flingues. Entre deux râles de douleur, j’observai le bleuté continuer son auscultation pendant de longues secondes, tandis que l’épéiste vociférait des trucs que je n’arrivais pas trop à comprendre. Heureusement, un air semi-soulagé se dessina sur le visage du premier lorsqu’il s’essuya le front.

« Aucune balle n’a touché d’organes vitaux, mais il perd beaucoup de sang… Monsieur, avez-vous une trousse de secours derrière le bar ? C’est une urgence, si je ne lui extrais pas les balles, il va mourir d’hémorragie.
- Eh… Oui oui, j’ai ça ! Mais… Vous allez l’soigner ici, maintenant ? Le barman s’exécuta tout de même et attrapa la boite rouge dans l’une de ses armoires.
- Y’a pas l’choix… Et je pense qu’ils ne vont pas faire long-feu... J’compte sur vous, Juno, Nick…
- J’vais les buter…
- Hop hop hop, Juno… T’as le droit de les battre à mort, mais pas de les tuer, ok ?
- …Ok…
- Chef, ça va ? Chef ?
-
- Ho ! Il me mit deux claques. On se réveille.
- .. Hein ?
- Je vais devoir vous opérer maintenant… Ca risque de faire un peu mal… Tiens, barman, vous pouvez me passer votre meilleur alcool ? La douleur passera mieux.
- Euh… Ok.
- Pas dès le matin… Protestai-je, prêt à m’évanouir.
- Chut chut chut… Prescription du médecin »

Lui qui était pourtant si délicat… Iban me força limite à boire tout le contenu de la bouteille. J’étais complètement assommé… Mais au moins, je ne sentais rien lorsqu’il se mit à me retirer les balles et à me recoudre.

Pendant trente bonnes minutes, j’entendais des tirs qui venaient de derrière le bar, mais aussi d’en-dehors du train. Des gens qui hurlaient, aussi… C’était vraiment que des braqueurs de trains, ou ils voulaient autre chose ? J’avais l’impression qu’ils massacraient les fuyards… C’est pas possible. Quand je serais remis sur pied, je les enfermerai tous jusqu’au dernier.

J’étais en colère… Mais pas que pour ça, j’étais aussi en colère contre moi-même… Je m’étais fait avoir, comme un bleu. J’aurais dû assister mes hommes, mais j’étais là, à m’faire sauver par l’un d’entre eux… Fais chier.

Au fur et à mesure, les coups de feu s’atténuèrent, jusqu’à ne plus rien entendre. La cacophonie se vit remplacée par un lourd silence. Le jeune médecin souffla alors un bon coup et se releva. Il avait fini. Il me tendit alors la main pour m’aider à me relever et, lorsque mon regard dépassa le comptoir, j’aperçus la dizaine de bandits étaler à terre et mes deux guerriers débraillés, tailladés, troués, debout au milieu de ce champ de bataille. Ce n’était pas un spectacle réjouissant, mais un sourire se peignit tout de même sur mon visage lorsque mes yeux remarquèrent l’absence de sang sur les lames de l’argenté… Ouf, il ne s’était pas laissé aller.

A ce moment-là, des pas se rapprochèrent de notre wagon et les membres de la marine d’élite rentrèrent d’un coup, à leur tête le fameux Lieutenant d’élite Mountbatten. Celui-ci nous jeta un regard, balaya la salle et insista un peu sur ma personne. Il lâcha juste un petit soupire dépité et fit demi-tour pour sortir du train, nous laissant avec les civils qui s’étaient réfugiés dans un coin.

« Putain… Même pas un merci quoi. Bande de tocard ! Lâchai-je, toujours accoudé à Iban. On aurait pu crever, bordel…
- Ouais, surtout toi…
- Oh la ferme… Bon boulot les gars. Allez, on fait redémarrer le train et on rentre au bercail… Putain d’marine d’élite. »

Et voici comment ma haine envers ces connards de l’élite avait commencé.
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