La tête lourde et pleine de rêve
Le réveil allait être difficile.
« Arf, ma tête… » pensa Farros. Il avait l’impression qu’on le frappait à répétition avec une poêle sur la tête. Il en éprouvait presque de la pitié pour celui qu’il avait assommé pendant le festival d’Umgefulls. Mais qui avait pu lui faire ça ? Il avait beau essayer de s’en rappeler, il n’avait que peu de souvenirs de la veille au soir. Alors qu’il essayait de recoller les morceaux, on toqua à la porte : « Dis-donc, Toutou, pas trop difficile le réveil ? Hé hé hé… » s’esclaffa le capitaine en ouvrant la porte. Ça y est, tout paraissait plus clair ! L’équipage de pêcheurs avait fêté l’anniversaire du capitaine Campscotch.
- Alors, p’tit gars, ça fait quelque chose, une première cuite, hein ? Le taquina le capitaine.
- Une première cuite ? Arf, merde… Mais… Ça fait longtemps que vous êtes réveillés ?
- Et comment ! On a dû griller des sardines à midi, on n’avait pas le cœur à te réveiller…
- Arf, désolé capitaine…
- Hé hé hé ! C’est pas grave, Toutou ! Allez viens, on est en train de remonter le filet, tu vas nous dire si on a pêché des poissons goûteux.
Farros se leva difficilement et prit la direction du pont. Le soleil tapait encore plus sur son crâne, et garder les yeux ouverts était un véritable défi. Les pêcheurs s’activaient autour de lui, tirant sur l’énorme filet de pêche. Il avait un peu honte d’avoir dormi jusque maintenant alors que tout le monde se tuait à la tâche. Soudain, un pêcheur tourna la tête vers le jeune cuisinier et s’exclama :
- Eh regardez qui voilà, c’est-y pas celui qui a bien failli vider notre cargaison d’alcool ! HA HA HA…
- Herf herf, salut les gars, ria Farros, gêné.
- Eh ben Toutou, t’étais bien imbibé ! Renchérit un autre.
Alors que l’équipage continuait à rire fort et à enchaîner les blagues, Farros se laissa emporter par ses pensées. Le temps était idéal. Un léger vent transportait l’odeur des poissons et l’eau turquoise d’East Blue était si paisible qu’on pouvait y voir toute sorte de créature marine. Le spectacle était éblouissant et Farros ne regrettait pas un seul instant de s’être lancé dans cette aventure.
Le chemin serait encore long avant d’atteindre son rêve, mais il avait confiance. Une fois de plus, le monde dévoilait au jeune homme tout le bonheur qui y régnait. Autour de lui, tout respirait la joie de vivre : la météo, l’attitude hilare des pêcheurs, le voyage…
Farros fût coupé dans ses pensées par le capitaine :
- Alors, Papriko, qu’est-ce que tu penses de la mer ?
- Rien n’est plus beau.
- Beau et impressionnant à la fois, n’est-ce pas ? C’est aussi ce que j’me dit à chaque fois. A chaque fois que je pose le pied à terre, c’est comme si je l’entendais m’appeler. Tu vas rire, mais… La mer, c’est comme ma mère… Qui me demanderait de rentrer à la maison...
- Herf, herf. En voilà une grande maison.
Il avait dit ça sur le ton de l’humour mais il pouvait lire dans le visage du capitaine une certaine émotion, indescriptible. Ses yeux brillaient et un léger sourire, presque mélancolique, lui ornait le visage.
- Tu sais, tu peux m’appeler Campscotch, presque personne ne m’appelle capitaine ici.
- Ouaif, ça marche cap… Euh j’veux dire, Campscotch.
- Hé hé hé… T’as du mal, hein ?
- Un peu. Dites, j’me demandais, depuis combien de temps parcourez-vous les mers ?
- Depuis bien plus longtemps que tu puisses l’imaginer… Elle est encore pleine de mystères pour moi, pourtant…
Pleine de mystères… Farros ne pouvait que le confirmer. Il en savait tellement peu à propos de ce monde. Il peinait à imaginer les îles incroyables qui parcouraient les mers et qu’il allait peut-être découvrir. Tout ça lui paraissait si lointain… Peut-être tout cela était-il plus proche qu’il ne se l’imaginait…
Tant d’aliments inconnus attendaient à être découverts. Farros en tremblait d’excitation rien qu’à y penser.
Parmi ces aliments, certains méritaient d'être mis à part. Le jeune cuisinier avait entendu parler de fruits particuliers, très rares. On les appelle les fruits du démon, ils sont la source de nombreuses histoires incroyables et beaucoup de questions se posent à leurs sujets. D’où viennent-ils ? Combien en existe-t-il ? Et pour Farros, existent-ils seulement vraiment ?
Son père lui avait raconté tant d’histoires à propos d’individus aux pouvoirs extraordinaires, tantôt à moitié animaux, tantôt pouvant créer et contrôler de véritables tempêtes enflammées… Tant de puissance, pour un seul individu… Le jeune homme avait du mal à se dire que de telles personnes parcouraient peut-être les mers. En bref, ce qui attirait le plus Farros dans la mer, c’était les énigmes fantastiques dont elle regorgeait.
Alors qu’il allait se tourner vers le capitaine pour lui poser une question de plus, ce dernier était déjà à l’autre bout du pont, occupé à donner des directives et des conseils à ses hommes.
Tout ça avait donné une idée à Farros. Et s’il préparait une salade de fruit à l’équipage pour se faire excuser de son réveil tardif ? Il se rendit dans la cuisine du navire. Il adorait cet endroit. Rien ne valait pour cuisiner que de pouvoir regarder au travers du hublot les vagues danser et refléter les rayons chauds du soleil ou parfois l’intimidante lumière de la lune.
Il commença par couper les fruits qu’ils avaient pu se procurer lors du festival d’Umgefulls. Bâtons de vanille, de cannelle, clous de girofle, du sucre et un zeste de citron… En pleine préparation, il se surprit à penser à sa famille. Ils allaient lui manquer, et Farros se rendait compte qu’il s’écoulerait des années peut-être avant qu’il ne puisse les revoir.
Jolon, son père, était l’un des fils d’une nombreuse famille de douze enfants, et l’un des seuls à ne pas avoir pris la mer. Ainsi, Farros avait de nombreux cousins et cousines. S’il avait des liens forts avec certains, d’autres lui étaient presque inconnus.
Cette famille était vraiment phénoménale. Sa grand-mère paternelle naviguait elle aussi en mer, accompagnée de certaines de ses filles. Le père de Farros lui racontait qu’il s’agissait d’une grande pirate, mais Farros savait bien qu’il ne s’agissait là que d’histoires qu’on lui racontait quand il était petit pour s’endormir. Quant à son grand-père paternel, il semblerait qu’il s’agissait d’un révolutionnaire, mais il était mort alors que Farros n’était même pas né.
Pour en revenir à son père, c’était un bonhomme du style têtu au grand cœur, passionné par la nature et surtout par les plantes.
Sa mère, Verona, était la seule fille de la grand-mère maternelle de Farros. Elle brillait par son intelligence et aimait passer son temps libre à la bibliothèque, à lire ou écrire. Ses frères, et donc les oncles de Farros, étaient au nombre de trois.
Le premier, Mark, brillait par sa gentillesse, son humour discutable et par son talent pour le travail du bois. Il travaillait au port, s’occupait de réparer des navires et plus rarement d’en construire. Ensuite, les faux jumeaux : d’un côté, Rowan, un grand dadais un peu simplet très serviable, connu par bon nombre des commerçants de l’île, son passe-temps étant de faire le tour des commerces de Shell Town ; de l’autre, Pierrot, le meilleur cuisinier de la famille, c’était en grande partie grâce à lui que le restaurant connaissait un certain succès il y a quelques années, avant son départ en mer.
En ce qui concerne sa grand-mère, Nini, elle était la femme la plus forte que Farros connaissait, même si son physique ne le laissait pas forcément deviner. Un mental d’acier, un grand cœur. Il s’en sentait également proche de par leurs points communs trop nombreux pour être énumérés.
Son grand-père maternel, dont le jeune homme tenait son prénom, était un bon vivant, un excellent cuisinier et un grand charmeur, mais les avait quittés il y a des années déjà.
Enfin, sa sœur, May : Farros l’adorait. Elle avait un sale caractère, mais ils s’adoraient. Parfois ils s’entendaient comme chien et chat. Ce qui leur correspondait assez bien, constata Farros, amusé.
Une larme coula jusqu’au bout du nez de Farros, avant de tomber en plein dans la salade de fruit.
« Arf, et merde ! » s’exclama Farros. Voilà ce que ça donnait, de se laisser déconcentrer pendant qu’on cuisinait ! Il se crispa légèrement au moment de verser le rhum dans sa préparation.
Une fois sa salade de fruit terminée, le jeune cuisinier sortit l’amener à l’équipage, prenant garde à ne pas faire tomber l’énorme saladier qui la contenait.
Les pêcheurs accueillirent la surprise par des exclamations joyeuses et de grands cris virils dont Farros ignorait encore la recette. Il les observa se régaler, ce qui lui fît penser qu’il devrait bientôt se séparer d’eux. Une telle idée lui brisait le cœur, mais il savait que c’était inévitable et que ce ne serait probablement pas les seuls amis à qui il devrait faire ses adieux. « Adieu » … Farros n’aimait pas ce mot, on l’utilisait trop vite. Il avait bien l’intention de les retrouver un jour !
- Toutou ! A quoi tu penses, cette fois ? Allez, viens t’asseoir ! Lui cria l’un des pêcheurs.
- Ouaif, laissez-moi une place !
Farros lui était reconnaissant de l’avoir arraché à ses pensées mélancoliques.
Alors que tout le monde mangeait, discutait et chantait, le capitaine Campscotch demanda un peu d’attention :
- S’il vous plaît, s’il vous plaît, moussaillons ! Ecoutez-moi un instant ! On devrait arriver demain à Shimotsuki, juste à temps pour livrer notre cargaison ! Cela signifie plusieurs choses. Rappelez-vous que les coutumes là-bas sont particulières. Et enfin, c’est probablement l’endroit dans lequel nous dirons aurevoir à celui qui a ravi nos papilles depuis quelques semaines déjà… Car, à moins que tu ne changes d’avis, Farros, tu devrais y trouver un équipage qui fasse des trajets disons… Moins communs que les nôtres, héhé…
- Ouaif, merci encore pour tout, les gars… Et surtout vous cap… Campscotch. Sans vous, j’aurais même pas quitté Shell-Town à l’heure qu’il est, herf, herf.
- Bien ! Renchérit vite le capitaine en se servant d’une caisse comme escabeau, cela ne peut signifier qu’une chose ! L’heure est venue de se remettre au travail… HE HE HE bien sûr que non ! Sortez les barils de rhum, la fête recommence !
La déclaration du capitaine entraîna les hurlements de joies de l’équipage qui manquèrent de faire perdre son audition à Farros.
La fête continua toute la nuit, et le jeune homme ne pût s’empêcher de penser au mal de crâne qui les attendait le lendemain. Malgré cela, son enthousiasme ne faisait aucun doute.
« OUAIF ! Shimotsuki, nous voilà ! »
Dernière édition par Farros le Dim 10 Mar 2019 - 12:22, édité 3 fois