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Pris à revers

Les boulets frappaient la plage de galets avec violence, projetant les éclats des pierres autour d'eux. Au milieu des impacts, les soldats courraient comme des dératés pour trouver l'abri naturel que leur offrait le pied de la falaise. Tenko agissait de la même manière que ses compagnons, son barda le ralentissant dans sa course. Il jeta un regard sur la crète qui devait se trouver à des centaines de mètre de là. Il pouvait apercevoir la lumière que généraient les canons en propulsant leurs projectiles. Son cœur battait si fort qu'il avait l'impression qu'il allait lui sortir de la poitrine. La peur lui compressait les entrailles mais ses jambes étaient comme animées d'une volonté propre, s’agitant à une vitesse incroyable pour rejoindre la position en sûreté.

- GROUILLEZ-VOUS LE CUL ET RAMENEZ-VOUS ICI !

Le sergent Santes agitait ses bras depuis l'objectif que tentaient d'atteindre les centaines de militaires qui courraient pour leur vies. Le jeune troisième classe se concentra sur lui l'espace d'un instant et ne prêta plus attention à tout ce qui l'entourait. C'est alors qu'il fut jeté au sol. A peine eut-il le temps de comprendre qu'un autre homme l'avait percuté dans sa course que ce dernier croisa la route d'un des explosifs. Tenko se couvrit le visage de ses bras et se releva quelques secondes après l'explosion. Il était parfaitement conscient qu'en restant au sol, il ne pourrait que perdre la vie. L'abri se trouvait à près d'une centaine de mètre à présent, et le sous-officier continuait d'appeler les soldats qui continuaient d'affluer pour se coller à la paroi. Certains avaient déjà commencé à la gravir pour laisser la place aux autres. La jeune mouette finît de parcourir le trajet qui le séparait de ses camarades et se colla contre la pierre. Sa respiration était complètement irrégulière et son corps tout entier tremblait de terreur. C'était sa première expérience du champ de bataille. Alors que la tension redescendait lentement, Santes s'approcha de lui et des autres marins qui se trouvaient derrière lui.

- Bien joué les enfants! Je viens de recevoir des ordres du Colonel Meille.

Du menton, il désigna les trois navires qui se trouvaient au large, contenant les chanceux qui auraient le privilège de débarquer une fois que la colline depuis laquelle les révolutionnaires les pilonnaient serait prise. Les officiers attendraient aussi ce moment-là pour poser le pied sur l'île. Au fond de lui, Tenko haïssait ce comportement. Il ne s'imaginait pas envoyer des hommes à leur mort sans les accompagner. Mais tout le monde ne pouvait pas avoir l'intégrité du sergent qui s'adressait à eux.

- Selon les rapports qu'ils ont eu de notre agent, les rebelles auraient négligé la côte ouest de l'île. Il va falloir que vous preniez cette direction et que vous contourniez leurs positions pour prendre la colline à revers.
- Qui va nous diriger là-bas, sergent?

Sanes fixa Tenko, qui venait de prendre la parole, avec un regard à moitié entre la gêne et la colère. Mais le troisième classe savait très bien qu'elle n'était pas dirigée envers lui. Le sous-officier ne tarda pas à lui donner sa réponse.

- Je dois coordonner l'attaque frontale de la colline. Il va falloir vous débrouiller par vous même sur ce coup, les gars.

La cinquante de soldats qui se trouvaient à écouter leur supérieur sembla comme figée par ses propos. Ils n'avaient certainement pas l'expérience suffisante pour mener ce genre de missions en solitaire. Et pourtant la négligence des stratèges les mettait dans cette situation complexe. Sans attendre, le sergent désigna des caporaux temporaires, qui géreraient des escouades de cinq hommes pour la seule durée de la mission. Tenko se retrouva donc sous les ordres d'un de ses amis d'alors, Javis Trevor. Les militaire n'attendirent pas plus longtemps et longèrent la falaise pendant une bonne dizaine de minutes, jetant de temps à autre des regards inquiets vers leurs camarades qui après avoir quitté la plage se retrouvaient à parcourir une plaine de plus de trois cent-mètres avant de trouver un nouvel abri. Toute la réussite de l'attaque reposait sur les épaules de ces dix escouades parties renverser la situation. Après près d'une demi-heure de marche, ils avaient perdu de vue le lieu de l'affrontement et faisaient face à une forêt au-dessus de laquelle s'étendait la colline Ponto. Les hommes se séparèrent selon leurs unités. Les caporaux avaient décidé d'entrer dans la forêt tous en même temps et de prendre des chemins différents une fois à l'intérieur. Ça leur permettrait 'éviter d'être tous décimés en une fois s'ils tombaient face à une garnison ennemie protégeant cet accès. Le groupe du troisième classe fut le dernier à entrer dans la jungle, après que leur chef se soit adressé à eux.

- Bon, on va mettre en place notre formation. Je passe devant avec Tenko, Marq tu reste au centre. Loma et Fuyo, vous fermez la marche. On garde une distance de cinq mètre entre chaque partie de la formation. Si l'avant ou l'arrière se fait attaquer, Marq tu rejoins les deux qui restent et vous vous préparez à défendre votre peau. Si c'est le centre qui encaisse, on leur tombe dessus sur les flans. Compris?
- Oui, caporal.
- Soyez pas formel les gras, c'est temporaire.

Les hommes lâchèrent un rapide sourire avant de rentrer dans les sous-bois. La tension venait de remonter d'un grade. La visibilité était franchement faible et les soldats raffermirent leur prise sur leurs armes. Ils n'étaient pas au bout de leurs surprises.
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Le bois se révélait extrêmement silencieux. La bataille avait fuir tout les animaux possibles, aussi les seuls bruits qui demeuraient était ceux des pas des militaires.  La situation était vite devenu oppressante. Tenko et Javis avançaient, en tête, écartant les hautes herbes de leurs sabres. S'ils avaient gardé le silence pendant les premiers instants, les langues s'étaient déliés plutôt rapidement.

- Quelle mission de merde... On était censé prendre l'île rapidement et nous voilà dans cette foutue forêt pour attaquer cette colline...
- Je comprends pas ce qui est passé par leur tête en débarquant si peu d'hommes...
- Ils veulent garder leurs fesses au chaud en attendant qu'on leur mâche le travail. C'est un truc classique paraît-il...

Ils firent une pause, concentrant de nouveaux leurs esprits sur les environs. Il leur était difficile de repérer la hauteur qu'ils devaient gravir à cause du feuillage dense, aussi ils suivaient une boussole depuis leur entrée au milieu des arbres. Les végétaux étouffaient les bruits de la bataille à quelques centaines de mètre de là seulement. Ils continuèrent de suivre leur cap pendant une dizaine de minute avant de reprendre leur conversation.

- C'est ta quatrième bataille, non?
- Ouais. J'ai fait ma première au sol mais elle était plus simple que celle-là.  Et deux autres en mer.
- T'es presque un habi...

Alors qu'il allait terminer sa phrase, des cris résonnèrent à l'ouest de leur position. Ils s'arrêtèrent et attendirent quelques instants.  Les voix s'étaient faites entendre à près d'une cinquantaine de mètres seulement. Marq, Loma et Fuyo avaient rejoint les deux compères en tête. Ils s'étaient tous réfugiés derrière une imposante bûche et l'homme placé au centre en temps normal avait sorti des jumelles de son barda. Il occupait le poste de vigie sur les navires, aussi il gardait toujours ce genre de matériel sur lui pour pouvoir user de ses bons yeux de la meilleure manière possible. Il se concentra alors que les autres vérifiaient que leurs armes étaient bien chargées. Il commenta enfin la situation.

- Fais chier! Y a peut-être une huitaine de rebelles qui sont tombé sur l'escouade de Kotomo... Ils regardent par ici mais je pense pas qu'ils nous voient...
- On va pas prendre le risque...

Ils avisèrent de leur position. Ils se trouvaient près de la clairière où s'étaient fais cueillir leurs compagnons. Après une courte discussion, ils avaient un plan pour s'occuper de leurs adversaires. Quelques minutes plus tard, alors que les révolutionnaires se trouvaient encore occupés à fouiller les corps de leurs victimes, ils remarquèrent qu'un individu habillé d'un uniforme blanc et tenant son ventre, rougeâtre, sortait des bois. Ils braquèrent leurs armes vers lui mais il tenta de lever ses bras avant de s'effondrer. Le chef de l'escouade désigna le corps à deux de ses hommes qui s'occupèrent d'aller le chercher. Alors qu'ils atteignaient Tenko, des coups de feu résonnèrent derrière eux et ils se retournèrent. La jeune mouette, pas blessée pour un sou, profita de l'occasion pour sortir son sabre et s'occuper de leur cas. Marq et Loma tiraient depuis les arbres à l'est tandis que Fuyo et Javis occupaient le côté ouest. Pris de court, les survivants eurent à peine le temps de se réfugier derrière leurs trois compagnons tués sur le coup et les cadavres des marins qu'ils avaient pris par surprise. Leur propre piège s'était refermé sur eux. Sans même attendre, le troisième classe qui  avait lui aussi utilisé ses victimes pour se réfugier utilisa son arme pour ouvrir le feu. Malgré l'angle de tir optimal, ses balles ne faisaient pas mouche. Il n'était pas bon tireur. En entendant les coups de feu de leur diversion, les mouettes sortirent pour charger les rebelles qui se trouvaient en plutôt bonne position. Tenko essaya de les stopper.

- N'Y ALLEZ PAS !

Mais il était trop tard, les marins s'étaient élancés, fusils à la main. Les révolutionnaires se redressèrent et ouvrirent le feu. Trois des compagnons de Tenko s'écartèrent de leur trajectoire, évitant les tirs avant de répliquer. Mais Fuyo n'eut pas cette chance.

- Crevez, bande de fumi...

La balle lui avait arraché la moitié de sa mâchoire et il s'effondra au sol en gémissant. Les trois autres soldats avaient abattu l'un de leurs ennemis et la chute de leur camarade leur donna la force de trucider les deux rescapés. Le jeune troisième classe avait couru pour rejoindre Fuyo et lui donner les premiers soins.
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Fuyo gisait au sol, ses mains placées sur sa blessure. Mais quand Tenko arriva, il remarqua quelque chose qui compliquait grandement la situation. La balle avait ricoché contre l'os et était descendue avant de ressortir par la nuque, entaillant légèrement la jugulaire du bonhomme. A ce stade, les mouettes ne pourraient rien faire pour lui sans un médecin. Alors que ses compagnons massacraient les deux enflures encore sur leurs cannes, le jeune troisième classe attrapa les mains du blessé et les ramena le long du corps pendant qu'il lui parlait pour qu'il se calme. Si son rythme cardiaque baissait, il gagnait quelques minutes.

- Fuyo, écoute-moi! Si tu veux tenir le coup il va falloir que tu te calme, d'accord?
- Gwwrlgll..
- N'essaye pas de parler, t'as une balle qui t'as traversé le gosier!

Tout soudainement, les yeux du soldat au sol s'écarquillèrent et il chercha à atteindre son cou avec ses mains pour localiser la balle. Quand Tenko essaya de le maintenir, il continua de se débattre. Alors que le troisième classe se plaçait au-dessus de lui pour l'immobiliser, il essaya de se relever brusquement et un immense flot de sang s'écrasa derrière lui. La blessure dans sa nuque venait de se déchirer, laissant la jugulaire inonder le sol. Réagissant au quart de tour, la mouette posa ses mains pour empêcher l'hémoglobine de s'échapper par là. Il jeta un regard en arrière et cria pour demander de l'aide à ses collègues qui en finissaient à peine avec leurs adversaires. Ils accoururent et essayèrent de transporter le blessé pendant que le troisième classe bouchait la blessure. Ils n'avaient pas fait dix mètres que des balles vinrent faire sauter la terre autour d'eux. Les trois marins lâchèrent le soldat et coururent se mettre à l'abri des arbres. Tenko hésita quelques secondes alors que Fuyo tenait son bras en l'implorant de ne pas l'abandonner. Le jeune homme se baissa et modifia sa prise pour tirer le soldat en arrière vers le couvert naturel des arbres.

- LAISSE LE TENKO, ON PEUT RIEN POUR LUI !
- Je peux pas te laisser là! je vais pas te laisser tomber Fuyo, compris?!

Une deuxième salve de balle, destinée uniquement au jeune soldat et à la victime vint frapper à proximité. Une balle frôla la cuisse du troisième classe, lui laissant une belle estafilade douloureuse au passage. Il jeta un regard au visage de son fardeau et remarqua alors ses yeux, où la vie s'était éteinte. Il n'attendit pas plus longtemps pour laisser le cadavre derrière lui : il s'agissait maintenant de sa propre vie. Il eut le temps d'atteindre les arbres avant que d'autres projectiles ne soient tirés. Son escouade l'attendait là et dès qu'il arriva ils détalèrent sans prendre garde à la direction qu'ils empruntaient. Ils coururent comme des dératés pendant une dizaine de minutes au moins, jusqu'à ce que Loma ne se prenne le pieds dans une branche. La jeune femme s'effondra au sol et Tenko s'arrêta pour la relever. Marq ne put s'empêcher de faire la remarque de trop.

- Allez, on a pas le temps pour ça!

Le troisième classe se détourna de la jeune soldate maintenant debout et envoya un coup de poing dans le nez du gringalet avant de se saisir de lui par le col et le plaquer contre un arbre. La colère exultait de l'expression du jeune homme que ses compagnons n'avaient jamais vu dans cet état.

- Tu fous quoi dans l'armée au juste, connard? T'as été le premier à le lâcher!
- De quoi tu parles?!
- TU TE FOUS DE MA GUEULE ?!

Un deuxième coup toucha le jeune homme en plein visage, et un troisième l'aurait également atteint si Javis ne s'était pas enfin interposé. Il écarta Tenko et essaya de le calmer tandis que ce dernier essayer de contenir son envie de meurtre. Il n'avait jamais si peu d'empathie dans un être humain et ça le mettait hors de lui. Comment pouvait-on devenir soldat avec un sens de la communauté si peu développé. Le caporal provisoire parlait dans le vide, son subordonné fixant sa victime avec un regard plein de haine. Marq représentait parfaitement la mentalité des officiers qui se cachent derrière leurs hommes et s'enfuient en les laissant mourir quand la situation tourne au vinaigre. Le jeune homme finît néanmoins par se concentrer de nouveau sur son interlocuteur alors que Loma s'assurait que Marq n'avait rien d'autre de cassé que son nez.

- Ecoute, je sais ce que tu ressens...
- Non Javis, toi aussi tu l'as lâché... Vous l'avez tous laissé à son sort parce qu'il était foutu selon vous!
- Il allait nous claquer dans les pattes, Tenko.
- Il serait mort avec nous, au moins!

N'ayant plus d'arguments, Javis lâcha son ami et s'assura que tout allait bien du côté de la vigie. Quand l'affaire fut terminée, ils reprirent leur route, Marq et le caporal en tête, Loma et le troisième classe dix mètre derrière eux.

- Tenko, je suis désolé de t'avoir laissé Fuyo...

Le jeune homme haussa les épaules silencieusement. Sa collègue avait été la dernière à lâcher le blessé et à courir à l'abri. Elle était resté trente secondes de plus que les autres. Cela signifiait beaucoup pour le jeune homme qui le lui fit savoir.

- Merci d'être resté un peu Loma. Tu l'as fait passer avant toi autant que tu l'a pu, et c'est ce qui compte.
- Il verra pas la suite de cet enfer au moins...
- Ouais, c'est pas plus mal.

Ils continuèrent de suivre le duo de tête pendant un moment avant que leur conversation ne reprenne. La végétation se faisait de plus en plus dense et le soleil déclinant ne les aidait certainement pas à se repérer. Mais ils avaient fini par retrouver le sens de la pente et avaient atteint une sorte de prairie qui les gardait hors des regards qui pouvaient se glisser en contrebas depuis la colline. Ils trouvèrent deux grottes et se séparèrent selon leurs duos, pour augmenter leurs chances en cas de prises une fois de plus. La nuit tomba et les deux soldats mangèrent leurs rations en observant la forêt qui s'étendait en contrebas. Ils avaient une vue optimale jusqu'au bout de l'île sur l'étendue boisée. Ils discutèrent un long moment avant de finalement prendre du repos.
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Loma avait pris le premier tour de garde, sur les trois première heures. Elle passait le temps en grattant machinalement la terre devant elle avec la pointe de son sabre, ses yeux rivés sur la prairie et la bordure de la forêt. Elle réfléchissait au trajet qu'ils devraient emprunter le lendemain. Ils gravirait l'a-pic qui les surplombaient et se retrouveraient à une altitude plus grande encore que celle de la colline. De là, ils pourraient envisager un plan d'attaque pour neutraliser les défenses. S'ils arrivaient à regrouper la quarantaine d'hommes qui, l'espéraient-ils, étaient toujours vivants. La jeune femme détourna son regard vers le troisième classe qui dormait. Il avait passé la journée la plus dure à vivre depuis son entrée dans la Marine. Elle pouvait comprendre sa colère, elle était passée par là à quelques reprises elle aussi. Cela faisait trois ans déjà qu'elle avait revêtu l'uniforme mais malgré ses bons résultats, son manque d'audace l'empêchait de monter au-delà de la première classe. Dans le meilleur des cas elle s'imaginait finir sa carrière en tant qu'instructrice. Elle soupira en pensant à cette idée stupide qu'elle avait eu en s'imaginant monter l'échelle des sous-officiers en quelques mois seulement. Douce utopie.

- Qu'est-ce qui te tracasse?

Loma sursauta en entendant la voix du jeune homme. Il rigola en voyant sa réaction et se redressa, s'asseyant près d'elle.

- Tu devrais dormir, il te reste une heure de sommeil devant toi au moins.
- Je ne fais que somnoler de toute manière...
- Et c'est moi qui suis tracassée?

Elle lui offrit un sourire qu'il lui rendit aussitôt. Ils scrutèrent les environs ensembles et gardèrent le silence. Un vent frais soufflais depuis le début de la soirée et malgré sa couverture, la jeune femme avait froid. Elle se rapprocha doucement de Tenko qui ouvrit son bras pour qu'elle se blottisse contre lui. Petit à petit, la chaleur des deux corps leur permit de cesser de claquer des dents. Alors qu'il allait lui parler, le troisième classe remarqua que sa voisine s'était assoupie quelques secondes seulement après avoir posée sa tête sur son épaule. Il lui caressa les cheveux et prit son tour de garde en repensant au groupe qu'ils formaient. Le premier qu'il avait rencontré était Javis. Il s'étaient fréquentés tout au long de leurs classes et s'étaient retrouvés affectés ensemble sur cette mission. Il avait rencontré Marq et Fuyo dans le navire qui les avaient menés ici. Quand à Loma, elle était en garnison avec lui, sur Poiscaille. Ils travaillaient parfois ensemble et il ne pouvait nier le fait qu'il l'appréciait particulièrement. C'était une femme simple et sympathique, mais qui conservait son caractère bien trempé pour se débarrasser de ses ennemis comme des marins enivrés ou trop entreprenants. Physiquement, il devait avouer qu'elle lui faisait du charme avec ses cheveux blonds cendrés tirés dans une courte queue de cheval. Ce qui restait de nuit passa et alors que le halo de lumière précédant le soleil commençait à se manifester, Marq vont trouver les deux soldats, affichant une expression de surprise en les trouvant positionnés de la sorte.

- On va commencer à grimper dans une demi-heure, vous devriez vous lever.

Il repartit sans attendre, un air d'amertume sur le visage. Tenko ne put deviner si c'était la rancœur pour les coups de la veille ou la vision de Loma nichée dans ses bras qui l'animait. A vrai dire il n'en avait rien à faire. Il réveilla doucement la jeune femme et alla se dégourdir les jambes. Il avait lui aussi fini par s'endormir assis et son corps était maintenant endolori et courbaturé. Il se plaça au bas de la falaise et s'étira, avant d'être rejoint par le caporal récemment tiré de son sommeil.

- Tu peux pas savoir comment mon lit me manque...
- A qui le dis-tu? J'y ai pensé toute la nuit.
- D'après Marq, t'avais l'esprit ailleurs cette nuit!

Il donna une accolade au troisième classe qui lui offrit un sourire assorti d'un magnifique doigt d'honneur. Les quatre militaires se préparèrent rapidement avant de finalement commencer leur ascension alors que l'astre solaire pointait à l'horizon. La falaise offrait de nombreuses aspérités qui rendait l'ascension plutôt facile dans la première moitié. En vingts minutes, ils avaient parcouru une quinzaine de mètres, les amenant à mi-chemin du sommet. La deuxième partie du trajet s'avérait cependant plus complexe. Les aspérités se raréfiaient et s'écartaient, ne leur laissant plus qu'un seul trajet possible pour gravir la surface. Javis avait pris la tête, suivi par Loma et Marq, Tenko fermant la marche. Ils commencèrent à bloquer sur leurs positions et leurs muscles se remplissaient d'acide lactiques. Ils luttaient contre les crampes et essayaient à tout prix d'éviter la tétanie. Ils continuaient d'avancer à leur rythme et Javis finit par atteindre le pic. Mais il s'immobilisa en entendant les voix qui venaient de la position.

- Foutus marins, ils lâchent pas l'affaire!
- J'ai jamais vu autant d'obstinés dans un même endroit...
- Tu me diras, vu ce qu'on leur a mis dans la poire hier, ils sont pas près de prendre la colline.
- Ouais, ça c'est sûr!

Deux sentinelles se trouvaient là, surveillant certainement les plaines, forêt et plages de l'île depuis le promontoire. Et s'ils assumaient ce rôle, il avait les moyens de prévenir leurs copains si leur situation tournait au vinaigre. Les marins devraient faire vite.
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Javis se hissa tout en douceur sur le promontoire, essayant de ne pas attirer les rebelles qui lui tournaient le dos. Ils étaient assis sur deux chaises et scrutaient la plaine en contrebas où évoluaient les soldats qui avaient débarqué la veille. De ce qu'il pouvait comprendre de la situation, les deux gus étaient chargés d'orienter les tirs de l'artillerie qui n'avait plus aucune vision des soldats dans les hautes herbes. D'ailleurs, le plateau sur lequel ils se trouvaient descendait en pente douce vers la colline où étaient installées les pièces d'artillerie. Les révolutionnaires ne prêtaient pas attention à la falaise par simple négligence, ne pensant pas qu'un ennemi gravirait la pente pour rejoindre cette position. Ils n'auraient pu se tromper davantage. Le jeune caporal tira deux couteaux d'une des nombreuses poches qui garnissaient son uniforme et s'approcha d'eux à pas feutrés. L'herbe qui recouvrait le sol lui permettait d'étouffer le son de ses pas, lui garantissant un déplacement silencieux. En quelques secondes, la situation fut réglée. Les deux armes blanches traversèrent le crâne des individus qui n'eurent pas même le temps de comprendre qu'ils étaient attaqués avant de mourir. Les trois autres soldats purent monter rejoindre leur meneur. Quand Tenko rejoignit les autres, ceux-ci s'étaient couchés à même le sol et observait la situation. Le troisième classe remarqua une arme à feu de longue portée qui traînait par là et il la fit passer à Marq. La vigie utilisait tout son potentiel pour étudier la situation.

- Ça sent pas bon pour nous tout ça...
- Qu'est-ce qui se passe?
- Regarde par toi même...

Le troisième classe se saisît des lunettes que lui tendait son collègue et les plaça devant ses yeux. Il ne put s'empêcher de jurer en voyant l'étendue de dégâts. Les soldats étaient relativement en sécurité depuis qu'ils avaient réussi à traverser la plaine et s'étaient nichés au pied de la montagne. Mais sur cette même étendue plane, les cadavres étaient indénombrables. Si deux cents hommes étaient tombés sur la plage, le double avait rencontré ce même sort quelques centaines de mètres plus loin. Tenko passa les jumelles aux autres avant de se concentrer sur les troupes qui manœuvraient sur la colline. Il y  avait une dizaine de canons qui tiraient avec une bonne cadence, provoquant ce barrage meurtrier. Mais en dehors des canonniers, il ne comptait pas plus de quarante hommes postés sur la hauteur. C'était largement possible pour les trois cents marins qui restaient de s'installer là avant que la nuit tombe si le petit groupe faisait bien son travail. Marq s'était écarté de ses compères en emportant le fusil et observait la forêt épaisse qui s'étendait de l'autre côté de la montagne. Les autres se rapprochèrent discrètement.

- On dirait qu'on va avoir du travail de ce côté-là aussi...
- Putain d'armée rebelle!
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