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La gentillesse est subjective

- Tséhéhéhé... Quelle bande de pauv' tâches.

   Confortablement installé au fond de mon siège en cuir abîmé, les jambes croisées sur la table de mon bureau, je relis pour la cinquième fois la rubrique du détective Tao "Sais-tout", faisant office de nouvelle du jour. Pourquoi cinquième fois ? Parce que la première fois, j'en ai ris tant j'ai trouvé ça drôle. Et quand on aime on ne compte pas, paraît-il. Si seulement ça fonctionnait aussi bien pour les piécettes...
   Curieux que vous êtes, vous voulez sûrement savoir ce qu'il se passe. Eh bien je vais vous le dire : Rokade s'est faite défoncée l'arrière-train par un navire. Seul !
   Hilarant n'est-ce pas ?

   Dans le détail maintenant : notre île comptait dans ses rangs un capitaine pirate pas trop mauvais. Un canonnier retors ayant détroussé plusieurs navires marchands et fuis la Marine sans essuyer la moindre perte. Un as de l'esquive. En bref, le type a tapé dans l’œil de Tomé Odin, le responsable des forces armées, et a obtenu ce qui ressemble ici à un contrat à durée indéterminée. L'ennui c'est qu'hier, il a décidé de poser sa démission. Et pour que le message passe bien, il a saboté la plupart des défenses de la côte est de l'île et s'est fait la malle, après avoir fait le plein de munitions et bombardé les falaises, les pans de mur et les canons en place. Personne s'y attendait ! Un coup de pute de la part d'un traître qui s'est amusé à faire flamber le drapeau des Cinq qu'il hissait il y a peu en guise de pavillon ! J'imagine la tête de Tomé quand il a vu l'étendue des dégâts...
   Mais ce qui m'intrigue quand même, c'est pourquoi il a fait ça. Parce que bon, le mec est connu pour sa fugacité, mais il doit bien y avoir un but précis, mis à part le fait de vouloir mettre fin à son contrat.

- Bah ! Encore un qui s'plaint que sa paie est médiocre.
 
   Mais je n'ai pas le temps de remettre en doute ma propre affirmation qu'on frappe à ma porte. Sans bouger de mon siège, je regarde par la fenêtre sur ma gauche. Je ne vois pas la personne, mais je constate qu'il fait quasiment nuit au dehors... Sûrement dans les alentours de vingt-et-une heure trente. Si c'est un client qui vient m'demander de l'aide, je vais lui exprimer le fond de ma pensée !
   Ça frappe à nouveau. Je soupire et je me lève. Je sors Argument, mon fidèle bâton d'argent, et le fait tourner machinalement dans ma main. Je me met devant la porte, l'ouvre et :

- J'vous préviens, c'est fermé ! Alors j'espère pour vous que c'est important sinon j'vous jure que...
- Dorian Silverbreath ?

   Je me fige net, bouche bée : un petit bout d'homme en costume est là devant moi, son chapeau melon au niveau de mon menton. En retrait derrière lui, dix brutes portant le Noir des forces armées, mousquets et sabres au ceinturon.
   Je dévisage le tout en essayant de me rappeler un crime que j'aurais commis il y a peu. Mal vu sur Rokade j'entends. Et tout y passe dans ma tête : les impayés du mois, l'insulte publique du bistrotier d'à côté, le vol de la canne de Mémé Javorte, et même le bizutage de René l'Anguille : avec une connaissance, on l'a rempli à l'huile de baleineau en lui faisant croire que c'était la nouvelle cuvée des caves de Marcel Lèbre, un tavernier sur les quais.
   Puis je me souviens d'il y a deux jours, lors d'une fête d'anniversaire : nous avons chanté, bu, dansé, bu et... J'crois bien avoir repoussé méchamment la femme de l'aubergiste qui nous accueillait. Un mec bien vu par Pat Doti, responsable de la côte... Bon en fait : je l'ai carrément giflée, mais c'est elle qui était en tord ! Elle m'a fait des avances en pensant que l'alcool permettait tous les vices. Sauf que d'une, je culbute pas les femmes mariées, à moins que le mari soit d'accord ; de deux c'est moi qui choisis à qui faire du rentre-dedans et pas l'inverse ; de trois... Bon sang qu'elle était moche !

- Oh allez, m'en voulez pas... Z'auriez préférez que j'dise oui ?! Dans le noir et sans le savoir à la limite mais là...
- ...
- ... Vous v'nez pas pour ça j'imagine ?
- Monsieur Silverbreath, suivez-moi je vous prie. Quelqu'un d'important veut vous voir.
- Important comment ?
- Vous verrez.

   Bon. J'aime pas trop qu'on me dise ce que je dois faire, mais avouez qu'avec dix paires de bras armés en face, ça fait se remettre en question, même un peu. Du coup je range mon bâton et rentre chercher un vêtement chaud avant de partir.
   Il y a des soirs comme ça où la fraîcheur vous gagne sans raison apparente...
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Sur le port de Rokade, c’était l’effervescence. L’établissement « L’Ancre Noire », tripot de pirates bien réputé, était animé d’un feu ardent. Le bar était aussi plein qu’une cale d’esclavagistes et aussi bruyant qu’un pont de navire de guerre en pleine manœuvre. Il faut dire qu’il y avait de quoi, Rokade, Rokade la belle, la dangereuse, venait d’être attaquée par un frère de la côte. C’était là comme planter son couteau de voile directement dans un foc. Il y avait donc de l’humeur et force jurons proférés à l’encontre de ces traitres à leur sang.

Benjamin venait de rentrer d’une mission et avait apprit la nouvelle avec une forme d’agacement proche du dégoût. Il avait grogné la majeure partie du temps lorsqu’il avait entendu le récit par quelques marins restés à quai. Ils avaient tous convergé vers l’Ancre Noire, bien décidés à vider quelques futs et maudissant les vents qui porteraient le navire des agresseurs.

- CAP DE DIOU ! FOI DE LANDSTORM ! Ces hommes ne méritent pas le titre de frères de la côte !
- Pourquoi attaquer Rokade en plus !? Pouvaient pas juste partir ??
- Y’en a toujours qui pensent que partir dans le silence est mauvais présage.
- MORDIOU ! LES ALGUAZILS ! Parce qu’attaquer des frères de la côte est une meilleure façon de prendre la mer ? Qu’ils soient tous damnés !
- Pas faux.
- N’empêche, les officiels de Rokade passent pour de sacrés imbéciles maintenant.
- Personne ne devrait se méfier d’un frère.
- Ouais, mes avis qu’une chasse va être organisée.

En effet, au sein du tripot pirate tous n’avaient que vengeance à la bouche. Ô la mer seule sait à quel point ses hommes ont de grands principes lorsqu’il s’agit d’eux mêmes ! A cette heure, il était donc impossible de trouver sur Rokade un seul individu prêt à prendre le parti des assaillants. Il se murmurait déjà que plusieurs navires s’étaient portés volontaires pour mener une chasse digne de ce nom. Landstorm se doutait bien que dans le lot, il y avait quelques grandes gueules prêtent à se faire mousser dans l’espoir de se voir offrir quelques verres de rhum. Il y avait également quelques honnêtes pirates susceptibles de mener la chasse et de se perdre lamentablement en mer.

Benjamin était bien décidé à participer à une éventuelle poursuite, pour peu qu’elle soit viable. Il décida donc de se rendre au port, où il pourrait à loisir voir si certains navires étaient sur le point d’appareiller. Pour ce genre d’expédition, sa réputation et ses capacités de navigateur lui vaudraient certainement une intégration rapide et rémunératrice.

C’est ainsi que le massif marin prit la direction du port, rameutant avec lui quelques hommes de bonnes volontés.
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- Ça sent l'poisson...
- Nous approchons du port.
- Ouais, mais il est pas frais.
- L'odeur des morts.
- J'vais en faire partie ?
- Si tu continues à parler pour ne rien dire, oui.

   Il serait presque méchant, le petit bonhomme ! Et moi qui voulais faire la conversation... Enfin bon, nous approchons du port de Rokade. Bien abîmé, soit dit en passant : déjà pas claire de base, la roche est creusée et noircie par endroits ; un pan de falaise s'est effondré côté ouest ; les bâtiments longeant les quais ont eu leur lot de projectiles également, sans parler de l'éboulement d'une des proches grottes contenant un espace troglodyte servant de zone de stockage. Une sacrée pagaille !
   Je manque même de trébucher en me prenant les pieds dans un morceau de caillasse, délogé par un soulèvement récent, causé par la canonnade. Derrière moi, l'un des sbires se marre. Je me retourne, le regard mauvais. Mais je me contente pour cette fois de cette menace : les autres ont toujours la main sur le ceinturon.

   La personne qui veut me voir doit sacrément m'en vouloir... Il ne me semble pourtant pas avoir commis le moindre impair de ce côté de l'île. Même au travail... Et ça ne fait pas si longtemps que je suis installé de toute manière. C'est pas trop mon genre mais pour le coup je commence un peu à flipper !
   Nous finissons par arriver près du premier dock, lequel ne semble pas trop amoché. Et là me vient une pensée désagréable : si ça se trouve, ces tordus pensent qu'un type a aidé le capitaine Ratu sur la côte ! Mais pourquoi moi ?!

   Mon accompagnateur au chapeau s'arrête. En face, un homme s'approche. Musculeux, blond et barbu, scintillant presque dans son armure : le responsable des forces armées, Tomé Odin, nous dévisage.
   Et sans un mot, il fait signe à notre petit groupe de dépasser le dock, les bâtiments et les caissons éparses. Nous nous dirigeons finalement vers ce qui ressemble à une caserne, près de la seconde jetée. Ou du moins un gros pavé de briques devant lequel s'amasse déjà un paquet de monde et derrière lequel est amarré un navire en bois sombre et aux voiles grises. Je reconnais quelques visages dans le lot, mais il y a là également des marins de passage et des délinquants au sang chaud, tous affichant un air grave. Certains crachent des paroles acides ça et là, d'autres lancent des insultes dans le vent, espérant sans doute qu'elles atteignent leur destinataire, odieux connard et crottin de vache marine voguant loin d'ici.

- C'est quel genre d'réunion, ça ? On fait une petite saut'rie avant de tout r'taper ? Ou alors on jette un mauvais sort au responsable, c'est ça ?
- Presque : ici nous allons désigner qui pourra partir à la chasse aux pirates.
- C'est une blague ?

   Des forbans traquant des forbans... On me l'avait encore jamais faite, celle-là.
   Mais à mieux y réfléchir, ça devient logique : l'affaire est suffisamment grave pour réunir les grosses pointures et de l'île et les crapules un minimum impliquées par la vie en communauté. Alors forcément, il faut battre le fer pendant qu'il est chaud. Et comme pour confirmer mes pensées, Tomé Odin se place devant le regroupement d'individus pour finalement lever les bras et réclamer le silence.
   C'est un coup de feu de la part d'un de ses hommes à côté qui finit par faire baisser le volume :

- Rokadiens ! Si vous êtes tous là, devant moi, c'est parce que vous savez ! Vous savez ce que cet enfoiré d'Henry Ratu a osé faire alors que nous lui accordions notre confiance !

   La foule rugit à l'unisson.

- Pendant tout ce temps où il servait la cause... Qui aurait pensé qu'un jour il nous quitterait en ne laissant derrière qu'un nuage de cendres et de poussière ? Qui aurait pensé qu'il se moquerait ainsi de nous et de notre force ?!

   Nouvelle approbation générale. C'est vrai qu'il parle bien...

- Devrions-nous laisser cet acte impuni ? Devrions-nous laisser ce résidu d'insecte endommager notre île, considérée comme imprenable ?!

   Un "NON" puissant en guise de réponse.

- Bien sûr que non ! C'est pour ça que vous êtes là... Le capitaine Nath' Le Bleu à ma droite a été désigné pour partir à la poursuite de Ratu. Et nous comptons mettre toutes les chances de son côté en triant parmi vous les meilleurs hommes dans leur domaine respectif ! A commencer par un habitant. Certains d'entre vous le connaissent peut-être... Il n'est pas là depuis bien longtemps, mais il fait des merveilles lorsqu'il s'agit de requêtes étranges ou "d'histoires compliquées".

   Oh ? Je me demande bien qui ça peut être. Le responsable a réussi à attiser ma curiosité. Je souris de toutes mes dents, attendant patiemment de voir la tête de l'heureux élu qui allait servir d'exemple pour tous les filous du coin. Personnellement, cette requête-là ne m'intéresse pas plus que...
   ...
   Il a bien dit "requêtes" ?

- Rokadiens, encouragez comme il se doit l'un des traqueurs les plus efficaces que compte ce rocher : Dorian Silverbreath !
- Quoi ?!

   Les forces armées me poussent alors en avant, m'obligeant à passer devant la foule et à m'approcher du blond en armure. Ce qui ne me fait plus sourire du tout. Celui-ci m'attrape par l'épaule et me colle à la sienne d'un geste qui se veut amical, agitant son autre bras en direction du public. Je ne bouge pas, trop occupé à assimiler ce qu'il vient de se produire. Dans un murmure, Tomé Odin me dit :

- Estime-toi heureux : avec la publicité que je te fais, tu auras des clients à ne plus savoir quoi en faire...
- En admettant que je réussisse...
- Tu n'es pas seul, je te rappelle. A mes yeux, tu n'es qu'un fragment parmi tant d'autres. Une pièce qu'on remplace au besoin. A toi de prouver le contraire en participant à cette chasse et en contribuant à venger Rokade.
- ... Toute manière j'ai pas l'choix.
- Exactement.

   Et il me lâche enfin pour reprendre le contrôle de l'espace, obligeant les autres à l'écouter de nouveau :

- Et ce premier volontaire...

   Première fois que je lui parle et je le hais déjà.

- ... va être suivi par bien d'autres ! J'aperçois d'ailleurs des visages qui me sont familiers. D'ailleurs, l'un d'entre eux me dit clairement quelque chose, pour sûr ! Toi, là-bas : le grand gaillard au menton carré ! Viens donc par ici !
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Benjamin, solidement ancré sur une caisse de hareng fumé, fumait à l’aide d’une longue pipe. A ses côtés se trouvaient quelques frères de la côte à l’air expérimenté. Tomé Odin venait de l’interpeller d’une bien singulière façon.

- CAP DE DIOU !

Autour de lui, plusieurs pirates semblaient proprement scandalisés. Pour manifester leur mécontentement, ils commencèrent à jurer et à invoquer d’anciennes malédictions. Odin perdit toute bonhommie sur le visage et ce fut suffisant pour ramener une once de silence. Pour le fier marin, il en était évidemment autrement.

Benjamin pour les impolis, le Landstorm pour les respectueux, Frère pour ceux qui me reconnaissent en tant que tel, Navigateur, Cambusier, Maître voilier, Maître calfat, Maître charpentier, Pilote, Quartier maître, Maître canonnier, Maître d'équipage, Canonnier, Second. Parfois même matelot, simple gabier, moucheur, coq ou artilleur. TOUJOURS marin, toujours amoureux de la mer, fidèle amant de la grande vague. Mais « le grand gaillard au menton carré »… SANGDIOU ! Personne ne m’a jamais appelé comme ça ici où nulle part ailleurs sur toutes les Blues.

Tomé, quelque peu décontenancé allait formuler une excuse mais il n’en eut pas le temps. Déjà Benjamin reprenait de plus belle, le pointant de sa pipe d’un air dédaigneux, les yeux à peine visibles sous son tricorne.

- Et pas la peine de me jouer ton petit numéro de recrutement Tomé ! Je ne suis pas né de la dernière marée ! Je me demande surtout pourquoi ce n’est pas le capitaine Nath’ qui s’occupe de l’enrôlement des volontaires. Je commence à comprendre pourquoi Rokade se fait bombarder par son propre sang si les têtes pensantes commencent à tous nous prendre pour des merlans frits à la graisse de phoque !

Une nouvelle fois Tomé allait prendre la parole mais cette fois Benjamin se leva tout de go. Il se gratta longuement le dos, s’adressant plus à l’assemblée qu’à son interlocuteur initial. Tous l’écoutait, reconnaissant en lui un vrai marin qui mérite d’être entendu.

- Je m’en vais grimper sur ce rafiot et courir après cette canaille de cap’taine Ratu ! Mais je le fais pour l’honneur des frères de la côte, certainement pas pour satisfaire l’orgueil mal placé de quelques officiels qui feraient mieux de passer davantage de temps en mer et moins à caresser des culs !


Cette dernière remarque fut accueillie par de nombreux rires et plusieurs gaillards s’empressèrent même de rejoindre Tomé pour leur signifier leur volonté de s’enrôler également. Evidemment, ils ponctuaient tous leur demande de propos acerbes dans la même fibre que Landstorm. Mais Tomé avait plus ou moins ce qu’il souhaitait : un recrutement rapide et une mise en branle dans l’instant. En vivant sur Rokade, il avait apprit avec le temps à faire avec le tempérament impétueux des habitants. Mais il jeta tout de même une œillade froide à Landstorm. Au fond si l’expédition échouait, il pourrait jeter le discrédit sur cet importun, si le navire coulait, il emporterait avec lui cette grande gueule et si le navire revenait victorieux, il pourrait s’octroyer un morceau de gloire. Finalement, il était toujours gagnant…

Il laissa donc Benjamin rejoindre le navire accompagné de quelques frères.

Toujours de forte humeur, le marin passa devant Dorian, précédemment introduit. Il lui adressa une harangue sans même s’arrêter.

- Un traqueur efficace hein ? M’a pourtant pas l’air de savoir tenir un sextant dans le bon sens.

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Oh le sale con !

- J'ai pas besoin d'un foutu télescope pour savoir où aller ! Et j'fais pas que traquer : je tue aussi très bien si on m'paie pour ! Tiens-le pour dit.

   Et le fameux "Benjamin Landstorm" continue sa route, haussant à peine les épaules. Je n'ai pas l'habitude de me faire ignorer, et ça me tape sur le système. Ça et le fait d'avoir été enrôlé de force ! J'espère sincèrement être récompensé comme il se doit parce que le travail gratuit... Non merci !
   Peut-être même que j'aurai l'occasion de grossir ma part en route ? M'étonnerait que cette histoire se finisse sans pertes après tout. Et à regarder ce Nathanaël de plus près, je me dis qu'on risque d'avoir des problèmes : l'homme a l'air fatigué. Pas de ces fatigues que l'on a après des heures d'effort et de travail, pas cette fatigue que l'on ressent continuellement avec les années que l'on traîne comme un poids derrière nous, mais cette fatigue que l'on a, à force de soucis et de problèmes, lorsque notre esprit affaibli voit dans les actes futurs une répétition des erreurs du passé.
   En somme un type torturé qui a peur de commettre une bourde. Et ce sera à nous, son équipage de volontaires, de le rassurer...

   Je recentre mon attention sur le grand marin, lequel maugrée des propos inaudibles dans son coin. D'autres hommes suivent son mouvement et marchent en direction de notre navire. Il a beau avoir réussi à m'énerver, je reconnais chez lui une certaine valeur qui me fascine. Presque.
   L'expérience parle pour lui, sa réputation aussi semble-t-il. Ses connaissances de la mer seront forcément un atout majeur. Mais ce qui fait naître chez moi un infime sentiment de sympathie reste son franc-parler : s'adresser comme il l'a fait à l'un des Cinq de Rokade démontre une force de caractère et un culot lui apportant mon estime. Ou peut-être est-ce la folie ? Dans les deux cas, je respecte la chose.

   Par contre ce qui m'ennuie maintenant concerne le départ :

- Attendez voir... On part de suite ?
- On a laissé à Ratu suffisamment d'avance, on ne peut pas se permettre de le laisser s'éloigner davantage !
- Mais ça fait plusieurs heures maintenant...
- Justement ! Et il va devoir s'arrêter à un moment ! Sachant qu'il a fui rapidement après sa traîtrise... Il aura eu à peine le temps de préparer son bateau, que ce soit pour le nettoyage de la coque ou le ravitaillement de base ! Et puis il a été touché...
- Que... Et vous pouviez pas l'dire plus tôt ?!
- Peu importe ! Il va forcément s'arrêter au prochain port de South Blue !
- Quels sont les lieux où il pourrait mouiller ?
- Le Royaume de Saint-Uréa, Rhétalia, le Royaume de Bliss et le Cimetière d'Epaves. C'est cette dernière option que nous pensons être la bonne, le capitaine Nath et moi.
- Et qu'est-ce qui vous permet de croire ça ?
- Le fait que ce soit un repère de bandits et de fripouilles dans son genre.
- Comme nous tous...
- Et aussi le fait que son bateau se dirigeait vers le Sud-Est, direction dans laquelle se trouve le Cimetière.

   Et là, ça fait tilt dans ma tête.

- Il s'y dirigeait... Consciemment ?
- Oui. Il faisait des manœuvres pour éviter les quelques boulets que nous avons pu tirer depuis la côte, mais dans l'ensemble, c'était une ligne droite. Le vent était même en sa faveur...
- Mordiou ! Qu'est-ce qu'on attend pour partir ?

   Benjamin nous a rejoint, apparemment impatient de prendre le large. Il souffle tellement fort que je peux facilement imaginer de la fumée sortir de ses naseaux. Je réfléchis un instant et, avant que Tomé ne prenne la parole, je répond :

- Vous vous plantez.
- Que... Pardon ? Qu'est-ce que tu viens de dire ?
- Vous vous êtes fait berner... Il va pas vers le Cimetière.
- Il allait dans cette direction !
- Mais... Il est pas con ! C'est un pro d'la fuite, vus l'avez dit y a à peine cinq minutes ! Il s'doute bien qu'on va s'lancer à sa poursuite ! Il va quand même pas aller sagement en direction du Cimetière d'Epaves en sachant qu'on pourra l'y rattraper !
- Pour le coup, je suis d'accord avec votre traqueur : Henry Ratu ne peut pas agir aussi bêtement.
- Ha ! Et alors d'après vous, où se dirige-t-il ?

   Je regarde tour à tour les deux hommes et je réfléchis. Pour étudier la direction prise, toutes les informations sont bonnes à saisir :

- Vous savez où il a été touché ?
- Quelle importance ? C'était la partie basse de la coque.
- Ligne de flottaison ?
- Légèrement au dessus. Et une voile déchirée aussi.
- Boulet simple, enchaîné ou ramé ?
- Simple. Deux fois.

   Je fixe longuement le Landstorm qui me rend la pareille.
   Ensemble nous rejoignions le pont du navire de Nath' le Bleu et quémandons une carte de South Blue et un compas. Je laisse le soin au marin d'utiliser l'instrument pendant que je repère notre position.

- Bon... Nous sommes ici et le navire de Ratu est parti vers le Sud-Est... où estimes-tu la ligne d'horizon pour nous ? Là où il nous est impossible de l'apercevoir ?
- Je dirai là, entre trois et quatre nautiques.
- Donc admettons qu'il change de direction à partir de cet endroit. Avec des dommages au niveau de la coque, il va forcément s'arrêter le plus tôt possible.

   Le compas est posé sur un point imaginaire, en pleine mer. Mon doigt décrit un arc en partant par ce point :

- Quelle serait sa destination la plus proche ?
- Le Royaume de Bliss... Mais il y a la Marine partout autour du chantier naval et des ports. Il doit être plus prudent que ça.
- Donc, ça nous laisserait...
- Rhétalia.
- Rhétalia.

   Benjamin lève la tête vers moi. Je souris alors, toutes dents dehors et vois les membres de l'équipage, le capitaine Nath et Tomé Odin nous dévisager, attentifs. Il semblerait que nous ayons réussi à faire notre petite impression. Mais je ne peux pas m'empêcher de faire une remarque. M'en voulez pas :

- Alors ? Pas si mauvais, l'traqueur, hein mon loup d'mer ?
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- Pas mal pour un marin d’eau douce ! Espérons que tu ne vas pas vomir tes tripes pendant le trajet !

Le cap était déterminé et aussitôt Benjamin chercha à connaître l’identité du navigateur pour lui transmettre les informations. Mais le capitaine Nath’ lui signifia qu’il ne connaissait personne de plus qualifié que lui et l’invita à prendre la barre. Nath rejoignit le pont supérieur en sa compagnie pendant que son second remontait titubant le pont principal. Benjamin reconnu en la personne du second le fameux Oliver Drink, son sang ne fit qu’un tour !

- SANGDIOU ! DRINK !

- Landstorm’ !? HIPS ! Sacrée canaille !
- Pas encore mort noyé dans le rhum ?
- J’ai toujours été bon nageur…

Et Benjamin attrapa la barre d’une main experte. Il caressa les aspérités du bois avec une satisfaction bien visible. Puis son œil balaya le pont avec expertise. La majorité de l’équipage semblait recrutée et tous s’activaient maintenant avec une apparente connaissance de leurs rôles respectifs. Il y avait tout de même quelques gabiers un peu mous du poignet qui méritaient quelques « encouragements ». Nath’ remarqua également cette nécessité et se tourna vers Dorian.

- T’as déjà été maître d’équipage toi ? M’a l’air taillé pour le poste !
- Non, mais briefez moi…

Oliver venait juste d’arriver et prit le relai sur son capitaine sous l’œil impérieux d’un Landstorm des grands jours.

- Simple. Tu gueules sur l’équipage, plus ils bougent vite et moins tu gueules. Plus ils glandent plus tu gueules. Puis tu relais peu ou prou tout ce que je te dis ou ce que le capitaine dit, mais en gueulant…
- Crédiou ! En commençant par haranguer ces gabiers qui gagneraient presque à ferler la voile avec leurs pieds ! DIOU QU’ILS SONT LENTS CES ANIMAUX !

Dorian se tourna aussitôt et gueula avec force sur les matelots désignés par tous les marins du pont supérieur.

- GABIERS ! BOUGEZ VOUS BORDEL, J’EN VOIS QUI TIRENT AU FLANC !

Et comme le matelot est par réflexe entrainé à répondre aux hurlements, les gabiers commencèrent à s’activer sous l’impulsion d’une voix supérieure. Le capitaine et le second acquiescèrent de la tête, ils avaient leur maître d’équipage.

- Serez temps d’appareiller, le vent se lève.
- Levez l’ancre Monsieur Landstorm, cap sur Rhetalia. Monsieur Drink à vous le pont, naviguez au plus près, je serai dans ma cabine.

Et Nath descendit aussitôt laissant à Drink tout loisir de s’enfiler une longue rasade de rhum avant de s’adresser à Benjamin.

- Déjà allé à Rhetalia d’ici Landstorm’ ?
- PAR DIOU je le crois bien !
- Combien de temps ?
- On sera sur eux avant qu’ils n’y soient si on louvoie correctement. Je réponds de la navigation mais il va falloir me bouger tout ce beau monde. Il va falloir serrer le vent et j’ai besoin de tous les gabiers en alerte.

Oliver haussa les épaules, descendit sa bouteille qu’il jeta par dessus bord. Il se tourna ensuite vers Dorian et lui tapota l’épaule.

- Bien voit donc ça avec le maitre d’équipage, si vous me cherchez je me descend une bouteille en poupe.

Benjamin leva un sourcil d’étonnement avant de se tourner vers Dorian.

- Alors « Dorian Silverbreath », prêt à gueuler ?
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- Tséhéhéhé...

   Je ne sais pas si ça vient de l'air marin, de la nostalgie des eaux ou de sa question rhétorique, mais je lance à Landstorm un sourire des plus parlants. Le regard sadique, j'inspire un grand coup en me tournant vers l'équipage avant de hurler sur les jeunots du pont :

- ALLONS ! ON EST TOUJOURS PAS PARTI ? J'VEUX TOUT L'MONDE SUR LE COUP ! LE VENT EST AVEC NOUS, AUTANT EN PROFITER ! VOUS, VOUS CONTINUEZ AVEC LES AMARRES, VOUS AUTRES : AUX VOILES ! HISSEZ-LES MAINTENANT ! ET TOI : T'ES SUR LE CH'MIN !

   Le côté pratique avec les volontaires de Rokade, c'est qu'ils sont tous, ou presque, nés marins. Il n'y a certainement pas un homme sur ce navire qui soit ignorant des manœuvres ou des termes génériques. Avec mon petit vécu, j'ai juste à faire ce que je sais faire de mieux et éviter de me triturer les méninges pour rien : tant qu'ils ne paressent pas, je suis tranquille.
   Le Benjamin me toise un instant, les mains sur la barre, avant de se diriger vers le cabestan.

- T'aurais pas oublié de leur faire remonter l'ancre, des fois ?
- Désolé, j'ai cru que j'avais affaire à des Rokadiens, pas à des fils-à-maman.
- Tout le monde apprend au début. Toi t'as l'air de t'y connaître. Un peu.
- Qu'est-ce que tu crois ? J'ai été gabier bien avant ces merdeux !
- Marchand ?
- Pirate.

   Il veut me tester... Ça va me gonfler, c'est certain. Heureusement qu'il y a ici une ribambelle d'hommes pour satisfaire mon besoin de me défouler. Le laissant à ses occupations, je m'approche d'un mousse qui m'arrive tout juste au menton, près des bastingages, statique. Le petit lève la tête alors que je croise les bras d'un air impatient. Je constate alors à son visage qu'il est nauséeux :

- J'suis désolé gloups... Monsieur... Ca fait longtemps que j'suis pas monté sur un... Beuh...
- Un bateau, on dit.

  Sur ces mots, je lui penche la tête par dessus la rambarde, le ventre appuyé dessus, et lui donne une grande claque dans le milieu du dos. Le choc, mêlé à sa surprise, provoque une réaction chimique tout à fait naturelle : les muscles du ventre se contractent, son diaphragme se soulève et son estomac régurgite aussitôt tout ce qu'il peut contenir.
   Je le lâche alors, le laissant choir lamentablement au sol, flasque. Il tente de me remercier. Le couillon.

- Perds pas ton temps ! Maintenant que c'est passé, va donner un coup de main aux autres et sans traîner, sinon c'est toi que j'fous dans l'nid d'pie !

   Et juste au moment où il parvient à se remettre sur pied, je lui botte l'arrière-train si fort qu'il se retrouve à nouveau par terre :

- Et ça, c'est parce que tu m'fais perdre le mien, de temps !

   De toute façon, celui-là n'est que matelot. Seuls les gabiers montent dans le nid de pie à tour de rôle.
   Comme je le disais, tant qu'ils ne paressent pas je suis tranquille. Dans le cas contraire, il faut être ferme. Un seul moment de relâchement et c'est la guérilla. Et les problèmes sur un navire peuvent vite prendre des proportions désastreuses, surtout dans les moments calmes. Mon vrai travail commence lorsque la fougue du départ s'en est allée.

   Finalement, nous sommes lancés. Après avoir rouspété une énième fois pour diverses raisons, les gabiers et les matelots se décrispent et j'en profite pour me rafraîchir la voix avec une gorgée d'eau. Benjamin est à son poste, calme et serein. Il a presque l'air heureux de partir en chasse... A moins que ce ne soit juste l'amour de la mer. De son côté, le second Drink rit sans trop savoir pourquoi, bien que la bouteille à moitié vide dans sa main nous laisse deviner la réponse. Mais le capitaine ne se montre pas...
   J'espérais qu'il vienne dire quelques mots à ses hommes. Non pas que j'en ai quelque chose à foutre, mais par souci de professionnalisme, ça se fait. Qu'il joue les faux-culs s'il le veut, mais qu'il vienne se présenter ! Parce que je vois mal l'autre ivrogne faire un speech de bienvenue et, surtout, d'encouragement. J'sens que ça va encore être à "Menton-Carré" et moi d'enorgueillir les troupes...
   Plus pour moi que pour lui, je marmonne en direction du navigateur :

- T'as intérêt d'être bon, parce que ça va vite m'ennuyer.
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Les premières heures de navigation permirent à l’équipage de prendre ses marques. En moyenne la plupart des gaillards avaient d’ores et déjà un rôle établi et tout fonctionnait plutôt bien. Dorian s’avérait être un gueulard de toute première catégorie, ce qui facilitait grandement la tâche des autres officiers. Benjamin était probablement l’un des meilleurs navigateurs des Blues, ayant même tendance à se considérer orgueilleusement comme le tout meilleur. Le navire avançait donc à très bonne allure, tout en s’assurant une sécurité optimale. De temps à autres la coque et les voiles semblaient fortement sollicitées mais même si quelques matelots jetaient des regards craintifs vers le navigateur, son attitude sûre et sa bonne mine de marin avaient tôt fait de les réconforter.

Le navire de poursuite voguait donc avec célérité lorsque la nuit commença à tomber sur le premier jour en mer. Les hommes, organisés en quart, se relayaient pour maintenir une bonne allure. Les autres se regroupaient dans les ponts inférieurs pour discuter, boire la ration de tafia accordée et comme toujours : dire du mal sur ceux qui sont au-dessus d’eux.

Alors évidemment, le nouveau Dorian avait bénéficié d’une large part dans les satires nocturnes. On se plaignait de sa grande gueule, de son arrivisme, de son phrasé qui sentait son mousse à cinq lieues. On se plaignait aussi et surtout de sa position qui allait lui accorder une part significative de la récompense alors qu’eux, pauvres pécores, n’allaient voir la part du lion que de loin. On passa de Dorian à Benjamin comme l’on passe d’un hors d’œuvre peu qualitatif à un plat de résistance très attendu. Ce n’était alors que louanges et éloges infinies. Il faut dire que les frères de la côte l’adulaient comme une sorte de demi-dieu et que les autres craignaient trop sa large main soutenue par un bras aussi gros que le grand mât. Car comme le veut la tradition dans la piraterie : c’est toujours celui qui cogne le plus dur qui a raison. Alors quand cette force supérieure s’allie à un esprit de marin si aiguisé, tous s’accordent nécessairement pour louanger et vénérer.

Mais laissons les deux héros de cette histoire de côté pour nous rapporter à deux autres individus, peu nommés et pourtant si essentiels à la bonne suite de l’aventure. Nous parlons bel et bien du capitaine Nath et de son second alcoolique. Deux hommes réputés et qui ne suscitaient pas grande réaction tant cela était devenu normal que ces deux là soient aux commandes.

Pourtant, dans le même temps, dans la cabine du capitaine, ces deux alguazils jouaient un jeu serré avec l’humeur de l’équipage.

- HIPS !  Je sais pas ! Tu crois que ça se fait ?
- Oliver ! Ne soit pas niais ! On rattrapera difficilement ce navire ! Et pour quoi faire ? Il n’a pas de richesses et même si la récompense promise est alléchante nous risquons fortement de couler sans en voir la couleur.
- D’accord mais l’équipage ?
- BAH ! Tant qu’on leur parle de butins en perspective, ils seront d’accord.
- Mou-HIPS ! J’sais pas bien. Y’a quand même deux-trois gaillards qui sont là pour l’honneur de la piraterie et de Rokade.
- Des cons y’en a partout…
- Et on fera cette annonce quand ?
- Demain, aux aurores ! Après une bonne nuit de sommeil et la double ration de tafia accordée, ils seront plus malléables.

Voilà comment, dans la tranquillité de la cabine du capitaine, le destin de tout un navire semblait avoir changé du tout au tout. Et dans le fond du navire, les marins ne soupçonnaient pas même un tel revirement, tous étant corps et âmes dédiés à leur entreprise pamphlétaire.
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- ROOON Zzzz !
- Putain, j'vais m'le faire...

   Ça fait bien trois heures que mon voisin imite la vieille locomotive à vapeur ayant du mal à démarrer et je m'apprête à lui jeter du charbon à la gueule. Littéralement... Le problème étant que ce qui s'y apparente le plus est la poudre à canon et nous risquons d'en avoir besoin. Si j'avais su, j'aurais pris le dernier tour de veille : le matin était bientôt là.
   Je me retourne pour la millième fois en soupirant bruyamment. Je tapote mon bâton, machinalement, pour canaliser ma frustration. Autour, il fait sombre, sauf à l'étage supérieur où les derniers marins veillent au grain. La lumière des torches est visible entre les planches et au niveau de l'escalier. J'entends encore les murmures à peine audibles des jeunes mousses, ainsi que la voix pleine d'assurance de Landstorm.
   Ce type... Je comprend que tout le monde l'apprécie : il est fiable, fier, fait pour la vie en mer et il a la carrure du mec qu'on préfère avoir comme ami plutôt que comme ennemi. Personnellement, je commence à m'en faire une bonne impression. Du moins : je n'envisage plus de le jeter par dessus bord à la moindre remarque désobligeante. De toute manière, pas certain que j'en sois capable seul...

   Les bruits d'une porte et de pas qui s'approchent me font sortir de mes pensées. Je maugrée dans mon coin : penser au malheur des autres m'aide à faire de beaux rêves. Venant de la cabine du capitaine, si j'en crois mon oreille, deux individus avancent du groupe de veilleurs. On échange quelques mots et l'un des deux descend nous rejoindre, en titubant. Pas besoin de jouer à la devinette : Oliver Drink approche, s'aperçoit que je le regarde d'un sale oeil,pose son index sur la bouche et se place au centre de la pièce, au milieu des dormeurs. De sous son gilet surgit une cloche qu'il secoue dans tous les sens :

- Debout là-d'dans ! L'est l'heure de s'lever ! On lève son cul et sur le pont !

   Certains sursautent, d'autres jurent, les derniers se jettent dans leurs bottes, habitués à ce genre de réveil. Je m'étire, je prend prend mon temps pour enfiler mes chausses, je traîne des pieds en me grattant le menton, je fais tout pour paraître le moins enthousiasme du monde. Pourquoi ? Bah... Parce que j'en ai envie.
   J'arrive finalement sur le pont principal en compagnie de l'équipage, face au capitaine Nath' et son second. Notre supérieur à tous se racle la gorge :

- Hum... Bon, pour ceux qui n'auront pas encore compris : je suis le capitaine Nathanaël.
- Dit "le Bleu" !
- Ouais... Si je me présente à vous maintenant, c'est pour plusieurs raisons : la première étant que je ne l'ai pas fait hier et j'en suis désolé. On a beau avoir la vie rude, ça ne nous empêche pas d'avoir un minimum de savoir-vivre !

   Bon, ça se tient. Mais je reste bloqué sur son raclement de gorge... Il avait pas l'air très naturel. Et il fait pas spécialement frisquet ces jours-ci. Il a un truc à nous dire et ça risque d'être important. Mon attention monte d'un cran, comme celle de Benjamin qui semble avoir noté le même détail :

- C'est quoi les autres raisons ?
- Le deuxième raison, c'est que j'avais plusieurs choses à régler de mon côté, comme la distribution des parts suite à cette mission par exemple.

   Bien joué "le Bleu", t'as réussi à capter l'intérêt de tout ton monde !

- Mais... J'ai dû laisser ça de côté, à cause de la troisième raison.

   Crispation générale.

- J'ai passé la journée à réfléchir à ce qui était le mieux pour toutes les personnes présentes sur ce bateau. Et je me suis posé plusieurs questions : devons-nous vraiment partir à la poursuite du capitaine Ratu ? Je n'apprécie guère ses méthodes, mais il reste un expert de la fuite, et il est parvenu à faire de nombreux dégâts à Rokade. Saurons-nous le rattraper et l'atteindre, sans risque ? Serons-nous de toute manière capables de le rejoindre ?!
- Hé ! J'trouve ça un poil vexant ! J'ai pas été engagé pour des broutilles ! Si j'dis qu'on peut l'rattraper c'est qu'on va l'rattraper !
- Et vous avez pensé à notre honneur ? Nos frères de la côte attendent, les poings serrés,  que nous revenions victorieux !
- Et si nous faisions tout ça pour du flan ?! Imaginez que ce ne soit qu'une preuve de l'orgueil des Cinq. Revanchards comme ils sont, ça ne serait qu'un acte irresponsable de plus ! Y aura-t-il réellement une récompense, autre que des louanges hypocrites ? Nous ne sommes pas de la chair à canon, que diable !

   Quelques hommes murmurent entre eux. Une ou deux protestations se font entendre.

- Je vous le demande à tous, vous qui aimez Rokade : êtes-vous certains de vouloir vous sacrifier pour elle, sans un juste retour ?
- Mais qu'est-ce qu'il raconte comme conneries ?
- J'ai autre chose à vous proposer. Quelque chose qui apparaît comme étant la chose la plus juste à faire.
- Fais pas l'con, Nath'...
- Nous allons prendre le grand large. Nous quittons Rokade et ses hypocrites pour nous enrichir. Notre profit, notre guerre. Laissons les querelles inutiles de côté et naviguons vers des mers plus favorables ! Ne devions-nous pas rester libres en tant que pirates ? Soyons libres !
- Oh le...
- Saligaud !
- ... Ouais, aussi !
- Je me doutais bien que certains réagiraient ainsi. C'est pourquoi...
- Mordiou ! Dire ça devant nous, sans crainte ! Une honte ! Vous ne seriez pas le capitaine que je vous ferai fouetter pour l'exemple, attaché au mât d'artimon ! Et à l'envers !
- Et c'est moi qui porterai les coups !
- Oh là ! On se calme !

   Qu'on se calme hein... Difficile. A droite comme à gauche, les hommes se montrent tendus. On peut entendre l'ensemble grogner. Les regards s'échangent... Évidemment certains idiots sont d'accord avec cet abruti, mais je ne m'attendais pas à ce qu'une dizaine d'entre eux choisissent de se liguer contre le navigateur et moi. Que la plupart me détestent, je pouvais le concevoir, mais que l'on remette en cause les paroles de Landstorm, c'est plutôt surprenant. Ils pourraient au moins avoir un peu peur de ce qui va suivre !
   Parce qu'on sait tous ce qui va suivre. Lorsqu'au moins une partie de l'équipage remet en cause les décisions du capitaine, sur un navire comme sur un autre, ça ne porte qu'un nom. Et, surtout chez les pirates, les conséquences sont loin d'êtres appréciables.
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