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Un petit saut dans le passé

Il arrive parfois que certains épisodes de notre vie nous ramènent longtemps en arrière, dans un passé heureux ou pas, emprunt d’une certaine dose de nostalgie. J’trouve qu’on ne profite pas assez de ces petits moments de bonheur. En général, je veux dire. D’habitude ça m’arrive quand je n’ai pas le temps d’y penser, parce que j’bosse. Et tout le monde dira ce qu’il voudra, quand je travaille, je fais bien mon boulot. Ou j’essaie de m’y efforcer au mieux. Mais là c’est différent. J’ai le regard vissé sur la vitrine de la boulangerie et je peux pas m’empêcher de penser que, depuis le temps que j’connais cette boulangerie, les choses ont bien changé.

Bien entendu, la boulangère n’a pas changé, elle est toujours-là, toujours le même sourire, un peu plus vieux, certes, mais c’est toujours le même. Le lieu lui même a vieilli, il s’est usé. La peinture qui recouvre la devanture a perdu de son brillant et s’écaille par endroits. Et c’est en reconnaissant ces petits détails que le passé s’installe.

J’me revois, tout gamin, au bras de ma mère qui va s’acheter du pain frais, regardant avec de grands yeux ronds les pâtisseries alléchantes que propose l’étalage. Bien entendu, chaque fois que ma mère se tourne vers moi pour me demander laquelle me ferait plaisir, je lui montre avec envie le même dessert, celui que je préfère. On ne change pas quand on est gosse. On a beau être tenté par le gâteau dégoulinant de sucre qui se trouve à côté, on finit toujours par retomber sur son favori en se disant que, la prochaine fois, on choisira la nouveauté. C’est idiot.

Alors que j’ai environ quarante ans de plus qu’à l’époque, je zyeute les mille couleurs que propose la boulangerie avec la même envie, le même désir, et je vois, en plein milieu, le gâteau que toujours j’ai choisi. Je connais son goût par cœur, je m’en souviens avec un certain recul. Je sais que je le fantasme un peu et j’ai peur de reprendre le même de peur d’être déçu. Aujourd’hui j’ai décidé de tenter l’inconnu, de choisir l’autre, celui d’à côté, très appétissant mais dont je ne connais pas la saveur. Mais j’ai beau chercher, je ne le vois pas. Je ne reconnais pas ni la forme, ni la couleur de mon souvenir. Il y a une quantité d’autres gâteaux, mais ils me paraissent bien fades ; des nouveautés. La cuisine a changé, moi je suis resté le même petit garçon gourmand.

J’adresse un sourire à la boulangère. Elle ne me reconnaît pas. Rien d’étonnant.

« Vous n’avez plus de ces gâteaux ronds mi-chocolat, mi-caramel avec une cerise confite sur le dessus ?
-Lesquels monsieur ? Vous avez le nom ?
-C’est très vieux, et moi, à l’époque, je ne regardais que la forme et la couleur.
-Je vais pas pouvoir vous aider, si ce n’est pas en vitrine, c’est qu’on ne le fait pas.
-Plus.
-Pardon ?
-Non, je disais, c’est que vous ne le faites plus.
-Oui, oui, sans doute.
-Vous savez, je venais souvent ici, avec mes parents, quand j’étais petit. Maintenant plus beaucoup. Ce n’est pas pareil, vous comprenez ? »

La dame lève vers moi un regard inquiet. J’lui fais un peu peur je crois. Elle pense sans doute que j’ai perdu la boule. C’est sans doute elle qui… À son âge… Enfin, je ne sais pas, mais ça paraît plus logique. Quoi qu’il en soit je fixe toujours la vitrine avec envie, sans rien oser prendre de peur d’être déçu. L’odeur du pain chaud me secoue les narines. Putain, j’ai envie de chialer, c’est terrible. Le souvenir me remonte entièrement et un frisson me parcourt l’échine et ça y est, des larmes chaudes et silencieuses me coulent le long des yeux. J’suis vieux.

« Vous allez bien monsieur ?
-Oui, c’est le plus beau jour de ma vie.
-Vous allez être papa ? Mes félicitations !
-Je… Je… »

Je n’ose pas la contredire, elle pourrait en crever, elle a l’air sensible cette pauvre femme. Je la regarde droit dans les yeux et j’lui commande mon gâteau. Évidemment. C’est presque une malédiction. Je n’arriverai jamais à sortir de cet endroit sans cette même pâtisserie. Bordel. J’dois tout de même lui redemander un peu plus fort et en articulant, parce qu’avec les sanglots dans ma voix et surtout sa probable surdité elle n’a pas compris. Mais elle finit par me l’emballer. Le prix aussi a augmenté, et si j’étais sensible, je me mettrais à pleurer de dégoût. Monde de merde.

Enfin, j’arrive à me détacher de ce petit lieu de nostalgie, en emportant avec moi cette petite attache sucrée à mon passé. Je n’arrive pas à ouvrir le paquet. J’ai terriblement envie et peur de croquer dans ce truc. Les deux en même temps.

C’est alors que j’vois sortir des toilettes publiques juste en face un gamin souriant et énergique. Il me ressemble, c’est terrible. Je me revois à son âge. Je n’ai plus qu’une chose à faire. J’avance dans sa direction avec un énorme sourire puis lui refile le paquet. Il me demande ce que c’est et je lui dis que c’est pour lui. Je lui frotte les cheveux gentiment puis je m’éloigne en souriant.

Je vous raconterais bien la suite, la rencontre de la mère, furieuse mais très jolie, mais ça, c’est une autre histoire.
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