Travailler pour l'administration, quel beau métier. En plus je suis même plus rattaché au statut de militaire depuis que le CP 2 m'a comme recrue, c'est-la-belle-vie. Avant, quand je copinais avec l'élite, je demandais un congé et on me répondait "tu te reposeras quand tu seras mort". Bon c'était marrant les quinze premières fois, mais à l'usure j'ai fini par piger que la hiérarchie plaisantait pas.
Les Dimanches ? Ces fumiers avaient été jusqu'à faire une croix dessus. Mais littéralement ! Dans les casernes, tous nos calendriers avaient des Dimanches rayés.
Paraît que quand on servait en première ligne, on le faisait par dévotion et pas par carriérisme. Toute façon le carriérisme quand la durée du vie chez l'élite est de trois ans en moyenne, ça va pas chercher bien loin. Crever troufion au caporal, tout ce qui change c'est le poids de la stèle funéraire.
Mais moi j'en ai fini de me crever le cul. Ah ça j'en ai soupé des cadences à la con. Aujourd'hui, je suis un homme nouveau, parce qu'aujourd'hui, je peux bénéficier d'un des vingt jours de congés payés qui me sont offerts à l'année en bossant au Cipher Pol.
Pas que j'aime pas mon travail, j'adore ce que je fais. Mais entre deux orchestrations de famine et de la spéculation frauduleuse, ça fait quand même un peu de bien au moral de souffler un peu.
Souffler, c'est une façon de parler. Parce qu'avec tout ce que je me m'engouffre dans la panse là, j'ai tout juste le temps d'inspirer entre deux bouchées. Ouais, mon temps libre, mon salaire même, j'épuise tout ça au Baratie. Putain que ça va me manquer ça quand on va m'envoyer promener sur Grand Line. Parce qu'y z'en parlent à la tête du bureau de ce qu'on m'a dit. Paraît que je sévirais encore plus efficacement de l'autre côté de Reverse Mountain. C'est eux qui voient. Moi que ce soit ici ou ailleurs, tant qu'on me fait pas chier quand je bosse, je demande pas plus.
- Terrine de poisson à l'estragon.
Pourquoi y me donne le nom du plat avant de me servir celui-là ? Je sais encore ce que j'ai commandé mon grand, je suis pas sénile. Sûrement parce que ça doit faire plus "prestige" de donner le nom des plats. Mais moi le prestige je me torche avec ! J'aime encore bien mieux les petits bouibouis et autres gargotes mal fâmées. Là-bas au moins, on vous sert à la louche et pour pas cher. C'est bon, et c'est pas prétentieux pour un sou. Si je voulais bouffer chic j'irais servir de mange-merde au milieu des hauts-gradés de la régulière. Bon, je vais pas me couper l'appétit en pensant à ces cons, juste que l'autre serveur là y va se calmer sur le côté "prestige". Ce que je veux, c'est des plats bien complets, bien mitonnés qu'on me sert dans une bonne ambiance. Que je sache, j'ai pas demandé un connard avec ma soupe.
Le temps que je fulmine à me demander pourquoi ce con me donne le nom de mon plat, l'autre a foutu le camp. Bah, je lui ferai la leçon au prochain plat. En attendant, c'est parti pour ma quatrième entrée froide. Ouais, quatrième, parce que moi, j'en profite jamais à moitié. À taaaaaaaaaaaaaaaab....
Escargophone professionnel. Putain, y z'ont osé les carnes. J'avais la fourchette à trois centimètres de ma bouche grande ouverte, et ces fumiers, ces raclures, ces enfants de chienne osent me déranger. Je décroche quand même, le Cipher Pol est souvent soupe au lait quand on l'ignore. Du genre soupe au lait à finir suicidé à l'insu de son plein gré. Je suis furieux oui, mais prudent quand même.
- Ouais, quoi ?!
Bien agréable surtout, juste histoire de leur faire partager le fond de ma pensée sans trop en dire.
- Agent Oletto ?
- Ah non, z'êtes gouré d'numéro. Moi c'est "agent au restau", au restau parcqu'en congé, v'vous souv'nez ? Aujourd'hui c'Jeudi, c'même MON Jeudi, alors j'espère qu'z'avez une bonne raison de m'briser les glawines !
Mes congés c'est comme ma gamelle, t'approche avec tes gros doigts : je mords. Je suis pourtant pas un méchant, ni même un gars à problème, mais putain, que j'aime pas qu'on revienne sur un accord. Que le gouvernement mondial taise la vérité historique, rien à foutre, l'histoire ça m'a toujours fait roupiller quand j'allais en classe. Qu'il éradique parfois des îles entières à coup de canon, là aussi ça me va. J'ai toujours aimé les paysages dégagés de toute façon. Mais qu'y vienne m'emmerder pendant mon congé, là, y'a de quoi passer révolutionnaire !
- Tempérez-vous Oletto. Vous êtes au service du gouvernement mondial, pour vous, pas de Jeudi qui tienne, c'est Vendredi tous les jours.
Vendredi tous les jours ? Qu'est-ce ça veut dire ça encore comme connerie, que je vais devoir bouffer du poisson à midi ad vitam eternam ?
- Cette mission vous concerne dans la mesure où vous serez chargé de servir d'entremetteur. L'un de vos partenaires de combines ayant été utilisé par vos soins doit être mis en contact avec un agent du CP 5.
Bosser avec le CP 5 ? Pas bon ça, pas bon du tout même. Chez nous au CP 2, on fait de la guerre économique. Y'a des morts, mais y'a un côté bon enfant dans notre boulot. Les autres, y rigolent un peu moins dans leurs affectations. Entre les espions qui font sauter des gradés pour une note de frais douteuse et les assassins du CP 9, on n'est pas franchement bien entourés. Pas envie de bosser avec un de ces dingues. Surtout que quand ces emmerdeurs sont pas lunatiques, y sont vicieux, pas moyen de discuter avec. Alors bosser ensemble, mon cul...
- Mais z'encore ?
- Est-ce qu'Olivia Astelle vous dit quelque chose ?
Olivia Astelle ? Déjà que niveau mémoire des patronymes je touche pas une bille, là en plus y me fout une colle l'autre scribouillard du bureau. Je connais même pas une Olivia. Pis bon, des partenaires d'affaires qu'ont des noms de donzelle, elles se comptent sur les doigts d'une seule main. Et je parle d'une main de charpentier maladroit. Jamais y faut bosser avec des gonzesses. C'est irascible, hystérique et ça fout toujours la merde quand on est entre bonhommes. Que d'empires détruits pour une paire de fesses bien fermes.
- Que t'chi ! Ça devrait ?
- D'après le rapport de votre mission d'il y a deux ans, elle se faisait appeler "Taline" quand vous l'avez dépêchée.
Ah ! Bah là effectivement ça me rappelle des souvenirs. Des bons souvenirs même ! C'est rare avec le sexe faible. Suffisamment pour le faire remarquer. Taline, Taline, Taline... C'était quoi la chanson déjà ? "Si t'as des biftons que t'alignes, Taline te ravira la pi..."
Aaaah, Taline ! Fringante petite pute de Logue Town. Eh comment que je me souviens.
Tu parles d'une mission... Juste une arnaque de brigand à la petite semaine. Quand j'y repense, j'ai presque honte d'avoir eu à m'abaisser à ça dans mon travail.
En fait, c'était juste une affaire d'héritage y a deux deux de ça. Un grand ponte de Logue Town, un industriel ou je sais quoi venait d'être accepté à l'hôpital pour un truc aux poumons. Pas loin de quatre-vingts-dix balais il avait le vieux. Le type avait une fortune de trois milliards de berries et aucune descendance. Forcément, en bon professionnel, quand je me suis documenté sur l'affaire, le grisbi m'a titillé les narines.
Je débutais au CP 2, donc j'obéissais sans pouvoir manœuvrer, même si c'est moi qui avait proposé l'affectation. Quel travail de merde je vous jure. Je sais plus qui était l'officier en charge de l'affaire en ce temps là, mais le gars était tellement doué qu'il a mené le vieux à s'entourer d'une batterie d'avocats quand y s'est douté que le G.M gravitait autour de son coffre-fort.
Bref, du travail de gougnafier.
Vu que la mission traînait et que le vieux était pas loin de passer l'arme à gauche, ça allait mal se finir pour nous. Laisser passer cent millions ça pouvait encore passer, mais trois milliards et on était tous bons pour faire copain-copain avec la basse flibuste en cellule. Ça me tentait moyen comme projet.
Quand on avait un peu quartier libre, j'allais faire frétiller popol du côté des quartiers de ces dames. Aaah, Taline... vingt-cinq mille berries la passe quand même, ça aussi j'ai pas oublié. L'était pourtant pas bien belle, ni même roulée comme une mécanique de pointe.
De ce qu'on avait discuté sur l'oreiller, elle avait la quarantaine comme moi, je crois même qu'elle devait avoir quelques années de plus. Pis là, un beau soir alors que je la besognais, ça m'est venu comme ça. Une idée toute conne.
J'en avais fait des recherches sur le vieux. Et je me souviens que dans plusieurs articles de journaux qui dataient du siècle dernier, il avait été accusé à demi-mot d'avoir fricoté pas mal avec la femme d'un adjoint au maire de Logue Town. De ce qu'en disait la presse, le gars était cocu mais s'en accommodait moyennant financement discret pour sa campagne. L'est même devenu et resté maire pendant près de vingt ans.
Là-dessus, après être revenu de chez Taline, je potasse tout ce que je peux sur la rombière que l'autre croulant a tringlé par le passé. Tout ça, leur idylle, ça avait duré entre 1570 et 1590. J'avais mon créneau.
L'agent qui me servait de supérieur a accepté mon idée. Et quelle idée putain, c'était du bluff de jouvenceau, le genre tactique "ça passe ou ça casse" qu'on sort que quand on est vraiment désespéré. En fait, l'idée c'était de créer un faux document pour attester que Taline aurait été la fille cachée de mon industriel et de sa libertine de maîtresse. Ça se tenait, parce que l'autre conne avait un jour disparu pendant deux ans pour rendre visite à des parents dans le Nouveau Monde. Suffisait de laisser entendre qu'elle aurait accouché du fruit de son adultère, et hop ! On créait une filiation fictive et bien lucrative.
Déguisés en avocats, quand on a amené le document au notaire, un vrai faux certifié par le G.M, on avait les rotules qui tremblaient. Soit ça passait et c'était le jackpot, ou alors on créait un scandale d'État impliquant le G.M, et là, c'était pas juste la taule qui nous attendait...
Bah le notaire il était sacrément sceptique. Tu penses, un ami de la famille qui connaissait en plus très bien l'adjoint et sa femme. À lui, on pouvait pas lui faire. Et c'est là que, sans avoir été autorisé à l'ouvrir par mon supérieur j'ai dit :
"- Et si la presse v'nait à avoir vent d'ce document, l'en penserait quoi ?"
Ça l'avait refroidi l'autre. Après, y se doutait qu'on était aussi avocat qu'on avait de beurre au cul, mais si on poussait la menace à bout, y savait aussi que l'entreprise du vieux allait morfler à cause du petit scandale mondain dans les journaux. Les actionnaires se seraient détournés par principe, et ça aurait ruiné la compagnie à cause d'une opinion publique trop conservatrice et un document aussi faux que convaincant.
Bon, on n'est pas repartis avec les trois milliards, le notaire a quand même un peu négocié. Mais un milliard et demi c'était pas si mal. Tout était tombé sur le compte de la brave Taline avant de nous être restitués. Beau prince, j'avais réussi à lui en détourner dix millions rien que pour elle. Quand il est question d'affaires je suis pas un tendre, mais quand il est question de récompenses, là je sais être généreux.
Pourquoi je me remémore tout ça moi ? Ah oui ! L'agent du CP 5 et tout le tintouin.
- Qu'est-ce qu'elle a à voir 'vec le CP 5 la pauvre Taline ?
J'aurais peut-être pas dû lui filer les dix millions à celle-là en fin de compte. À tous les coups elle a fait des folies de son oseille, assez pour attirer l'attention du CP 5 en tout cas. Bien pour ça que les bons pauvres font des mauvais riches, y savent pas comment dépenser leur fric comme y faut.
- Figurez-vous que peu de temps après votre départ, cette simple fille de joie a curieusement fait fortune....
Ouuuuh, ça sent l'accusation à peine voilée ça. Dissipons, dissipons.
- M'étonne pas. Avec c'qu'elle facturait par turlute, et avec c'qu'elle pompait à l'heure, l'aurait pu financer le G.M à elle seule harf harf harf !
Une grivoiserie et ça suffira pour détourner l'attention. J'enchaîne pour être sûr qu'il revienne pas sur ce point.
- Et par faire fortune v'voulez dire ...?
- J'entends par là que sa société de cosmétiques conçus à partir de produits marins ferait un bénéfice annuel de cent millions de berries.
La pute ! Euh non, pas la pute, c'est pas une insulte pour elle. La salope ! Oui, la belle salope. Je l'aide à sortir de sa misère, juste histoire que les mineurs de tous horizons arrêtent de forer sa galerie pour trois piécettes, et elle, elle me renvoie pas l'ascenseur maintenant qu'elle est blindée ?! Et qu'elle dise pas qu'elle savait pas où me contacter, je lui avais laissé mon numéro d'escargophone. Putain j'en reviens pas, cent millions par an...
- Et qu'est-ce qu'vous attendez d'moi au juste ?
La salope... J'en reviens toujours pas.
- Un agent du CP 5 vous attend au Baratie. Il vous communiquera les ordres en détails. Nous préférons ne pas le faire par escargophone pour éviter les interceptions. À vous d'user d'astuce pour l'identifier parmi les clients. Bonne soirée agent Oletto.
En temps normal ça m'aurait un peu agacé qu'y me raccroche au nez sans attendre que je lui réponde "bisous", mais je suis encore sous le choc de la révélation sur le patrimoine de madame turlute. Je me montre généreux et on me rend jamais la pareille, c'en est vexant merde.
Putain, si ma terrine était pas déjà froide, ça ferait une paie qu'elle aurait déjà refroidie. Même pas le temps de la savourer, je m'empiffre vite fait même si j'aime pas agir comme ça, et je pars en quête de l'agent qu'y m'ont foutu dans les pattes au dernier moment.
L'a demandé que je fasse preuve d'astuce l'autre con. Je vais quand même pas me casser le cul juste pour établir le contact. Mon met dévoré sans pouvoir être apprécié à sa juste valeur, je prends ma serviette pour me décrasser la bouche et je me lève de ma chaise. Elle grince ma chaise, comme si l'était soulagée que mon gros cul soit plus sur sa charpente.
Bon, y'a dix gugusses qui graillent en solitaire à leur table. Mon homme, ça doit être l'un d'entre eux. Alors, en bon professionnel d'investigation, je vais vers le type le plus proche, et je lui dis :
- Vous bossez pour le CP 5 ?
L'a l'air tout surpris que je le dérange de son tête à tête avec ses endives au jambon.
- Qu...euh... quoi ?
Non, c'est pas mon homme. Allons voir le suivant.
- Vous bossez pour le ....
Ah ! J'en vois un au fond de la salle qui lève la main. Y me tourne le dos dans son joli petit ensemble blanc et y tourne la tête délicatement en ma direction histoire de me faire comprendre que je devais arrêter mon cirque. Bah oui mon grand, mais si t'avais bougé ton cul pour venir à ma table j'en serais pas arrivé à cette extrémité. L'est dix-neuf heure, je suis en congé, j'ai les glandes et donc j'ai autre à foutre que de faire la chasse aux agents infiltrés. Vos gamineries sous couvert de discrétion, ça me lasse.
Sans me démonter en voyant son petit côté menaçant passif-agressif, je bouge ma graisse jusqu'à me retrouver à sa table.
- J'te préviens tout d'suite mon grand, s'toi qui paie l'addition.
Les Dimanches ? Ces fumiers avaient été jusqu'à faire une croix dessus. Mais littéralement ! Dans les casernes, tous nos calendriers avaient des Dimanches rayés.
Paraît que quand on servait en première ligne, on le faisait par dévotion et pas par carriérisme. Toute façon le carriérisme quand la durée du vie chez l'élite est de trois ans en moyenne, ça va pas chercher bien loin. Crever troufion au caporal, tout ce qui change c'est le poids de la stèle funéraire.
Mais moi j'en ai fini de me crever le cul. Ah ça j'en ai soupé des cadences à la con. Aujourd'hui, je suis un homme nouveau, parce qu'aujourd'hui, je peux bénéficier d'un des vingt jours de congés payés qui me sont offerts à l'année en bossant au Cipher Pol.
Pas que j'aime pas mon travail, j'adore ce que je fais. Mais entre deux orchestrations de famine et de la spéculation frauduleuse, ça fait quand même un peu de bien au moral de souffler un peu.
Souffler, c'est une façon de parler. Parce qu'avec tout ce que je me m'engouffre dans la panse là, j'ai tout juste le temps d'inspirer entre deux bouchées. Ouais, mon temps libre, mon salaire même, j'épuise tout ça au Baratie. Putain que ça va me manquer ça quand on va m'envoyer promener sur Grand Line. Parce qu'y z'en parlent à la tête du bureau de ce qu'on m'a dit. Paraît que je sévirais encore plus efficacement de l'autre côté de Reverse Mountain. C'est eux qui voient. Moi que ce soit ici ou ailleurs, tant qu'on me fait pas chier quand je bosse, je demande pas plus.
- Terrine de poisson à l'estragon.
Pourquoi y me donne le nom du plat avant de me servir celui-là ? Je sais encore ce que j'ai commandé mon grand, je suis pas sénile. Sûrement parce que ça doit faire plus "prestige" de donner le nom des plats. Mais moi le prestige je me torche avec ! J'aime encore bien mieux les petits bouibouis et autres gargotes mal fâmées. Là-bas au moins, on vous sert à la louche et pour pas cher. C'est bon, et c'est pas prétentieux pour un sou. Si je voulais bouffer chic j'irais servir de mange-merde au milieu des hauts-gradés de la régulière. Bon, je vais pas me couper l'appétit en pensant à ces cons, juste que l'autre serveur là y va se calmer sur le côté "prestige". Ce que je veux, c'est des plats bien complets, bien mitonnés qu'on me sert dans une bonne ambiance. Que je sache, j'ai pas demandé un connard avec ma soupe.
Le temps que je fulmine à me demander pourquoi ce con me donne le nom de mon plat, l'autre a foutu le camp. Bah, je lui ferai la leçon au prochain plat. En attendant, c'est parti pour ma quatrième entrée froide. Ouais, quatrième, parce que moi, j'en profite jamais à moitié. À taaaaaaaaaaaaaaaab....
♪ Puru puru, puru puru ♫
Escargophone professionnel. Putain, y z'ont osé les carnes. J'avais la fourchette à trois centimètres de ma bouche grande ouverte, et ces fumiers, ces raclures, ces enfants de chienne osent me déranger. Je décroche quand même, le Cipher Pol est souvent soupe au lait quand on l'ignore. Du genre soupe au lait à finir suicidé à l'insu de son plein gré. Je suis furieux oui, mais prudent quand même.
- Ouais, quoi ?!
Bien agréable surtout, juste histoire de leur faire partager le fond de ma pensée sans trop en dire.
- Agent Oletto ?
- Ah non, z'êtes gouré d'numéro. Moi c'est "agent au restau", au restau parcqu'en congé, v'vous souv'nez ? Aujourd'hui c'Jeudi, c'même MON Jeudi, alors j'espère qu'z'avez une bonne raison de m'briser les glawines !
Mes congés c'est comme ma gamelle, t'approche avec tes gros doigts : je mords. Je suis pourtant pas un méchant, ni même un gars à problème, mais putain, que j'aime pas qu'on revienne sur un accord. Que le gouvernement mondial taise la vérité historique, rien à foutre, l'histoire ça m'a toujours fait roupiller quand j'allais en classe. Qu'il éradique parfois des îles entières à coup de canon, là aussi ça me va. J'ai toujours aimé les paysages dégagés de toute façon. Mais qu'y vienne m'emmerder pendant mon congé, là, y'a de quoi passer révolutionnaire !
- Tempérez-vous Oletto. Vous êtes au service du gouvernement mondial, pour vous, pas de Jeudi qui tienne, c'est Vendredi tous les jours.
Vendredi tous les jours ? Qu'est-ce ça veut dire ça encore comme connerie, que je vais devoir bouffer du poisson à midi ad vitam eternam ?
- Cette mission vous concerne dans la mesure où vous serez chargé de servir d'entremetteur. L'un de vos partenaires de combines ayant été utilisé par vos soins doit être mis en contact avec un agent du CP 5.
Bosser avec le CP 5 ? Pas bon ça, pas bon du tout même. Chez nous au CP 2, on fait de la guerre économique. Y'a des morts, mais y'a un côté bon enfant dans notre boulot. Les autres, y rigolent un peu moins dans leurs affectations. Entre les espions qui font sauter des gradés pour une note de frais douteuse et les assassins du CP 9, on n'est pas franchement bien entourés. Pas envie de bosser avec un de ces dingues. Surtout que quand ces emmerdeurs sont pas lunatiques, y sont vicieux, pas moyen de discuter avec. Alors bosser ensemble, mon cul...
- Mais z'encore ?
- Est-ce qu'Olivia Astelle vous dit quelque chose ?
Olivia Astelle ? Déjà que niveau mémoire des patronymes je touche pas une bille, là en plus y me fout une colle l'autre scribouillard du bureau. Je connais même pas une Olivia. Pis bon, des partenaires d'affaires qu'ont des noms de donzelle, elles se comptent sur les doigts d'une seule main. Et je parle d'une main de charpentier maladroit. Jamais y faut bosser avec des gonzesses. C'est irascible, hystérique et ça fout toujours la merde quand on est entre bonhommes. Que d'empires détruits pour une paire de fesses bien fermes.
- Que t'chi ! Ça devrait ?
- D'après le rapport de votre mission d'il y a deux ans, elle se faisait appeler "Taline" quand vous l'avez dépêchée.
Ah ! Bah là effectivement ça me rappelle des souvenirs. Des bons souvenirs même ! C'est rare avec le sexe faible. Suffisamment pour le faire remarquer. Taline, Taline, Taline... C'était quoi la chanson déjà ? "Si t'as des biftons que t'alignes, Taline te ravira la pi..."
Aaaah, Taline ! Fringante petite pute de Logue Town. Eh comment que je me souviens.
Tu parles d'une mission... Juste une arnaque de brigand à la petite semaine. Quand j'y repense, j'ai presque honte d'avoir eu à m'abaisser à ça dans mon travail.
En fait, c'était juste une affaire d'héritage y a deux deux de ça. Un grand ponte de Logue Town, un industriel ou je sais quoi venait d'être accepté à l'hôpital pour un truc aux poumons. Pas loin de quatre-vingts-dix balais il avait le vieux. Le type avait une fortune de trois milliards de berries et aucune descendance. Forcément, en bon professionnel, quand je me suis documenté sur l'affaire, le grisbi m'a titillé les narines.
Je débutais au CP 2, donc j'obéissais sans pouvoir manœuvrer, même si c'est moi qui avait proposé l'affectation. Quel travail de merde je vous jure. Je sais plus qui était l'officier en charge de l'affaire en ce temps là, mais le gars était tellement doué qu'il a mené le vieux à s'entourer d'une batterie d'avocats quand y s'est douté que le G.M gravitait autour de son coffre-fort.
Bref, du travail de gougnafier.
Vu que la mission traînait et que le vieux était pas loin de passer l'arme à gauche, ça allait mal se finir pour nous. Laisser passer cent millions ça pouvait encore passer, mais trois milliards et on était tous bons pour faire copain-copain avec la basse flibuste en cellule. Ça me tentait moyen comme projet.
Quand on avait un peu quartier libre, j'allais faire frétiller popol du côté des quartiers de ces dames. Aaah, Taline... vingt-cinq mille berries la passe quand même, ça aussi j'ai pas oublié. L'était pourtant pas bien belle, ni même roulée comme une mécanique de pointe.
De ce qu'on avait discuté sur l'oreiller, elle avait la quarantaine comme moi, je crois même qu'elle devait avoir quelques années de plus. Pis là, un beau soir alors que je la besognais, ça m'est venu comme ça. Une idée toute conne.
J'en avais fait des recherches sur le vieux. Et je me souviens que dans plusieurs articles de journaux qui dataient du siècle dernier, il avait été accusé à demi-mot d'avoir fricoté pas mal avec la femme d'un adjoint au maire de Logue Town. De ce qu'en disait la presse, le gars était cocu mais s'en accommodait moyennant financement discret pour sa campagne. L'est même devenu et resté maire pendant près de vingt ans.
Là-dessus, après être revenu de chez Taline, je potasse tout ce que je peux sur la rombière que l'autre croulant a tringlé par le passé. Tout ça, leur idylle, ça avait duré entre 1570 et 1590. J'avais mon créneau.
L'agent qui me servait de supérieur a accepté mon idée. Et quelle idée putain, c'était du bluff de jouvenceau, le genre tactique "ça passe ou ça casse" qu'on sort que quand on est vraiment désespéré. En fait, l'idée c'était de créer un faux document pour attester que Taline aurait été la fille cachée de mon industriel et de sa libertine de maîtresse. Ça se tenait, parce que l'autre conne avait un jour disparu pendant deux ans pour rendre visite à des parents dans le Nouveau Monde. Suffisait de laisser entendre qu'elle aurait accouché du fruit de son adultère, et hop ! On créait une filiation fictive et bien lucrative.
Déguisés en avocats, quand on a amené le document au notaire, un vrai faux certifié par le G.M, on avait les rotules qui tremblaient. Soit ça passait et c'était le jackpot, ou alors on créait un scandale d'État impliquant le G.M, et là, c'était pas juste la taule qui nous attendait...
Bah le notaire il était sacrément sceptique. Tu penses, un ami de la famille qui connaissait en plus très bien l'adjoint et sa femme. À lui, on pouvait pas lui faire. Et c'est là que, sans avoir été autorisé à l'ouvrir par mon supérieur j'ai dit :
"- Et si la presse v'nait à avoir vent d'ce document, l'en penserait quoi ?"
Ça l'avait refroidi l'autre. Après, y se doutait qu'on était aussi avocat qu'on avait de beurre au cul, mais si on poussait la menace à bout, y savait aussi que l'entreprise du vieux allait morfler à cause du petit scandale mondain dans les journaux. Les actionnaires se seraient détournés par principe, et ça aurait ruiné la compagnie à cause d'une opinion publique trop conservatrice et un document aussi faux que convaincant.
Bon, on n'est pas repartis avec les trois milliards, le notaire a quand même un peu négocié. Mais un milliard et demi c'était pas si mal. Tout était tombé sur le compte de la brave Taline avant de nous être restitués. Beau prince, j'avais réussi à lui en détourner dix millions rien que pour elle. Quand il est question d'affaires je suis pas un tendre, mais quand il est question de récompenses, là je sais être généreux.
Pourquoi je me remémore tout ça moi ? Ah oui ! L'agent du CP 5 et tout le tintouin.
- Qu'est-ce qu'elle a à voir 'vec le CP 5 la pauvre Taline ?
J'aurais peut-être pas dû lui filer les dix millions à celle-là en fin de compte. À tous les coups elle a fait des folies de son oseille, assez pour attirer l'attention du CP 5 en tout cas. Bien pour ça que les bons pauvres font des mauvais riches, y savent pas comment dépenser leur fric comme y faut.
- Figurez-vous que peu de temps après votre départ, cette simple fille de joie a curieusement fait fortune....
Ouuuuh, ça sent l'accusation à peine voilée ça. Dissipons, dissipons.
- M'étonne pas. Avec c'qu'elle facturait par turlute, et avec c'qu'elle pompait à l'heure, l'aurait pu financer le G.M à elle seule harf harf harf !
Une grivoiserie et ça suffira pour détourner l'attention. J'enchaîne pour être sûr qu'il revienne pas sur ce point.
- Et par faire fortune v'voulez dire ...?
- J'entends par là que sa société de cosmétiques conçus à partir de produits marins ferait un bénéfice annuel de cent millions de berries.
La pute ! Euh non, pas la pute, c'est pas une insulte pour elle. La salope ! Oui, la belle salope. Je l'aide à sortir de sa misère, juste histoire que les mineurs de tous horizons arrêtent de forer sa galerie pour trois piécettes, et elle, elle me renvoie pas l'ascenseur maintenant qu'elle est blindée ?! Et qu'elle dise pas qu'elle savait pas où me contacter, je lui avais laissé mon numéro d'escargophone. Putain j'en reviens pas, cent millions par an...
- Et qu'est-ce qu'vous attendez d'moi au juste ?
La salope... J'en reviens toujours pas.
- Un agent du CP 5 vous attend au Baratie. Il vous communiquera les ordres en détails. Nous préférons ne pas le faire par escargophone pour éviter les interceptions. À vous d'user d'astuce pour l'identifier parmi les clients. Bonne soirée agent Oletto.
En temps normal ça m'aurait un peu agacé qu'y me raccroche au nez sans attendre que je lui réponde "bisous", mais je suis encore sous le choc de la révélation sur le patrimoine de madame turlute. Je me montre généreux et on me rend jamais la pareille, c'en est vexant merde.
Putain, si ma terrine était pas déjà froide, ça ferait une paie qu'elle aurait déjà refroidie. Même pas le temps de la savourer, je m'empiffre vite fait même si j'aime pas agir comme ça, et je pars en quête de l'agent qu'y m'ont foutu dans les pattes au dernier moment.
L'a demandé que je fasse preuve d'astuce l'autre con. Je vais quand même pas me casser le cul juste pour établir le contact. Mon met dévoré sans pouvoir être apprécié à sa juste valeur, je prends ma serviette pour me décrasser la bouche et je me lève de ma chaise. Elle grince ma chaise, comme si l'était soulagée que mon gros cul soit plus sur sa charpente.
Bon, y'a dix gugusses qui graillent en solitaire à leur table. Mon homme, ça doit être l'un d'entre eux. Alors, en bon professionnel d'investigation, je vais vers le type le plus proche, et je lui dis :
- Vous bossez pour le CP 5 ?
L'a l'air tout surpris que je le dérange de son tête à tête avec ses endives au jambon.
- Qu...euh... quoi ?
Non, c'est pas mon homme. Allons voir le suivant.
- Vous bossez pour le ....
Ah ! J'en vois un au fond de la salle qui lève la main. Y me tourne le dos dans son joli petit ensemble blanc et y tourne la tête délicatement en ma direction histoire de me faire comprendre que je devais arrêter mon cirque. Bah oui mon grand, mais si t'avais bougé ton cul pour venir à ma table j'en serais pas arrivé à cette extrémité. L'est dix-neuf heure, je suis en congé, j'ai les glandes et donc j'ai autre à foutre que de faire la chasse aux agents infiltrés. Vos gamineries sous couvert de discrétion, ça me lasse.
Sans me démonter en voyant son petit côté menaçant passif-agressif, je bouge ma graisse jusqu'à me retrouver à sa table.
- J'te préviens tout d'suite mon grand, s'toi qui paie l'addition.