Sur l'île de Daraak dans l'archipel de Narcopia, le temps était clément. Le soleil brillait d'une lumière pâle et les collines herbeuses, les bois et les champs étaient traversés d'un zéphyr bienvenue alors que l'on était en plein automne 16XX.
A l'intérieur des terres, le monastère de Dink, immense bâtisse aux murs colorés, se dressait fièrement entre champs et forêts, imperturbable face au passage du temps. Au nord du bâtiment, dans un verger appartenant à la communauté religieuse, un jeune garçon aux cheveux gris était en train de crapahuter dans un arbre à la recherche de fruits mûrs sous le regard courroucé d'un moine.
Sunbae Roona, treize ans au moment des faits, était à califourchon sur une branche, le corps et le bras tendus en direction d'une pomme qui ne voulait pas se laisser décrocher. Un visage aux angles marqués, une bouche aux lèvres fines, un menton pointu et des oreilles décollées. Le garçon était un excellent "teaser" de sa version adulte, déjà les cheveux gris, quoique légèrement plus sombres, déjà un air d'asperge, déjà cet étrange regard bleu acier aux pupilles trop grandes mais pas encore de balafres ni de piercings.
Orphelin ayant grandi au monastère il était, au même titre que ses compères, soumis au rythme de vie du monastère: réveil aux aurores, participation aux prières communes, leçons diverses et variées avec le frère To, travail dans les champs, participation à l'entretien du monastère et aux différentes activités monacales ainsi que coucher en même temps que le soleil. Cependant, et même si la journée laissait le temps de faire bien des choses en dehors de cette routine, Sunbae considérait que trop peu de ces activités méritaient l'effort consenti pour les achever. Ainsi, depuis le début de la récolte des pommiers, il s'arrangeait pour esquiver les corvées de nettoyage en sachant parfaitement que le frère Eujak le punirait en lui faisant cueillir les fruits de toute une parcelle du verger. Frère Eujak, petit homme bedonnant à l'allure robuste, au crane rasé et au visage carré, aimait les punitions à caractères utiles et l'adolescent préférait la grimpette à l'astiquage de parquet. Tout allait donc parfaitement bien même si, selon les estimations de l'enfant, il n'y aurait bientôt plus rien à cueillir et qu'il devrait trouver autre chose pour ne pas avoir à se ruiner les genoux sur le carrelage de la Grande Salle. Le monastère aurait tout même put investir dans quelques balais-brosse.
Depuis le monastère un moine se dirigeait vers eux. Depuis sa position surélevée, le garçon put suivre l'évolution de l'ecclésiaste à travers et les champs et son avancée jusqu'à l'arbre fruitier. A quelques mètres de celui-ci; le nouvel arrivant héla son confrère et après une courte discussion dont Sunbae ne pouvait saisir le moindre mot, le remplaça à la surveillance du garçon.
Georges Perudo To paraissait bien plus vieux que son âge. Peu importe l'âge qu'il pouvait bien avoir. De taille moyenne, l'homme semblait flotter dans son sari et son teint pâle et vitreux donnait l'impression qu'il aurait pu s'effondrer à tout moment. Son visage, aux traits doux mais affirmés, était partagé entre un sourire bienveillant souligné par de hautes pommettes sur lesquelles étaient enfoncés des yeux marrons cerclés de cernes. Le tout était encadré par une touffe de cheveux grisonnants et une barbe de trois jours.
Responsable de l'orphelinat au sein du monastère, Frère To, était apprécié par les enfants dont il avait la charge. Toujours ouvert à la discussion, ferme mais juste lorsqu'il faut sévir et suffisamment compréhensif pour savoir qu'il y a des règles qu'on peut, à l'occasion, plier à sa convenance. Un mélange qui avait fait ses preuves depuis plus d'une décennie dans l'éducation.
Et s'il n'était pas le plus difficile des enfants dont il ait eu la charge, Sunbae était cependant un véritable casse-tête pour le moine. Tantôt élève assidu et travailleur impliqué tantôt atteint de crises d'absentéisme et de je-m'en-foutisme aigües, il ne dérogeait que très ponctuellement aux règles mais dérogeait inlassablement à certains de ses devoirs. Ce n'était donc pas vraiment un gamin difficile mais il posait sans aucun doute certains problèmes et donnait un mauvais exemple aux orphelins les plus jeunes. Ce genre comportements ne devaient pas se multiplier et Georges avait quelques idées sur comment régler ça.
...
Sunbae soupira à la vue du frère To. Il aimait bien le moine mais savait que celui-ci allait encore lui prodiguer l'un de ses fameux discours moralisateurs et, même s'il appréciait la verve de son mentor, il ne se sentait pas de subir vingt minutes de monologue après la punition de frère Eujak. Il descendrait bientôt de son perchoir, il le savait.
_ Sunbae, l'appela alors frère To, suis moi.
Ah...le speech aurait donc lieu au monastère. L'adolescent aurait pourtant parié qu'il allait le recevoir ici et que Georges profiterait d'être à l'extérieur pour élever la voix plus que de coutume. Il se dépêcha de descendre du pommier et d’emboîter le pas à son professeur, curieux du déroulement des événements. Il déposa le panier de pommes récoltées, au côté des autres, dans une charrette patientant sous un autre arbre.
...
Quelques minutes plus tard, le duo arrivait aux abords de l'entrée du monastère lorsque frère To, enfermé jusque là dans un mutisme complet, prit la parole.
_ Jusqu'où es-tu allé lors de tes excursions en dehors du monastère?
Aïe...pensa Sunbae. Ainsi l'ecclésiaste savait qu'il s'aventurait généralement à l'extérieur lors de ses petites "disparitions". L'adolescent était pourtant sûr de n'avoir jamais été surpris lors de celles-ci mais ça pouvait aussi bien être une simple supposition de la part de son interlocuteur. Non...il le connaissait et ce n'était pas le genre du vieil homme de recourir au bluff.
_ Jusqu'au rivage et la colline après le champ de M. Ledole, répondit honnêtement le garçon.
_ Une sacrée trotte mon garçon, siffla, admiratif le frère To, tu n'as donc jamais vu Roona?
Les poils du garçon se hérissèrent à la mention du port lui ayant donné son nom et il afficha tout de suite un air plus renfrogné. Bien que n'ayant jamais été traumatisé par son statut d'orphelin, surtout au milieu de moines ascétiques et d'autres enfants orphelins eux-même, il n'aimait pas non plus qu'on lui rappelle ce fait. Que ce soit voulu ou non. Il lui faudrait encore quelques années avant d'être capable de porter fièrement son nom et de complètement "assumer" son absence de cellule familiale.
_ Non, jamais m'sieur. Répondit-il, quelque peu contrit.
_ Ça te tenterais? Et c'est frère To, ou frère Georges mais pas monsieur et encore moins m'sieur...
_ Euh...oui, répliqua un Sunbae confus.
Ah ça, il l'avait pas vu venir. Etait-ce un nouveau genre de punition? Le monastère en avait-il eu assez de ses errements et comptait le reposer là où il avait été trouvé? Non, impossible, il devait se calmer et réfléchir calmement. Quel était le but de la manœuvre?
Rien à faire, Sun' ne comprenait pas et, perdu dans ses réflexions, se retrouva à suivre le Frère Georges jusqu'à l'écurie monacale et ce sans s'en rendre compte. De petite taille et n'accueillant qu'une poignée de chevaux de trait, l'écurie était cependant bien agencée et entretenue. S'emparant d'un canasson, le duo l'harnacha à un des chariots, rempli comme les autres de produits provenant du monastère, et se mit en route.
Et ce n'est qu'après de longues minutes, et une fois toutes les possibilités imaginées par le jeune hommes sacrifiées sur l'autel de sa logique, que Sunbae se résolu à demander à son gardien les raisons de ce trajet vers Roona.
_ Et bien, pour échanger certains de nos produits avec les locaux.
_ Oui, mais non, j'voulais dire pourquoi j'fais partie du voyage. J'ai pas vraiment mérité une ballade champêtre, non?
_ Non, en effet.
De toute évidence, le moine ne comptait pas développer plus que ça mais c'était sans compter le besoin maladif de son élève à obtenir des réponses.
_ Et du coup?
_ ...
_ Vous êtes sérieux? J'viens d'passer deux heures à ramasser des pommes, j'vous vois arriver alors je me dis: ok, c'est l'heure d'écouter un sermon. Mais non, vous m'embarquez, vous me dites rien et moi j'dois dire banco?
_ On appelle ça l'éducation, lui répondit le moine d'un ton neutre.
_ Quoi!? Mais non! Vous pouvez pas juste répondre ça en espérant que j'acquiesce avec le sourire, z'êtes censé être pédagogue, expliquer pour qu'on comprenne et tout et tout...
_ C'est l'avantage d'être l'adulte, je n'ai rien à t'expliquer si je n'en ressens pas l'besoin.
_ Non mais bien sûr...et pourquoi pas invoquer la hiérarchie tant qu'on y est, hein!? Et si c'est une nouvelle méthode de pression de votre part et ben ça marchera pas. Je dirais rien.
_ Le voyage pourra donc se faire en silence...une bonne chose.
Il le cherchait. Y avait pas d'autres explications, c'était un acte de provocation pur et simple et si le moine pensait pouvoir éviter un flot de paroles ininterrompu, n'ayant aucun autre but que l'emmerdement maximal, alors il se fourrait le doigt dans l’œil jusqu'à l'épaule. Foi de Sunbae Roona.
Le trajet jusqu'au port de Daraak ne fut donc qu'un long monologue du jeune homme détaillant tout ce qu'il voyait : "...et là bas y'a un arbre avec une forme de crochet et vous avez-vu les oiseaux, vous croyez qu'il sont en migration, et comment ils volent, et la route, elle est encore longue?", le tout entrecoupé de commentaires condescendants du frère To. Ce qui avait le don d'agacer Sun'. Il était, certes, pas encore au top niveau pétage de roustons mais ce manque de réactions de la part de son interlocuteur avait le don de l'agacer encore plus. Et malgré toutes ses tentatives; une fois arrivé à Roona, c'était bien l'adolescent le plus frustré du duo.
Frustration qui s'évapora très vite une fois à l'intérieur du village. N'ayant jamais quitté le monastère et ses alentours, et encore moins vu de villes, Sun' avait les yeux illuminés devant le manège qui prenait place dans la modeste bourgade.
Deux navires marchands, connexion commerciale avec les autres îles de l'archipel, étaient à quais et c'est une vingtaines de personnes qui étaient afférés à décharger les précieuses marchandises. Vin, vêtements, bijoux et nombre d'objets issus de l'artisanat de North Blue étaient importés par la petite île, limitée à la production de denrées alimentaires et leurs dérivés. Des étals s'installaient de part et d'autre des embarcadères, certains à destinations des autochtones et d'autre pour permettre aux marins de profiter des produits locaux. Négociants, marchands, marins et paysans échangeaient dans une bonne humeur criante et un tourbillon de couleurs, d'odeurs et de sons duquel ne pouvait se détourner Sunbae. Il était enivré par cet afflux de sensations et n'avait plus aucun intérêt pour les raisons pour lesquelles frère To l'avait emmené. Il en était juste ravi. Certes, le village était à peine plus peuplé que le monastère mais il débordait d'une activité frénétique que personne n'avait jamais observé au monastère. Une découverte et un ravissement pour le garçon, cet endroit était curieux et rien au monde n'aurait pu lui faire plus plaisir.
C'est donc plein de bonne volonté, et sous le regard bienveillant de l'homme de foi, que l'orphelin participa à la vente des produits du monastère en faisant, au passage, preuve d'une gouaille certaine pour mettre en avant ses marchandises. Au bout d'un moment, un musicien, conteur marin aux vêtements rapiécés et à l'allure décharnée, s'installa à quelques mètre de l'emplacement du duo et commença le récit des aventures d'un certain Capitaine Bob. Un récit parlant de voyage, de terres inexplorées et de combats contre de dangereux pirates et monstres marins et qui faisait briller les yeux bleu acier de Sunbae.
A l'intérieur des terres, le monastère de Dink, immense bâtisse aux murs colorés, se dressait fièrement entre champs et forêts, imperturbable face au passage du temps. Au nord du bâtiment, dans un verger appartenant à la communauté religieuse, un jeune garçon aux cheveux gris était en train de crapahuter dans un arbre à la recherche de fruits mûrs sous le regard courroucé d'un moine.
Sunbae Roona, treize ans au moment des faits, était à califourchon sur une branche, le corps et le bras tendus en direction d'une pomme qui ne voulait pas se laisser décrocher. Un visage aux angles marqués, une bouche aux lèvres fines, un menton pointu et des oreilles décollées. Le garçon était un excellent "teaser" de sa version adulte, déjà les cheveux gris, quoique légèrement plus sombres, déjà un air d'asperge, déjà cet étrange regard bleu acier aux pupilles trop grandes mais pas encore de balafres ni de piercings.
Orphelin ayant grandi au monastère il était, au même titre que ses compères, soumis au rythme de vie du monastère: réveil aux aurores, participation aux prières communes, leçons diverses et variées avec le frère To, travail dans les champs, participation à l'entretien du monastère et aux différentes activités monacales ainsi que coucher en même temps que le soleil. Cependant, et même si la journée laissait le temps de faire bien des choses en dehors de cette routine, Sunbae considérait que trop peu de ces activités méritaient l'effort consenti pour les achever. Ainsi, depuis le début de la récolte des pommiers, il s'arrangeait pour esquiver les corvées de nettoyage en sachant parfaitement que le frère Eujak le punirait en lui faisant cueillir les fruits de toute une parcelle du verger. Frère Eujak, petit homme bedonnant à l'allure robuste, au crane rasé et au visage carré, aimait les punitions à caractères utiles et l'adolescent préférait la grimpette à l'astiquage de parquet. Tout allait donc parfaitement bien même si, selon les estimations de l'enfant, il n'y aurait bientôt plus rien à cueillir et qu'il devrait trouver autre chose pour ne pas avoir à se ruiner les genoux sur le carrelage de la Grande Salle. Le monastère aurait tout même put investir dans quelques balais-brosse.
Depuis le monastère un moine se dirigeait vers eux. Depuis sa position surélevée, le garçon put suivre l'évolution de l'ecclésiaste à travers et les champs et son avancée jusqu'à l'arbre fruitier. A quelques mètres de celui-ci; le nouvel arrivant héla son confrère et après une courte discussion dont Sunbae ne pouvait saisir le moindre mot, le remplaça à la surveillance du garçon.
Georges Perudo To paraissait bien plus vieux que son âge. Peu importe l'âge qu'il pouvait bien avoir. De taille moyenne, l'homme semblait flotter dans son sari et son teint pâle et vitreux donnait l'impression qu'il aurait pu s'effondrer à tout moment. Son visage, aux traits doux mais affirmés, était partagé entre un sourire bienveillant souligné par de hautes pommettes sur lesquelles étaient enfoncés des yeux marrons cerclés de cernes. Le tout était encadré par une touffe de cheveux grisonnants et une barbe de trois jours.
Responsable de l'orphelinat au sein du monastère, Frère To, était apprécié par les enfants dont il avait la charge. Toujours ouvert à la discussion, ferme mais juste lorsqu'il faut sévir et suffisamment compréhensif pour savoir qu'il y a des règles qu'on peut, à l'occasion, plier à sa convenance. Un mélange qui avait fait ses preuves depuis plus d'une décennie dans l'éducation.
Et s'il n'était pas le plus difficile des enfants dont il ait eu la charge, Sunbae était cependant un véritable casse-tête pour le moine. Tantôt élève assidu et travailleur impliqué tantôt atteint de crises d'absentéisme et de je-m'en-foutisme aigües, il ne dérogeait que très ponctuellement aux règles mais dérogeait inlassablement à certains de ses devoirs. Ce n'était donc pas vraiment un gamin difficile mais il posait sans aucun doute certains problèmes et donnait un mauvais exemple aux orphelins les plus jeunes. Ce genre comportements ne devaient pas se multiplier et Georges avait quelques idées sur comment régler ça.
...
Sunbae soupira à la vue du frère To. Il aimait bien le moine mais savait que celui-ci allait encore lui prodiguer l'un de ses fameux discours moralisateurs et, même s'il appréciait la verve de son mentor, il ne se sentait pas de subir vingt minutes de monologue après la punition de frère Eujak. Il descendrait bientôt de son perchoir, il le savait.
_ Sunbae, l'appela alors frère To, suis moi.
Ah...le speech aurait donc lieu au monastère. L'adolescent aurait pourtant parié qu'il allait le recevoir ici et que Georges profiterait d'être à l'extérieur pour élever la voix plus que de coutume. Il se dépêcha de descendre du pommier et d’emboîter le pas à son professeur, curieux du déroulement des événements. Il déposa le panier de pommes récoltées, au côté des autres, dans une charrette patientant sous un autre arbre.
...
Quelques minutes plus tard, le duo arrivait aux abords de l'entrée du monastère lorsque frère To, enfermé jusque là dans un mutisme complet, prit la parole.
_ Jusqu'où es-tu allé lors de tes excursions en dehors du monastère?
Aïe...pensa Sunbae. Ainsi l'ecclésiaste savait qu'il s'aventurait généralement à l'extérieur lors de ses petites "disparitions". L'adolescent était pourtant sûr de n'avoir jamais été surpris lors de celles-ci mais ça pouvait aussi bien être une simple supposition de la part de son interlocuteur. Non...il le connaissait et ce n'était pas le genre du vieil homme de recourir au bluff.
_ Jusqu'au rivage et la colline après le champ de M. Ledole, répondit honnêtement le garçon.
_ Une sacrée trotte mon garçon, siffla, admiratif le frère To, tu n'as donc jamais vu Roona?
Les poils du garçon se hérissèrent à la mention du port lui ayant donné son nom et il afficha tout de suite un air plus renfrogné. Bien que n'ayant jamais été traumatisé par son statut d'orphelin, surtout au milieu de moines ascétiques et d'autres enfants orphelins eux-même, il n'aimait pas non plus qu'on lui rappelle ce fait. Que ce soit voulu ou non. Il lui faudrait encore quelques années avant d'être capable de porter fièrement son nom et de complètement "assumer" son absence de cellule familiale.
_ Non, jamais m'sieur. Répondit-il, quelque peu contrit.
_ Ça te tenterais? Et c'est frère To, ou frère Georges mais pas monsieur et encore moins m'sieur...
_ Euh...oui, répliqua un Sunbae confus.
Ah ça, il l'avait pas vu venir. Etait-ce un nouveau genre de punition? Le monastère en avait-il eu assez de ses errements et comptait le reposer là où il avait été trouvé? Non, impossible, il devait se calmer et réfléchir calmement. Quel était le but de la manœuvre?
Rien à faire, Sun' ne comprenait pas et, perdu dans ses réflexions, se retrouva à suivre le Frère Georges jusqu'à l'écurie monacale et ce sans s'en rendre compte. De petite taille et n'accueillant qu'une poignée de chevaux de trait, l'écurie était cependant bien agencée et entretenue. S'emparant d'un canasson, le duo l'harnacha à un des chariots, rempli comme les autres de produits provenant du monastère, et se mit en route.
Et ce n'est qu'après de longues minutes, et une fois toutes les possibilités imaginées par le jeune hommes sacrifiées sur l'autel de sa logique, que Sunbae se résolu à demander à son gardien les raisons de ce trajet vers Roona.
_ Et bien, pour échanger certains de nos produits avec les locaux.
_ Oui, mais non, j'voulais dire pourquoi j'fais partie du voyage. J'ai pas vraiment mérité une ballade champêtre, non?
_ Non, en effet.
De toute évidence, le moine ne comptait pas développer plus que ça mais c'était sans compter le besoin maladif de son élève à obtenir des réponses.
_ Et du coup?
_ ...
_ Vous êtes sérieux? J'viens d'passer deux heures à ramasser des pommes, j'vous vois arriver alors je me dis: ok, c'est l'heure d'écouter un sermon. Mais non, vous m'embarquez, vous me dites rien et moi j'dois dire banco?
_ On appelle ça l'éducation, lui répondit le moine d'un ton neutre.
_ Quoi!? Mais non! Vous pouvez pas juste répondre ça en espérant que j'acquiesce avec le sourire, z'êtes censé être pédagogue, expliquer pour qu'on comprenne et tout et tout...
_ C'est l'avantage d'être l'adulte, je n'ai rien à t'expliquer si je n'en ressens pas l'besoin.
_ Non mais bien sûr...et pourquoi pas invoquer la hiérarchie tant qu'on y est, hein!? Et si c'est une nouvelle méthode de pression de votre part et ben ça marchera pas. Je dirais rien.
_ Le voyage pourra donc se faire en silence...une bonne chose.
Il le cherchait. Y avait pas d'autres explications, c'était un acte de provocation pur et simple et si le moine pensait pouvoir éviter un flot de paroles ininterrompu, n'ayant aucun autre but que l'emmerdement maximal, alors il se fourrait le doigt dans l’œil jusqu'à l'épaule. Foi de Sunbae Roona.
Le trajet jusqu'au port de Daraak ne fut donc qu'un long monologue du jeune homme détaillant tout ce qu'il voyait : "...et là bas y'a un arbre avec une forme de crochet et vous avez-vu les oiseaux, vous croyez qu'il sont en migration, et comment ils volent, et la route, elle est encore longue?", le tout entrecoupé de commentaires condescendants du frère To. Ce qui avait le don d'agacer Sun'. Il était, certes, pas encore au top niveau pétage de roustons mais ce manque de réactions de la part de son interlocuteur avait le don de l'agacer encore plus. Et malgré toutes ses tentatives; une fois arrivé à Roona, c'était bien l'adolescent le plus frustré du duo.
Frustration qui s'évapora très vite une fois à l'intérieur du village. N'ayant jamais quitté le monastère et ses alentours, et encore moins vu de villes, Sun' avait les yeux illuminés devant le manège qui prenait place dans la modeste bourgade.
Deux navires marchands, connexion commerciale avec les autres îles de l'archipel, étaient à quais et c'est une vingtaines de personnes qui étaient afférés à décharger les précieuses marchandises. Vin, vêtements, bijoux et nombre d'objets issus de l'artisanat de North Blue étaient importés par la petite île, limitée à la production de denrées alimentaires et leurs dérivés. Des étals s'installaient de part et d'autre des embarcadères, certains à destinations des autochtones et d'autre pour permettre aux marins de profiter des produits locaux. Négociants, marchands, marins et paysans échangeaient dans une bonne humeur criante et un tourbillon de couleurs, d'odeurs et de sons duquel ne pouvait se détourner Sunbae. Il était enivré par cet afflux de sensations et n'avait plus aucun intérêt pour les raisons pour lesquelles frère To l'avait emmené. Il en était juste ravi. Certes, le village était à peine plus peuplé que le monastère mais il débordait d'une activité frénétique que personne n'avait jamais observé au monastère. Une découverte et un ravissement pour le garçon, cet endroit était curieux et rien au monde n'aurait pu lui faire plus plaisir.
C'est donc plein de bonne volonté, et sous le regard bienveillant de l'homme de foi, que l'orphelin participa à la vente des produits du monastère en faisant, au passage, preuve d'une gouaille certaine pour mettre en avant ses marchandises. Au bout d'un moment, un musicien, conteur marin aux vêtements rapiécés et à l'allure décharnée, s'installa à quelques mètre de l'emplacement du duo et commença le récit des aventures d'un certain Capitaine Bob. Un récit parlant de voyage, de terres inexplorées et de combats contre de dangereux pirates et monstres marins et qui faisait briller les yeux bleu acier de Sunbae.
- Les aventures de Capitaine Bob:
- Capitaine Bob sur son fier esquif
Rêvait de sauver mères comme fils
Armé de sa seule volonté
Pour faire face aux flots enragés
Sur son chemin il rencontra
Un géant aux bras d'acier et de bonne foi
Et c'est à l'aide d'une choppe en bois
Qu'il le convainquit de suivre ses pas
Capitaine Bob et son compagnon
Commencèrent à répandre leurs bonnes actions
Mais sur les Bleues un danger guettait
Peu satisfait de leurs haut faits
Victimes d'une traitre embuscade
Les pirates débarquèrent en cascade
Et tel une meute enragée
Tentaient d'amener souffrance et décès
Mais aidé par son compagnon musclé
Et une stratégie tout juste inventée
Capitaine Bob se défit des criminels
Les renvoyant à une paix éternelle
Plus tard au cours de son aventure
Sur la route marine la plus dure
Sur une île ou la nature régnait en maitre
Contrôlant la mer comme la terre
Il fit face à un grand défi
Se sortir de l'hypnose soumise
Par cette fleur aux couleurs exquises
Rêvant de combler son appétit
Et tout au fond de sa détresse
Lui vint l'idée d'une caresse
Portée au cou du végétal
Calmant l'envie de l'animal
Et c'est sauvé par son intellect
Qu'il s'enfuit de manière discrète
En direction de nouvelles terres
N'attendant que leurs découvertes
La chanson continua ainsi de longues minutes et, observant le garçon fasciné, Georges Perudo To, se dit qu'il tenait peut être quelque chose. Il ne pouvait changer le caractère du garçon mais il y avait peut être un moyen d'atténuer son comportement. Par exemple, s'ils partaient maintenant que serait prêt a faire le garçon pour l'opportunité de revenir ici en quête de nouveaux récits à écouter?
Sunbae, lui, ne pensait qu'à une chose : le monde était vaste et il était hors de question pour lui de passer à côté. Dès qu'il pourrait voyager, il ne s'arrêterait plus.
Sunbae, lui, ne pensait qu'à une chose : le monde était vaste et il était hors de question pour lui de passer à côté. Dès qu'il pourrait voyager, il ne s'arrêterait plus.