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L'or liquide

Vacherie de soleil, qu'est-ce qu'il a à s'acharner sur moi comme ça ? Je jurerais que c'est pas le même que d'habitude tellement celui-ci m'ébouillante. Même pas trois heures que je traîne mes guêtres sur cette putain d'île que j'ai dû perdre la moitié de mon poids en sueur.
Ça a l'air d'amuser les locaux de me voir fondre. Faut dire que j'en suis à me trimbaler avec une serviette sous le bras pour m'essuyer le visage sans arrêt. S'y faisait pas si chaud, elle serait déjà imbibée de flotte, mais ça a le temps de sécher j'ai l'impression.

C'est pas que je suis hostile à la chaleur, mais y'a des moments où faut pas pousser mémé dans l'eau du bain. C'est peut-être mes trois quintaux sur la carcasse qui rendent le tout encore plus désagréable, mais je soutiens que c'est pas humain de vivre sous un un soleil pareil. D'ailleurs je m'étonne que les baraques en bois flambent pas à l'usure.

Et on repasse un coup de serviette sur le museau. Putain, je dois faire ça toutes les dix secondes depuis que je suis arrivé, je me vide de mes fluides corporels.
Remarque, ce serait pas mal ironique que je crève de déshydratation quand on sait ce que je suis venu faire à Attalia.

Galère, et cet emmanché de coordinateur que je trouve pas. Faute lourde, j'ai pas pensé à demander au bureau les références de son escargophone. Me voilà perdu dans une ville portuaire à chercher un branleur qu'aurait dû m'accueillir et m'aiguiller dès mon arrivée sur les quais.
Qui sait, quand je pousserai mon ultime râle d'agonie, peut-être que ce fumier arrivera à me retrouver.

Pis merde à la fin, je m'assois à la terrasse d'un bistrot bondé. Même sous la toile dressée pour faire de l'ombre, on cuit à feu doux.

- Et pour le monsieur, qu'est-ce que ce se...

- Un thé glacé ! Et pas glacé juste d'nom, nan nan ! Moi j'veux du thé vraiment glacé, du genre en d'ssous d'zéro, sinon j'vais crever !

La petiote me regarde avec des billes couleur olive toutes rondes. Pauvre môme, j'ai dû l'effrayer avec mes manières d'ours. Vu son âge, elle doit aider ses parents en faisant la serveuse. Soyons pas trop dur avec.

- Nan mais... Quand j'dis en d'ssous d'zéro... Ç'une façon d'parler. Un thé glacé n'rmal, ça m'ira très bien gamine. Mais grouille-toi.

Elle se contente de faire vite "oui" de la tête pis elle se tire presque en courant. Ces jeunes, ça s'impressionne d'un rien.
Chouette petit bistrot cela dit, j'aime bien quand y'a plein de monde que ça gueule partout, à se demander où tout ce beau monde trouve la force de s'égosiller. Avec une chaleur pareille, moi je peux pas.

- Agent Oletto ?

Pété par le diable j'ai eu peu ! Un type tout grand, tout sec, en costume qui plus est, le gars s'est approché de moi dans le dos. Le voilà mon putain de coordinateur ! Si j'avais su qu'il avait fallu faire la tournée des bistrots pour le trouver, je me serais pas privé.
En me retournant vers lui, y'a ma chaise en bois qui grince drôlement. Ça va se casser la gueule cette histoire. Hop, j'en chope une deuxième en vitesse, une pour chaque fesse, ça devrait faire l'affaire.

- Dites donc vous ! V'pouvez pas êt' au lieu d'rendez-vous quand on vous y attend ?

Même si le gars s'efforce d'avoir l'air professionnel, il est tout nerveux. Et vas-y que je regarde les alentours sans arrêt. Y tiendra pas longtemps dans les services celui là.

- Navré, j'ai dû prendre du retard par précaution. Il fallait que je sois discret.

- Discret ?

Nan mais là je crois halluciner en entendant des conneries pareilles. J'ai failli me payer une connerie d'insolation parce que môssieur le rookie se prend pour un espion en chef. De ma grosse paluche, je lui fait signe de s'approcher de moi, comme si je voulais lui confier une information secrète. Bonne pomme, voilà que l'autre approche sa tête.
Et tiens ! Mange-toi une bonne mornifle. Tout sec qu'il est le con, y voltige jusqu'à s'écraser sur une table voisine dans un putain de fracas.

- D'solé les gars, j'paierai pour vos deux pr'chains godets.

Bon, maintenant que j'ai décompressé un coup, je vais aider l'autre à se relever. L'a l'air tout étonné, y peut remarque. Mais une bonne claque dans la gueule, ça fait circuler le sang. C'est ce que disait mon père en tout cas ; l'était pas médecin, mais putain qu'est-ce qu'il a pu m'avoiner quand j'étais môme.
La petite clientèle a pas l'air de trop faire attention à nous, y nous ont tous regardé un instant, pis y se sont vite détournés. C'est pas un port de pisseuse ici, de la castagne, doit y'en avoir assez souvent.
Maintenant que je me suis rassis avec Mister C.P 1627 en face de moi, je reprends les hostilité.

- T'juste un coordinateur mon pépère. T'm'informes sur l'modalités d'mission, t'me sers de guide touristique et c'est marre. Va pas me p'rler d'êt' discret. Déjà quand on veut êt' discret sur Hinu Town, on met pas un p'tain d'costume trois pièces !

Révélation ! Ce con vient juste de voir à quel point y faisait tâche dans le paysage là où tout le monde mettait des vêtements amples et adaptés à la culture locale. Quel manche je vous jure...
Quoi qu'il en soit, j'ai pas le temps de faire son instruction à celui-là, j'ai déjà trop de boulot qui m'attend.
Revoilà la gamine qui me sert mon thé glacé avec un air intimidé. Un gars épais comme moi, c'est sûr, ça doit faire son effet. Poli, je règle la consommation et pis je lui glisse un billet de dix-mille en plus en guise de pourliche. Enfin j'y ai droit à mon sourire. Toute pétillante elle sautille presque en continuant de servir les autres clients. Voilà qui fait plaisir à voir.
Revenons à nos moutons.

- Bon eh bah ? Ça vient cette putain d'mission ?

Y se remet à peine de la taloche qui s'est mangée, petite nature va. Quand y retrouve enfin ses esprits, y reprend ses mauvaises habitudes de regarder partout autour de lui. Comme si un abruti aussi insignifiant pouvait intéresser qui que ce soit.

- Je... Je préfère vous en parler sur le lieu en question.


***


Mais où qu'y m'emmène ce con ? Ça fait une paie qu'on s'est éloigné d'Attalia, même de toute civilisation. Si son plan c'est de me faire crever de soif au milieu du désert, qu'y me le dise, je l'enterre sous une dune et on arrête les frais.

- L'est encore loin c'putain d'oasis ?!

Un oasis je te jure... Le gouvernement mondial s'est mis dans la tête de s'implanter un peu partout où y'a des garnisons pour dominer les marchés clés de chaque île. Des petits génies s'imaginent qu'on va pouvoir s'imposer à Hinu Town comme les principaux distributeurs de flotte. Comme si les habitants nous avaient attendu avant d'exploiter des oasis.

- Là-bas, on y est ! On peut distinguer le matériel d'extraction !

Ah ouais, en effet, je vois. Non seulement on me refile une mission à la mord-moi-le-nœud, mais en plus le matériel date du siècle dernier. Putain, y'a même de la rouille sur les containers où on stocke l'eau. En clair, cette mission, ça revient à m'apprendre à nager les mains liées dans le dos et un boulet au pied. Le bureau a pourtant aucune raison de vouloir me punir en m'attribuant un travail à la con. Avec tout le pognon que je rapporte, j'étais en droit d'espérer plus de considération.

- L'oasis El Taïeb, propriété du gouvernement mondial ! Vous en êtes l'heureux gestionnaire. J'ai pris soin de vous trouver des papiers d'identité factices. Pour cette mission vous vous appellerez...

- D'solé p'tit, j'bosse j'mais sous couverture.

Y se décompose quand je lui dit ça. C'est que ça a dû lui prendre du temps de me trouver des papelards. M'enfin j'ai jamais caché à qui que ce soit que j'étais du C.P 2. Je le dis jamais ouvertement, mais je le sous-entend fortement. Ç'une stratégie qui m'a toujours réussie pour faire du pognon facilement.
Que ce soit des notables ou des pirates sanguinaires, on est toujours plus disposé à bosser avec moi quand on sait que le G.M est derrière pour offrir des garanties et certains avantages.
M'enfin là en l'occurrence, à part peut-être mes relations dans le Cartel Capital, je pense pas que je vais traiter avec grand monde. Je vais surtout me faire chier à mettre de l'eau en bouteille.

- Bien... Donc je vous ai tout dit en chemin, le G.M attend de vous que vous vous implantiez comme une entreprise de distribution d'eau incontournable sur l'île. Si possible, tentez de constituer un monopole.

Y voudraient pas non plus que j'organise un monopole sur le sable de l'île ? Je te jure, ces objectifs irréalisables comme ça, on sent que ça a été pensé par des types qu'ont jamais mis un pied sur le terrain et qui connaissent Hinu Town que grâce à des cartes postales.

- Ouais ouais... J'verrai avec eux. T'peux disposer.

Et comment que je vais voir avec eux. Va falloir que je dénonce cette mission à la hiérarchie. Mon chef d'équipe va me demander un rapport pour justifier mon incapacité à mener à bien le boulot qu'y m'ont filé. Pis bien sûr, il en demandera cinquante pages là où deux lignes suffisent. Me voilà coincé ici pour au moins une semaine le temps de ce faire.
Pendant que je regarde l'autre tête de pine partir au loin pour retourner jouer les agents de liaison à Attalia, j'entends le glou glou de mon oasis que mes deux employés versent dans les bidons.

Quel spectacle mes aïeux. Le matériel est miteux, la flotte de l'oasis est chaude et à peine buvable et mes salariés attribués d'office ont bien soixante balais chacun. Va falloir que je me magne de gagner du galon qu'on évite d'envoyer d'autres agents perdre leur temps parce que des putains d'incapables en hauts-lieux connaissent que dalle du travail du terrain ni aux moyens affectés pour chaque agent.

Cela dit... Avant de plier bagage, y'a quand même un beau coup à jouer. Même avec juste une paire de deux, pour moi, la partie est jamais perdue d'avance et y'a toujours moyen de repartir avec un joli pactole.
Sans me retourner, je demande l'air de rien à mes deux larbins :

- Dites l'gars, v'pouvez m'dire c'est quoi l'nom des entreprises chargées d'approvisionner Attalia en flotte ?


Dernière édition par Derrick Oletto le Mer 22 Fév 2017 - 7:45, édité 1 fois
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Dans une petite chambre individuelle de la base d'Hinu Port, abritant la quatrième division de la Marine, Eldon restait quoi devant son grand miroir sur pied. Loin d'être vaniteux, le jeune homme ne pouvait cependant pas s'empêcher d'admirer son nouvel uniforme, orné de ses nouveaux galons. Cela faisait presque une année que le marin avait quitté sa Kage Berg natale pour s'engager dans la Marine. Une année qui s'était avérée très fructueuse sur de nombreux plans. Au premier desquels trônait bien évidemment son entrée fracassante dans le club très prisé des officiers. Le marin venait tout juste d'être promu Lieutenant, un des paliers les plus importants de la hiérarchie. En effet, ce grade lui octroyait non seulement le commandement de près de trois-cents marins de la garnison mais surtout lui donnait l'opportunité d'être aux commandes d'un authentique patrouilleur de la Marine. Cela agrandissait sérieusement son champ d'action ! Patrouiller le désert était toujours d'actualité malheureusement mais au moins Eldon pourrait jouir d'une certaine alternance, histoire de briser la monotonie de l'île.

S'il s'était souvent plaint de la platitude de son île natale, le jeune marin ne trouva guère mieux sur Hinu Town. Au moins sur Kage Berg le climat était tempéré et le paysage se composait de vastes plaines verdoyantes qui s'étendaient à perte de vue. Hinu Town était un désert où chaque dune ressemblait à une autre dune. Non content d'être le summum de l'ennui, le désert charriait tous les jours sont lot de sable grossier, s'insinuant dans les moindres recoins. Certes Eldon ne faisait plus le ménage depuis un bon moment mais un tas d'infortunés matelots n'avaient pas cette chance. Balayer était la pire corvée de la base ! Une vraie chienlit. Sans être un réel vétéran, le jeune Lieutenant repensait avec nostalgie à ces corvées, ces moments difficiles mais diablement fédérateurs. Ces moments forgeaient le caractère. C'était dans l'adversité que la camaraderie et l'esprit de corps prenaient forme. En cela, Hinu Town était idéale. L’officier subalterne était d'ailleurs persuadé que cette île presque stérile avait été sciemment choisi pour sa rudesse afin de former les jeunes recrues.

S'admirer devant le miroir c'était bien beau mais Eldon était attendu. Il réajusta pour la énième fois son uniforme flambant neuf et se rendit dans l'aile de la base dédiée aux officiers. Le jeune homme s'orienta difficilement dans cette partie de la base, ayant rarement eu l'occasion d'y mettre les pieds. Il dut même se résoudre à demander son chemin après s'être littéralement paumé dans le dédale de couloirs de cette gigantesque base. Il arriva finalement devant le bureau du Colonel Isaac Bermudes, l'officier le plus haut gradé et responsable des lieux. Ce dernier était réputé pour être un marin d'exception sur la fin de carrière, dirons nous pour être poli. Dans les couloirs il était plus souvent qualifié de cinglé par la plupart des grouillots. S'il fallait trouver un juste milieu, il s'agissait apparemment d'une sorte de papy gâteux. Ce fut donc avec appréhension qu'Eldon frappa à la porte. Après avoir entendu les mots magiques, il pénétra dans la pièce. Cette dernière était plongée dans l'obscurité. Les volets étaient fermés et la seule source de lumière consistait en une bougie déjà bien entamée. Cependant, Eldon n'eut pas vraiment le loisir de faire l'inventaire des lieux. Son regard croisa presque immédiatement celui d'un vieux bonhomme en uniforme qu'il venait visiblement de déranger dans ses occupations.
 

"Que faites vous la ?" fit-il l'air contrarié dans un patois à la limite de la compréhension. Le vieil homme qui se trouvait devant lui ne payait vraiment pas de mine, du moins physiquement. Avachi sur son bureau, le temps avait semble-t-il fait son œuvre. Le Colonel avait tout d'une épave bonne pour la casse. De plus, son hygiène semblait douteuse comme en témoignait sa tignasse hirsute qui tenait en place comme par magie. Ce n'était vraiment pas du goût d'Eldon, plutôt pointilleux sur le physique. Enfin ça aurait pu si le jeune officier avait eu le loisir d'y penser. Le regard de son supérieur était extrêmement intense ! L'aura qu'il dégageait était effrayante pour le marin inexpérimenté qui n'eut d'autre réflexe que de se tendre à la manière d'un arc et de crier :

"Lieutenant Eldon Duke, au rapport mon Colonel !"
"Hein ?" répondit le vieil homme de manière laconique, sa curiosité piquée à vif.
"Vous m'avez convoqué monsieur." fit le jeune officier légèrement incrédule.
"On est déjà le matin ?"

"J'en ai bien peur monsieur. Vous permettez ?" ajouta le jeune homme en montrant du doigt les fenêtres. Le Colonel se contenta de hocher la tête avant de retourner à ce qui s'apparentait à de la paperasse. Lorsque la lumière intense du jour pénétra dans la pièce, Eldon retourna se poster au garde-à-vous en face de son supérieur. Après quelques minutes d'un silence pesant, ce dernier prit enfin la parole d'une voix enjouée en soulevant le papier à hauteur d’œil.

"J'ai enfin fini ! Vous en pensez quoi Lieutenant ?" fit-il en tendant le petit papier au jeune homme. Eldon était décontenancé. Il ne s'attendait pas à ce que le Colonel lui demande son avis ! Le vieux avait apparemment bossé sur ça toute la nuit ! A ses yeux, c'était une grande marque de confiance. Il déchanta quelque peu lorsqu'il prit le papier en main. Il s'agissait d'un flyer, d'une invitation au club d'échec de la base... Sur cette dernière était dessiné un marin tout sourire le pousse levé devant un échiquier. En haut du flyer Eldon put lire en grosses lettres : "Vous aimez écraser vos amis et régler vos comptes dans des parties endiablées ? Rejoignez nous !".

"Le dessin est de bonne qualité. On ressent bien la joie du personnage. Il à l'air très heureux de jouer aux échecs." improvisa Eldon par pure politesse, ne sachant pas trop quoi répondre.

"Ouaissss. C'est toujours marrant de mettre une raclée à ses camarades. Ca me rappelle qu'il faut que j'aille foutre une rouste à mon fiston. En parlant de lui, j'ai l'intention de le coller dans vos pattes comme Sous-Lieutenant. C'est un vieux de la vieille. Il vous sera très utile. Enfin vous verrez en temps et en heure." fit-il d'un trait avant d’enchaîner sur un ton plus solennelle et sans attendre de réponse.

"Trêve de bavardages. Lieutenant Eldon Duke, à compter de maintenant vous êtes officiellement en permission le temps de réorganiser les effectifs afin d’accommoder votre promotion. Vous pouvez disposer." conclut-il en reprenant le papier des mains du jeune officier. Il ne prit pas la peine de congédier son invité qui d'ailleurs ne demanda pas son reste.

"Mon Colonel." fit Eldon simplement avant de sortir prestement du bureau un peu sur le cul. Le jeune homme n'était pas du genre à juger mais il fallait avouer que le Colonel était pour le moins atypique, comme la rumeur le dépeignait. Le patois ne s'était pas vraiment avéré un problème. Après tout, le Lieutenant venait de Kage Berg alors niveau accent, il avait l'habitude de bien pire. Il retourna dans ses appartements et enfila une tenue civile, se demandant ce qu'il allait bien faire de son congé.  

*Ca fait longtemps que j'ai pas mis les pieds au bord de la mer. Un peu de détente à Attalia, ça peut pas me faire de mal.*
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Première étape, la collecte d'informations. Attalia est plutôt à l'abri de la pénurie de flotte. Elle a pas moins de trois entreprises de distribution d'eau dans la ville, dont deux qu'exploitent la même source souterraine. De toute façon par ici, tous les gros carrefours commerciaux se sont bâtis sur les oasis les plus vastes de l'île. Ça tombe sous le sens faut dire.

Deux jours que j'ai passé à arpenter le port, à faire un peu l'inventaire des importations. De toute évidence, y sont auto-suffisants, y'a pas une goutte d'eau dans les barils qui leurs viennent des îles voisines. De la gnôle, ça, y'a ! Mais y s'en remettent exclusivement à leurs propres ressources pour pas se dessécher.

- C'est bon ça...

Oh putain ouais que c'est bon. En dehors des trois grosses entreprises d'exploitation de flotte du coin, les autres sources d'approvisionnement sont à plus de cinquante kilomètres d'ici. Vu l'état des routes, si on peut appeler ça des routes, transporter des barils des flotte à charrette depuis la source la plus proche, ça peut prendre deux jours.
Inutile de dire qu'avec un soleil qui cogne comme celui-ci, sans eau, en deux jours on a le temps de se dissoudre en poussière d'ici à ce que la rescousse arrive.

Mon travail d'investigation fini, reste pu qu'à retourner à mon oasis isolé. Ça me les brise rien que de faire le chemin, surtout qu'y a de quoi se paumer avec ce foutu paysage où on peut pas se repérer sans boussole, mais à bien y réfléchir, ça reste une bonne chose que mon domaine d'exploitation soit introuvable. D'ici peu, je sens que la clientèle va pas mal nous chercher et qu'y seront plus disposés au pillage qu'au paiement comptant. Je sais pas... une intuition comme ça.

Y'a pas à dire, j'ai l'art de savoir transformer des inconvénients en avantage. Enfin je retrouve la terre promise. Y'a mes deux furieux qui travaillent d'arrache pied. Quand j'ai vu les deux vieux tout secs qu'on m'a mis dans les pattes, j'ai bien cru qu'on m'avait refilé la main d'œuvre la plus miteuse du bled.
Seulement, après deux jours d'observation à Attalia, y'a un truc que j'ai pigé. Les jeunes ici, c'est un beau ramassis de branleurs. C'est les anciens qui font tourner la boutique. Sûrement qu'eux ont connu la soif dans leur jeunesse et préfèrent pas se reposer sur leurs acquis.

En tout cas, Mouss et Driss, c'est comme ça qu'y s'appellent, y z'ont bossé pour dix. Faut dire que j'y suis allé de ma poche en leur promettant un bonus pour qu'y z'y mettent les bouchées doubles. Un demi million chacun que je leur ai promis, et me voilà qui revient d'Attalia avec deux sacs que je porte par dessus mes épaules. Je m'empresse de les jeter à leurs pieds alors qu'y s'activent toujours comme des damnés à bosser.

- J'ai eu l'temps d'passer à la banque. Là-dedans, y'a vos salaires pour la s'maine et l'bonus que j'ai promis.

Y se regardent, y me regardent, y se regardent encore, y z'hallucinent on dirait. Doivent pas être très habitués à ce que les employeurs d'ici respectent leurs paroles. En tout cas, y z'ont à peine vu la couleur de l'oseille que les revoilà turbiner comme des dingues. Y me remplissent tonneau sur tonneau. Attendez que je compte.
Y'en a pour 30 litres par barrique, alors toute cette histoire ça nous amène à... la vache... on frôle quand même le kilolitre là ! Avec ce qu'y z'ont bossé les deux là, je regrette de m'être juste contenté de cinq-cent mille de bonus, j'aurais dû doubler. Trop tard, le mal est fait. Avec ce qui z'ont dû suer, y'aurait de quoi remplir un autre tonneau.

- Patron, on sait bien que c'est pas nos affaires, mais pourquoi vous vous obstinez à exploiter cette oasis ?

J'étais un peu perdu dans mes pensées, et voilà que j'émerge quand Driss, de sa voix cassée de vieillard vient aux doléances sans s'arrêter de travailler pour autant.

- Bah quoi ? L'est pas belle mon oasis ?

Voilà qu'y se regardent encore, un peu ahuris cette fois. Z'ont l'air gênés, comme si y voulaient pas briser mes espoirs en me disant une vérité qui dérange. Mais y sont trop respectueux pour pas me dire ce qu'y z'ont sur le cœur.

- C'est à dire... Face à l'oligopole des trois d'Attalia, on pèse pas bien lourd. Et puis notre eau est beaucoup plus dégueulasse que la leur, faut dire ce qui est.

Y'a un blanc qui s'installe. Ouais, je fais exprès de faire un peu monter la pression, pis d'un coup je détends l'atmosphère à grand renfort d'un rire bien gras. Je me gausse gorge déployée les mains fermement agrippées à ma ceinture. Doivent penser que le soleil m'a fait surchauffer le ciboulot.

- Z'inquiétez pas va. Personne a autant l'sens d'z'affaires qu'moi. Mon p'tit doigt m'dit qu'avec la réclame que j'suis allé faire à Attalia ces deux d'rniers jours, y'a la clientèle qui va débouler par paquets de cent.

Z'ont pas l'air convaincu, y se contentent d'hausser les épaules. Après tout, du moment que leur salaire est payé, s'en foutent un peu du reste.

Mais y z'ont aucune raison de s'en faire. Quand je suis allé inspecter à Attalia, j'ai pas fait tant de réclame que ça, mais j'ai légèrement inspecté les installations de mes concurrents. On peut dire que j'ai même inspecté de très près leur flotte, juste histoire de voir la qualité. C'est vrai que la mienne comparée à la leur, c'est de la pisse de chèvre, et encore, je parle d'une putain de chèvre syphilitique.
Disons que pour qu'on soit.... plus ou moins à égalité au niveau de la qualité du produit, j'ai dû ajouter un petit ingrédient de mon crû dans leur source à chacun. Trois fois rien. Juste quelques gouttes. Ouais, quelques gouttes seulement...

Parce qu'avec un poison concocté à partir de roses du désert : quelques gouttes suffisent.
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"Ah enfin. J'ai failli attendre." ironisa Eldon alors qu'un nuage de sable pointait à l'horizon. Voyager à travers le désert ne se faisait jamais à la légère. En l’occurrence, jamais il ne lui viendrait à l'esprit d'entreprendre le trajet de la base à Attalia en solo. C'était presque du suicide. Et pourtant le Lieutenant arpentait le dit désert depuis plus d'un an et ce, de façon quasi journalière. Malheureusement le désert était un peu à l'image de la mer, toujours changeant. Il était extrêmement difficile de s'y repérer d'un jour à l'autre. Et le pire arrivait généralement après une bonne tempête de sable qui redistribuait les cartes de manière drastique après son passage. Eldon attendit patiemment que la caravane acheminant son lot de denrées provenant d'Attalia fasse sa livraison. Il comptait accompagner cette dernière sur le chemin du retour. Il n'était d'ailleurs pas le seul dans ce cas, plusieurs marins et quelques civils avaient eu la même idée.

Tout le monde semblait de bonne humeur et les conversations allaient bon train. Le Lieutenant en congé ne se priva pas pour participer. Aucun des voyageurs en attente n'étaient ses amis ou ses hommes mais il aimait entendre les derniers ragots et potins de la base. Si ces derniers s'avéraient souvent inintéressants au possible, Eldon tombait parfois sur quelques perles comme la manière dont un autre officier s'était conduit, en bien ou en mal d'ailleurs, ou bien qu'un autre avait mené un exercice particulièrement efficace. On en apprenait généralement bien plus sur ses collègues dans ces situations plus relax, loin de l'encombrement de la hiérarchie de la base. La caravane déversa son lot de marchandises pendant près d'une heure. L'officier et les autres voyageurs négocièrent facilement leur passage, la majorité payant en nature et offrant leur expertise en matière de combat afin de protéger le convoi.

Lorsque le petit groupe prit position au sein de l'impressionnante caravane, les conversations tournèrent rapidement autour des expériences personnelles de chacun dans le désert. Tous les marins de la base possédaient une voire plusieurs anecdotes, marrantes ou non, sur des virées dans le désert. Eldon n'y coupait pas et ses talents d'orateur furent bientôt mis à contribution.


"Et toi le beau-gosse, t'as déjà foutu les pieds dans le désert ou t'es encore planqué dans les jupons de ta mère ?" lui demanda un type à la mine patibulaire sur un ton qui ne laissait aucun équivoque.

Loin de s'offusquer de ce manque de manière, Eldon se tint le menton et prit un air dubitatif en faisant mine de chercher très loin dans les tréfonds de sa mémoire. Cela provoqua l'hilarité du balourd qui se propagea tout de suite à ses compagnons. Il fallait avouer qu'en civil, le natif de Kage Berg ne payait pas de mine, spécialement pour des marins aguerris. Après tout, même en regardant de plus près, rien ne criait vraiment "officier de la Marine". De plus, il devait y avoir près de 4000 marins sur la base alors il y avait de grandes chances pour que personne ne le reconnaisse. Le Lieutenant se racla la gorge et s'exprima sur un ton neutre :


"Alors que je n'étais encore que Sous-Lieutenant sous les ordres du Commandant Hurano..." commença-t-il avant de marquer un temps d'arrêt volontaire, son regard plongé dans celui de son virulent interlocuteur. L'atmosphère changea du tout au tout après ces quelques paroles. L'hilarité générale se mua en un silence de cathédrale, entre étonnement et culpabilité. Eldon n'était pas du genre à se venger pour des broutilles mais il eut un certain plaisir à voir la figure du type se liquéfier à cet instant. Il enchaîna :

"Je venais juste d'être promu. Comme vous l'imaginez, j'étais super content et excité à l'idée de prendre mes fonctions. J'ai pris la tête de l'exercice matinal, une petite virée dans le désert vers la capitale à la tête de deux sections. J'aurais pu râler vu que c'était un boulot de Sergent mais bon... J'étais encore novice en orientation à cette époque. Après quatre heures d'une marche approximative, on est tombé sur une cache de contrebandiers. Haha." fit-il en y repensant. Il attrapa sa gourde et continua :

"C'était un énorme contingent, genre tous les criminels du coin. C'est parti dans tous les sens. Après une bonne raclée à l'ancienne et une fuite épique, on s'est retrouvé paumés, sans équipement et presque sans ressources. D'ailleurs j'ai perdu ma boussole dans la bagarre. Elle réapparaîtra sûrement dans cent ans et fera le bonheur d'un chanceux. Personne n'était capable de se repérer et on a erré près de trois jours en rationnant le peu d'eau et de vivres à notre disposition. Si un groupe de Granulés n'avait pas croisé notre route et conduit à l'oasis la plus proche, on y serait encore... On est rentrés comme des chiens, la queue entre les jambes." conclut Eldon le regard dans le vague.

"Ahhh vous êtes le Lieutenant Eldon Duke ! Elle a fait le tour de la base cette histoire !" s'exclama un marin qui déclencha un série de "Ahhhhh" et de "Ohhhhh".

La morale de l'histoire était double : Le désert ne faisait pas de cadeaux et encore moins à des officiers inexpérimentés.

Le voyage vers Attalia se déroula sans encombres. Les responsables de la caravane étaient très expérimentés. Ce n'étaient pas quelques tempêtes de sable qui allaient les effrayer. De plus les bandits attaquaient rarement les convois mieux armés provenant des bases de la Marine. Et puis la troupe comptait quelques Granulés pour les guider de point d'eau en point d'eau. En effet, les trajets étaient rarement en ligne droite. C'était d'autant plus vrai pour les convois de grande taille ou les opérations militaires qui ne s'éloignaient jamais des oasis. Ces dernières avaient une importance vitale sur Hinu Town. Il paraîtrait même qu'elles feraient l'objet d'un business juteux.

En bref, rien n'avait été laisser au hasard et ce n'était pas pour déplaire à Eldon. Après une journée harassante il arrivait enfin à Attalia. Il était grand temps de profiter de ces précieux jours de congés en bord de mer.
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C'est un bon petit bistrot que je me suis trouvé la dernière fois. La serveuse pimpante se trémousse la raie pour me servir en vitesse et avoir droit à son pourliche. On est vite servi, les godets sont pleins à ras bord, vraiment, j'aime bien quand on lésine pas sur le service.
Y'a que dans les petits établissements qu'on est aussi attentif envers le client sans avoir pour autant à en faire des tonnes. Je me plais à croire que la promiscuité rend l'interaction plus... organique, ouais, c'est le mot. Ici, la bienveillance à l'égard de la clientèle est pas une affaire de profit, simplement de bon sens.

On est bien servi, oui, mais pas en eau. Pas pour moi en en tout cas. Contrairement au pater, je suis pas un descendeur d'éthanol devant l'éternel, mais vu la conjoncture... c'est plus sain de carburer au Gin qu'à l'eau minérale.
Qu'est-ce qu'elle a la conjoncture ? Bah pour l'instant rien de bien spécial. Le truc avec la rose du désert, c'est que le poison est aussi lent à agir qu'il est foudroyant. Pendant que mes damnés continuaient de bosser, je suis retourné à Attalia. En dehors du bistrot j'ai surtout zoné du côté des hostos. Font pas très attention à la sécurité par chez eux. Sans être toubib, je pense avoir identifié dans leurs papelards une vingtaine de cas d'empoisonnement. Forte fièvre, spasmes musculaires fréquents, coliques néphrétiques, ça, c'est le tiercé gagnant signé rose du désert.
Surtout des mômes et des vieux qu'ont chopé ça. Ça me fait de la peine que ce soit la jeunesse qui trinque en première ligne, mais si les toubibs sont pas trop manchots et les parents prêts à tout pour que leurs gosses crèvent pas d'empoisonnement ou de déshydratation, tout devrait bien aller.

- Et une bière tango pour Monsieur Oletto !

L'est-y pas mignonne à me donner du "monsieur" ? C'est que je suis devenu un habitué ici. Pas une semaine que j'ai établi ma toile à Attalia que je connais déjà mon monde. Les étudiants qui viennent le midi se rincer le gosier, je les connais par leurs petits noms, pareil pour les travailleurs qui viennent tôt le matin se requinquer à grand renfort de café.
Sans parler de la marine...

Déformation professionnelle. Mieux vaut un peu connaître ses "alliés" vu le merdier qui s'annonce. Procédure classique, je capte des noms, un coup d'escargophone au bureau, et on me fait un résumé biographique de tout ce qui a du galon.
Sont pas vaillants les gars de la régulière dans le coin. Semblerait que le G.M soit plus toléré que bienvenue à Hinu Town.

M'enfin les intrigues politiques et moi... À moins que je perçoive les ramifications qui pourront rapporter du blé au G.M, je m'en mêle pas.
Nan, je sirote ma bière fraîche d'importation, garantie sans eau locale et je regarde un peu la populace se mouvoir gaiement. Je prends le pouls quoi, j'attends que ça commence à s'agiter. Et à mon avis, les autorités commencent à capter qu'y a un souci.

Dans l'organisme Attalia, y'a tous les globules blancs et bleus qui s'activent la rondelle. La marine est en mouvement. Y sont trop nombreux et trop pressés pour que ce soit des patrouilles successives. Z'ont peut-être déjà senti la crise sanitaire qui leur pendait au nez. Surtout que là y z'ont mis les bouchées doubles. Y'a toute une bande de la régulière qui nous revient tout droit du désert. Ça me rassure. Dès que les gosiers vont commencer à devenir secs, quelques fusils en plus ça devrait calmer le jeu pendant un temps. Le temps que j'écoule la flotte de mon oasis.

- Cybel ! Y'a l'addition et ton pourliche sur l'table.

- Merciiii ! Bonne journée Monsieur Oletto !

Vingt-mille de pourboire pour cette fois-ci. Tu m'étonnes qu'elle sourit chaque fois que je viens m'asseoir au troquet. C'est une bonne gosse la Cybel. Avec le stock d'alcool qu'a ses parents, y devraient s'en sortir je pense.
De mon côté, va falloir que j'aille tendre une oreille attentive du côté du commandement. Enfin, façon de parler. Je vais pas copiner avec les mouettes, y me verraient venir de trop loin. C'est là qu'on saisit tout l'intérêt de savoir lire sur les lèvres.

Tiens, le minet là, vu les galons, ça doit faire de lui le lieutenant en charge de l'enquête. L'a l'air un peu dépassé par les événements. Je veux ouais. Du poison c'est pas des gueux avec des sabres et des mousquets, ça se règle pas par la poudre. D'ici à ce que le poison s'estompe, y'en a pour une bonne semaine, et y peuvent pas y faire grand chose. Ça doit être frustrant.
Mais vous inquiétez pas les gars, ce bon vieux Derrick est là pour vous filer un coup de main !

- "Comment-ça-em-poisonnement. Vous-êtes-sûrs." Les hostos c'mmencent à s'remplir de gars qui suent et qui s'vide d'par tous les orifices et y d'mande s'y sont sûrs que c'est un empoisonn'ment. Eh non mon con, c'pas un rhume des foins ! Ça j'te l'garantis.

J'ai presque pas besoin de lire sur les lèvres vu comme le ton monte. C'est le genre de situation fâcheuse où y'a aucun moyen de trouver la moindre solution. Ça je le sais, je m'en suis moi même assuré. Aucune autre source d'approvisionnement à proximité à part mon oasis maintenant. Sauf une. Mais ça... c'est en voie d'être réglé.

- "Trou-vez-la-source-du-poi-son-in-te-rro-gez-ceux-qui-peuvent-parler-sur-leurs-con-so-mma-tions".

C'est un petit malin le lieutenant. Mais l'a l'air de partir sur la thèse de l'empoisonnement alimentaire. En tout cas, les mouettes se dispersent et vont fureter du côté des hôpitaux et des restaurants. C'était ce que j'attendais.
Direction le port. Y reste un un abreuvoir à tarir.

Lors de ma première inspection d'Attalia, j'ai pas manqué de mettre mon nez dans le registre des importations. S'y z'importent pas de flotte, y s'en remettent aux voisins pour la gnôle. C'est sûr, se sevrer au whisky par plus de quarante degrés, c'est pas l'idéal. Mais ça suffirait quand même à contrarier mes projets de spéculation.
La cargaison est déjà à quai. Y'en a au bas mot pour une vingtaine de caissons. Mon idée de saborder le vaisseau avant qu'il accoste est tombée à l'eau. Enfin nan, justement, c'est pas tombé à l'eau, c'est là tout le problème.

Putain, c'est pas un port, c'est une fourmilière ! Ça dégueule de monde. Du docker aux marchands en passant par toute la populace qui se promène là pour faire ses emplettes, pas moyen de faire un sale coup sans se faire capter sur le vif.
Aucune arme sur moi pour faire un peu fuir mon monde. Juste ma bite et mon couteau. Et encore, j'ai même pas de couteau.

Au diable la ruse pour cette fois, va falloir bourinner.

- Sont pas beau mes chapeaux de paille ?! Qui veut un chapeau de paille ? Hep toi là gamin ! T'as une tête à finir seigneur des pirates, ça t'irait bien non ? Allez allez, on fait pas les timides messieurs dames, qui veut mes chap... Oh la vache ! AU FEU !!!

- Barrez-vous, barrez-vous ! La cargaison est pleine d'alcool !

Et vas-y que ça gueule, et vas-y que ça court partout. Z'ont pas compris que c'est en restant ordonné qu'y a le moins de victime ? Je me souviens que quand j'étais à l'élite, on nous avait mobilisé une fois pour "sensibiliser les écoliers aux problématiques de sécurité". Je leur avait bien dit à ces petits cons que si j'en chopais un seul en train de paniquer ou de courir dans tous les sens en poussant les autres, je le crevais sec.
Bizarrement on a plus jamais fait appel à moi pour d'autres campagnes de sensibilisation. Et tout cas, y leur en faudrait à tous ces cons d'Attalia, parce qu'y prend bien ce putain feu ! Y doit se voir de loin.

C'est bien pratique ce petit Soru quand même. Aussitôt venu craquer quelques allumettes, aussitôt reparti. Par contre, pour pas avoir l'air suspect après ça, bonjour...
Le coup de l'empoisonnement, ça pourrait éventuellement avoir des origines naturelles. Par contre, si on rajoute à ça le feu des cargaison de gnôle, ça va commencer à se voir qu'un mauvais esprit cherche un peu à priver son monde de liquide.
Mais heureusement ! Pour tout ce qui est brouillage de piste, un bon jeu de cartes suffit.

Au milieu de la fumée noire, pas couverts par le crépitement des flammes ardentes, je fuse à coup de Soru jusqu'au bureau des dockers. Là bas, y'a juste à déposer une carte que j'ai toujours sur moi en plusieurs exemplaire. Un as. Suffit d'écrire dessus "Y'a pas de fumée sans feu, et y'a pas de feu sans fumée. Vous avez le bonjour de Rafaelo Di Auditore".
Sont pratiques ces révolutionnaires quand même. Chaque fois que nous autres, humbles travailleurs obscurs du G.M avons besoin de détourner l'attention, on a toujours un bouc émissaire tout trouvé en leur personne. Si y z'existaient pas, faudrait les inventer.

- Dépêchez-vous ! Il faut éviter la contagion du feu à tout prix ! Les habitants comptent sur nous !

- Oui lieutenant !

Oh-oh, ça se corse. Je m'attendais pas à ce que la joyeuse confrérie de la mouette se ramène aussi vite pour limiter mes dégâts. Vu les bruits de pas, ça grouille déjà de ces emmerdeurs. Sortir du bureau des dockers sans me faire voir, même avec la fumée, j'y crois moyennement.
M'enfin, je suis rôdé à ce genre de petit jeu. Si tu veux pas te faire appréhender comme coupable, faut avoir le culot de s'imposer en victime. Tous les petits malfrats savent ça.
J'enfonce ma jambe d'un bon coup de pied dans ce putain de plancher, et maintenant, faut laisser la magie opérer.

- Au s'cours ! V'nez m'aider ! J'suis bloqué et on m'a abandonné là !

Allez lieutenant, viens donc au secours de la veuve, de l'orphelin, et surtout de ce brave Derrick.
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Attalia était une ville très attractive, véritable nœud commercial grâce à sa position idéale sur le front de mer et à moins d'une journée de la capitale. Inutile de préciser qu'il s'agissait du principal port de l'île et de ce fait source d'approvisionnement en marchandises diverses et variées. De ce fait, la ville était très peuplée et jouissait d'une diversité rare. Ce côté cosmopolite ne pouvait que plaire à Eldon, affecté depuis plusieurs mois aux pires missions dans le désert. Lorsqu'on fait le choix d'être carriériste, on l'assume jusqu'au bout. Ses promotions successives étaient évidemment la résultante d'un certain talent mais avant tout d'une grande opiniâtreté (comme rarement prendre de cognés) et d'une volonté de faire le sale boulot. Dans une gigantesque base comme celle de la Marine à Hinu Port, il était étonnement facile de se « planquer ». Eldon comptait donc profiter de ces quelques jours de vacances forcés. Il posa ainsi son bardas dans un hôtel très bien situé, sans toutefois tomber dans le grand luxe. Il fallait avouer que sa solde était largement supérieure à son train de vie habituel alors il pouvait se permettre quelques folies sans toutefois se ruiner. Il passa une bonne heure à admirer la ville haut perché depuis sa chambre, son regard attiré par l'activité d'Attalia. Il s'agissait d'une véritable fourmilière, il y avait des gens partout dans ces petites rues atypiques ! Le marin décida de voire la ville de plus près.

Si la vue était sympa même pour quelqu'un peu friand d'architecture, l'ambiance était encore mieux. Eldon déambula toute le matinée dans les ruelles étroites de la ville au gré de ses envies, guidé par le parfum enivrant des épices et de l'encens. Il trouva un bonheur tout particulier à chiner dans les placettes transformées en véritables bazars. Il y trouva d'ailleurs une magnifique petite boussole pour remplacer celle qu'il avait perdu dans le désert quelques mois auparavant. Si le marin se délecta de l'ambiance presque féerique des lieux pendant un certain temps, il revint petit à petit sur terre. Tout n'était pas si magique. Eldon remarqua finalement qu'un grand nombre de personnes étaient malades. Rien de folichon, de la fièvre principalement et quelques problèmes musculaires chez les vieux et les enfants. Si ça se trouve il s'agissait d'un maux séculaire affectant les gens dans le coin. A ses yeux, ça ressemblait à une sorte de grippe. Les symptômes étaient les mêmes que ceux qu'il avait pu observer lorsqu'une petite épidémie s'était déclarée au sein même de la base de la Marine. Sans s'inquiéter le Lieutenant décida néanmoins d'alerter les autorités locales. Une super après midi en perspective...

Eldon était furieux. Il venait de se faire rembarrer comme un malpropre du palais du gouverneur d'Attalia, n'ayant même pas eu l'opportunité de s'entretenir avec ce dernier. Le marin savait que la Marine n'était pas vraiment en odeur de sainteté sur l'île mais il en pensait pas que c'était à ce point. De plus, il n'avait ni la réputation, ni papier officiel pour influencer ces civils. Il avait tout juste réussi à voire un adjoint du responsable de la sécurité. Un grouillot qui ne remonterait sans doute pas l'information. Néanmoins, le Lieutenant estimait qu'il avait fait son devoir civil. Ce potentiel problème n'était plus de son ressort. Alors qu'il rentrait tranquillement à son hôtel, il tomba nez à nez avec une fillette au détour d'une ruelle du centre-ville. Cette dernière s’effondra littéralement dans ses bras, visiblement exténuée. La petite était brûlante et ses muscles semblaient animés d'une volonté propre. Eldon trouva sa mère et les emmena directement à l'hôpital. Le marin avait remarqué pas mal de gens malades dans les rues mais l'hôpital s'apparentait à une zone de guerre. Il y avait des patients partout et les médecins semblaient débordés. Vu le sérieux et la réactivité des autorités locales, cette situation ne pouvait qu'empirer. Le Lieutenant ne pouvait pas rester là sans rien faire. Ce n'était pas dans sa nature. Eldon laissa la mère et la fille entre de bonnes mains et se dirigea d'un pas pressé vers la caserne de la Marine. Il était temps d'agir.

Enfin caserne, c'était une façon de parler. Le bâtiment était presque à l'abandon et ne devait pas être plus grand qu'une taverne. Cela témoignait la encore du manque de considération des autorités envers la Marine. Le Lieutenant espérait que les pensionnaires du lieu ne soient pas du même acabit. Et étonnement ils s'avérèrent plutôt alertes et réceptifs ! Ces marins étaient dirigés par un homme de petite stature dénommé Rollins, Adjudant de son état. Après s'être annoncé, toute la section se retrouva de facto sous ses ordres.
*Le pauvre gars doit être au placard pour avoir été nommé dans le coin. Y' même pas un escargophone dans ce taudis.* pensa Eldon avant d'entrer dans le vif du sujet.

"Comme vous l'avez constaté, des tas de gens sont tombés malade depuis quelques jours. Le gouvernement ne semble pas inquiet et ne va pas lever le petit doigt. J'ai l'impression que leurs bureaucrates sont pires que les nôtres. Un comble... Bref, je mobilise cette section pour enquêter sur la maladie. Ca pose un problème à quelqu'un ? Non ? Alors au travail !"

Eldon organisa les troupes depuis son nouveau QG. Il les envoya faire du repérage pour déterminer l'ampleur du phénomène. A la nuit tombée, il était évident que ce dernier s'apparentait à une véritable épidémie. Les premiers rapports servirent aussi à cerner les symptômes touchant les malades. Ces derniers incluaient une forte fièvre, des contractures musculaires non localisées et une chiasse de tous les diables. Cela ne parlait évidement à personne. L'officier attendit le lendemain pour prendre des décisions. Il envoya néanmoins un des hommes faire un rapport à Hinu Port. Eldon était légèrement dépassé par les événements. Dire qu'il était un mauvais enquêteur serait erroné mais ce n'était clairement pas sa tasse de thé. Encore moins après avoir fait ses classes et ses gammes à une vitesse record. Il voyait là encore les limites de ses capacités. Il refusait pourtant de se laisser abattre et ferait de son mieux pour la populace locale qui n'avait personne d'autre sur qui compter. Même s'il n'arrivait qu'à sauver une seule personne cela vaudrait le coup !

Alors qu'il s'apprêtait à retourner à l'hôpital, un médecin pointa le bout de son nez au QG provisoire. Il affirma qu'il ne s'agissait pas d'une maladie connue comme la grippe. Ce fléau ne semblait pas se transmettre ni par l'air, ni par contact. Quelque chose leur échappait... Eldon restait dubitatif alors que le ton commençait lentement à monter lorsque les habitants du coin se mêlèrent à la conversation. Après de houleux débats le consensus fut qu'ils avaient à faire à une sorte d'empoisonnement alimentaire. Attalia importait énormément de nourriture qui voyageait pendant des lustres dans des cales insalubres. Cela lui parut comme la cause la plus plausible. Il ordonna tout de suite à ces hommes de suivre cette piste.


"Trouvez la-source du poison interrogez ceux qui peuvent parler sur leurs consommations. Je veux savoir ce qu'il ont mangé et où ils ont mangé depuis une semaine. Je veux un rapport sur l'origine des produits de tous les restaurants de la ville. Surveillez aussi les hôpitaux au cas où de nouveaux symptômes apparaîtraient. On se magne !"

Eldon comptait aussi personnellement enquêter au port. Il se renseignerait sur les derniers arrivages et consulteraient les registres. Il y avait peut être des magouilles au niveau de la fraîcheur de certains produits. Qui sait ? L'officier n'eut pas vraiment le temps de mener son enquête. Une gigantesque colonne de feu apparut dans le ciel, suivie d'une épais nuage noirâtre. Flanqué d'une dizaine de marins, il se rua sur les lieux, fendant la foule paniquée avec un grande difficulté. Pas le temps de cogiter, Le lieutenant ordonne à ses hommes d'établir un cordon de sécurité et aux derniers civils d'évacuer la zone. Malheureusement, le feu gagnait en intensité et se répandait aux bâtiments adjacents. Alors que le bureau des docks prenaient feu sous ces yeux, il ordonna à ses hommes la destruction des bâtiments en bois jouxtant ceux en flammes. Il estima qu'ils n’arriveraient pas à éteindre le feu avant qu'il ne fasse plus de dégâts voire pire qu'il soit hors de contrôle.

"Dépêchez-vous ! Il faut éviter la contagion du feu à tout prix ! Les habitants comptent sur nous !"cria Eldon avant que ses hommes répondent par l'affirmative et ne se mettent au travail. Alors qu'il s'apprêtait à se retrousser les manches, l'officier entendit des cris désespérés provenant du bureau des docks, en train d'être dévoré par les flammes. "Au s'cours ! V'nez m'aider ! J'suis bloqué et on m'a abandonné là !"

Pas le temps de réfléchir. N'écoutant que son courage, Eldon se versa un seau d'eau sur la tête et fonça dans le bâtiment la tête la première. Le marin fit fi de la chaleur et des flammes. Sa seule volonté était de sauver la personne en danger au mépris du danger ! Il défonça plusieurs portes jusqu'à finalement trouver la victime en question. Son pied était visiblement coincé dans le plancher, fragilisé par les flammes. Le bougre avait énormément de chance de ne pas avoir été écrasé par les débris. Le plafond menaçait de s'effondrer à tout instant. Réalisant la situation, Eldon s'acharna sur le plancher autour du pied de la victime jusqu'à ce qu'il puisse se dégager.

"Ne vous inquiétez pas, je vais vous sortir d’ici !" fit-il pour rassurer l'homme, probablement terrifié.

Pensant qu'il était blessé, Eldon mit le bras du type autour de son cou pour le soutenir. Il retraça son chemin jusqu'à l'extérieur et sortit enfin du bâtiment sous les applaudissements de la foule en extase ! Le marin ordonna à un de ses hommes de s'occuper de la victime avant de s'assurer que la situation générale soit sous contrôle. Si les bâtiments des docks n'étaient plus qu'un tas de ruines en flammes, le feu semblait contenu. Il pouvait lâcher un ouf de soulagement. Lorsque la situation se calma un peu, il se rendit au chevet de la victime :


"Bonjour. Je suis le Lieutenant Eldon Duke. Ca va mieux ?" commença-t-il sur un ton compatissant avant d’enchaîner d'une voix plus inquisitrice : "Vous pouvez me dire qui vous êtes et ce qu'il s'est passé ?"
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Te marre pas Derrick, ça pourrait faire mauvais genre. L'autre gens foutre m'extirpe d'un piège dans lequel je me suis moi-même jeté, et y tente de me porter jusqu'à la sortie. Eh ouais capitaine jefaisduzèle, trois-cent kilos de barbaque, ça se porte pas comme ça. Avec toute la fumée toxique qui commence à nous monter à la tête, m'étonnerait pas qu'il y passe à force d'efforts. Ça aurait un petit côté burlesque, mais y'a fort à parier que je finirai dans le même état quelques secondes après. C'est traître la fumée. Bien pour ça que j'ai tout mis sur le dos de Rafaelo.

En parlant de fumée, ce type a pas fait attention à la carte posée bieeeeen en évidence sur ce putain de bureau. Heureusement que j'ai eu le temps de la choper pendant qu'y me traînait sur ses épaules. L'inconvénient avec les coups montés, c'est qu'y marchent que si la marine fait correctement son boulot d'enquête. Là je suis tombé sur le bon samaritain plein d'espoir en l'avenir. Y'en a comme ça, je vous jure...
Quand on est hors de danger, à l'écart des flammes et de la fumée, y me pose à terre. Ce putain d'incendie qu'a pourtant fait fuir tout le monde semble maintenant avoir un effet attractif sur les badauds. Tous les grouillots qu'ont vu de la fumée ont fait le déplacement pour voir la marine se crever le cul à éteindre le tout.

Certains veulent juste voir le monde brûler. C'est dans la nature humaine j'imagine.

Niveau rescousse mon lieutenant, parce que je l'ai reconnu, c'est le lieutenant que j'ai espionné y'a environ une heure, bah y vaut pas tripette. Le côté "je me jette dans les flammes pour sauver le gros", ça en jette c'est sûr, par contre niveau premiers soins, le gars a deux trois carences, l'a même pas cherché à voir si j'étais brûlé.
Du temps où je bourlinguais à l'élite, ça aurait pu valoir un blâme un manquement pareil. Et faut pas déconner avec les blâmes. Parce qu'au bout de trente, on a un avertissement !

Direct, le gars y voudrait que je lui donne le nom du coupable. J'aime bien les bonnes pommes comme ça, y me facilitent la tâche à un point où ils ont pas idée.

- Eurk ! Eurk ! Eurk !

Une bonne toux des familles pour commencer, ça sera plus crédible, et puis qui se priverait de cracher des glaviots à la gueule d'un gradé ?

- J'l'ai vu ! C'était un gars.... L'avait un d'ces fruits maudits qu'l'ont transformé en fumée. L'a laissé une carte de visite... Eurk ! Eurk !

Et là je lui sors l'as de ma manche avec la fausse signature de ce brave Rafaelo.
Bah le lieutenant Eldune Dork, l'a pas l'air plus impressionné que ça. C'est tout juste s'il a jeté un coup d'œil dessus.

- J'aurais besoin de connaître votre identité pour recueillir votre témoignage.

L'en démord pas l'autre fumier. J'ai eu beau essayé d'éluder la question, y lâche pas l'affaire. Autant je suis prêt à balancer à toutes les raclures des environs que je suis du Cipher Pol, autant avec la marine, je préfère éviter. Y risquent de s'en mêler et ça envenime les choses. On va rester vague.

- J'm'appelle Derrick Oletto, j'bosse comme fonctionnaire pour le G.M.. Eurk ! Eurk ! J't'ais juste v'nu d'mander aux dockers si ma livraison l't'ait bien arrivée.

Ouh... Voilà que le lieutenant Dork fait un drôle de mouvement avec ses sourcils quand je dit "fonctionnaire du G.M". Ça a beau être évasif, ça reste suspicieux pour certains. Vrai que j'ai pas réfléchi au fait que le Gouvernement Mondial avait pas tant d'infrastructures sur l'île, ça va être dur de justifier ma présence.
Heureusement, l'est interrompu par un larbin venu au rapport.

- Lieutenant ! On a contenu l'incendie et stoppé la propagation. Les hommes s'attardent sur le foyer de l'incendie à présent.

Sans plus me regarder, sa majesté le lieutenant se retourne vers son sergent sérieux comme un pape.

- On a des détails sur l'origine ?

- Les hommes ont repéré beaucoup de débris de verre de là où est parti le feu. Des caisses d'alcool il semblerait. Ça expliquerait la rapidité de la propagation.

Regard perdu, Eldune se met à réfléchir. C'est bien le seul marine que je connaisse qui soit capable de réflexion. J'aime pas ça. Petit à petit y tire la gueule d'un type qui a flairé le mauvais coup dans les parages.

- Pourquoi la révolution s'attaquerait à Attalia ?

Y demande ça à son troufion qui, vu les yeux de poissons mort qui se traîne, doit pas avoir la moindre idée de quoi que ce soit.

- Le gars là ! L'type qu'était mi-bonhomme mi-fumée, l'a dit un truc par escargophone j'crois. Comme quoi c'était facile d'contrecarrer l'G.M ici vu qu'y z'ont pas beaucoup d'effectifs, pis aussi qu'pas mal des forces du régime s'raient sympathisants révolutionnaires. 'fin, j'crois.

Comme si un As de la révolution pouvait cracher de manière aussi désinvolte des informations aussi précieuses sans s'assurer que personne l'écoute. M'enfin faut bien tenter le tout pour le tout pour dissiper le malentendu au mieux et tout foutre sur le dos de la révolution. Allez quoi ! Tu vas y croire à mon histoire à la con oui ?! Tu vois des traces de sabot, pense à un cheval, pas à un zèbre, ça peut être que la révolution je t'ai dit !
Je le fixe bien dans les yeux, j'envoie des ondes mentales pour le persuader, j'essaie en tout cas. Me font chier ces jeunes gradés à toujours vouloir jouer les plus malins et pas tomber dans les pièges qu'on leur tend.

- Je vois.

Comment ça "je vois" ? T'as bu tout ce que je t'ai dit comme du petit lait ou t'y as pas cru ? Faut que je sache pour savoir comment je dois opérer pour la suite.

- Et... Monsieur Oletto c'est ça ?

- Ouais.

- Que faites vous à Attalia monsieur Oletto ? Vous n'avez certainement pas l'air d'un natif.

Mais c'est qu'y me suspecterait presque de malveillance ce con ! Remarque, l'a pas tellement tort, mais c'est pas une raison pour me mettre sur la liste des suspects dans une affaire d'incendie criminel.

- Bah just'ment ! J'vous disais que j'attendais une marchandise. Un filtreur d'eau que c'était. J'suis là pour administrer une p'tite entreprise d'extraction et d'distribution d'eau pour l'Gouvern'ment Mondial. Vendre d'la flotte et s'retrouver piégé dans un incendie, avouez qu'y a d'quoi rire.

Même si y'a effectivement de quoi rire, y me décoche pas un sourire le fumier. Avec sa gueule de minet y me scrute sans trop savoir quoi faire de moi. Y doute après m'avoir pris pour un suspect je le sens, mais l'en démord pas pour autant. Serait bien foutu de me traîner en garnison pour me demander plus de détails sur les circonstances de l'incendie. M'emmerdent ces jeunes premiers à vouloir faire du zèle. M'emmerdent !
Et j'aimerais autant pas zoner du côté de chez eux. Si je me retrouve dans la volière de ces putains de mouettes, je pourrai pas vendre ma flotte quand la grosse crise commencera. Et là, va y'avoir du drame et même pas de pognon à la clé.

- Lieutenant ! Lieutenant ! C'est terrible !

- Je le vois bien que c'est terrible, mais les hommes sont sur le coup, les flammes feront pas long feu, c'est le cas de le dire.

Le type qu'est venu alpaguer mon bon lieutenant est essoufflé. Y vient du centre-ville d'Attalia. Tout courbé, les mains sur les cuisses, y respire comme y peut. Eldune a pigé qu'il était pas venu causer incendie.

- C'est... C'est pas ça lieutenant ! On détecte des dizaines et des dizaines de cas d'empoisonnement en ville ! Et le bilan s'alourdit de minute en minute.

On dirait que pour le coup, le lieutenant l'a oublié jusqu'à ma simple existence. Y regarde successivement les flammes, pis y fixe le matelot venu lui apporter le bulletin sanitaire local. Pour le coup, y'a de quoi être désemparé. Avant que j'arrive, y devait mener une petite vie bien peinard sur Hinu Town. Et pis y'a des jours comme ça où t'écope d'un incendie sur les quais de la ville la plus prolifique de l'île, le tout accompagné d'une drôle d'épidémie qu'on sait pas d'où elle vient. Ouais, y'a des jours où on ferait mieux de rester au lit.

- Monsieur Oletto, ne quittez pas Attalia dans les jours à venir, j'ai encore des informations à vous demander.

Et sans même me jeter un dernier regard, y va discuter en privé avec l'autre marine. Des habitants empoisonnés, de la gnôle qui prend feu et un gars qui vend de la flotte au milieu de tout ça. L'a déjà toutes les pièces du puzzle. S'il les assemble, ça risque d'être la fête à mon cul. Vu les dégâts de ma petite opération jusqu'à maintenant, le bureau me couvrira pas en cas d'échec.
Depuis tout à l'heure j'étais assis par terre, c'est l'heure de se redresser et de se retrousser les manches. Enfin façon de parler, vu que je suis en marcel. Mais si tout Attalia est en train de rendre ses boyaux, c'est qu'il est temps pour moi d'avancer mes pions sur l'échiquier.

Puru puru, puru puru.

- Allez décroche...

- Oui patron ?

- Driss ! Les barils sont stockés sur l'charrettes d'location comme j'vous ai d'mandé ?

- Ça, et les bœufs sont attelés.

Meilleur personnel du monde.

- Alors direction Attalia. Effacez les traces d'rrière vous sur vot' ch'min. On s'rejoint à l'entrée Sud !

- Pas de problème chef.

Pas une question sur mes ordres et les préparatifs au petits oignons. Ces deux là je vais les noyer sous leurs bonus quand tout sera fini.

Mais avant ça, va falloir m'assurer que l'opération soit menée à bien. On a la marine sur le qui-vive, un lieutenant qui se la joue Elisabeth Butterfly et bientôt une population en colère. Va falloir être habile pour s'en sortir sous les liasses de billets et le tout, sans y laisser un bras.
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L’interrogatoire du témoin, enfin si on peut appeler ça un interrogatoire, donna du grain à moudre au jeune officier. Le témoin en question, Derrick Oletto, sonnait étonnement faux. Eldon se montrait limite naïf et confiant la plupart du temps mais là quelque chose clochait. On pourrait appeler ça une intuition. Ou alors manquait-il tout simplement de repères après avoir fait toutes ses classes au sein d'une base de la Marine plus ou moins remplie de gens intègres issus du même moule... Le Lieutenant n'arrivait toutefois pas à mettre le doigt sur ce qui n'allait pas, forcé qu'il était d'avaler les couleuvres que lui débitait le bestiaux. Si sa profession de marchand d'eau en disait déjà long sur le personnage (même s'il n'était pas de nature à juger), celle-ci demeurait crédible. Le passage sur le gouvernement mondial passait beaucoup moins bien. Vu comment était traitée la Marine, Eldon avait du mal à imaginer une agence gouvernementale s'installer dans le coin. Oletto était louche et cachait sûrement des choses mais rien ne pouvait le relier de près ou de loin à cette histoire d'incendie. On en était pas encore à arrêter les gens sans raison... Une possible implication de la Révolution était inquiétante même si là encore, l'officier avait grande peine à comprendre le pourquoi du comment.

L'arrivée d'un matelot mit fin à l’interrogatoire. Eldon se contenta de demander au témoin de rester en ville, le temps que la lumière soit faite sur cette affaire. Le feu était circonscrit et la foule se dispersait lentement mais sûrement. Il laisserait quelques hommes pour gérer la situation avant de passer à autre chose.
*Pas de répit pour les braves* pensa-t-il en lâchant un soupir, avant de faire le point du centre-ville avec ses hommes.

Apparemment, l'épidémie prenait de l'ampleur. Le situation était beaucoup plus compliquée que prévue. Eldon était sur le point de perdre le peu de contrôle qu'il avait sur cette dernière. Il était temps de mettre les bouchées doubles et de combler ce retard. Cela ferait assurément mal sur ses états de service et ce même s'il était en congé. Après tout, il s'était porté volontaire pour diriger cette enquête. Mais c'était surtout à la population d'Attalia qu'il pensait. Son éducation avait été marquée du sceau de l'intégrité et du devoir. Il fallait cependant avouer que la Marine n'était pas taillée pour ce genre d'enquête. Cette institution était assimilée à un travail de maintien de l'ordre et au respect de la loi. Eldon aurait bien refiler le bébé à la section scientifique ou encore au Cipher Pol, si le temps ne lui manquait pas. Il fallait outrepasser ses prérogatives afin de protéger les Attaliens. Dans cette optique, il laisserait la gestion des civils aux marins locaux dont il avait pris la tête. Il était temps de prendre le taureau par les cornes.

Les enquêtes préliminaires menées la veille sur les habitudes alimentaires des victimes ne donnèrent rien ou presque. L'épidémie ne venait pas de la nourriture. C'était sûr à 90%. Si l'agneau n'était pas daubé du cul, cela venait sûrement d'autre part. Attablé dans une taverne, Eldon semblait absorbé par ses pensées. Il jouait avec son verre, faisant tournoyer le liquide translucide avant d'en avaler une grande gorgée.
"Ahhh, ça fait du bien par où ça passe." lâcha-t-il à voix haute. L'officier aimait beaucoup le thé. Ce n'était qu'une plante concassée dans de l'eau mais c'était le breuvage idéal sur Hinu Town pour lutter contre la chaleur du désert. S'il connaissait des amateurs de liqueur, forcer de constater qu'ils n'étaient pas légion. Eldon eut enfin la révélation. Le vecteur de contamination le plus approprié était l'eau ! Comment avait-il pu passer à côté de ça ? Mais le pire était à venir. Il poussa sa réflexion plus loin. Il recracha sa boisson par réflexe lorsqu'il se rendit compte que tous ces événements tournaient autour de l'eau. Et si ces derniers étaient liés ? Il s'agissait tout simplement des prémices d'une catastrophe ! L'idée farfelue d'une implication de la Révolution lui parut tout d'un coup beaucoup plus plausible.

Eldon n'était pas très au fait des méthodes de la Révolution. Pur produit de la Marine, il sortait à peine de ses classes et ne s'était confronté jusque là qu'à de simples criminels. Il en connaissait cependant les grandes lignes. Lorsque la Révolution passait à l'action, ce n'était jamais sans un investissement total. De plus, si le leader de ce mouvement était impliqué, ou bien un de ses sous-fifres, cela compliquait encore les choses. Il n'était pas question de répéter un scénario à la Goa. Ses soupçons se tournèrent rapidement vers l'unique témoin de la scène, Derrick Oletto. Ce dernier s'était retrouvé sur les lieux d'un crime, était impliqué dans le commerce de l'eau et avait fait une déposition pour le moins farfelue évoquant la Révolution et le gouvernement mondial. Ca faisait beaucoup pour une seul homme. Eldon devait le retrouver. Même si ce dernier n'était pas coupable, son expertise serait assurément la bienvenue.

L'officier retourna au petit QG local de la Marine et donna ses ordres. Sur la trentaine de marins en poste, il assigna la majorité à la protection et l’accommodation des civils, principalement afin d'éviter les débordements. Il détacha immédiatement un matelot auprès du docteur qui lui avait signalé le début d'épidémie. Le but était simple : compte tenu du nouveau mode de contamination, déterminer à quoi ils avaient à faire, histoire de trouver un antidote. Eldon se focalisa quant à lui sur l'approvisionnement en eau de la ville. Il apprit rapidement que la ville se fournissait auprès de trois grandes entreprises qui exploitaient chacune une oasis, et par extension la nappe phréatique, gigantesque source souterraine aux alentours d'Attalia. Ces dernières formaient une sorte d'oligopole inamovible depuis des années. Après une après-midi à faire des recoupements, il s'avéra que toutes les oasis étaient touchées par ce fléau. Il remonta immédiatement l'information aux autorités, docteur et preuves d'une contamination à l'appui. Paniquées, ces dernières par l'intermédiaire du gouverneur de la ville n'eurent pas d'autre choix que d'interdire purement et simplement la vente d'eau provenant de l'exploitation de la source souterraine d'Attalia. Une mesure forte...

Une mesure qui entraînerait une possible pénurie d'eau et qui ne tarderait assurément pas à provoquer des mouvements de foule. Eldon espérait que la milice locale parvienne à gérer cette situation afin de lui laisser un minimum de marge de manœuvre pour enquêter dans son coin, notamment sur les acteurs encore tapis dans l'ombre qui pourraient profiter de ce crime.
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On la sent la tension. Pour l'instant, y'a tout ce beau monde qui cuit à feu doux. Qu'ils en profitent, ça va pas durer. Voilà que la marine aidée de la garde d'Attalia commence à inspecter les débits de boisson. L'autre con a enfin dû assembler les morceaux, mieux vaut tard que jamais. Quand j'arrive trempé de sueur et couvert de suie à l'entrée Sud, y'a mes deux furieux qui m'attendent bien sagement.
Mes barils de flotte sont bien certifiés "propriété du Gouvernement Mondial". Un petit gage de qualité qui mange pas de pain. Et puis en cas de cohue, on y réfléchira sûrement à deux fois à jouer les resquilleurs si je suggère l'idée d'une vingtaine de galion qui viendraient aplanir la surface des dunes à grand coup de canons.
C'est sûr, c'est pas un agent de catégorie II qui va faire se mobiliser le Buster Call pour trois tonneaux d'eau tiède, mais en jouant bien l'aspect com' y'a moyen de leur faire miroiter la fin de leur civilisation si y essaient de me gauler ma production.

- Vous avez une permission pour entrer avec toute cette marchandise ?

Merde, la garde a pas été mise au parfum. Avec mon attentat au port, enfin celui de Rafaelo plutôt, et l'interrogatoire de mister Justice 1627, j'ai pas eu le temps de graisser la patte à qui de droit. J'ai asséché toute cette putain de ville, ce serait trop con de devoir faire demi-tour au moment où je peux éviter à ce petit monde de crever de soif. Et aussi de me faire un peu de profit. Ouais, un peu...

- Une patrouille d'la marine a d'mandé au G.M d'exploiter leur oasis privée pour pallier à l'pénurie d'eau occasionnée par les empoisonn'ments.

L'a bien compris que nous interdire d'entrer, c'était condamner pas mal de monde. Mais y se montre obstiné quand même.

- Vous avez un document pour attester de vos intentions ?

La paperasse et moi... Eh pis surtout que là, on parle de documents fictifs. Quelle idée de demander une preuve écrite quand il est question de sauver des vies. Ces fumiers seraient foutus de demander une autorisation écrite à leurs agresseurs avant de se faire casser la gueule. Fais jouer la corde sensible Derrick, le pathos y'a que ça de vrai, ça obscurcit le jugement et ça empêche de raisonner comme y faut.

- B'rdel ! Y'a des tas d'femmes et d'enfants qu'vont y passer si vous continuez à v'la jouer tatillon ! Vous expliqu'rez c'mment à vot' roi qu'vous avez laissé clamsé la moitié d'Attalia parc'que j'avais pas d'papiers ?!

Ouais, mentionner les enfants ça marche toujours. La simple idée d'un chiard crevé, ça permet de justifier tout et n'importe quoi. C'est mon Sésame à moi. Et hop, l'autre panique déjà, y se propose même avec des collègues d'escorter nos charrettes jusqu'à la place du marché.
En chemin, on a droit à un début de panique. Toutes les autorités sont assaillies par des questions de mères de familles terrifiées, si bien que même notre escorte doit renoncer à nous accompagner d'un bout à l'autre pour s'arrêter les rassurer. Mieux, y font passer le mot qu'on vient apporter de l'eau. Si même la garde se met à faire notre publicité, c'est le succès garanti.
Allez, on s'emmerde pas à dresser l'étalage, je me mets debout devant mes barils et je commence un peu mon baratin. Y seront pas durs à convaincre d'acheter mes produits. Sans être un expert en ventes, j'ai bien compris que le meilleur moteur d'achat, c'était la peur de la mort.

- Peuple d'Attalia, n'craignez rien, l'Gouvernement Mondial est là p'r vous sortir d'la panade.

Alors que tout cet essaim de désœuvrés s'éparpillait dans tous les sens, les voilà qui commencent à s'agglomérer autour de mes marchandises pour boire mes paroles à défaut de mieux. Y commencent à piger que ce qu'y a dans les tonneaux, c'est pas de a pisse d'âne. Quoi que, si j'avais attendu encore dix-douze heures, j'aurais bien pu leur en vendre. Mais là ç'aurait été un peu mesquin de ma part.

- C'est juste que...

Ouais, on va mettre un bémol de suite, juste histoire qu'y ait pas de malentendu. Qu'on aille pas croire que je sois le genre à faire dans l'humanitaire.

- Vu nos stocks d'eau p'table très l'mités, on est obligés d'écouler à trente-mille berries l'litre.

Quand on est pas préparé c'est sûr, ça fait un choc. Une bouteille de flotte dans le coin, c'est trois-cent berries en principe, alors évidemment, la multiplication du prix par cent, ça secoue un peu. Mais faut vivre avec son temps, à défaut de ça, on en crève. Littéralement.
Ouais ça gueule, ça je l'avais prévu. Gueulez gueulez mes braves, mais la précieuse salive que vous gaspillez, elle a un coût, faudra bien se résoudre à mettre la main au porte-monnaie.

Les gardes ont du mal à repousser les mécontents. Pis je les sens réticents à l'idée de me protéger davantage, surtout un qui me fixe en colère. C'est sûr, eux, c'est des gars d'Hinu Town, ça doit les emmerder que leurs connaissances se fassent un tout petit peu racketter.
Nom de... L'autre semble pas vouloir s'arrêter aux regards. Voilà qu'y monte sur la charrette pour me piquer de la marchandise. À quoi ça sert qu'on s'emmerde à écrire "propriété du Gouvernement Mondial" hein ?

- Mon peuple n'a pas à subir la cupidité du Gouv....

Y s'arrête net de causer. Faut dire qu'après le coup de paume que je lui ai enfoncé sec dans son tarin, l'a l'air d'avoir un peu de mal à réagir. Sûrement parce que l'os du nez vient de lui rentrer dans le yaourt qui lui sert de cervelle.
On aurait pu penser qu'après une démonstration de force comme ça, que le ton serait monté, mais non. Ici, doivent être moins cons qu'ailleurs. Après avoir vu de quoi je suis capable, z'ont dû percuter que j'étais pas juste vendeur de flotte, et que les dix... non, les vingt premiers qui se jetteraient sûr moi y passeraient. Sont encore pas désespérés à ce point.

- J'm'engage à pas faire état d'cette tentative d'rébellion envers l'G.M.

Que j'dis aux autres gardes qui savent pu trop quoi faire. Une petite menace voilée de foutre leur pays à feu à sang tout en paraissant magnanime, ça suffit à leur redonner du baume au cœur pour repousser la populace qui s'est d'ailleurs pas mal calmée.
C'est qu'y z'ont enfin rangés les fourches pour sortir les liasses. Les affaires reprennent !

- VOUS !

Moi ?

- On peut savoir ce que vous faites à profiter d'un drame comme ça ?!


Si c'est pas ma copine le lieutenant "joli cœur"... Là ça va être plus dur pour moi de prétendre que c'est le Gouvernement Mondial qui m'a mandaté pour plumer tout ce beau monde si la marine s'oppose à ce que je fais.

- Lieutenant.... On peut se causer seul à seul ?....

M'en vais le mettre dans la confidence, lui dire que comme l'As bat le Roi, le Cipher Pol nique la marine. Ça sera l'occasion pour lui de comprendre que c'est grâce à des types comme moi qu'y peut se payer le coiffeur.
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Spoiler:

Et une carrière de brisée, une ! Je dis ça mais, rien garantit qu'y va démissionner ou se foutre par la fenêtre dans les jours à venir l'autre lieutenant. Mais ça l'a bien secoué toute cette histoire. Faut dire que j'y suis pas allé avec le dos de la cuillère niveau révélation. Ni fioriture, ni vaseline, c'est pas devise, j'ai été direct avec le gamin.
Pauvre lieutenant, s'entendre dire de la part d'un agent du gouvernement mondial, quasiment un collègue, qu'y nous arrive au CP de, parfois, peut-être, un peu avoir recours à des moyens plus ou moins déloyaux pour parvenir à nos fins, l'a mal pris.
Eh oui mon con, le gouvernement doit pas son influence à sa légitimité naturelle à dominer mais aux fusils qui lui ont permis de s'étendre. Et les fusils, bah ça se paie, et le pognon doit bien venir de quelque part.

Seulement aujourd'hui, faut des fusils de plus en plus gros, et le contribuable y peut pas trop suivre niveau contribution. Sinon y serait foutu d'aller copiner avec les révolutionnaires si on lui palpe un peu trop son lard-feuille. Alors faut des astuces, des combines, bref, faut Oletto et la fine fleur du CP2.
Donc c'est sûr, le pognon ça tombe pas facilement, alors faut parfois forcer le destin. Ouais, parfois y'a des gens qui crèvent de soif, entre autre, pour que le GM puisse prospérer, y'a pas trente-six solutions. Y'en a qui y voient un souci éthique quand je leur dit ça, le lieutenant en tout cas, l'avait l'air de ce genre là.

Y'a pas de moralité ma bonne dame.
Je suis pas théologien, je suis pas un expert en doctrine éthique et juridique, mais j'ai vécu. Oh c'est sûr, c'est pas du haut de ma quarantaine bien tassée que je vais prétendre avoir découvert tous les mystères de ce monde. Mais j'ai de l'expérience dans la fréquentation du genre humain, et ça, ça vaut plus que des siècles de réflexion du haut de sa tour d'ivoire.
Non, y'a pas de moralité. C'est quoi le plus moral entre financer un gouvernement mondial qui, quoi qu'on en dise, garantit l'ordre et la sécurité de ses administrés en plus de leurs libertés individuelles, en faisant des morts ici et là, et l'hypothèse où on ne fait rien pour ne pas risquer d'être immoral en laissant prospérer le chaos ?
Ça, c'est une question à laquelle y'a pas de bonne réponse. Et pourtant y'en faut une de réponse.

Ouais, je suis insensible, mais des insensibles comme moi, y'en faut pour le bien commun. J'aurais pas le culot de dire que les saloperies que je fais, c'est pour mon prochain, je fais juste mon boulot, je réfléchis pas. Mais si on y réfléchit vraiment, faire froidement mon taf au CP 2 comme je le fais, ça coûte des vies humaines qu'on peut comptabiliser, mais ça en sauve des masses, et ça, on peut pas estimer exactement combien. Putain, pour un gars que je bute à cause des mes magouilles, j'en sauve peut-être cent.
Mais la comptabilité des pertes humaines, ça se mesure en brut et pas en net. Parce que voyez-vous, le monde il a bon cœur. C'est bien d'avoir du cœur. J'ai rien contre l'amour en soi, je suis juste sympathisant mais pas pratiquant. Seulement, ça sert à rien d'avoir du cœur si on a pas de cervelle.

Lieutenant machin maintenant, y sait que si y peut parader dans son bel uniforme, donner un sentiment de sécurité autour de lui, contribuer à la quiétude de la région, c'est parce qu'y a des gars comme moi qui lui en donnent les moyens. Sans moi, y peut pas assurer la liberté de ceux qu'y veut protéger, sans lui, la plèbe, moi compris, peut pas vivre en toute quiétude. Notre boulot est complémentaire, pas antagoniste. Mais ça, allez lui expliquer maintenant qu'il a les yeux perdus dans le vide à se demander si l'a pas fait une connerie en s'engageant auprès de la grande mouette.

M'enfin, du moment qu'il est sonné, y me fera pas chier. On s'était un peu éloignés pour discuter seul à seul, je m'en retourne donc retrouver mes deux furieux qui vendent de l'eau à en inonder la place. C'est agité, c'est paniqué, mais on en est pas à l'émeute. Bras croisés, je regarde à quelque mètres de là les transactions avoir lieu. On aurait eu une caisse enregistreuse que le "ding" aurait sonné l'angélus sans s'arrêter. Plus rapide encore que la vitesse de la lumière, la vitesse à laquelle le pognon passe des mains du petit peuple aux poches du GM grâce aux bons soins de l'officier Oletto. Encore un joli haut-fait à ajouter à mes états de service. C'est que je vais finir par les collectionner ma parole.

Le temps passe, l'air se rafraîchit alors que la nuit va pas tarder à tomber, et peu à peu, notre petit stand désemplit. Moins de chaleur, moins de monde, moins de provisions, mais plus d'oseille, oh ça oui !
On a presque été dévalisé, mais pas autant que ceux qu'ont dû payer le prix fort.

- L'gars, m'ttez moi cinq gallons d'côté pis prenez l'reste pour chez vous.

Et comment que je leur laisse de la flotte à mes deux employés. Avec ce qu'y z'ont sué, ce serait criminel de pas leur filer de quoi boire. De toute façon, d'ici à ce que les oasis locaux soient assainies, y'en a bien pour une semaine, faut que je les laisse voir venir pour tout le service rendu. Pis tiens, avec tout le blé qu'on a engrangé, je leur file encore un bonus. Quand on a les moyens d'être généreux, autant en profiter.
Sont moins contents que la dernière fois cela dit, j'ai juste droit à un timide "merci". Sont trop posés par nature pour venir m'engueuler et me sortir le couplet "tu nous as fait trahir les nôtre pour du fric", seulement, je sens bien que l'envie y est de me cracher ça à la gueule.
Peu importe. Pour quinze millions de bénéfices, je me passerai de leur estime.

On se quitte là-dessus. L'entreprise "les fluides de monsieur Oletto inc." doit fermer ses portes. Y'aura bientôt des enquêtes sur l'origine de la pénurie de flotte organisée, mieux vaut effacer les traces. Pis c'était juste une opération montée à la va-vite en attendant d'avoir une réponse pour la dénonciation de ma mission. Je l'ai eue hier ma réponse d'ailleurs, y m'ont déjà fourni de nouveaux ordres.
Mais avant de décamper, j'ai une visite à faire.

De nuit, sans personne pour y zoner, le petit bistrot où j'allais habituellement est bien terne. Cela dit, y'a pas à chier, avec le chant des cigales, c'est quand même charmant comme tout. C'est sûr, vu l'heure qu'il est, c'est pas ouvert, mais vu que les proprios vivent dans la maison accolée, je me gêne pas pour frapper à leur porte. Y'a de la lumière hein, je me serais pas permis autrement.
De derrière la porte je les entends causer. Z'ont l'air inquiets qu'on vienne les déranger à une heure pareille. Maintenant que j'y pense, tout le monde a l'air cloîtré chez lui, y'a pas une âme qui erre dans les rues. La pénurie de flotte, c'est une disette qui a le don de tendre les nerfs.
Finalement, on m'ouvre, enfin on m'entrouvre. Ah bah, c'est Cybel, ma petite serveuse. Elle me regarde méfiante.

- Ou.. Oui ?

- Eh bah gamine, c'quoi de cette tronche qu'tu tires ?
J'vais pas t'déranger, j'dois décarrer bientôt, mais j'me suis dit qu'j'allais te filer quelques gallons d'flotte à toi et ta famille.


Y'a pas loin de vingt litres que j'ai laissé à leur porte. Eux aussi, y crèveront pas de déshydratation. Comme quoi, un joli sourire quand on sert un client, ça peut sauver la vie, littéralement.
Elle sait pas quoi répondre l'autre. L'a même l'air foutrement gênée à baisser les yeux comme ça. Va quand même pas refuser la flotte par principe juste parce que c'est moi qui ai profité de la crise l'eau à Attalia. Elle me dit quand même "merci" elle aussi, sans que le ton y soi.

Bon, j'ai pigé, je suis plus trop en odeur de sainteté dans le coin. Pas d'au revoir déchirants, on se quitte là-dessus, pas bons amis pour le coup.
L'est l'heure de prendre une embarcation pour quitter cette île de fous où qu'on crève de chaud, et où maintenant, on crève de soif. Un peu d'humour n'a jamais tué, un manque d'eau potable par contre...

Alors que je traverse la grande avenue qui mène au port, je sens les regards des habitants aux fenêtres illuminées par la lueur blafarde de leur lampe à huile. Y me fixent plus qu'y me regardent, silencieux, solennels, comme si y voyaient passer un convoi mortuaire. Y'a de l'hostilité dans ces regards, mais si y'a que ça, je m'en remettrai.

Au revoir Cybel, au revoir mes furieux, au revoir lieutenant. Votre compagnie m'était agréable, mais j'ai le sentiment que ce n'était pas réciproque.
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