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Boustifaille, monologue & chandelle



La mer, formidable étendue d'eau, faisant partie intégrante de la vie de nombreuses personnes. À la fois route, amante, ressource, cette grande flaque se plaît à venir caresser les rivages des îles ou étendues de terre de ce Monde. Comme à son habitude, elle venait border les plages, repartant aussitôt dans la foulée. Parfois, elle s'adonnait à déposer toute sorte de choses sur le sable, débris, cadavres, cargaisons, navires, laissant aux soins des Hommes ou autres choses vivantes sur la terre de s'en occuper. Et aujourd'hui, tel la cigogne, elle avait décidé de déposer un présent sur les plages de l'Ouest Bleu, mais cela ressemblait plutôt à un vomissement, une vague crachant un mauvais morceau de viande, en plein sur les galets. Le ciel était d'un bleu parfait, le soleil était à son zénith, apportant chaleur et réconfort, mais surtout, rendait brûlant les pierres qui bordaient la côte.

BORDEL

Bienvenue à Las Camp. Ici pas de plages au sable fin, de palmiers, cocotiers, seulement une grosse ville dans un état lamentable et aux rues peu recommandables. Nominé 3 fois pour le prix du pire endroit où échouer, la ville était un gigantesque repaire à problème, mais un formidable lieu pour la débauche en bonne et due forme. Et c'est ici qu'un corps, à première vue, sans vie, venait d'être éjecté. De loin, on aurait pu croire à un homme écrevisse, complètement rouge, mais de près, il était évidant que c'était également un homme serpent, tant sa peau semblait se détacher de son corps. Donc, cet homme mi-écrevisse, mi-serpent, arrivé d'on ne sait où, on ne sait comment, tentait tant bien que mal de se relever tout en vomissant l'eau qui s'était gentiment invité dans ses poumons. La force de ses bras ne semblait même pas suffire pour relever un corps qui ne comptait que des os entourés d'un peu de peau. Après s'être délecté à plusieurs reprises de ces délicieux galets, la frêle chose se plaça assise, face à l'étendue bleue, le regard vide, désorienté, l'esprit plongé dans un profond néant.

Qui, que, quoi, où, tant de questions sans réponses, et ce n'était sûrement pas la mer qui allait y répondre. Tout ce que savait cette pauvre âme égarée, c'était que la soif et la faim la tiraillait. En regardant sur ses flancs, la divine providence lui proposa comme repas une mouette à moitié décomposée, mais presque cuite grâce à l'action du soleil, et bien salée par les embruns marins. Pas vraiment un mets de choix, l'homme décida de regarder de l'autre côté. Un bout de bois, ou plutôt un sabre en bois, qui avait l'air d'avoir vécu et avait probablement fait un petit voyage en flottant sur l'océan, reposait sur les galets. Même si ce n'était pas mangeable, cela faisait au moins un bien en sa possession, et dans l'immédiat, une canne de fortune. Mais cela ne résolvait pas le problème numéro un, sa soif de nourriture et sa faim de boisson. Bien qu'il avait de l'eau à perte de vue, cela ne semblait pas être une bonne idée d'aller y plonger la tête pour étancher sa soif, afin de ne pas vider les mers de cette ressource bleue, ou plus probablement, pour ne pas ré-ingurgiter de cette immondice salée. Ce qu'il fallait, c'était bouger, quitter cet endroit et partir en exploration dans ce lieu inconnu. Il devait forcément y avoir quelque chose dans toutes ces baraques afin d'assouvir ce fort désir de remplir sa bouche de viande bien grasse et de liquide en grande quantité.

Un nouveau combat se profilait désormais pour ce naufragé, se lever, et surtout, tenir sur ses deux jambes. Un véritable défi, mais la canne-sabre en bois était un allié particulièrement apprécié, un renfort de choix dans cette quête impossible de tenir sur ses deux jambes. Le sol instable, les jambes flageolantes, les bras incapables de pousser suffisamment pour faire relever le reste du corps, plusieurs tentatives furent avortées, tant la tâche était ardue. Il fallait changer de tactique, l'option de se redresser n'était pas un plan parfait. Il était temps de ramper, se glisser sur les galets jusqu'à rejoindre la civilisation et trouver un milieu moins hostile pour enfin se tenir debout. Traînant son corps le long des cailloux, prenant prise là où il pouvait y avoir de quoi s'accrocher tout en poussant sur ses jambes pour avancer, la quête avançait à grands pas, si l'on peut dire. Le Graal était proche, la chimère serpent-écrevisse-asticot approchait peu à peu de l'ombre portée des bâtiments de la ville, et par la même occasion les pavés de cette dernière. Les vêtements déchirés, des brûlures sur le corps résultant des frottements sur le sol, des égratignures multiples, l'inconnu n'avait plus qu'à se relever et s'enfoncer dans les rues sombres de la ville.

  • https://youtu.be/dQw4w9WgXcQ
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A présent, la première expédition touchait à sa fin, tout ceci n'avait que trop duré. L'inconnu de la plage se trouvait enfin au milieu des rues obscures de Las Camp. L'ambiance était malsaine, l'atmosphère pesante, et l'air chargé d'odeurs diverses et pas du tout enivrante, un je-ne-sais-quoi mélangeant vomis, poubelles et urines. Mais cette dernière effluve semblait toute proche. En effet, voyant un truc traîner sur le sol, un chien errant avait décidé de lever la patte et faire sa vidange dessus, à savoir, l'homme qui avait fait glisser sa carcasse de la plage jusqu'à cet endroit de malheur. Ce dernier grogna, sans exprimer clairement quelque chose. Il n'avait senti qu'un liquide chaud lui couler dessus, sans comprendre d'où cela venait, pas de sa vessie en tout cas. Traînant son corps vers un mur, il se redressa légèrement pour s'asseoir et faire face à son agresseur. Un chien, une saloperie à trois pattes comme dirait le tavernier du coin, la peau sur les os, les poils peu nombreux, hébergeant une civilisation entière de puces, un regard traînant toute la misère du monde, mélangé à un peu de surprise, que sa pissotière de fortune soit quelque chose de mouvant, et plus encore, un homme, dans un état semblable au sien.  

Un long silence s'installa entre les deux misérables et miséreux. Chacun ne s'attendant probablement à tomber ainsi sur son alter égo, mais d'une autre espèce. Heureux hasard ou signe du destin, la rencontre entre ces deux-là était pleine d'émotion, chacun assis face à face, les yeux vides et la tête, également vide. Digne d'un duel au soleil, l'intensité était aussi forte qu'une brise venant s'écraser sur le premier obstacle venu. C'est finalement l'homme, après avoir subi un tel affront, qui, surpenant, prit parole en premier.



T'es un chien... Un foutu chien... Et tu te permets de me pisser dessus. C'est. Je ne comprends pas. Déjà en premier lieu, je sais pas où je suis... Ah oui, c'est vrai, t'es un chien, tu vas pas me répondre... Bref, je crois que ça pouvait pas être pire. Comme je disais, je sais pas où je suis, ni comment je suis arrivé ici, et encore moins qui je suis... Oui, oh, ça va, je sais ce que tu vas me dire « oui mais comment c'est possible d'oublier ça, c'est quand même le fondement même de notre humanité, de notre existence et de notre personnalité » et je te répondrais par... T'ES UN CHIEN, BORDEL, UN CHIEN. Comment tu peux dire ça, t'es pas humain, je suis sûr tu te souviens même pas de ta mère. BORDEL, UN CHIEN. T'as pas le droit de me juger. Enfin, qu'est ce que je disais... ah, oui, UN CHIEN... Non, ça je l'ai déjà dit... Non voilà, donc, je suis... non pas moyen, ça fini en Ki je crois, je dirais bien Kiki, mais c'est pas chouette quand même comme nom, donc j'espère que c'est pas ça. Je verrais bien quelque chose comme...  

L'homme examina ce qu'il y avait autour de lui, une quelconque pancarte, panneau, affiche, bref, quoi que ce soit tant que cela avait du texte, afin de trouver l'inspiration et trouver un nom pour se présenter convenablement au chien qui lui faisait face. Bien que la situation, vu de l'extérieur, semblait particulièrement cocasse, cette personne semblait totalement sérieuse, probablement à cause d'un choc à la tête, un traumatisme aléatoire ou encore gagné par la folie d'une possible dérive en mer, ou tout simplement, par manque d'alimentation et d'hydratation. Finalement, ses yeux se fixèrent sur un écrit, affichant Las Camp. Ces quelques lettres furent salvatrices dans sa lourde et difficile recherche d'un nom à s'affubler. Le regard illuminé, il entama la suite de sa conversation avec... un chien.

Bingo ! Las Gamp, Camb, Gamb... Las Gambas. Ouais, c'est ça, je m'appelle Las Gamb... Non, c'est totalement con comme nom, et pourquoi ça serait écrit dans la rue... A moins que je sois un criminel recherché... Mais oui, c'est ça, si j'étais sur la plage, j'étais marin, et si je suis un criminel, je suis pirate... Je suis donc le grand pirate Las... Non. C'est pas super super. Je dois avoir autre chose comme nom. Mais si je me concentre et je me force à y penser... Ku, Kuki, Kusa.... KUSAKI, ouais, c'est ça, je suis le capitaine Kusaki Las Gambas, ça, ça en jette, pas vrai ?! Du coup, faudrait que je retrouve mes hommes, mon bateau... Ah ouais, non, si j'étais sur la plage, il a dû couler, t'as raison. Bon, bah, va falloir faire profil bas pour éviter de me faire prendre, et puis, avant tout, faut que je trouve de quoi manger et boire, parce que j'ai la gorge sèche, et rien que parler avec toi, ça rend mon gosier plus sec que le jambon... sec...

Pendant que le fameux Capitaine Las Gambas était en plein monologue face à un canidé comme seule audience, un couple avait malheureusement choisi de passer par ici. Face à ce spectacle déplorable, et peut-être une pointe de pitié, les deux personnes avaient décidé de jeter quelques pièces au pauvre nécessiteux et à son chien. Rien de bien mirobolant, peut-être juste assez pour boire un verre, et encore. Le soit disant pirate n'a remarqué ça qu'après la fin de sa tirade, alors que ses bienfaiteurs étaient déjà bien loin, probablement hâté dans leur balade à cause de la folie d'un homme qui parlait à un chien, et très sérieusement en plus. Quoi qu'il en soit, il empocha le pactole, et se hissa sur ses deux jambes, prêt à repartir dans sa quête principale, se remplir l'estomac jusqu'à en exploser, et arroser le tout d'une bonne boisson. Mais un regard plein de tristesse de de misère le coupa dans son élan. La pauvre bête, qui avait jusqu'à là écouté le capitaine parler, s'était visiblement pris d'affection pour celui-ci, ou serait-ce simplement par l'attrait de la nourriture qu'il se soit mit en tête de le suivre.

Bon. Si mes souvenirs sont bons je suis un bon capitaine, alors, je vais pas laisser un homme à la mer. Donc maintenant, on largue les amarres, et on va chercher à bouffer. Allez, tu viens, en route.

Et c'est ainsi, qu'un homme et un chien, tout deux en piteux état, se lancèrent dans le formidable périple au milieu des rues de Las Camp, à la recherche de la première taverne venue, où ils pourraient enfin accomplir le but le plus important de leur vie, à l'heure actuelle.
  • https://youtu.be/dQw4w9WgXcQ
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Un spectacle navrant, un homme appuyé sur sa canne, à moitié voûté, accompagné d'une saloperie à trois pattes, déambulant dans les rues à la recherche d'une finalité à une quête qui n'avait que trop duré. Les rues presque désertes de ce quartier malfamé laissaient libre champs aux deux acolytes, la grande vadrouille. Le chemin était long et difficile pour l'auto-proclamé capitaine, malgré un regain d'énergie peu de temps auparavant, son état n'était pas encore au beau fixe. Mais cela ne l'empêchait pas de parler et cogiter sans arrêt, attendant peut-être à un moment une réponse de son camarade de voyage.

En y repensant, je pense que ce que je raconte, ce ne sont que des grosses conneries. Non mais c'est vrai quoi, quel idiot je serais à me risquer à être capitaine et à manquer de me faire tuer toutes les cinq minutes. C'est évident que je ne suis pas ce genre de personne, je n'aspire qu'à une vie tranquille, sans soucis, je suis comme une feuille, j'vais là où le vent m'emporte... J'dois être poète je pense, ou une merde du genre. Enfin, doit y avoir une raison pourquoi j'ai atterri ici, et que j'sais plus qui j'suis. Remarque, c'est le bon moment pour refaire ma vie, repartir de zéro, je peux être qui je veux... Bordel ouais, ça c'est le bon plan, faut que je le note quelque part.

Kusaki jetait des coups d'œil de temps à autres pour regarder son interlocuteur, mais ce dernier ne semblait pas vraiment réceptif. Les deux tournaient en rond, mais aucun ne semblaient y faire attention, ne lisant ni les pancartes et n'essayant même pas de repérer un quelconque endroit à l'odeur de vinasse et de graillon. Las End était, pour eux, un labyrinthe sans fin. Mais plein de confiance, le capitaine Las Gambas menait l'assaut, et en tête des opérations, semblait certain de tenir le bon cap et que l'investissement de ses dernières ressources pour arriver à trouver une quelconque taverne ne serait pas vain.  

C'est quand même fou ouais... J'suis ici, mais bordel, je sais pas ce que c'est ici. Y a des baraques, quelques gens, mais ça pourrait être n'importe où. Et puis comment j'ai pu venir. J'ai quelques souvenirs, comme des flash, mais c'est flou, c'est bizarre, tu trouves pas, hein. Si ça se trouve, j'étais vraiment capitaine, j'en sais foutrement rien, ça m'énerve. De toute façon, j'ai la tête qui va exploser si je continue à réfléchir, j'ai besoin de manger, sinon ça va mal se passer. BORDEL, Y A PAS UNE FOUTU AUBERGE POUR BOUFFER DANS CE PATELIN DE MERDE, J'VAIS TOUT CRAMER SI ÇA CONTINUE, enfin je sais pas comment je m'y prendrais, mais je le ferais. Et toi, le chien, tu peux pas faire quelq.... quel.... ….....

En s'excitant tout seul dans son coin, Kusaki avait perdu ses dernières forces. Sa gorge refusait catégoriquement de produire de nouveaux sons, elle était asséchée au plus haut point, et plus une goutte de salive n'était produite. Sa canne tomba à terre, son corps refusait de faire un pas supplémentaire. Les genoux au sol, son esprit commençait à flancher et peu à peu s'assombrir, ses pensées n'étaient plus tout à fait clair, tout devenait vide. Le chien, dans un soucis de grande fidélité envers son nouveau compagnon, et au vu de l'état de ce dernier, quitta les lieux sans demander son reste. Lâchement trahi, Kusaki avait envie de le traiter de lâche et de bien d'autres choses, mais tout ce qui se passa, c'était son corps qui s'écroulait sur le sol. La fin était proche, ses aventures, à peine débutées, touchaient déjà à sa fin. Sa vision était en train de se troubler, peu à peu tout devenait obscurité, sa dernière vision était une pancarte, affichant un nom à côté d'une pinte de bière : Le Saint-Graas. Quelques mètres... C'était tout ce qui le séparait de son ultime but... Échouer aussi proche que ça, c'était hors de question, il fallait déjouer la mort, et prendre au dépourvu ce que le destin avait prévu pour lui.  
Il lui fallait faire la chose qu'il savait le mieux faire : ramper. Ramper comme si sa vie en dépendait, et en fait, c'était un peu le cas, ramper jusqu'à atteindre la porte du lieu saint, ramper pour vivre ! Centimètre par centimètre, poussant son corps simplement par la force de ses convictions, Kusaki s'en approchait, il pouvait déjà à l'avance sentir l'extase d'un bon repas et d'une boisson fraîche, la meilleure des motivations lorsqu'on arrive au terme de sa vie, le dernier repas du condamné. C'était comme si des forces invisibles étaient derrière lui à le pousser pour qu'il puisse mettre fin à cette aventure et qu'il puisse aller bien plus loin qu'un minable de sa trempe pourrait. Au bout de son effort surhumain, il était enfin aux portes du paradis. Dans un grand éclat lumineux, celle-ci se retrouva ouverte, il plaça son bras à l'avant, et d'un coup, il se sentait piétiné, puis, plus rien.



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Dans un flottement dans le néant, Kusaki se sentait bien. Il semblait avoir réussi à atteindre la taverne, et avoir quitté ce monde tranquillement, ressentant une sorte d'écrasement avant de fermer les yeux. Peut-être était-ce normal, que le fait de partir en crachant son dernier souffle n'était qu'une fable, et qu'en fait, nous n'étions que simplement écrasés par le rouleau compresseur de la vie lors de notre départ en direction d'on ne sait où. Après tout, qui pouvait bien nous dire ce qu'il se passe après, d'après ce qu'il savait, enfin du peu de choses intelligentes qui titille son cerveau, personne n'était jamais revenu de l'autre côté.  
Tout était sombre autour de lui, assez silencieux, le calme plat. Et puis, venant de nulle part, une cascade. Se retrouvant juste en dessous, Kusa tentait tant bien que mal d'avaler cette eau miraculeusement apparue. Elle était tiède, avait le goût de savon, mais, au delà de tout ça, il était bon d'enfin humidifier son gosier. C'était peut-être ça, le paradis, obtenir enfin ce qu'il avait tant voulu, même si ceci était horrible à avaler. Et puis le liquide s'arrêta de tomber. Kusaki était trempé, perdu au milieu de nulle part, et il n'arrivait pas à bouger les bras pour attraper ses vêtements et les essorer au-dessus de sa bouche et obtenir quelques lampées supplémentaires afin d'étancher un peu plus sa soif. C'est alors que dans cette obscurité, des voix s'élevèrent. Mais aucun de ces sons n'étaient bien aguicheur. Si c'était bien le paradis, alors pourquoi être accueillis par des voix rauques, graves, hasardeuses, et pas par des voix douces et enjôleuses comme raconte n'importe quel idiot. Il fallait se concentrer, comprendre ce qu'elles essayaient de dire, et savoir à qui elles appartiennent.


« Cet enfoiré de clodo, il s'est jeté sous mes pieds »
« Non mais il est mort là, on devrait lui faire les poches »
« Mais non, il a sorti sa langue quand je lui ai jeté l'eau de la vaisselle, il doit être encore vivant »
« On s'en fout, on lui fait quand même les poches »
« Vous trouvez pas que ça sent la pisse de chien ? »

Chien ! Voilà le mot clef ! C'était la lumière au bout du tunnel, l'électrochoc qui conduisait en dehors du paradis, bien que ce paradis soit quelque peu étrange et que les anges y tiennent des propos bizarres. Dans une grande bouffé d'air, Kusaki était de retour parmi les vivants. Les yeux pas tout à fait fonctionnel, il ne distinguait que quelques silhouettes autour de lui. Dans son souvenir, il était au sol, et là, il semblait être assis, devant ce qui ressemblait à une table. Après un moment d'adaptation, il comprenait enfin sa position: il avait atterri sur une chaise de la taverne, finalement il avait, pendant sa brève interlude, atteint son objectif. Et là, miracle, un pichet. Est-il plein, que contient-il, on s'en fiche. Kusaki pencha la tête en arrière tout en ouvrant grand la bouche, et déversa le contenu sur sa tête tout en essayant d'en avaler le plus possible. Un geste provocateur, créant des haussements de voix à base de « hey, il picole mon godet ce bâtard ». Mais trop tard pour se rétracter, ce qui est fait, est fait. Kusa avait commencé à dessécher son gosier, il était désormais apte à passer à l'étape supérieure. En pleine navigation au milieu de son esprit afin de trouver le meilleur moyen d'obtenir gain de cause dans sa recherche de gavage absolu, il fut interrompu par un des membres de l'audience, un vieux, un peu crade, bien en cher, affublé d'un tablier couvert de tâches diverses dont on ne préfère pas connaître la provenance.  

« Dit donc mon gars, on fait pas la soupe pour les clodos ici, va falloir payer c'que tu consommes, et t'as intérêt à avoir de l'argent, sinon ça va mal se passer pour toi, enfoiré. »

Des problèmes. C'était la chose à éviter. Et l'argent, ça, c'était un problème. Il fallait à tout prix la jouer fine, être lucide et prendre des décisions instantanées intelligentes. Dans sa poche, les piécettes qu'il avait auparavant ramassées, c'était un bon début, mais probablement pas assez pour payer un repas. Il lui fallait miser sur la chance, espérer que le patron soit aussi idiot que son apparence laisse entrevoir. Kusaki fit tinter les pièces dans sa poche, en plaça quelques-une sur la table, fixant son auditoire.

Argent........ Boire........... Manger....... Tout de suite..

Allez, maintenant c'était quitte ou double. Est-ce que la supercherie prendrait ? Cette tentative bidon était-elle bien menée ?

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Tension palpable, le rythme cardiaque de Kusaki s'accélérait, il ne savait pas ce qui allait se passer, si il avait réussi à berner les idiots autour de lui. Et si ce n'était pas le cas, qu'allait-il se passer ? Serait-il de taille à tous les envoyer au tapis ? Celui qui semblait être le chef, enfin le patron de la taverne, avait fait demi-tour et semblait retourner vers son comptoir.

« D'accord, ça marche. Et un gueuleton qui va bien »

Bingo. Le plan s'était parfaitement déroulé, facilité scénaristique dirons-nous. Le repas tant attendu allait être livré sur un plateau, littéralement. Il fallait reprendre des forces en priorité, avant de réfléchir à la prochaine étape du plan : prendre la poudre d'escampette. L'endroit n'était pas exceptionnel et avait vécu. Le mobilier était sale, en mauvais état et tout était à peu près rafistolé de part et d'autre. Pas beaucoup de lumière dans la pièce, celle-ci étant bloqué par des couches de saletés accumulées sur les vitres, seul les bougies allumées permettaient la luminosité dans cette taverne. Du côté des clients, pas grand chose à dire, ils étaient, pour la plupart, à l'image de l'établissement, d'autres semblaient être des individus peu recommandables, étant présent pour tuer le temps en attendant la nuit, avant de reprendre leurs fonctions habituelles. Bref, sans savoir vraiment où il avait atterri, Kusaki avait un peu cerné le type d'endroit où il errait depuis un temps.  

« Et voilà la tambouille mon gars. T'veux un jus de pomme qui pique avec ça ? »

Un hochement de tête, et une chopine fut déposé sur la table en même temps qu'une assiette de... Une sorte de ragoût, fait à base de restes très probablement, ou de tout ce qui pouvait traîner dans le garde manger. Bien que l'aspect ne rendait pas la chose forcément appétissante, ce n'était pas le moment de faire la fine bouche et de pinailler alors qu'on venait de lui servir de quoi se sustenter. La tête à moitié dans l'assiette, Kusaki se remplissait la pense sans perdre de temps et sans en perdre une miette, ce n'était peut-être pas sain de manger aussi vite, cette nourriture lui provoquerait peut-être une intoxication alimentaire, mais tant pis. Et c'est ainsi que très rapidement, l'assiette se retrouvait vide de tout contenu, aussi propre que le jour de sa fabrication. Cependant, cette simple assiette n'était pas suffisante. A vrai dire, cela permettait à Kusa de reprendre quelques forces, mais pas assez pour contenter son estomac et lui permettre de tailler la route, et surtout, à s'enfuir avant que quelqu'un se rende compte qu'il n'avait pas d'argent pour payer.
Et puis, l'idée de génie, dans le fond de la salle, un des client, enfin plutôt poivrot, était à moitié dans le coltard, vu l'établissement, rien d'étonnant. Mais sur sa table, il y avait quelques victuailles, du pain et de la charcuterie pour être plus précis, ainsi qu'un pichet. Une arnaque dans l'arnaque. Kusaki avait les yeux qui brillaient, il semblait bien qu'il était au sommet de ses capacités, du grand art. Sans vraiment savoir ce qu'il savait faire en temps normal, il semblait être à l'aise dans le mensonge et l'arnaque en ce moment. Attrapant son verre, sa victime en ligne de mire, il se dirigeait vers sa direction. Sa foulée n'était pas encore au beau fixe, titubant, n'ayant pas un équilibre parfait, mais les tables permettaient de le retenir d'une chute. Une fois à sa portée, il se plaça sur une chaise à côté du bonhomme, et se lança dans un nouveau monologue, comme il savait si bien les faire, en élevant bien la voix.


Mon ami ! Tu te souviens de moi ?! Kusa ! Kusaki Las Gambas !.... Mais si, soit pas con, on était ensemble.... Ah tu vois ! T'as pris un coup de vieux en tout cas ! Alors, qu'est-ce que tu deviens? Hé, ça te dérange si pioche dans ton plat ? Non ? Ah merci mon vieux !

Plus grand-chose à boire, mais en tout cas, il y avait de quoi se nourrir. Sans complexe, Kusaki piochait allègrement dans le plat. Mais ça ne suffirait probablement pas, il fallait passer à la vitesse supérieure. Prêt à tout pour parvenir à ses fins, il glissa ses mains sous la table afin de fouiller son nouvel ami inconscient, à la recherche de son argent, tout en reprenant sa grande conversation histoire de meubler, baissant de volume afin d'éviter d'attirer l'attention et ainsi de se faire repérer en train de faire les poches d'un pauvre malheureux.

Oh tu sais moi, j'fais tout un tas de trucs. Mais là j'ai un peu forcé, j'ai négligé ma santé. Un gros rhume ouais, parfaitement. Et puis y a une saloprie de chien qui m'a refilé des puces je crois, celui-là, si je le choppe, je le défonce, ouais, et tu sais de quoi je suis capable, j'suis pas rigolo, avec moi, ça file droit. Comment je suis arrivé ici ? Ah ben ça c'est toute une histoire. J'avais trouvé un petit boulot, charger des bateaux, tout ce qu'il y a de plus basique, et puis je me suis endormi dans la cale. Les mecs sont partis avec moi dans leur navire, ils me découvrent, bon j'en amoche plusieurs, et pas qu'un peu. Finalement ils me choppent, ils m'attachent, et au moment où ils arrivent dans un port, bim, ils me vendent à un esclavagiste. Ouais t'as raison, c'est pas croyable. Et attend d'entendre la suite, tu vas pas en revenir mon vieux. Mais avant, on va recommander des trucs, j'ai la dalle, et puis l'histoire va être longue, faut bien bouffer ! Patron ! Tout ce qu'il y a sur la table, multiplié par six ! Z'inquiètez pas, j'ai de quoi régler ma part ! Ah bah oui, on paye chacun son truc mon vieux, tu vas pas me la mettre à l'envers quand même !

« ça marche ! »

Oui, de quoi régler, et qui venait tout droit de la poche du pauvre type dans le coltard. Une petite liasse, suffisant pour payer une moitié de ce qu'il avait commandé à une vache près. Le plan marchait à la perfection, il n'y avait plus qu'à attendre la commande, et se remplir le ventre à en exploser.

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Service express. La grande dégustation pouvait débuter. Le patron avait apporté un plateau avec tout ce qui peut faire rêver un estomac. Pas vraiment de quoi faire un régime, ni manger sainement, mais c'était tout de même le must-have pour Kusaki. Le gérant semblait suspicieux de cette amitié, et principalement de l'état du compagnon de Kusa. Mais, agitant la liasse de billets, le gérant se trouva distrait de la scène, préférant avant tout compter les sous. La supercherie ne tiendrais pas longtemps, il en était conscient. Il fallait rapidement se repaître pour filer avant que tout ne capote. La pression augmentait au fur et à mesure, mais il fallait tenir et faire bonne figure. Après avoir enfourné le maximum de choses dans sa bouche, avec un verre pour faire couler le tout, Kusa repartait dans ses fabuleuses histoires.


Donc, j'en étais où déjà ? Ah oui, alors j'étais esclavagiste et j'ai... Non c'est pas ça.  Bon alors j'étais sur un bateau et il y avait des cailloux dans l'eau, partout, et.... Mais, mais. C'est ça ! Je savais plus comment j'ai atterri, mais c'est comme ça, bordel. Alors voilà le topo. J'étais à la recherche d'un boulot, mes poches étaient vides, et du coup, je me suis fait recruter par un équipage, des pirates, enfin je crois. Du coup, ils voulaient quelqu'un capable de les mener sur les mers, et qui avait de l'expérience. Moi, comme j'ai plus ou moins toujours navigué, j'ai dit ok, et puis bon, j'avais bouffe boisson gratuitement comme ça, et puis si jamais cette bande m'avait emmerdait, je me serais tiré en douce, sans problème. Bref, j'ai dit oui oui à tout, et je me suis retrouvé à la barre, en tant que navigateur de leur bateau. Ils voulaient aller sur GrandLine, et j'avais aucune idée de comment faire ça, mais bon, je voulais pas les décevoir, et puis avec eux, j'allais être tranquille un moment, surtout que j'étais en train de m’attirer des ennuis là où je me trouvais.

Petite pause de la part de Kusaki. La fin de son récit serait l'acte final de cette séquence, et le moment propice pour sa fuite. Mais avant tout, il fallait finir le repas, pas de gâchis, pas de perte, et si c'était le cas, ça en serait fâcheux. Enfournant le maximum dans sa bouche, la quantité de nourriture baissait peu à peu. Cependant, cette banale retrouvaille commençait peu à peu à attirer les regards, Kusaki avait mal jaugé le niveau d'intelligence de ceux présent dans la salle. Mais qui serait-il si il ne concluait pas son histoire. La bouche pleine de ce qui était encore mangeable sur la table, il reprenait son discours.


Alors, à bord de ce bateau, tout ce passait tranquillement, c'était sympa, les gens aussi. Et puis on est arrivé vers des montagnes, en plein milieu de l'eau. Enfin c'est que j'ai entendu, parce que moi j'étais parti manger un morceau et boire un coup. Quand je suis remonté, c'était le bordel, les autres couraient partout et gueulaient, ils semblaient pas très heureux après moi. Le bateau était attiré vers les rochers, et après plus rien. Enfin plus rien, c'est juste que je ne me souviens plus de rien jusqu'à ce que j’atterrisse sur le rivage, ici. Mais bon je pense qu'ils étaient pas capable de naviguer sur un bateau, c'est aussi simple que ça. Quelle idée de prendre la mer sans navigateur, des inconscients, rien de plus. Bref, maintenant, tu sais tout mon vieux. Maintenant, faut que j'y aille, j'ai un chien à retrouver, il va payer pour m'avoir trahi et abandonné. Merci pour ta contribution dans mon repas !

L'heure du départ était annoncé. Mais personne n'était dupe, le patron de l'endroit, avec deux autres types se présentèrent devant Kusaki, attrapant les premiers objets venus en guise d'arme. Se battre, encore une aventure incroyable, mais un détail était problématique, il avait perdu son bâton, ou plutôt, il était resté à l'extérieur, il devait désormais improviser, pour changer.


« Dit, t'essayerais pas de nous la mettre à l'envers ? Ton pote, il a rien mangé de ce que vous deviez partager, et il a surtout l'air endormi. On aime pas trop les arnaqueurs qu'on connaît pas dans le coin, donc maintenant, tu vas gentiment nous donner ce que tu nous dois, et payer ton premier repas aussi. Et tout ce que tu as par la même occasion. »


La situation devenait passablement complexe. Pas vraiment de solution, le combat était une option, mais notre protagoniste n'avait pas vraiment d'arme à proximité. Jeter des assiettes pouvait être acceptable, mais peu efficace. Et c'est là, exposé en pleine lumière, ce qui était assez logique, que la solution se présentait à portée de main : la chandelle de la table. Une arme redoutable pour Kusa, qui ne manqua pas de s'en saisir.


Ah ah ! Là on fait moins les malins hein. C'est bien le bois, mais ça brûle, alors, si vous voulez pas que la bougie m'échappe des mains, vous me laissez partir tranquillement, et tout se passera bien.

« Du con, y a qu'le mobilier et les assiettes en bois. A la rigueur la charpente aussi, mais avec ta p'tite bougie, tu feras que dalle. Commence pas à vouloir faire des trucs que tu sais pas faire et laisse toi faire au lieu de chercher la bagarre. »

Ah, ouais, j'avais pas pensé à ça, au niveau du bois. Tant pis, vous ne m'aurez jamais vivant !


Balançant la bougie sur le premier venu et fonçant dans le tas pour tenter d’atteindre la sortie, Kusa avait réussi, grâce à l'effet de surprise, à bousculer ses opposants et à se frayer un chemin à travers les rangs de l'ennemi. Un gros coup de bol en fait, plus qu'une stratégie audacieuse pleine de bon sens.

« Il a foutu le feu à mes vêtements ce con »
« Une bouteille de mon meilleur pinard à celui qui chope cet enfoiré »


Mouvement de foule, même les plus alcoolisés semblaient être prêts à attraper Kusaki suite à l'annonce de sa prime de capture. Pratiquement encerclé, il n'y avait que peu de solutions qui s'offraient pour notre héros. La première, creuser un tunnel pour s'échapper par en dessous était probablement la meilleure, mais sans outil, c'était déjà peine perdue. La seconde, se battre et envoyer tout le monde au tapis par une simplicité scénaristique, mais trop difficile pour Kusa. Et c'est ainsi, que sans vraiment comprendre pourquoi, il se décidait à grimper sur les tables afin d'enjamber le problème et atteindre la porte. Le but ? Attraper le lustre accroché au plafond, se balancer, et atterrir de l'autre côté des assaillants. Un mouvement risqué, était-il trop lourd pour ce bout de machin qui n'était pas de première jeunesse, le plafond allait-il s'écrouler, mais pas le temps de se poser des questions. Plein de confiance, Kusa se lançait dans son action, et, après avoir risqué par deux fois de se faire redescendre par la populace, se réceptionnait là où il avait prévu.  


AH ! Alors les nazes ! Vous ne pouvez rien faire face à Kusaki Las Gambas, je suis bi.... Oh merde


Pas le temps pour le dialogue, pas de foule pour apprécier son geste technique et pas d'applaudissements, il était à nouveau pourchassé. Attrapant un chapeau au passage, sa sortie de l'établissement ne se faisait pas attendre. Après avoir révélé ses talents d’acrobates, il lui fallait montrer sa puissance athlétique et s'enfoncer à nouveau dans les rues inconnues de cet endroit maudit, tout en récupérant son sabre dans la foulée, qui était resté au sol.

  • https://youtu.be/dQw4w9WgXcQ
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