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Du rififi dans le jeu de quilles - Part II

Peu à peu, une lueur éclaircit son champ de vision, qui se marbra de couleurs plus lumineuses. Ses paupières se soulevèrent péniblement, comme si elles luttaient pour ne pas qu’elle reprenne conscience. Que s’était-il passe ? Sedna n’en avait pas grand souvenir… Elle était groggy, ça c’était certain. Etait-ce à cause de l’alcool ? Elle ne se souvenait pourtant pas avoir fait la fête la veille. Mais qu’avait-elle fait alors ? Des formes dansèrent devant ses yeux, lui donnant le tournis. Peut-être y avait-il une raison au fait que son corps luttait pour ne pas lui rendre le don de la vue ? Elle ferma donc ses mirettes, et fut à nouveau entourée d’une obscurité apaisante. Oui, sa carcasse avait finalement raison sur ce point !

La jeune femme, bien qu’elle fût d’accord que pour le moment le mieux était de garder les yeux fermes, ne souhaitait tout de même pas rester allongée là, à pioncer tout la journée. Elle commença donc par bouger ses doigts, puis sa main. Une douleur lancinante explosa dans son épaule, arrachant un cri à Sedna. A deux doigts de retomber dans les pommes, elle se ressaisit et essaya tant bien que mal de lutter contre la douleur et de garder conscience. Elle bougea donc prudemment son autre main, ce qui ne lui provoqua aucune sensation de souffrance. Enfin, pas plus que ce qu’elle pouvait déjà ressentir. Bien, c’était déjà un très bon point. La shandienne prit appui sur son coude et rouvrit ses yeux. Des points noirs dansaient toujours dans son champ de vision, mais ce n’était pas grave, tant qu’elle restait lucide tout irait bien.

Tant bien que mal, la jeune femme réussit à s’adosser au comptoir de la cuisine. Et reprit doucement son souffle, chassant au fur et à mesure les étoiles qui tourbillonnaient devant ses yeux, et observa ce qui se trouvait autour d’elle. Du bois… Partout… Ah oui… Cela lui revenait en mémoire maintenant… Un bateau, un bateau tout entier qui avait atterrit sur la Mer Blanche… Une très grosse opportunité pour la PESTE, et un sacre gain pour toute l’ile céleste ! Le bois était tellement rare… En une fraction de seconde, tout lui revint en mémoire. Son combat, ou plutôt la raclée qu’elle avait prise, avec Manguelita, les sacs remplis de trésors, la promesse d’être jugée et enfermée pour toujours…

Sedna hoqueta. Elle était tourmentée, car oui elle aimait son pays, et tous les gens qui y habitaient, mais personne ne la verrait plus pareil désormais. Elle serait une paria, une moins que rien… Pire, elle serait même une criminelle… Qu’allaient penser ses parents ? Et tous les gens qu’elle connaissait ? Grand-mère Mangrove… Elle aussi, n’allait penser que du mal d’elle… Non pas que d’habitude la jeune femme se souciât réellement de ce qu’on pensait d’elle, mais bon la c’était tout de même très diffèrent… Elle n’avait pas beaucoup de proches, mais elle se souciait tout de même un minimum de ce qu’ils pensaient d’eux. Et la perspective que tout le monde la déteste vraiment, et soit prêt à la lyncher en public, avait quelque chose de très perturbant…

Peut-être… Non, sans doute la meilleure option était-elle de partir maintenant pour les Mers Bleues ? Si jamais quiconque lui mettait la main dessus et l’emprisonnait dans les geôles locales, elle ne pourrait sans doute jamais s’en aller, et jamais vivre sa grande aventure, ni réaliser ses rêves… Et vivre dans les regrets, ça Sedna ne le voulait pas. En aucune façon. La douleur était toujours omniprésente, et la shandienne devait faire quelque chose… D’abord pour cette épaule qui lui faisait si mal. Elle tourna laborieusement la tête vers la droite et resta un moment bloquée, sous le choc. Cette fois ci, Mangue n’y avait clairement pas été de main morte… Elle lui avait déboitée l’épaule… Et c’était pour ça que la brune avait si mal. Enfin, entre autres, parce que vu les bleus qui s’étalaient un peu partout sur sa peau, ça ne pouvait pas être la seule raison.

Une fois l’examen accomplit et avant de passer à l’action, Seewish s’autorisa une petite pause. Elle regarda par la fenêtre de la cuisine et fut soulagée d’apercevoir un ciel d’encre, à travers les carreaux. Elle avait encore le temps de s’enfuir… Heureusement que la rousse ne l’avait pas attachée, ça aurait été dur de se libérer avec une épaule en vrac. Bon… Apres avoir remis l’os en place, Sedna allait sans doute encore s’évanouir, il fallait être réaliste. Elle tomba d’accord avec elle-même sur une heure. Une heure pour se rétablir un peu, et ensuite partir. Elle n’avait pas plus de temps à sa disposition, si elle voulait pouvoir se faire la malle avant que des membres de la PESTE ou des soldats coiffes de bérets viennent la chercher. Ensuite il faudrait descendre sur les Mers Bleues… Ouais, ça ressemblait vaguement à un plan.

La pause était finie, il fallait s’attaquer au nœud du problème. A contrecœur, et déchirée par de vagues de douleur, Sedna se mit en place. Elle cala son épaule et son omoplate contre le comptoir puis pris en main son humérus grâce à son bras droit, qui était, heureusement, encore valide. Sedna serra les dents et prit une large inspiration avant de donner un coup sec, afin que le bout rond de son humérus retrouve sa place. Un craquement plus tard, c’était chose faite. Mais la shandienne était bel et bien retombée dans les vapes. Heureusement pour elle ceci dit, et pour son épaule fraichement remboitée, elle resta assise, bien calée contre le meuble en bois.
    Sedna se réveilla une heure plus tard. Son horloge interne était d'une précision redoutable, et elle n'avait ainsi pas douté que son sommeil finirait exactement quand elle le voudrait. Son corps n'était pas spécialement d'accord mais la shandienne n'en avait rien à faire. Elle était en danger, et l'adrénaline allait grandement l'aider à supporter la souffrance que n'allait pas manquer d'éveiller chacun de ses mouvements. La jeune femme était toujours assise, et s'aida donc de son bras valide pour se relever. Les coups portés par Mangue continuaient à la lancer, son ventre était particulièrement douloureux. Sans doute son adversaire lui avait-elle donné de nombreux coups de pieds après qu'elle soit tombée dans les pommes. Toujours aussi sympathique cette fille...

    Après moult grimaces, la brune réussit à se redresser totalement, et à se traîner jusqu'à ses sacs. Chaque pas était douloureux, et une affreuse sensation de faiblesse s'emparait de ses muscles, qui tremblaient sous son propre poids, et sous le léger effort que représentaient quelques pas. Comment pourrait-elle s'enfuir dans de telles conditions ? Sedna se rendait compte peu à peu que la tache n'allait pas être aisée. Elle l'était même de moins en moins... Pour couronner le tout, une migraine de fond semblait s'être installée dans son cerveau avec la ferme intention de rester là pour un moment... Grâce à son bras droit, elle ramassa son pistolet qui traînait au sol et le glissa à sa ceinture, là où était sa place. Après cela, elle récupéra son boomerang puis son arc, qu'elle glissa en bandoulière en faisant extrêmement attention à ne pas toucher à son épaule gauche qui était toujours très sensible.

    Ce n'était pas la première fois que la shandienne était blessée, et elle savait donc comment réagir, mais cette fois la souffrance était quand même un cran au dessus. Se faire rétamer par la cheffesse de la PESTE, ça avait un coût. Maintenant qu'elle y pensait, elle réalisait que Manguelita ne s'était probablement jamais battue sérieusement avec elle. Peut être était-ce dû au fait que Sedna n'avait à l'époque encore rien fait de répréhensible ? Ainsi, même si la rousse la haïssait, elle ne pouvait tout de même pas la démonter. Un quart ange ou pas, Skypiea était quand même le pays de Seewish, qu'elle avait jusque là défendu bec et ongle. Néanmoins, cette nuit là, elle l'avait rouée de coups comme jamais. Heureusement que la flèche empoisonnée avait pu effleurer la rousse, et dispenser son poison dans son système. Ses mouvements s'en étaient ainsi retrouvés ralentis, ce qui expliquait certainement pourquoi Sedna avait la grande chance de ne pas avoir d'os cassés. Ça et le fait qu'elle soit résistante. Quoi que ça n'avait pas été suffisant. Bon, il n'y avait tout de même pas de quoi se plaindre, elle était bien chanceuse de s'être réveillée avant la fin de la nuit et le début de son procès.

    La jeune femme se baissa pour ramasser un sac de jute et le posa sur le comptoir, puis attrapa un couteau et entreprit de découper le grossier maillage en longues bandes. Elle entreprit ensuite d'en faire une écharpe pour soutenir son bras endolori et ne pas avoir trop mal par la suite. Seewish s'autorisa à nouveau une brève pause. Le fait d'avoir bougé, ne serait-ce que légèrement, les muscles entourant son épaule avait réveillé le feu qui s'était quelque peu calmé pendant qu'elle dormait. L'écharpe qui maintenait son articulation n'en était que plus précieuse, elle devenait indispensable. Elle saisit son carquois et le cala à sa place, sur son dos. Malheureusement, son pistodial n'était plus chargé. Cela lui aurait été bien utile, contre la sentinelle postée à l'extérieur du bateau. D'après ce qu'elle avait pu voir depuis les fenêtres, il n'y en avait qu'une, attentive, devant l'immense brèche qui crevait la coque du bateau. Sedna ne pouvait le mettre hors d'état de combattre grâce à une flèche, avec un bras hors jeu, elle ne pouvait plus tirer un seul trait.

    Elle laissa les sacs emplis de bois et de métal là où il était, et se faufila rapidement jusqu'aux cales. Elle se saisit de son boomerang, lisse et particulièrement robuste. Déterminée, elle s'approcha par derrière du garde qui ne s'attendait pas à ce que la « prisonnière » soit réveillée. Mangue non plus, et c'était la raison pour laquelle elle n'avait pas posté plus d'hommes aux alentours. Elle la sous estimait, et bien que Sedna détestait qu'elle la fasse sentir inférieure, sur le coup, c'était très pratique. Sans doute la shandienne aurait eu du mal à s'en sortir avec des dizaines d'adversaires. Là, c'était plutôt facile. La jeune femme lança son boomerang, qui siffla dans les airs. La sentinelle se retourna juste au moment de l'impact, et reçut donc le coup de plein fouet. La brune suivait son arme, et se jeta sur l'homme qui n'était pas encore vraiment assommé. Son nez pissait le sang et il faisait du bruit, des cris, et remuait, évidement. Seewish le bâillonna avec des lanières supplémentaires de sacs, qu'elle avait emmenée. Elle lui asséna un second coup à la tête qui lui fit perdre connaissance et lui attacha solidement les poignets, s'aidant de ses dents pour remplacer sa main. Elle lui ligota également les chevilles, avant de le traîner à l'intérieur du bateau, hors de vue.
      L’air était frais, l’hiver était toujours là mais le printemps ne tarderait sans doute pas à réchauffer l’ambiance. Il ne faisait jamais réellement froid sur l’ile de Skypiea. Sedna avait lu dans un carnet de voyage un jour, que il existait des iles ou il faisait véritablement glacial, genre ou il était obligatoire de porter des vêtements en fourrure, et où il était possible de mourir de froid… C’était fascinant ! La shandienne savait bien qu’elle ne resterait pas assez longtemps pour voir arriver la période estivale. Cela ne l’attristait pas franchement. Ca n’avait jamais été sa saison favorite. Et puis, l’aventure l’attendait, et elle n’avait pas franchement le choix que de s’en aller, l’endroit allait devenir carrément dangereux. La jeune femme soupira. Dire que finalement, même si elle avait emplis ces sacs sur un coup de tête, elle ne les aurait probablement jamais emmenés avec elle, si Mangue n’avait pas débarque. Maintenant, elle aurait de toute façon la réputation d’une voleuse et serait recherchée, alors à quoi bon ne pas s’emparer du pactole, qui lui faciliterait le passage sur les Mers Bleues ?

      Sedna n’était pas stupide. Elle savait que même sa fuite serait difficile, la cheffesse de la PESTE était tenace, et depuis leur plus tendre enfance, elles se détestaient mutuellement. Elle allait la pourchasser, la traquer et ne pas lâcher l’affaire. Elle allait bien entendu également inspecter chaque bateau qui partirait pour les Mers Bleues… La jeune femme se mordit la lèvre. Ça n’allait pas être facile…

      Qu’à cela ne tienne, son waver était juste là, et pour le moment, Seewish allait se concentrer pour faire une chose à la fois. En premier emmener ce butin. Voila. La suite, on la verrait plus tard, y’avait pas de quoi se prendre la tête pour le moment, de toute façon, il faisait encore nuit. Sedna remonta dans le bateau, et retourna dans la cuisine ou l’attendait son trésor. Elle ouvrit la fenêtre et réussit, tant bien que mal et à force d’astuces, à hisser ses trois sacs jusqu’au rebord, et à les balancer dans le vide. Ils atterrirent un a un sur le moelleux sol de nuages, sans faire le moindre bruit, flottants a la surface de la Mer Blanche. Son corps était de plus en plus faible, et la jeune femme avait grand besoin de repos. Chaque mouvement se révélait plus difficile a effectuer que le précèdent, et elle avait grand besoin de nettoyer ses plaies, afin qu’elles ne s’infectent pas.

      Elle redescendit rapidement au niveau de la brèche et attrapa la corde d’amarrage de son waver, qu’elle tira vers afin de rapprocher l’embarcation. Elle alluma ensuite le dial et se dirigea vers les sacs, qu’elle hissa dans la petite coque de bois. La brune était en nage, sa température montait progressivement. Elle soupira. Elle ne pourrait pas partir pour les Mers Bleues cette nuit, il fallait être réaliste. Les Mers Bleues… Comme ça allait être magnifique et merveilleux ! Sedna repensa a ce rêve qu’elle avait fait il y a peu, et qui avait accru sa volonté de partir… Son totem allait être satisfait. Veillerait-il toujours sur elle lorsqu’elle aurait quitté la terre de ses ancêtres ? Probablement que oui… Et la prochaine fois qu’elle le rêverait, ce serait sous la forme d’une loutre, elle en était persuadée. Si elle suivait sa vraie nature et qu’elle réalisait ses ambitions, la forme de son protecteur ne serait jamais plus altérée, ce qui, si on se fiait à ce que comptaient les légendes, signifiait qu’il serait bien plus fort… Et donc plus apte à lui venir en aide ? C’était à souhaiter, car les mers du bas étaient redoutables.

      Une fois les sacs embarqués à bord, la shandienne fonça sur l’étendue de nuages, projetant des gerbes cotonneuses sur son passage.
        Sedna fonçait à travers les nuages, et remonta la rampe qui permettait d’accéder à la Mer Blanche Blanche, en saluant les gardes d’un hochement de tête. Ces derniers semblaient bien fatigués, à la limite de s’endormir, ce qui expliquait qu'ils n'aient pas fait attention aux sacs qui etaient sans son embarcation. Tant mieux. La jeune femme se félicitait, bien qu’elle n’y soit absolument pour rien, que Mangue ne se soit pas arrêtée pour leur exposer la situation. Comme de toute façon elle était certaine que Seewish ne parviendrait jamais à s’enfuir, et qu’elle la sous estimait constamment, elle n’aurait pas pris la peine de faire ne serait-ce qu’un détour, et d’aller saluer ses troupes en faction, de surcroît… La shandienne secoua la tête… Quelle suffisance… Cela lui en couterait quand elle se rendrait compte, le lendemain, que sa prisonnière s’était faite la malle. La brune en éprouvait une certaine fierté. La cheffesse, toute puissante qu’elle était, allait se faire taper sur les doigts.

        Une fois arrivée sur les nuages qui formaient la mer supérieure, Sedna poussa son waver en direction de l’orée de la forêt. Le bonhomme qui allait pouvoir lui échanger discrètement son butin contre des berrys ne vivait pas en pleine ville, mais dans un endroit un peu retire. La jeune femme avait rarement eu affaire à lui, N’ayant trempe qu’une fois dans une magouille. Et encore, magouille c’était un grand mot. Bien sûr, tout le monde savait ou ce personnage habitait, même si personne n’en parlait. A l’instar de Mamie Mangrove, c’était un paria, mais un paria riche. La première fois que la jeune femme s’était rendue chez lui, elle n’était encore qu’une gamine. Elle avait découvert un petit humain, échoue sur la plage, et l’avait ramené a Doubledoigts pour qu’il l’aide à retourner sur les Mers Bleues sans encombre. La shandienne y pensait souvent… Aurait-elle du partir avec lui ? Sur le moment, elle n’en avait pas vraiment eu envie, et puis elle ne connaissait pas encore tous les secrets et les merveilles qui existaient sur les mers du bas. C’était Anthony, cet enfant humain, qui lui avait offert ce rêve. Il lui avait donné le carnet de bord de son navire. Et dedans, Sedna avait découvert des aventures et des histoires incroyables.

        Alors oui, Seewish avait déjà vu le bonhomme. Une fois. Et puis une seconde fois aussi. Si la jeune femme avait emplis des sacs de trésors ce n’était pas sans but, ni sans idée derrière la tête même si elle l’avait fait dans un état plutôt second. Le magouilleur lui avait déjà proposé ce genre de deal. Piller les bateaux qui remontaient de la Mer Bleue et lui ramener ces trésors. Qu’il lui achèterait au prix fort, bien entendu. Et évidement, a l’époque, Sedna l’avait envoyé bouler. Et l’avait rembarre. Et menace de le dénoncer. Alors ce qu’elle avait bien compris depuis ce moment-là, c’était que faire des menaces à Doubledoigts ça ne marchait pas. Ca le mettait même en rogne. Un frisson parcourut la brune en pensant aux froids calculs qu’elle avait lus dans les yeux du vieux bonhomme. Sans le dire vraiment, il avait menacé toute sa famille. Et mamie Mangrove. Et les bébés serpents…

        Sedna gara son embarcation un peu à l’écart de l’imposante bâtisse, richement décorée, puis se dirigea vers une porte, qui crevait le bâtiment sur le côté de la maison. Sur la gauche, il y avait un grand hangar, ferme, qui permettait à l’homme d’entreposer toutes ses affaires, et tout ce qu’il achetait et revendait. Le lieu de stockage par excellence. Personne ne venait jamais l’embêter, et même si les autorités avaient voulu le coffrer, cela n’aurait pas été possible. Il ne laissait jamais une seule preuve. La jeune femme prit une grande inspiration qui étira sa peau marbrée de bleus et ses muscles endoloris, réveillant la souffrance fantôme qui ne la lâchait pas depuis qu’elle s’était réveillée. Elle était salement amochée et elle espérait bien que le monsieur ne lui poserait pas trop de questions. Elle n’avait ni la force, ni l’envie d’y répondre. Et de toute façon, tout ce qui comptait c’était le butin qui trônait dans son waver. Et ensuite le fric. Ouais, le fric ça serait cool. Est-ce que ça en aurait valu la peine? Ca elle ne le saurait sans doute que lorsqu’elle serait partie. Ou qu’elle serait enfermée pour toujours, si elle ne se montrait pas assez prudente.

        Qu’à cela ne tienne. Sedna se réprimanda. Une chose à la fois, c’était bien assez à gérer. Elle posa donc sa main gauche sur l’immense heurtoir en métal, et frappa trois fois, avant de patienter et qu’on vienne lui ouvrir. On était quand même au milieu de la nuit.
          Apres quelques minutes, la poignée tourna et la grande porte sculptée tourna sur ses gonds, en grinçant doucement. On pouvait faire mieux comme ambiance. Un majordome sortit avec une bougie à la main. La flamme oscillait doucement, éclairant un visage doux. Le majordome semblait la détailler de haut en bas. Forcement la jeune femme allait lui faire mauvaise impression, vu qu’elle s’était faite rétamer par Mangue, et qu’elle avait son bras en écharpe.

          Nombril. Je suis venue voir Mister Doubledoigts.

          Hum… Oui… Bien sûr… Pourriez-vous revenir demain, lorsqu’il fera jour ? Mon patron ne souhaite pas être dérangé.

          Je suis désolée mais ça ne va pas pouvoir attendre.

          Pourrais-je savoir de quoi il en retourne exactement ?
          demanda le majordome d’un air suspicieux.

          J’ai du bois à lui vendre, entre autres… répondit la jeune femme en montrant de la tête la coque de son bateau, ou l’on pouvait voir les gros sacs qui en débordaient.

          Ah… Je vois… répondit l’homme en plissant les yeux, avant de hocher la tête. Bien. Je vais aller le réveiller. Mais sachez qu’il ne sera sans doute pas de très bonne humeur.

          Merci.

          Sedna ferma les yeux en essayant de dissiper la douleur qui la lançait continuellement, puis marcha doucement en rond, devant la porte, afin de chasser la torpeur qui s’emparait de ses muscles. Non. Ce n’était pas le moment… Encore un tout petit plus de temps… Juste un peu… Cette fois ci l’attente fut plus longue. En même temps, le bonhomme devait dormir, ce qui signifiait qu’effectivement il allait probablement être de mauvaise humeur. Tant pis, se dit la shandienne en souriant. Il irait mieux dès qu’il aurait vu le trésor qu’elle lui rapportait. Ça allait être sympa comme tout.

          Un bruit de pas attira l’attention de la jeune femme qui se retourna vers la porte. Doubledoigt se tenait dans l’embrasure de la porte, vêtu d’un peignoir. C’était gênant. Il était très vieux, comme le montraient ses mollets fripés et poilus, qui dépassaient de sa robe de chambre trop courte. Seewish réprima un haut le cœur et se concentra sur son visage. C’était un ange très âgé, et elle se demanda quel âge il pouvait bien avoir. Peut-être l’âge de la grand-mère de mamie Mangrove ? Bah… La légende le disait immortel, mais vu ses rides c’était loin d’être le cas. Ce qui comptait de toute façon, c’était qu’il était riche. Très riche. Et qu’il pouvait lui fournir l’argent dont il avait besoin.

          J’ai des paquets dans mon waver.

          Le vieux lorgna sur les sacs d’un air intéressé.

          Y’a intérêt a ce que tu m’aies pas réveillé pour rien, gamine. Brindel ? Allez chercher les sacs s’il vous plait, il semblerait que notre jeune amie ne soit pas en état de le faire elle-même. Vous, entrez je vous en prie, et installez-vous dans le salon, le temps que j’aille me changer et chercher mes lunettes. Brindel ? Pourrez-vous nous servir une tisane ?

          Sedna suivit donc le majordome qui la conduisit dans un très luxueux salon. Ne sachant pas ou s’asseoir, elle tira une chaise simple, et s’assit dessus, attendant que le maitre des lieux revienne.
            Une minute… Deux minutes… Trois minutes… Quatre minutes… Le froid s’insinuait dans les muscles de Sedna, qui se rigidifiait à mesure qu’elle se crispait, aggravant la sensation de souffrance qu’elle ressentait. La tête commençait à lui tourner, lui intimant fermement qu’il serait bien de se reposer. Pas le temps… Trop dangereux… Pas tout de suite… La jeune femme avait encore des choses à faire. Et elle ne voulait pas se trouver encore ici lorsque l’aube se lèverait et qu’elle serait recherchée par Mangue et par toute l’équipe de la PESTE. La shandienne frissonna. Qu’avait-elle fait ? Venait-elle de ruiner toute sa vie et ses perspectives d’avenir ? Bien qu’elle se posait la question, en son for intérieur elle savait bien que ce n’était pas une erreur. A quoi bon vivre une demi-vie, une vie ou elle ne réalisait pas ses rêves, ou elle trainait des pieds tous les jours pour aller travailler, et montrer aux gens des trésors qui venaient de terres qu’elle ne connaissait pas, et ne connaitrait jamais ? A quoi bon lire des dizaines de carnets de bord si c’était juste pour fantasmer sur le merveilleux univers qui s’étalait sous ses pieds ?

            Pourquoi n’était-elle pas partie plus tôt ? Elle aurait pu, elle aurait dû… Mais elle avait peur, peur de l’inconnu, peur de quitter toutes ces personnes qui lui étaient chères, peur de ne jamais revenir… Peur tout simplement de mourir, seule et dans un endroit inconnu… Sedna avait néanmoins maintenant une peur plus forte que celle de partir. Elle avait peur de rester, et de ne jamais vivre d’aventures extraordinaires. Depuis ce fameux rêve, avec le South Bird, elle ne pensait qu’à ça. Et peut-être le temps était-il enfin venu ? C’était probablement cette excitation qui la maintenait éveillée, enfin, à peu près éveillée. Un feu ronflait dans une cheminée ouvragée, à quelques pas de la mais la jeune femme n’avait pas la force de se lever et d’aller se réchauffer. Et puis, le froid ca maintenait la conscience en alerte, et en soit, même si ce n’était pas très agréable, elle en avait bien besoin.

            Le vieux Doubledoigt finit par revenir, richement vêtu d’un costume sur mesure, taille dans une étoffe qui avait l’air très douce et très souple. Bref, la quintessence du riche dans toute sa splendeur. La jeune femme fit mine de se lever mais il lui signifia que ce n’était pas la peine, d’un mouvement de la main. Il se dirigea vers les sacs dont il inspecta longuement le contenu tandis que Sedna se perdait dans ses pensées, ressassant toujours les mêmes idées. Elle aurait pu s’impatienter, mais elle savait que cela ne mènerait à rien, car le vieux grigou prendrait alors encore plus de temps, par simple esprit de contradiction. Et puis de toute façon il allait vouloir vois chaque pièce une à une, et il lui importait peut que la jeune femme soit pressée. Si elle l’était trop, elle n’allait qu’à aller voir quelqu’un d’autre. Sauf qu’il n’y avait aucun autre contrebandier, et ça, l’ange en était bien conscient. Le monopole, ça laissait un donnait un certain nombre d’avantages. Comme de pouvoir prendre son temps.

            Apres une longue analyse, objet après objet, Doubledoigt se retourna vers la shandienne.

            Il semblerait, mademoiselle, que vous soyez devenue une vraie voleuse. Cela a un prix, à ce que je vois ? dit-il en détaillant les bleus et le bras en écharpe de son interlocutrice.

            Il semblerait oui, répondit-elle d’une voix grinçante. Etes-vous intéressé, ou pas ?

            Certes… Vous êtes pressée sans doute… Hé bien oui, j’aimerai acquérir votre butin, répondit-il en sirotant une tasse de thé.

            Quelques secondes s’écoulèrent dans le plus grand silence. Une mouche fendit l’air, perturbant le mutisme qui s’était installé dans la pièce. Avec une agilité incongrue pour son âge, le receleur brandit son bras et attrapa la mouche, avant le l’écraser et de la jeter derrière lui, d’un air dégouté.

            Une offre ?

            Je vous demande pardon ? Oh, oui, bien sûr, parlons argent !... 15 millions.

            Sedna se figea. Bien sûr qu’il essayera de l’arnaquer, c’était sa façon de fonctionner. Et il réussirait de toute façon. Car la jeune femme n’avait pas le choix, et qu’il lui fallait cet argent pour s’en aller. Le butin de ses sacs équivalait à une cinquantaine de millions. Mais jamais elle n’aurait cette somme, et elle en était consciente. Tout comme Doubledoigt savait qu’elle savait. Bref une histoire sans fin.

            45.

            20 ?

            35.

            25.

            Bien. 25. En petite coupures.

            Mademoiselle est exigeante. J’aime ça. Brindel ? 25 millions s’il vous plait. Dans deux mallettes ? Cela devrait être parfait.

            Le bonhomme continua à siroter son the en attendant que le majordome revienne. Il semblait plus pensif que fatigue.

            Y aurait-il d’autres livraisons ?

            Non. C’est la première et la dernière.

            C’est bien dommage. Certaines pièces sont de toute beauté, et le bois est toujours très demande sur cette ile.

            Sedna ne fit pas de commentaires, et continua à fixer la cheminée. Brindel revint rapidement, portant les deux mallettes commandée par son maitre. Il les laissa sur la table, et Doubledoigt invita la jeune femme à s’en munir d’un geste. Elle approcha donc du large plateau de bois massif et ouvrit les deux valises, l’une après l’autre. Elles étaient toutes deux bourrées de plus de billets que la shandienne n’en avait jamais vus. Elle les referma et les glissa sous son bras valide avant de se diriger vers la porte.

            Vous ne comptez pas ?

            Non. Vous avez votre réputation, répondit-elle avant d’ouvrir la porte et de sortir.