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Pas notre problème

Sur un banc, face à la mer, l'homme est nonchalamment assis, le dos vouté à consommer sa cigarette d'une bien molle manière. Le levé de soleil récent se met à timidement inonder de sa douce chaleur l'ile de Tequila Wolf. Les yeux plissés, cernés et fatigués, l'individu aux cheveux châtains, le teint plutôt jeune et frais et vêtu d'une belle veste noire abritant un costume tout aussi soigné tourne le dos à ce joli spectacle pour capter la venue d'un homme.

Vêtu de la même manière et la tête couverte d'un chapeau à la forme classique et à l'allure classieuse, la différence d'âge entre les deux messieurs étaient évidente. Le cheveu et la moustache grisaillante, le senior se dirige vers le banc d'un pas léger et tranquille, ses mains enfouies dans les poches de son manteau. Le craquement du verglas se fait régulier pour petit à petit diminuer, à mesure que celui au chapeau s'approche du banc, pour s'assoir tout en fixant l'horizon.

-C'est que tu t'es levé bien tôt. Dit-il en tournant doucement la tête vers le jeune homme, lui le regard plongé vers l'imposant pont en construction au loin, vers sa droite.
-Pas fermé l’œil. Déjà à cause de ce froid mordant et de l'envie d'foutre le camp.
-Héhé, je sais bien que tu as envie de partir. Tu n'es pas le seul, cela dit. Mais...
-Ouais, j'sais bien que l'enquête est pas finie, Antoine. Le problème c'est qu'on est que deux à traiter cette affaire. Bientôt trois semaines qu'on est là à faire la même chose sans aucun résultat. M'enfin, ça va faire quelques jours que je cuisine un type. J'dois l'voir aujourd'hui, ça nous permettra de savoir ou non si la révo est dans l'coup. Faites que non, bordel de merde.
-Oh...oui, j'espère aussi de tout cœur qu'ils n'ont rien à voir la dedans. Sinon, nous ne sommes pas prêts de repartir d'ici. Et, pour ta gouverne, nous sommes trois sur l'affaire désormais.
-Trois ? Un nouvel agent ?
-C'est ça, en infiltration, directement sur le terrain.
-Bah merde, c'est qu'il a du courage. Bon, allez, pas envie d'me transformer en bâton d'glace et la dalle me tiraille. On s'voit plus tard.
-A plus tard Matthew, fais attention à toi.


***


Devant une banale enseigne, Matthew attend, cigarette à la main. Les yeux presque fermés par la fatigue et la température négative, c'est avec réconfort qu'il s'emmitoufle dans son manteau. Un caban différent de ce matin lors de la rapide entrevue avec son supérieur et coéquipier. Son allure est bien différente, à cette heure-ci. C'est un style plus naturel et modeste qu'il a adopté, un style plus « pratique » à adopter au vu de la mission qui l'attend. Une fois la cibiche terminée, l'agent entre dans le bistrot sans même attirer l'attention des clients et habitués. Faut dire que chacun s'en fout de chacun à Tequila Wolf. Rien à faire là-bas, la plupart tirent la gueule et n'ont que faire d'éléments étrangers au quotidien. Du moins, c'est ce que lit Matt sur la plupart des tronches qu'il observe un peu en allant s'assoir à une place libre. Même s'il est encore tôt, l'ambiance est déjà sympathique « Chez Marco ».

Commandant comme d'habitude un thé nature et le plat du jour -dès le matin, oui- le jeunôt quelque peu fatigué jette un œil à sa montre à gousset, soigneusement rangée dans une poche intérieur au niveau des côtes. Vu l'heure, son contact ne devrait pas tarder. Celui-ci n'arrive jamais en retard. Peut-être une seule fois, et encore. De toute manière, si personne n'est là à l'heure, Matt se casse. Il est comme ça, ouais, il a pas l'temps.

Mais fort heureusement, alors qu'il était sur le point de terminer sa tasse de thé, quelqu'un passe la porte du bar et se dirige vers le comptoir. L'inconnu, tapant dans la trentaine et le visage rougeaud soulignant ses traits de plus belle commande une bière avant d'aller s'assoir comme si de rien n'était devant celui qui a failli l'attendre.

D'un air hautain, Matthew ne lui accorde pas même pas un regard, au départ. Les yeux rivés vers la fenêtre à observer les maigres flocons tombants, il se décide à entamer le dialogue. Son interlocuteur, lui, à moitié allongé sur sa chaise à regarder l'agent, tirant un petit sourire provocateur.

-Alors ? Commença Matt en regardant l'homme dans les yeux.
-Ouais, non, elle y est pour rien là dedans.
-Sûr et certain ? Je vais pas me barrer pour me rendre compte ensuite qu'on me l'a mise à l'envers ?
-J'suis catégorique. Ca fait un petit moment qu'il se passe rien.
Matt soupire et jette un regard sur le côté. --Fais chier... cette histoire avance pas.
-Pourquoi ne pas aller y jeter un œil toi même ? De ce que j'ai compris tu as des contacts. Ils pourraient très bien venir te chercher dès que tu as trouvé tes réponses ?
-On m'a déjà proposé. Et c'est hors de question que j'aille foutre mon nez là-dedans. Surtout que j'ai appris ce matin que quelqu'un avait été envoyé pour fourrer son nez. J'ai eu d'la chance, héhé.
-Tant mieux pour vous, alors. Sur ce, tu voulais savoir autre chose ?
-Non, tant que j'ai ta parole sur votre « implication », ca me va. Tu pourras dire à ta « Mamie » qu'elle peut dormir sur ses deux oreilles. Après, c'est une fleur que je vous fais, hein. Personne ne veut se mêler davantage à ça, mais si j'apprends que tu m'as menti là ce sera tout d'suite moins drôle pour vous. Mais, dans le cas contraire, ça me retire une épine du pied.
-Nous n'avons rien à nous reprocher. Conclua la source de Matt avant de se lever sans même avoir touché à sa bière.

Sortant quelques minutes après son contact mystère tout en laissant un généreux pourboire sur la table, le bureaucrate s'empresse d'allumer une nouvelle clope pour en expirer la première bouffée qu'on l'alpague déjà.

-Alors ? Lui lance son partenaire Antoine, le dos contre un mur à observer les gens passer.
-C'est pas eux, ça vient de l'intérieur. Lui répondit Matthew du tac-o-tac avant d'entamer la marche. Les deux hommes marchent maintenant côte à côte. Ensemble, la prestance qu'ils dégage leur ouvre droit le passage dans la foule.
-Qu'est ce qui te fait dire ça ?
-Parce qu'on les tient par les couilles depuis le début, pardi. Si ils nous ont mentis, je reviens avec la cavalerie et on les crève tous.
-Ta décision reste tout de même bancale, et s'ils avaient grillés ta couverture ?
-C'est un risque à prendre, en effet. Lança Matt tout en haussant les épaules. Mais la n'est pas notre mission, on doit toujours s'occuper du bagne et pas chasser de l'avorton. Ils ont eu de la chance d'être tombés sur nous, putain.
-Exact, mais ne sois pas aussi bon à l'avenir, Matt. Car, eux, ne te rendront jamais la pareille.
-Peut-être.
-Enfin, que vas-tu faire, dorénavant ? Tu as une idée ?
-Ouais, ça fait un moment qu'on s'est pas foulé et j'ai pas envie qu'on s'en prenne plein la gueule. J'vais prendre les devants et attaquer le problème à la source.
-Développe ?
-Ils ont envoyés quelqu'un sur le terrain mais, seul, ça va être compliqué de couvrir autant de terrain, tu me suis ?
-Hum.
-J'ai appris qu'avant-hier un chasseur s'est battu dans une taverne et est en garde à vue, un colosse selon les dires. Théoriquement ça a envie de s'faire de la thune ces gens-là, non ?
-Va droit au but, ce genre de devinette me lasse.
-Si le problème vient vraiment de l'intérieur et que des bagnards sont enlevés puis revendus ou je n'sais quoi, le profil serait adéquat, non ? Au moins, personne ne se salit les mains et si il crève...dommage collatéral.
-Et si ton idée ne fonctionne pas ?
-J'convoque les gars. Mon père disait toujours « quand ça fonctionne pas, il reste toujours une solution : tout casser. »
    La première chose que j'avais senti en arrivant, c'était cette fine brise blanche qui était venue enrober ma peau de sa couverture froide, qui avait glissé furtivement et sensuellement sous mes nombreuses couches de vêtements pour effleurer mon épiderme et me refroidir de la tête aux pieds. La seconde étant le pressentiment que tout le long de ma mission elle n'allait jamais me quitter, j'avais dès lors - et ce depuis le début de cette éprouvante semaine - essayé de gagner du mieux que je pouvais de la distance sur les températures extrêmes qui ne cessaient de me secouer. Vibrante, je m'étais effectuée à accomplir les tâches ingrates de ma couverture tout aussi déplorable pour tâcher vainement de me réchauffer. En vain, le froid m'avait poursuivie sans relâche, jusque dans les douches communes, jusque dans les baraquements en se glissant discrètement sous mes draps la nuit. Il était omniprésent et pourtant les pauvres hères que je côtoyais nuit et jour y semblaient bien accoutumés, eux, ce qui rendait la chose encore plus malsaine.

    J'étais arrivée la semaine précédente avec toute une clique d'anciens forbans et de nouveaux esclaves qui s'étaient mis à claquer des dents simultanément avant même que la température de l'île n'aie pu se faire ressentir. Pour une grande partie, c'étaient des bras cassés voire même des pauvres civils ayant commis des petits délits, affublés à la peine pseudo-capitale de devoir travailler le restant de leur vie dans le plus grand bagne de cet océan, avec sa neige et son froid ambiant. Pour d'autres, des brutes épaisses, des pirates de grands chemins jusqu'aux types primés, mis à l'écart, surveillés étroitement. Et au milieu de tout ça, moi, avec mes ridicules menottes, dans ma ridicule tenue de bagnard sur ce ridicule rafiot. Et je me demandais alors, le nez baignant dans les odeurs de pisse et de déjections : pourquoi j'étais là déjà ?

    Depuis quelques temps, des disparitions avaient survenu dans le bagne, du côté des esclaves : les zigs disparaissaient par vagues de dix, vingt, trente, quarante de façon régulière et le phénomène n'avait été que très récemment reporté par la garde-chiourme en cheffe du coin, une certaine Polyantha Chapdeplomb. Au CP8, les agents étaient plutôt réticents à aller se peler les miches et jouer l’infiltration chez les esclaves, c'était pourquoi au moment où je m'étais proposée, idiote, niaise, stupide, je n'avais rencontré ni opposition, ni partenaire et à peine avais-je fini de dire oui que l'on m'avait d'ores et déjà étiquetée et expédiée dans ce fichu merdier. Et maintenant j'étais là, me faisant passer pour une esclave, dans le froid, après avoir subi un voyage malodorant avec des types de basse extraction, bons qu'à se conchier et se compisser sans prévenir ses camarades codétenus avant de relâcher leurs boyaux et vessies ; après avoir débarqué à l’extrémité des huit ponts et m'être faite traiter comme une chienne, une moins que rien et avoir connu un régime strict incluant soupe dégueulasse bourrée de laxatifs, trois heures de sommeil et vingt-et-unes heures de boulot abrutissant par jour. Ouais, je regrettais plus qu'amèrement de m'être proposée.

    - Plus vite, la borgne ! Sacrebleu c'est que tu fous rien, tiens prends ça ! Hé hé hé. signe l'un des contremaîtres du coin en me voyant bâiller aux corneilles, pensive, m'affublant d'un coup de tonfa sur les fesses.

    Jurant instinctivement sous la pression de la douleur, je me vois bien obligée de sortir de la torpeur de mes lamentations pour reprendre le travail à la chaîne. Menottée au pied d'un boulet rejoignant une chaîne avec ma palanquée d'autres esclaves pseudo-bagnards dont la majorité semble déjà née coupable. Puisque apparemment le bagne est quelque chose qui se transmet ici de père en fils et de mère en fille ; puisque l'on laisse les gardes-chiourmes profiter des prisonnières pour leur coller des polichinelles dans le tiroir - quand c'est pas les autres esclaves profitant de l'intimité des baraquements pour accomplir leurs basses œuvres - et que le travail des enfants semble davantage apprécié qu'illégal : il va alors de soi que depuis des siècles les esclaves sur Tequila Wolf se reproduisent comme des lapins... avec la chance d'avoir une espérance de vie très courte et une existence tournant autour du...

    - PLUS VITE !!

    Revenant au cours de la réalité une seconde fois, rappelée à l'ordre par le garde-chiourme de tout à l'heure qui vient soudainement se poster devant mon corps faiblard avant de me saisir spontanément par la mâchoire et me lancer brutalement dans la neige, non sans emporter dans l'élan le reste de la marche à cause du mouvement des chaînes.

    - Toi, ce soir, je viendrai dans ton baraquement et je peux te dire que je te manquerai pas, ma jolie. gronde la brute avant de s'éloigner aussitôt pour aller martyriser une pauvre gamine de neuf ans ayant laissé tomber sa charge malgré elle.

    Pour toute réponse je parviens à peine à réprimer un regard noir avant de me remettre debout avec mes malheureux camarades et ressaisir mon sac de ciment.

    Ainsi allait la vie, à Tequila Wolf.
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    Accompagné des deux factotum bien distinguable de par leurs accoutrements, le gardien de cellule progresse dans le couloirs où crèchent divers malfrats. Vol en tout genre, violences voir même un ou deux courageux ayant eu l'audace et la force de s'échapper du funestement célèbre bagne de l’île. A un moment, le gardien -homme de la quarantaine vêtu et coiffé de son uniforme de marin- s'arrête devant la cage semblant détenir la personne qu'Antoine et Matthew souhaitent rencontrer.

    -C'est ici. Prononce le geôlier en se tournant vers ses accompagnateurs. Il est arrivé dans une bar hier en début de soirée et s'est mis à dire qu'il cherchait quelqu'un, un type assez connu sur l’île. Un des complices du dit gars « recherché » était sur les lieux et est parti prévenir son pote. Ça n'a pas loupé, bagarre dans l'bistrot. Heureusement qu'une patrouille était toute proche des lieux sinon, ç'aurait pu empirer.
    -Dangereux, donc. Répondit Antoine, le regard dirigé vers le détenu, assis de toute sa masse contre le maigre banc menaçant de céder à chaque instant, devenu maintenant bien vieillot.
    -J'irais pas jusque là, m'sieur. Lui et les autres ont presque ravagés la baraque, certes, mais les collègues n'ont pas eu trop mal à le garder tranquille apparemment.
    -Bien, est-il toujours possible d'aller lui parler ?
    -Euh... si j'étais à votre place je me méfierais quand même. Lance le maton, une main derrière la tête. Il a la carrure d'un bœuf, ça vous retient pas si il pète une durite ?
    Antoine se tourne doucement vers son partenaire pour lui lancer un petit sourire, aussitôt renvoyé. -Ça devrait l'faire. Répondit Matthew avant de demander les clés de la cellule.
    -Comme vous voudrez, je reviens dans c'cas. Conclue le veilleur avant de repartir en arrière chercher les clés dans le bureau.



    Assis, les mains jointes et le regard vers le sol. Le captif ne prête pas attention aux deux individus venant d'entrer dans -pour le moment- son petit lieu de vie. Les poings liés et les pieds nus vêtu d'un piètre ensemble de taulard ; l'embastillé a l'air d'un sauvage, sans parler de sa longue et sale chevelure qui lui tombe sur le visage, et la barbe le masquant à moitié. Les agents avancent lentement pour prendre place face à lui. Au début silencieux, ne pensant qu'à l'observer, l'un d'eux décident alors d'entamer le dialogue.

    -Bonjour, Monsieur Horlfsson. Je suis l'agent Dassault, et voici mon collègue l'agent Eltmoor.
    Le prisonnier ne répond pas et garde la même posture. Patient et conciliant, Antoine ne baisse pas les bras et continue d'essayer de parlementer. -Pour faire simple, nous avons une proposition pour vous faire sortir d'ici. Ce n'est qu'une garde à vue mais... un destin tout autre pourrait vous être réservé.
    A ce moment, le golem totalement stoïque relève rapidement la tête pour fixer méchamment les deux hommes. -C'est une menace ?
    -Aucunement, vous ne connaissez pas la politique de l’île ?
    -Des gens enfermés pour construire des ponts toute leur vie.
    -C'est ça. Et vous ne pensez pas qu'un homme en pleine santé bâti comme vous et en plus inculpé pour violences ne sera pas une marchandise de choix pour les tortionnaires travaillant là-bas ?

    C'était pas la bonne réponse, ça. L'enfermé se jette tel un gorille sur les deux hommes posément assis dans un grognement incompréhensible. Retenu par ses chaînes aux mains et aux chevilles, il lui est impossible d'atteindre les agents Dassault et Eltmoor eux ayant déjà reculés, debout en position défensive. Alertés par le bruit, trois gardes déboulent dans la cellule armés chacun d'un fusil. Reprenant son calme, le furieux recule pour se rasseoir lourdement.

    -Ça va messieurs ?! J'suppose que vous en avez fini avec ce fou ?
    -Non, non, c'est ma faute. J'ai manqué de politesse envers ce Monsieur et il s'est emporté. J'en ai encore pour quelques minutes.
    -Ouais. Lança Matthew, avec dédain pour tourner la tête vers son « agresseur ».
    -Bien, nous restons à disposition.
    Antoine attend que les gardes s'éloignent pour se rasseoir ainsi que son coéquipier. Le regard perplexe, il reprend la conversation avant la crise de colère. -Vous avez mal interprété mes propos, je pense.
    -Moi je pense surtout qu'on devrait lui expliquer la situation bien clairement. Parce que ça m'a démangé de le coucher quand il a commencé à prendre ses airs.
    -Du calme, Matthew, nous ne sommes pas la pour nous battre. Calme toi aussi tes ardeurs. Lui rétorque Antoine, en bon instructeur.
    -J'suis calme, j'vais juste lui expliquer. Là, en fait, on peut t'éviter le pire rien qu'en sollicitant un peu tes services. Un chasseur, tu m'as pas l'air con mis à part tes sautes d'humeurs, t'as le physique et de ce qu'on sait t'en a déjà vu. Ici, quand t'as commis un crime, on peut s'arranger pour que tu termines au bagne. C'est ça qu'tu veux ? Ça peut aller vite.
    -Non. Répond simplement Hevrard.
    -Alors, on a besoin de quelqu'un sur le terrain pour mener une enquête.
    -Où ?
    Matt ne répond pas et plonge ses yeux dans ceux du costaud. Craignant comprendre, celui-ci change de regard et regarde Antoine à son tour. -C'est une blague ?
    -Malheureusement, non. Dit le plus vieux préposé en levant les sourcils, d'un air navré.
    -Eh bien c'est non, tout ça sent le coup fourré. Vous êtes suspect, qui êtes vous ? Je ne veux plus vous parler.
    -Qui on est ça te regarde pas. Mais braque toi si tu veux, on t'auras laissé une chance. Viens, on s'casse. Conclue le jeune brun en s'adressant à son collègue.
    -Bien.

    Alors que les deux types partent et ouvre la porte de la cellule, le grand les rappelle.

    -Hey.
    -Hum ? Lance Matt en se tournant à peine.
    -Combien de temps ? Et qu'est ce que je dois faire ?
    -Ah... bah tu vois quand tu veux. Répondit-il doucement. Le temps, ça dépend du temps que tu vas mettre pour faire ce qu'on t'dit. J'te fais pas de dessin, j'imagine ?
    -Compris.

    ***

    Trois jours plus tard

    L'arrivée

    Les deux gus gardent mes affaires, maintenant c'est guenille de forçat. Des disparitions ont survenues depuis un moment dans le bagne de Tequila Wolf. Selon les informations récoltés, les soupçons sont portés vers un complot interne. Je dois maintenant découvrir les responsables et la cause des disparitions si je veux pouvoir sortir et éviter de passer ma vie ici.

    Nous marchons tous, uniformément enchaînés l'un à l'autre entourés de gardes hurlant sur commande sur n'importe qui et surtout pour n'importe quel motif. En bout de fil, le malheur fait qu'une douleur dans le pied survient vivement. M'arrêtant quelques secondes à peine, un garde-chiourme me pousse au niveau de l'épaule en vociférant.

    -Avance !

    Suivi de quelques coups de matraque dans la cuisse, le dos histoire de s'amuser. La tâche n'allait pas s'annoncer facile, et je n'étais pas prêt de sortir de cet enfer.
      D'un œil morne, je regarde au loin le déchargement des nouveaux esclaves s'effectuer sur la berge située au bout du pont, cette partie artificielle toujours en construction qui permet systématiquement et de façon temporaire - au fur et à mesure que le pont s'achève un peu plus - un accès un peu moins en hauteur. Il faut dire que c'était ce qui m'avait surprise la première fois, lorsque j'avais vu la taille du monument : une structure gigantesque, la plus longue que j'aie jamais vu, s'élevant plusieurs dizaines de mètres au-dessus des eaux territoriales. Et seule l’extrémité de l'incroyable bâtiment baignait dans l'eau, de façon assez étrange, formant une longue pente appuyée sur de colossales parties de piliers émergées, ayant comme but de plus tard devenir deux de ces hauts pylônes se dressant hors des flots pour venir régulièrement soutenir les lourds segments en béton. Mais pour en revenir à la situation actuelle, entre deux brouettes de briques, je m'étais donc retrouvée à contempler furtivement le dernier débarquement, offrant le spectacle des nouveaux mâtons tâtant de leur supériorité psychologique, fendant la foule et donnant çà et là des coups de bâton pour montrer qu'ils sont les plus forts ici bas. Sans pour autant avoir un regard critique sur les conditions de vie des esclaves, je reste dubitative quant à la loyauté de ces hommes à qui le pouvoir pourrait facilement monter à la tête et éclipser l'idée qu'ils ne font pas cela pour eux, mais pour le Gouvernement Mondial. Car cette œuvre colossale n'est autre qu'un monument gigantesque à la gloire de l'institution : derrière le prétexte du bagne et de ses bagnards, la énième merveille sert à prouver aux opposants politiques la toute puissance de l'Ordre, comme c'est si souvent le cas. Et pourtant.

      Passant ma main sur ma joue endolorie, marquée d'un hématome bleu aux tendances violettes, je me rappelle la récente nuit que j'ai passé dans les baraquements, passant à un cheveu de devoir me faire violer pour ne pas trahir ma couverture. Cheveu sur la soupe, dirait-on. Heureusement et malheureusement à la fois, un homme pas étranger à ce qu'il était en train de se passer était intervenu. Un potentiel révolutionnaire, du moins pas le seul. On les entendait énoncés dans les chuchotements le soir, dans les histoires racontées aux enfants, dans les discussions au coin du feu et même au sein de celles des gardes lors de leurs parties de cartes arrosées à la vodka. Ils étaient là, majorité silencieuse sauf pour certains portes-paroles, possédant une once supplémentaire de pouvoir qui les amenait à commercer avec certains des contremaîtres corruptibles à raison de leur faisant miroiter une monnaie d'échange. Hugo Viktor qu'il s'appelait, mon prétendu sauveur. Pas un travailleur, même s'il en possédait les habits et les chaînes aux pieds comme nous tous, mais une sorte d'intellectuel officiant pour les services de l'administratrice du coin : un type qui avait su être reconnu pour ses valeurs et prouesses mentales et être utilisé comme tel.

      - Laisse la, elle vient juste d'arriver. avait-il dit en s'intercalant entre le garde-chiourme qui avait menacé de me faire payer mon inaction, quelques heures plus tôt, et moi.

      - Tu veux que j'te fasse voler du haut du pont, avorton ?

      - Pour que l'administratrice se demande ensuite où est passé son bibliothécaire préféré ? Tché. Tu devrais reconsidérer la chose, Moransky, si tu ne veux pas devoir retourner te peler les miches au Secteur 12.

      Je m'en souviens, l'homme lui avait alors dardé un regard noir mais étrangement impuissant, avant de se retirer en grommelant dans son épaisse barbe. Viktor lui, entre temps, s'était d'ores et déjà effacé de la scène pour rejoindre sa couche et bouquiner un livre épais et lourd. J'avais alors profité de ma situation, portée temporairement en victime et martyre pour la cause réactionnaire, pour en apprendre un peu plus sur le blondin. Et même si j'avais pu discerner sa fonction et son poste dans les propos que me tenaient mes voisins de chambrée, les conversations avaient cependant rapidement coupé court lorsque j'avais questionné dans le but de pouvoir l'associer ou non à la révolution du pays. Pour cela, du moins, on ne me faisait pas assez confiance.

      Du coin de l'oeil, j'observe donc les nouvelles recrues former des bataillons difformes, modulés par les gardes chiourmes découpant les rangs et séparant les foules de leur simple présence comme s'il s'agissait de lépreux. Là, les différents "régiments" sont séparés et les nouveaux gagnent le droit d'être envoyés dans les différentes sections de la dernière partie du pont. Instinctivement, je plains les hommes et les femmes retranchées à la Section 12, dont la réputation précède funestement le nom. Puis mon regard vient glisser vers le haut bâtiment en fer non loin, où se trouve le Quartier Général de l'administration avec, à son balcon, au dernier étage, droite comme un i et penchée sur sa rambarde, le corps svelte et délicat taillé dans un uniforme brut et chaud, l'Administratrice en Cheffe : miss Polyantha Chapdeplomb.

      Et alors que celle-ci disparaît dans ses loges quelques secondes après avoir pointé le bout de son nez et vrillé un regard détaché au tri en contrebas, je soulève la brouette qui est mienne et me remets finalement peu à peu au travail.
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      Antoine avance tranquillement, seul, dans les locaux menant au bureau de la Cheffe du Bagne qui n'est autre que Miss Chapdeplomb. C'est un long couloir, vide au mur grisonnant dont l'autre côté n'est qu'une grande verrière permettant d'avoir un regard en plein sur la fourmilière de bagnards juste en bas. Dès le matin, les ordres retentissent et toute la masse s'active, ceux sous les ordres les bras chargés de brouettes remplies à ras-bord. Juste devant une porte gardée par deux hommes, l'agent s'arrête et présente son « laisser-passer », à savoir rien du tout. Ce n'est pas la première qu'il vient s'entretenir avec la jeune dirigeante. Une fois dans son luxueux bureau généreusement chauffé, au tapis rouge et au mobilier verni semblant conçu à une précédente époque, le cinquantenaire retire respectueusement son chapeau. Polyantha, elle, est en train d'écrire allez savoir quoi, assise devant son imposant bureau.

      -Madame. Dit-il en approchant doucement.
      -Agent Dassault. Asseyez vous, je vous en prie.
      -Merci. Répondit-il pour s'asseoir ensuite tout en repliant sa veste. C'est qu'on étoufferait presque, là dedans, héhé.
      -Hm, on s'y fait. Renvoie-t-elle avant de stopper sa rédaction pour regarder son interlocuteur. J'ai du nouveau.
      -Oui ?
      -Alors. Commence Polyantha en tirant un épais livre usé par le temps de la bibliothèque juste derrière elle pour le poser sur la table et l'ouvrir. Curieux, Dassault se lève pour se mettre à niveau de la jeune femme pour en observer son contenu. -Ici tiennent tous les effectifs des bagnards au fil des années. Comme vous le savez déjà, l'endroit est divisé en douze secteurs comptant chacun à peu près deux-mille cinq-cent têtes.
      -D'accord. Acquiesce l'homme suivi d'un signe de la tête.
      -Systématiquement, les entrées ou pertes se doivent d'être reportés pour ensuite être enregistrées. Le souci étant que, la plupart du temps, les effectifs sont mal retranscris. Par fainéantise, probablement. -Oui, et donc ?
      -Je pense bel et bien que votre théorie se confirme peu à peu. Regardez un peu, la semaine dernière les effectifs du secteur douze annonçaient bien deux-mille cinq-cent âmes. Le message a été transmis comme quoi l'endroit manquait de main d’œuvre. Donc, plus une bonne centaine de personne y ont été envoyées. Maintenant, regardez les effectifs.
      -Ils n'ont pas bougés.
      -Vous voyez où je veux en venir ? Lança la ferme dirigeante.
      -En effet, c'est bien joué. Bon travail, Madame.
      -Je me dois quand même de faire régner l'ordre. Dit-elle avant de refermer l'épais bouquin.
      -Bon, je vais en faire part à mon contact sur les lieux le plus vite possible. S'il y a quoi que ce soit qui bouge, nous nous recontacterons.
      -Très bien, merci pour votre venue. Les responsables ne perdront rien pour attendre.

      ***

      Le regard dédaigneux rivé vers une scène des plus immorales que j'ai pu voir, à savoir une pauvre femme se faisant maltraiter pour des faiblesses répétées, je lançais un second regard meurtrier vers le garde près de moi, toujours heureux de pouvoir faire tâter sa grosse voix. Rien à foutre, je peux endurer ce genre de travaux manuels. Ils pensent aussi m'affaiblir avec leurs coups ou ce froid mordant, mais il n'en est rien. Cette brûlure causée par la glace, je ne la connais que trop bien. Combien de fois Thorgal me laissait torse nu dans le froid à mes seize ans pour m’entraîner à l'Absence, étrange pouvoir aux capacités me permettant d'ignorer la douleur quand c'est nécessaire.

      Poussant la brouette, j'en décharge les pierres massives pour les poser une à une sur mon « poste de travail ». Pour le moment, il me faut travailler et ne penser qu'à ça, les recherches viendront ensuite. Nous avons la pause pour manger et ensuite vient le moment de se coucher. Tout le monde est dans son baraquement, et les gardes tournent, moins qu'en journée d'ailleurs. C'est à ce moment qu'il me faudra agir. Faire attention aussi, pour ma vie. Ils n'hésiteraient pas à massacrer quiconque enfreindraient les règles. Bref, réfléchir à une manière d'agir, c'est la priorité.



      Assis sur la longue table à manger avec le reste des forçats, je m'étais placé un peu plus en retrait, nonchalamment assis et les jambes bien tendues. Mon voisin, lui mécontent du plat journellement servi a décidé de m'adresser la parole. Probablement dans la même tranche d'âge que moi, un corps semblant usé mais massif comme il se doit. Un corps de travailleur, sans parler de sa peau rosée et de sa calvitie.

      -T'es là pour quoi ? Me demande t-il.
      -Tu ne me croirais pas. Que je lui renvoie en continuant à vider mon bol. Et toi ? Demandais-je, toujours sans le regarder.
      Il pouffe, laissant apparaître de sinistres crocs jaunis. -J'me suis embrouillé avec mon beau-frère, on s'est battu et sa tête à claqué contre le pavé. Me suis barré en volant un navire et arrivé près d'ici j'me suis fait chopper. Les gars comme nous, c'est un peu trop « précieux » pour être tué tout d'suite, tu vois. Alors, à toi d'me l'dire, maintenant.
      -Je furette du regard autour de moi et me lance. -Des agents du gouvernement m'ont forcés à enquêter ici.

      A ce moment, la cloche retentit, signe que le repas est terminé. Dans le mouvement de foule, j'entends ce qui semble être un charmant jugement. Quoique, il n'y a rien de mal à ça, le bagne doit rendre les gens complètement aigri. Tous debout et en rang, c'est reparti pour du travail à la chaîne.

      « Encore un taré... »
        Les premières disparitions depuis mon arrivée avaient eu lieu le jour précédent, pendant la nuit. A cet effet, sitôt la journée terminée, je m'étais empressée de débuter la conversation avec mes nouveaux "amis", relativement bavards depuis l'altercation avec le gardien et Hugo Viktor. Ainsi donc, assez régulièrement, il arrivait que des prisonniers soient amenés à faire des travaux d'intérêt généraux supplémentaires durant les heures nocturnes, du style nettoyer les latrines ou bien déblayer les excédents neigeux sur les grands chemins. Tout aussi souvent, certains bagnards ne passaient pas la nuit, congelés vivants par la neige et les températures négatives qui sévissaient lorsque la lune était haute dans le ciel. Alors, on remplissait la paperasse et on les amenait à la morgue où les pauvres gusses finissaient incinérés pour que le lendemain leurs familles - quand ils en avaient une - découvrent la triste vérité, au réveil. Mais les rumeurs allaient bien plus loin et mes camarades de chambrée avaient finalement attaqué le pot aux roses pour lequel je m'étais déplacée : depuis quelques temps, ceux qui partaient faire leurs TIG la nuit ne revenaient plus, ils étaient tous déclarés morts, systématiquement. Et autre fait marquant, leur nombre ne cessait d'augmenter exponentiellement, passant de quelques décédés il y a quelque mois à plusieurs dizaines à la dernière fournée. Cependant, alors que le couvre-feu approchait, mes sources d'informations s'étaient rapidement tues quand un énième garde-chiourme était passé dans le coin pour ordonner de la mettre en veilleuse.

        Posant la tête sur mon oreiller aussi plat et sale que les draps dans lesquels je suis contrainte de dormir, je tourne et retourne la situation dans mon crâne, obsédée par les enlèvements dont je dois à tout prix devenir le témoin, sinon la victime : l'unique moyen d'en savoir plus. Ayant épuisé tout ce que mes voisins ont à me dire à ce sujet, je ne vois plus qu'une seule personne vers qui me tourner, celle qui possède un pouvoir décisionnel visiblement assez conséquent pour pouvoir expédier un garde-chiourme de l'autre côté du bagne. Patientant jusqu'à la prochaine ronde pour voir discrètement le gardien s'éloigner, je me glisse finalement hors de ma couche pour me rendre discrètement jusqu'au lit de mon congénère et le réveiller doucement.

        - Mmh... Hein ? Qu'est-ce que... commence l'homme tout en se décollant difficilement les yeux, encore endormi.

        - Du calme, c'est moi, Elizabeth. Je n'avais pas eu l'occasion de vous remercier et...

        - Cela ne peut pas attendre demain ? m'interrompt-il d'une voie caverneuse, reposant sa tête sur son oreiller pour faire mine d'essayer de se rendormir.

        Les sourcils légèrement froncés, je me décide à prendre des risques, dans l'espoir de pouvoir vérifier mes suspicions et pouvoir avancer. Avec un peu de chance, l'homme serait sensible à mes déclarations et me dirait ce qu'il sait, sinon je pourrais toujours retourner me coucher, gros-jean comme devant.

        - Écoutez, je suis de la révolution...

        Perturbé par un frémissement soudain, le bonhomme se dévoile comme je l'avais prévu, retournant son visage vers moi pour me faire face, intrigué par mes derniers mots.

        - ...et j'enquête sur les récentes disparitions de...

        - Comment êtes-vous au courant ? Elle a enfin demandé du soutien ? s'enquiert soudain Viktor, désormais totalement éveillé.

        Le cerveau probablement encore dans la brume, il n'en avait visiblement pas fallu plus pour que le binoclard se trahisse. Lui-même désormais savait qu'il n'avait plus le choix : il devait se confier à moi en espérant que je ne sois pas à la botte du Gouvernement Mondial. Et je savais très bien jouer le jeu.

        - Il a mordu à l'hameçon, t'es pas si mauvaise menteuse que ça, héhé.

        - Sssshhh... fais-je en réponse à la voix dans mon crâne, occasionnant à mon interlocuteur un regard perplexe, avant de me reprendre soudainement. Oui, nous avons été contactés par la cellule infiltrée ici et j'ai été dépêchée pour démêler la situation. L'heure est grave, j'ai cru comprendre qu'ils font des rafles toutes les semaines, c'est ça ?

        Jetant un regard inquiet derrière lui, à la recherche d'une oreille dissimulée dans un mur, l'homme me saisit l'épaule avant de se découvrir.

        - N'en parlons pas ici, il y a un autre endroit. On a logiquement dix minutes avant la prochaine ronde, ni plus ni moins, alors faisons vite. dit-il en enfilant la veste grotesque dont sont affublés les bagnards, procurant un tout petit peu plus de chaleur, avant d'ouvrir la voie vers... une trappe dans le plafond.

        ***

        Dissimulés dans une petite pièce obscure et incroyablement froide installée dans les combes, cela faisait bien quasiment dix minutes que nous nous étendions sur le sujet. Venant compléter les dires de mes autres informateurs, les dernières informations dépêchées par le révolutionnaire m'avaient finalement éclairci sur la situation. L'homme n'avait d'ailleurs cessé de me rappeler qu'ils luttaient ici aussi, avant même mon arrivée, piégeant des parties du chantier avec des explosifs, faisant disparaître les plus véreux des contremaîtres et tutti-quanti. En gros, qu'ils n'espéraient pas que je sois l'élément qui ferait tout changer, mais qu'ils ne pouvaient pas être sur tous les fronts et s'occuper aussi de cette affaire de disparitions. La révolution était bien présente oui, mais relativement mince comparée au nombre de "bagnards" qu'accueillaient les Huit Ponts

        - Et donc ce seraient ces deux là les responsables ? demandé-je, le visage à la fois fermé et faussement dubitatif, désireuse d'obtenir la confirmation.

        - Oui, peut-être, on en sait pas tant que ça, on les suspecte de n'être que des sous-fifres. Cependant ce sont bien eux qui sont systématiquement de garde lorsque les "disparitions" surviennent. Notre dernière tentative pour en savoir plus s'est soldée par un demi-échec. Nous les avons bien vus emmener des hommes, des femmes et des enfants, mais tous ceux qui se sont approchés d'un peu trop près n'ont plus donné signe de vie ensuite. Dans tous les cas, tout se passe au niveau des quais et... oh mon dieu le temps passe et ça va bientôt faire dix minutes !

        "Les quais et..." ? J'ouvre la bouche pour émettre une protestation mais le révolutionnaire me pousse inévitablement vers la sortie, m'obligeant bientôt à traverser la trappe pour rejoindre le dortoir avant de me délaisser pour rejoindre son lit précaire, non sans me faire un dernier signe complice avant de se rouler en boule dans son duvet. Légèrement hébétée, j'applique finalement son exemple, feintant in-extremis de dormir alors qu'un nouveau garde pénètre dans le bâtiment pour faire sa ronde.

        Peinant à dormir, à peine une heure après le réveil général est sonné tandis que le soleil n'a toujours pas pointé le bout de son nez. Il est l'heure de retourner au boulot et je sais où me rendre cette fois-ci. Saisissant automatiquement ma brouette de briques, seul travail permettant d'être libérée de la chaîne me reliant à un groupe de camarades, je fais voiles vers les quais - au bout du pont - espérant trouver le bâtiment où sont discrètement stockés les esclaves disparus.
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        Se déverrouillant d'un coup sec, éclatant les engelures qui envahissent les gonds et font grincer le fer rouillé sous la pression, d'un geste vif et rapide du bras j'arrive enfin à ouvrir la porte du container, après plusieurs minutes passées à gratter le contour de l'ouverture bloquée par le froid. Instantanément saisie par la vague de chaleur surnaturelle accompagnée de remugles infects m'obligeant à me couvrir le nez, le pan de ferraille vient alors s'ouvrir sur une pièce sombre, similaire à celles que l'on retrouve dans les baraquements, mais sans les fenêtres qui vont avec. Mettant un pied devant l'autre, je m'aventure finalement dans le noir complet pour venir fouiller à tâtons mes poches et en retirer un objet long et cylindrique que je gratte spontanément sur le côté de ma botte... et enflamme devant moi, dévoilant un paysage macabre et désolé qui ne manque pas de me surprendre, m'occasionnant avec l'odeur une quinte de toux soudaine. Et aussi promptement qu'elle a fait surface, la satisfaction d'avoir enfin trouvé une preuve à conviction, une piste, un indice s'éteint soudainement comme l'allumette qui vient me brûler les doigts.

        La longue semaine de travail en bordure du pont avait été particulièrement rude et abrutissante. Affublée de ma brouette remplie à ras-bord de parpaings, j'avais vaqué succinctement à diverses affaires et différents transports qui m'avaient intentionnellement amenée jusqu'aux quais. Obligée de feindre le travail forcé, j'avais néanmoins eu la maladresse d'être reprise plusieurs fois par mes contremaîtres qui n'avaient cessé de m'aiguiller vers un autre endroit où la présence de briques était nettement plus profitable à la construction, me contraignant à repousser systématiquement l'échéance jusqu'au crépuscule du sixième jour. Alors que le soleil commençait à rejoindre la surface de l'océan, j'avais donc réussi à tromper la vigilance des gardes et à pénétrer sans encombres dans le périmètre étrangement surveillé, abandonnant mes matériaux de construction pour me glisser entre deux blocs de ferrailles faisant deux fois ma taille, des "containers" dans lesquels étaient généralement stockées toutes sortes de choses, à savoir des chaînes, des boulets, des tenues de bagnards arrachées aux morts pour être refourguées telles quelles aux vivants... Bref, des gros blocs clos qui n'avaient strictement aucun intérêt à être gardés sous surveillance, chose qui m'avait délibérément confortée dans la véracité des renseignements que Viktor m'avait refourgué durant la nuit.

        Arpentant donc le coin dans tous les sens, faisant bien gaffe à ne pas me retrouver nez à nez avec un geôlier, je m'étais dépêchée d'ouvrir et crocheter les portes des énormes récipients pour y jeter des coups d’œil curieux, avant de les refermer soigneusement derrière moi. Et c'était finalement après être arrivée près d'un énième bloc en tôle rouillé et cabossé, hasardeusement fixé non loin de la berge et pourtant incroyablement discret dans le paysage, que j'avais trouvé mon "bonheur". Et donc, tandis que le soleil continuait à s'enfoncer sous l'horizon, laissant mourir ses rayons faiblards sur les vagues dentelées qui parsemaient l'étendue aqueuse, je m'étais vue obligée de saisir ma boite d'allumettes - un objet qu'Hugo Viktor avait récupéré lors de l'un de ses échanges quotidien et m'avait confié au petit matin - et de gratter frénétiquement les extrémités des petits bâtonnets pour en faire sortir des étincelles nécessaires à l'incandescence des surfaces noirâtres aux sommets.

        Fwoush !

        Allumant une nouvelle brindille pour pouvoir me repérer dans l'obscurité et regarder plus attentivement les éléments du décors, c'est avec un chiffon sur le nez que je me recroqueville au niveau du sol pour analyser la matière infâme qui tapisse le fond du caisson : un mélange auburn et marron foncé de différents fluides corporels que je devine trop aisément malgré moi. S'étendant en flaques et marres compactes s'écrasant sous la semelle pour mieux s'étirer en filets collants et visqueux, les déjections dament le sol comme un véritable échiquier. Mais ce n'est pas autant ce détail qui me choque que les marques rouges et les traces de griffures qui parsèment les murs en acier de l'endroit, comme tout droit sorties d'un film d'horreur, entaillant des fois la tôle tellement profondément que les striures argentées se réverbèrent sous le frémissement de la flamme qui s'apprête à me manger les doigts. Enfin, grillant une dernière allumette, croyant avoir aperçu un détail retenant morbidement mon attention aussi bien que mon appréhension à continuer mon geste, je m'avance vers ce qui ressemble de loin à un vêtement sale, noyé dans la tourbe, tordu et plat. Mais au moment où le faisceau vient agoniser légèrement pour ensuite se targuer d'une flamme plus grande et plus lumineuse, dessinant des jeux d'ombres sur les plis sales des reliefs du tissus, je ne peux m'empêcher d'avoir un brusque hoquet de répugnance et, le cœur brutalement soulevé, de me sentir instantanément obligée de joindre au tapis de fange mon frêle déjeuner, bileux et à moitié digéré.

        Délaissant spontanément derrière moi ma découverte macabre, une fois la bouche rapidement essuyée, je m'empresse alors de sortir pour prendre un bon bol d'air frais avant de cadenasser hâtivement le box à nouveau. Me précipitant maladroitement entre les containers pour rejoindre l'endroit où j'ai laissé ma brouette, mon esprit ne cesse d'être hanté par cette dernière vision qui s'est imprimée dans mon crâne, immuable, horrifique, me laissant sous le palais un goût amer et dans le nez une odeur de décomposition, sans pouvoir fuir ou oublier, sans pouvoir clore la paupière. Car irrémédiablement, dès le moment où je ferme l'oeil, je le vois, je le perçois : le visage, ce visage plié par la douleur, dans une dernière expression post-mortem, qui pourrait facilement me hanter jour et nuit...

        ...et qui avait un jour été celui d'une enfant.
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        En toute vitesse, je sors du complexe de boites rectangulaires en acier qui garnissent les alentours de la berge pour directement saisir les poignées rouillées de ma brouette de parpaings. Dardant un regard rapide à ma droite puis à ma gauche, je me mords discrètement la lèvre en espérant que ma débandade a réussi à passer inaperçue dans l'obscurité étouffante de la nuit hivernale qui ne fait que se renforcer. Et c'est dans un soubresaut soudain qu'au moment où je complète ma vision panoramique, une main me saisit abruptement l'épaule, resserrant fortement ses gros doigts calleux sur ma clavicule. Surgissant dans mon champ de vision, un vieillard au regard placide et à la bouche édentée me sourit vulgairement. Traînant une chaîne avec un boulet au bout, je souffle finalement en dénotant qu'il ne s'agit que d'un bagnard, un semblable qui a dû se perdre et malencontreusement me trouver. D'un geste de la main, je saisis donc rapidement celle du bonhomme pour lui intimer de dégager sa poigne de mon épaule et me laisser tranquille. L'action ne se fait cependant pas sans rencontrer un soupçon de résistance, avant que le bras du drôle de type ne retombe mollement le long de son flanc et que celui-ci, toujours immobile, ne reste à me contempler étrangement... presque avidement. Un mauvais pressentiment commence alors à naître en moi, quelques secondes avant que le vieillard ne se décide à prendre la parole pour m'informer de ses intentions.

        - J'tout vu m'jolie, qu'c'est quand qu'tu f'sais ta fouine sur l'quais, qu'c'est qu'tu cherchais bin que'qu'chose. Qu'c'pas très permis, tou'ça, t'sais. fait-il lentement, approchant à nouveau sa palme de mon avant-bras tout en me glissant un regard vicieux.

        Glissant furtivement ma main dans ma brouette pour agripper une brique, adoptant derechef une position défensive, un rapide coup d’œil autour de moi en parallèle m'oblige néanmoins à me raviser. Soudainement apparu au détour d'un baraquement, un maître-chien effectuant sa ronde menace de venir fouiner dans le coin, ce n'est donc qu'une question de temps avant qu'il ne nous alpague. Contrainte à marchander avec le vieil homme, je n'ai malheureusement d'autre choix sinon de céder à ses avances.

        - Qu'est-ce que tu me veux, le vioc ? Parle, vite.

        Visiblement content de voir que la chance lui sourit autant, l'opportuniste étire en seule et unique réponse un sourire désabusé.

        - Grouille, j'ai pas toute la nuit.

        Lâchant un vil ricanement digne d'une hyène, le bonhomme pointe enfin du doigt la boite d'allumettes.

        - Qu'c'est qu'j'veux ç-

        - Tiens, accordé, maintenant laisse-moi m'en aller. l'interromps-je tout en lui tendant brusquement sa convoitise avant de saisir rapidement ma brouette pour me préparer à détaler dans la direction opposée du garde qui n'est plus très loin.

        - ...et qu'j'veux voir ta p'tite culotte aussi.

        - Hein ? Quoi ? Non, hors de qu- commencé-je, les joues soudainement empourprées par la demande lubrique du sale type.

        - Qu'sinon j'hurle, toi d'voir.

        Peinant quelques secondes à mettre ainsi ma dignité et ma fierté de côté, un coup d’œil rapide en direction du garde finit de me persuader de déboutonner mon pantalon pour donner au bagnard ce qu'il veut. Il ne faisait absolument aucun doute qu'une grande partie des esclaves étaient aussi crapuleux que ce type-là et j'aurais, à ce moment-là, volontiers laissé de côté ma mission s'il pouvait lui arriver une fin similaire à celle du cadavre que j'avais retrouvé dans l’entrepôt. Reboutonnant dans un frisson mon bas de bleu de travail, je me retourne pour enfin prendre la tangente avec ma brouette au moment où un aboiement vient soudainement me glacer le sang.

        - Hé hé hé, trop tard.

        Me garantissant un sourire malsain, l'homme laisse échapper un rictus qui me met instantanément les nerfs en pelote, tandis que le contremaître vient nous interpeler.

        - Halte-là, qu'est-ce que vous faites par ici ? Les prisonniers ne sont pas autorisés dans ce secteur. Vos matricules et plus vite que ça.

        M’ôtant subitement à ma pétrification après quelques secondes de latence, je n'ai alors d'autre alternative que de baratiner pour gagner du temps et arriver rapidement à trouver une explication viable. Mais alors que je m'emporte dans un flot de paroles relatant mon après-midi et les événements sur le chantier qui ont précipité ma venue, construisant lentement mon alibi tout en faisant naître un sentiment de frustration et d'impatience sur le visage du garde-chiourme, une voix sèche et nasillarde vient m'interrompre : celle du vieillard, le rictus toujours sur les lèvres mais le regard encore plus mauais. A ses premiers mots je saisis alors la gravité de la situation : lui filer le paquet d'allumettes et lui montrer mes sous-vêtements n'avaient en réalité servi à rien, car il n'a jamais désiré honorer sa part du marcher. Ainsi, recherchant les bonnes faveurs de la bidasse, le gusse vient s'exclamer :

        - Oh, f'gurez-vous m'sieur l'agent qu'j'passais dans l'coin et qu'j'entendu du bruit ! J'vu la brouette alors j'cherché à qui l'appart'nait et qu'c'était cette fille. J'alors voulu rendre service je l'suiv-

        Brusquement interrompu par un violent coup de parpaing sur la tempe, l'homme s'effondre spontanément dans la neige, en sang, assommé sinon mort sur le coup. Puis bientôt c'est à mon tour d'être mise à plat, écrasée sous le poids du limier qui s'est propulsé d'un bond sur moi tout en me mordant brutalement le bras, avant d'être rapidement rappelé à l'ordre par son maître s'empressant de me passer les menottes pour ensuite me faire me redresser.

        - Eh bien, je ne suis pas certain de comprendre tout ce qu'il se passe, mais on dirait qu'on a trouvé un nouveau candidat pour les TIG de ce soir, félicitations ! conclue rapidement le contremaître, absolument pas troublé par le corps inerte du vieillard baignant dans son sang, heureux même il semblerait.

        Me poussant brusquement dans le dos à multiples reprises pour me forcer à marcher dans la direction qu'il m'indique, l'homme se sert alors de son autre main pour saisir un escargophone qui le met vraisemblablement en liaison avec son supérieur.

        - Oui, c'est Kavinsky. Une petite nouvelle pour ce soir, chopée près des quais. Yep, et puis un blessé à récupérer dans le coin et amener rapidement à l'infirmerie, salement amoché qu'il est. Ouep, bien reçu, à tout de suite.

        Continuant à avancer en parallèle de l'appel qui finit par se résoudre par un silence pesant, je trainaille légèrement devant mon baraquement que nous finissons malgré tout par dépasser irrémédiablement. Et tandis que je me demande où cette petite escapade nocturne va me mener, la réponse vient alors d'elle-même à travers un dernier ordre du maître-chien qui n'est visiblement pas satisfait de mon allure.

        - Allez, on se bouge, y'a du boulot qui t'attend... au Secteur 12 ! Héhéhé.
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