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Lol 5

Ils s'étaient beaucoup amusés sur Alabasta. La navette de la translinéenne n'y avait séjourné que trois jours avant de repartir, et eux étaient restés dans la cité portuaire de Nanohana et ses environs qui constituaient un formidable terrain de jeu pour Sigurd et Evangeline. C'était bien simple : la capitale économique d'Alabasta leur avait donné beaucoup d'occasions de brûler leur argent à bon escient.

Et suite à ça, ils avaient repris la mer, avec maintenant plus de la moitié de l'équateur de traversée avec leur équipage de la translinéenne et plusieurs autres voyageurs... qui changeaient de têtes à chaque escale ou presque.

Sigurd, qui participait librement aux manoeuvres des marins de l'équipage, se sentait déjà à l'aise avec cette mer aléatoire. Pas au point de pouvoir y faire ce qu'il voulait, mais bien assez pour reconnaître dans les hommes de la translinéenne les qualités qui étaient nécessaires à ces voyages. Il s'agissait surtout d'expérience, car un homme averti en valait beaucoup plus que deux, ici. De l'expérience, ou de la pédagogie pour entraîner les autres.

Et maintenant, ils n'allaient pas tarder à rejoindre une nouvelle destination. Jaya.

Une île dont l'historique arracha une grande série de rires nerveux, forcés et diablement désabusés au chevalier de Nowel. Il s'empressa d'aller chercher sa partenaire pour partager son désespoir.

-Oui, c'est la fiche d'île, déclara-t-elle en voyant la brochure touristique qu'il lui tendait. Et?
-Ben je comprends encore beaucoup moins de choses du coup. En amont d'Alabasta, on a Little Garden la magnifique. Une île de merde sur laquelle absolument personne n'a envie d'établir une route marchande parce que y'aurait qu'un débile absolu pour envoyer des hommes et du matos et plein de marchandises traîner toute une année sur un îlot infesté de dinosaures, qu'est une étape obligatoire et où y'avait pourtant absolument personne quand on est passés devant. Rang S pour la crédibilité. Donc déjà pour arriver sur Alab' c'est vachement rigolo.
-Ça doit être la troisième fois que vous me faîtes une crise à ce sujet...
-Mais parce qu'à chaque fois je trouve un truc de pire à rajouter, regardez! Maintenant je viens d'apprendre gentiment que juste après Alabasta, il y avait une PUTAIN DE ZONE DE GUERRE INFESTÉE DE PIRATES QUI IMPORTAIENT DES MECS DU MONDE ENTIER POUR SE FOUTRE SUR LA GUEULE ET SAVOIR QUI SERAIT LE PLUS MÉCHANT PIRATE DU MONDE. C'est complètement délire, enfin! Comment n'importe quel pays de cette voie peut être plus riche que nous alors que c'est mécaniquement impossible de commercer dessus? Je parle même pas des logs et délais et des voyages à sens uniques, je parle d'une guerre qui fait office d'impasse à quiconque sort d'Alab'. C'est des pirates contre des pirates, donc des brigands et des voleurs par-tout. Alors franchement mais merde, quoi! Vous, vous pouvez m'expliquer comment faisaient les gens à ce moment?

Comme toujours, Dogaku ne faisait preuve d'aucune discrétion quand il se plaignait vertement. Et comme toujours, son discours parvenait à capter l'attention des personnes alentours... parfois pour leur plus grand malheur.

En l'occurrence, Sigurd venait de prendre à partie le capitaine de leur navire, et le regardait comme si tout était de sa faute, à lui le professionnel de l'équateur.

-Alors, nos marchands? Ils faisaient ou ils faisaient pas? Y'a une logique dans l'univers que j'ai loupée? Les marchands faisaient des demandes de quêtes pour que des tornades les fassent changer de voie et évitaient Jaya dans la foulée?
-Je ne... sais pas du tout...
-Et vous alors, dans la translinéenne. Vous passiez par cette île, non? Personne vous attaquait?
-Certains ont essayé, mais... nous faisions attention... je pense...
-Comment ça vous pensez? Vous saviez oui ou non?
-Eh bien... je... je ne sais pas, non!
-...

Cette fois, les choses commençaient à devenir trop pour Dogaku, et il le sentait bien. Alors, plutôt que de piquer sa crise en public et de devenir désagréable, il préféra saluer tout le monde pour s'en retourner à sa cabine. Il lui fallait autre chose. Quelque chose de mécanique, d'idiot et prenant pour se vider le crâne.

Il hésita très fortement entre le tir au fusil et le remplissage de mots croisés. Car pour quiconque avait son niveau en la matière, c'était un passe-temps mentalement peu gourmand.

Et finalement, il se réfugia dans la vigie avec quelques livres et autant de sacs de cartouches pour faire un peu des deux. Il en aurait bien besoin. Car il le pressentait déjà, il allait détester Jaya.


*
* *
*


-Putain c'est cool ici!

Ou juste avoir une excellente surprise. Il adorait l'endroit. Il adorait surtout ses habitants. Des gens fraîchement délestés d'une influence pirate omniprésente, armés de la ferme intention de faire de leur chez eux, de leur Jaya, de leur île, un royaume digne de ce nom. Ici, les pirates n'étaient pas bienvenus. Pas besoin de marine pour le leur faire savoir. C'étaient les habitants eux mêmes qui faisaient le nécessaire pour garder l'endroit propre. Un genre d'initiative locale qui ravissait Sigurd au plus haut point, tant il était partisan de ce genre de choses. La marine mondiale et la révolution pouvaient très certainement se révéler utiles ou essentielles pour réguler les flots de criminels et assurer la quiétude de chacun, mais cela ne devait en aucun cas dédouaner les gens de s'impliquer dans leurs sécurité. Et encore moins de devenir dépendants de ces factions. Par civils, il voulait qu'on comprenne individus indépendants et responsables, pas des drones décérébrés tout juste bons à servir de bétail et de statistiques inféodées à des organisations en soif de légitimité.

Et sur Jaya, un royaume jusque là abandonné de tous et dont les habitants étaient maintenant livrés à eux mêmes, voir ces volontés volontaires signifiait énormément pour Dogaku. Il était particulièrement sensible à ces choses là.

Outre ses habitants, c'était de toute manière toute l'île qui s'avérait intéressante. Tout était à refaire et à construire, ici. Le besoin était conséquent et véritable, et les locaux avaient la volonté de porter dignement leur pays jusqu'aussi haut qu'ils le pourraient.

La même attitude que les marchands du port de Reverse, et surtout, la même attitude dont lui même -et beaucoup d'autres- faisaient preuve chez lui. Dans la cité de Norland, ils exhortaient quiconque en avait les moyens de contribuer à la prospérité de la ville. Par la richesse, ils obtenaient sécurité et liberté.

Et en incorrigible idéaliste, il ne souhaitait que de bonnes choses à quiconque nourrissait le même projet pour son chez soi. Il voulait les aider, d'une manière ou d'une autre. Et il espérait bien qu'il trouverait quelque chose, un projet commun que lui ou un de ses confrères de Luvneel pourrait aider à accomplir... en y trouvant ses intérêts dans la foulée. Monétaires à défaut d'autre chose si nécessaire. Même en faisant preuve de bienveillance, il fallait assurer sa propre pérennité avant de permettre celle des autres.

-Et votre esprit de Nowel, c'est pas contradictoire?
-À part ma famille et quelques bonnes surprises, j'ai jamais eu de cadeau tombé du ciel. Tout ce qu'on a, on en a chié pour l'obtenir. Doooonc... nan. J'essaie d'être sympa, mais j'arrive pas à être désintéressé.
-Eh. Je vois.

Le plus surprenant dans tout ça, c'était que sur Jaya... on le reconnaissait. Certaines personnes avaient guetté leur arrivée. Haylor et Dogaku correspondaient parfaitement au profil espéré sur Jaya. Pour certains, leur situation jouait énormément, et on se disait qu'attirer des nouveaux riches profiterait au royaume. Pour d'autres, c'était la réputation des deux derniers chevaliers de Nowel qui les rendait désirables. Ce qu'ils avaient fait sur North Blue, sur Panpeeter, sur Luvneel, constituait autant de preuves de leurs talents, de leur énergie et de leurs dispositions. Les voir s'intéresser à Jaya était un vrai plaisir, ainsi qu'une chance inespérée ; on avait littéralement besoin de personnes de leur genre, ici. Il y avait tant à faire pour reconstruire le pays...

-J'ai l'impression qu'en construction, vous êtes en pleine bulle ascendante... ça mobilise les forces, ouais. Mais à part ça, qu'est-ce que vous faîtes?
-Hum?
-Si vous voulez grandir, va vous falloir trouver un moyen de gagner en richesse. Votre spécialisation du moment, c'est très clairement le bâtiment. La cité Caravelle en fait très bon exemple. Ça se voit que c'est une ville qui vit et qui respire, en construction constante, rapide comme un champignon, mais super bien exécuté. C'est propre. Pour le moment, vous carburez à la volonté, c'est chouette. À terme, par contre, qu'est-ce que vous allez faire?
-Nous trouverons bien. Ce ne sont pas les possibilités qui manquent. Nous sommes extrêmement bien placés. À mi chemin entre water seven et Alabasta. Deux îles qui ne produisent pas tout ce dont elles peuvent avoir besoin, pour parler dans vos termes.
-J'imagine très bien ce que vous dîtes...

Ça ne faisait aucun doute, Sigurd allait prendre son temps pour visiter la ville et s'émerveiller de ses progrès accomplis en l'espace d'une année, depuis l'expulsion des pirates de Teach. Il voulait s'en faire expliquer autant que possible sur l'historique récent de la ville, ses différents quartiers, la typologie de sa population, les tendances culturelles...

Ainsi que les meilleurs restaurants de l'endroit et les spécialités locales. On ne se refaisait pas.

Il y avait une autre chose qui ne changeait jamais, également. Comme tant d'autres, cette Jaya lui semblait minuscule.

-C'est vrai qu'une partie de l'île a été expulsée hors d'ici? Qu'avant ça, Jaya était plus grande?
-Ooh. Ça remonte à longtemps, ça. C'est des siècles et des siècles. Mais eh... vous venez de Luvneel?
-Ouais?
-Vous connaissez Norland, son histoire?
-Ouais. Et?
-La cité d'or disparue, le mensonge qui l'a conduit à la mort?
-Le morceau de terre qui a été expulsé dans... oh merde. C'était ici? Sur Jaya?

La légende de Norland était un conte, au même titre que le grand méchant loup ou Hansel et Gretel. Bien sûr que Sigurd en entendait parler. Il avait vécu dans un royaume de la périphérie de Luvneel, dans son aire d'influence. Aujourd'hui, il s'était établi dans une ville qui portait le nom du voyageur, et qui tentait une nouvelle fois de faire honneur à ce nom d'homme des mers. Une poignée d'historiens s'étaient succédés pour, qu'au moins dans Luvneel, le nom de l'homme retrouve sa valeur. C'était aussi pour ça que le coeur économique du pays avait repris son nom.

Et Sigurd savait tout. L'île céleste, la région envolée.

Ce qui faisait naître davantage de questions qu'il ne pouvait en résoudre.

-Et juste comme ça... comment ça se fait?
-Mmh?
-Comment c'est possible que les trois quarts d'un pays prennent l'ascenseur et se retrouvent catapultés à... on la voit d'ici, l'île céleste?

Dogaku leva les yeux au ciel, par simple curiosité. Il avait déjà vu Weatheria survoler Luvneel, et s'amarrer dans sa cité marine. L'îlot flottant lui avait davantage fait l'effet d'une soucoupe volante que d'autre chose. Mais les anges de l'endroit lui avaient confirmé que les autres îles célestes étaient infiniment plus grandes. Et pourtant, il ne pouvait rien voir.

-Non, verrez rien. Skypea est trop haute. Et trop éloignée.
-Et comment le plus gros de Jaya a pu se faire éjecter trop haut et trop loin pour qu'on le voit d'ici?
-Ben... un très grand cataclysme... il parait.
-...
-C'était il y a des siècles, vous savez?
-...
-C'était... exceptionnel!
-...
-...
-Vous savez... chuis du genre gentil pigeon qui décide de tout croire en considérant que les gens n'ont pas de raison de lui mentir... et j'me dis d'habitude que plus c'est gros et débile, plus ça passe facilement...
-...
-Mais là j'ai juste beaucoup, beaucoup, beaucoup d'mal à vous croire.
-Et c'est précisément pour ça que Norland est devenu un menteur. Et un mort.
-Qu'est ce que ça a pu être? Un séisme? Une tornade? Une rétro-météorite ascendante? Une anomalie gravitationnelle?
-Vous dîtes n'importe quoi.
-J'essaie précisément de comprendre et de justifier un truc qui relève du n'importe quoi, c'est pas avec des trucs normaux que je vais y arriver.
-Peut être le logia de la gravité qui...
-Rhoo putain. Encore des démons?
-Je plaisante. En fait, nous sommes quasiment sûr que c'était... un geyser.
-Eh?
-Knock-up stream. Connaissez?
-Pas du tout. C't'une technique? Coup spécial?
-C'est un geyser géant. Ils sont rares, et dangereux. Monstrueusement. Dangereux.
-Au point de lourder des îles hors de vue?
-On n'a vu ça qu'une seule fois dans le monde. Sur Jaya.
-'Tah. Vous parlez d'une exclu'. Et d'où est-ce que ça vient, un knock-up? Z'en avez souvent, des comme ça?
-Ils sont localisés, oui. C'est de la géologie. Je ne suis pas géologue. Je ne peux pas vous aider.
-Et y'a un géologue, sur Jaya?
-Hein? Non.
-Mwarharharh. Ben c'est bête. Si ce que vous dîtes est vrai... il faudrait.

Sigurd réfléchissait. Son interlocuteur n'avait pas l'air d'avoir relevé ce qu'il disait. Et pourtant...

Sa technique fonctionnait. Rien qu'en discutant de tout et de rien avec un correspondant local, il trouvait ses idées. Encore trois heures comme ça, a explorer la ville et apprendre sur elle, et il saurait quoi faire.


*
* *
*



-Et donc... il y a des révolutionnaires ici aussi. Je ne devrais même plus être surprise, j'imagine?
-Luvneel, Reverse, Jaya... notez le parallèle. Dès que des personnes cherchent à faire ce qu'il y a de mieux pour améliorer leur communauté... on y retrouve des cellules révolutionnaires.
-Je déteste ce parallèle, répondit Evangeline en se joignant à son guide.

Le visage de Lothar se fendit d'un sourire tandis qu'ils précédait sa protégée dans les profondeurs de Jaya, là dessous. Dans une cité souterraine qui n'était rien de moins que la contrepartie obscure de la cité Caravelle. Dans d'énormes cavités rocheuses naturelles, vestiges d'une gigantesque nappe phréatique désormais asséchée et recyclée en ensemble d'infrastructures troglodytes. Il y avait des maisons, là dessous. C'était peut être ce qui surprenait le plus la demoiselle lors de son passage dans ce qui faisait office de rues sous la surface. Des maisons, des commerces, et toute une vie. Mais il y avait surtout des forges, des casernes, des entrepôts et des camps de fortune qui préparaient ce que Jaya avait de pire à proposer au monde.

Une armée de révolutionnaires.

Haylor ne pu s'empêcher de rire ouvertement devant cette magnifique révélation. Une horreur. Ça allait au delà de tout.

-Si Sigurd savait ça, je crois qu'il vous tuerait tous. Rien qu'en vous dénonçant.
-Mais vous ne lui direz rien, n'est-ce pas?

Elle ne répondit pas. Non, elle ne lui dirait rien... mais elle n'en penserait pas moins. Elle n'en dirait pas moins, surtout.

-Pour que vous dépêchiez plusieurs de vos espions pour essayer de nous tuer?
-Nous ne fonctionnons pas comme ça, répéta Lothar pour ce qui lui semblait la vingtième fois depuis le début de leur voyage.
-Et je ne vous crois toujours pas.
-Nous essayons de faire les choses bien. Et vous faîtes des choses bien. Vous les faîtes mieux que nous.
-Et nous sommes des obstacles.
-Non. Des éléments neufs et une continuité à la révolution. Si tout le monde était comme vous, il n'y aurait pas besoin de révolution.
-Oh. Je n'attendais pas ça. Un nouveau compliment?

À nouveau, l'homme se contenta de sourire pour laisser ses paroles imprégner la jeune femme. Lothar Einschuld était un membre de l'escorte des deux HSBC. Un milicien de Luvneel, du moins en couverture. C'était surtout un agent de l'armée de Freeman, trop discret et utile pour le titre de valet. Et sa présence ici était avant tout politique. Sigurd et Evangeline jouissaient d'une popularité inégalée dans de nombreuses provinces de Luvneel. La raison même pour laquelle un chevalier et des miliciens constituaient leur escorte. Qu'un révolutionnaire soit aussi impliqué leur aurait fait mauvaise publicité. Mais que l'information se cantonne aux rangs des sympathisants révolutionnaires du pays, et subitement, le mouvement de Freeman s'offrait une grande publicité. En protégeant une figure du pays dans un voyage dangereux, ils se montraient utiles, impliqués. Et même foncièrement nobles et honnêtes, quand on savait que Dogaku ne perdait pas une occasion de rencarder publiquement les révolutionnaires en cas d'action douteuse.

Mais au delà de tout ça... il y avait Haylor. Qui était moins tranchée sur les gris. Qui avait plusieurs amis dans leurs rangs, et tolérait leurs avis. Qui ne voyait pas de problème à entrer dans leurs cercles, sans nullement s'impliquer. Qui se tournait volontiers vers eux pour quémander leur aide en cas de besoin, autant qu'elle répondait à leurs sollicitations. Son objectif, c'était l'entraide, une collaboration harmonieuse entre les groupes.

Or, parce qu'elle était l'égale de Dogaku, et qu'elle l'influait constamment, elle était doublement importante. Il était impossible pour les gris de leur faire rejoindre les rangs du dragon, à moins d'une bonne surprise. Mais Lothar pouvait définitivement l'orienter de manière à en faire une alliée. Et il avait raison: elle connaissait son statut depuis la semaine précédent leur départ de Luvneel. Et elle n'avait rien dit, à qui que ce soit. Le chevalier de Bernhard était trop intègre pour ne pas le faire savoir à Sigurd, à moins qu'elle n'ait réussi à lui arracher une promesse. Mais il n'y croyait pas ; rien dans le comportement de Werner n'indiquait qu'il le sache. Pas de surveillance ou de réaction étrange lors de ses allées et venues. Il n'était qu'un chevalier de la capitale, trop ennorgueilli de ses honneurs pour réellement s'intéresser aux miliciens à ses ordres. Sans surprise, c'était avec Sigurd qu'il s'entendait le mieux, et passait le plus de temps. C'était aussi lui qui l'escortait personnellement quand ils se séparaient... comme c'était le cas ici.

Lothar, lui, s'était naturellement imposé comme le protecteur d'Haylor. Un statut que la jeune femme avait appuyé spontanément, de manière surprenante. Mais sans entrain non plus. L'agent du réseau de Freeman était un compagnon intriguant, et qui disposait de nombreuses réponses aux questions qu'elle se posait sur les gris. Pour autant, elle s'en méfiait toujours. C'était un révolutionnaire. Elle savait ce qu'il faisait, et ne l'oubliait pas.

Mais pour autant, elle y trouvait son compte. Sans lui, elle n'aurait jamais su pour Jaya. En ce qui concerne là-dessous.

-Mais toute cette activité... et toute cette hargne...
-Ces gens ont connu un enfer. Vous vous souvenez des esclaves, non?

Leur passage sur Reverse. Pour faire comme sur Luvneel, ils avaient attaqué des pirates. Ils voulaient leur navire. Et s'étaient dirigés, sur un coup de tête d'Haylor, vers des esclavagistes. L'occasion pour Lothar de marquer un grand coup dans son argumentaire. Les agents de Freeman faisaient de ce combat une des priorités, et ce qu'elle avait découvert montrait comme c'était nécessaire.

-Oui?
-Beaucoup des hommes d'ici ont été des esclaves. Et l'ont longtemps été. Ceux que l'on a vu sur Reverse étaient encore honorablement traités. Ils étaient destinés à être revendus avec une certaine marge,  ils avaient des talents. Les gens d'ici, par contre... c'était pour de l'agriculture ou de l'exploitation minière. Du bétail bon marché. Ils ont connu le pire. C'est justement avec cette hargne, comme vous dîtes. Qu'ils ont eu l'énergie de construire Caravelle.
-C'est quand même... très dommage. Non?
-Qu'ils aient construit cette ville?
-Qu'ils préparent une armée. Pour quoi faire, d'ailleurs?
-Vous n'avez qu'à leur demander. Je compte vous présenter.
-Vous dîtes ça sérieusement?
-Vous ne voulez pas? Ce ne sont pas des sauvages. Si vous les rencontrez... vous vous ferez votre avis.
-...
-Ce n'est pas dangereux. Réfléchissez plutôt. Tout le monde sait que je me charge de vous. S'il vous arrive quoi que ce soit, nous prendrons tellement cher sur Luvneel... je ne peux pas faire ça.
-Mmh.


*
* *
*


En effet, ils n'étaient pas dangereux. C'étaient des partisans, animés d'une ferveur qu'on ne trouvait que rarement ailleurs. Ce qu'elle et son partenaire avaient perçu comme un devoir civique, une morale personnelle, n'était que la face visible d'un engagement aux racines bien plus sombres. Haylor et Dogaku s'étaient mis en tête de porter leur cité portuaire jusqu'aux hauteurs parce qu'ils aimaient cette ville, tout simplement. Ils pensaient que c'était une bonne chose à faire... et enchaîner les petites victoires tous les mois était à chaque fois un bonheur.

Mais on reconnaissait là dedans la belle griffe de Sigurd, qui posait son empreinte bon enfant sur Luvneel. Sa façon de voir et de faire les choses était délicieusement contagieuse, surtout maintenant qu'il avait fait ses preuves. À l'inverse, sur Jaya, il n'y était aucunement question de bonheur ou de plaisir ou de satisfaction quelconque.

Ce qui animait ses interlocuteurs, c'était tout le contraire. Les récits qu'ils partagèrent avec elle sur Jaya, sur leur vie et leurs aspirations firent frémir son empathie à diverses reprises.

Elle n'en saurait pas plus, toutefois. Ce serait tout pour aujourd'hui.

-Nous devrions rentrer. Ils pourraient s'inquiéter.
-Déjà?
-Je n'ai pas la moindre envie que Werner remarque notre absence de la surface, explore la ville à votre recherche et qu'il tombe miraculeusement ici. Retour à Caravelle, pria le révolutionnaire.
-Hihihi. Ce serait presque aussi terrible que si Sigurd le faisait.
-Et je préfère éviter. Pas envie que tout le monde finisse en petits morceaux.
-Hihihi. Certainement. Une autre fois, dans ce cas?
-Nous avons plusieurs jours.

L'ascension de là dessous à Caravelle n'était pas que du plaisir. Les diverses voies d'accès aux cavernes et galeries des sous sols de Jaya étaient aussi cachées que protégées, et laborieuses à emprunter pour quiconque n'avait pas de guide avec lui. Pour de très bonnes raisons: déjà, une garnison de marine s'était posée ici. Un cocktail explosif.

-Je dois vous avouer que... j'ai de la peine pour lui. Sigurd. Il aime vraiment Jaya. Ce qu'ils pourraient en faire. Et j'aime l'entendre parler de ce qu'il pense des habitants de cette île. De ce qu'ils pourraient en faire. C'est vraiment agréable. Il rêve et voit les choses en grand et propose des dizaines d'idées plus invraisemblables les unes que les autres qui peuvent pourtant très bien marcher. Mais en voyant tout ça... il serait dégouté. Horriblement déçu. Penserait que c'est un gâchis ridicule. Il serait en colère, et s'en voudrait d'avoir encore été aussi crédule. Ça le minerait pendant des jours, et...
-Et?
-Impossible de savoir. On parle de Sigurd. Il serait capable de tout et son contraire. Et c'est d'ailleurs pour ça que vous préférez tenter votre chance avec moi plutôt qu'auprès de lui.
-On irait droit au mur, plutôt, corrigea Lothar.
-Oui. Je suis beaucoup plus attentive. Mais quand même. Vous savez qu'un jour, je lui dirais tout ça?
-Ne vous pressez pas trop.
-Je ne compte pas le faire.
-Haha. Ça, je l'ai bien remarqué. Vous ne l'avez pas encore fait. Vous ne le ferez jamais. Ce serait conflictuel.

À cette remarque, Haylor sembla se ratatiner. Elle resta silencieuse. Parce qu'il avait vu juste. Elle n'avait pas du tout le même point de vue que son partenaire sur ce que pouvaient être les révolutionnaires. Et compte tenu de leur poids dans Luvneel, il y avait un sujet. Pour lui, ils étaient dangereux. Seulement des profiteurs. Il ne voyait pas la bonne volonté qui donnait lieu à tous leurs sacrifices. Ils pouvaient être utiles, et voulaient être utiles. Elle leur donnait régulièrement leur chance, et ils ne la décevaient pas. Alors, elle s'était faite son opinion. Et la gardait secrète. Elle ne lui dirait rien. Lothar l'avait compris.

Le milicien ne répondit pas. Il pouffa seulement d'un air amusé. S'il savait qu'il perdait son temps, il n'essaierait même pas. Il n'aurait même pas été dépêché ici. N'importe qui pouvait faire office de chien de garde pour protéger des civils utiles à la communauté ; des combatants dotés du sens des responsabilités, les gris en avaient à la pelle. La raison de sa présence à lui dans cette escorte, c'était l'influence qu'il pouvait avoir sur les orientations et la sympathie d'Haylor.


*
* *
*


-Eeeh! Alors, votre journée?

Il s'était tout de suite tourné vers elle, le visage rayonnant seulement du fait de son retour. Il la prit par la main, elle lui enlaça le bras. Leurs joues se frôlèrent délicatement, ils n'eurent pas besoin de plus.

Sigurd était juste d'excellente humeur par tout ce qu'il découvrait ici, et ravi de la retrouver pour partager tout ça. Ravi de la retrouver tout simplement, aussi.

Ils allaient passer encore quelques jours ici, avant de repartir. Découvrir à nouveau, explorer davantage. Déjà, Sigurd se préparait à contacter quelques bons compagnons de Luvneel pour les tenir informés. Comme après leur séjour à Reverse, Haylor et lui avaient de nombreuses choses à traiter. Ce n'était qu'un passage, et ils dépoussièreraient les bases. Il était pourtant décidé à faire quelque chose de Jaya ; elle, probablement moins. Mais il ne le vit pas.

Et c'est sur ces agréables projets qu'ils finirent leur journée, attablés avec l'ensemble de leur suite dans l'une des meilleures auberges de la ville. Le reste de leur soirée ne serait que plaisanteries et bonne humeur, rien de moins.
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