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Rage


Résumé de l'épisode précédent:


Petit point de la situation géopolitique

Carcinomia avant l'arrivée de Loth...

- Le Roc dirigé par le clan Darkness et son chef, X-Bronze.
- Favela dirigé par Foster Burn du clan Burn.
- Virus dirigé par le Parefeu, un conseil de deux sages issus du clan Avast.
- La Jungle dirigée par l'Arbre à Palabre, un conseil de trois scientifiques, à leur tête Barnaby White.
- Palafitte dirigé Johnny Blue du clan Wave.

Situation au Roc, 30 min après la tentative de putsch ratée de Jack Black contre X-bronze...

- De violents combats autour de la capitale signalés.
- Plusieurs fiefs des fidèles de Black attaqués par les hommes de Bronze.


Situation au Roc, une heure après la tentative de putsch ratée de Jack Black contre X-bronze...

- Victoire écrasante de Jack Black dans l'ouest qu'il pacifie.
- Fuite de Bronze vers sont fief de l'est.
- Mouvements importants de troupes de Black vers l'est.
- Descente des troupes de Bronze vers l'ouest.

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Émeline est là. Quelque part ici, à Palafitte, aux mains de cet Adalbert Blue aux joues saturées de favoris. Son air naturellement sauvage fait pâle figure à côté de l'immonde bête intérieure qui me ronge depuis le début de cette affaire. Elle griffe mes entrailles et les inonde de sang. Elle m'ordonne de dégainer Crépuscule et de taillader en rondelles ces deux imbéciles heureux. Je lutte contre cette folie progressive et me détourne d'eux en même temps que Willian et Barnaby. Nos hôtes nous accompagnent jusque dans le couloir vitré de la Blue House et nous souhaitent un bon retour chez nous. Un serviteur, surement un de ces esclaves de caste, nous raccompagne jusqu'à la sortie. Je ne suis pas maitre de mes mouvements, je marche machinalement, mon esprit étrangement détaché de mon corps. Je remarque que notre escorte n'est pas l'esclave Long-bras qui nous a servi des rafraichissements avant le début de la réunion. Celui-ci n'est qu'un humain normal, banal à cette exception près qu'il a un chien tatoué sur le front et au cou, une sorte de laisse métallique agrémentée de grosses billes argentées.

La beauté de la demeure sous-marine me laisse tout aussi impassible qu'à l'aller. Je réfléchis intensément, ou du moins, je tente de le faire. Cette affaire remue tellement de blessures que je pensais guéries que mes capacités de prévisions et de planifications en sont affectées. C'est pour ça que j'avais demandé à Zéro de superviser et d'esquisser la stratégie globale, ce qu'elle a magnifiquement bien réussi, même si mon impulsion et mon état permanemment coléreux ont failli tout réduire à néant plus d'une fois. Malgré tout, le résultat est là, nous sommes alliés avec le clan Oméga, suzerain de la Jungle. Grâce à eux, mes Fumiers -une équipe d'assaut tactique de cent hommes- ont pu être convoyés à Carcinomia sans déclencher les alarmes. Ils sont en train de récupérer de leur sommeil provoqué en ce moment même. Je prévoyais de les utiliser pour déstabiliser Favela, toujours guidé par cette envie irrépressible de génocide, d'extermination méthodique et implacable du clan Burn responsable de l'enlèvement d’Émeline. Mais voilà, je m'étais plus ou moins trompé de cible.

- Alors, Loth, vous venez ?

La voix de Barnaby était froide. Willian et lui étaient déjà montés dans le carrosse qui devait nous ramener dans la Jungle. Il était en colère du refus que nous nous étions vu opposer par Johnny Blue, chef du clan Wave quelques minutes plus tôt. Barnaby White désirait faire justice pour l'attentat qui avait engendré trente morts et détruit leur plus grand laboratoire de test. Mon œuvre en fait, mais je réussis par un habile stratagème à faire accuser X-Bronze, actuellement chef du Roc, le plus grand Secteur de Carcinomia. Pour se faire justice, Barnaby et l'Arbre à Palabre prévoyaient de monter une expédition dans le but de capturer X-Bronze et de le ramener dans la Jungle afin qu'il soit jugé mais pour ça, il fallait passer par Palafitte, d'où notre démarche auprès du chef de ce secteur pour qu'il autorise une expédition armée traversant son territoire. Mais Johnny Blue avait refusé, prétextant sa neutralité dans cette affaire. Ce refus sonnait le glas des désirs de justice du clan Oméga. Ils se disaient respectueux des règles, incapables de violer l'intégrité territoriale d'un autre clan. Intérieurement, cette rebuffade me satisfaisait parce qu'elle obligeait l'Arbre à Palabre à considérer l'éventualité d'une opération secrète comme je l'avais proposée quelques heures auparavant. Traverser Palafitte n'était pas obligatoire, on pouvait passer par Virus, Favela pour atteindre le Roc par le Nord-Est. Moi, je n'allais pas m'en priver, aucune règle ne saurait étancher ma soif de vengeance et il était temps de voir de quel bois étaient faits mes "alliés".

- Alors, Loth ?

- Non partez sans moi, je vais marcher pour vous rejoindre. Je dois réfléchir à la suite et marcher m'aide énormément, je vous retrouverais dans une petite heure.

- Attends, dit Willian Darkness en descendant de la voiture. Pour le Roc, t'as entendu ce qu'il nous a dit ? Jack a gagné...

- Uniquement dans l'Ouest. Il reste le centre et le l'Est et X-Bronze est toujours vivant.

- Ce qui veut dire que cette guerre risque vraiment de se généraliser, ce qu'on voulait éviter ! Il nous faut un plan.

- Mais pourquoi crois-tu que j'ai besoin de marcher ? Retourne dans la Jungle avec Barnaby et cogite sur ça de ton côté, monsieur le triple champion de North Blue du jeu de Go. Le Go est un jeu de stratégie non ? Où tu gagnes en engrangeant petit à petit des territoires, n'est-ce pas ? Et bien nous sommes face à un impératif semblable ici. Nous devons regagner le Roc et le pacifier. Élabore ta propre stratégie en fonction des forces en présence et prouve-moi que tu peux jouer en dehors des tables de jeu.

- Ce n'est pas un jeu !

- Bien sûr que si. C'est même le meilleur qui soit ! Celui où tu mets ta vie en jeu !

Le Roc, en voilà un autre souci qui me pend au bras. La stratégie originelle était de déstabiliser le Roc pour permettre aux Fumiers de se servir de ce Secteur comme base arrière et opérationnelle d'où ils pourraient lancer des frappes sur Favela. C'est à cet effet que j'avais ramené à Carcinomia Jack Black, leur ancien chef de clan en sachant pertinemment que son retour provoquerait des troubles. Le nouveau chef, X-Bronze étant tyrannique, parano, colérique et surtout à accro au Venner, une puissante drogue produite par mes alliés de la Jungle. Mais avant que ma stratégie ne murisse, je fis la connaissance de Willian et à partir de là, le plan changea mais la dynamique initiale était désormais irréversible. Le retour de Black provoqua bien les troubles que j'escomptais et ça dégénéra en tentative de pusch puis en confrontation armée entre les partisans de l'ancien chef et ceux du nouveau. Après une heure de combats, la capitale du Roc définie par le manoir du Chef tomba entre les mains de Black ainsi que tout l'ouest du territoire qui était son fief traditionnel. En fuite, X-Bronze fut annoncé dans l'est, le fief de ses soutiens. Désormais pris entre deux feux, il y avait le centre du Roc, un territoire de cinq milles âmes, contrôlé par les Énigmatiques, les forces spéciales. Elles étaient secrètement loyales envers Willian Darkness, descendant des mythiques fondateurs du Roc.

Pour le reste de Carcinomia, le Roc était pris dans une guerre des deux chefs, nul ne comptait Willian. Il fallait qu'il se déclare en tant prétendant au siège et que cette confrontation entre sous une lumière nouvelle. Mais pour l'instant, le Roc est le dernier de mes soucis. Je ne peux partir, laisser Émeline derrière pour vaquer à des questions géostratégique. Ce serait mettre la charrue avant les bœufs et même si mes objectifs finaux ici ont évolué et que désormais j'escompte à terme contrôler ce pôle de l'underground, absolument rien ne prime sur la liberté de mon amie. Je regarde la calèche s'éloigner et me questionne sur ce qu'il y a lieu de faire. Les tuer, tous les tuer, insiste la voix désincarnée du monstre qui hante mon âme. J'étais d'accord, mais pas en bourrin. Finalement, il était possible qu'il me reste encore quelques éclairs de lucidité. Je marche, je m'éloigne de la jetée gardée qui mène à la Blue House, la demeure sous-marine de Johnny Blue. J'ignore si Émeline est retenue là, ou dans un autre endroit. J'ignore beaucoup de choses, je ne sais absolument rien de Palafitte à part qu'ils disent avoir aboli l'esclavage mais qu'en réalité, ils y entretiennent une des pires formes. Il me faut des renseignements avant de foncer tête baissée vers le danger. Et du renseignement, seule une personne pouvait m'en fournir ici. Louli. Je me tâte en cherchant mon escargophone quand une voix vieillie semble me héler. Je regarde autour de moi et constate avec surprise que je suis dans une espèce de rue commerçante de Palafitte. J'avais marché sans regarder là où j'allais, plongé dans mes pensées.

- Hey, l'corvéable ! T'es sourd ? Aide-moi à porter c'te caisse. Hey !

Le vieil homme tout fripé s’adressait à moi. Il ne sollicitait pas de l'aide, non, il l'ordonnait. Et son regard m'informe immédiatement sur la nature de ce que je suis à ses yeux, un esclave. Ce genre de regard, j'en avais vu, sous de différentes déclinaisons pendant cinq ans quand j'étais moi-même un enchainé.
Il me prend pour un esclave et je comprends aussi pourquoi. Barbaby et Willian m'avaient éclairé sur la nature réelle de l'esclavage à Palafitte. Il y était aboli et plus spécifiquement, il était interdit d'acheter ou d'acquérir des esclaves par la force. Mais quand cette loi fut promulguée un demi-siècle plus tôt, les familles riches trouvèrent une échappatoire en créant des castes d'esclaves et les forçant à se reproduire pour astreindre la génération naissante qui ne bénéficiait d'aucune réglementation. « Parce que vois-tu, si la loi interdisait l'achat des esclaves voir leur acquisition par la force brute durant des pillages, pour ce qui était de leurs progénitures, un vide subsistait. La descendance n'était ni achetée, ni capturée. » Avait dit Willian. Durant notre réunion avec Johnny Blue, un Long-bras esclave s'était chargé du service. Ce n'était pas un métisse mais un Long-bras de pure souche, j'en suis certain. Ce qui veut dire qu'il y a une caste de Long-bras assujetties dans ce Secteur. Et ce vieil homme me prend pour l'un d'entre eux. Soit.

Je m'approche de lui et soulève le caisson qu'il est incapable de porter. La rue commerçante est plutôt déserte et je le suis à travers une venelle, le chargement sur l'épaule. Ça pue le poisson et du sang goutte des interstices de la caisse en bois flotté. Mon trois-pièces sur mesure est fichu et bon à jeter après ce traitement inconvenant. Nous rentrons dans un cul de sac occupé par une seule boutique, une poissonnerie. Le vieux entre, je le suis et dépose la caisse de fruits de mer à l'endroit qu'il m'indique de son regard dédaigneux. De la merde, je vaux moins que de la fiente à ses yeux. Il doit surement tutoyer la septantaine, donc bien en forme à l'époque de la pseudo-abolition. Cette loi avait dépossédé les petites gens de leurs esclaves pendant que les riches mettaient les leurs en commun pour en faire des castes et les perdurer.

- Vous regrettez, hein, lui demandai-je à basse voix ?

- Quoi ? Tu m'jactes ?

- Je vous demande si vous regrettez l'époque où vous aviez des esclaves à votre disposition pour accomplir vos tâches.

- Hein ? Sûr qu'j'maudis en m'levant chaque jour c'connard d'Erik Blue qu'a voté c'te loi ! Mais toi, t'es quel genre d'corvéable hein ? Fagoté comme un prince !

- Ah finalement, vous n'avez pas de la bouse à la place des yeux, marmonnai-je en sortant Crépuscule de l'intérieur de ma veste. Sa lame est toujours écarlate du sang dont elle s'était nourrie deux jours plus tôt. Vieil homme, j'ai quelques questions à vous poser et veuillez avoir l'extrême obligeance d'y répondre.

Apeuré, il ouvrait la bouche pour appeler l'aide. Je fuse sur lui, le bâillonne de ma main et le bloque contre le comptoir. Ce n'était qu'une vieille carcasse dépenaillée dont je n'aurais aucun mal à extraire des informations. Sans compter le plaisir sadique de taillader de l'esclavagiste. Et mon sourire malsain soulignait mes obscènes intentions.

___ ___ ___

Quelques minutes plus tard...

PULUPULUPULUPULUPULUPULUPULUPULUPULUPULUPULUPULU !

- Allô ?! Pitié mec... Qu'est-ce tu fous encore ? Willy et Barnaby sont rev'nus sans toi, fit Dena' au combiné.

- J'enquête. J'ai trouvé Eme'.

- Hein ? Sans dec ? Où ça ?

- Le cousin de Johnny Blue doit épouser dans quelques jours une certaine "Solaria Seldon".

- Oh sa mère ! jura-t-il en comprenant le nom de code. Mais, j'croyais qu'les Wave interdisaient l'achat d'esclaves ?

- Je suppose que c'est pour ça qu'il veut l'épouser. Pour lui donner un statut social normal. Il l'aura sans doute menacée et obligée à raconter une certaine version idyllique de leur rencontre. En plus, il s'est marié trois fois ces trois dernières années, cet Adalabert. Si tu avais entendu avec quelle délectation malsaine il a parlé de ses divorces, tu prendrais peur. Je doute que ses ex-femmes soient encore de ce monde. Ce type est un psychopathe et dois lui arracher Emeline et après seulement, je m'occuperai de lui. D'abord son membre viril, haché menu, en saucisson, ensuite ses doigts puis sa peau que j'écorcherai toute entière et dont je me ferai un manteau... Tout au long, je le garderai en vie...

- C'est toi l'pycho' dans l'histoire, mec... Du coup, tu sais où elle est exactement ? T'as besoin d'aide ? Les Fumiers sont frais et dispos.

- Non, pour l'instant, on s'en tient au plan originel. Que les Fumiers préparent leur déploiement vers Favela et le Roc. Émeline, j'en fais mon affaire, je la délivrerai seul.

- D'acc, ramène-la nous. Mais donc, la capture d'Caffree Burn n'nous sert plus à grand-chose nan ?

- Ah, Nivel l'a capturé ? Je n'étais pas au courant, il ne m'a pas appelé.

- Pas Nivel, m'interrompit Dena'. Avada. Elle a capturé Caffree et a zigouillé la majorité d'son escorte. L'information d'la disparition d'Burn n'est sur'ment pas encore arrivée à Favela mais ça n'tardera pas.

- Ah, elle est finalement arrivée. Je vais pouvoir lui demander pourquoi elle a abandonné la protection de Myléna pour venir jouer...

- J't'arrête tout d'suite, mec. Sans elle, Nivel et Adrai s'raient six pieds sous terre. Notre Niveleur a salement défailli durant la tentative d'capture.

- Comment ça ?

- J'ai pas les détail mais apparemment, il peut plus s'tenir d'bout. Avada t'expliqu'ra mieux si tu l'appelles, mais abstiens-toi d'vouloir lui souffler dans les bronches... Donc, j'disais, si tu as localisé Eme', on n'a plus vraiment besoin de Caffree, si ?

- On en a besoin. C'est le Numéro 3 de Favela, n'oublie pas, et aussi le frère de Foster Burn, le chef de clan. Il vaut beaucoup, on pourrait le monnayer.

- Tu n'voulais pas l'étriper ?

- Mais voyons Dena', réfléchis. Le monnayer signifie avoir la possibilité d'attirer plus de Burn. Bien sûr que Caffree mourra pour son crime. La seule question est : comment donc pouvons-nous l'utiliser pour emporter le maximum des siens dans la tombe avec lui ?

- Ah, j'aime mieux c'plan.

- Les Wave aussi paieront et j'ai déjà mon idée sur le comment. Cela dit, Nox est-il avec toi ? Je perçois sa respiration rauque.

- T'as toujours cette oreille fine, Loth. Nox était le chef de mes cent Fumiers, un tueur à gage et un ancien garde du corps de mon maitre spirituel dans le métier, le Gila. Content de t'entendre après tout ce temps. J'suis au fait de la situation globale. C'est quoi donc la mission principale de mes gars ? Enfin, tes gars.

- Content de t'entendre aussi. Nous avions déjà trouvé un moyen de vous infiltrer à Virus, traverser Favela puis atteindre le Roc. Vous devriez vous cacher dans les grands chariots attelés en partance de la Jungle et qui desservent les autres Secteurs en médicaments et potions. D'habitude, les chariots s'ébranlent par caravanes, donc Dena' s'est occupé d'en louer une vingtaine. D'ailleurs, quelle est la position de l'Arbre à Palabre ? Ils comptent toujours capturer Bronze ou ils ont laissé tomber ?

- N'parle pas d'ces mous d'la bite. Vont rien faire les zouaves, j'en suis sûr. Sont trop peureux d'une guerre totale.

- C'est regrettable. Mais de toute façon, ils voulaient juste constituer une force de trente hommes, ce n'est pas une grande perte. Donc Nox, quand vous approcherez de la frontière entre le Roc et Favela, tu lâcheras dix équipes de deux éléments chacune. Des bombers très mobiles, tu choisiras les meilleurs de ceux qui furent entrainés par Nivel. Leur mission est simple, mettre à sac Favela. Ils doivent bouger tout le temps, plastiquer les lieux névralgiques des Burn tout en évitant au maximum les dommages collatéraux sur les civils, je veux dire, les esclaves. Tu comprends ?

- De la guérilla. Éviter les confrontations directes, attaquer lâchement, se retirer, frapper encore plus quand ils se regroupent pour constater les dégâts.

- Tout à fait. Favela doit compter dans sa milice environ deux mille hommes. Nous n'avons pas les moyens de les affronter de face. Mais en perpétrant des attentats parfois simultanés, parfois désordonnés sur le territoire, nous les éparpillerons et générerons le chaos. Qu'ils éliminent autant de Burn que possible !

- Bien reçu, bien reçu.

- Ensuite, une fois le reste des Fumiers au Roc, vous vous dirigerez vers la planque d'Avada et de Nivel. Je vais les appeler pour prendre le pouls de la situation au Roc.

- Ça empire, Loth. Je vais partir avec tes Fumiers, intervint Willian au bout du fil.

- Un chef doit être sur le terrain. Et il est temps de déclarer tes intentions. Ton peuple est pris entre deux feux, nous n'allons pas faire comme si tu rajoutais le tien au brasier général. Tu dois te poser en sauveur. Mais qu'est-ce qui empire exactement ? Laisse-moi deviner... Jack Black masse des troupes pour remonter vers l'Est et défaire son ennemi dans son fief ?

- Oui, et visiblement, Bronze fait aussi de même. Les deux armées marchent l'une contre l'autre, le Centre va devenir leur terrain d'affrontement.

- Le Centre que contrôlent tes Énigmatiques.

- Oui mais ils sont trop peu nombreux pour s'opposer à deux armées à la fois.

- Que préconises-tu en tant que chef de guerre ?

- Euh...

- Tu veux dire que tu vas là-bas sans plan ? Bon sang, nous ne sommes pas encore sortis de l'auberge !

- Mais toi ? Tu en as des plans ?

- Non, pour l'instant, je suis obnubilé par une seule chose, je n'ai pas le temps de m'intéresser à l'échiquier du Roc. On en reparle dans une heure ou deux quand vous serez arrivés. En attendant, fais fonctionner ta matière grise, Willian ! Trouve une solution, je ne vais pas te parrainer toute ta vie !
Dena', il vaut mieux que tu restes dans la Jungle comme contact.


- J'pense aussi.

- Appelle Louli et demande-lui de m'envoyer un carrosse devant le restaurant Alizée. C'était un établissement de prestige que j'avais repéré en venant négocier. Demande également à Sam Tex de m'y rejoindre.

- Compris. On s'tient au jus.

Je raccroche et m'extirpe de la miteuse poissonnerie où gisait le corps cisaillé du vieux poissonnier. Il m'avait renseigné de tout mon saoul et maintenant, je savais ce que j'avais à faire pour libérer Eme'.

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Je retourne rapidement dans les encablures de la Blue House. La demeure étant sous-marine, on n'en distingue rien depuis la côte si ce n'est l'entrée, la jetée auréolée d'une carapace vitrée qui s'enfonce dans le lac. Il y a des sentinelles tout autour qui s'occupent discrètement, fumant ou jouant. Bien qu'aucune clôture particulière n'isole cette côte du reste, on sent le domaine privé sous haute surveillance. Heureusement moi, je suis un esclave et personne ne me remarque. En sortant de la poissonnerie, j'avais changé de style vestimentaire et opté pour quelque chose de plus dénudé. A la manière des Corvéables. C'est le nom donné à la caste d'esclaves Long-bras selon les dires du vieux poissonnier qui repose désormais en paix. Selon lui, ils sont directement au service de la famille dirigeante Blue. Je longe la côte, dépasse la jetée et fais mine de me diriger vers l’agglomérat de maisons un peu plus loin. Selon mes renseignements, ils constituent les logements annexes pour le personnel non essentiel de la Blue House. A l'instar de n'importe quel Corvéable, je marche pied nu et ressens les caresses du sol caillouteux sous les plantes de mes pieds. J'avais oublié à quoi cela ressemblait, j'avais oublié mes pieds de jadis, durcis, encornés et encroûtés à force de marcher pieds nu et sur des braises ardentes. Cette douleur fantôme du passé me lancina fugacement. C'était du passé. Un lointain passé.

Dès que je rentre dans le quartier annexe par la grande avenue rocailleuse, je fais aussitôt demi-tour. C'est violent à quel point personne en particulier ne vous remarque quand ils sont convaincus que vous ne valez pas mieux que la poussière à leur pied. Un esclave se fond dans le décor et je me dirige vers une petite cabane à l'écart du gros des habitations. Ça ressemble à une vieille remise et de cette position, je peux observer la jetée vitrée sans attirer l'attention des gardes en faction. L'angle de vue de leur côté devait être obstrué par le toit en pente de la maison à droite de la remise. Je n'avais pas poussé l'audace jusqu'à vouloir entrer dans la Blue House. Même torse nu et les bras entourés d'anneaux, je reste plutôt reconnaissable, surtout avec mes verres et encore plus avec les multiples tatouages d'animaux qui constellent ma peau.

Adossé à cette remise, je suscitai quelques regards curieux qui s'attardèrent surtout sur mes tatouages. Les Corvéables n'en portent surement pas habituellement. Je dois quitter rapidement cet endroit mais pas sans lui. "Lui", je l'aperçois au bout d'un quart d'heure d'attente. Alors que je m'attendais à le voir émerger de la jetée, il déboule par la grande avenue. C'est l'esclave Long-bras qui avait assuré notre service de rafraichissement durant la réunion. Il m'avait dévisagé, prunelles dans les prunelles alors qu'avec les autres, il avait respectueusement baissé le regard. Il avait aussi détaillé mes Long-bras semblables aux siens avec stupéfaction. C'est compréhensible, il est surement né ici et sans doute lui a-t-on inculqué que les gens de sa difformité n’étaient bons qu'à être asservis. Il trimballe avec lui un gros sac contenant du linge. Je me précipite pour l'aider en l'appelant "Novi", un terme signifiant "frère" dans un ancien dialecte d'Hungeria. Les Corvéables s’appellent ainsi entre eux selon le vieux. Mon vis-à-vis n'est pas stupide, il me reconnait immédiatement et dans ses yeux, l'incompréhension. J'avais déjeuné et parlé d'égal à égal avec le chef de clan, que faisais-je costumé en esclave ? Doit-il se demander. Je l'aide à transporter le linge à la buanderie, un espace sur la côte ou quatre femmes Long-bras s'occupaient de les laver. Il est d'une tête moins grand que moi, d'une carnation d'ébène mais plus musclé. Il me suit quand je lui fais signe de me seconder. Je l'entraine dans une ruelle.

- Salut mon frère.
 
- Bonjour... Sa voix était trainante et hésitante. Suspicieuse.

- Je m'appelle Loth. Loth Reich. J'aurais plusieurs questions à te poser mais la plus importante c'est as-tu l'habitude de servir à Scarlet Tsunami ?

- Oui. Mais votre nom ne renseigne en rien celui-ci sur ce que vous êtes... Monseigneur... Une élocution propre et sans bavure, ces Corvéables étaient parfois plus éduqués que les "nobles" qu'ils servent.

- Je ne suis pas ton seigneur. Juste ton Novi. Tu vois ? Nous sommes pareils toi et moi. Le même sang, le même peuple.

- Peut-être bien, marmonna-t-il en reculant, Mais vous... toi... tu ne viens pas d'ici. Celui-ci ne t’a jamais vu.

- Parce que tu connais tous les tiens ou parce que tu m'as vu tutoyer ton maitre ?

- Les deux. Celui-là a une bonne mémoire.

- Je viens de la surface, fis-je, l'index pointé vers la voûte du volcan, en me demandant pourquoi il parle de lui à la troisième personne. La surface où le soleil brille de mille feux, où il y a des forêts luxuriantes, des oiseaux dans le ciel. Tu sais ce qu'est un oiseau ? Un nuage ?

- Celui-ci a... vu des dessins.

- Pfff, rien ne vaut de les voir en vrai.

- Donc... tu n'es pas un Corvéable ? Tu sers un autre maitre de la surface ?

- Ouh là, bon dieu non ! Je ne sers que moi-même. Je suis mon propre dieu, mon propre maitre. Je décide où je vais, ce que je fais. Je suis libre ! dis-je les bras grandement écartés. En face, il est épouvanté et secoue la tête comme un dément en psalmodiant des "impossible" "impossible" "impossible". Dans ma poche, l'escargophone silencieux vibre. Bon je vais devoir y aller. Bon sang, je ne connais même pas ton nom mais on va faire connaissance en chemin.

Je l'alpague par les poignets et il esquisse un violent recul comme si ma main était ardente. Il a horreur de ce que je suis, de ce que je viens de lui dire, ce qui ne fait que mécontenter davantage la bête assoiffée de sang en mon for intérieur. Il n'accepte même pas l'éventualité de la liberté pour des gens de sa race. Il a dû être outrageusement brimé pour que ce concept même de liberté lui soit insupportable. « De l'endoctrinement, du conditionnement par la douleur... » Ma main fuse et ma paume s'éclate contre son front. Il sombre dans l'inconscience et je le porte sur mon dos. A ceux qui nous croisent, je marmonne qu'il a fait un malaise et que je l'emmène chez le docteur, mais au fond, ils s'en fichent. Tant mieux. Je me dirige vers l'Alizée, mon colis de cent soixante-seize livres sur le dos. Avec bonheur, j'aperçois le cocher et le carrosse de luxe qui me sont attitrés depuis ma venue quarante-huit heures plus tôt. Issaka, Le voiturier me décharge de mon poids et l'installe dans la voiture. Je lui souffle de prendre la direction du Port Numéro 3 de Palafitte. Je me glisse également à l'intérieur puis rabats les rideaux avant de découvrir avec surprise Louli confortablement installée sur une banquette.

- Re-bonjour.

- Vous deviez m'envoyer Issaka, pas prendre place dans la voiture, fis-je remarquer.

- J'ai cru comprendre que vous aviez trouvé la piste de votre amie. Le contrat verbale qui nous lie stipule que je doive vous aider à la retrouver. Et comme je suis la personne la plus renseignée de Carcinomia, ma présence ici est indispensable.

Mouais, tu parles. Elle veut juste être près de moi pour en savoir plus sur ce que je manigance. Elle ne supporte pas d'être mise à l'écart au moment où son île est en ballotage. Même si ma confiance en elle est à minima, elle pourrait m'éclairer plus que ne l'a fait le vieil poissonnier. Toujours est-il qu'elle n'a tellement intérêt à me trahir, je ne l'ai pas encore payée. D'ailleurs j'ignore ce qu'est réellement son prix puisqu'il est basé sur le futur. Un jour ou l'autre, elle requerra mes services ou ma protection et je devrais les lui accorder en souvenir de cette période. Mais plus inquiétant, elle pourrait aussi solliciter mon pardon intégral comme rétribution dans un futur proche si jamais elle était amenée à me froisser. Cette dernière clause m'avait certes mis la puce à l'oreille mais j'étais prêt à tous pour sauver Eme' et Louli m'était vraiment indispensable. J'espère juste ne pas avoir signé un pacte sur l'honneur qui me couterait trop cher dans l'avenir...
Alors que l'autre esclave dort du sommeil du juste et que le regard de Louli se pose alternativement sur lui et moi, je décroche mon escargophone et contacte Avada.

- Dena' m'a dit de ne pas te souffler dessus mais par tous les dieux, qu'est-ce que tu fais là ?

- Moi aussi je suis content de t'entendre, Loth.

- "Content" ? C'est la première fois que tu parles de toi au masculin.

- C'est pour parler de genre que tu appelles ? Ta petite princesse est en sécurité avec sa nounou dans le palace. Tant qu'elles suivront des mesures de sécurité que je leur ai préconisées, elles ne craindront rien. Tu as besoin de moi ici.

- Certes ! Mais ton rôle auprès d'elle était justement de veiller à ce qu'elles les respectent, ces mesures ! Enfin, bref. Il a quoi Nivel ?

- Il ne distingue plus le haut et le bas. Son système vestibulaire est touché.

- Il m'avait parlé de cet accident qui lui avait déchiré les tympans. Bon sang, ça c'est une mauvaise nouvelle. Comment va-t-on faire ?

- Moi mon truc bonhomme, c'est de flinguer des gens. Je ne suis pas docteur. Mais pour avoir déjà vu ce genre de blessure de guerre, il doit être opéré. Son système de l'équilibre doit être retapé. Mais il faut un avis médical. Tes nouveaux amis de la Jungle sont réputés médecins non ?

- Il vaudrait mieux l'amener à Virus, intervint Louli qui suivait les échanges. La spécialité de la Jungle, c'est surtout la pharmacologie et les maladies virales. Moi aussi j'ai déjà vu ce genre de blessures, beaucoup d'esclaves se font gifler par leurs maitres et perdent l’ouïe. Ceux qui ont de la chance se font opérer à Virus qui possède d'aussi bon médecins cybernétique que Zaun.

- Bien sur, il ne manquait plus que Virus...

Virus était le seul Secteur non concerné par mes machinations. En deux jours, mes intrigues ont causé la guerre civile au Roc et je projette de complètement déstabiliser Favela, idem pour Palafitte. J'ai détruit un labo dans la Jungle et ai maquillé le crime pour m'attirer leur sympathie... Il ne manquait vraiment plus que Virus, le plus prospère des cinq Secteurs de Carcinomia. Le seul lien qui m'unissait à ce Secteur était que j'y logeais, de même que Louli qui y a son entreprise. Y faire soigner Nivel pourrait être un moyen d'entrer en contact avec les cadres de Virus, le Parefeu ça s'appelle. Il s'agirait d'un conseil de deux sages jumeaux. Je n'entends pas les rallier à ma cause, Virus est sans doute le plus neutre de tous les Secteurs mais si je peux m'assurer qu'aucun autre clan ou antagonistes ne les rallie contre moi, ce serait ça déjà de fait. Car au final, comme le disait le Gila, tout le monde a un prix. Il suffit de le trouver et de le payer.

- On va faire ça Louli. Je veux le meilleur chirurgien pour Nivel. Je serais plus rassuré si je pouvais directement m'entretenir de son cas avec le Parefeu.

- Ça marche, je vais organiser un rendez-vous médical.

- Dis à Nivel de tenir bon Avada. On n'abandonnera personne.

- Ce serait pas une grande perte...

- Quid de la situation ?

- Bronze mobilise une grosse armée. Apparemment ses fidèles tapent à toutes les portes et essaient d'embrigader, parfois par la force, tous les mâles en âge de combattre. L'avant-garde de ses troupes a déjà pris la direction de l'ouest.

- Ouais, ça va barder dans le Centre. Bon, écoute, fait appel à ta patience de tireur d'élite et reste cloitrée. Les Fumiers sont aussi en marche vers toi.

- Attendre... On verra ça.

- Tu restes en place, Avada. Ne me fais pas répéter. Ciao.

___ ___ ___


Quelques minutes après ce coup de fil, mon beau aux bois dormant se réveille en sursaut, paniqué. Il se rend compte qu'il a été contraint de force à monter dans ma voiture et par pur réflexe, il essaie d'en sortir. Réaction que j'avais prévue. Son geste est brutalement arrêté par la menotte qui le lie à l'accoudoir de son siège. En face, Louli et moi l'observons se débattre comme un beau diable avant d'abandonner.

- Pitié, laissez celui-là rejoindre ses maitres. Cette vermine va être punie pour son absentéisme. Pitié !

- Pardon ? Quelle vermine va être punie ?

- Lui. C'est lui la vermine. Quel ton nom ?

- Morpion, ma Dame.

- Quoi ? Ce n'est pas un nom ça !

- Non mais c'est le sien, m'explique Louli. Ça fait partie de l’endoctrinement des Corvéables. Rat Noir, Cancrelat Rouge, Fourmi... Dès la naissance, on leur donne ce genre de nom pour qu'ils se rappellent éternellement ce qu'ils sont. De la vermine.

Dans son fauteuil, "Morpion" -bon sang que je ne m'y ferai jamais- recroquevillé, se balançait d'avant en arrière comme un autiste en pleine crise. Chacun de ses couinements exacerbe ma rage et me rappelle ma propre expérience. J'avais jugé possible qu'il ait pu être conditionné par la douleur quand il m'a fait sa crise juste après que j'eus mentionné mon état d'homme libre mais ça allait sûrement au-delà de ce que j'avais imaginé. Nous les Long-bras sommes un peuple naturellement belliqueux, je ne le sais que trop bien. Pour tuer tout sentiment de révolte et endoctriner au moins les deux premières générations, le clan Wave avait dû user de moyens drastiques. Rien que le fait de ne pas les autoriser à porter un nom propre tuait déjà la notion d'identité propre. Au nom de quoi ou de qui ferais-tu une révolte alors que tu n'as même de nom ? J'espérais bien retourner les Long-bras et les joindre à ma cause mais je constate que le chemin risque d'être impossible. Et pourtant, si quelqu'un peut les aider à briser leurs chaines, c'est bien moi.

- Regarde Morpion. Regarde-moi.

La Marque du Conclave

Je lui fais dos, relève mes cheveux et attire son attention sur la base de ma nuque. Là est imprimé au fer rouge un symbole ressemblant à deux "C" dégoulinant dos à dos.

- Oh mais Loth, c'est...

- Le blason du Conclave. Je ne suis pas étonné que vous en ayez entendu parler, Louli. Donc, tu vois, Morpion ? J'ai été comme toi, un esclave et ce symbole en est la seule preuve. Je vais te raconter mon histoire pour que tu comprennes ce qui se joue et se passe au-dessus. Pour que tu saches que tout ce que tu as appris jusqu'à maintenant n'est qu'un tissu de mensonges.

L'atteindre par l'empathie était le moyen le plus rapide de susciter la curiosité chez lui. Je suis lui morphologiquement semblable mais en plus, je fus esclave. S'il ne conçoit pas encore la liberté, il est sensible au fait que j'ai vécu la même chose que lui. Ça c'était acquis et c'est la première et la plus importante des étapes. Son intérêt, je l'ai hameçonné et il est disposé à écouter mon histoire. Je commence donc par le commencement. Qu'est-ce donc un Long-bras ? Je lui explique alors ce que j'ai moi-même appris à travers mes lectures, l'histoire du fier peuple Long-bras d'Hungeria sur la lointaine Grand Line. Morpion connaissait déjà le partitionnement du monde et les principales zones géographiques. Comme un enfant, il boit goulument mes explications jusqu'au moment où je l'informe sur la nature réelle de ce nous sommes. Du moins, de ce que sont nos lointains parents sur la Mer de tous les Périls. Des esclavagistes de renommée mondiale. Le royaume d'Hungeria est connu pour être l'un des principaux vecteurs du commerce d'esclaves au monde. D'habitude, lui dis-je, les oppresseurs, c'est nous.

Il accuse le coup et tente d'assimiler l'inconcevable. Je me prépare d'ailleurs à l'immobiliser au cas où il serait pris d'une nouvelle crise de démence mais rien ne vient. On aurait dit que je l'avais foudroyé, et je comprenais pourquoi. Du haut de sa vingtaine, né ici, on lui a sans cesse rabâché que son sous-espèce de peuple n'est bon qu'à servir les humains normaux. Le Conclave m'a radoté la même chose. Sans lui laisser le temps de digérer, je lui explique ce qu'est le Conclave, un groupe de suprématisme humains dont le passetemps favoris était la torture des autres espèces intelligentes. Né en 1597 dans le Cimetière d’Épave de South Blue, je fus capturé à mon onzième anniversaire par des gens qui me vendirent ensuite au Conclave. S'en suivirent cinq longues années de brimades. Je lui détaille tout pour qu'il comprenne que mon supplice et l'assimile au sien. Après une demi-heure de ce discours, je vois qu'il commence à se détendre et à me regarder différemment. C'est imperceptible, quasiment ineffable mais je le sens. Ce genre de lien indicible qui lie deux êtres ayant vécu ou échappé au même cauchemar. Ce genre de réaction chimique est semblable -à un niveau plus profond et plus puissant sans doute- au légendaire "coupe de foudre" amoureux. Je continue mon discours et lui relate ma libération, fruit du travail du légendaire Marine Abraham Lin Colt, un pourfendeur d'esclavagistes comme les Mouettes n'en connurent pas deux. Après ma libération, je fus accueilli et "adopté" par une communauté de moines mendiants et guerriers appelés Servites. Dans leur monastère principal, sur l'ile de Craie, je me refis une santé, redéfis mes objectifs et rêves que cinq années d'esclavagisme n’égratignèrent pas.

- Tu vois, lui dis-je. Le libre arbitre n'est pas un mythe, le choix nous appartient. Le Conclave existe toujours, Lin Colt n'a pas arrêté tous ses membres. A ma libération, j'aurais pu m'engager dans les Marines pour poursuivre l’œuvre de mon sauveur, d'ailleurs bien d'autres qui survécurent avec moi choisirent cette voie. J'aurais aussi pu embrasser l'optique Révolutionnaire, comme l'ont aussi fait une partie de ceux qui furent libérés. Non. J'ai choisi ma voie, celle dont je rêvais, celle que j'avais tracée avant même d'être enlevé. On a toujours le choix. Regarde Louli ici présente. Elle fut comme toi, mais ses maîtres à Virus l'affranchirent après ses loyaux services. Elle aurait pu partir d'ici, découvrir le monde mais elle a choisi de rester, d'ouvrir sa propre société. Aujourd'hui, elle dirige la première boite de coursiers de Carci. Son choix, sa vie. Tu peux choisir aussi. As-tu un rêve ? Quelque chose que tu nourris et que tu entretiens au fond d'un jardin secret que même tes maîtres ne peuvent atteindre et souiller ?

Un silence de plomb s'abat dans l'habitacle. Morpion me fixe de ses prunelles noires puis baisse la tête, le regard rivé sur le parquet. J'ai vu juste, il est beaucoup trop éduqué pour ne pas avoir de rêves. Quand on instruit ses esclaves reconditionnés pour qu'ils comblent les lacunes de leurs maîtres ou œuvrent à des postes clés qui exigent une confiance absolue, on s'expose au risque de leur faire découvrir les merveilles du monde et de susciter une vocation. Un rêve. Le One Piece, All Blue, les îles célestes par-delà les nuages, les royaumes hommes-poissons disséminés, nombreuses sont les merveilles que recèle notre monde et tout aussi nombreuses sont les aspirations qu'elles peuvent éveiller. Après un long moment de mutisme, Morpion répond d'une voix moins haute qu'un murmure. Plus qu'un enfant pris sur le fait, on aurait dit un époux pris en flagrant délit d'adultère. Comme s'il avait honte de ce qu'il s'apprête à avouer.

- Cart... carto... J'aimerais bien être cartographe. J'ai toujours aimé les cartes dans les livres et je les dessine quand j'en ai l'occasion.

- Cartographe ? Oh bah c'est super comme rêve ! Les bonnes cartes se vendent très cher; puis dans un monde à plus de quatre-vingt pour cent composé d'eau comme le nôtre, les cartographes de talent sont de véritables stars.

- Hmmm, le clan Wave tirant une partie de ses profits des razzias, j'aurais parié qu'ils possédaient de bons cartographes.

- Les Maîtres en ont...

- Mais tu ne mettras pas ton talent à leur service. Que dirais-tu d'être libre, de faire tes proches choix, comme j'ai fait les miens, hein, Morpion ?

- Euh...

- Commence par te choisir un prénom autre que cet écœurant "Morpion". Si tu devais te renommer, quel nom choisirais-tu ?

- ...

- Hmmm ?

- Claude.

- Claude ? Comme Claude P'to Lomeus ? Oh carrément ? rigolais-je pour le mettre à l'aise.

- C'est l'un des précurseurs de la géographie et de la cartographie.

- Tout à fait. Alors, à partir de maintenant tu es Claude. Tu veux sortir d'ici, Claude ?

Il acquiesce du chef. Son regard est franc mais j'y perçois encore le tiraillement du conditionnement. Je ne saurais venir en quarante minutes à bout de ce que les Wave ont pris vingt ans à dompter. Chaque chose en son temps, une victoire après l'autre. La guerre n'est qu'une succession de multiples batailles. Ma première victoire, juste un prénom. Claude.

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- Du coup, Claude, j'ai besoin de ton aide. Je dois revoir une amie.

- Quelle amie ? Il semblait bien plus détendu, disons, amical.

- Solaria Seldon.

- La future épousée du Comte Adalbert ?

- La prisonnière serait plus exact. Elle a été enlevée à la surface il y a deux jours et Adalbert l'a achetée à Caffree Burn. Il compte la forcer à se marier.

- Sérieusement ? Mais l'acquisition...

- Est interdite, blablabla, je sais. Ce n'est pas le moment de débattre d'idéologies, les faits sont là.

- Ce que je veux dire c'est qu'il suffit d'en parler à Johnny Blue. Si votre amie est retenue contre son gré, ça ne fait aucun doute qu'il obligera son cousin à vous la rendre.

- Vous pensez ? Moi j'en suis moins sûr que vous. Et de toute façon, je ne suis pas venu négocier. Je viens déclarer la guerre à tous ceux qui s'en prennent aux miens. N'oubliez surtout pas que nous les Long-bras n'avons rien de gentils enfants de chœur. Belliqueux par nature, nous sommes.

- Je cherchais juste une issue pacifique, moi...

- J'ai interrogé un poissonnier et il parait que tout Palafitte prépare ce quatrième mariage d'Adalbert. D'après lui, la cérémonie et les réceptions auront lieu à Scarlet Tsunami. Donc il est fort à parier que mon amie y est détenue.

Palafitte

Palafitte est le plus "long" Secteur de Carcinomia, étendu sur près de trente kilomètres de littoral. Étant donné sa position unique et enviée, trois ports accueillant aussi bien des bateaux que des submersibles furent construits à trois endroits stratégiques sur la côte, de manière à desservir le plus rapidement possible les autres Secteurs. Pour gérer ces trois ports, le clan Wave décida de partitionner Palafitte en trois entités administratives. Des comtés. Chaque comté est administré par un Comte depuis un château-fort symbole de prospérité. Ainsi, Le Premier Comté qui englobe le Port 1 en sus de ses terres environnantes et est administré depuis la Blue House par le Comte Johnny Blue. Par accumulation de pouvoir, ce dernier est aussi le chef de clan. Adalbert Blue dirige quant à lui le Troisième Comté depuis le fameux château de Scarlet Tsunami.

- Plus tôt près de la jetée de la Blue House, je t'ai demandé si tu avais l'habitude de servir à Scarlet, Claude. Et tu m'as répondu par l'affirmative. Consentirais-tu à m'aider à m'y infiltrer ?

- Vous êtes sérieux là ? Je vous propose une solution pacifique et vous optez délibérément pour une action aussi suicidaire ? Et d'ailleurs, vous vous trompez. Ce ne sont pas les châteaux-forts qui furent construits pour administrer les Comtés mais plutôt les Comtés et leurs ports qui furent édifiés à la fin de la guerre civile, autour de ces châteaux. Chacun d'entre eux est réputé imprenable et c'est grâce à eux que le clan Wave a réussi à s'assurer le contrôle exclusif du littoral après un siècle de guerre civile. Scarlet Tsunami abriterait une garnison de plus de sept cent hommes selon mes renseignements. Vous comptez vraiment les affronter de face ?

- Vous êtes une excellente lobbyiste, Louli, mais ça ne prend pas avec moi. Si je dois affronter une garnison à moi tout seul pour libérer mon amie, ce sera avec plaisir. Alors, Claude, partant pour me filer un coup de pouce ? Si tu m'aides à la libérer, je t'aiderais, toi et tous les tiens à être libres.

- Tous... Libres ?

- Tous libres. Affranchies de vos maîtres. Je l'ai été. Louli l'a été. Vous aussi pouvez l'être.

- D'accord, j'en suis ! répondit-il avec une assurance qui choqua Louli.

- Merci. Explique donc comment peut-on faire pour entrer en toute discrétion à Scarlet.

J'esquisse un sourire quand il me détaille son ébauche de solution. Il connait le fort, il sait comment y entrer. Je donne le feu vert à son plan puis le libère de ses menottes. Je pense que tout risque de crise est désormais écarté. Je lui tends une main symbolique qu'il serre avec prudence puis enthousiasme. Il sourit à blanches dents.
Plusieurs fois durant le trajet vers le Troisième Comté, notre carrosse fut immobilisé et inspecté par la milice Wave. Palafitte partage près de la moitié de sa frontière avec le Roc, donc les troubles là-bas affectent leur sécurité. Ils craignent les débordements et sont sur le qui-vive mais comme Louli a une grande et bonne réputation sur l'ile, on nous laisse passer sans nous enquiquiner davantage.

Ce qu'on appelle communément le "clan Wave" est en fait une seule famille scindée en deux branches. La principale, les Blue, régentent Palafitte dans son ensemble ainsi que les Premier et Troisième Comtés. La parallèle, les Mydblue, fieffent dans le Second Comté qu'ils gèrent depuis Noire Pince, un étrange château en pierre noire dont je vis la massive silhouette à distance. Nous traversons le Second Comté sans embûche puis à l'orée du Troisième, Issaka immobilise notre carrosse sur ma directive. Il laisse le siège de pilote à Claude qui connait mieux que personne les artères de ce territoire. Ils échangent leurs places et quand Issaka vient s’asseoir dans le fauteuil d'en face, Louli hoquette de surprise. Elle se rend compte que ce type n'est pas son fidèle cocher.

- Attendez. C'est qui celui-là ? Où est Issa ?

- Je l'ai débarqué il y a vingt minute quand le carrosse a été fouillé juste avant Noire Pince.

- Quand j'ai embarqué, je lui ai susurré qu'il devait descendre à un certain endroit du parcours. Louli, voici Sam Tex. Sam, voici Louli. Sam est un de mes hommes.

- Enchanté, madame.

- Idem... marmonna-t-elle comme si elle en doutait.

Elle se demande surement quel genre de renfort est cet homme aux allures de culturiste. Sam Tex est un Niveleur de première génération, un des premiers élèves de Jonathan Nivel. Il fut de mes pérégrinations quand je détruisis le laboratoire Manhattan dans la Jungle. C'est un bon artificier, très professionnel dans son genre, à qui j'ai décidé de confier mon arrière garde. Alors que le silence s'installe dans la cabine, Claude aux rênes nous aiguille au plus près du château. Il s'arrête devant une boutique d'où s'échappent des relents de jambons. Dans le cadre des préparatifs du mariage, ce porcher-ci a reçu l'exclusivité de l'approvisionnement de Scarlet en viande de porc. Conformément à la suggestion de Claude, il devra s'y faire passer pour un esclave des cuisines et y solliciter une commande sur le compte des fourneaux de la forteresse. Ainsi chargés de porcs, nous pourrons y rentrer sans déclencher les alarmes. Partout à Palafitte, la sécurité est maximale et il ne faut lésiner aucun détail. Pendant que nous attendons, il se dirige vers la boutique pour jouer sa partition au porcher.

- Bon, il est temps de nous séparer. A partir de là, ça va devenir dangereux Louli. Et vous n'avez pas intérêt à ce qu'on vous croit copine avec moi. Non, ne contestez rien ! dis-je sèchement. Repartez avec Sam.

- Je croyais qu'il allait vous soutenir ?

- Il viendra après vous avoir conduite au point de rendez-vous où vous attend Issaka. Revoyons-nous plus tard. Vas-y, Sam.

- A votre aise. Bonne chance. Sa voix est étrange, sans doute qu'elle se demande si elle me reverrait jamais vivant un jour.

___ ___ ___


Scarlet Tsunami est une immense forteresse quasi circulaire faite de granit rouge. Sous les minces rais de lumière filtrant à travers les fentes de la montagne, le château se pare d'une robe écarlate qu'on jurerait liquide, comme s'il ruisselait de sang.
Le porcher eût la gentillesse de prêter à Claude un chariot attelé à un âne pour transporter les abats. Marchant en tête, il tirait et guidait l'animal pendant qu'à l'arrière, j'éventais la viande pour chasser les mouches. Nous nous présentons alors devant les colossaux battants en fer forgé de la "Scarlet Gate". J'en profite pour scruter les remparts extérieurs qui font dix mètres environ de hauteur et je remarque qu'ils sont troués d'une multitude de meurtrières. Au-dessus, des gardes, armes à feu au poing, arpentent les chemins de rondes sis sur les courtines et font des allées et venues entre les tours rondes. Devant la porte s'allonge une file d'attente impressionnante, la plupart transportant une quelconque marchandise destinée aux festivités à venir. Il y a trois rangs dont un seul fluide, le nôtre.

C'est beaucoup trop facile, me dis-je, les Corvéables circulent sans accrocs et c'est à peine si les gardes leur jettent un regard. Il n'y a rien de plus fatal que le sentiment de sécurité qui résulte de la domination. Ils sont convaincus que ces moins que rien sont aussi passifs, donc ils ne pipent mots alors qu'à côté, ils aboient et crachent leur fiel sur la file de marchands en attente. Chaque cargaison est minutieusement fouillée, l'identité de son vendeur répertoriée et quand ils soupçonnent une quelconque duplicité, le suspect est emmené manu militari dans une annexe plus loin pour de plus amples interrogations. Le troisième rang est moins fluide que le nôtre mais bien plus que celui des marchands. Je remarque que tous ceux qui le constituent arborent un tatouage de chien sur le front, à l'instar de celui qui nous raccompagna après notre réunion avec Johnny et Adalbert.

- Ce sont des Chiens, marmonna Claude pour que moi seul l'entende. C'est l'autre caste d'esclaves de Palafitte. A contrario de nous Corvéables, eux sont des humains normaux. Ils sont au service de la famille Mydblue de Noir Pince.

Le vieux poissonnier m'en a parlé avant de rendre l'âme et je comprends pourquoi les Chiens sont fouillés un minima. La confiance en l'endoctrinement n'est pas aussi absolue avec eux qu'avec les Longs-bras. Ils ne souffrent d'aucune "difformité", ne ressentent probablement sentiment d'infériorité raciale par rapport à leurs maîtres. Et malgré l'esclavage de génération en génération, ils sont sûrement plus enclins à la mutinerie que leurs compères à doubles articulations. Peut-être devrais-je tenter ma chance avec eux, je trouverai sûrement des oreilles plus réceptives dans leurs rangs. Mais... les Corvéables sont mon peuple et je ne saurai les abandonner, pas plus qu’Émeline... Elle est si près que je peux la sentir. La Scarlet Gate donne sur un banc et je redresse mes lunettes de surprise. Devant moi, une grande étendue d'eau que chevauche un pont-levis. Aucune embarcation n'est visible, le pont est le seul moyen d'atteindre l'autre côté. Juché à six ou sept mètres de hauteur, le pont quitte le banc et dessert une fortification en chemise qui entoure un gigantesque donjon tout rouge. Sur le pont, le trafic est intense et nous faisons quasiment du surplace, ce qui me permet de mieux détailler les lieux. D'abord ce "lac" interne qui m'intrigue et par deux fois, j'ai cru y voir des choses bouger.

- Fais attention, il ne faut surtout pas tomber dedans ! C'est rempli de Bananas Crocos ! On l'appelle la cuvette aux Bananas.

- Des Bananas Crocos... grinçai-je en me rappelant de mes livres de biologies où sont illustrés ces crocodiliens monstrueux de la taille de plusieurs vaches mises bout à bout.

« Combien de Corvéables ont jadis servis de nourriture à ces monstres ? » La question mérite des réponses et j'espère les trouver. Dès que nous atteignons la Chemise, le rythme se fait plus rapide. Je me serre contre la rambarde et regarde en bas. Nous sommes perchés à dix mètres de haut minimum, et trois fois cette distance semble séparer la Chemise du donjon qui nous obombre de sa corpulente silhouette. A vue d’œil, je compte sept étages et me demande si c'est là que loge Adalbert. Alors que je m'apprête à poser la question à Claude, des structures en bas attirent mon attention. Des habitations mais on dirait plus un quartier de pauvres voir même un bidonville. Les maisons sont en bois et ne dépassent pas un étage. D'ici, je peux contempler leurs toits de tôles troués et rouillés. Les rues sont boueuses, mal entretenues et jonchées de déchets. Des enfants nous regardent et nous font des signes joyeux. « Des Longs-bras, tous... » remarquai-je. Je n'ai pas besoin d'explication pour comprendre que c'est là qu'est entassée la caste des Corvéables. Dans l'ombre du grand Donjon, dans la misère. Je fais un signe de la main à une fillette qui me suit des yeux depuis un moment. « Les branches de notre future... »
La Chemise nous relie à la courtine de la tour Est haute de trois étages dont l'entrée est sécurisée par des gardes armées. Nous bifurquons et empruntons de larges escaliers qui descendent. Enfin nous touchons terre.

J'suis la carte, j'suis la carte, j'suis la CARTE !:

- C'est quoi ça, un marché ?

- Oui ! On y trouve de tout !

Ma question était rhétorique. Je suis Claude à travers cette agora bondée. Je me serai cru dans une termitière, depuis que je suis à Carci, je n'ai jamais vu autant de monde rassemblé à un seul endroit. Ça me rappelle la foule qui se compacte au port de Lavallière au retour des crevettiers. Les vendeurs semblent venir d'horizons divers, je vois des stands d'herboristerie, de légumes et autres tubercules de la Jungle. Plus tard, je suis alpagué par une mécanicienne cybernétique de Virus qui déclare de but en blanc que je ferai mieux d'opter pour une chirurgie de remplacement des yeux plutôt que de porter de "disgracieuses" lunettes. Nous dépassons le hall des charcuteries et quelques bouchers nous observent perplexes, se demandant surement à qui réservons toute cette viande.
Claude m'entraine hors de l'effervescence du marché. Nous longeons les écuries vers le sud, dans l'ombre du donjon et de sa chemise. Nous sommes dans le quartier, cette tôle-ville où logent les Corvéables.

Le quartier des Corvéables

Sur les talons de claude, je serpente dans les venelles crasseuses et fétides. Conformément au plan que j'ai validé, il doit me présenter l'un des chefs de la caste susceptible de m'aider à trouver Eme'. Un clan d'une centaine de personne, forcément ils se connaissent tous ou presque, surtout quand ils sont forcés de procréer pour leurs maîtres. Je suis un nouveau, ça se sent et les regards pèsent sur moi. Seuls les enfants courent après le chariot et essaient de voler une patte de cochon. Claude les chasse et m'encourage à le suivre. Il m'emmène dans l'arrière-cour d'un agglutinement de maisons en bois dévoré aux mites.

- Euh ? C'est ici que se trouve ton ancien ? Claude ? Claude ? Je me tourne et ne le vois nulle part. L'âne esseulé s'éloigne vers une touffe d'herbe. En lieu et place de mon nouvel ami, je vois émerger trois d'hommes des taudis.

- Claude ? C'quoi c'blaze d'naze ? Brave Morpion ! J'dirais ça au Crâneur, qu't'as été une bonne vermine. Donc c'toi qui veut foutre l'boxon à Scarlet ?

Je repère Claude dans une ruelle au loin. Il est accroupi, les jambes au niveau du torse et geint abondamment. Il se balance d'avant en arrière, sujet à une nouvelle crise.

- Ah là là, Claude. C'est donc ainsi que tu me trahis ?!

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Deux des hommes me mettent en joue et le restant, probablement leur chef à en juger par son maintien et ses airs de chien d'attaque, continue de s'esclaffer à gorge déployée. Pour lui, c'est son anniversaire avant l'heure, il me voit déjà épinglé à son tableau de chasse. Machinalement, je redresse mes lunettes, toute mon attention accordée à Claude qui continue de gémir dans son coin. Même si je n'ai pas mésestimé la puissance de l'emprise que le conditionnement a sur lui, je me sens mal de le voir dans cet état pathétique. Il est profondément perturbé, son cœur est le théâtre d'une féroce lutte entre son lavage de cerveau et les sentiments que j'ai su faire émerger au plus profond de lui. Pour l'instant, ça va, il ne se punit pas encore physiquement, je peux m'occuper d'abord de ceux qu'il a appelé.

- T'es fait comme un rat ! Misérable !

- Si j'avais eu un Berry à chaque fois que j'ai entendu ça... Et si vous me disiez qui vous êtes et ce que vous croyez que j'ai commis comme crime ? Je ne sais pas ce qu'il vous a raconté mais...

- N'essaie pas d't'en tirer par des cracks ! L'p'tit Morpion m'a parlé d'un mec qu'essaie d'le retourner ! Un mec Long-bras comme lui, qu'essaie d'venir gâcher l'mariage ! Alors, qui t'paye ? T'es quoi, un mercenaire ? N'm'fais surtout pas répéter, t'as deux guns prêts à t'faire des trous d'balle en plus !

Il semblerait que Claude n'ait pas vendu l’entièreté de la mèche. Quelque part, l'histoire d’Émeline que je lui ai racontée a dû plus l'ébranler que la mienne. Il s'est gardé de leur dire que c'est elle que je viens chercher. Alors, je lève les mains bien hautes en signe de soumission et je raconte une histoire inventée sur place, celle d'un plastiqueur recruté par un ennemi de la surface haineux du clan Wave pour détruire le mariage et éliminer Adalbert plus particulièrement. Le type jubile, il sent venir la promotion parce qu'il aura arrêté un tueur à la bombe. Encore heureux qu'il ne me reconnaisse pas. Et directement après, j'embraye sur un mélange de supplications, de provocations et de flatteries. Je dois connaitre quelle position le chef occupe dans la hiérarchie de la milice du château.

- Haha, quand j'ai r'çu l'coup d'fil du Morpion, j'pensais juste à trouble-fête mais là ! J'vais enfin quitter c'quartier pourave et p't'être prendre l'command'ment d'une tour qui sait ? Ouais ça m'irait bien ! Hahaha !

- Quel triste jour pour moi ! Dire que le grand bomber Jonathan Nivel a été capturé par un vulgaire chien de garde d'un quartier d'esclaves !

Mon injure le blesse dans son égo. Il fuse sur moi et me gratifie d'un cinglant revers de la main qui me fait voler. Il est musclé mais frappe comme une fillette. Si c'est là ce qu'il sait faire de mieux, je n'aurais aucun mal à m'en débarrasser. Je rase le sol puis fais mine de me relever difficilement. Je titube comme si le coup m'avait enivré et m'échoue lamentablement dans la gadoue à côté de Claude. Je veux qu'il voit les supposées conséquences de sa trahison. Je n'ai aucun doute quant au fait que seul son endoctrinement l'a obligé à me trahir. Sa condition d'esclave de troisième ou de quatrième génération a fait de lui un être trop simplet pour que j'envisage une seule seconde qu'il m'ait mené en bateau depuis la Blue House. Ses confidences, son rêve secret de devenir cartographe, tout ça fut avoué à cœur ouvert. J'ai réussi à le toucher. Son désir de vivre et son ambition sont bien réels, ce qu'il faut maintenant, c'est juste briser les chaines de ce conditionnement. Et cela passe entre autre par le choc. Celui de voir un "ami" souffrir de ses actions.

- Aide... moi... fis-je.

Le regard de Claude est épouvanté, absolument horrifié. Pendant un bref instant, il me fait douter, j'envisage d'arrêter cette comédie par peur qu'il défaille totalement et que son dilemme intérieur ne le conduise à la folie. Mais sitôt après, je me ravise, je dois continuer. Aucun parent digne de ce nom ne s'abstiendrait de punir son enfant de crainte de le voir pleurer. Et c'est un peu mon état d'esprit, je me sens responsable de Claude, je me dois faire son éducation. Aussi, je continue à invectiver le "chef" qui me hurle son nom "Bobby" en me donnant une série de coups de pieds dans les côtes. Il ne peut me blesser sérieusement et c'est à peine si je ressens la caresse de ses attaques. Le gouffre qui nous sépare est trop grand. Son pied s'écrase sur ma nuque et enfonce ma tête dans la boue. Il vocifère que c'est là ma place, peu importe si je suis un plastiqueur primé à trente millions de Berry. Au moins, il connait Nivel, me dis-je. De ses égosillements, je retiens une chose importante, un surnom qui revient souvent "le Crâneur". Je me souviens que plus tôt, Bobby avait félicité Claude et promis de rapporter ses actes à ce même Crâneur.

Pour en savoir plus, je râle et hurle qu'un minable comme lui ne volerait jamais haut. Il n'y a que les tonneaux vides qui font du bruit et c'est tellement facile d'énerver ceux qui pètent plus haut que leur cul que s'en est déconcertant. Il me soulève par le cou et me refais le portrait en postillonnant abondamment. J'apprends alors ce que le surnom m'évoquait à savoir que ce surnommé "Crâneur" n'est rien de moins que le patron de la STEP, la Section de Torture et d'Endoctrinement de Palafitte, en gros, l'organe qui se charge de discipliner et de bourrer le cerveau des Corvéables et des Chiens. Et lui, Bobby, est un des lieutenants de Crâneur en charge de ce quartier. Sa poigne sur ma gorge, il se jette au sol et je me débrouille pour m'écraser à côté de Claude. Il est toujours atterré, toujours tremblant comme une feuille sous les bourrasques de l'automne. A travers mes verres brisés par les coups de l'autre, je vois de longues écorchures sur son visage, comme si son intense stress l'avait poussé à se griffer. Ses ongles sont d'ailleurs profondément enfoncés dans ses joues et il me dévisage mon agonisante carcasse de ses yeux écarquillés par l'horreur le plus absolu.  

- Pi...tié... hâchai en tendant une main vers lui. Aide... moi... Nous... sommes... amis... La li..berté.. tu.. n'as pas... oublié ?

- La liberté ? C'est ça que tu lui a promis, Nivel ? Bobobobobobobo ! Ils n'valent pas mieux que d'la vermine ! Qu'est-ce que j'raconte ! Tous les Long-bras n'valent pas mieux que des cancrelats ! Tiens prends ça et ça et encore ça Nivel ! Des coups de pieds pleuvent.

- Clau...de... Ma comédie continue. Apeuré, les sons qui sortent de sa gorge ne sont que borborygmes.

- Tiens d'ailleurs, maint'nant que j'y pense, il semble savoir beaucoup d'choses le Nivel. T'as bavé un peu avant d'te r'prendre, hein, Morpion ? Faut que j'te punisse pour ça et après on ira voir l'Crâneur. L'y punira toute ta famille sur'ment. Viens par-là, sale merde !

Mon plan ne se passe pas tout à fait comme prévu. Claude se tasse contre le mur de bois quitte à se fondre avec. La poigne de son bourreau s'empare de ses cheveux noirs comme les miens et le traine dans la vase. Il l'accueille d'un uppercut puis d'une succession de coups. J'observe, j'attends. La pluie de coups cesse après une minute. Rossé comme un sac de frappe, la carcasse au visage boursoufflé de Claude s'échoue pitoyablement à mes côtés. Nos regards sont tournés l'un vers l'autre. Il pleure, abondamment, en silence. Pas à cause de la douleur, je le réalise avec un saisissant plaisir. Les brimades, ça vie se résume à ça. S'il pleure c'est surement parce qu'il réalise avoir fait un mauvais choix. Ce sont des larmes de regrets... Et c'est encore mieux que la main secourable que j'espérais qu'il me tende. Un filet de morve s'écoule de son nez et ses larmes dégoulinantes se mêlent à l'eau fuligineuse du sol limoneux. Avec la menace de Bobby, je comprends encore mieux le dilemme qui fut le sien. Quand un Corvéable -et sûrement un Chien- s'écarte du "droit" chemin, c'est toute sa famille qui en pâtit. Endoctrinement, sanction de groupe, culture de la culpabilité... Au plus profond de mes viscères grandit la bête débordante de rage et assoiffée de sang que j'avais gardée sous contrôle depuis mon départ de la Jungle. Elle a envie de massacre, de mettre ces esclavagistes fieffés en charpie et mon désir propre va dans le même sens. Aussi fusionnons-nous dans un parfait mariage de rage. Je vois les lèvres tuméfiées de Claude se torde et marmonner...

- Désolé.

- Hein ? Pardon ? Hey les gars ? Z'avez tous entendu c'te chiasse d'mander pardon à l'autre ? Hein ?

- Ouais boss ! Il n'regrette pas !

- Sale traître de microbe, tu vas voir ! J'vais t'saigner comme un port ! Après j'passerai à ta mère, à ta sœur. J'vais bien en prendre soin, t'y vas voir !

Il dégaine puis abat son couteau sur Claude. Je laisse alors exploser la symbiose de Rage qui m'anime. Du sang se déverse, noie mon cerveau et corrompt mon âme. Puis c'est le trou noir.

___ ___ ___


- Boss ! Monsieur ! Réveillez-vous !

Clap ! Clap !

- Désolé pour cette claque, monsieur.

J'ai l'impression d'être aveuglé après avoir passé un temps indéfinissable dans le noir le plus pur. Mon esprit est embrumé et j'ai le vague sentiment de ne percevoir la réalité qu'à travers une petite ouverture. Mes lunettes, je n'ai pas mes lunettes. « Sam, mes yeux », réclamai-je. A chacun de mes subordonnés, je remettais au moins une paire de mes lunettes au cas où. Sam pose mes verres sur mon nez et tout à coup, mon univers s'éclaircit. Normal qu'il soit rouge ? Non. Je mets du temps à faire le point, à me souvenir où je suis, ce que j'y fais. Émeline, Carcinomia, Palafitte, Donjon Tsunami, Claude. Claude ! Ce nom disperse les dernières traces de confusion qui m'animent. Je me remémore Bobby, son couteau qu'il dardait vers lui. Mon instant de panique s'évanouit aussitôt que je regarde devant moi, mon nouvel ami est juste en face, agenouillé dans la boue. Il me regarde d'un air horrifié et très inquiet, comme s'il craignait que je tombe raide mort d'un instant à l'autre. Il ne semble pas blessé, mais alors, d'où vient tout ce sang ? Il en est maculé, moi aussi. Le sol aussi. Mon univers est écarlate. Méthodiquement, froidement comme j'en ai toujours l'habitude, je calcule et conclus à l'évidence. J'ai un trou noir, il me manque les dernières minutes de ma vie dont je n’ai aucun souvenir. Derrière moi, à différents endroits de la cour, je vois des amas sanguinolents de chair que j'attribue à Bobby et ses hommes. Morts, tous. Massacrés.

- Comment ai-je fait ça ? Mon ton ne me surprend guère et j'aurais pu utiliser le même pour demander l'heure. Sam semble pétrifié par mon calme.

- Quand... quand je suis arrivé, monsieur, vous étiez... comment dire... absolument terrifiant.

- Explicite "terrifiant". Aide-moi à me relever, d'ailleurs. Mais j'abandonne très vite cette idée, chacun de mes muscles semble avoir été essoré, passé au tamis.

- Vous étiez là, totalement affalé sur le sol. A plat ventre, la langue sortie...

- Ça c'est un style de combat. Le Style du Serpent.

- Certes, mais votre corps était entouré par un halo. Tout violet.

- Un halo ?
 
- Oui, c'est ce qui s'en rapprochait le mieux. Et vos yeux brillaient d'une lumière tirant sur le cramoisi. Vous ne sembliez pas vous-même. J'ai assisté à la scène, vous les avez proprement débités et hachés menu, monsieur. A mains nues.

- Intéressant... consentis-je.

De toute ma vie, c'est la première fois qu'il m'arrive quelque chose de ce genre-là. Mais mon ton placide ne convient apparemment pas à la situation. Sam et Claude ont peur, peur de moi, peur que la chose sanguinaire qu'ils ont vu réapparaisse et s'en prenne à eux. Je dois les rassurer mais pour ça, il faut encore que je sache...
 
- Je me suis arrêté tout seul ?

- M... malheureusement non. Après avoir éparpillé leur chair aux quatre vents, vous continuiez à vous en prendre à leurs restes. En hurlant de plaisir. C'était absolument horrible à voir ! Sam est un plastiqueur de bon niveau et s'il est choqué à ce point par ce qu'il a vu alors je conçois que le spectacle ne fut pas ragoutant. Claude était là, il criait, vous suppliait d'arrêter mais vous continuiez. Et quand il s'est approché de vous...

- Ne me dis pas que j'ai essayé de m'en prendre à lui...
 
- Non, répondit Claude d'une petite voix apeurée. Il semblait avoir repris tous ses esprits. Quand je me suis approché pour... Je ne sais même pas ce que je faisais aussi... Enfin, tu as arrêté, tu m'as survolé d'un bond puis à quatre pattes, tu t'es dirigé vers la sortie.

- Et là j'ai su que je ne pouvais vous laisser partir monsieur. Alors, je me suis interposé.

- Tu es fou ! Cette chose que j'étais aurait pu te mettre en morceau !

- Peut-être mais c'est vous qui auriez mis tous ceux que vous rencontreriez en charpie, autrement. Amis ou ennemis, je ne sais pas si vous faisiez encore la différence. Alors...

Dans sa paume, il me montre un coquillage spiralé orné de petits trous. Un Impact Dial. Je comprends maintenant pourquoi mon corps souffre le martyr. Le choc de l'impact a suffi à me clarifier l'esprit. Mécaniquement, de ma main droite, je tâte mon ventre. Ce que je cherche, je ne saurai le palper de toute manière. Je cherche le monstre en moi, la bête que j'ai sentie grandir depuis que j'ai appris l'enlèvement d’Émeline deux jours auparavant. Cette créature, assoiffée de sang et de vengeance s'est épanouie en moi, guidant toutes mes résolutions depuis le début. Sous son impulsion, j'avais décidé d'y aller par la manière forte et de massacrer ceux qui sont responsables de ce rapt. Je ne saurai expliquer exactement pourquoi je l'ai catégorisée comme une "bête", un "monstre". Peut-être parce sa présence dans mes entrailles m’emplit de folie, peut-être parce que je l'ai senti gratter et déchiqueter mes viscères quand je résistais un minimum aux pulsions qu'elle m'insufflait.
Ma caricature n'était pas si loin de la vérité, quelque chose a trouvé logis au plus profond de mon âme et quand je l'ai laissée sortir, elle s'est repue de sang. Qu'est-ce que cela pouvait bien être ? D'où tire-t-elle ses origines, son désir de tuer ? Et ce halo dont m'a parlé Sam, qu'est-ce que c'était ?

Énormément de questions mitraillent ma conscience et je sais qu'une personne au moins saurait y répondre. Le Moine Samaël, mon maitre d'art martiaux qui, toujours, a réponse à tout. Je le contacterai le moment opportun mais pour l'instant, j'avais d'autres chats à fouetter. Je ne dois plus me laisser aller à cette colère pure, la bête ne doit plus ressortir. Pour l'instant, elle est rassasiée, calmée.
Avec un effort qui me semble surhumain, je me remets debout après avoir dangereusement vacillé. L'impact dial n'est pas la seule explication, je comprends alors que laisser cette chose émerger nuit aussi à mon physique. Il ne manquerait plus que j'apprenne que ça diminue aussi mon espérance de vie. Mais ne parlons pas de malheur, et n'oublions pas les priorités. Émeline. Claude. Les Corvéables.  
Quand je l'obombre de ma silhouette, il semble rapetisser à vue. Les discussions sur mon précédent état de zombie avaient, durant un court moment, éludé ses véritables préoccupations. Sa trahison, ses regrets, Bobby qui s'apprêtait à lui faire payer.... Alors, il se jette à mes pieds et demande pardon.  

- C'est plutôt à moi de m'excuser. Pour avoir été dans ta situation, je connais les ravages et les chaines de l'endoctrinement. Qui plus est, toi tu possèdes quelque chose que je n'avais pas quand j'étais esclave. Une famille. Et dès le moment où ta trahison aurait pu les mettre en danger, il n'y avait rien de plus important, baragouinai-je, l'élocution hachée. Ma mâchoire m'élance. J'aurais plutôt trouvé inquiétant que tu te fiches de leur sort et préfère réaliser tes rêves vaille que vaille, même au risque de leurs vies. Tu as une âme, Claude.
 
- Merci...

- Et aussi, je savais que tu me tendais un piège, révélai-je en souriant.
 
- Tu... tu savais ?

- Très enfantin, Claude. Même si tu parlais à cœur ouvert de tes rêves, tu étais bien trop détendu quant au fait de m'aider à m'infiltrer ici. J'en ai vu d'autres, et j'ai tout de suite décelé le traquenard. Et si d'aventure j'avais encore un doute, le passage de la Scarlet Gate m'a confirmé ce que je pensais. On n'avait nullement besoin d'utiliser le chariot du porcher, les Corvéables entrent dans ce château comme dans un marché. Le passage chez le charcutier t’était nécessaire parce que tu avais besoin d'utiliser son escargophone pour appeler Bobby. C'est aussi pour ça que tu y es allé seul. Vraiment fastoche.

- Monsieur m'a alors demandé d'assurer ses arrières mais il m'a été plus compliqué d'entrer dans la forteresse. J'ai réussi à soudoyer un marchand de pastèque de la Jungle qui m'a fait passer son apprenti. Vous devriez y aller monsieur, je vais nettoyer ça.

- Bobby était en charge de l'ordre dans ce quartier, sa disparition ne passera pas inaperçue.

- Sans doute, mais en attendant ce moment, vous serez loin avec Miss Emeline. Je me suis renseigné, j'ai fait parler le marchand et selon lui, la future mariée est surement dans la demeure seigneuriale.

- Tu en es sûr ?

- Oui... Il a raison, répondit Claude d'une voix hésitante.

- Écoute, rejoins les tiens. Tu ne dois pas être lié à ça.

- A quoi bon ? De toute façon, ce sont les Corvéables qui seront accusés. C'est toujours comme ça. Il y a quelques mois, un soldat avait disparu pendant plusieurs jours et en guise de sanction, une dizaine d'enfants ont été choisis pour être fouettés nuit et jour afin que les responsables avouent. Des adultes se mirent à faire de fausses confessions quand le premier gamin fut fouetté à mort. Deux jours plus tard, le soldat en question fut retrouvé ivre dans un bordel de Favela.

- Ces Wave sont vraiment des raclures !

- C'est l'incident le plus grave depuis une décennie ! Avec un chef de section et deux subordonnés morts, nous n'allons pas nous en sortir par de faux aveux, je le crains. Son ton était à la fois las et décidé. Celui de quelqu'un prêt à affronter la mort.

- Je suis désolé, mais d'un côté c'est une bonne chose. Si ça peut vous contraindre à vous sortir les doigts...

- Je dois voir les Anciens. Ils dirigent officieusement le clan, ils forment la première génération de Corvéables.

- Les originaux ? D'il y a cinquante ans ? Je ne pensais pas qu'il y en aurait encore ! J'imagine qu'ils doivent être moins réceptifs au lavage vu qu'ils ont vu de quoi l'extérieur a l'air. Je dois les rencontrer !

- Alors, viens. Suis-moi.

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Nous laissons Sam Tex derrière et nous nous aventurons hors de la cour commune qui fut témoin du massacre. La priorité d'abord, se débarbouiller, nous épurer du sang qui nous macule. Heureusement, juste dans la maison d'en face, Claude parvient à trouver de l'aide. Une Corvéable au regard fuyant et épouvanté par notre dégaine, nous accueille. Claude lui explique brièvement la situation mais son ton badin est tel qu'il réussit à la convaincre que le sang est celui d'un porc que nous avons cru bon d'égorger nous-même au lieu de le confier au charcutier. Naturellement, la nécessité de nous laver chez elle avant d'aller plus loin rend l'explication très bancale. Malgré tout, nous évacuons cette tâche rapidement et remercions notre hôte avant de nous éclipser.

Nous trouvons les Anciens, tapis dans un agrégat de maisons délabrées formant un réseau si tentaculaire que je ne serai pas étonné d'apprendre que les autochtones eux-mêmes s'y perdent parfois. Ils sont deux, une femme et un homme, d'un âge très avancé, frôlant la nonantaine. Ils sont assis dans des fauteuils roulants; au poignet droit du vieillard est épinglé un cathéter qui diffuse dans ses veines la solution médicamenteuse que contient la pochette de perfusion accrochée à une barre de fer au-dessus de sa tête. La vieille enturbannée regarde fixement devant elle de ses yeux laiteux et gangrenés par la cataracte. Je me rends compte qu'elle est aveugle et me répète qu'ils sont vraiment très vieux. Leur peau parcheminée et sillonnée de veinures semble si délicate que je viens à craindre qu'un coup de vent trop brutal fasse exploser les ancêtres. Claude aussi apparemment puisqu'il referme rapidement la porte. Dans la petite pièce mal éclairée se tient un autre long-bras, bien plus costaud et plus grand que moi. Un adepte du culturisme à première vue tellement ses pectoraux et abdominaux saillent drus. Je me surprends à me demander comme est-ce possible que la STEP ait pu le laisser s'endurcir à ce point parce qu'il se dégage de l'homme une certaine présence dont ne disposent que les pratiquants assidus d'arts martiaux.  

- Mes respects, Anciens, fit Claude en se prosternant profondément. Je l'imite un peu dans sa révérence, sans toucher de mon front le sol cela dit. Y a des limites.  

- Mes respects.

▬  C'est toi... Morpi' ? Approche...

Morpi' ? Ils diminuent ces noms dégradants pour en faire quelque chose de sympa ? Claude s'approche de la vieille qui tâte de sa main ridée son jeune visage toujours boursoufflé à cause des coups de Bobby. Elle sent les irrégularités, elle devine aisément le problème. Alors, Claude leur expose la situation puis me présente. L'ancienne me mande auprès d'elle et me palpe également la face. Elle s'y attarde plus longtemps qu'avec Claude dont elle doit connaitre les moindres esquisses. Une mémoire digitale...
Elle finit par mes longs cheveux dont elle lisse les mèches. Sa main est étonnement douce mais dans ses gestes, j'ai senti quelque chose de semblable à une incrédulité, un profond étonnement plutôt. Un Long-bras venu de la surface et qui se propose de les aider à délier leurs chaines, oui cela doit lui sembler irréaliste après cinquante printemps dans ce trou. Claude en dit davantage, leur explique ma démarche, comment nous avons fait connaissance, ce que j'ai fait pour lui (massacrer le chef de section Bobby entre autre...), à quel point il a confiance en moi. Il leur assure aussi ne plus sentir d'engagement envers les maitres et qu'il a l'impression qu'un énorme poids a délesté son âme quand il m'a vu se battre pour lui.

- Je me suis rendu compte que la liberté valait la peine qu'on se batte pour elle. C'est pour ça que je vous l'ai amené, Révérés Anciens.

▬  Agnigban thu kelar nis ?

Le phrasé est ancien, carrément archaïque mais je le reconnais. C'est bien de l'hingri, un dialecte spécifique à la grande tribu des Threyl de Hungeria. D'ailleurs, les multiples tatouages informes en robe de léopard sur la peau du vieil homme m'avaient déjà éclairé sur ses origines. La question qu'il me pose est claire et je lui réponds en hingri, dans une version plus édulcorée que la sienne. « Yhe, n’sow vatl re’lar. Grand Line, n'sow nat'ch. » Non, je ne viens pas d'Hungeria, je ne viens même pas de Grand Line, puis j'ajoute : « N'ko yelimi kekem » qui signifie globalement "Sang de mes aïeux". Cet apophtegme purement Long-bras résume à lui seul le sentiment d'unité qui unit ce peuple, par-delà les mers. Un seul peuple, le mien, le leur. Envers et contre tous, unis.

M'enfin, une belle idée générale que s'est et j'en ai besoin pour gagner la sympathie de ces vieux débris, mais ce n'est pour autant qu'ils me sont sympathiques. Surtout le vieil homme. C'est un Threyl ce qu'il y a de plus pur et de plus raciste. Question idéologie, ils ne sont guère différents de ces tortionnaires Wave. Au panthéon des plus grands esclavagistes de Hungeria -donc forcément du monde- la tribu des Threyl se taille la part du lion. Ma main à couper que cinquante ans plus tôt, ils débarquèrent sur North Blue dans l'intention de razzier un quelconque pays puis de repartir sur Grand Line, leurs bateaux chargés d'esclaves. Mais ils se seraient confrontés aux Burn en surnombre, sûrement. Et là, le chasseur devint proie condamnant ainsi trois ou quatre générations de Long-bras à la servitude. Ils ne m'inspirent que du dégoût et si j'en viens maintenant à penser que le sort de la première génération est mérité, leur descendance n'a rien demandé. Et pour résumer cela, il y a une autre maxime hingri toute prête.
« Grah seryl than dé kadjè, mia tow ! »

- Ils élaguent les branches de notre jeunesse, expliquai-je à Claude qui semblait perdu. L'hingri est une langue assez "barbare" ou sonnant comme tel à l'oreille des profanes. Et même pour moi qui l'appris grâce à des ouvrages spécialisés et aux cours du Moine Servite Amanaël, je la trouve gutturale, très vélaire et dénuée de beauté.
Anciens, je peux vous aider à vous libérer mais il faut que vous soyez prêts à guerroyer.

▬  Quel genre d'armée as-tu, Akka Anni Mao ?

"Mon fils". Tu parles. Je leur détaille ce qu'ils ont besoin de savoir. La guerre au Roc et mes espoirs de victoire, donc de disposer d'une armée conséquente pour réaliser mes projets. J'insiste sur le fait que tout est au conditionnel. Je suis un marchand d'illusion qui espère transformer ses rêves en réalité et ça, ils le comprennent bien. Les Anciens n'ont pas l'air du tout affecté et psychologiquement bloqué par le conditionnement. Je m'y attendais, pour la plus simple raison qu'ils furent eux-mêmes des esclavagistes. On pouvait les forcer à travailler, à se rouler dans la boue aux pieds de leurs maîtres mais pas à les aimer, ni à les vénérer. Ils connaissent trop bien les rouages de l'endoctrinement pour tomber dans cette spirale. Malheureusement, au fil des trois ou quatre générations qui suivirent la leur, l'emprise de maîtres se fit plus forte et les originaux s'amenuisant comme peau de chagrin, il y eut peu d'anciens pour secrètement inculquer aux plus jeunes les arcanes de la résistance à la torture psychologique. Mais ce que me fait comprendre la vieille c'est qu'il demeure malgré tout un petit groupe de gens non soumis.

Algol ci-présent est le chef du Noyau, dit-elle en désignant le colosse bodybuildé qui est resté silencieux tout ce temps. Le Noyau, c'est... le noyau... marmonna-t-elle de sa voix faible comme si l'explication est évidente. Au lieu de jouer l'impossible et de chercher à immuniser tout le monde contre les lavages, nous avons choisi la stratégie de la concentration.

▬  Devesh Lah ! corrigea le vieux.

Stratégie de "spécialisation" alors, reprit-elle. Un petit groupe s'est formé, une sorte de... société secrète où nos techniques de contre-lavage étaient enseignées. Bien sûr, pour les maitres, nous sommes tous des chiens obéissants.  

- Et ce Noyau, quel est son but ? Renverser les maitres ?

Bien sûr que non. Ce serait de la folie furieuse. Ils sont trop nombreux et jamais notre population n'a dépassé les cent dix individus dont la majorité est à peine majeure. Et même dans le cas totalement impossible où nous parvenons à vaincre les Wave, la population civile de Palafitte nous anéantirait, sans parler des autres clans. Non, nous avons créé le Noyau pour perpétuer nos valeurs, notre culture. Notre Kaaah.

- Notre "nous". Notre identité, notre âme, en somme, expliquai-je à Claude. Ce qui nous reste quand on a tout perdu. Cela dit, vous ne préparez aucun plan d'aucune sorte ? Le Noyau n'entasse-t-il pas des armes ? Où vous n'avez pas assez confiance en moi pour tout me révéler ?

▬  Hô'sey zhai na thu !

La confiance se gagne, expliqua le colosse Algol. Et seulement à ce moment-là, je me rends compte que...

- Hey ! Algol est une étoile, la plus brillante de la constellation de Persée. C'est tout sauf le nom d'une vermine. Ainsi donc vous possédez des noms propres dans le noyau ?

En dehors de ces murs, je suis le Corvéable Larve Bleu, mais à l'intérieur, je suis Algol. Comment pourrions-nous sauvegarder l'identité de notre peuple si nous n'avons même pas de nom ?

- Je suis amplement d'accord. Également avec l'ancien. La confiance se gagne mais vous m'avez déjà révélé beaucoup.

Oui, parce que Morpi' répond de toi. Le Noyau est constitué de deux types de membres. Ceux qui sont choisis depuis la naissance pour suivre les procédés anti-lavage et ceux qui se libèrent d'eux même de l'emprise pour une raison ou une autre. Morpi' fait partie de la seconde catégorie et c'est toi qui l'y a aidé.

- Vous n'avez pas assisté à sa "libération". Qu'est-ce qui vous dit qu'il n'est pas un agent double au service du Crâneur ? demandai-je, perplexe.

▬  J'hay ki wa, n'kouvi khrasth !

- "Les yeux sont le miroir de l'âme". Ainsi, en "lisant" ses prunelles, vous prétendez affirmer qu'il s'est affranchi ? Soit, je ne vais pas critiquer vos techniques, d'autant plus j'en emploie de semblables pour identifier les traitres. Du coup, revenons à cette histoire de confiance.

Tu as fait beaucoup à Morpi, tu...

- Claude, Vénérée. J'ai choisi Claude comme prénom.

A la bonne heure, mon fils ! Tu as aidé Claude à s'affranchir, mais il te reste à nous prouver que tu peux nous aider à sortir d'ici. Tu comprends que nous ne pouvons jeter les nôtres en pâture sur tes simples promesses. Il y a beaucoup de "si" dans le plan que tu nous as exposé.

- Normal. Donc, je dois d'abord gagner la guerre que je mène au Roc, ensuite vous aviserez ?

Oui, c'est une des conditions parce qu'il faut une armée pour mener une guerre. Mais il y a quelque chose que tu dois faire avant ça. Le Crâneur, il doit mourir.

- Vous êtes sûre ? Parce que, déjà de morts, il y en a trois et ça risque de vous être gravement préjudiciable. Si en plus le chef de la STEP meurt, ce sera perçu comme un prélude à la révolution non ?

C'est le message que nous voulons envoyer aux nôtres. Dans bien des cas, la seule mort du tortionnaire parvient à défaire les chaines du bourrage de crâne. Depuis presque trente ans, le Crâneur dirige la STEP d'une main de fer. Pour nombre des nôtres sous son emprise, c'est même un demi-dieu.

- Et donc, projetiez-vous de le tuer avant mon arrivée ?

Nous avons une sorte de liste de tâches à accomplir dans le cas où nous devrions saisir une opportunité de révolution. Et la mort du chef de la STEP figure au premier rang. Tu veux nous aider à nous affranchir, alors cette épreuve devrait t'incomber.

- Ne serait-ce pas plutôt à moi de vous demander de le faire pour me prouver que vous êtes aptes à me suivre ?

Nous ne le sommes pas. En tout cas, pas plus de dix personnes. Pour que le Noyau fasse son travail de persuasion et que la masse te suive, le Crâneur doit mourir. Et cela doit passer pour un accident. Si possible, un accident qui fasse plusieurs victimes. Ainsi, la disparition des trois personnes que tu as tuées sera imputée à cet accident.

- Donc un accident dans lequel les corps des victimes ne sauraient être reconnus et identifiables ?

Tout à fait, mon fils. Mais cela ne vaut que pour les victimes annexes. Le Crâneur doit être reconnaissable. Le pire qui puisse arriver est que son corps disparaisse. Sa méthode de conditionnement implique énormément de notions de spiritualité, d'une supériorité divine de la race "normale" sur les difformes comme nous. Si son corps n'est pas vu de tous alors il deviendra une sorte de mythe et sera à jamais craint par les nôtres.  

Ils doivent voir que ce n'est qu'un homme.

- Je ne pensais pas avoir des devoirs de maison à faire. Vous me posez une colle là, mais je vais y songer. Naturellement, un accident où aucun Corvéable ne saurait être impliqué, c'est ça ?

▬  Teh te'kla !

Naturellement.

- Oui, il me faut du temps pour mettre tout ça en place. Mais en attendant, moi aussi j'ai de quoi éprouver votre engagement. Comme vous l'a expliqué Claude, mon amie est la future mariée du Comte Adalbert. Et je dois m'infiltrer auprès d'elle.

Ta Solaria Seldon est détenue dans le complexe du Comte. Nous pouvons t'y faire entrer, si ce n'est que ça que tu demandes. Il n'y a rien de plus facile pour un Corvéable.

- J'y vais avec lui.

Tu es sûr que ton absence à la Blue House ne sera pas détectée ?

- Oui, j'avais fini mes trois jours de service quand Loth m'a alpagué. J'ai juste omis de ramener le linge vu qu'on l'a planqué dans une remise sur les berges.

Allez-y alors. Claude, accompagne Reich chez Talitre, elle m'a informé devoir ausculter Dame Solaria.

- Ausculter ?

Talitre est la meilleure acupunctrice de Carcinomia. Sa science est transmise depuis la première génération et les maitres ont su en profiter.

- Vous aviez leur santé entre les mains ? Il ne vous est pas venu à l'esprit de les contaminer avec une saleté des fois ?

Non parce qu'il n'y a aucune saleté qui puisse tous les tuer d'un coup vu qu'ils ne consultent pas tous en même temps. Et la menace des autres clans est toujours présente.

- Mouais.

Donc je disais, Dame Solaria a eu dans la nuit d'hier un accident ayant occasionné quelques muscles froissés et Talitre doit la prendre en charge dans quelques heures.

- Des muscles froissés hein ? Elle a tenté de s'échapper, naturellement. Nous allons y aller. Bien, merci.

Nous comptons sur toi, mon fils. Le peuple Long-bras a assez souffert. Que cette année qui tend vers sa fin soit la dernière que nous passons dans cette geôle. Gah'mo vae zaesq !  

"Une promesse est une dette". Assurément. Et moi, mes dettes, je les paies.

Toujours.

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"Talitre" est une quadragénaire à la peau d'une blancheur de lin étoilée de tâches de son. A l'instar d'Algol, c'est un membre du Noyau. Elle hocha simplement de la tête quand Claude et moi finîmes de lui expliquer ce nous attendions d'elle. Nous patientons dans la salle de réception déserte de son officine pendant qu'elle passe quelques coups de fils. La pièce est assez miteuse, trop pour être le lieu de travail de celle qui soigne les maitres de Palafitte. J'en déduis qu'elle fait probablement de la consultation à domicile et que ce bureau est uniquement dédié aux siens. Aux Corvéables. Les murs en argile -pas en tôles, donc du luxe dans ce quartier- sont tapissés de photographies de coupes des différentes parties de l'anatomie, humaine comme animal. Pour une raison que je soupçonne venir tout droit de la STEP, beaucoup d'images de nuisibles en tout genre ornent aussi les briques rouges. Sans doute pour rappeler aux Corvéables leur nature supposée de vermine. Mon regard s'attarde sur le cliché le plus en vue, le mieux développé aussi. Celui d'une puce d'eau ressemblant vaguement à un crustacé.
Un talitre...

- Je suis de nouveau à vous, dit-elle en revenant de son bureau, un escargophone à la main. J'ai appelé la demeure et proposé de venir consulter Dame Solaria à l'avance parce que mon agenda s'est libéré. Et ça a marché, nous pouvons y aller.

-  Super !

- Qui avez-vous appelé ? Adalbert ?

- "Son excellence le comte" ! corrigea-t-elle de sa voix aiguë. Ce genre de détail pourrait vous trahir.

- Mouais, désolé.

- Et non, y a un major d'homme dans là-bas qui gère les lieux. Et même si c'est un Corvéable, c'est le plus assujetti et le plus fidèle aux maîtres. Qu'il découvre votre existence et nous serons tous anéantis !

- C'est toujours bon à savoir.

- Vous devriez vous changer, Reich. J'ai une blouse mais je n'ai aucune chemise pour vous, maugréa-t-elle en lorgnant mon torse nu et tatoué. Cela dit, j'ai des robes. Ce serait plus convaincant si vous vous faisiez passer pour mon assistante.

- Vous voulez qu'il se déguise en femme ?

- J'ai dix assistantes. Nul ne trouvera ça étrange. Et puis...  

- Et puis ?

- Et puis, sans vous vexer, vous avez une silhouette assez fine et délicate, voir androgyne, Reich. Je suis sûre qu'avec un peu de maquillage, on pourrait faire quelques merveilles. Ce n'est pas une insulte, rajouta-t-elle précipitamment sous mon regard impérieux.

- Il ne manquerait plus que ça soit un compliment ! Me déguiser en femme ne me dérange pas, Émeline est tout ce qui compte. Et j'ai de quoi faire une superbe femme. Je parle d'une technique ! Ne me regardez pas comme ça !

Moi, un androgyne. Je note mentalement de leur présenter Avada pour qu'ils sachent ce que s'est réellement qu'un androgyne. Je me lève, me concentre et focalise mes pensées sur mon A'lar. Le "déclencheur" en somme. Maudit Ancien Threyl qui m'a redonné la mauvaise habitude que j'avais d'inclure des mots en hingri dans la langue commune. Le déclencheur, c'est ce qui me permet d'activer la technique du Retour à la vie, de sentir chacune des cellules de mon corps et de les utiliser aussi simplement que je bouge des doigts. Et cet activateur, c'est mon passé. L'esclavage, la torture, les humiliations, la mort omniprésente. Cette épreuve bien qu'elle m'eut ébranlé n'a jamais déteint sur mon envie de vivre, de briller et d'inscrire mon nom au firmament. Au contraire, elle a amplifié ses désirs et n'a jamais cessé de grandir. Né pour briller. C'est cette envie de rayonner qui irradie de mon être et vivifie mes cellules. Maigrir, je dois maigrir, avoir une des contours plus fins, féminins. Je me concentre sur cette pensée et chasse toute autre idée de ma tête.  

Je me sens diminuer, devenir plus léger, et les « Oooooh » de surprise de Claude et de Talitre me donnent raison. Encore un peu plus, plus fin que ça, je suis du genre perfectionniste. Quand je juge ma nouvelle corpulence assez efféminée, je me concentre sur le paramètre principal. D'habitude, j'utilise le Retour à la vie pour gagner en puissance physique. Si je peux tonifier la masse musculaire de mon bras, alors je saurai le faire pour mes pectoraux. Disparue la poitrine musclée, elle doit gonfler, devenir arrondie, plus ferme. Par les dieux givrés de Boréa, qu'est-ce qu'Émeline me fait faire ? Les quelques réserves de graisses que j'ai déplacées pour mincir, je les accumule dans mes pectoraux qui gonflent jusqu'à devenir de véritables poitrines. J'aurais pu arriver à un résultat semblable avec de la mousse ou des chiffons enrobés dans un soutien-gorge mais mon perfectionnisme me pousse à affiner les détails. Quitte à me rendre ridicule, autant y aller à fond. J'ouvre enfin les yeux et contemple le nouveau "moi" dans le miroir mural en face. Je suis bluffé, j'ai des mensurations de top-modèles et la forme d'une bouteille de cola. Enfin, pour ce qui est du haut. Peu m'importe les fesses.

- J'hallucine !

- Whoua ! Quel remarquable contrôle du corps ! C'est... le Retour à la vie ? Grand père m'en a parlé mais il est mort avant de me l'enseigner. C'est la quintessence de l'art et du contrôle pour un acupuncteur ! Vous... vous pourriez me l'enseigner ? Des étoiles brillaient dans ses yeux.

- Plus tard. Vos robes, vos maquillages ?

Quelques instants plus tard, nous nous mettons en route pour la demeure seigneuriale. Je fais attention de marcher simplement. Aucune Corvéable ne se déhanche dans la rue, au contraire, elles sont du genre à fuir les regards et à marcher tête baissée. En bon assistante, je porte le sac de ma supérieure tandis que Claude nous talonne de près. Il veut absolument venir et voir Émeline, aussi Talitre lui a-t-elle mise une grosse machine à aiguille dans la main. Le truc pèse une tonne et elle n'aurait jamais pu le trimballer seule, pas plus que moi qui suis devenue si fine...
Chemin faisant, nous longeons le colossal bloc des cuisines où s'affairent près de cent cuisiniers et marmitons chargés de nourrir, non seulement les nobles du Complexe du Comte mais aussi la garnison de sept cent hommes défendant Scarlet Tsunami. Toutes sortes d'effluves s'échappent des fenêtres sous lesquelles nous passons. « La plus part des cuistots ici sont des Chiens, ou des employés du château. Il doit y avoir dix Corvéables là-dedans, pas plus », susurre Claude. Sur la route, nous nous fondons dans la foule comme des mustangs dans leur troupeau. Nous croisons différents gens qui ne daignent pas nous détailler plus longtemps. Parfois, nous rencontrons d'autres Corvéables qui nous saluent brièvement tout en me dévisagent curieusement. Bien sûr, ils se connaissent tous ou presque. « Et ça, c’est le grand donjon », rajoute-il en levant la tête vers la colossale masse circulaire qui nous enténèbre de son ombre. Nous contournons ce donjon rouge en suivant sa courbe, ce qui me donne toute la largesse de le scruter. « Il fait cinq étages entièrement dévolus à la garnison. C'est aussi là que se trouvent les bureaux de la STEP », continue de me souffler Claude en bon guide.

La STEP. La Section de Torture et d’Endoctrinement de Palafitte. Je bouillonne rien qu'à cette pensée et machinalement, je me palpe une nouvelle fois le ventre comme si j'espère sentir ma bête intérieure se réveiller. Mais elle doit rester endormie, je dois la garder sous contrôle et ne plus céder à la colère. Je discipline mes esprits en éloignant de moi tout ressenti négatif. Donc dans ce donjon se trouve le fameux Crâneur qui désormais à un contrat sur la tête. Et c'est à moi de l'exécuter, tâche qui ne peut que me procurer le plus grand plaisir mais voilà, il y a quelques contraintes à respecter. Le tuer en faisant passer ça pour un accident et en profiter pour éliminer quelques-uns -plus de trois- de ses compagnons tout en rendant les corps de ces derniers totalement non identifiables. Le problème est de taille et depuis que nous avons pris congé des Anciens, je ne cesse de cogiter et de tourner l'équation sous tous les angles. Mon cerveau hyperactif a déjà soupesé des dizaines de scénarios sans en valider un seul. Je n'ai pas réellement d'impératif de temps mais le plus tôt sera le mieux. Idéalement, j'aimerais que le crépuscule de cette journée jette le glas sur la vie et les crimes du Crâneur. De la poche de mon pantalon, je sors une montre à gousset qui m'indique dix heures. A l'approche de la demeure seigneuriale, je relègue les multiples scénarios qui m'assaillent dans un coin sombre. Plus tard, j'y reviendrais.

Le complexe du comte est un massif édifice en arc de cercle. De chaque carreau de marbre qui tapit sa façade extérieure transpire le luxe. L'entrée fait face à une série de dépendances utilisées à divers escients selon Claude. La porte est gardée par deux soldats qui ne pipent mot en nous voyant entrer. Quelle bêtise, je ne m'y ferais jamais. Nous tombons sur un jardin caillouteux de type "zen" oriental. Il se dégage du jardin une réelle atmosphère de paix. Une petite marre aux grenouilles est aménagée contre les remparts ouest du complexe, les coassements des batraciens rythment le dressage des tentes de réceptions. Tout ça pour un mariage forcé...
Nous nous frayons un chemin dans la cohue et nous dirigeons vers l'intérieur de la bâtisse qui regroupe une dizaine de grands salons et le double de chambres. Les murs sont carrelés de jaspes écarlates, lesquels, grâce à un savant jeu de lumière, diffusent un éclairage rougeâtre dans l'enceinte.

- Tiens, voici la Vieille Nan, la camérière personnelle de Dame Solaria, marmonna Talitre qui se précipita à la rencontre d'une minuscule vieille qui nous attendait dans un vestibule. Talitre s'inclina profondément imité par Claude et moi. Tu sembles en forme mamie !

- Bien sûr. Que feraient les jeunes sans les savoirs de Vieille Nan, hein ? répondit-elle d'une asthmatique voix en souriant. Morpion, que fais-tu ici ? Et qui c'est, cette belle jeune femme ? Nan ne l'a jamais vue.

- Morpion a fini ses trois jours de travail à la Blue House et est venu se reposer quand je l'ai alpagué pour me prêter main forte. Ce nécessaire à aiguille est trop lourd pour moi. Sinon, celle-ci c'est Blatte Grise. Tu ne t'en souviens pas, mamie ? C'est la fille de Vermisseau de Vase et de Ténia.

Pour ma couverture, on a opté pour l'identité d'une réelle Corvéable mais que nul ne connait ou presque et pour cause, la pauvre fille souffre d’épilepsie et de démence qui l'ont forcée à rester cloitrée chez elle toute sa vie. En cas de réelle suspicion, cette identité nous permettrait de brouiller les pistes pendant un court moment avant d'embrasser des solutions plus expéditives. La vieille Nan semble perdue quelques secondes avant de décider de croire Talitre et d'accuser sa mémoire devenue gâteuse avec l'âge. Vieille Nan est si âgée que ses rides me vont fugacement penser à des toiles d'arachnide peintes sur sa peau. Forcément, elle est de la première génération de Corvéable, c'est un des derniers "originaux" à l'instar des Anciens. Fait-elle partie du Noyau ? En me basant sur les échanges qu'elle a eus avec Talitre, je dirais non. Elle progresse lentement de sa naine corpulence et nous conduit vers une chambre au fond d'un couloir isolé du reste de complexe. Recluse pour mieux la surveiller. Je compte cinq gardes costauds comme des buffles dans ledit couloir. Ils n'ont pas d'armes à feu, juste des matraques. Ce n'est pas une attaque extérieure qu'ils craignent mais une tentative d'évasion de la future mariée. Est-ce eux qui l'ont empêchée de s'enfuir ? Est-ce ces matraques sur son corps qui ont "froissé ses muscles" ? Je flashe et mémorise le visage de chacun de ces gardes. Ils me le paieront de leurs vies en même temps que leurs maîtres. La vieille nous ouvre la porte en frêne massif. J'hésite à rentrer, forcément, elle me reconnaitra et je crains que sa réaction ne nous trahisse.

- Dame Solaria, la doctoresse est arrivée, annonça Nan, une tête à travers l'ouverture.

- Qu'elle entre. Sa voix me réchauffe et me contente. C'est bien elle, juste elle.


Oh l'actrice !
Un regard suivi d’un simple sourire de bienvenue. Talitre et moi inclinons la tête en signe de révérence puis l’acupunctrice demande à Claude qui reste un moment interdit à dévisager Émeline de déposer la machine à aiguille et de sortir. Elle exhorte Nan à faire de même en arguant le secret médical. La porte se referme sur eux et pendant longtemps nous restons à nous regarder. Sa chambre a une porte barbelée ouverte sur le jardin zen qu'elle contemplait un thé à la main avant mon arrivée. Un lourd silence s'installe pendant une dizaine de minute puis elle baisse la tête et des larmes s'égrainent et gouttent sur le plancher en aubépine. Pas les larmes maintenant, elle n'a jamais été du genre pleurnichard. Je m'apprête à lui dire "la prochaine fois que tu pars en vacances, laisse un mot" quand elle me fait comprendre par des signes de la main que la pièce est probablement sur escargo-écoute. Ce n'est pas un problème en soi, je suis autant passionné de criminologie que de langues et j'en ai plusieurs dans mon attirail prêts à nous dépanner. Mais parler dans un langage inconnu ne ferait qu'accentuer la suspicion alors j'opte pour le langage des signes qu'elle connait bien.

Le silence durant une consultation n'étant pas plus naturel que de baragouiner dans un patois incompréhensible, j’exhorte Talitre à faire son travail et à ausculter sa patiente comme si je n'étais pas là. Émeline se retrouve à répondre verbalement mais aussi manuellement. Une bien étrange chorale. Que dire quand on retrouve enfin une personne pour qui on prévoie de déclencher une guerre qu'on n'a pas les moyens de gagner ? Qu'a-t-elle à me dire, elle ? Pas des excuses, elle sait que je déteste ça. Pas plus qu'elle ne s'apitoierait sur son sort. D'ailleurs, elle ravale vite les larmes qui lui embuèrent les yeux. Finalement, je ne me rends compte que je n'ai rien de particulier à lui demander alors je m'affale dans le canapé le plus proche et souffle de soulagement. Elle est solide, ce ne sont pas quelques coups de gourdin qui sauraient entamer sa combativité. Elle ne pose pas non plus de question sur mon déguisement et je lui en sais gré. Elle m'explique qu'elle a essayé de s'enfuir plusieurs fois et qu'à la fin, elle s'est résolue à... A quoi ?! J'ai failli poser la question à haute voix. A côté, Talitre semble perdue par nos mimiques et nos gestes qui sont aussi incompréhensibles pour elle que les aboiements d'un chien. Émeline dit avoir mangé un fruit du démon. Un fruit du démon. « Quoi ?! Mais tu l’as trouvé où ce fruit ? » demandai-je avec des gestes frénétiques.

C'est alors qu'elle en vient à m'expliquer les raisons de sa présence au festival du fruit sur Holiday Isle. Cet évènement connu sur tout North Blue et qui se déroule une fois l'an à la belle saison regroupe tous les négociants majeurs en fruit de cette Blue qui viennent décider des prix à adopter, régulariser le marché et parler d'autres choses concernant leur filière. En marge de ces rencontres hautement officielles se déroulent une série de spectacles et de foires où des fruits communs comme exotiques sont exposés. « C’était ton anniversaire, je sais que tu détestes ça mais je voulais te faire un cadeau. Et un de mes contacts m’a dit que le clou de l’exposition de Gargaram -c’est un négociant de Luvneel- serait un fruit du démon. Donc j’ai sauté sur l’occasion, je voulais te l’offrir. » m'explique-t-elle.
Elle a retrouvé ce Gargaram et acheté son fruit à cent millions de Berry. Une bagatelle qui m'arrache un râle d'exaspération. Un cadeau d'anniversaire à cent millions ! C'est presque le total de mon compte actuellement. Mais qu'est-ce qui a bien pu lui passer par la tête ? Mon exaspération passagère l'a refroidie et je l'ai sentie se replier sur elle-même alors je ne fais pas plus état de mon mécontentement. Elle a toujours été timide et réservée en face de moi. De l'amour... Mouais passons à autre chose, tellement pas le temps de m'attarder sur ces futilités. Je l'encourage à continuer et elle m'explique que face aux échecs de ses tentatives de fuite, elle fut obligée d'ingurgiter ce fruit qu'elle avait caché dans le chignon de ses cheveux dans l'espoir qu'il contienne un pouvoir assez puissant pour lui permettre de soumettre ses ennemis. Elle l'a mangé hier.

« Et alors ? » m’enquis-je dévoré par la curiosité. Si elle a acquis un pouvoir monstrueux, elle aurait déjà engendré mille morts, je n'en doute pas. Cent millions pour un pouvoir ridicule ? Il y avait de quoi porter à son comble mon exaspération. Tout en continuant de parler de sa douleur au dos avec Talitre, elle pose son index droit sur la table basse vitrée qui nous sépare. Je m'attends à la voir exploser ou fondre mais quelque chose de bien plus intéressant se produisit. Durant deux battements de cœur, la surface irradie intensément d'une aveuglante lueur bleutée qui arrache un cri de surprise à Talitre puis petit à petit se forme dessus une sorte de... de plan ? Non, de carte. La chose semble irréelle. Je fais un parallèle avec un château de sable sauf que dans ce cas-ci, elle faite de lumière. Là où les murs extérieurs opaques et granuleux d'un château de sable m’empêcheraient de voir l'intérieur, la carte de lumière projetée par Émeline donne une vision complète dans les entrailles de la chose. Je suis fasciné, je reconnais la pièce où nous nous trouvons, entre autre parce qu'elle est écarlate sur la projection bleutée. Je reconnais aussi le couloir, le vestibule, les multiples pièces et salons que nous avons longés. Ce pouvoir est absolument incroyable, je suis totalement subjugué par la magnificence de cette carte. Mon cerveau surproductif imagine déjà les utilisations que je pourrais en faire, les millions qu'il nous permettrait d'engranger facilement. Faire des cartes de châteaux forts, de musées, de bases de marines et les vendre aux plus offrants ? Ce serait facile et vachement lucratif. Les cent millions investis par Émeline -oui, je considère maintenant cette folie comme un investissement- seraient rentabilisés en quelques mois. Je ne sais même pas comment fonctionne ce pouvoir que déjà je m'emballe et pars en vrille. Je suis tellement content que j'ai envie de lui sauter dessus et de l'enlacer. Ce pouvoir est sien, l’investissement également mais déjà, je fais des plans dessus. Elle voit ma joie et me répond en sourire. Elle est soulagée, peut-être y a-t-il finalement du bon dans ce malheur, doit-elle se dire.

Plus que du bon en fait. Pour Willian, je compte l'aider à reprendre le Roc pour pouvoir utiliser son armée et me venger des Wave. Pour les Corvéables, j'envahirai Palafitte avec mon armée pour les libérer. Pour l'Arbre à Palabre, j'ai fait venir les Fumiers pour semer le chaos à Favela et me venger des Burn. Et bientôt pour le Parefeu de Virus, je ne serai qu'un client de plus venu faire soigner un ami malade. Ils se gourent, tous. « Ta mésaventure, Émeline, m'a ouvert la porte d'un trésor colossal », lui dis-je en signe alors qu'elle fait disparaitre le plan de la demeure seigneuriale. « Et ce pouvoir passif que tu as acquis ne sera que l’une de ses positives retombées. Ce que je projette à présent c'est de contrôler Carcinomia pour que plus jamais, ce temple de l'underground ne soit souillé par les vices de l'esclavage. Mais surtout, je veux contrôler ce pays pour ses richesses. »
Et son franc sourire me signale qu'elle est en accord avec mon plan. Sans doute y a-t-elle déjà pensé.

Elle me complète.



Dernière édition par Loth Reich le Dim 15 Mai 2016 - 22:17, édité 1 fois
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Son pouvoir et ses utiles implications, nous y reviendrons. Talitre soigne les contusions et rétablit la bonne circulation de ses flux nerveux grâce à cette science de l’acupuncture pendant que je lui fais un état de la situation générale et de la position de mes pions sur l’échiquier de Carcinomia. C’est mon second, ma première conseillère d’affaire, elle doit comprendre ce qui se joue. Enfin, conseillère ex-æquo avec Dena mais l’indic, lui, je paie ses renseignements quelle que soit l’issue de mes transactions. Avec Eme’, c’est un partenariat du type actionnariat même si ça ne tenait qu’à elle, elle travaillerait gratuitement pour moi. D'ailleurs, pour me retourner les rémunérations que je lui octroie, elle trouve des idées du genre m'acheter un fruit du démon pour mon anniversaire.

Décrire l'intégralité de la géopolitique par des signes est exténuant et quand j’en viens enfin à bout, mes bras sont toutes moites. Toujours décontenancée, Talitre se demande surement ce que nous nous racontons via ces gesticulations. Peut-être s’imagine-t-elle que je prends de plus amples nouvelles de mon amie ? Que nous préparons son évasion ? Elle serait effarée d'apprendre que nous parlons affaires. C'est le plus important, le travail c'est notre vie à tous les deux, le meilleur moyen pour Eme' de retrouver ses repères. Je n'ai nul besoin de m'appesantir sur son état, elle a vu pire, elle va bien.
Quand elle comprend enfin les enjeux se jouent, elle informe soudainement Talitre qu'elle soit se rendre aux toilettes et m'y traine par le poignet. Le regard de la doctoresse quand elle nous voit nous éloigner vers la cabine... sans prix. Et je m'épargne toutes les perverses pensées qui traversent son esprit.

- Tu veux déclencher trois guerres ? susurra-t-elle en grinçant des dents dès que la porte de la douche fut fermée. L'escargophone espion ne capte pas ici, rajouta-elle en tâtant le bois doré dont sont recouverts les murs. C'est du cèdre jaune, il est utilisé comme matériau de confinement du son dans les studios d'enregistrement. Donc, tu as déjà déclenché une guerre ?

- Tu aurais pu en parler depuis longtemps, ça nous aurait évité de gesticuler comme des singes. Oui, une guerre est en cours au Roc et quand elle sera gagnée, j'utiliserai leurs forces pour frapper Palafitte. Sans compter nos Fumiers qui ont pour mission de déstabiliser Favela.

- Tu... tu as fait tout ça pour moi ?

- C'est normal. On ne s'en prend pas à mes amis et ce message, je me dois de l'envoyer sinon nul ne me respectera jamais dans ce milieu. Le blason de Shadow Law que tu as fait dessiner, nous allons le porter haut et le hisser sur les cadavres de nos ennemis.

- J'adhère à ce plan ! fit-elle joyeuse. Je suis aussi très effarée par l'histoire des Corvéables et des Chiens. Je me disais que Vieille Nan avait dû être endoctrinée et tout mais je n'imaginais pas que c'était carrément institutionnalisé ! Ça me dégoûte à un point ! Mais ce Noyau, on pourra compter sur eux pour une action interne avant que la situation au Roc ne penche à notre faveur ?

- Pas une action publique en tout cas. Si je réussis à éliminer le Crâneur, alors ils pourraient commencer à sensibiliser ou faire un travail quelconque sur les leurs pour les préparer à la rébellion.

- Je suis très sceptique. Même si leur bourreau meurt, ce n'est pas ça qui va les désenvouter comme par enchantement.

- Je suis de ton avis, mais qui ne tente rien n'a rien. Pour éliminer les Wave, je n'ai pas réellement besoin des Corvéables, j'ai juste besoin qu'ils aient envie d'être libres, autrement, une fois libérés, ils seront semblables à des lions de cirque relâchés en pleine jungle. Incapables de se nourrir tous seuls, condamnés à dépérir et à être des proies. Ce qui change le tout, c'est d'avoir un moteur de vie, de liberté, un but à poursuivre.

- Peut-être que si les autres voient certains des leurs agir contre leurs maîtres, ça va engendrer une logique de groupe et que même les plus conditionnés se rejoindront à la rébellion. Ça me rappelle une histoire que n'a pas voulu me raconter Vieille Nan. Je pense que sa fille a tenté de se rebeller, de s'enfuir et qu'elle a été tuée. Dès que j'ai abordé le sujet, elle est devenue quasi épileptique.

- Des effets du lavage de cerveau, j'ai vu ça avec Claude.

- Je pense que je devrais rester ici plus longtemps.

- Quoi ? Je suis venu pour te ramener !

- Je sais bien mais maintenant, la donne a changé. Je ne suis plus prisonnière, je me constitue prisonnière pour notre cause, il y a une différence de taille. Dans la nuit d'hier, Adalbert Blue m'a rendu visite suite à mon énième tentative d'évasion. C'est vraiment un répugnant personnage animé par des pulsions sadiques et psychopathiques. Il m'a servie une version de notre "rencontre" que je devais dire aux autres cadors du clan autrement, il m'a assurée qu’il découperait mes membres, les ferait cuire et me les donnerait à manger avant de me trancher la gorge. Je te passe les détails. Je suis intimement convaincue que toutes ses précédentes femmes n'ont pas divorcé de leur plein gré, encore moins qu'elles soient restées longtemps en vie après. Je pense aussi que c'est lui qui est à l'origine de la mort de Mina.

- Mina ?

- C'est le nom de la fille de Vieille Nan. Pendant un moment de délire, elle m'a appelée ainsi.

- Mina ? C'est un diminutif d'un quelconque nom de vermine ? Non, c'est un nom propre ça. Sa fille aurait-elle été une initiée du Noyau alors que Nan ne l'est pas elle-même ?

- Hmm, je l'ignore. Mais "Nan" n'est pas non plus un nom de vermine.

- Ah si. Le Nan est un parasite vermiforme qui vit dans le gésier des Atitruns, une espèce de merles endémiques du royaume de Rhétalia de South Blue. Par contre, j'ai beau chercher, jamais entendu parler d'un quelconque nuisible commençant pas "Mina".

- Minable ?

- Non, ils veulent que les Corvéables s'identifient à de la vermine. Nommer quelqu'un "minable" c'est beaucoup trop généraliste. Je suis certain que c'est un nom propre, ce qui collerait bien à sa fille vu qu'elle s'est rebellée. Je vais chercher à en savoir plus sur elle. Sinon, revenons à nos moutons, pourquoi tu veux rester là ?

- Oui, quand Adalbert est venu, il m'a aussi dit que son mariage rassemblerait tout le clan Wave. Aussi bien la famille Blue que les Mydblue. Je pense que c'est une occasion en or de tous les éliminer en une seule attaque, ce qui jettera assez de chaos généralisé pour l'invasion à partir du Roc.

- Ce n'est pas une mauvaise idée, concédai-je. Le mariage est dans cinq jours et cela devrait être suffisant reprendre le Roc aux belligérants durant ce laps temps. Mais je rechigne à te laisser ici à la merci de ce type.

- Je ne reverrai sûrement pas Adalbert avant le mariage, je n'ai rien à craindre, rassure-toi. La guerre au Roc a besoin de ta présence, tu dois t'y rendre. En restant ici, je pourrai creuser du côté de Vieille Nan. Si sa fille a brisé le tabou et tenté de faire publiquement bouger les choses ici, je saurai la gagner à notre cause.

- Fait chier... marmonnai-je en me passant une main dans mes cheveux.

Je déteste ce genre de plan, je déteste ne pas avoir le choix. Enfin, on l'a toujours, car ne pas choisir, c'est aussi choisir. Mais plus que souvent, on se retrouve à faire des concessions et à choisir le moins pire. Celle que je suis venu délivrer se propose d'endurer les dieux savent quel calvaire supplémentaire pour nous permettre, non seulement de nous venger de ses persécuteurs, mais aussi de faire une avancée décisive dans mon plan global de contrôle de Carcinomia. Si j'arrive à éliminer l'intégralité du clan Wave durant ce banquet alors je pourrais aisément déployer mes forces pour contrôler Palafitte. Et si je contrôle Palafitte en plus du Roc alors je disposerai d'une force suffisante pour écraser Favela et forcer la Jungle et Virus à s'asseoir à la table des négociations avec moi. Je n'ai pas l'intention d'entreprendre une quelconque action militaire directe contre ceux-là à moins qu'ils ne se montrent hostiles. Émeline dont le kidnapping a été le déclencheur de cet effet domino se retrouve être en son cœur au moment le plus décisif. Si je rejette sa proposition et la libère maintenant, plus de mariage, je devrais aller chercher les Wave un à un, sans aucun avantage de surprise.
Sale trainée de destin qui s'amuse de mes scénarios !

- Hey ! J’allais oublier, j’ai quelque chose pour toi ! dit-elle, joyeuse. Sur la coiffeuse se trouve une petite mallette à revêtement de velours noir qu’elle prend et me fourre dans la main. Je l’ouvre et découvre un assortiment de bijoux sertis de pierres précieuses. Colliers, diadèmes, bracelets, tous gracieusement offerts par mon royal futur époux, expliqua-t-elle dégoûtée. Il y en a pour plusieurs dizaines de millions, bien plus qu’il ne m’a achetée à Caffree Burn. Ce n’est pas beau l’amour ?

- Ce sont des cadeaux qui viennent du cœur. Tu devrais les garder très chère... rigolai-je.

- Ma main au feu que certains ont dû appartenir à ses épouses disparues. Tu en tireras un bon prix, histoire de financer nos guerres. Essayons de tirer le maximum de bénéfice de chaque mauvaise aventure, c’est le mot d’ordre non ?

- Tu me complètes.

- Allez ! Pars, laisse-moi ici ! insista-t-elle en me poussant hors de la douche.

Il ne me reste plus un brin de discussion, je sais que c'est la solution la plus pertinente. Talitre parachève sa consultation en quelques secondes puis nous nous préparons à partir. Je lui glisse un mini-escargophone qu'elle dissimule dans son soutien-gorge. Elle rayonne de contentement, elle n'est plus la prisonnière que je suis venue délivrer, maintenant, elle est en mission. Ce n'est pour elle, pas plus dangereux que n'importe quelle infiltration que je lui ai déjà confié. Mais quand la porte se referme sur elle, j'ai l'impression de laisser une part de moi encagée. Je reviendrai avant les cinq jours, et ce mariage on le teintera de sang. Promis.  

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- Que savez-vous de cette Mina ? La fille de la Vieille Nan, ai-je demandé à Talitre dès que nous regagnâmes son officine qu'elle ferma pour nous donner de l'intimité. Auparavant, je me suis débarrassé de la robe et ai annulé le Retour à la Vie qui m'a drainé une quantité non négligeable d'énergie. Quant à Claude, je l'ai envoyé me chercher des entrecôtes de porc et des boissons très sucrées, je dois reprendre des forces.

- Oh ! Ne prononcez jamais ce nom en public ! Mina est une légende, la seule Corvéable ayant jamais ouvertement défié les maîtres après la création de la STEP, répondit-elle d'une voix chagrinée. Je la considérais comme ma sœur vous savez... Nous sommes de la même génération, mais elle a intégré le Noyau avant moi parce que les Anciens ont tout de suite détecté ses extraordinaires prédispositions à résister au lavage. Parce qu'elle brûlait littéralement de désir de liberté.  

- Je sens que je l'aurais aimé elle.

- Qui n'aurait pas pu l'aimer à part les maitres ? Malheureusement pour Mina, désir de liberté et tête brulée ne font pas bon ménage dans notre monde. A notre insu à tous, pendant neuf ans, elle s'est faite connaitre en tant que le "Pachyderme Écarlate". C'est une histoire que certaines des nôtres racontent encore à leurs enfants sous l'oreiller.
Nous sommes en 1606, Mina avait dix ans à cette époque, le père du comte Adalbert fit ramener un éléphant de la surface. A part les insectes, les poissons, et quelques oiseaux qui se retrouvèrent coincés durant l'éboulement du sommet qui isola Carcinomia, aucun animal n'est naturellement présent ici, surtout pas un d'aussi gros. Donc la bête devint vite l'attraction du Secteur et la fierté du comte. Et je ne sais comment, Mina eut l'idée de délivrer la créature pendant une exposition.


- Sérieusement ?

- Oui, il devait y avoir une centaine de badauds, elle s'est déguisée comme ces héros de bandes dessinées que nous lisons aux enfants des maitres. Elle a réussi à déchainer l'éléphant et à le rendre totalement fou grâce à quelques abeilles. La débandade a été indescriptible, j'étais dans la foule. Il y a eu quinze morts ce jour-là dont la majorité piétinée par l'éléphant que Mina avait réussi je ne sais comment à contrôler et à diriger sur l'attroupement des maitres.

- Mais... Et les répercussions sur vous ? Même si elle s'est masquée, la silhouette d'un long-bras est parfaitement identifiable.

- Pas dans son cas. Elle s'est emmitouflée dans une combinaison en forme d'éléphant sur deux pattes. Aujourd’hui encore, j’ignore où elle l’a trouvé ce costume. Les dimensions étaient celles d'un adulte -j'ai découvert plus tard qu'elle tenait dedans grâce à des échasses- et pour les bras, il lui suffisait de replier le second avant-bras sur le premier pour avoir des proportions "normales".

- Oooh elle était douée !

- Oui et terriblement impulsive et haineuse des maitres, malheureusement. Ils n'ont pas su qui avait fait le coup même s'ils nous ont suspectés et en ont fouettés beaucoup pour qu'ils parlent. Mais le fait est que nul ne savait que c'était elle. Je fus la première à percer son identité, des années après. Mais elle ne s’est pas arrêtée en si bon chemin, elle a revêtu son accoutrement de héros pachydermique pour perpétrer d'autres actions coups de poings dans les bordels de Favela et du Roc où elle a tué sans ménagement les esclavagistes et les proxénètes. C'est de là qu'est venu son surnom de "Pachyderme Écarlate". Elle n'était pas seulement gueularde et torrentielle mais également très habile dans les arts martiaux que nos ainés du Noyau nous enseignaient.

- L'écarlate, c'était donc le sang des maitres.

- Avec du recul, je me dis que nous avons été trop naïfs, nous avions tous les éléments pour percer l'identité du Pachyderme. On savait Mina emportée et impulsive mais nous ne la pensions pas assez folle pour s'adonner à de tels actes. Comme tout le monde sur Carcinomia, nous avons pensé que ce "héros" n'était qu'un anarchiste.

- Et vous n'avez jamais tenté d'établir le contact avec le Pachyderme ? Vous n'avez jamais réfléchi à coordonner une quelconque opération avec lui ?

- Bien sûr que non ! Nous désapprouvions ses faits parce qu'ils nous étaient préjudiciables. Les restrictions et les brimades sur les Corvéables et les Chiens se sont faits plus fermes et plus intenses pendant les années où le Pachyderme a sévi ! Il a continué à saboter ce qu'il pouvait, à tuer des maitres quand il en avait l'occasion. On lui attribue pas moins d’une centaine de meurtres.

- Pardonnez-moi l’expression mais vous êtes vraiment des couilles molles dans ce Noyau. A votre place, je lui aurais apporté mon aide.

- Pffff, râla Talitre en désaccord. La majorité des esclaves à Palafitte et à Favela pensent tout bas comme vous. Qu'il aurait dû être aidé. Mais voilà, le Pachyderme n'était qu'une seule personne et nul ne connaissait son identité réelle. C'est extrêmement difficile pour une masse poltronne de gens d'horizons divers d'apporter de l'aide à quelqu'un se dissimulant sous un masque. Il aurait pu être n'importe qui, être doué de je ne sais quelles intentions ! Les esclaves sont déjà plus bas que terre mais pour certains, le fait qu'ils soient encore en vie leur suffit. Et là, nous touchons du doigt le véritable problème. La peur de la mort ! Et au Noyau, nous refusions de cautionner un acte stérile qui engendrerait la mort de dizaines des nôtres.

- Mais le risque en vaut la chandelle ! Quand allez-vous l'apprendre enfin ? La liberté mérite qu'on se batte pour elle ! Mina l'a comprise elle, mais vous, vous vous touchiez la nouille en vous cachant derrière des considérations farfelues. Bien sûr qu'une rébellion entraine toujours des morts ! Parce que la liberté est une courtisane qui se paie au prix du sang ! Mais qu'est-il advenu de l'esprit belliqueux de notre race ? Quelle valeur exactement prétendez sauvegarder dans ce Noyau ? m’emportai-je. Claude entra dans la salle de réception.

- Euh, vous allez bien ?

- Oui. Talitre me racontait seulement la glorieuse épopée du Pachyderme Écarlate en n’omettant pas de me révéler à quel point le Noyau est resté couard durant ce temps. D'ailleurs, c'est quoi votre "vrai" nom de "rebelle", Talitre ? Ou avez trop peur de faire des victimes en adoptant un nom propre ?  

- Je t’en prie, Loth. En douceur…

- Ce n'était pas de la couardise, mais du calcul ! s'enflamma-t-elle après ma cinglante satire. La cause était désespérée, nous ne pouvions gagner ! Et ne me dites pas qu'il fallait essayer pour savoir ! Des vies étaient jeu, nous aurions été massacrés et pardonnez-nous si nous avons préféré garder les nôtres en sureté ! Et pour votre gouverne, je m'appelle Weimin !

Sa poitrine se soulève et s'abaisse au rythme de sa respiration devenue haletante. Ma pique a fait mal, son teint de lin est soudain devenu écarlate et ses tâches de rousseurs ont l'air d'avoir pris feu. Je lève une main en signe de paix pour calmer la situation. J'y suis peut-être allé un peu fort, elle est plus concernée par l'histoire que je ne le serais jamais. C'est elle qui est esclave, c'est elle que leur impuissance à se rebeller ronge de l'intérieur, c'est aussi elle qui a vu son amie mourir. Comment d'ailleurs ? Elle n'a pas fini de raconter l'histoire de Mina. Pour apaiser la situation, je lui fais remarquer qu'elle a choisi le prénom d'une des plus grandes acupunctrices du siècle passé et Claude intervient pour lui expliquer les origines de son prénom à lui. Il veut aussi rafraichir l'atmosphère en nous proposant de faire un bon déjeuner. Les ventres creux apportent toujours la dissension selon lui et je ne peux le contredire vu l'effet apaisant qu'a sur moi cette entrecôte de porc préparée façon mizu-mizu. De la viande "mouillée", trempée dans l'eau jusqu'à ce qu'elle devienne la plus tendre possible. Une fois dans la bouche, elle fond et répand en vous l'essence même de l'animal. Un pur bonheur.

Pendant un moment, on entend plus que les bruits de mastication et de déglutition. Nous sommes en paix avec nous même, en tout cas, avec notre estomac. J'embraye alors sur la suite et Talitre, Weimin plutôt, continue son histoire. Le Pachyderme insaisissable, le Pachyderme primé à cent millions de Berry par les chefs de clan, le Pachyderme devenu mythique, le héros auquel tout esclave s'identifie en secret sans toutefois avoir le courage de s'exposer publiquement. Puis, il y avait Mina, en pleine croissance, mue par les hormones de l'adolescence. En 1615, soit neuf ans après sa première apparition en tant que le Pachyderme Écarlate, elle souffle sa dix-neuvième bougie. La jeune fille garçon manqué s'en est allée, se métamorphosant en une belle jeune femme enviée et convoitée. Aucune union officielle n'est autorisée et envisageable entre une Corvéable et un maitre mais nombreuses sont celles qui leur servent de maitresses, plus ou moins avec consentement. Le sujet est délicat, tabou et pour ne pas réveiller ma bête, je préfère éluder le reste. Mais la suite est telle que je l'ai imaginée. Mina attise les pulsions de ce pervers d’Adalbert Blue qui ne pense qu'à la posséder. Mais la jeune fleur a déjà quelqu'un, un copain du nom de "Fourmi Jaune" et n'entend pas se donner à cet être qui le dégoûte et dont elle a tué le père sous l'identité du Pachyderme, un de ses plus hauts faits. Pour Adalbert, c'était inconcevable qu’un moins que rien de Corvéable lui soit préféré. Alors, il agit, guidé par sa folie possessive.  

- Ils lui ont réservé une mort des plus horribles. Le comte a envoyé ses chiens d'attaque à ses trousses prétendant que Fourmi Jaune lui volait de l'argent. Le pauvre a été dévoré vivant par la meute. N'en parlons plus, j'ai envie de vomir, fit-elle, tout tremblante, une main sur la bouche.

- Celui-là... J’attends avec impatience le jour où je me le ferai... rageai-je.

- Bien sûr, les dessous de l'affaire ne sont connus que du Noyau et des maîtres. Comme vous pouvez l'imaginer, Mina a pété un câble et avant que nous -le Noyau- l'arrêtions, elle s'était déjà armée et avait foncé à la demeure seigneuriale où elle a proprement tailladé Adalbert.

- Tailladé le comte ? C'est impossible...

- C'est pour ça qu'il se laisse pousser des favoris, son visage est balafré et sa barbe le cache. Il n'a eu la vie sauve que grâce à l'intervention de sa milice et à son hospitalisation à Virus. En fait, il paraitrait que Mina n'a pas fait que lui tailler le corps, elle lui aurait aussi coupé son membre viril.

- Hein ?!

- Ça c'est une rumeur qui a commencé à émerger après son second divorce. Il paraitrait que c'est sa seconde femme qui aurait vendu la mèche mais après, elle a mystérieusement disparue.

- Hahaha, rigolai-je. J'adore cette Mina, j'irai me prosterner sur sa tombe en signe de profond respect. Elle a été tuée par la milice, c'est ça ?

- C'est ce qu'ils disent. Un combat s'est engagé entre elle et eux. Elle en a tué beaucoup. Mina réussit à s’enfuir du château et à rallier le  port où elle a été abattue. Encore une fois, c’est à moi qu’est revenu la charge de m’occuper des restes… dit-elle au comble du chagrin. Ces vieilles blessures sont encore vives. Mina a été chassée par une unité de la milice armée de lance-flammes. Pour l’éliminer, ils n’ont pas fait dans le détail, ils ont incendié toute une partie du Port 3 quand ils se sont retrouvés incapable de la déloger de sa cachette. Mina a été intégralement calcinée mais je l'ai reconnue grâce aux bracelets qu'elle portait qui n'ont pas fondu tous fondus.

- Donc… Nul n'a jamais prouvé que Mina est le Pachyderme Écarlate, c'est ça ?

- Non, mais des liens ont été faits et le fait que le Pachyderme ne soit plus jamais réapparu après la mort de Mina l’a indirectement confirmé. Sa mère a complètement perdu pied après, soumise à de la torture psychologique à répétition à tel point que nous craignions qu'elle ne devienne un navet. Ils voulaient lui faire révéler les complices du Pachyderme mais elle non plus ne savait pas que c’était sa fille. Leur maison et celle du défunt copain de Mina ont été fouillées mais aucune preuve n'a été retrouvée. Ils cherchaient surtout le costume du Pachyderme Écarlate.

- Comment ça se fait qu'ils n'aient rien déniché ? Mina avait un bon abri ?

- Non, cette gourde avait tout planqué chez elle. Dans une malle sous son lit. La STEP n'aurait eu aucun mal à la retrouver, mais... fit-elle en souriant, J'ai été plus rapide qu'eux.

- Oh ! Tu veux dire que tu as gardé le costume du Pachyderme Écarlate depuis la mort de Mina, il y a onze ans ?! s'extasia Claude.

- Ouais ! Malgré ses sanglantes actions, le Pachyderme est le seul réel "héros" qui ait jamais tenté de changer la situation. Sur ce point, je suis d'accord avec vous, Reich. Trop de gens se sont identifiés à lui pour que je laisse le costume tomber dans les mains de la STEP. Nombreux sont ceux qui ne croient pas que Mina soit le Pachyderme et qu'il est simplement parti de Carcinomia lutter ailleurs. L'espoir qu'il a engendré demeure ainsi dans le chœur de centaines d'esclaves qui ne désespèrent pas de le voir revenir un jour les sauver. Et cet espoir, j'ai tenu à le sauvegarder.

- C'est très courageux de ta part !

- Je m'excuse de t'avoir traité de couarde, Weimin. Tu es bien plus forte que bons nombres de guerriers que je connaisse. Tu voudrais bien me le prêter, ce costume ?

- Pourquoi faire ?

- Cet espoir, cette flamme vacillante que tu as entretenue contre vents et marrées pendant plus d'une décennie, laisse-moi t'aider à la raviver dans le cœur des esclaves de Carcinomia.
En ce jour, le Pachyderme Écarlate renaitra.


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Une heure après ma discussion avec Weimin, tout est fin prêt, mon plan final est arrêté. La disparition du chef de section Bobby et de trois de ses hommes a été remarquée mais pour l'instant, seule une unité de la STEP a ratissé le quartier des Corvéables à leur recherche sans rien trouver. Sam Tex avait tout nettoyé avant leur arrivée. Un anarchiste doublé d'un plasticien qui sait nettoyer le chaos, je penserai à féliciter Nivel pour l'avoir aussi bien formé. Allié avec le Noyau, je dispose de son réseau d'information, des Corvéables chargés de discrètement espionner la STEP. J'ignore combien ils sont dans ce Noyau mais ils me parurent mieux organisés que ce que j'avais pensé. Tant mieux. Il fallait que j'agisse avant que cette disparition ne soit réellement prise au sérieux, moins de deux heures se sont écoulées depuis leur massacre. Après avoir tergiversé et soupeser tous les scénarios, j'opte pour le plus spectaculaire et pas forcément le plus efficace ni le moins dangereux. Mon plan pour éliminer le Crâneur n'est en fait qu'une opération de communication massive, tout est pensé pour rendre hommage au Pachyderme Écarlate et à sa lutte.

Devant le miroir mural du dispensaire de Weimin, je me remets à admirer mes courbes féminines. Oui, j'ai remis ça et mon égo de mâle commence vraiment à être écœuré par cette silhouette qu'est la mienne. Malheureusement mon plan le nécessite, alors je m'y fais. Je ne suis plus aussi fine qu'avant, au contraire, j'ai beaucoup de kilos en trop et cette fois ci, mes cheveux sont teints en blond sale. Une touche de noir sous mes yeux souligne mes faux cernes de fatigue. Je suis sensé être "Criquet des chiottes", une Corvéable qui s'occupe du nettoyage dans le grand donjon. Cette personne dont j'usurpe l'identité dort profondément dans une salle d'hospitalisation, assommée par un puissant somnifère. « Criquet est plus joufflue que ça, attendez, je vais vous aider », intervient l’acupunctrice. Que c'est difficile de prendre l'apparence d'une personne qui est radicalement différente de soi ! Et encore, Criquet est la plus imitable de toutes les Corvéables qui travaillent dans le donjon, la seule qui ait ma taille. Pour me faire plus joufflu, Weimin m'arrange le portrait avec d'infimes doses de venin d'abeille dont elle enduit le bout de ses aiguilles. J'y suis allergique et la moindre piqure provoque des boursoufflures si la quantité de venin est insignifiante, un choc anaphylactique quand elle est massive. Le Retour à la Vie me permet certes de grossir mes traits mais pas aussi efficacement que le ferait de petites doses de venin sous les pommettes. Mes joues enflent rapidement me donnant cet air bourru de la vraie Criquet. Les picotements dus au poison sont désagréables mais tolérables. Je suis fin prêt pour la seconde partie de mon plan.

Je me rends donc dans le donjon. Sept cent miliciens font de ses cinq étages, leurs quartiers. Selon les informations du Noyau, les bureaux de la STEP occuperaient le dernier étage, là où j'ai le plus de chance de trouver le Crâneur. Criquet -la vraie- avant de se faire endormir par Weimin nous a révélé être de service à partir de midi jusque dans la soirée. Malheureusement, elle ne s'occupe uniquement du récurage du quatrième étage dévolus aux miliciens officiers, mais à cela ne tienne, je pourrais facilement monter. La Corvéable en charge de la propreté au cinquième est une espèce de naine dont je n'aurais jamais pu endosser l'identité. Comme à l'accoutumée, je passe tranquillement la porte d'entrée que veillent deux miliciens. Dans ma main droite un balai, dans l'autre, un grand sceau en osier rempli de bouteilles contenant des produits de nettoyage. La forme circulaire du donjon disparait dès qu'on y entre, les pièces sont agencées de telle manière qu'on se retrouve dans un long couloir qui conduit jusqu'à un escalier desservant les étages supérieurs. De parts et d'autres de ce couloir s'alignent à intervalle régulier les portes. J'emprunte le couloir de la démarche pataude et lourde de Criquet. Certaines portes ouvertes me laisse entrevoir des pièces de grande tailles remplies de lits superposés, parfois je compte jusqu'à sept lits empilés les uns sur les autres et maintenus par des barres de fer et une échelle. Ici au rez-de-chaussée, ce sont des dortoirs communs, les éléments qui dorment ici constituent l'échelon le plus bas de la milice.

Mon idée première se retrouve confirmée, ce donjon est une garçonnière. Jusqu'à présent, je n'ai vu aucune femme portant l'uniforme mauve de la milice et cela assoie encore mieux mon idée de les divertir. Le premier étage est semblable au rez mais déjà, l'ambiance semble plus épurée. Ceux qui sont issus ont quelques galons et font preuves de plus de disciplines que le troupeau plus bas. Les dortoirs sont moins encombrés qu'en bas, les salles, plus petites. S'ils sont sept cent à avoir leurs quartiers ici, combien sont actuellement présents dans cette tour ? Cent, deux cents ? Plus des trois quarts de l'effectif total de la milice doit être actuellement en service à l'intérieur et l'extérieur du donjon, la guerre civile au Roc menace de déborder ici. Le troisième Comté de Palafitte partage près de dix kilomètres de frontière avec le Roc. Ils sont en premières lignes. Tout cela renforce mon plan. Je monte au premier puis au deuxième étage. Il est midi passé et beaucoup d'entre eux sont au mess à côté des cuisines. Parfois, je me fais alpaguer par d'autres Corvéables mais je trouve toujours un moyen de mettre rapidement un terme à la conversation qu'elles souhaitent engager au détour d'un escalier.

Les troisièmes et quatrièmes étages sont réservés aux officiers. Et le standing change du tout au tout, les murs sont carrelés avec soin, les portes en bois riches, la peinture luisante. Chaque chambre est individuelle évidement et si certaines sont ouvertes laissant voir leurs résidents occupés à griffonner quelque chose sur du papier ou à démonter leurs armes, d'autres sont fermées et quand on s'en rapproche un peu trop, on arrive à discerner des bruits étouffés de gémissements. Et là j'exulte, ma théorie est confirmée de plus belle. Une garçonnière de sept cent âmes, fallait s'y attendre. J'ai deviné qu'il doit y avoir un autre genre de personnes qui franchissent tout aussi facilement la Scarlet Gate que les Corvéables. Les filles de joie de Favela, les "esclaves libidineux" de Caffree Burn. Dans vingt minutes, ce sera la fête, j'espère que Dena' aura mis le paquet. Mais en attendant de voir déferler une horde de filles payées par mes soins et seront offertes aux officiers en guise de "cadeau" du comte Adalbert, je hâte de rejoindre le cinquième étage. Les Bureaux de la STEP. On m'a dit que le Crâneur occupe le bureau doté d'une porte en teck noir et je la repère assez facilement, il se situe juste en face de l'escalier. Les lieux sont austères, les murs dénudés, en pierre brute. Je compte dix portes et derrière chacune d'elle s'est jouée des drames à répétition. De la torture, du conditionnement.

Et c'est pour ça que je suis là, je veux voir de mes yeux comment ils s'y prennent. Je n'ai pas voulu trop questionner Claude ou Weimin sur ces procédés de crainte de leur rappeler de douloureux souvenirs. Mais selon l'Ancienne, la méthode de programmation de la STEP comporte des notions de spiritualité. En vrai, ils torturent physiquement quand le Corvéable ne semble pas répondre à l'endoctrinement idéologique. Je m'avance vers la première porte à ma droite et m'y glisse. Il n'y a pas de "cours" aujourd'hui, pas de séance de spiritisme, cela a lieux les trois derniers jours de la semaine uniquement. La pièce ressemble effectivement à une salle de classe dotée des bancs et des chaises disposés face à un immense tableau noir où s'étalent des croquis à la craie des différentes espèces humains. Naturellement, les humains "normaux" trônent au sommet, les autres "difformes" sont agenouillés et contemplent l'humain sans difformité avec un regard mielleux et révérencieux qui me dégoute. Ils ont même réussi à caler un géant en dessous des Longs-bras et des Longues-jambes. Je me demande s'ils croient réellement à leurs conneries ou si c'est juste un outil pour eux. Dans les tiroirs du bureau du "professeur", je trouve un livre nommé "Origine", une version très détournée et pervertie d'un de mes livres préférés "L'origine des espèces", un livre saint pour tous les évolutionnistes, ceux qui ne croient pas que la biomasse de notre monde a été créée par un Dieu unique, ou des dieux multiples.

Origine est une fumisterie, un ramassis calembredaines qui érige les difformes en des erreurs de la nature destinés à servir les normaux. C'est donc ce qu'ils font lire aux enfants, chaque ligne de ce livre est une ode à la servitude. C'est peut-être un recueil de torchons mais c'est trop bien écrit pour être l’œuvre des Wave. Pas que je doute de la qualité de leurs plumes mais... c'est inexplicable, j'ai le sentiment que cette doctrine dépasse de très loin le simple outil créé pour garder en laisse une centaine de Long-bras. Je cherche alors la date d'impression au dos du livre et je vois marqué "1536", soit il y a quarante-vingt-dix ans de cela. C'est quarante ans avant l'arrivée des premiers Longs-bras à Palafitte. Le livre a été imprimé à... Rhétalia.
Rhétalia... Le royaume de South Blue d'où est endémique ce parasite dont le nom à été donné à la camérière d'Eme'. Le Nan. Veille Nan. Je ne sais rien de ce royaume mais ça ne m'étonnerait plus que ce soit un état esclavagiste qui a développé des méthodes de conditionnement dont s'est inspiré la STEP. Je me donne une claque pour clarifier mes esprits et dissiper l'envie soudaine qui me tiraille de me rendre sur South Blue et voir ce qu'il en est à Rhétalia. Ce ne sont pas mes affaires. Le monstre en moi n'est pas d'accord et son réveil me le signale. J'ai de subites crampes d'estomac mais c'est surement des douleurs fantômes.

La salle suivante est une escargothèque dotée d'escargoprojecteurs. Ma curiosité l'emporte sur la prudence et je démarre une séquence. Je n'aurais jamais dû. De la propagande, des heures et des heures de films arguant la supériorité des normaux et leurs victoires significatives contre tous les difformes qui ont un jour tenté d’asseoir leurs propres idéaux de supériorité. Je veux bien croire que regarder cela à répétition, surtout pour de jeunes enfants doit conduire à un état proche de la lobotomie où on n'a qu'une seule envie, dire oui à toutes les suggestions, pourvu que ça s'arrête. D'ailleurs plusieurs chaises sont agrémentées de chaines aux accoudoirs comme ligoter et forcer les sujets à regarder. Je trouve aussi des audio-dials qui contiennent également des heures de balivernes. Cette salle est peut-être la plus importante du processus de programmation, c'est ici qu'on inculque à coups de vidéos et de sons le cœur même de cette idéologie. Combien de temps les miens écoutent-ils tout cela en boucle ? Leur demande-t-il après de réciter, d'évangéliser cette "parole" ? Sûrement, je suppose. Je remarque que tous les supports, vidéos comme dials proviennent de Rhétalia, le sceau est le même que dans le livre.

Ce royaume m'intéresse de plus en plus et je note mentalement de me renseigner en profondeur sur lui. Avant de partir, je prends soin d'émietter sous mes semelles tous les audios dials que je trouve. Je les concasse jusqu'à ce qu'ils ne soient plus que grains de coquillages. Ma colère revient, la bête ne veut plus se rendormir malgré mes efforts. Tout cela me rappelle trop le Conclave, ils avaient les mêmes méthodes, la même rengaine. Leur fausse religion à eux se nommait "La Source". Source, Origine, même pipe, même tabac. Peut-être le Conclave a-t-il été puiser ses inspirations à Rhétalia ? Après tout, je fus enlevé et détenu sur South Blue. Cela coulerait de source. L'enlèvement d’Émeline m'a-t-il donné la première piste probante sur le Conclave depuis ma libération en 1614 ? Faut dire aussi que je ne les ai jamais vraiment cherchés, j'étais trop occupé à vouloir me faire un nom. Poursuivrais-je enfin mes tortionnaires ? Ma bête intérieure acquiesce mais ma bête... vénale s'y oppose fermement. Le plaisir de la vengeance ou le plaisir de l'argent ? Mon choix a toujours été très clair mais désormais la frontière me parait floue. Carcicomia déteint sur moi, je dois quitter cet endroit avant de devenir un libérateur d'esclave malgré moi. Je n'ai aucune envie d'être fiché comme un révolutionnaire.

Quid d'être un révolutionnaire de l'ombre ? Quid d'avoir une double identité comme j'en ai actuellement, mafieux et héros pourfendant le crime ? Révo', mafieux et héros ? Non, trop compliqué, me dis-je mais ce n'est pas le bon argument pour me décourager. Plus le scénario est ardu et plus je m'y amuse et m'y plais. Mais voilà, ça n'a rien d'amusant de libérer des esclaves, même si challenge il y a. Démanteler une mafia, créer une organisation criminelle tout en y associant la Marine qui ne se doute de rien, voilà des choses plaisantes. Si j'embrasse les idéaux de l'armée révolutionnaire, je ne carburerai qu'à la rage, je ne me reconnaitrai plus. Cette rage me bouffera, j'en suis certain. Sauf si j'apprends à la domestiquer. Non, en définitive, me dis-je. Je libérerai les Corvéables, les Chiens et tous les autres esclaves de Carcinomia. Si je dois contrôler cette île, j'y abolirai l'esclavage mais ce sera tout. Hors de question de me lancer dans une croisade contre les esclavagistes du monde. C'est en somme ma décision finale mais au fond de moi, la créature n'est pas du tout en accord. Elle veut se repaître de massacre. Cette île m'affecte beaucoup plus que je ne l'aurais imaginé. Tellement que plongé dans mes pensées, je n'ai même pas remarqué qu'un homme est entré dans la salle et a tout vu de mon manège, de ma destruction des dials. A présent il me barre la sortie, une arme à feu braquée sur moi, un sourire carnassier au visage. Celui d'un chasseur devant une proie des plus juteuses.

- Tiens, tiens. J'sens que quelqu'un a b'soin d'passer en salle d'lobotomie. Hein Criquet ?

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Il a les cheveux blonds crème et le menton fendu. L'arme qu'il tient est un flashball, une arme qui envoie une balle électrifiée à haute vitesse. Elle me délivre une charge de plusieurs volts. L'électricité irrigue mon corps et je suis secoué de tremblements incontrôlés. Ce n'est pas la première fois que je suis soumis au courant et même si on peut s'y habituer -relativement-, ça reste douloureux. Je m'effondre et me dis que flashball n'est définitivement pas le nom d'un sport. Je continue d'être sporadiquement secoué, même après la mise hors tension de l’arme. Mon bourreau s'amuse de sa capture pendant que j'essaie de lutter contre le Retour à la Vie. Je ne dois pas dégonfler sous ses yeux, je dois rester focalisé sur le maintien de ma technique. J'ai choisi d'encaisser cette attaque, l'heure du combat n'est pas encore venue. J'ai le sentiment que je peux en apprendre un peu plus avec ce type alors je me constitue prisonnier et il me traine sur le sol vers une salle plus loin. Il est fort, assez costaud pour trainer d'une main ma presque-obèse silhouette. C'est un membre de la STEP et à l'inverse de Bobby et de ses hommes, il a une blouse blanche par-dessus son uniforme mauve. Un genre de docteur surement ? Non, un chirurgien de la mort, me dis-je. La salle dans laquelle il m'emmène ressemble à une salle d'opération, entièrement blanche, peut-être aseptisée. Il s'y dégage une odeur d'alcool et de chloroforme.

Il me soulève, me fourre dans un fauteuil rembourré et m'y entrave. Je fais mine de paniquer, de supplier pour mon salut de ma voix bourrue et pas un poil féminine. Il ignore mes supplications et se contente de sourire d'un air sadique. Il pousse une table montée sur roue où trônent des instruments de torture en tout genre. Je ne sais comment, la chaise se détend, s’aplatit et je me retrouve couché. Il en profite pour me ligoter par le cou et me débarrasser de mes verres. Sur mes yeux, il place un blépharostat pour maintenir mes paupières ouvertes. J'ai l'impression de me retrouver dans un de ces mauvais scénarios où un parfait inconnu se fait massacrer d'entrée par l'antagoniste principal pour souligner ses penchants sadiques et psychopathiques. Toujours fidèle à mon rôle, je gigote et continue de supplier. Pas trop fort, je n'ai pas envie de rameuter tous ses petits amis. Il me coiffe d'un bonnet relié à des fils conducteurs d'électricité émergeant d'un Thunder dial. De la lobotomie par électricité donc ? Est-ce comme cela qu'ils conditionnent les plus ardus si le passage en boucle des propagandes audio et vidéo ne marche pas ? En un sens, c'est bien vu, allez résister quand vos neurones sont grillés comme une daurade sur un barbecue. La Section d'Endoctrinement et de torture de Palafitte. J'ai vu les salles d'endoctrinement, je teste la première salle de torture. Mais très peu pour moi, j'en ai assez vu.

- Il sembl'rait que t'aies été trop méchante, Criquet ! T'étais sur la liste des éléments à surveiller. On s'doutait qu'ta loyauté commençait à flancher en même temps que tu pr'nais du poids. Parfois, certains vices comme l'sexe, la gourmandise ou la luxure peuvent inexplicablement déprogrammer un sujet.

- Ah bon, le sexe ? Genre quand tu prends trop ton pied, tu es libéré par magie ? Donc les païens des premiers siècles qui prétendaient trouver Dieu à travers la femme avaient raison ? demandai-je en oubliant d'imiter la voix de Criquet.

- Qui es-tu ? Tu n'es pas Criquet ! fit-il en reculant, une sorte de cuillère parfaitement ronde dans la main. S'apprêtait-il à m’énucléer ?

- Et toi tu n'es pas une lumière professeur Crétinstein. Chevelure de Bérénice !

Je suis déjà en mode Retour à la Vie. Je vivifie mes cheveux qui se déploient tels des tentacules et s'emparent de mon bourreau occupé à hoqueter d'horreur. Il possède une bonne force physique et oppose de la résistance à mes chaines capillaires mais il finit par succomber, saucissonné par mes mèches vivantes. Je brise sans peine mes entraves, enlève ces trucs de mes yeux et remets mes lunettes pour faire le point. La vraie Criquet n'en porte pas mais les Corvéables passent tellement inaperçus que j'étais certain que ce détail n'allait interpeller personne. Même pas ceux qui sont chargés de les éduquer et qui connaissent leurs noms. Enfin, leurs noms de vermine. C'est dire à quel point ils sont inconsidérés. Je resserre la prise sur ma proie. Il doit souffrir mille douleurs, il doit se croire étouffé par un boa constrictor. Encore un tour de vis et j'entends le doux son croustillant des os qui craquent. Mes cheveux le bâillonnent bien sûr, aussi, est-il incapable de hurler son supplice. Il n'a pour s'exprimer que ses yeux exorbités de terreur qui me dévisagent et s'interrogent sur mon identité. Peut-être me m'implorent-ils, je l'ignore. Je suis toujours sous la forme empotée de Criquet alors son désarroi doit être grand.

- Tu ignores qui je suis, j'ignore qui tu es. Je sais juste que tu n'es pas le Crâneur et toi tu sais que je ne suis pas Criquet des Chiottes. Nous voilà en quelque sorte quitte, non ? Les morts n'ont pas besoin de réponse. Quand tu seras derrière le rideau, auprès des âmes de mon peuple, des récalcitrants à ta torture que tu as éliminés sans remords, agenouille-toi, prosterne-toi devant eux et implore leur pardon !

Une dernière pression au niveau de la trachée asphyxie ma victime qui lutte une dernière fois avant d'expirer. Le monstre en moi est satisfait, il exulte, même s'il aurait préféré que je l'éviscère avant de l'étrangler avec ses boyaux. Je m'empare de son corps et le traine au fond de la salle, sous une bâche. Quand on le découvrira, il ne sera aussi noirci que du charbon de bois. Tout cet étage va partir en flamme, ce n'est qu'une question de temps. Dans le couloir, j'entends une voix agacée et mielleuse se plaindre. « C’est quoi tout ce boucan en bas ? Qu’est-ce qui se passe ? » Le boucan en question, je l’entends aussi, c’est de la musique. Le tube de l’été, le No ! no ! no ! des Awkward Sisters. La voix courroucée provient du fond du couloir, j’ai la chair de poule quand je me rends compte que c’est celle du Crâneur. Une autre voix lui répond et celle-là m’est familière. « Sous-officier Ronald au rapport, Officier Général. Il y a une fête dans la grande salle de réunion du quatrième. » Je ne peux pas le voir mais j’imagine que conformément au plan, Sam Tex s’est glissé dans la tenue d’un sous-officier de la milice. « Comment ça une fête ? A treize heures moins ? En l’honneur de quoi ? » aboya le Crâneur. « Des filles sont arrivées, monsieur. Beaucoup de filles. Des cadeaux de la part du comte. » J’étais parti du principe que nul ne chercherait à en savoir plus tant qu’ils auraient de la bonne chère, des boissons et des filles pour se divertir. Le Crâneur semble plus que sceptique et marmonne des "hmmm". Un seul coup de fil, que quelqu'un pense à appeler une seule fois Adalbert et mon plan tombe à l'eau. Mais son nom est magique et ouvre beaucoup de portes.

- Joey ? General officer Joey l'crâneur ? ❤

- T'y veux pas v'nir jouer avec nous ? T'y peux pas r'fuser un cadeau si gracieux d'son excellence hein. Surtout quand c'moi hein ♥♥

Bien joué Sam. Il suit mon plan à la perfection. Le Noyau m'a confirmé que le Crâneur fréquente assidument Gorge Profonde, l'un des établissements de plaisir les plus côtés de Favela. C'est de là que viennent les filles dont Dena' a loué les services et parmi elles, les deux préférées du Crâneur. Ce sont elles qui viennent de parler je suppose, même si je ne peux les voir. Le commandant de la STEP glousse de contentement puis se laisse convaincre par les demoiselles. J'entends leurs pas s'éloigner puis descendre au quatrième étage où officiers et sous-officiers ont déjà commencé la fête improvisée. J'ai chargé Claude et Weimin de commander les grillades et les rafraichissements. Environ deux millions de Berry claqués en beuverie juste pour les besoins de plusieurs meurtres. Je dépense plus que ne me rapporte mon contrat, constatai-je en sortant de la salle de lobotomie, je ferai un bien piètre tueur à gage. Je m'assure que l'étage est libre de tout membre de la STEP en visitant les pièces restantes. Dans les toilettes, je tombe sur Sam Tex occupé à verser un produit poudreux dans le lavabo.

- Du calme, Sam, ce n'est que moi, fis-je les mains en l'air. Il s'apprêtait à m'équarrir avec son couteau.

- Pardon monsieur, j'avais oublié à quoi vous ressembliez.

- "Monsieur" ne semble guère approprié pour moi aujourd'hui. Je devrais peut-être essayer d'en savoir plus sur l'Okama way... Le plan est dégoupillé, c'est bon ?

- Enclenché et en bonne voie, monsieur. Cette poudre c'est de la chaux, en contact prolongé avec l'eau, la réaction chimique exogène dégage de la chaleur qui peut monter jusqu'à trois cent degrés Celsius. Je vais ouvrir le robinet pour qu'il goutte. Nous avons un quart d'heure devant nous avant que ça ne prenne feu. J'ai posé d'autres bombes incendiaires de ce genre au quatrième et au troisième. Les trois derniers étages vont se transformer en fournaise sous peu.

- Ça devrait le faire alors. Retournons à la fête d'abord et joue ton rôle de cracheur de feu.

- D'ailleurs, permettez mais je n'ai pas compris le pourquoi en fait. Enfin, ç'aurait coulé de source si vous aviez voulu faire passer ça pour un accident mais l'insertion du Pachyderme Écarlate dans l'équation faussera les résultats. Aussi, cela ne correspondra plus du tout à la sollicitation des Anciens. La mort du Crâneur doit être un accident pour que les Corvéables ne soient pas ciblés, alors qu'avec le Pachyderme...

- J'aime ta franchise Sam. Ne change jamais. J'avais effectivement imaginé ce plan pour satisfaire aux nécessités de discrétion voulue par les Anciens et le Noyau, mais ça c'était avant d'apprendre l'histoire du Pachyderme et de Mina. Depuis le début, je trouve que le Noyau adopte une position trop prudente à mon goût, je les ai même qualifiés de lâches à l'occasion. Même s'ils n'en sont pas, certaines de leurs décisions passées frôlent la veulerie. Ils sont semblables à des chimpanzés.

- Des chimpanzés, monsieur ?

- Oui. Quand ils lâchent une branche, c'est qu'ils ont attrapé une autre branche plus sûre. Jamais ils ne se jettent dans le vide, jamais ils ne prennent de risque. C'est à cause de cette prudence excessive qu'ils n'ont jamais tenté de rébellion ouverte, ils craignent trop l'extermination. Ils sont tellement aveuglés par cette hantise du bain de sang qu'ils ne sont pas rendus compte à quel point ils sont indispensables au clan Wave. Et c'est pour ça que le Pachyderme Écarlate doit renaître, je dois insuffler à tous une petite dose de courage et d'espoir. Et accessoirement prouver aux Corvéables qu'aucune sanction génocidaire ne leur sera infligée.

- Vous pensez que les Wave ne les accableront pas de maltraitances et punitions à outrance si le commandant de la STEP venait à mourir ?

- Il y a deux manières de diriger. Par la peur ou par l'espoir. Les Wave ont choisi la première pour dissimuler le fait que leur mode de vie, leur société telle qu'elle est aujourd'hui est dépendante de l'existence même des Corvéables et des Chiens. Tu imagines un quelconque nobliau Wave faire lui-même sa lessive ? Ou se mettre à recruter des serviteurs payants ? Non, ils ont besoin d'eux et c'est ce que les miens n'ont pas encore compris. Alors, oui, peut-être qu'ils en puniront un ou deux au hasard, peut-être qu'ils les tueront pour l'exemple et pour continuer à asseoir leur régime par la peur mais ça s'arrête là. Et ça ne me dérange que les Corvéables subissent quelques pertes. Je mets ma propre vie en jeu pour sauver les leurs, j'entends qu'ils prennent aussi des risques. La guerre, ça fait des victimes et ça, le Noyau ne l'a pas encore compris.

- Je vois. Une dernière question monsieur, vous ne craignez que le mariage soit annulé, reporté ou que la sécurité soit drastiquement revues à la hausse si le Pachyderme fait son retour ?

- Il ne sert surtout à rien de spéculer sur les réactions de tel et de tel. Peut-être qu'ils soupçonneront un Corvéable d'être le Pachyderme, peut-être pas. Après tout, ils ont tué celle qui se cachait sous le costume, non ? Adviendra que pourra, on s'adaptera. Comme toujours. Et cela, les Corvéables doivent apprendre à le faire aussi. Allons à la fête, Sam.

___ ___ ___


Elle bat son plein, la salle est remplie à craquer et déborde dans le couloir. Ça m'étonne que mon plan marche aussi bien alors qu'il y a presque la guerre à leur porte. Mais de la bonne nourriture, des boissons gratuites et quelques filles pour assurer le spectacle semblent être la solution pour appâter des mâles en manque. La fête aurait-elle été organisée dans la nuit que ç'aurait pu se transformer en partouze. Heureusement, j'ai juste besoin de réunir au même endroit des miliciens de différents grades. Dans la foule, je slalome sous ma forme de Criquet, un plateau de boissons alcoolisées en carton à la main. Parfois certains miliciens y piochent, d'autres fois, on me met la main aux fesses en faisant une bonne blague sexiste et raciste. L'alcool a déjà coulé à flot en moins d'un quart d'heure et beaucoup sont déjà éméchés. Du coin de l’œil, je vois Claude ramener une dame-jeanne pleine de vin et commencer à servir une horde d'officiers assis sur des poufs. Les plus hauts gradés sont au fond de la salle et discutent avec les plus belles prostituées tandis que les miliciens moins gradés sont debout et les regardent avec envie. Dans un coin de la salle, Sam toujours habillé en sous-officier distrait ses "camarades" en se livrant à un spectacle pyrotechnique. Je le vois vaporiser le liquide inflammable contenu dans sa bouche sur une torche et créer une langue de feu tortillant particulièrement impressionnante et esthétique. Des applaudissements fusent et il recommence sous les sifflets de joie.

Dans quelques minutes, il allumera la première mèche de l'incendie que nous avons programmé mais avant, je dois faire ma part du travail. Je dois faire des victimes de tous les grades pour qu'aucun complot particulier ne soit décelé. J'aimerais bien ne viser que le commandement de la STEP mais ça ferait tâche. Aussi, je sors les aiguilles d'acupuncture que m'a filées Weimin. Les pointes sont enduites d'un poison létal à effet lent. Un milicien m'alpague et me demande de le servir. Je verse de l'eau-de-vie ambrée dans son verre et au moment de le lui remettre, je le pique. Il ressent la piqure mais je m'excuse aussitôt en accusant mes ongles. De toute façon, il est déjà bien pompette et ne fait pas d'histoire pour ça. Il est déjà mort mais ne le sait pas encore. Je jette l'aiguille responsable et me saisis d'une autre dans la pochette. Dans cette ambiance festive, je circule, un ange de la mort en guise de silhouette. Je fais trois autres futures victimes aux abords de la porte de la salle avant de me décider à aller vers l'intérieur cibler quelques membres de la STEP. Je n'ai pas encore de visuel sur le fameux Crâneur mais je sais à quoi il ressemble. On me l'a décrit, il est coiffé d'une crête iroquoise d'un roux de feu. Je me dirige vers le bar improvisé que gère Claude.

- File-moi le rosé de vingt ans d'âge.

- Tiens. Comment tu vas faire ? Il est parti, me souffla-t-il.

- Qui est parti ? Noooon. Quand ça ?

- Il s'est éclipsé quand tu servais l'autre contre le mur là. Avec ses deux filles préférées. Je suppose qu'ils sont montés dans sa chambre. C'est à ta droite en sortant, la seule chambre à double battant.

- Okey, merci. Il ne perd pas de temps ce Crâneur. Je m'occupe de quelqu'un un de ses officiers avant que l'idée ne leur vienne de l'imiter. Qui gère la sono ?

- Poux Rouge. Il est là-bas, avec ses dials. C'est lui l'animateur en chef de Palafitte. Je l'ai fait venir.

- Ouais bah assure-toi qu'il quitte l'endroit sain et sauf quand ça commencera. Je ne veux pas de Corvéable dans les victimes.

- Tu es sûr que ça va aller ? Sa voix angoisée m'interpelle.

- Tu t'inquiètes pour moi ? S'il n'y avait pas de danger, ce ne serait pas amusant. Reste attentif au premier signal que lancera Sam.

- Non, je m'inquiète pas. En fait si... Son ton hésitant me laisse plus que dubitatif. Il baisse le regard et se demande s'il doit aborder ou non le sujet. J'ai déjà vu ce comportement, juste après l'incident avec Bobby et ses hommes quand je suis revenu à moi. Je ne veux juste pas que tu te transformes à nouveau en ce truc... finit-il par dire après moult hésitations.

- Non, Émeline est sauve et n'est enfermée que de son propre gré. Le monstre en moi est en paix.

Je ne le rassure pas, il mordille ses lèvres et tortille ses doigts. Nous servons quelques miliciens qui retournent aussitôt après à leur danse. J'étais perplexe, maintenant son comportement attise ma curiosité. Il ressemble à un enfant qui a fait une bêtise et qui souhaite la révéler à ses parents tout en craignant leur courroux. Ceux qui n'ont pas l'habitude de mentir font vraiment de piètres comédiens.

- Vas-y, je t'écoute. Qu'est-ce que tu me caches ? Le Noyau m'a dissimulé quelque chose à propos de la STEP ?

- Non, pas dissimulé. En fait, je crois qu'ils pensaient que tu le savais vu que tu as parlé du Crâneur avec eux.

- Que je savais quoi ?

- La raison pour laquelle le Crâneur doit impérativement mourir.

- Hmmm ?

- En fait, c'est un des nôtres. C'est un Long-bras.


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Cette inattendue révélation lui est assénée avec violence. Plus brutale est la réaction physique que subit Loth l'espace d'une seconde. Il a l'impression qu'un étau enserre sa poitrine et la compresse. Cette subite et sourde douleur le fait flancher avant qu'il ne se rattrape, les doigts crispés sur la table qui sert de bar. Les jointures de ses phalanges sont blanches et visibles tellement ses doigts sont raides. Le réveil de la créature qui sommeillait jusque-là est total. Il la sent grandir, prendre de plus en plus de place. A l'instar de la dernière fois, elle semble inonder son sang normal, celui tout rouge, d'un autre sang plus noir, plus fuligineux. Il irrigue chacune de ses cellules de la quintessence même de la colère. Loth se sent détaché de son corps, être un spectateur passif de l'action. Il ne lutte même pas contre cette invasion, il laisse faire, observe son corps ignorer les « Attends, ça va ? Tu as les yeux dans les vagues » de Claude et se diriger vers la sortie.

Le Crâneur, un Long-bras. Mais qu'est-ce que ça veut dire, comment est-ce possible ? D'un côté, quelque chose qui ressemble à la voix de la raison lui souffle qu'il aurait dû le voir venir, se douter dans la mesure du possible que peut-être seul un Long-bras pouvait aussi bien réussir à soumettre ses congénères. Dans trois minutes le premier dispositif incendiaire au troisième étage prendra feu, puis autour du quatrième une autre minute après, puis au cinquième cinq minutes après. Claude devait se préparer à partir, Sam, à mettre le feu aux rideaux et ainsi déclencher la panique et la ruée vers les étages inférieurs. Mais pour s'en sortir sains et saufs, devaient-il encore traverser le brasier que serait le troisième étage. Les individus affaiblis ou agonisant à cause du poison ne pourraient s'échapper, sans compter que les bousculades et la panique risquent de faire aussi leurs lots de victimes. Finalement, se dit Loth, il n'a nul besoin d'empoisonner spécifiquement des officiers de la STEP. C'est une situation des plus étranges où son esprit cartésien et raisonné cohabite dans une sorte de symbiose avec son autre "moi" qui n'est que colère bouillonnante. Comme si son esprit est partitionné en deux entités, l'une réfléchissant calmement à la situation, l'autre ne fonctionnant que par pulsions.

C'est cette dernière qui dispose d'un contrôle réel sur le corps et le guide vers les toilettes. Le Retour à la Vie est progressivement annulé, il reprend son apparence normale dans le lieu d'aisance, à l’exception des boursoufflures allergiques qui enflent son visage. Il restera bouffi pendant quelques heures encore. Ici, rien à faire si ce n'est se déshabiller et se débarrasser de sa robe ainsi que du tablier de travail. Dans une cabine marquée "hors d'usage", Claude a planqué une tenue de rechange à sa demande. Il la trouve et toujours mécaniquement, l'enfile sans état d'âme. Ce n'est ni une chemise, ni une veste mais un costume. Celui d'un super héros éléphantesque.
Étrange est cette bête animée de pulsions meurtrières qui ne se déchaine pas à tort et travers mais se contente de suivre le plan préétabli, se dit le côté cartésien de Loth. On aurait dit que le "vrai Loth" regardait depuis une fenêtre quelqu'un d'autre manipuler son corps. Mais grâce à cette petite conscience critique, il n'a pas perdu le contrôle, il n'y a pas eu de trou noir comme auparavant. Et c'est sûrement cet état de conscience partagée qui a insufflé une certaine dose de bon sens à sa créature intérieure. Elle s'est ce qu'elle a à faire. Se déchainer oui mais pas avant d'avoir revêtu le costume du Pachyderme Écarlate.
Au troisième étage, des cris d'horreurs lui indiquent que leurs toilettes ont pris feu et que le sinistre se propage allègrement.

Le Pachyderme Écarlate

Plutôt confortable, et Weimin avait raison constata le Loth Observateur, la largeur des manches permet de plier aisément l'articulation supplémentaire pour donner l'illusion que seul un humain "normal" peut revêtir ce déguisement. Un mécanisme intégré derrière les oreilles active une visière fumée qui dissimule le visage du porteur. Le costume est éclaboussé de tâches rougeâtres séchées depuis longtemps qui auraient pu être du sang. Sans égard pour ces détails, l'entité qui contrôle le corps du Binoclard le fit mouvoir et s'avancer vers la salle de réception. Le quatrième aussi est dévoré par les flammes partant de la salle de réception. Il y a une foule paniquée agglutinée au niveau de l'escalier, elle peine à descendre et pour cause, le troisième étage est déjà une fournaise. Des hurlements et vociférations se mêlent à d'autres cris plus lointains, ceux des gens à l'extérieur du donjon qui assistent aux dégagements de fumées par les fenêtres et meurtrières. Dans la masse de gens angoissés qui luttent pour leurs vies, il n'y a aucune des filles, Sam a dû se débrouiller pour les évacuer avant la cohue. Par contre, il reconnait les galons en forme de croix des officiers de la STEP. Il n'y a pour eux, presque pas d'option. S'ils restent là, ils mourront certainement, tenter leur chance plus bas paraît plus judicieux même si cela signifie braver la géhenne. Aller à l'étage supérieur n'est pas envisageable non plus parce qu'ils se retrouveraient totalement prisonnier à cinq étages au-dessus du sol sans autre porte de sortie.
Pour l'instant, la fumée longe les murs et stagne au plafond sous les effets d'un courant d'air. De nombreux miliciens sont pliés en deux et toussent abondamment. La visibilité est encore bonne, certains dénotent la présence de l'homme costumé. Ils restent tétanisés puis s'époumonent.

- LES GARS, L'PACHYDERME !

Et le Pachyderme n'a qu'une seule envie, tous les massacrer. Dans la main du costumé apparait Crépuscule, le Wakizashi de Loth. La bête est assoiffée de sang, ses pensées ne sont que noirceur. L'Observateur est limite épouvanté de sentir de telles pulsions l'animer. Ce n'est pas "lui" ça, c'est tout bonnement une autre personne qui a pris possession de son corps. C'en est une chose de sentir qu'au fond de lui demeure quelque chose lui murmurant des ordres de massacre, c'en est radicalement une autre expérience d'assister à l’œuvre de ce "quelque chose" et en être un spectateur passif. Malgré tout, la partie consciente de Loth ne désire aucunement reprendre les rênes, au contraire, elle veut voir de quoi est réellement capable la chose qui somnolait en lui. Il veut connaitre ses aptitudes et ses origines. Aussi accepte-t-il d'être "prisonnier" de son propre corps. « Tous autant qu’ils sont, ils ont participé à la torture et aux meurtres de beaucoup des nôtres. Déchaine-toi si tel est ton désir ! » cria-t-il à son alter-égo coléreux.

Ce qu'il fit sans se faire prier. D'un bond magistral, le Pachyderme Écarlate fuse sur l'attroupement de miliciens qui semblent hésiter sur l'attitude à adopter. Attaquer ou fuir ? Fuir le Pachyderme ou le feu ? Fuir comment ? Les questions qui les assaillent sont nombreuses et avec le taux d'alcoolémie qui est le leur en ce moment, ce n'est pas aisé de prendre une quelconque décision sensée. Un d'entre eux, le plus éveillé peut-être, identifie le héros comme une menace et décide d'agir. Les poings levés, il se précipite à sa rencontre et tente un uppercut que le Pachyderme évite facilement. Sa lame cingle l'air et ampute le malheureux puis d'un coup horizontal, lui ouvre la gorge. Le proboscidien se fait arroser d'une douche écarlate qui achève d'horrifier les fuyards. La plupart se ruent en bas préférant ainsi le feu tandis qu'une poignée fait volte-face en hurlant des imprécations et des malédictions à celui qui vient d'égorger leur pote sous les yeux. La fumée s'épaissit d'un coup et la visibilité devient quasi nulle. La visière protège les yeux du Pachyderme et sa trompe filtre la fumée grâce à un mécanisme d'épuration intégré. Le costume a été ingénieusement conçu, sûrement par des ingénieurs de Virus d'après sa sophistication. Une cache dans le dos a été aménagée pour abriter une bonbonne de gaz surement dans l'optique d'une utilisation sous-marine, ce qui fit dire au Loth Observateur que Mina projetait de s'enfuir Carcinomia avec.

Ils sont cinq à l'attaquer, ils sont cinq à mourir. Certains d'entre eux exhibent des armes tranchantes, des couteaux de combats qui ne leur sont d'aucune utilité face à la violence extrême de la bête. L'Observateur remarque avec concision que son corps est plus agile sous la diligence de cette chose. Il se contorsionne plus facilement, bouge avec une vitesse qui n'est pas sienne en temps normal. Il esquive, pare, tranche puis passe au suivant. De sa main d'épée dégouline du sang mais sa soif n'est pas étanchée pour autant. Quand le monstre se laisse porter une estocade à la poitrine, il sait que l'attaque sera vaine. Le costume est une armure en bonne due forme, intégré d'une plaque de métal flexible qui arrête sans problème ce genre de coup. La pointe de la lame ennemie se brise, l'assaillant se retire précipitamment mais pas assez vite pour se soustraire de la portée de Crépuscule. Le Wakizashi cisaille du bas vers le haut et gratifie l'ennemi d'une belle fente du nombril à la gorge. Ses viscères chutent et se répandent, il meurt avant de toucher le sol. C'est le dernier d'entre eux. Autour de lui, du sang, des membres épars, des entrailles, des têtes mais aussi de la fumée et du feu. Cette fois-ci la clarté est nulle, le monstre se précipite dans les escaliers noyé sous la fumée qui desservent le cinquième. Pour l'heure, le dernier étage est plutôt sauf. La chaux n'a pas encore pris feu ici, elle devait l'être cinq minutes après les autres.

La haine que la bête voue au Crâneur est palpable et grandit exponentiellement à chaque pas qui la rapproche des appartements du commandant de la STEP. Elle n'est que pure folie meurtrière. En elle sont ressassées en boucles les images du propre passé de Loth. La souffrance, la solitude, la mort. La cruauté, l'humiliation, la disette. La bête vit et revit ces heures sombres, elles constituent son carburant, la source d'où elle tire sa force et sa raison d'être. L'Observateur comprend alors que cette chose est née en lui dans les dédales des cachots du Conclave. Elle a germé de la haine que lui vouaient ces suprématistes, elle s'est nourrie de leurs brimades et n'a cessé de grossir quand bien même le corps physique de Loth était frappé de famine. A tous les esclavagistes du monde, la bête voue une haine sans borne, son désir le plus cher étant de tous les pourfendre. Quant aux ignominieux qui esclavagent leurs propres congénères, elle désire ardemment leur faire subir pire que la mort. Et en cela, l'Observateur est en accord parfait avec l'entité. D'un coup de pied éléphantesque, elle défonce la porte des appartements du Crâneur.

- Je t'attendais hihi !

- AaaaaaAaaaAaaaaaaAAAAAaAAAAAAHHHhhhhhhHHH !

Au plus profond de son être, une valve se rompit à la vue du Crâneur. Tout en lui la dégoûtait, que ce soit son nez crochu, ses cheveux couleur de paille qui encadrent son visage tels des rideaux, ou encore son absence totale de sourcils qui lui donnent l'air continuellement surpris. Plus que tout, la bête abhorre ses yeux pétillants d'une malice malsaine et sa voix horriblement mielleuse et maniérée. Le monstre irradie littéralement et s'enrobe d'un halo d'une intense couleur violette, celle-là même décrite par Sam. Le halo vibre comme les cordes d'une guitare et émet un doux vrombissement. « Ne booouuuuuge surtout pas ! » tonna le Crâneur en affermissant sa prise sur une des prostituées qui lui tenait compagnie. L’autre est inconsciente sur le lit. « J’ai entendu des hurlements venant d’en bas, j’y suis allé et que vois-je dans la fumée du quatrième, TOI ! En train de massacrer mes hommes ! Je suis vite remonté, je savais que tu viendrais me chercher ! Toi, qui es-tu ?! Me dis pas Mina, elle est morte ! »

- La mort est comme le temps. Une question de relativité.

Elle a parlé. L'Observateur doutait qu'elle en soit capable, qu'elle ne soit qu'un concentré de pure colère incapable d'intelligence, une simple bête assoiffée de vengeance. La voix avec laquelle elle vient de s'exprimer est étrangement la "vraie" voix de Loth. Une voix de chorale, comme si trois à quatre personnes parlaient en même temps. Loth n'a jamais su d'où lui vient cette étrange aptitude vocale mais depuis l'enfance, il s'est -au prix d'un intense travail sur son larynx- efforcé de parler "normalement", d'une voix "mono personae" comme il aime le dire lui-même. Sa réelle voix a le don d'intimider ses interlocuteurs et le Crâneur n'y déroge pas. Il se raidit pendant un bref moment avant de retrouver ses esprits et d'arborer à nouveau son horrible sourire doucereux. « Non ! Attends. Je veux savoir pourquoi, demande lui pourquoi ou laisse-moi la place ! » intima l'Observateur. Pour la première fois depuis cette curieuse cohabitation, le rationnel en lui essaie d'imposer sa volonté à la bête.

- Pourquoi ? La coquille veut savoir pourquoi tu fais ça ?

- Pourquoi je fais quoi ? Pourquoi j'aide à asservir les Corvéables et les Chiens ? Pourquoi ? Parce que c'est mon boulot bordel ! Hihi. Quand ton chien commence à mordre, soit tu l'envoies à abattoir soit tu requiers les services d'un maître-chien, ou d'un agent cynophile pour le dresser. Voilà, moi je suis une sorte de dresseur, un expert, un consultant en dressage du genre humain. J'offre mes services à ceux qui ont un esclave à gérer. Et depuis presque trente ans, j'ai un contrat à durée indéterminée avec les Wave. Tu comprends, justicier à la noix ?! Peu importe que je sois moi-même Long-bras, ce n'est qu'une affaire de business ! Maintenant bouge du chemin, laisse tomber ton arme et suis-moi gentiment en bas où ces filles crèveront !

« Tues-lu, tues-le tout de suite ! » ordonna l'Observateur. Ce type le révulsait au maximum. Une affaire de business ? Se faire de l'argent sur la traite des siens ? « Massacre-le, qu'il n'en reste rien ! »
La bête obéit avec plaisir. En instant elle couvre Crâneur et abat Crépuscule sans égard pour l'otage qui remuait faiblement, sûrement droguée par son séquestreur. Il n'y a malheureusement rien à faire pour elles d'autant plus que le Pachyderme devra improviser pour sortir du donjon en feu, alors avec deux personnes en plus... "La guerre, ça fait des victimes" avait dit Loth à Sam. Ces deux filles devront malheureusement être comptées en dommages collatéraux de ses plans. Le Loth Cartésien aurait passé plus de temps à s’appesantir sur leurs cas voir à essayer de les sauver mais la bête n'en a cure. Elle fonce sur son ennemi qui s'éloigne par petits bonds arrière, taillade encore et encore. L'adversaire est agile, évite chacune des attaques tout en reculant. A un moment, il se retrouve dos au mur, une lame se dirigeant irrémédiablement vers sa poitrine mais il réussit à la dévier grâce à un coup torve du genou. Crépuscule lui échappe et s'envole à travers la petite fenêtre. « Ah bon sang, mon épée ! » s’écria le Cartésien derrière son rideau. La réplique du Crâneur vient sous la forme d'un coup de pied retourné qui expulse le monstre jusqu'à l’entrebâillement de la porte. De la fumée commence à remplir ce niveau signe que la chaux s'embrase.

- Ha ! Hihi ! Qu'est-ce tu es ? C'est quoi cette auréole violette ? Pourquoi tu mets le feu à mon donjon ?! Il n'est pas paniqué, juste en colère mais sa voix a gardé sa mignardise habituelle. Tu veux te la jouer justicier, avoir ma tête et... quoi ? Libérer les Corvéables ? Je ne suis qu'un homme voyons ! Ma mort ne changera rien au système ! Tu sais combien nous sommes à la surface à vivre des métiers de l'esclavage ?

- M'en fiche. A chaque jour suffit sa peine ! Celle qui est mienne aujourd'hui, c'est ta mort. E'sho gni n'keke bouh, croy !

- "Demain est donc un autre jour ?" Toi tu n'en verras pas la lueur, héros à la noix ! Hihihihi ! Sonic Boom !

Le geste est vif, d'une rapidité foudroyante que le monstre a à peine le temps d'analyser. C'est un simple coup de poing qui met à profit la capacité de détente du bras à double articulation. Un coup de poing pistolet qui engendre une onde de choc. Elle balaie tout sur son passage, le Pachyderme y comprit. Le héros ténébreux se retrouve propulsé dans le couloir enfumé. Le choc est rude, lui coupe le souffle pendant un bref moment. Bien que renforcé, le costume ne peut le protéger de ce genre d'attaque qui traverse aisément les plaques de fer ou d'acier. Au contraire, il est désavantagé car ce renforcement en métal couplé à la force de l'onde abime davantage sa peau nue en dessous qui se couvre d'hématomes. La répartie du Crâneur ne fait qu'attiser en la bête son désir insatiable de le dépecer pour tous ses crimes. Aussi, elle hurle, barrit vers les cieux tel le pachyderme qu'elle prétend être. Le Crâneur n'en démord pas, enchaine et la mitraille d'une multitude de petites ondes de choc de la taille d'un ballon de foot. La bête zigzague entre les rafales qui criblent les murs. Des tessons d'argiles et de mortiers volent dans tous les sens au fur et à mesure que s'intensifie le combat. Les deux adversaires se valent et opposent une farouche résistance se rendant coup pour coup.

La bête est summum de sa jouissance maladive. Il n'y a rien de meilleur que de traquer une proie qui a du répondant. Le Crâneur lutte pour sa vie, pour ses convictions. Mais au fil des échanges à répétition, l'Observateur est sidéré de sentir son inimitié pour son adversaire diminuer. Si le Crâneur le révulse autant, c'est parce qu'il fait métier de maintenir des êtres intelligents sous le joug. "Une affaire de business" avait-il clamé provoquant l'ire des deux facettes de Loth. Loin de professer la sacralité de chaque vie humaine, le Binoclard estime qu'il est profondément amoral de "vendre" des vies et des libertés. Mais en quoi lui, Loth, est-il différent du Crâneur ? La Dance Powder n'est pas un produit de beauté, elle enfante instabilité, souffrance et mort. Un simple sac de cinquante kilos pourrait conduire à l'esclavagisme de centaines de personnes. C'est un effet papillon, une chaine macabre dont lui, le futur baron de la Dance représentera le premier maillon. Alors, en diffère-t-il du Crâneur ? Après tout, pour lui aussi, ce n'est qu'une affaire de business. Il commerce de la Dance mais ne se blâme en aucun cas pour l'utilisation ultérieure qu'en feraient ses clients. Il ne se sent pas responsable de la suite, exactement comme le Crâneur. Ce dernier ne tire aucun plaisir sadique de son travail. Il mate parce qu'il doit le faire, il embrigade parce que c'est son outil de travail, il asservit parce que c'est le résultat qu'il promet à ses clients. Alors qui des deux est un meilleur représentant du genre humain ?

Ces questions, ces introspections assaillirent le Loth Observateur durant l'intense suite d'attaque et de contrattaque que se livrent la bête et le Crâneur. Autour d'eux, le feux gagne du terrain et réduit à chaque seconde leur air d'affrontement. L'entité qui anime le corps de Loth est sauvage, violente et attaque sans retenue. Elle semble infatigable alors que son adversaire empiète et chute, affaibli par ses dépenses continues d'énergie et par le dioxyde de carbone qui raréfie l'oxygène. Le Pachyderme n'a pas ce problème, le combat est inégal. Profitant d'une quinte de toux qui ouvre une brèche dans la garde du Crâneur, la bête l'assèche de la Paume du Tigre. Un puissant coup du talon de la main dopée au Retour à la vie qui broie sans ménagement trois côtes droites du commandant de la STEP. Il fait un vol plané, défonce la porte du laboratoire de lobotomie et finit par s'empaler sur un porte manteau mural en fer. L'entité jubile, le Crâneur expectore du sang par saccade. Ses poumons et plusieurs organes internes ont été perforés par les crochets. Le Pachyderme s'approche à pas lents, savoure chaque centimètre qui le rapproche de l'achèvement de ce combat. La source de sa haine est là, à sa merci.

Il se doit de l'achever, il prendra plaisir à le faire. Il lève le poing mais est incapable de l'abattre sur la tête de son ennemi. Son unité intérieure est rompue, la symbiose entre le Cartésien et la bête n'est plus. Les questions qui tiraillent le premier sont trop fortes, sa curiosité surpasse la noirceur et la haine. Loth veut reprendre sa place dans son corps et intime l'ordre à l'entité de se rétracter. A imager, on pourrait comparer ce combat interne à un jeu de coude et d'épaule entre deux obèses côte à côte qui luttent pour franchir une porte qui est à peine assez large pour un seul. Le Moine Hérétique, tel est son surnom. Si jamais il ne prononça ses vœux, il reçut la même éducation que tous les Moines Servites confirmés en exercice dans le monde. Ce qui signifie qu'il a appris de ses aînés d'innombrables techniques de méditation, de concentration et "d'épurement intérieur". Des méthodes qui jusqu'à alors ne lui servaient qu'à discipliner son esprit et faire le vide pour mieux réfléchir. Jamais il n'aurait cru que ces arcanes d’antan lui soient secourables dans une lutte intérieure pour le contrôle de son corps. Il finit par vaincre son double maléfique obèse et à passer le premier la porte qui le mènerait à la conscience.

- Toi... haleta Loth après avoir profondément inspiré tel un asphyxié retrouvant à nouveau l'oxygène, j'ai une seule question à te poser. Qu'est-ce qui nous différencie ?

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Toujours, j'ai cette impression d'émerger d'un insondable tunnel. L'air me manque et j'inspire à grosses bouffées. Je viens de vivre des minutes particulièrement intenses, prisonnier volontaire de mon propre corps, spectateur observateur d'une entité contrôlant mon enveloppe charnelle, jusqu'au moment où je ressens l'impératif de reprendre possession de ce qui m'est dévolu. La bête ne l'a pas entendue de cette oreille, elle désirait finir ce qu'elle a commencé c'est à dire achever notre adversaire. Moi, j'ai d'autres projets plus urgents pour lui, je suis troublé et je dois trouver des réponses à mes interrogations. Si j'aime la difficulté et les défis, je préfère largement ceux qui sollicitent la matière grise au détriment de ceux qui se résolvent par les poings. Mes meilleurs ennemis comme mes rares "amis", j'ai appris à les connaitre et à les apprécier via des intrigues et des machinations interposées. Même avec celle que je considère comme sa Némésis, la Commandante de Marine Lady Ombeline, je n'ai jamais croisé le fer. Pas sérieusement. Alors la diplomatie ou la philosophie des poings, je ne l'avais jamais expérimentée jusqu'à aujourd'hui.

Les échanges avec le Crâneur m'ont incompréhensiblement "révélé" sa vraie nature. Je l'avais pris pour une espèce de sadique et de psychopathe qui jouissait de la torture et de l'asservissement mais je faisais fausse route. L'allégorie de l'agent cynophile retranscrit assez fidèlement la nature de son travail et la "conscience professionnelle" qui est la sienne. Et c'est ça qui vient à me troubler. Au vu de mon passé, jamais ne je ne pourrais l'excuser  de considérer les êtres humains comme des bêtes sauvages à dresser -mais au fond, nous ne sommes que des animaux- mais j'en suis venu à m'interroger sur ce qui me différencie de lui. Je déteste à un point ce genre de questions faussement existentielles qui parfois surgissent dans mon esprit ! Ce n'est pas la première fois, ce ne sera sûrement pas la dernière. A croire qu'une part de moi ne songe qu'à tout plaquer, laisser tomber ces manigances, ce monde et faire le "bien". Et rien qu'à cette idée risible, j'explose d'un rire sans joie sous l’œil vitreux du Crâneur. Je retire le heaume du costume et immédiatement après commence à tousser sous les picotements de la fumée ambiante. Je dois sortir de là au plus vite mais pas avant d'avoir conversé avec mon ennemi.

- **Keuf** *keuf* Oui, ce n'est pas Mina. Tu sais qui je suis ?

- ...

- Loth Reich. Un petit nouveau qui monte dans le milieu. Quelqu'un qui exècre les esclavagistes de ton genre mais uniquement quand ils se pavanent sous ses yeux. Cela dit, j'ai révisé ma position, peut-être tes ondes de choc m'ont-ils plus sonné que je ne le pensais mais en un éclair, je me suis dit que nous n'étions pas si différents puisque nous vivons tous les deux du malheur des autres.

- Et... donc... ? s'enquit-il avec grande peine. Il ne lui reste plus longtemps à vivre.

- Donc, je ne sais pas. J'ignore à quoi rime cette prise de conscience mais au moins, ça m'a permis de reprendre possession de mon corps. Ce n'est pas moi que tu as affronté mais quelque chose qui est née de mes années en tant qu'esclave. Et je trouve assez ironique et approprié que toi le dompteur d'esclave, aies été tué par quelque qu'ont créé tes compères. Cela dit, j'ai une autre question, viens-tu d'Hungeria ou de Rhétalia ? M'enfin, tous les Longs-bras sont originaires d'Hungeria mais j'ai trouvé pas mal de lien ici avec le royaume de Rhétalia de South Blue donc je m'interroge.  

- Et... si... j'en viens ?

- Alors je te demanderai ce que tu sais du Conclave. C'est le groupe qui m'a jadis asservi, moi et des centaines d'autres. Ils détestent carrément les difformes et prônent pour leur extermination mais à ce que je sache, tu n'es nullement importuné de professer la supériorité des normaux. Donc tu peux avoir travaillé pour eux tant que tu avais ton comptant d'argent.

- Mais eux... jamais... m'auraient engagé...

- Pas faux. Donc, tu me donnes un truc sur eux ? Je ne suis pas du genre vengeur mais sait-on jamais.

- Pour..quoi... ferai... ?

- Pourquoi tu ferais ça ? Parce que je t'ai battu tout simplement. Même si je t'ai mal jugé au départ, j'ai changé d'avis en cours de route. Je ne comprends pas ta vocation mais si je peux comprendre une chose, c'est le fait que ça ne soit pour toi qu'une affaire d'argent. Je te l'ai déjà dit, j'ai peut-être fait pire. Nous sommes deux professionnels et comme cela se passe souvent quand les routes et les idéaux se chevauchent, un combat détermine le vainqueur. Je compte sur ce professionnalisme que j'ai senti à travers tes poings, j'espère que tu n'es pas du genre mauvais perdant chronique. Tire ta révérence avec honneur. Où puis-je trouver le quartier général du Conclave ?

- Me..faire...faire la morale... par...mon ennemi...

- C'est juste un clash d'idéaux. Je n'ai plus rien contre toi personnellement. Mais sache que pour la bonne marche de mon entreprise, je devrais exhiber ton corps en public. Mais tu seras mort de toute façon, j'ose penser que ça te sera égal.

- Ha... ha... *keuf* *keuf* *keuf* J'aurais...aimé... te croiser... plus tôt...

- Pas moi. Je t'aurais haï de toute mon âme.

- Le Conclave... T'aimes.. les énigmes ?
Tigre, Tigre, brûlant brillant, dans les forêts de la nuit, quelle main, quel œil si puissant, a forgé ton effroyable symétrie ?


- Hein ? C'est quoi, un poème ? Attends, je les reconnais, c'est une ancienne ballade. Tigre Tigre... Dans quels cieux ou abîmes insondés...
Hey, qu'est-ce que ça à avoir avec le Conclave ? Ne meurs pas là... *keuf* *Keuf*


Spoiler:

___ ___ ___


Trop tard. Il esquisse un dernier sourire narquois puis expire. J'aime décrypter les énigmes, surtout quand l'objectif qu'elles dissimulent n'est pas urgent. J'aurais le temps de me pencher sur cette devinette et ce poème, pour l'instant, j'ai plus important à faire. Comme suivre le plan et accessoirement sauver ma vie des flammes. Je remets le heaume et me dépêche d'arracher le corps du Crâneur au porte-manteau. Les crochets se sont cassés sous le choc et il s'est salement empalé sur leurs pointes. Sa mort a dû être douloureuse, ses poumons se remplissant doucement de sang. Comment a-t-il fait pour tenir une conversation avec moi ? Les Corvéables diront qu'il a eu ce qu'il mérite. Je le porte sur mon épaule et cherche une échappatoire. Je suis encerclé par le feu et la fumée, sans se masque éléphantesque, je serai déjà mort asphyxié. Ma délivrance se trouve sur ma gauche, au bout d'un mince couloir qui débouche sur un balcon. J'ai étudié les plans du donjon fait de mémoire par Claude. Il fera un excellent cartographe un jour, j'en suis certain. Le balcon en question donne sur la cour principale, à côté des annexes et de la demeure seigneuriale. Mais difficile de retrouver de visu le passage dans cette atmosphère chargée de fumée alors je me fie à ma mémoire photographique.

Le plan, je l'ai mémorisé, je sais où je me situe exactement sur la carte. Le couloir est à ma gauche, à trente pas après la cinquième porte. Le feu est ardent, je le traverse au pas de course, le matériau isolant dans lequel est fait le costume me protège de dommages irréversibles. Je n'ai pas à m'inquiéter du Crâneur, quelques brûlures ne sauraient l'indisposer là où il est. Je déboule dans le corridor puis sur la balustrade. Le public escompté est bien présent, en masse. Combien sont-ils là en dessous ? Une centaine ? Bien plus. La plupart est attroupé en badauds et observe le feu dévorer le manoir d'un œil curieux et inquiet. Certains, des miliciens et Corvéables forment une chaine humaine où des sceaux d'eau change de mains. Ils essaient sans succès d'éteindre le sinistre. Ce n'est pas avec de l'eau qu'ils réussiront à venir à bout d'un feu déclenché par des produits chimiques. Je me penche par-dessus la rambarde et constate avec joie que de gigantesques langues de flammes s’échappent des fenêtres d'en-dessous. On dirait que ça s'est même propagé au deuxième étage par je ne sais quel artifice. Magnifique. Une minute après mon apparition, les gens commencent à remarquer ma présence. Je soupçonne Claude ou Weimin de les y avoir incités. Des index fusent dans ma direction, les murmures deviennent si intenses qu'ils couvrent le ronronnement des flammes. La foule hétéroclite donne plus d'envergure à mon exhibition, à coup sûr la rumeur de la renaissance du Pachyderme Écarlate se répandra dans tout Carcinomia à la vitesse de l'éclair.

Celle de la mort du Crâneur aussi. Son corps, je le balance sans état d'âme depuis mon perchoir. Au milieu de la foule, il s'écrase avec un horrible bruit mat en éclaboussant les gens de poudroiement d'organes. J'ai fait en sorte qu'il tombe sur ses jambes mais au cas où sa tête ne serait qu'une marmelade de chairs et de cervelle, on pourra toujours l'identifier grâce aux tatouages qu'il arbore sur le reste de son corps. J'entends de nouveaux cris, d'horreur et d'effroi cette fois-ci, certains ont reconnu la dépouille comme appartenant au commandant de la STEP. Voilà qui devrait couronner le retour du héros Pachydermique. Je me demande tout à coup s'il ne manque pas quelque chose à ma mise en scène, une sorte de... péan. Je me rappelle les récits sur God Ussop, le tireur d'élite de l'équipage du dernier Roi des pirates qui revêtait périodiquement l'identité de Sogeking, le Roi des Snipers. A l'occasion, il chantonnait une ode à sa propre gloire. Mina avait-elle composé un tel hymne ?
Bang ! Bang ! Bang ! Bang ! Bang ! Bang ! Bang ! Bang !
Les balles crépitent, je me baisse pour m'y soustraire. Ils n'ont pas perdu de temps à réagir, une horde de miliciens armés vient s'ajouter à la foule qui s'étiole dans tous les sens. La confusion règne, entre les reîtres qui essaient de m'abattre, les peureux qui s'enfuient à grosses enjambées effrayés par les coups de feu, ceux qui s'entêtent pour être témoins des évènements mais qui sont refoulés par d'autres miliciens. Il est temps de mettre en œuvre mon plan final d'évasion. Ils sont prêts et me le confirment grâce à un signal, une lumière reflétée par un miroir.
Théâtralement, je lève les deux mains bien hautes vers les cieux et parle de ma voix de chorale.

- Je suis de retour pour libérer tous les esclaves de trou à rat. Très bientôt...
Plongez dans les ténèbres !


Je saute dans le vide au même moment où un épais brouillard enténèbre la foule. Poudre d'obscurité instantanée. Livrée par Dena', utilisée par Sam Tex. Le périmètre qu'elle obscurcit est assez large, Claude et Weimin ont dû y participer et libérer le gaz en synchronisation avec lui. J'accroche mes cheveux vivifiés à la rambarde et les utilise comme une sorte de corde de rappel qui ralenti ma chute. Une éphémère lumière clignote dans le noir et me permet de d'orienter ma descente. J'atterris sur du foin et rapidement des mains m'aident à me enlever le costume qui est enfoui dans les bottes de pailles. Dans le noir, des ordres sont beuglés en cascade, incitant surtout à ne pas tirer à l'aveuglette. Ç’aurait été le comble de la stupidité. Il n'y a pas de vent, la fumée opaque peine à se dissiper. Nous nous mêlons à la cohue de gens se déplaçant à tâtons, cherchant à sortir du nuage de ténèbres. Trois minutes après, j'émerge comme tant d'autres au niveau des cuisines. Tout le monde à l'air hagard, on dirait qu'ils viennent de survivre à un holocauste. La clameur et les bavardages reprennent de plus belle alors que lentement, la brume se dissipe et que non loin, le grand donjon continue de brûler de mille feux.

___ ___ ___

Cinq heures plus tard...

- Voilà, mission accomplie.

Ce n'est pas tout à fait ce que nous t'avions demandé, répondit Algol d'un air mécontent qui me déplut fortement.

Heureusement que l'apparition de la bête et l'utilisation excessive du Retour à la Vie m'a littéralement vidé de toute mon énergie sinon j'aurais été tenté de lui en coller une. Je pars trop au quart de tour ces derniers jours. J'avais rejoint l'officine de Weimin où j'ai passé le temps à ingurgiter tout ce que parvinrent à me rapporter Claude et Sam. La circulation dans le château fut restreinte au strict minimum et des patrouilles de miliciens aux airs graves battaient le pavé. Leur cible première fut le quartier des Corvéables qu'ils fouillèrent de fond en comble à la recherche du Pachyderme Écarlate. Sans succès. Quelques Corvéables furent molestés par des survivants du donjon mais on ne dénombra pas pire que quelques coups de fouets. Deux heures l'apparition du Pachyderme, le feu du donjon fut  maitrisé tant bien que mal et les victimes dénombrées. J'ai attendu les premières lueurs du crépuscule pour retourner voir les Anciens et le Noyau.

- Disons que j'ai amendé le plan de base. C'était une bonne idée de faire intervenir le Pachyderme, cet héros, que dis-je, cette héroïne que vous avez laissée mourir sans la soutenir.

Non ! Nous...

- Oui, oui, pensiez au plus grand nombre, aux victimes, merci ! Weimin m'a déjà servi les mêmes salades et comme j'ai vomi mon fiel sur elle, je ne recommencerai pas avec vous autres. Vous vouliez le Crâneur mort ? Il l'est, en plus de onze de ses collaborateurs dont certains étaient si carbonisés qu'il est impossible de les reconnaitre si j'en crois les rapports de Weimin qui fut l'une des premières sur place en sa qualité de médecin. Les trois que j'ai tués ont été intégrés à la liste des victimes de l'incendie criminelle. Donc tout est bien.  

Ben non ! Maintenant, nous serons plus stigmatisés que jamais ! A cause de toi, nous...

- Vous quoi ? Casserez votre pipe ? Mangerez du pissenlit par la racine ? Direz adieu au monde ? Changez de salade, l'interrompis-je en me levant pour le toiser. Ils avaient le dont de m'agacer à un point ! Les temps prochains seront plus durs pour vous, mais vous n'en mourrez pas. En tout cas pas tous. Toutes les guerres nécessitent des sacrifices. Oui des sacrifices ! Pour les besoins de cette satanée mission que vous-même n'aurez jamais eue le courage de mener à bien, deux femmes ont perdu la vie alors qu'elles faisaient juste leurs boulots. Oui, des filles de joie de Favela. Les choses sont si compliquées là-bas que j'ignore si elles étaient esclaves ou prostituées de leur gré mais le fait est qu'elles sont mortes, étouffées par la fumée après avoir été droguées et utilisées comme bouclier par le Crâneur. Votre faute ? Non, la mienne. Autant je n'ai aucun problème à écarter les gens de mon chemin à coup de balles, autant je vis mal quand mes machinations déteignent sur des innocents. Je dois vivre avec mais comme à chaque fois que j'ai dû occasionner ce genre de pertes collatérales, je me dis toujours : "C'était nécessaire. On ne fait pas d'omelettes sans casser des œufs, Loth. Ne te perds pas en pénitence où tu n'auras jamais le cran d'évoluer dans ce milieu. Cette vie est une jungle où les plus faibles se font bouffer. Jouis de ton tour jusqu'au jour où tu deviendras la proie de quelqu'un de plus fort que toi. Amuse-toi tant que tu es en scène".
Alors, surtout, ne me faites pas de leçons, vous qui avez passé les deux dernières décennies à trembler de peur à la simple évocation du mot "rébellion". Une seule d'entre vous a compris qu'il était nécessaire de combattre la violence par la violence et elle en est morte parce qu'elle était esseulée !
terminai-je en enfonçant mon index dans le sternum d'Algol.

- Euh... Et si on respirait tous un bon coup pour parler dans le calme ? Hein ? intervint Claude qui se mit entre Algol et moi. Je suis de l'avis de Loth, grand Algol, Vénérables Anciens. Pour l'instant, la STEP est endeuillée à son plus haut niveau. Outre le Crâneur, quatre de ses plus hauts cadres sont morts sans compter la destruction de leurs matériels dans le donjon. Et ça, ce n'était pas prévu dans la mission confiée à Loth. C'est un bonus, ils ne disposeront pas de moyens d'embrigadement ou de tortures psychologiques pendant un moment. Tout ce qu'ils peuvent faire, c'est nous punir physiquement en nous reprochant d'être derrière cette attaque mais ni vous ni moi ne leur diront ce qu'ils désirent savoir et là s'arrêtent leurs moyens d'actions. Parce qu'au final, Vénérables, ils ne peuvent nous exterminer, ils ont trop besoin de nous.

- Enfin ! Quelqu'un qui réfléchit !

- Et... Même si dans le pire des cas ils essaient de faire des exemples... Je serai ravi de sacrifier ma vie pour les autres. Ce que j'ai vécu avec Loth ces dernières heures, à agir de ma propre initiative, à espérer et entrevoir la liberté, ça n'a pas de prix. Je préfère mourir maintenant que de vivre cinquante ans sans jamais goûter à cette liberté à nouveau. Si nous continuons à adopter cette idéologie du "sauver tout le monde ou rien", nous condamnons des dizaines de générations après nous à demeurer à leur botte. Leur du combat a sonné.  

- Vous vouliez que je vous prouve ma détermination, c'est fait. Maintenant à vous de me prouver que vous avez envie de vous battre pour votre liberté. Mais rassurez-vous, je ne vous mets pas la corde au cou. Comme dirait l'autre "qui m'aime me suive". Cette rébellion aura lieu avec ou sans le Noyau. Je vous laisse vingt-quatre heures pour me répondre et vous incorporer dans mes plans. Allez viens Claude.

Nous les laissons en plan et retournons au dispensaire de Weimin qui nous sert de quartier général improvisé. Les patrouilles sont omniprésentes mais nous trouvons des moyens détournés de les éviter. Les constructions dans le bidonville des Corvéables sont si anarchiques que plusieurs maisons communiquent via des cours isolées et des tunnels dont seuls leurs locataires ont le secret. Un de ses galeries dessert chez Weimin. « C’était la seule chose à faire » dis-je à Claude pendant que nous rampons dans une tranchée vaseuse. « Même si j’ai dit le contraire, j’ai mis le Noyau dos au mur. Ils seront avec moi ou non, ce qui en subliminal leur est certainement paru contre "contre moi". Et je pense qu’après ce que je viens de faire au donjon, ils n’ont pas envie de se faire un tel ennemi.» Claude acquiesce.

- Il nous faut maintenant penser à la suite. Nous avons cinq jours pour planifier la rébellion, dis-je. Nous sommes dans une pièce cachée derrière un faux tableau dans le dispensaire, Weimin et Sam Tex sont aussi présents.

- Vous voulez agir durant le mariage ?

- Si mariage il y a. Je doute que le Comte maintienne le mariage alors qu'un tel deuil a frappé son château. Sans compter la menace du Pachyderme. Maintenant qu'il est de retour, le mariage est une cible évidente.  

- Je ne suis pas d'accord, tante Weimin. Le Comte est un homme orgueilleux et autoritaire. Je pense qu'il sera du genre à maintenir les festivités pour prouver justement qu'il n'a pas peur d'un héros quelconque. Si le mariage est repoussé ou la grande cérémonie prévue amoindrie, ça fera tâche.

- Tu devrais travailler avec moi, Claude. J'aime de plus en plus ton sens critique. Et oui, du coup, il a parfaitement résumé ce que je pensais. Nous allons tendre l'oreille. D'ici demain soir, nous saurons si la java est maintenue et agirons en conséquence.

- Vous avez une ébauche de plan ?  

- Oui. Mais j'aurais besoin du concours du Noyau, du moins, d'un maximum de Corvéables pour cela. Y a-t-il un moyen d'organiser une propagande secrète ?

- Une propagande ?  

- Oui faire passer des messages aux nôtres. La mort du Crâneur, le retour du Pachyderme, ce sont des investissements que nous devons la rentabiliser. Nous devons rapidement inculquer aux nôtres qu'un soulèvement est possible, que les heures d'asservissements seront bientôt révolues.

- C'était ce que le Noyau doit se charger de faire non ?

- Certes. Mais comme ils me donneront leur réponse demain, j'anticipe juste.

- Il n'y a aucune raison pour qu'on ne vous seconde pas. En tant que membre du Noyau, je puis vous l'assurer. Nous avons nos cercles, nous savons comment joindre chaque Corvéable, donc laissez-nous le soin de la persuasion. Bien sûr, certains des nôtres sont des cas désespérés, nous aurons à séparer la bonne aiguille de la rouillée.  

- On dit "séparer la bonne graine de la mauvaise".

- Vous avez compris quoi.  

- Oui, merci. Je prévoyais de faire imprimer des tracts à la gloire du Pachyderme, de les mettre dans un ballon qu'on fera exploser au-dessus du château de sorte que le vent les disperse partout.

- C'est une idée mais que ça fasse seulement l'éloge du Pachyderme. Ça ne doit pas inciter ouvertement à la rébellion sinon, nous serons réellement menacés. Et je pense que ce serait plus bénéfice si vous faisiez ça à Noir Pince. Ce serait un bon moyen de généraliser le message et de suggérer aux maîtres que le Pachyderme n'est peut-être pas un Long-bras. J'allais même vous proposer d'y faire une apparition éclaire.  

- Ah oui, c'est une bonne idée également. Les Chiens de Noir Pince se sentiraient concernés, en plus, ils sont sûrement plus aptes que les Long-bras à se révolter. Je vais peut-être...

- Désolé monsieur mais je ne crois pas que vous ayez ce temps. Vous étiez tellement immergé dans vos œuvres ici que je n'ai voulu détourner votre attention. La situation au Roc et à Favela a évolué.

C’est à ce moment-là que je me suis pleinement souvenu que j’étais en guerre sur plusieurs fronts.

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- Oh sapristi ! Il m'était sorti de la tête que j'avais une guerre à gagner. Bon sang ! Informe-moi. Aux dernières nouvelles ce matin, les troupes de X-Bronze et de Jack Black marchaient l'une contre l'autre. Elles s'apprêtaient à faire jonction et à s'affronter dans le Centre du Roc sous contrôle de nos alliés Énigmatiques trop peu nombreux pour les retenir.

- Et le combat a eu lieu, monsieur, vers midi. Au moment où nous enclenchions notre plan pour le donjon. Black et ses hommes ont subi une écrasante défaite.

- Quoi ? Non... Attends, qu'est-ce qui s'est passé ? Les deux forces étaient pratiquement en nombre équivalent.

- Les Énigmatiques ont joint leurs forces à celles de X-Bronze à un moment clé de la bataille.

- Oooh non non non ! Ils devaient observer ! Bon Dieu, qui leur a donné cet ordre ? Ne réponds pas. Willian Darkness ?! Je n'aurais pas dû lui dire de voler de ses propres ailes... marmonnai-je en me tenant la tête.

- Si tu n'unis pas les forces armées du Roc, tu ne pourras envahir Palafitte et défaire les maîtres, c'est ça ?

- Euh, oui à peu près. Quelle est la situation actuelle ?

- Pour l'instant c'est l’accalmie. La grande majorité de l'armée de Black a été vaincue et faite prisonnière mais il demeure toujours des poches de résistance. Et selon les informations transmises à Dena' par Avada Kedavra, le champ de bataille se situe toujours dans le Centre. Bien sûr, Jack Black ne fait pas partie des prisonniers, il est introuvable.

- Naturellement. Si le théâtre des opérations se concentre encore dans le Centre, alors Willian a peut-être joué les bons pions en aidant Bronze. J'entrevoie un moyen de le défaire rapidement. Attends, et mes Fumiers ?  

- Suivant vos ordres, dix équipes de deux Fumiers ont été lâchés à Favela. Elles ont perpétrés vingt-trois attentats à la bombe en treize heures. Sept membres du clan Burn ont été tués ainsi que des dizaines de leurs miliciens. Ils sont sur le pied de guerre et ont réussi à coincer six équipes. Nous y avons perdu douze hommes donc. Les huit autres se cachent pour l'instant sur ordre de Nox.

- Et Nox lui-même ?

- Avec ses quatre-vingt Fumiers restants, il s'est planqué chez Avada, quelque part dans le fief de Bronze. Ils attendent vos ordres. Ah aussi, le clan Burn a enfin remarqué la disparition de Caffree et ils haussent le ton vers le Roc mais comme il n'y a aucune autorité principale pour l'instant...

- Je suis un peu perdue.  

- Disons pour résumer que la situation est en ballotage défavorable pour mes alliés et moi mais nous pouvons renverser la vapeur. Je dois me rendre au Roc et m'entretenir avec Willian avant que la victoire de X-Bronze ne soit totale. Non, toi tu restes ici Claude. A partir de maintenant, tu seras mon agent de liaison avec le Noyau. Je t'ai déjà remis le mini-escargophone pour me joindre directement. Demain, tu m'informeras de leur décision mais aussi de l'évolution de la situation et de la propagande. Weimin, je compte sur vous pour lui faire un rapport aussi détaillé que possible.

- C'est comme si c'était fait. A la fin de tout ça, vous m'enseignerez le Retour à la vie hein ? N'oubliez pas votre promesse.  

- C'est comme si c'était fait. Sam, tu as une solution d'exfiltration ?

- Oui, vous allez vous cacher dans les balles de foins. Je suis un paysan de la Jungle venu vendre de la nourriture pour chevaux mais à cause du couvre-feu et de la situation, je dois rentrer chez moi.

- Parfait. Je prends le costume du Pachyderme avec moi, Weimin. Même si je ne trouve pas le temps de faire un numéro pachydermique à Noire Pince, j'ai des hommes compétents susceptibles de me remplacer sous le déguisement. Et comme j'ai encore quatre équipes de plastiqueurs à Favela, je vais changer de stratégie et mettre leurs actions dans le compte du Pachyderme. C'est là-bas où je commencerai à distribuer les tracts.  

- Ça tomberait sous le sens. De son temps, Mina avait énormément ciblé les esclavagistes de Favela.  

- A nous revoir dans quatre ou cinq jours alors. Prenez soin de vous, restez à couvert mais armés.

- A bientôt !

Il me serra dans ses bras comme un frère et je lui rendis la pareille. Ce type est vraiment génial.

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- Tout le monde est cloitré chez soi dans l'expectative de la suite, constatai-je à notre sortie sans grande anicroche de Scarlet Tsunami.

Les rues sont presque dépeuplées, la fièvre de l'attentat qui s'est déroulé au château du Comte Adalbert a contaminé tout Palafitte. Dehors, nous troquons le chariot rempli de foins par un luxueux véhicule hippomobile que nous envoya Déna'. Je me rhabille et redeviens le prospère homme d'affaire venu en sous-marin privé.

- N'empêche que les tavernes ne désemplissent pas, monsieur. Regardez cet établissement au troisième étage de l'immeuble à vos deux heures. Il y a une grande animation là-bas.

- Je suppose qu'avec tout le tapage engendré par le Pachyderme et la foule qui a assisté à son retour, les versions doivent diverger d'un racontar à un autre. C'est dans ce genre de lieu qu'ils se pressent pour donner leurs interprétations des évènements histoire d'avoir leur heure de gloire.

- Haha, c'est sûr. Même si vous apparaissiez au milieu d'eux en Pachyderme et enleviez votre heaume, il y en aurait qui prétendront que vous aviez deux têtes ou crachiez du feu.

- Laissons l'histoire faire son bonhomme de chemin. J'ai redonné vie au Pachyderme, maintenant, il vivra au bout des langues de tous ceux qui auront envie de raconter de quelle manière il est revenu d'entre les morts pour prendre sa revanche sur celui qui l'avait supposément tué il y a onze ans avant de s'évanouir à nouveau dans un nuage de ténèbres. De quoi donner du travail à quelques ménestrels. Sam, informe Issaka que nous prendrons l'avenue de gauche. Nous retournons d'abord dans la Jungle.

- Monsieur ?  

- Je dois donner ceci en main propre à Dena', dis-je en lui montrant la petite mallette à bijoux que m'a remis Émeline. Les pierreries sont pures, il y en a pour trente à quarante millions là-dedans. De quoi bien financer nos opérations. Ensuite, je dois m'entretenir avec l'Arbre à Palabre et essayer une dernière fois de les joindre à notre cause. Mais plus important, je cherche un chien.

- Un... chien ? Un esclave ?

- Non, non. Eux ce sont des "Chiens" avec grand "C". Je cherche l'espèce commune. Un clébard, un molosse, un dogue, ou mieux, un limier. L'Arbre à Palabre chapeaute la production du Venner. J'ose espérer qu'ils disposent de moyens efficaces de détecter leur précieuse résine et dans ce genre-là, un chien ou n'importe quel animal renifleur serait la bienvenue. Il m'en faut un avant de me rendre au Roc.

- Puis-je vous demander pourquoi ?

- C'est simple, l'un des antagonistes principaux de la guerre qui s'y déroule est un fin consommateur de cette laque. Et je compte bien utiliser son addiction contre lui.

- D'accord.

Il transmet mes directives au voiturier pendant que je livre une âpre bataille contre mes cheveux, un peigne à la main. Je dois les lisser, ils sont le seul défaut à mon apparence raffinée. Cela ne m'étonne guère cependant, ils ont été extrêmement sollicités ces dernières heures. Que n'ai-je pas fait avec eux ? Je leur dois une fière chandelle et un passage chez un coiffeur plus qualifié que moi, ce qui ne doit pas être très compliqué à trouver. Sam m'observe en silence jusqu'à ce qu'un bruit sec indique que je viens de casser plusieurs dents de mon peigne me retrouvant ainsi avec de curieux accessoires dans les mèches. « Permettez… » marmonna-t-il en m'aidant à m'en débarrasser.

- J'ai abusé du Retour à la Vie aujourd'hui et j'ai utilisé mes cheveux pour tout et n'importe quoi. Soulever des trucs, étrangler des gens, ou les entrelacer pour en faire une corde-grappin... Donc ne soit pas révulsé si tu trouves une curieuse faune là-dedans, plaisantai-je. Je vais me trouver un coiffeur dans la Jungle.

- Euh... Monsieur...

- Tu as trouvé un lion capillaire dans cette forêt ?

- Non plutôt une... photo... Il me tend le cliché. C'est une Long-bras et vu comme elle est habillée, c'est une Corvéable. Sûrement Mina. Cette photo a dû se mêler à vos mèches quand vous avez revêtu le heaume du Pachyderme. Ah, regardez au dos !  

- Mina, 1615, lus-je. Je retourne la photo à l'endroit et continue à examiner le visage de cette héroïne sous toutes les coutures.

- Je l'imaginais plus baraquée mais Weimin n'avait pas tort. Elle est vraiment très belle. Et ses yeux... Elle a des yeux de tueuse.

- J'avais raison, dis-je d'une toute petite voix qui me surprit. Je me demandais quelle vermine était un "Mina" et vu que je n'en connaissais aucune, j'ai supposé que c'était le diminutif d'un nom plus long. Émeline pensait que c'était peut-être le raccourci de "Minable". Quand nous sommes retournés voir Weimin et planchions sur l'exécution du Crâneur, j'ai oublié de lui demander. Si je l'avais fait, j'aurais su...

- Su quoi ? demanda-t-il, excité d'un coup. Ma voix ne l'y trompait pas.

- Tu ne la reconnais pas ? Regarde bien, tu n'as jamais vu ce visage ?

- Euh... Non. Une femme aussi belle... Je m'en souviendrai, je pense.

- Tu n'as jamais entendu parlé des Twin Bones Pirates ? C'est l'un des équipages les plus en vue de North Blue. Ils hantent les routes commerciales reliant les principaux royaumes de la Blue et se sont illustrés en décimant d'autres équipages de pirates pour s'assurer le monopole de ces voies. Et le Numéro 2 de cet équipage est une certaine "Bloody Baroness" Wilhelmina. Sa prime, cinquante millions de Berry.

- Waouh ! Elle aurait réussi à s'échapper de Carcinomia pour officier en tant que pirate ? Mais onze années se sont écoulées depuis son départ, pourquoi n'est-elle pas revenue libérer les miens ?

- Peut-être qu'elle ne sait pas comment localiser Carcinomia. Nous connaissions les bonnes personnes, nous, c'est pour ça que ça a été aussi "facile". La Marine ignore l'emplacement de cette île alors, des pirates... Mina est là-haut, en train de chercher comment retourner à sa terre natale depuis une décennie, qui sait ? Et les Wave non plus ne sont pas au courant qu'elle a survécu, le Crâneur était persuadé qu'elle avait trouvé la mort dans l'incendie du Port 3.

- Je ne suis pas le seul mal informé, on dirait. Qu'allons-nous faire ?

- Que proposes-tu ?

- Je ne peux m'empêcher de penser qu'elle serait un formidable atout dans notre entreprise ici. Elle a un équipage et tout... En plus, elle semblait tellement cool avec le Pachyderme...

- C'est vrai qu'elle semblait super. Mais justement, nous parlons au passé. J'ignore ce qu'elle est devenue de nos jours. Son surnom de "Baronne Sanglante" n'est apparemment pas usurpé, elle viderait et saignerait ses ennemis comme de vulgaires cochons de lait d'après les échos que j'ai eus. Je veux réunifier Carcinomia sous ma coupe donc je n'ai pas envie de rameuter une anarchiste ou une quelconque bouchère ici. Je ne parle même pas de son équipage qui pourrait tout mettre à sac. Et pour finir, ce n'est pas comme si j'avais son numéro. Malgré tout le bien que je pense de l'audace et de l'abnégation de cette fillette qui revêtit vingt ans plus tôt un costume de héros pour se dresser comme l'esclavagisme, ce n'est pas encore le moment de chercher à nouer des liens avec elle. Peut-être après que la situation ici se soit stabilisée.  

- Vous avez sans doute raison.

- Cela dit, nous pouvons après coup nous lancer sur la piste de son mécène.

- Pardon ?

- Ce costume, fis-je en désignant le déguisement du Pachyderme à l'abri dans une valise à double fond, est une petite merveille de technologie. Il est fait d'une matière à la fois souple, légère, résistante mais également ignifuge. Il est équipé d'un filtre à air, d'une bonbonne d'oxygène, sans compter qu'il a été conçu pour évoluer sous l'eau. Weimin n'a jamais su où Mina l'avait trouvée. Tu penses sérieusement qu'une fillette, esclave, bien qu'éduquée aurait pu concevoir une telle machinerie de ses mains ? Ou se l'offrir ? Avec quel argent ? Non, quelqu'un lui a fourni cette armure, j'en suis certain. Quelqu'un qui, je pense, est ou fus forcément à Virus.

- C'est le Secteur spécialisé dans la technologie cybernétique. Ce sont des descendants de Zaunien.

- Le Pachyderme Écarlate avait un mentor et c'est peut-être lui qui lui a sauvé la vie et l'a envoyé à la surface. Et ça tombe sous le sens, tous les Secteurs ont été victimes des assauts du Pachyderme sauf Virus. Beaucoup pensèrent à l'époque que c'est parce que ce Secteur est le seul donnant un réel statut avec des droits et des affranchissements aux esclaves. Mais la vérité est peut-être toute autre. Je devrais aller à Virus tôt ou tard pour faire soigner ton maître Nivel. A ce moment-là, j'enquêterai sur celui ou celle qui a insufflé ses ardents désirs de liberté à Wilhelmina. Nous avons un potentiel grand allié caché ici. Il ne nous reste plus qu'à le trouver et quelque chose me dit que toutes les réponses sont dans ce costume...

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