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La chèvre

Quatre malheureux millions de berries. C'était tout ce qui lui restait suite à sa folie dépensière d'il y a quelques jours. Mais quatre millions, cela restait une somme. Une somme que Joe aurait volontiers aimé avoir au décuple, si ce n'est au centuple, mais dont il se contenterait néanmoins. La totalité de son trésor, enterré sur une des îles désertes de South Blue, s'élevait à présent à vingt quatre millions de berries.

A quel usage un tel butin pourrait-il servir ? Aucune idée. Joe vivait chichement. Ne conservant sur lui que le strict minimum pour vivre. Le simple fait de savoir qu'il possédait un trésor suffisait à le contenter. A croire qu'il ne vivait que pour accumuler une fortune qu'il rechignait à dépenser, sa vocation était de devenir riche avec comme unique finalité d'accumuler les berries. Plus son trésor viendrait à croître, plus il chercherait à le faire grossir. En somme, il se destinait à vivre une vie de misérable, tout en étant assis sur un pactole faramineux. Certains faisaient voeu de pauvreté pour satisfaire Dieu, lui le faisait pour ne jamais amoindrir son précieux trésor.
Dire que sa cupidité était maladive ne relevait pas de l'abus de langage, il était en effet atteint de la fièvre de l'or, un mal dont on ne guérissait qu'une fois mort.

Cependant, la mort semblait peu disposée à s'embarrasser de la carcasse du forban. En effet, on ne l'appelait pas le cafard pour rien. Il aurait pu se trouver sur une île remplie de marines en ayant après sa peau, sous un Buster Call, le jour de la fin du monde, qu'il aurait trouvé moyen de s'en sortir vivant.
Est-ce que cela relevait de la chance ? Pour Joe, la chance et le hasard relevaient de l'aberration scientifique. Sa chance, comme il se plaisait à le répéter, il la provoquait. C'est en effet son ingéniosité et sa capacité à réfléchir vite en situation de crise, qui lui permettait de se sortir des pires guêpiers dans lesquels il venait à se fourrer.

Cet éternel sceptique qui ne croyait pas à la chance venait d'accoster au Royaume de la Veine. Son trésor et ses dials enterrés à l'abri , il s'était rendu sur cette île afin de faire le plein de provisions, prêt à reprendre du service. Pas de repos pour les braves, surtout quand ceux-ci couraient après l'or.

- Niveau commerce j'ai connu mieux.

Leurré par ce qui semblait être une ville prospère, il ignorait que le Royaume de Veine était en réalité en plein "boom" économique, la ville commençant seulement à être bâtie. Le plus ancien bâtiment se trouvait au centre de l'agglomération, une boutique de chance : "legs of rabbit".
Levant les yeux au ciel en voyant une enseigne qu'il estimait absurde, le cafard se résigna néanmoins à s'y rendre, n'ayant trouvé aucun autre établissement capable de le fournir en provisions.

- Hoy ! Je passe juste pour voir si vous vendriez pas par hasard de quoi bouffer, je commence à être un peu juste niveau provisions, et la prochaine île habitée est à deux jours d'ici.

Violet, le vendeur, se permit un trait d'humour.

- Non désolé, vous n'avez pas de chance.

Joe, en d'autres circonstances serait parti sans demander son reste. Mais parler de chance l'agaçait passablement. Lui qui se considérait comme un "self made man" qui ne devait ce qu'il avait, qu'à sa ruse et son audace, le mot "chance" lui égratignait les tympans.
Se retournant en direction du comptoir, un regard acéré jouxtant son nez retroussé par la colère, il se permit de répondre à cette remarque qu'il jugeait déplacée :

- Mon gars, la chance ça n'existe pas. Ce que tous les couillons dans ton genre appellent de la chance, ce ne sont que des facteurs environnementaux qu'ils n'ont pas réussi à appréhender.

Tout pirate qu'il était, il n'était pas inculte pour autant, car ayant énormèment lu dans la bibliothèques de Torino. Si il y avait bien une chose saine en ce bas monde que le cafard appréciait, c'était lire et se documenter, étant capable de restituer la pensée de philosophe qu'il avait lu à l'arrachée par le passé.
Sans dire un mot, mais un sourire en coin, Violet ouvrit une jarre où se trouvait inscrit le symbole d'un trèfle à quatre feuilles. Des ondes lumineuses s'en échappèrent.

- Je n'ai aucun argument à t'opposer. Par conséquent, je t'autorise à m'attaquer de la manière que tu le désires pour laver l'affront que je t'ai fais en te parlant de chance. Seulement, je te préviens, c'est cette même chance qui me protégera.

Interpelé dans un premier temps par les ondes de lumières étant sorties de la jarre, le sang du forban ne fit qu'un tour en entendant le vendeur débiter un tel torrent de bêtises. Grimaçant de colère et montrant les dents, il allait se faire le plaisir de satisfaire son interlocuteur en l'attaquant comme il se devait. Bien qu'il n'avait pas particulièrement envie d'attirer l'attention, sa colère, stimulée par la simple évocation de la chance, l'amena à sortir son mousquet à canon triple.

- Je te souhaite bonne chance pour survivre à ça HAHAHA !

Dans un rire où la colère se mêlait à l'hystérie, il prononça ce qu'il pensait être les derniers mots que le vendeur entendrait avant son trépas. Appuyant sur la gachette, la détonation se fit entendre.
Quelle ne fut pas la surprise de Joe quand il tomba littéralement sur le cul. Un singulier hasard fit que le mécanisme de son arme ne fonctionna pas correctement, et que la balle qu'il venait de tirer était restée coincée dans le canon. Le contrecoup de la détonation fut si violent que le cafard lâcha son arme et tomba en position assise.
Entretenant ses armes avec soin, jamais un tel accident n'était arrivé par le passé. Assis à même le sol, légèrement ahuri, Joe récupéra le pistolet qu'il avait fait tomber et inspecta l'intérieur du canon. Rien n'était en mauvais en état, à priori, il n'y avait aucune raison pour que la balle reste coincée. Levant la tête légèrement blême vers le vendeur qui n'avait pas bougé d'un pouce, toujours souriant, Joe lui dit calmement :

- Ça ne prouve rien...
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Cet incident avait de quoi pousser à la remise en question. Mais concernant Joe, son avis était définitif, la physique et le bon sens refusent l'existence de la chance. Se relevant péniblement, le cafard rangea son arme. Rien de tel qu'une telle expérience pour refroidir les ardeurs d'un homme en colère. Il venait de se souvenir pourquoi il était venu sur cette île en premier lieu, pour trouver des provisions.
Ramassant sa casquette qui avait valsé, soufflée par la détonation, le forban se dirigea hors de la boutique. Dans un rictus moqueur, il lâcha avant de partir :

- Je t'en foutrais de la chance moi, peuh !

Tous les habitants du Royaume de la Veine croyaient à la chance sans pour autant s'en remettre à elle seule. Très superstitieux, ils ne prenaient pas à la légère les bons et mauvais présages. Ici et là, on pouvait voir cloué au dessus de la porte des demeures locales, des fers à cheval ou des pattes de lapin.
Joe s'apprêtait à quitter l'île, une culture axée autour de la chance lui donnait la nausée. Il était prêt à ne plus manger pendant deux jours d'ici à ce qu'il arrive sur une île où il pourrait enfin s'approvisionner. Mais en chemin, il vît une tente où il était inscrit "ravitaillement pour les voyages en mer."

- Ah, je trouve ça juste alors que j'allais partir, quelle chan...

Au dernier moment il ferma la bouche subitement, manquant de se mordre la langue. Après tout, ce n'était pas de la chance, il y avait forcèment de quoi se ravitailler dans une ville insulaire. Si le commerce était aménagé dans une tente, c'est parce que la boutique, comme beaucoup d'autres en ville, était en construction juste à côté. La devanture avait déjà été bâtie, les vitres cependant n'avaient pas été posées, et la toiture n'était pas finie, d'où la présence d'une échelle.

- Quel chantier.

Levant la tête tout en marchant, scrutant l'avancée des travaux, un bruit strident se fit entendre. De peur, Joe se recula vivement.
Il venait de marcher sur la queue d'un chat qui avait aussitôt détalé. Avant que le minet ne s'enfuit, le cafard avait eu le temps de remarquer que son pelage était aussi noir que les plumes d'un corbeau. Dans son mouvement de recul, le forban chuta en arrière, passant sous l'échelle, pour aller s'écraser sur un miroir qui n'avait pas encore été monté à l'intérieur de la boutique.

- Ah putain, c'est bien ma vein....

Ne terminant pas se phrase, il grommela, enlevant les petits bouts de verre de la main avec laquelle il avait essayé de se rattraper en tombant. Levant la tête, il remarqua que tous les habitants le fixaient un air terrifié au visage. A cet instant, Joe se rappela qu'il avait une prime sur sa tête, il n'en avait pas encore l'habitude. Mais ce n'était pas pour ça que tous l'observaient. Un homme, sur l'île de Veine, qui marchait sur un chat noir, passait sous une échelle, et brisait un miroir, le tout, successivement, cela en fit trembler plus d'un devant tant de malchance. De peur que la guigne soit contagieuse, beaucoup allèrent se terrer dans leurs habitations, y compris le vendeur de provisions.

- Chiasse, le commerce est fermé. J'ai vraiment pas de bo...

Prenant un profonde inspiration, il fit comme si il ne venait pas de manquer de mentionner la chance une fois encore. Cette île jusqu'à présent n'avait été qu'un nid à emmerdes. D'un pas décidé, il prit la direction des quais pour enfin partir de ce lieu maudit.

- M...Mais... Où est mon bateau ?

Le docker en charge de la surveillance vînt à lui, quelque peu gêné.

- Vous êtes le propriétaire du petit voilier qui était ici tout à l'heure ?

Ne répondant pas, Joe se contenta de fixer l'emplacement où il avait laissé son navire, bouche bée.

- Je sais que vous n'allez pas me croire, mais il y a environ cinq minutes, la foudre s'est subitement abattue sur le mat de votre embarcation qui a coulée presque aussitôt... Voilà, voilà... Je suppose que ce sont des choses qui arrivent. Rarement cela dit.

Allant au bord du quai, puis, se penchant en avant, le cafard aperçu effectivement au fond de l'eau, un petit vaisseau brûlé et brisé en deux. Levant ensuite le nez au ciel, il commença à trembler. Seul un minuscule nuage noir faisait tâche au milieu de l'immensité du ciel bleu. Jamais le forban n'avait vu telle intempérie par le passé. Il serait volontiers resté là, stupéfait encore quelques minutes, quand quelque chose vînt heurter la visière de sa casquette.
Ôtant son couvre chef, il s'aperçut qu'une mouette venait tout simplement de lui chier dessus. Essuyant la fiente, Joe en reçu alors une autre, cette fois, sur le crâne.

- Rhaaaa !

De rage, il sortit son mousquet et tira deux fois en direction du ciel, manquant sa cible à deux reprises. Rechargeant et rangeant son arme, il enfonça sa tête sous l'eau au bord du quai pour se laver les cheveux, mais aussi et surtout pour se raffraîchir les idées. Cela ne fut pas une tâche aisée, puisqu'une anguille passa au même instant, le temps de lui filer un coup de jus.
Le forban sortit la tête de l'eau à moitié sonné, essuyant quelques spasmes, il remit enfin sa casquette sur la tête, toujours aussi tremblant que tout à l'heure.

- La chance ça n'existe pas, la chance ça n'existe pas, la chance ça n'existe pas, la chance ça n'existe p....

Ses tremblements cessèrent subitement lorsque ses yeux fixèrent l'horizon. Là, ce n'était pas un ou deux vaisseaux qui approchaient, mais cinq frégates de la marine qui se dirigeaient vers le Royaume de la Veine.
Joe, scrutant ce qui ressemblait à s'y méprendre aux prémices de la fin du monde, souffla sur un ton résigné :

- Je retire tout ce que j'ai dis. La poisse, ça existe.
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Est-ce qu'un habitant l'aurait dénoncé aux autorités ? Cela paraissait peu probable pour deux raisons. La première étant que la marine ne serait pas arrivée aussi vite, la base possédant autant de vaisseaux devant être à cinquante miles d'ici, mais surtout, Joe, en dépit de la haute opinion qu'il se faisait de lui, imaginait mal la marine envoyer cinq frégates remplies de marines simplement pour ses beaux yeux.

- Ah, les voilà qui arrivent enfin !

A côté de lui, le docker et son personnel discutaient. Le cafard continuait de fixer l'horizon tout en les écoutant parler, peut-être parviendrait-il à entendre des informations intéressantes.

- Des semaines qu'on parle de la manoeuvre organisée par le QG sur notre île, plus de sept cent marines qui vont rester un mois, ça ne peut-être que bon pour les affaires ça.

Bon pour les affaires des habitants, sans aucun doute, mais cela restait nocif pour les intérêts du forban. Ce dernier commençait à se ressaisir. Qu'il ait la poisse ou non, il ne comptait pas se laisser capturer. Seulement, son bateau était coulé, et il ne voyait aucune embarcation manoeuvrable par une seule personne qu'il pourrait éventuellement voler.
Affichant une moue contrariée, il lui fallait réfléchir à un plan avant que tout le régiment n'arrive à quai. Puisqu'aucun navire de transport ne semblait apprêté à quitter l'île, le cafard allait devoir rester sur place quand les mouettes accosteraient. Il aurait pu se cacher dans la forêt en marge de l'agglomération, seulement il n'était pas dit que les manoeuvres de marines n'auraient pas lieu à cet endroit.
Il allait falloir se faire passer pour un citoyen comme un autre le temps de trouver un moyen de quitter l'île. Déjà, il rangeait sa casquette emblématique dans son manteau. Pour le moment, il comptait prendre son mal en patience dans la gargote la plus proche. Achetant le journal au passage, il s'installa à une petite table d'une des inomblables tavernes qui poussaient comme des champignons sur l'île, et s'attela à la lecture de son quotidien.

- Eh beh, tu parles d'un bordel sur Navarone.

Sirotant de temps à autres la bière qu'il avait commandé, il lisait paisiblement les nouvelles. L'annonce du débarquement de la marine ne tarda pas à se faire entendre. Ceux-ci marchaient en cadence en entrant dans la ville. Quand on avait pas la conscience tranquille vis à vis du gouvernement mondial, cela avait de quoi filer des sueurs froides. Déglutissant, Joe s'efforçait de garder son nez dans le journal. Bien évidemment, il l'avait acheté pour le lire, mais surtout, pour cacher la cicatrice visible sur sa joue qui pouvait le faire remarquer, sans parler de son absence de sourcils.

- Vous avez quartiers libre jusqu'à ce soir ! Je vous veux tous à vingt heure pétante à la garnison de la Veine, en attendant, repos.

Après une si longue traversée en mer, l'officier supérieur en charge de son troupeau de mouette leur donnait l'occasion de souffler un moment avant de s'entraîner. Joe grinça des dents, il avait fallu que toute la section soit sous les ordres d'un laxiste, cela s'additionnait à son manque de chance préalable.

La bourgade était certes en plein boom, mais cela demeurait une petite ville d'à peine plus de deux mille âmes. Sept cent gaillards qui venaient se mêler à la masse, cela rendait la rencontre du cafard avec l'un d'entre eux inévitable. Tous s'empressèrent d'ailleurs d'aller remplir les gargotes. Celle dans laquelle se trouvait Joe était petite et ne tarda pas à être pleine à craquer.

- Ça vous dérange pas si je m'assois ici ? Il n'y a plus d'autre place.

Le forban répondit à la négative, prenant bien soin de masquer son visage derrière son journal. Le marine qui venait de s'assoir face à lui ne le voyait pas, mais derrière le quotidien, il avait en face de lui un des criminels les plus violents de South Blue.
Joe maudissait ce marine qui, au lieu de prendre le tabouret et aller s'assoir avec ses camarades, ressentait le besoin vital de faire la conversation avec ce qu'il coyait être un habitant de la ville.

- Il paraît que cette ville est réputée pour la chance qu'elle apporte à ceux qui s'y trouvent.

Sur un ton amer Joe marmonna entre ses dents :

- Il paraît...

C'était un marine très bavard qui s'était assis face à lui. Sociable qu'il était, il venait de parler à Joe de ses aspirations, de sa famille, de ses rêves les plus fous. Le cafard savait jusqu'à la couleur préférée de son interlocuteur qui n'arrêtait pas de l'ouvrir. L'alcool aidant, il parlait, parlait, parlait, sans interruption, si ce n'est pour boire une gorgée de bière de temps à autre.
Pendant presque deux heures, le deuxième classe Darnel venait de raconter sa vie à un homme dont l'une des passions après l'argent consistait à massacrer gaiement des mouettes dans son genre.

- Ah ah, z'êtes un marrant vous quand même, ça fait bien une heure que je vous vois lire la même page du journal. Moi aussi je suis lent quand il s'agit de lire, c'est d'ailleurs pour ça que je me suis orienté vers la marine, tenez, d'ailleurs...

Et il n'arrêtait pas. Mais la simple évocation du fait que Joe n'avait effectivement pas tourné la page de son journal depuis plus d'une heure suffit à le faire paniquer. En effet, cela pouvait paraître suspect, pourtant, le marine, peu loquace, et surtout légèrement saoul ne voyait rien de gênant à cela. Pour marquer le coup, le cafard tourna enfin la page.

Pouf !


En faisant un bête mouvement de bras pour tourner la page du quotidien, quelque chose venait de tomber de l'anorak de Joe. Ce dernier n'osa pas le ramasser, il risquait d'exposer son visage ce faisant.

- Eh, t'as fait tomber quelque chose.

Quelque peu agacé, le forban répondit calmement :

- J'ai vu.

Le marine s'étonna qu'il ne le ramasse pas. Mais, aimable qu'il était, il décida de le faire à sa place, ce que Joe craignait le plus au monde, car il savait pertinement ce qui était tombé.
Sortant de dessous la table, le marine rigolait.

- Ah bah ça, une casquette de la marine, je savais pas que t'étais des nôtres ahah !

Étudiant plus attentivement le couvre chef qu'il venait de ramasser, son rire se figea quand il lu l'inscription "pirate". Il ne fallut pas longtemps pour que le seconde classe Darnel se remémore l'avis de recherche qui était passé entre toutes les mains du QG ces deux dernières semaines. Tendant fébrilement le bras, il baissa délicatement le journal de celui qui lui faisait face. Derrière, c'est un regard gorgé de sang et des dents tranchantes qui se dévoilèrent.
N'ayant pas le temps d'avertir ses collègues, un coup de feu se fit retentir. Le temps que le malheureux comprenne à qui il avait à faire, le cafard avait dégainé et tiré sous la table. Profitant de la confusion, il reprit sa casquette d'un geste brusque et s'enfuit au plus vite de la gargote, s'étant attablé à proximité de la sortie.

Alors que Darnel, une balle dans l'estomac savait qu'il allait devoir renoncer à ses aspirations et être enterré sous peu, il lâcha dans un dernier cri du désespoir :

- B..Biutag ! Cet enfant de putain de Joe Biutag est sur l'île !

S'écroulant tout de suite après, il venait d'expirer. Tout marine qui venait d'entendre son alerte à cent mètres à la ronde savait à présent à quoi s'en tenir. La chasse au cafard était lancée.
Joe, lui, avait eu le temps de reprendre sa casquette des mains de sa victime avant de s'enfuir. Il ne savait pas par où fuir, en tout cas, une chose était sûre, il avait intérêt à courir, car déjà des dizaines de poursuivants le talonnaient.
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Trop tard pour trouver une planque sûre où se terrer. Pour cela, il aurait fallu qu'il puisse semer les mouettes qui le prenaient en chasse. Déjà, il s'apprêtait à utiliser son joker, son dernier atout en manche, et ce, bien que la course poursuite ne faisait que commencer.
C'est avec bien du mal qu'il parvînt à sortir son lance grenade. Il y avait un boulet chargé dans le canon, et un autre dans son manteau, mais il savait qu'il ne pourrait pas recharger en courant. C'était son seul et unique coup.
Tout en poursuivant sa course, il tenait son arme de la main gauche et la passa sous son aisselle droite afin de viser ceux qui étaient derrières. Peut-être allait-il les abattre pour écremer les rangs de la marine, mais cela aurait-été inutile. Au mieux, il pouvait tuer une vingtaine de mouettes en un seul coup, mais ils étaient plus de sept cent sur l'île, cela serait revenu à mettre un coup d'épée dans l'eau.

Mais il avait néanmoins une idée pour utiliser son unique boulet de manière adéquate. Continuant de pointer l'arme derrière lui, il l'orienta légèrement en direction du sol.

- Évacuation d'urgence !

Pressant la gachette, le boulet vînt heurter le sol, soulevant un vaste nuage de poussière qui s'étendait le long d'un pâté de maison. C'était la seule diversion dont il pouvait faire preuve. Profitant de pouvoir échapper à la vue des marines un instant, il s'empressa de se planquer dans le bâtiment le plus proche.
Arrivé sur place, l'endroit lui parut bien familier.

- Putain c'est pas vrai.

Le cafard était revenu à la boutique "Legs of the rabbit". Violet était toujours derrière le comptoir, son sourire satisfait toujours affiché sur son visage arrogant.

- Alors, on a changé d'avis quant à l'existence de la chance en ce bas monde ?

C'était un forban essoufflé et couvert de poussière qui se présentait à nouveau dans ce lieu qu'il avait pourtant méprisé. Était-ce encore un coup de la malchance ? Cela était fort probable.
Dehors, les marines étaient à chaque instant plus nombreux. Ils n'étaient pas du genre à prendre leur tâche à la rigolade. Si jusqu'à présent ils avaient essayé de capturer le cafard en vie, il n'était pas dit que leur résolution perdure encore longtemps. S'inquiétant de ce qui se déroulait à l'extérieur, Joe n'écoutait qu'à moitié ce que lui disait Violet.

- Tu as de la chance que le patron et moi sommes aussi des pirates, autrement cela fait un moment que tu aurais été dénoncé.

Joe aurait voulu lui hurler que la chance n'avait rien à voir, mais il craignait d'attirer les autorités ici même. Il se contenta d'un regard équivoque, suggérant implicitement que les dernières balles qu'il était susceptibles de tirer avant d'y passer, ne seraient pas nécessairement réservées aux marines.
Le vendeur, qui, jusqu'à maintenant avait semblé cloué derrière son comptoir, se décida enfin à bouger, avec un bocal en main. Dessus, il y avait le dessin d'un chat noir.
Alors que le forban était à plat ventre pour qu'on ne puisse pas le voir à travers les fenêtres depuis l'extérieur, Violet marcha devant lui jusqu'à la sortie, et, en pleine rue, ou milieu des marines ouvrit son récipient avant de retourner dans sa boutique.
Une fois ouvert, le bocal, comme tout à l'heure, émit trois flash lumineux intenses, surprenant les marines qui passèrent rapidement à autre chose.

- Va.

Levant les yeux en la direction du vendeur, le cafard se demandait si celui-ci n'était pas fou à lier.

- Ce flacon est censé apporter de la malchance pour une longue durée à tous ceux qui seront prit dans la lumière qui en émane une fois ouvert. Si j'ai raison, alors tu pourras leur échapper sans problème. Autrement, eh bien tu auras la preuve incontestable d'avoir eu raison.

Avoir raison lui faisait une belle jambe si c'était pour finir pendu. Mais les recours manquaient. Sans même remercier ou saluer son bienfaiteur, Joe fonça dehors sous le nez de tous les marines présents.

- Le voilà !

C'était près d'une centaine de marines qui étaient maintenant à sa poursuite. Joe ne savait pas ce qui venait de lui prendre de leur passer devant avec tant d'assurance. Toujours en train de courir, cette fois en direction des quais, un bruit sourd se fit entendre derrière lui. Il ne se retourna pas, cela aurait impliqué de devoir ralentir.
Mais derrière lui, un immense bâtiment en bois construit récemment s'était écroulé sur la totalité des marines qui étaient à présent incapable de continuer leur entreprise de chasse à l'homme.
Le forban arrivait aux quais.

- On embarque !

Cette voix... Il la reconnaissait, c'était celle du capitaine Pinof, capitaine d'un vaisseau de transport de passagers, et ami personnel avec lequel il avait fait escale à la Rokade et Torino par le passé.

- Attendez moiiiiiii !

Le capitaine fut bien étonné de voir Joe sortir de nulle part. Ce dernier rattrapa l'embarcation à l'instant même où elle levait l'ancre. Reprenant son souffle une fois sur le pont, Joe se retourna. Ses poursuivants étaient soit morts, soit trop blessés pour le poursuivre jusqu'ici.

- Eh bah, on peut dire que tu as une foutue chance de monter à bord juste avant qu'on ne parte.

Serrant les dents, le cafard mit un coup de tête à Pinoff.

- Tu ne sais donc pas que ça n'existe pas la chance ?!

Malgré tout ce qu'il avait vécu jusqu'à maintenant, il restait sur son postulat de base : sa chance, c'est lui qui la provoquait. Après tout, il n'avait pas entièrement tord. Ce bâtiment qui s'était écroulé sur la marine, il n'avait chuté que parce que le tir de lance grenade tiré plus tôt avait ébranlé sa fondation.
Quant au reste, il restait persuadé qu'il y avait une explication rationnelle à tout cela. Pour le moment, toutes ces considérations étaient le cadet de ses soucis, sa seule priorité à cet instant était de se mettre quelque chose sous la dent.
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